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la passerelle mirabelle une grosse de haĂŻkus (bordĂŠs de nouilles)
La paix est concédée à ceux qui s’aiment en s’endormant à condition de ne pas se réveiller pour ceux qui s’aiment en se levant, tant pis, l’amour diurne n’accorde ni trêve ni repos
Nous baignons dans l’illusion, toujours en retard d’une image sur notre vie la persistance n’est pas seulement rétinienne: comme le bras amputé nous continuons de sentir les morts à nos côtés au creux du lit le corps aimé absent
Je ne me matérialise pas immédiatement au sortir de mes rêves je suis conscience flottant au-dessus de mon absence au creux des draps je comprends quand je gagne consistance que quelqu’un quelque part a pensé à moi
Je suis parce que quelqu’un pense à moi je souffre parce que quelqu’un craint pour moi je crée parce que quelqu’un croit en moi
Aimer, c’est vivre son incomplétude car bien que le corps ne présente aucune cicatrice manquent entre les bras contre la peau et dans les entrailles les autres qui font partie de soi
Tes caresses ont imprimé – imposé, voire tatoué – tes mains sur ma peau tes lèvres ont soufflé – accord de cor à corps – ton amour sous mon crâne je ne serai plus jamais moi, je ne serai plus jamais seul 4
J’ai reçu de toi assez d’amour pour vivre une vie sans médicaments sans drogues ni alcool sans autre vice que le goût de partager les doutes, les craintes, mais aussi le lumineux bonheur Ton amour est si grand, inconditionnel, abnié qu’il ne peut refléter que l’insuffisance du nôtre et ta douleur de ne pas recevoir même moitié de ce que tu donnes Par amour, par souci d’anticiper mon désir, tu en viens à m’accuser des peines que tu t’infliges et mon amour redouble mon tourment d’être impuissant à soulager ta souffrance l’amour se partage, pas la douleur du coup l’amour est vain – si encore il n’est pas cause Que l’on suive la conception mystique des correspondances ou que l’on adopte la théorie physique de l’«effet papillon» on aboutit à la même évidence poétique: les éruptions solaires sont une amplification de nos baisers Le facteur délivre les lettres d’amour, libère les baisers qu’elles enfermaient affranchit les promesses, délie les serments, délimite la distance: les amants qui s’écrivent ne peuvent échanger que la certitude de la séparation L’amour creuse une fosse entre passé et présent, fausse le rapport entre l’être et l’étant la divinisation de l’objet amoureux dicte le rejet de ses défauts humains, de ses effets personnels l’amour est un sacre: sa foi est loi l’amour abolit le choix: le soi doit rester coi 5
Le désir est fantasme, le chagrin auto-commisération, le bonheur miracle l’amour est cécité volontaire et illusion entretenue (une forme de foi) il n’y a jamais eu qu’un problème existentiel: la solitude
Le fleuve est concrétion de métaphore temporelle, l’eau idée solidifiée tu regardes ta vie couler en t’interrogeant sur la signification du pont
Le même fleuve se révèle rassurant si on se laisse porter vers la mer par le courant ou menaçant s’il fait frontière qu’on doit à tout prix traverser voire désespérant s’il s’agit de remonter à sa source entretemps tarie, bouchée ou déplacée
Comment le fleuve reste-t-il égal quand ses eaux s’écoulent et se renouvellent constamment? le fleuve s’approprie et s’assimile les qualités du pont – dureté et durabilité – pourtant son eau change moins que le paysage qu’elle reflète
Si le fleuve est image matérialisée du temps – sable liquide – tout pont lui appartient, emporté par le courant: un pont au-dessus des eaux est un rêve (un espoir, une hallucination) de noyé
Les images de leur vie que les noyés ont vu défiler le fleuve continue de les charrier, fragmentées comme le reflet du ciel regret de sirène, chevelure d’eau roulant et déroulant des éclats de souvenirs
Le fleuve des jours s’écoule sous le pont des étoiles ses eaux tourbillonnantes forment les circonvolutions de la mémoire, reflet des galaxies où les souvenirs comme fétus flottent un instant et sont emportés 6
La mousse sur la face nord des arbres et des pierres est l’empreinte de l’ombre la lumière, trop inconstante, recouvre et efface constamment ses propres traces les miroirs sont toujours vierges le fleuve n’emporte pas ses reflets
Quand la bouche d’égout avalait nos bateaux de papier portés par le caniveau nous imaginions que le cloaque se déversait dans le fleuve qui les convoierait jusqu’à la mer c’est sur ce type d’illusions que sont bâties les religions
Malgré les apparences de surface, le fleuve n’est pas miroir et ignore la symétrie tu l’as compris à Bénarès: tout fleuve est figuration de l’Achéron, qu’on ne doit pas traverser plutôt couper l’amarre, se laisser emporter, devenir bateau ivre, flâneur des dérives
L’eau coule toujours au plus droit ses boucles et ondulations ne sont dues ni au vent ni au courant mais aux chevelures roulées et déroulées des noyées
Le courant avale un reste d’écume comme une rage rentrée bulles éclatées, tache blanchâtre que l’eau repeint née du baiser clapotant de deux vaguelettes ou trace vite effacée d’un plongeon
Pour symbole du temps on aurait pu prendre la mousse qui pousse – trop positif! voire la poussière qui s’amasse – mais c’est encore de la matière! plutôt que le fleuve qui passe – dont «l’onde si lasse» ne laisse pas de trace 7
On peut concevoir le temps comme un trou sans bords, l’avenir comme un gouffre sans fond et la vie comme une chute sans fin (il y a des précédents) si n’intervenait justement le fleuve – l’image du fleuve –, comme une vaste chasse d’eau Il y a eu un temps où tout plaisir était mortel, la moindre peine capitale un baiser promesse, une poignée de main scellé, un mot arrêt pourtant rien n’est important que le vent va emportant Le compte de la vie ne tombe jamais juste, quelle que soit l’unité choisie – seconde, journée, année car la mémoire n’est pas fiable, les sommes mnémoniques manquent de retenues: je me souviens de plus d’hivers que de printemps de plus d’orages que d’aurores Le vent qui ride les mares est à l’image du temps qui vide la mémoire: reflets et souvenirs, même reconstitués, sont fragmentaires et incomplets Facteurs sont les nuages chaque goutte distribuée est un message il n’est que d’apprendre à lire les larmes Le ciel va accoucher déjà les nuages perdent leurs eaux l’avenir couvert de sang émerge du vagin des nues en vagissant Condamnée à la chute, la pluie ne pouvant attaquer le ciel s’en prend à son reflet sur l’étang: les premières gouttes tracent des cibles les suivantes, à verse ou à cordes, déchiquètent toute trace de bleu 8
Si l’on peut prendre la pluie comme signe réjouissant, annonciateur de floraisons preuve d’un temps cyclique, justifiant optimisme et foi en la bonté naturelle on devrait penser la mort non comme fin mais adjuvant, recyclage et engrais des futures cueillettes
La pluie est encre sympathique que la chaleur du soleil fait mousser ses écrits restent mais sont recouverts et deviennent illisibles tout le paysage n’est que gribouillis et palimpsestes superposés
Il semble bien que le déluge se poursuive jusqu’à nos jours, même si de plus «faible intensité» mais l’amour ne saurait servir de parapluie: s’il est résistant il se fera voler s’il est bon marché il se retournera au premier coup de vent
Au baromètre du cœur, le beau fixe rarement se maintient mais si variable n’est guère réjouissant insupportable est pluie qui dure mois après mois le déluge
La pluie est preuve de l’impuissance de dieu (de toute divinité céleste) qui coule de partout, ne sait que baver et tambouriner (si encore le niveau des eaux avait monté!)
La peau a beau être imperméable la même goutte qui a fini par forer la roche l’aura percée ou se sera infiltrée par les yeux en tout cas la pluie, Verlaine de mon cœur, est devenue interne
La poussière se dépose, s’incruste, seule écriture qui reste issus du verbe, nous ne retournerons pas à la poussière plutôt à l’éther dont sont faits le vent et les vaines paroles 9
Il n’est roc qui ne tende à s’effriter, diamant à s’empoussiérer des galaxies entières vont se pulvérisant le temps transforme tout en sablier
Tu as pêché beaucoup de godillots qui, inutilisables, t’invitaient symboliquement à tout lâcher tu as pris un poisson parlant qui t’a remis un anneau d’or, promesse de princesse mais tu n’as pas réussi à retenir même une minute d’eau vive au ruisseau du temps
Qu’on voie le temps comme spirale – ressort formant paroi de puits pour nous expédier au néant – ou comme boucle – éternel retour, roue, répétition, tournis autour du pot du néant – demeure le miracle épiphanique du commencement: le fleuve – pas tant la mer – «toujours recommencé»
Comme la goutte d’eau finit par creuser la roche et la lumière pâlir la photo le reflet troue le miroir la ressemblance trouble la mémoire: moins visible que la poussière, le temps fabrique du vide
Le temps est mémoire, fixation provisoire d’information (celle d’un photon ou d’une onde magnétique) or toute fixation est déjà transformation (déconstruction et reconfiguration) le temps est amnésie – et nous ne sommes, avec notre conscience illusoire, que fragments de temps
Le temps est un escargot, la fameuse spirale n’est que la structure de sa coquille sa lenteur est relative: question d’échelle – car il ne cesse de grandir quand il atteint une dimension galactique, il file et nous écrabouille 10
Le temps symbolisé par la roue est espoir: il est constant changement et retour cyclique mais aussi menace: imparable il nous écrase, aveugle il nous broie il est surtout condamnation: nous sommes les mules attelées qui le faisons tourner
L’horloge alliait le balancier (ou retournement) – qui régulait la clepsydre ou le sablier – à la rotation – imitée du mouvement des corps célestes et de l’ombre projetée du cadran solaire – la mesure numérique du temps n’a plus ni roue ni ressort: simple succession insensée de chiffres
L’arbre du temps offre ses fruits, heures-ouroboros qui se mordent la queue, minutes en forme de sablier mais depuis l’histoire du pommier, les hommes se méfient, hésitent à y goûter les plus beaux moments tombent à terre, les ans choient, les siècles fanent, le temps pourrit
La vie a introduit dans un cosmos minéral et immuable le temps pourtant la conscience de l’homme de sa précarité reste partielle – mort plutôt que recyclage – et partiale: refus d’envisager comme corollaire la condition comestible de toutes les créatures
Comme la bombe à neutrons qui laisse debout ce qu’elle a réduit en poussière ou ce M. Valdemar maintenu magnétiquement vivant tandis que son corps se putréfiait le temps sait démolir en préservant la façade: nous continuons de recevoir la lumière d’étoiles éteintes 11
Nos orages amoureux sont provoqués par un battement d’ailes de papillon lui-même déclenché par l’éclosion d’une fleur donc, lointainement, par quelque tempête solaire tout est lié, tout est écrit mais illisible: le temps n’est que démêlage de l’inextricable écheveau
Tu as survécu intègre au passage de l’éléphant du temps tu te lamentes pour une minuscule ébréchure quand les autres porcelaines, maquillant les fentes, passent leur vie à se recoller
La mémoire est un miroir brisé dont chaque éclat a conservé l’empreinte d’une image différente fait de pièces disparates qui s’emboîtent mal, notre puzzle mental est irreconstituable
Notre mémoire est pleine de trous qui servent de terrier où se tapir ou hiberner à des souvenirs frileux ou poltrons ou sauvages
Le flocon a vécu entre le cocon nuageux et la liquéfaction au sol une interminable chute vitesse et durée sont relatives il n’est d’autres richesses accumulables que les souvenirs
Entre le soleil qui burine et les nuages qui bruinent le son et lumière du souvenir faiblit, s’embue, se fait bruit et tableaux blafards la mémoire du bonheur s’effiloche, le passé n’est que ruines 12
Le passé heureux est resté si lumineux, si vivant qu’on en viendrait à croire que l’«âge d’or» n’est pas un simple mythe qu’on se sent par comparaison fantôme traînant le boulet de sa vie dans une grisaille ectoplasmique Le temps distingue, c’est la mémoire qui confond: on ne peut rien revivre, surtout pas le bonheur le ravissement des moments heureux incluait la certitude qu’ils étaient uniques, irrépétables le souvenir n’en restitue qu’un pâle et infidèle reflet Les meilleurs souvenirs restent si lumineux qu’ils éblouissent et sont frappés d’irréalité dans un monde où – sans être une «vallée de larmes» – la peine et l’ennui constituent la condition la moindre parcelle de bonheur relève du rêve, dont elle a, plus encore que l’onirisme, l’éphémérité La valeur (les prestiges) de la nuit tient-elle à ses étoiles à son contraste avec le soleil aveuglant à une rémanence (persistance rétinienne) ou réminiscence du jour ou à son effacement? Un baiser un regard un sourire peuvent durer effectivement des heures, voire des jours, des années: les quelques secondes de leur accomplissement fugitif multipliées par toutes les fois où la mémoire les a évoqués Le cor du souvenir s’efforce de ranimer les feuilles muettes de la forêt pétrifiée où les chasseurs égarés guettent encore le survenir d’un corps 13
Entre souvenirs-écrans (imaginaires et flottants?) et souvenirs écrits (réels et ancrés? – encrés) nous nous faufilons (faux-filons) furtifs, l’alarme à l’œil le passé se défile, le présent se défait, le futur se défie le fleuve de notre vie nous file entre les doigts
Par souci de se montrer jeune, il ressort les mêmes blagues d’il y a vingt ans refait les mêmes gestes, répète les mêmes (bons) mots éculés devient sa propre caricature: sa jouvence se confond avec le gâtisme
Fête chez les Guermantes: tous étaient restés jeunes, moi seul avait vieilli tous souriaient – tout en médisant de toutes leurs dents –, moi seul avais le vin mélancolique je ne m’étais jamais senti aussi étranger qu’au milieu de tant d’hypercrisie!
Je suis et pourtant j’ai été je te suis pour autant que je t’ai je ne suis que pur temps que j’ai jeté
De mûrir à mourir il n’y a guère qu’un étirement des lèvres le glissement d’un baiser à un sourire – engageant ou contraint, d’invite ou d’adieu – de mourir à pourrir, un simple claquement des lèvres, une occlusion et un pet de la bouche
Soudain, mon train de vie – mon traintrain de vie – s’est emballé dépassant les autres si vite qu’ils semblent à l’arrêt, voire lancés dans la direction opposée car tous freinent à mort à l’approche du ravin qui s’ouvre devant 14
Depuis mon suicide, la mort me rend souvent visite (une part de moi déjà lui appartient) elle ne m’en veut pas d’être revenu à la vie (la tentative d’évasion est un droit du prisonnier) et se montre bonne joueuse et bonne causeuse tant que je ne réclame pas de délai
L’horizon ne cesse de reculer – infranchissable pas, il appartient à l’au-delà –, pas la frontière (les poilus ont vérifié au chemin des dames que la ligne bleue des Vosges était tracée en tranchées) de la vie au néant, la ligne de démarcation est mobile: la mort ne cesse de se rapprocher
Comme le navire de Stevenson dont «on peut dire qu’il n’a cessé de couler depuis son lancement» nous commençons à mourir dès notre naissance – la vie est précisément cette mort lente – car, tel un horizon dépassé, a certainement déjà démarré le début de la fin
Bien que les dimensions du cercueil soient dictées par l’économie de l’espace la vocation du tombeau, par vers et poussière, est le passage à vide de ce trop-plein comme si le sépulcre en blanchissant avait à tâche de revirginiser l’avenir
La surface des souvenirs s’écaille et s’effrite la mémoire se fendille et se troue, la vie passée va pâlissant la mort se présente pimpante pour tout repeindre
De désastre en désastre, de la naissance à la sénilité arrosée de sang, de sperme, de sueur, de merde et d’urine la vie va s’écoulant 15
L’étonnant, de la poussière, c’est sa faible quantité – qui fait qu’on la remarque, qu’on la balaie – alors que des siècles, dont ne subsistent que ruines, auraient dû l’accumuler la poussière est matière première, terreau fertile la vie est avant tout recyclage
Parce qu’à l’évidence toute œuvre est ontologiquement imparfaite et inachevée l’homme ressent d’autant plus douloureusement que sa vie doive s’achever et n’a conçu que par antiphrase – ironie du désespoir – la perfection et l’immortalité divine
Plutôt la fin que la faim, la plongée que la vie prolongée, la mort subite que la souffrance subie plutôt l’extinction, de voix et d’effet, par voies de fait, que l’extension des délais plutôt le déblayage sans sursis ni condition que le délayage sans souci des convictions
L’âge rend grave – et la gravité fait office d’expérience et de sagesse plus grave: la gravité supposément fixe notre place et assure notre équilibre car le terme est la mort: vieillesse insouciante (comme veuvage joyeux) ne serait qu’accident sans gravité
Les neiges d’antan ont fondu se sont faites boue, se sont infiltrées dans le sol, jusqu’à tomber sur une roche plus dure et libérer l’hypothèse d’une source
Marcheurs à la longue foulée nous croyions aller tout droit mais entre chaque pas la terre a tourné nous avons perdu le but sans avoir jamais bifurqué 16
Tu peux t’arrêter, faire du sur-place, voire revenir sur tes pas tu voudrais faire marche arrière mais le temps ne recule pas quelle que soit la direction tu ne peux aller qu’en avant
Deux principes d’orientation s’affrontent: l’un dit qu’en tournant toujours à gauche tu te retrouves au point de départ l’autre veut qu’en virant toujours à gauche tu parviennes immanquablement au centre du labyrinthe seul le point de vue du minotaure les concilie
La joie est centrifuge, on ne saurait la cacher: les yeux brillent et la répandent on ne peut dissimuler que la souffrance, centripète, intime, en permanence refoulée (quant aux intentions ou désirs, ils ne sont que fumées, pâles, inconsistantes, vite dispersées)
Inutile de discuter le libre-arbitre dans l’absolu il faut poser un concret, même métaphorique: dans le labyrinthe, l’homme peut choisir de tourner à gauche ou à droite de se battre ou de se laisser occire de chercher une issue entretemps murée
Entre inertie et pente, tout mouvement se poursuit au-delà de l’impulsion initiale la distance et le vide conservent la lumière après l’extinction des astres nous-mêmes survivons fantômes à la perte de nos forces, de nos désirs, de nos souvenirs 17
Entre décollage – perception physique de l’élévation, abandon du sol ferme, vue inédite des nuages – et décalage – reflet inexact, perte des repères, vertige, jetlag, désyntonisation – l’avion ne donne pas la sensation de mouvement ou de déplacement, seulement de changement de décor
Comme l’otarie perchée sur son ballon pour garder l’équilibre il nous faut toujours marcher, faire tourner la terre sous nos pieds Ixion, Sisyphe, hommes et écureuils, nous poussons tous notre roue ou notre rocher
Notre perception du temps est conditionnée par la rotation de la terre: alternance du jour et de la nuit or la rotation de Vénus dure moitié de sa révolution autour du soleil – près de quatre de nos mois – l’ombre ne s’y déplace pas à l’œil nu: l’opposition jour/nuit y est spatiale plutôt que temporelle
Comme je ne sais pas ce que je cherche j’ai beau aller, curieux, émerveillé, jamais déçu, de surprises en découvertes aucune trouvaille ne me rapproche du terme de ma quête
Plutôt qu’en avant – fiction futuriste, idéologie du progrès, lendemain chanteur et enchanteur – ou en arrière – regret d’un mythique âge d’or, passé embelli, peur de vieillir – regarder autour: un rayon qui perce, un oiseau qui passe, une fleur qui éclot, un sourire qui éclate 18
Il y a deux sortes de gris: – l’un absence de couleurs mais capable de toutes les traduire entre N & B gris magique qui campe un autre monde, cinématographique, celui du rêve fabriqué (l’inverse d’Oz) – l’autre absence d’éclat, manteau de pluie qui ternit la luxuriance du «réel», prélude à l’extinction
L’astéroïde z666 originellement appelé éden en s’écrasant sur terre a éteint les dinosaures pour répandre sa faune et sa flore paradisiaque que les descendants d’Adam, faute de les reconnaître, ont renommées – en se trompant
En dépit ou à cause de la prohibition, tu as pénétré dans la forêt soleil inverse qui ne répand que de l’ombre, où le feuillage éteint les étoiles dans sa nuit deux yeux verts veillent sur toi
Des légions de nuages gardent l’azur, en barrent l’accès le soleil les rôtit, les brûle, les cuit, les perce et les disperse puis triomphant tapisse le ciel de son éclat aveuglant – et blanchit tout le bleu
Vu d’ici: le soleil enduit de miel la tartine du paysage vu de plus loin: le soleil beurre la grande poêle cosmique où notre boulette de terre va frire
Les papillons ont inventé un nouveau jeu: se rassemblant par myriades, ils battent des ailes tous ensemble, chœur silencieux vibration suffisante pour, sinon déclencher le déluge, faire éclater ou crever ou pleurer les nuages 19
L’absence d’ombre est corolaire de l’absence de lumière pas forcément la nuit noire: un brouillard diffus, la pluie, l’éclipse ou l’abri, la grotte, le refuge, la cachette, le camouflage, la marche à l’ombre L’âge d’or n’a jamais existé n’a jamais été qu’une image pour exciter le désir ou le regret mais a servi de modèle pour inventer le futur, imaginer des utopies le paradis n’est perdu que quand on n’y croit plus, quand on y a définitivement renoncé Le caractère désirable d’un corps (sa «beauté») est subjectif et strictement mental quant à la beauté intérieure, seule proprement sugjuguante, elle reste abstraite et surtout morale l’amour n’a pas souci d’esthétique, seulement d’encastrement, parenté, parité et complémentarité Les lentilles de l’appareil-photo – ou de la caméra – s’appellent à juste titre objectifs car ils sont incapables de traduire la subjectivité de l’œil derrière le viseur les photographies sont ontologiquement infidèles: elles transforment les souvenirs en clichés Le bonheur, n’en déplaise à Rimbaud, j’ai le sentiment que tous l’éludent car aucune «valeur» sociale n’y résisterait: emploi, famille, patrie, argent, pouvoir, honneurs… pour lui sans hésiter j’ai renoncé à l’absolue liberté La «pure conscience» cartésienne (res cogitans) n’est pas conscience de soi affirmer «je suis» ne permet pas de conclure «donc j’étais» (d’autant que j’ai pu changer) seuls les autres nous donnent consistance seulement voilà: les autres nous inventent 20
Ne crois pas que tes bras se referment sur le néant ou que tu embrasses le vide: l’air est composé des absents
Tu peux t’escrimer tant que tu veux à forcer les battants de mon armoire tu n’enfonceras que des portes ouvertes, ne fouilleras que des compartiments vides il y a beau temps que j’ai enterré – prématurément parfois – tous mes cadavres
On a jeté tant de pavés dans la mare qu’on a fini par l’assécher rien ne saurait troubler la mer de pavés (la merde pavée et pavoisée) qui ne reflète plus le ciel
En l’autre, ce n’est pas la différence qui fait peur mais plutôt l’hypothèse d’une similitude la perte des privilèges de naissance, la mise en cause d’une supériorité héritée (non méritée) l’écaillement du vernis de civilité, la mise au jour des tares cachées, de la bestialité refoulée
Les «boys du sévère» de L’amour fou reprennent le chinois cloné qui «envahissait New York à lui tout seul» de Nadja mais les divinités hindoues à vingt bras et dix visages illustrent aussi bien l’homme multiple c’est peut-être l’unicité – l’individualité – qui est une illusion, ou un mythe
Le «rendez-vous» est un ordre de reddition il n’y a de rendez-vous que d’affaires – guerre économique – ou d’amour – guerre préconjugale – les amis (et les «grands esprits») préfèrent la rencontre 21
Ce qui apparente le théâtre à la vie, c’est le principe de la répétition au sein de laquelle tel geste, tel mot, telle intonation ou tel regard se détache (frappe) par sa justesse déclenchant la salve d’applaudissements ou fulminant le cœur
Comme l’esprit crucifié entre deux tentations (deux regrets) le corps est écartelé entre les extrêmes du plaisir et de la peine entre le fin du fin et le dur de dur
«Tu ne l’auras pas volée!» m’affirmait-on avant chaque fessée survivance d’une acception où le vol n’était pas associé au bien d’autrui – ni à la propriété – où le sens de voler était seulement antonymique de mériter
La censure, automatiquement, stimule le trope et l’imagination – contournement et détournement – aussi bête que la censure policière – même le goulag n’a pu empêcher la circulation des écrits – est la censure consciente: Poe et Freud ont montré que le refoulé ne laisse en paix qu’il n’ait été exposé
Nous ne connaissons d’autre paix que celle qui résulte de la guerre (après défaite et armistice) nous sommes des mutilés du cœur, des estropiés du sentiment qui prenons l’amour pour analgésique ou couteau remué dans la plaie de la vie
À quoi bon augmenter l’espérance de vie si n’augmente pas d’abord l’espérance de paix, de fraternité, d’utopie réalisée? le progrès consiste-t-il à prolonger l’existence des tyrans? 22
Le progrès est plus lent que le renouvellement des générations de portables il se mesure en abolition de frontières, en dépassement de préjugés, en révision de dogmes les accélérations historiques se sont révélées révolutions hystériques et ont toutes fait long feu
L’idée d’un équilibre entre les coûts de la paix et les bénéfices de la guerre est un sophisme la vente d’armes ne diminue pas, leur puissance de destruction est proportionnelle à la croissance démographique notre privilège – notre confortable cécité – tient surtout au fait de n’avoir pas vécu de guerre
Le plus remarquable dans les utopies, c’est la simplicité des modèles proposés de More à Campanella et Fourier, les principes communautaires sont applicables immédiatement faut-il que nous soyons pétris de préjugés pour continuer à vivre aussi mal!
Le soleil d’aujourd’hui est le même que celui d’hier, ou de l’an dernier ou d’il y a mille ans seuls les nuages ont effectivement passé: ont crevé et sont renés, ont changé et ont définitivement fondu les neiges d’antan
L’âge n’a pas su dresser les fougueux coursiers de notre jeunesse ils nous ont jetés à terre laissant entre nos doigts plus de craintes que de crins moins de bribes retenues que de brides abattues
C’est leur caractère irrépétable qui rend les incidents d’une vie miraculeux une seconde vie ne saurait être que lacunaire ou parodique sursis, prolongations, quarantaine, interminable adieu 23
Rien de plus facile que de se dédoubler et d’assister à son propre enterrement froideur et rigueur favorisent la distanciation le manque de recul est la marque de la passion
Grosse fatigue: après un demi-siècle de labeur j’ai rempilé pour une seconde tranche d’existence sans jamais tirer de vacances de la vie
L’altitude invite à la halte, l’attitude (composée, avec une certaine latitude) évite la hâte on doit pouvoir vivre lentement, sans courir, en flânant plutôt que regretter le passé faire durer le présent
Le futur, calculable en termes de probabilités, nourrit autant d’incertitudes que d’espoirs le passé, reposant sur la mémoire peu fiable, alimente plus de doutes que de regrets seul le présent permet, selon l’intensité avec laquelle il est vécu, le bonheur – ou son illusion
La ligne du destin est par trop embrouillée absurde et absence en guise d’abscisses ordure et ordinaire en guise d’ordonnées trop de trous pour même en suivre le pointillé
Toutes les prémonitions n’ont pas suffi à nous prémunir quand nous avons épuisé nos munitions de rêve et de révolte devons-nous nous rendre défaits au vide de l’évidence des faits? 24
Revus rétrospectivement, les frémissements du futur se sont systématiquement manifestés sous forme de catastrophes: pestes, massacres, séismes, bombes de tous calibres
Plus rare que le loup blanc est la colombe noire et plus difficile à interpréter son augure rien ne vaut l’évidence des entrailles
Chaque pas trace le passé aucune presse ne retient le présent ce qui fut en rien ne prédit le futur
Au poids, la dignité (l’âme?) vaut la Chimère baudelairienne vivre debout aussi fatigue le ciel est loin la terre est basse
Les mots ne sont pas faits pour raisonner seulement pour résonner l’orgasme, même verbal, est perte des sens
Tous les mots sont à double sens même sur un énoncé à sens unique surgit bientôt une interprétation en sens contraire de leur collision naît le texte futur
De trait en trait, de plein en délié l’esprit se coule en lettres, la lettre féconde l’esprit je verse l’encre 25
J’ai parfois cru – ou craint – la veine poétique, sinon les «sujets», épuisable mais l’inspiration tourne comme un moulin auquel chaque jour apporte ses sacs d’images et de sons pour qu’il meule en grinçant sa farine de mots
À mesure que j’écris plus assidûment je deviens moins bavard c’est au papier, miroir opaque, que je me livre pris aux mots, dans l’attente que la mort me délivre
Il y a les trilles des oiseaux, la corne du vent, le froufrou des feuilles, les claquettes de la pluie et la basse continue des villes, le grésillement des voix, le martèlement des pas, les sirènes d’alarme comment orchestrer cette cacophonie en égrènement de syllabes, en rimes de mots?
Les sentiments manquent de mots pour les exprimer d’où leur trouble, leur ambiguïté, voire leur facilité à se retourner glissement de la volonté à la volupté, du désir au délire, du bon gré au regret
L’infini des énoncés possibles dénonce leur vanité aucun n’est solution, aucun n’est définitif tous ne font que traduire le silence des divinités
Sous prétexte que nous pensons, nous nions l’origine organique des idées du fait que nous sommes des animaux, nous ne croyons ni aux mots ni aux idéaux abstraits parce que nous sommes entiers, nous nous supposons complets, parties qui ignorons le tout 26
Les paroles sont là pour combler le vide, réduire la distance tressant et nouant un pont de lianes de solitude à solitude qui s’écroulera sous le poids de qui l’empruntera en premier mais amortira heureusement sa chute
Le colossal effort de condenser la pensée vague en quelques mots (trois «vers» au plus) n’empêche pas l’accumulation au fil des jours de tercets rabâcheurs la conscience de l’inutile n’est pas incompatible avec l’excès de productivité
Écrire revient essentiellement à la quête du terme sous forme de question – «lama sabachthani?» – ou d’exclamation – «déjà!» ou «enfin!» – par le baiser, le cinéma nous a réconciliés avec le mot «fin»
La poésie est inutile, tant au lecteur, qui sait qu’il ne l’a pas portée qu’à l’auteur, incapable d’en évaluer la portée pire: écrire n’empêche pas d’aigrir
La conscience de notre dérisoire relativité – entre probablement plus de deux infinis – ne saurait justifier ni la veulerie ni le cynisme mais exige au contraire d’ériger notre dignité en absolu
Tant de princes charmeurs n’empêchent pas le monde de se désenchanter ni mon propre désenchantement 27
Forme et matière ne sont que maquillage de l’essence originelle nuage et rosée sont condensation de vapeur, la roche est faite de gaz extrêmement concentré le lézard est dragon miniature, les hommes anges amnésiques aux ailes atrophiées
Il n’y a pas de créatures, rien que des caricatures en fait d’anges et de chutes, il n’y a jamais eu qu’Icare que la nuit a enduit de poix et que le ciel a couvert de plumes
La nuit retourne son sablier d’étoiles: le bal est fini la cour du cosmos n’est qu’un parterre de citrouilles les reines se retrouvent rainettes et rejoignent leur mare
Les faiblesses – paresses, habitudes, lâchetés – ont la vie dure mais ce sont elles qui permettent de survivre aux illusions, de mener, sans regret ni répit, la vie dure ce sont les faiblesses qui assurent le sursis, qui font que la vie dure
Le châtiment est l’évidence première, la pierre sur laquelle bâtir la croyance la culpabilité peut sans risque de contestation en être déduite la faute toutefois reste l’inconnue, peut-être l’inconnaissable, le mystère originel
Entre l’adulation (des maîtres) et l’altération (des instincts, des états) on devient adulte en assimilant l’adultération (de la vérité intime) car l’école, procédant par intimidation, intime d’obéir
Si le secret demande à être protégé le trésor, lui, réclame d’être partagé un trésor secret ne se distingue guère d’une honte 28
Sous les livres qui s’empoussièrent aux rayons des bibliothèques dans l’attente d’un lecteur sous les mots qui perdent, avec leur emploi familier, leur usage social et leur signification intime des fantômes attendent qu’une pensée d’un inconnu pour un instant les ressuscite
Quoi qu’on écrive, on ne fait guère que noircir du papier quoi qu’on publie, on emplit surtout – on encombre – les bibliothèques la pensée matérialisée est la poussière de l’avenir
Malraux, lyrique, aurait parlé de «métamorphoses», or le temps n’est qu’usure: le flamboiement – ors, pourpres, violets – des ancolies se fane et fond en gris cendré des mélancolies le vieux loup édenté dont le poil a sépulcralement blanchi se confond avec un mouton
Rousseau avait tort: tout livre peut se lire d’une seule main si toute la littérature n’est pas proprement érotique, la lecture est toujours une activité libidinale sinon libidineuse il y en a qui s’excitent avec le Code civil
Me voyant octroyée en fin de carrière une pension inférieure au revenu minimum il ne me reste sans doute qu’à fonder l’ordre des fonctionnaires-mendiants ceci dit, je n’ai jamais cru que la liberté pratique n’impliquait pas un prix à payer
COUP DE L’ÉTRIER (pour ne pas partir sur une seule jambe) Une souris verte qui courait dans l’herbe rouge passait inaperçue du chat daltonien 29
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anciennetés Les livres invendus encombrent notre maison – nous les publions «à compte d’auteur», notre maison est aussi «maison de production» de nos films et «maison d’édition» de nos bouquins –; pourtant leur tirage n’est que de 300 exemplaires et j’en offre plus que je n’en vends; ils sont à l’image de la place occupée par l’inutile dans nos vies. Toutefois, l’un d’eux s’est épuisé, et deux autres, à tirage plus réduit, sont déjà des curiosités. Si je les réimprime, ce n’est certes pas en raison de leur valeur littéraire – la lourdeur de mon écriture d’alors n’était pas compensée par mon goût de la réduction quantitative – mais parce que j’évalue aujourd’hui avec regret les risques que je prenais en écrivant, quand cette activité n’était pas encore quotidienne ni maladive: leur maladresse même m’est garante de leur sincérité. Le premier, Parti pas pris, m’a valu une réputation sulfureuse auprès des étudiants, le second, L’essai de famille, a blessé mes parents – alors qu’à la relecture j’estime rétrospectivement avoir touché juste et ne changerais pas un mot de ces portraits – et mes enfants – et je ne peux que constater à quel point, soit je me suis trompé dans mon observation, soit ils ont changé –, le troisième enfin me tient si profondément à cœur – aux tripes – que non seulement j’en ai fait une réédition – en changeant le titre: Coração das tripas est constitué du même texte que Traite de l’âme / Tráfico da alma, accompagné des peintures d’Alberto Péssimo qui l’avaient inspiré – mais j’ai poursuivi au long des années mon glanage de citations étayant ma thèse. La collection n’est, par définition, jamais achevée mais ses dimensions la rendent déjà apte à faire pendant à mon propre discours, à le compléter et à l’élargir – je n’y ai apporté aucune correction –, constituant un échantillon de la méthode Benjamin. Tous trois me semblent lointains, je ne me reconnais que vaguement en eux, mais j’ai atteint l’âge où le monde ne ressemble plus assez à celui où j’ai grandi et lutté – qui m’a formé –, où je ne me sens pas seulement étranger – j’ai depuis longtemps revendiqué une xénité ontologique – mais inadapté, anachronique, dépassé – ou, pour citer Anders, obsolète. Je livre donc ces Anciennetés à titre de ruines. 31
parti pas pris
LE CORPS DU TEXTE L’écriture est une pratique solitaire. Mais là finit le rapport, on ne saisit pas le crayon comme on empoigne sa queue; on a beau agiter les mots, caresser les phrases, ébranler le sens, le texte n’est pas érection. D’ailleurs les mots semblent particulièrement inadéquats à traiter du sexe, sauf à évoquer des fantasmes – et encore, la plupart des livres qu’on lit d’une seule main ont été écrits à deux mains, par des écoliers appliqués tirant la langue, voire par des écrivains manchots. La langue est de bois, lieu commun où l’intime, collectivisé, s’anéantit. Le texte construit un corps abstrait, avec son armature, ses articulations, son système circulatoire du sens, mais les images ne l’habillent que pour en dissimuler l’anonymat. La chair manquera toujours. Tous les mots ne sauraient former même une icône, seulement du cliché. Aucune intention d’excitation ou de transgression, je ne prends le sexe pour sujet qu’au titre d’image du corps, synecdoque d’un manque, d’une absence au cœur même du langage. Car alors que l’écriture devrait me permettre de me découvrir, de démêler le tien du mien, elle ne m’offre qu’une première personne indéfinie, un je qui appartient à tous, qui m’ignore. Je me préexiste, me trahit sans me traduire, est un autre, est un mot. De plus, je est sans genre, neutre. Je commun. Même si je me résous à ce je de mots, je ne saurais me contenter de cette parole d’ange; il me faut un je avec queue et couilles. Je suis mon sexe, il me précède, à la fois ma carotte et mon bâton. On ne peut pas se cacher derrière son sexe. Pendant ou bandant, s’il ne me définit pas, il organise mon rapport à l’autre, borne mon espace, m’enferme derrière ce mur que les mots matérialisent, briques d’un langage cuit qui a perdu sa malléabilité d’argile, du temps où le verbe créait. Je dois me soumettre au règne du verbe, sujet devenu objet, inerte, par transformation passive. La langue se rebiffe à dresser contre l’autre, contre toi, contre elle-même, un sexe de mots et mon poing fermé n’enserre que le vide. Mes propositions insubordonnées ne retiennent pas les mots en débandade. Je suis un point de fuite à l’horizon de l’écriture. Et l’espace n’est pas contenu dans le plan, ni le plan dans la ligne, ni la ligne dans le point. Un point ce n’est pas tout, mais je cherche un point qui ne soit pas rien, une dimension dans l’espace courbe du corps que l’alignement des mots peut théoriquement épouser à l’infini. J’écris un sexe pour formuler un je qui me permettra de communiquer avec toi, un toi où m’abriter. 34
VENUS D’AILLEURS L’image de la source s’impose; d’abord parce que ma bouche pour atteindre ta fente doit passer le taillis du pubis ou la mousse des cuisses, guidée par l’odeur du con qui est promesse de soif comblée. Couchée sur le dos, ton corps est paysage que je parcours à ras de peau. J’aboutis à ton sexe tel le chien qui a suivi la piste; il s’ouvre comme l’antre d’un animal impossible à déloger. Je ne le suce pas, je le lape. Son odeur m’affole, m’enivre, comme celle du sang les fauves. Il me faut boire ta coupe jusqu’à l’hallali. Par ailleurs ce goût, à la fois âcre et épicé, où se mêlent lait, sang et urine, cette senteur entre musc et patchouli, où entre aussi la brise marine, m’apparaissent comme le modèle occulte de toute cuisine et toute parfumerie. Quelques sauces d’extrême-orient en approchent, aigres-douces, plus onctueuses que liquides, évoquant à la fois le civet et la daube, avec un arrière-goût de jasmin trop infusé. C’est pourquoi ton sexe doit être savouré de la bouche et du nez. Les archétypes se tiennent au fond de la caverne, ton con renverse toute la théorie platonicienne. En lui réside toute connaissance; il faut l’aborder par tous les sens, de la langue, de l’œil et du doigt, et dans tous les sens – la pine, qui n’est pas un sixième sens, voudrait me quitter dès qu’elle te pénètre, coupant le contact, larguant les amarres, bande à part. Au fur à mesure que ton sexe répond à mes baisers, le clitoris comme un poisson, frétillements et coups de queue, les lèvres comme d’un mollusque, happant ma langue; la métaphore tellurique va se confirmant; ton ventre est parcouru de petits frissons, petites secousses sismiques de plus en plus fortes et rapprochées jusqu’à ce que le bassin se cambre en éruption. Un filet de lave salée s’échappe de ta fente, s’accroche à tes poils et finit par s’écouler dans la ravine de tes fesses. Couchée sur le dos, ton corps est collines animales et vallons vivants. Par contre, couchée sur le ventre, ton dos est lisse, minéral, cosmique. Les planètes siamoises de tes fesses se chevauchent en une éternelle éclipse. Au clair de ton cul, c’est bien un «autre monde» qui se découvre. Sa sphéricité est à peine humaine, plus proche du marbre que de la chair. Sa proximité et sa chaleur sont inconcevables, comme si le ciel était à portée de la main. Ton corps recèle toutes les formes, toutes les images de l’univers. Je l’explore sans en jamais faire le tour, incapable de comprendre comment il peut, contenant et la source et les frontières de la vie, réduire ses dimensions jusqu’à soudain se superposer au mien. 36
INCONFORT DES HABITS NEUFS Un nu peut évoquer la jeunesse, la flétrissure, la force ou la fragilité, il n’éveille pas le désir. Il aura fallu des siècles de répression pour, en surévaluant le nu par le tabou même qu’on fait porter sur lui, en pervertir la vérité. L’éros, dévié sur les obstacles, les vêtements, est réduit à un minable strip-tease. Boutons, agrafes et fermetures éclair ont simplifié le dénouement du corset qui n’en finissait jamais, qu’il fallait délacer pour que le corps puisse se délasser, dont les cordons ne cédaient que si l’on s’aidait des deux mains et souvent d’une troisième, pourtant le rôle de gardien des habits, qui ne font pas le moi mais insensiblement se superposent à lui, s’est maintenu. Le corps est un rôti soigneusement ficelé. S’il s’étend nu c’est pour se détendre, on croit en jouir mais on ne sait en jouer car on a désaccordé l’instrument en accordant ses faveurs qui ne sont que rubans. La vérité du nu gêne aux entournures, os saillants, cicatrices, cellulite et vergetures. On se voudrait des peaux de haute couture. Trop de plis et d’appendices pendant sur la poitrine ou entre les jambes pour qu’on puisse parler d’harmonie; la beauté du nu doit tenir à son imperfection. De plus, il est inexpressif. On sait jouer de l’œil et de la main, on connaît la mimique et la gestuelle, le nu reste muet. Toujours bouleversant cependant, car il est offrande, ôtée la dernière protection symbolique, feuille de vigne ou ruban au cou d’Olympia. Il est désarmé. Chacune de ses parties, quelle que soit sa forme, est en soi parfaite, désirable, chacune a sa rondeur, chacune est érectile. Le corps est coupable, découpable. Nous sommes tous des créatures de Frankenstein. Le nu, c’est ce défaut de l’esprit, le corps, qu’on ne peut plus cacher. Le nu se confond avec le regard de l’autre – pour moi-même, je suis toujours nu, nu sous mes vêtements, mes déguisements; seulement je ne perçois mon corps que par bouts, gestes, positions. Le contact avec l’extérieur que j’affronte, qui se mesure à moi, prenant mes mesures, me restitue. L’empreinte du vent et de la neige au sortir du sauna, la réfraction du bain où je ne me dissous pas. L’ombre de ton corps contre le mien. Ma poitrine naît en creux de tes seins, mes jambes des tiennes qui s’y nouent, ma maigreur de tes bras qui m’enserrent. Ton sexe est la seule culotte qui m’aille, ton torse la seule chemise à ma taille. Celle que je porte dans la rue est encore un peu de ta peau contre la mienne. Me déshabiller, me montrer nu, c’est découvrir cette part de moi que j’ignore, c’est me désintégrer, me défaire en morceaux – comme ce porc ou ce bœuf prédécoupé dont le dessin est affiché au mur de la boucherie – que toi seule as su rassembler. Être nu, c’est déjà retourner en poussière, dans l’attente d’être créé. On est nu avant que d’être. 38
LA BÊTE QUI M’HANTE On ne peut pas dire qu’il me soit extérieur, mais je ne me confonds pas avec lui. Et bien que dépendant, il se raidit contre toute relation de servitude. Il est collé à mon corps comme un parasite. Indubitablement animal, tenant plus du reptile – ver, tortue à tête rétractile, grenouille se gonflant en bœuf – que du félin; plus monstrueux – entre le nain et le cyclope – qu’humain. Il ne porte pas de nom – je ne l’appelle pas Dick –; la plupart de ses désignations sont féminines – bite, pine, queue –; pourtant il se prétend une image de moi. Ridicule. D’abord il est petit, homuncule-tronc, trophée jivaro porté à la ceinture. Mais il me murmure intimement que c’est moi qui porte son image sur le visage et me traite de pénis à pattes. Il est paresseux – comme le fœtus, il se met à s’agiter quand je veux dormir. Il est fanfaron – il se dit mon ambassadeur et voudrait que toutes mes connaissances lui serrent la pogne ou l’embrassent. Il est capricieux – tyran, à hue et à dia – et curieux, cognant à la braguette pour «voir» dès qu’il me sent absorbé, par un film, un livre, une conversation. Mais il ne sait pas se tenir, son excitation le fait baver, son émotion se traduit par des larmes. Alors que sa flemme incommensurable est une permanente invitation à baisser les bras, que sa résignation à la culotte est déjà acceptation de la camisole de force sociale, ses dérisoires efforts pour se dresser ou se tendre, transposés à la tête ou à la main, désignent symboliquement les vertus individualistes, fierté et protestation – tête dressée, poing tendu. Autrement dit, seule son érection le valorise. Mais c’est quand il bande qu’il est encombrant, seule son érection le rend problématique. Car dès qu’il entre en scène, il faut que je m’efface. Il réclame pour soi seul toutes les tendresses, toutes les caresses, tous les baisers. C’est pourquoi il faut le tenir enfermé – rien à voir avec la pudeur. Lorsqu’il a élu ton con pour terrier, j’aurais souhaité qu’il s’y installe à demeure, mais il est revenu, se faisant tout petit, presque honteux, se fourrer entre mes jambes. Il me pèse. Sonnant midi à quatorze heures. Se gonflant comme pour s’envoler – s’il suffisait de couper ses deux sacs de lest pour s’en débarrasser, je n’hésiterais pas – ou pour chanter – mais il est muet et ne sait que cracher son venin. Obstinément présent derrière tous mes textes en feuilles de vigne. 40
DÉFENSE DU FRUIT L’homme est un arbre qui ne porte qu’un fruit. Pendant à l’envers; si ce n’est toujours vert, jamais prêt à être cueilli; fruit de l’arbre à gourdes du pays de Cocagne, qu’il faut apprendre à boire, en laissant couler le jet directement au fond de la gorge; fruit inverse dont on lèche la peau et avale le noyau. Il faut le sucer et le presser comme on mange les oranges en Afrique, sans les couper ni les éplucher. Le jus de la bite ne rassasie aucune soif, liqueur du cœur, un peu salée un peu acidulée, miel d’animal, de ces crèmes dont on fourre les chocolats – il ne faut pas croquer le bonbon mais laisser fondre imperceptiblement la fine enveloppe –, je l’ai toujours assimilé à cette ambroisie dont se régalaient les dieux anciens. Je me souviens, la première pipe que j’ai faite, la répugnance à surmonter était garante du dépassement d’un stade humain, d’une divinisation par l’amour. Indépendamment du goût même du foutre, aussi décevant que celui du lait maternel. Un jour ma mère m’a confié qu’elle était incapable de surmonter son dégoût et d’embrasser la pine de son amant; j’ai ressenti comme une pitié pour mes parents, tant pour elle que pour mon père, qui n’auront chacun connu le sexe de l’autre que par le coït – où le mouvement abolit la conscience – ou la main – qui transforme ce qu’elle saisit en objet, inanimé, et ne sait que masturber. Comment dire en outre le plaisir de se sentir tété. La succion fait du gland le point presque douloureux où se nouent tous les nerfs, où affluent toutes les eaux, sang, foutre et larmes, du corps dont les écluses cèdent. La pine en érection est la matérialisation du tourbillon par où l’âme est aspirée. En faisant l’amour, je me perds tout entier en toi, ma queue dans ton con, ma poitrine entre tes seins, mes jambes entre tes cuisses, tout mon corps entre tes bras. Ce n’est que quand tu me suces que ma pine se met à vivre, presque en dehors de moi qui dois me transporter mentalement en elle. Le vagin absorbe le pénis, la bouche aspire la moelle. De même que je ne connais ton con que par ma langue, je ne connais ma pine que par ta langue. La pine est langue elle-même qui a besoin pour parler de ton palais. Il y a enfin le but suprême, inavoué, de l’amour, communion cannibale, ingestion de l’autre, que la fellation réalise symboliquement. Bois-moi, mange-moi, mon foutre est ma chair, mon foutre est mon sang. 42
ELLE-MÊME Qu’est-ce qu’une femme? Vers douze treize ans je trouvai des réponses dans les manuels d’anatomie et les revues de mode. Les premiers présentaient des organes abstraits – puisque invisibles, intouchables –, les secondes des corps et des visages éternisés dans leur perfection de poupées, leur pose de mannequins. L’image de la femme s’avérait une allégorie: la «maternité» ou la «beauté». Or l’une excluait le plaisir, l’autre le temps – entre la jeune fille et la vieille, la femme était celle dont l’âge s’interrompt. Cette association de la femme à une beauté immortelle, divine, pétrifiée, ne va pas sans rafistolages. L’image de la femme passe par la coiffure, le rimmel, le rouge à lèvres. Masque du maquillage, seconde peau préservant du contact, capote du visage. Il faut s’en tenir à l’image, ne la toucher que des yeux. Un baiser fait baver le rouge, une caresse décoiffe. Un compliment même est inconvenant, qui privilégie l’instant et sonne comme le rappel de l’éphémérité. La femme est finalement une création de l’homme cherchant à échapper à sa condition. La différenciation sexuelle aboutit à un idéal d’angélisme. Et à une indifférenciation individuelle sous l’archétype féminin qui modèle et l’apparence et le comportement. Réserve de la femme, galanterie de l’homme. Profondément, indifférence. Chasse réservée, chasse interdite, la femme est au-delà du désir, conçue immaculée. Et le pécheur de tourner en rond. Or c’est la chair vivante qui m’excite, la chair périssable qui m’émeut. Plutôt la descente aux enfers que la décence au paradis. Je ne crois pas à ce que je vois, je veux toucher. L’hommage d’une main aux fesses est refus de considérer sous la robe ou le pantalon moulant la pure ligne graphique des courbes. Et j’attends que la femme que j’aime me prenne par la queue, souris verte, quand la braguette se renfle. Le règne du visible débouche sur la jouissance strictement virtuelle; le toucher matérialise. Et enclenche le chronomètre – le sexe est le ressort ou le balancier de l’horloge du corps. Je t’aime humaine, temporelle. Les femmes déployées dans les magazines ne me font pas rêver, pas bander. Femmes-phares ne signalant ni port ni récifs, ployant sous le fardeau du fard; femmes-tirelires où sont déposés les regrets d’éternelle jouvence. Ma jeunesse, je l’ai bradée à si bon marché; je ne crains que de ralentir. S’il n’y a pas de temps à perdre, il n’y en a pas non plus à gagner. En t’embrassant, j’embrasse le temps, cette seconde; en t’épousant, j’épouse le temps, cette vie; en t’aimant, j’accepte de vieillir. 44
REBROUSSER Peut-être ma mère m’a-t-elle désiré fille quand elle me portait, peut-être le désir d’altérité est-il ancré en chacun, comment savoir pourquoi j’ai voulu être femme? Je n’avais pas quinze ans. Je commençai par l’extérieur. Ma mère ne jetait rien et j’avais pu facilement subtiliser toute une panoplie de ses vêtements démodés entassés au fond d’une armoire. Surtout des dessous, de la gaine à la combinaison en passant par le porte-jarretelles. Je découvris le satin, les sous-vêtements moulants qui étaient des caresses, le frisson des bas de soie frottant l’un contre l’autre au niveau des cuisses. Je m’entraînai à m’asseoir, la bite soigneusement comprimée vers le bas, à écarter les jambes sans décroiser les pieds, à marcher en chaussures à talons aiguille, à faire porter le poids du corps alternativement sur une hanche et sur l’autre. J’essayai finalement les produits de maquillage, un soir que mes parents étaient sortis et mes frères profondément endormis. Le fard, la poudre de riz et surtout le parfum aux tempes et dans le cou; et le baiser du rouge à lèvres. J’en vins bientôt à sortir, travesti, aux hautes heures de la nuit; salué par quelques passants en goguette; accosté une fois par un noctambule éméché; je m’enfuis. À cette époque éclata mon ulcère. Convaincu qu’il s’agissait de mes premières règles, étape décisive du changement de sexe que je désirais si fort, je cachai longtemps mes hémorragies. La première fois que je me suis fait enculer, la douleur fut si vive que s’imprima en moi l’image d’une barre de fer rougie au feu. Pourtant je couvai aussi longtemps que je pus le tison ardent sous la cendre de mon corps. Car il y avait eu cet instant déchirant où la brûlure avait éclos en rose de chair dans mes entrailles: j’avais éjaculé en même temps que lui. Plus tard, quand j’ai fait le trottoir, les filles me contaient que leurs clients voulaient surtout leur parler; des miens je n’ai guère connu que la brutalité sans phrases. J’ai fait la plonge dans les restaurants, les lits dans les hôtels. J’ai été marin, qui est pire qu’être bonne. J’ai connu l’avilissement. Dans la peau et dans la tête. J’ai appris que tout se paye. Mais je suis resté mec. Quand je t’ai rencontrée, tu restais l’inconnue. L’insoluble équation composée uniquement d’inconnues. J’étais né mec. Je ne serais jamais aimé comme une femme. Je ne saurais jamais aimer comme une femme. 46
ÉPI FANÉ L’envie d’écrire précède toute pensée formulée, tout énoncé, même embryonnaire. L’esprit flotte, circule dans le langage comme en un milieu fluide. Il ne s’agit au départ que de briser le silence des grandes profondeurs mentales, briser la glace – actionner une sonnette d’alarme. Les icebergs de silence s’avèrent faits de mots gelés, paroles rentrées dans la gorge, mots tus. Et bouche cousue. À laquelle j’associe automatiquement les lèvres cousues du con maternel à la fin de «La philosophie dans le boudoir». Lacan y voyait une ultime et définitive défense contre la transgression du tabou de l’inceste. J’y lis également la fermeture symbolique de toute voie de retour au ventre, qui condamne les héros sadiens au monde, au libertinage, à l’insatisfaction, à la parole. Car l’écriture pourrait bien être, avec l’amour, l’unique chance de revenir, éphémèrement, à la matrice. D’atteindre une conscience «réjouissante» – en attribuant à ce qualificatif une connotation nietzschéenne – de l’«effet-mère». Seul l’accomplissement figuré de ce retour aux limbes me paraît justifier l’absurde répétition de l’acte sexuel. Et la survalorisation du phallus auquel l’homme délègue cette quête d’un âge d’or prénatal – puisque il a seul accès au con. Remontant le temps au long du vagin. Par ailleurs, le coït mime la naissance – je parle du point de vue du mâle –: chaque coup de reins est contraction, la bite pousse tant qu’elle peut, ne connaissant le soulagement qu’après s’être dégonflée, comme ventre ballonnant, et avoir expulsé le «fruit des entrailles». On parle de «petite mort», tout aussi bien pourrait-on appeler l’orgasme «petit accouchement». La baise met ainsi métaphoriquement en scène simultanément la conjonction et l’expulsion, le dénaître et le renaître. Je suis à l’instant de la «perte des sens» à la fois homme, femme, mère, amant et fœtus. Il est vrai que ce ne sont là qu’images, que j’invente ces expériences. Toi qui les as vécues, tu parcours d’autres espaces mythiques. Au moment de l’amour nous nous séparons. Mes fantasmes, qui conditionnent ma sexualité – de l’éjaculation précoce à une prédilection pour la voie anale, sans doute autant pour l’étroitesse de l’orifice que par une fixation de théories infantiles assimilant défécation et parturition –, tu ne saurais les partager. Seule l’écriture entre nous renoue un cordon ombilical. 48
l’essai de famille
FLAGRANT MORT
Elle est d’abord la veuve. La mort de mon grand-père, qui précipita le mariage de ma mère inconsolable et, partant, ma naissance, semble avoir déclenché en elle une métamorphose inverse de celle peinte par Duchamp dans La mariée, le passage de la femme – fort belle d’après les photos, mais que je n’ai pas connue – à la veuve. Joyeuse, dans le mesure où elle ne portait pas le deuil: elle a transféré sa féminité hors de la chair. Du mort elle ne parle guère; une fois seulement je l’ai entendue s’écrier «Dire que je ne l’ai jamais trompé!»; mais le regret en était déjà refoulé sitôt exprimé. Elle vit donc seule. Son engagement communiste va de pair avec une solide défiance à l’égard de l’humanité. Sans illusions quant à l’aboutissement de ses luttes, elle collectivise son sentiment d’exploitée, active jusqu’à la limite de ses forces. Elle n’a pas connu le divertissement: ses voyages touristiques, tout comme, sous une forme plus dégradée encore, les programmes télévisés qu’elle regardait distraitement du matin au soir, étaient information, culture. Pourtant, au bout de quatre-vingt années de sacrifice de soi, à la suite d’accidents successifs, le corps, enterré depuis toujours sous un immuable cardigan, d’instrument de travail est devenu instrument de souffrance. La vie s’en est peu à peu retirée pour se concentrer dans le visage puis, à mesure qu’elle cessait de pouvoir lire ou écrire, dans la seule bouche. La bonne chère reste la dernière miette de son utopie, transformation idéale d’un besoin en plaisir – par contre, la dépense gratuite était prohibée: je ne l’ai jamais vue danser. Elle a perdu avec sa mobilité son indépendance, s’est retrouvée à la merci des visiteurs. Sa discrétion a fait place aux plaintes; seul son amour – qui continue, à distance, de me protéger – demeure inentamé, muet et inquestionnable. On sait aujourd’hui que l’énigme du sphinx ne portait pas sur l’identité d’Œdipe mais sur celle – seule problématique – du monstre lui-même; j’avancerais que cette gardienne fabuleuse était en fait la mère de Jocaste. 52
L’AMER
Elle est hantée par la peur de vieillir. Et à force de le nier, elle s’est préservée de l’âge. Gamine sexagénaire, elle m’évoque la petite fille déguisée en «grande personne» arborant des chaussures à talon haut où son pied se perd; ou le contraire. Je n’ose affirmer qu’elle se conserve telle que son père l’a connue, telle qu’elle l’a séduit – comment évaluer la place de ce fantôme? –; en tous cas, elle ne pardonne à aucun de ses proches d’être soi-même, de ne pas se conformer au moule idéal que son amour projette, de ne pas se soumettre. Ses raisons mêmes d’aimer ou d’admirer se heurtent à son propre besoin d’affirmation et de reconnaissance, et finissent par alimenter mépris ou méprises, par déclencher l’agression. Son amour s’apparente à une vengeance. Son étonnante jouvence lui permet de cultiver l’insouciance, l’illogisme, légitimés par l’exemple vivant irrécusable qu’elle offre. Elle remplace la cohérence par l’ordre, la vérité par l’assertion péremptoire, la connaissance par les principes. Elle a fait de sa vie une perpétuelle dînette, ayant fixé chaque place, ancré toute opinion, réglé le moindre détail. En classe comme en famille, elle fait ainsi régner la contrainte, sans même s’en rendre compte puisque elle n’agit que pour le bien de ses élèves ou de ses proches – confondus dans son élan didactique. Car sa dictature est indubitablement altruiste. Intuitivement, j’ai masculinisé son prénom avant de changer le mien, brouillant pour longtemps le théâtre de nos rapports; et il m’a fallu vers quinze ans me détacher d’elle, non pour «grandir» – elle n’a rien de la mère-poule – mais simplement pour être. Faute de jamais parvenir à aborder frontalement nos griefs réciproques – écart entre le fils qu’elle s’était inventé et mon propre désir mutilé par ce fantasme d’enfant-prodige –, nous sommes condamnés à nous quereller à chacune de nos rencontres. Elle reste jeune, je vieillis. Frustré de tendresse, notre amour ne se laisse pas pacifier: je ne me souviens pas l’avoir jamais contemplée dans son sommeil. 54
LA PAIRE
Il n’est pas là. Breton supposait la présence de Grands Transparents avec lesquels il s’agissait d’établir une communication; lui, au contraire, relègue l’interlocuteur à l’invisibilité. Il se meut mentalement dans un univers parallèle dont les contours épousent le nôtre, si ce n’est qu’autrui en est absent ou réduit à une existence strictement textuelle. Les sentiments se diluent dans ce vide humain, no man’s land du manque d’amour – aimer implique, sinon comprendre l’autre, voire se mettre à sa place, du moins s’y efforcer et, d’abord, le reconnaître. Aussi son indifférence n’est-elle pas plus méchanceté que ses dons ne sont générosité. S’il dépense avec largesse – d’autant que l’argent hérité n’aura représenté ni effort ni sacrifice –, c’est pour acheter, misant sur la veulerie de ses semblables et de sa progéniture en premier lieu, un statut paternel ou amical sur lequel ne pèse aucune exigence. L’imagination, malgré ou à cause de l’excès de culture, est atteinte de stérilité. Même son rapport à l’écriture apparaît contradictoire, à la fois obsessif et trivial, égocentré et impersonnel; il ne s’agit ni d’approfondir ni de communiquer. Sa magnanimité va de pair avec la mesquinerie d’une routine désoeuvrée. Garante de son confort intellectuel, la solitude lui est un refuge. Sa psychanalyse s’est résumée à une promenade touristique dans son enfance et ne lui a permis ni la compréhension de ses échecs conjugaux répétés ni la lucidité à l’égard de ses fantasmes actuels; au plus une certaine sérénité qui renforce son imperméabilité – car la «distraction» lui épargne la souffrance. J’ai confusément conscience d’être au centre de quelque transfert ou projection. L’élucider m’obligerait à renouer avec un passé qu’il s’est approprié. Son détachement favorise heureusement le mien. Ni rival ni complice, je m’effraie de ressemblances trop criantes. Comme de ma judéité, je ne parviens pas à me dépêtrer de sa présence en moi. Pourtant, du dieu biblique, il n’a que l’apathie, si proche de l’inexistence qu’il nous faut constamment le réinventer. 56
LAVE-ÂME
Peut-être d’être trop proche, elle m’apparaît comme celle qui ne change pas. Elle portait déjà son chignon à dix-huit ans; il lui suffit de fermer les yeux pour redevenir petite fille. Même son humeur est égale; inquiète, plus proche des larmes que du rire, habitée par la souffrance, sa révolte ne se traduit pourtant jamais par la colère. Sa fidélité est absolue, à l’égard des vivants comme des morts, réclamant une possession qui n’est que la réciproque du don qu’elle fait de soi. Dans la relation amoureuse, elle est bien sûr extrêmement jalouse – y compris de mon passé, de mes rêves, de mes lectures; tout instant passé sans elle lui est volé (mais tout plaisir solitaire, la simple vision d’un film, s’avère fade dès qu’elle ne le partage pas). Elle est d’ailleurs – et dans chaque pays lointain on la prend pour une indigène. Autant que B. Péret – le rapprochement est légitimé par l’activité poétique – je la désignerais comme le poisson-lune ou le mandarin-citron. L’écriture est sa seule arme dans ce qu’elle appelle «négociation avec le réel»: elle oppose au monde un double verbal, si bien qu’elle ne sait pas toujours de quel côté du miroir elle se trouve. Elle croit aux mots, à leur pouvoir d’incantation, voire d’exorcisme. Aussi est-elle attachée à la discussion, à la prévision. Mais sa parole tranche, repousse le doute – tandis que la mienne le fait naître; mon stylo de chaque phrase fait un fourré d’épineuse contradiction, le sien balaie l’horizon de ses obstacles invisibles. Par l’écriture elle formule au-delà du désespoir quelques certitudes. Elle n’a pas besoin de courir pour se trouver, toujours, en avant. L’accompagner est une illusion. La contribution de l’autre paraît dérisoire en regard de la passion qu’elle investit; elle ne l’accepte que par coquetterie, par amour. Or celle que tous voudraient pour mère m’est échue pour femme. Elle console les autres, elle me rédime. Mon étoile polaire. Il reste pourtant ces quelques centimètres de draps qu’elle rabaisse sous son visage et qui, bien que je me pelotonne contre elle, en me découvrant la poitrine laissent pénétrer le froid – mon indignité. 58
LE MARRI
Toujours double, voire multiple, passant d’un je à un autre selon le lieu, l’heure et l’interlocuteur. Introspectif, il ne s’efforce pas tant de se découvrir que de s’inventer. D’un passé trop vite vécu, trop vite oublié, et depuis longtemps mythifié, il ne recherche que ses rêves dont la mise au jour doit lui permettre, par le renoncement ou l’accomplissement, de se survivre. Autant de je, autant de deuils. Il vampirise les autres pour bâtir son propre imaginaire, mais ne se reconnaît jamais en eux. Doué de plus de curiosité que d’amour, de plus d’indifférence que de curiosité, il sait écouter tout en restant étranger. Dans le contact, il maintient encore la distance. Préoccupé, plus que de son identité, de sa différence, il n’assume pas jusqu’au bout son exhibitionnisme, provoque pour séduire, s’isole pour qu’on vienne le chercher. Il a dit une fois qu’être aimé pour ce qu’il est ne saurait suffire, qu’il veut être aimé malgré ce qu’il est. Il déteste les miroirs: tant qu’il n’a pas à se regarder en face, il n’est pas tenu de se corriger, de plaire, de payer en retour. Une relative insouciance du confort matériel est à peu près tout ce qui lui reste de son utopie libertaire. Il se montre par ailleurs fonctionnaire consciencieux et mène une vie, sinon bourgeoise, casanière. Pourtant son discours n’a pas changé: il se paie de mots, le sait et n’y croit plus guère. Il ne défend pas des idées mais son autorité. Pour préserver son orgueil, il est prêt à renoncer à ses ambitions, à ne pas les soumettre à l’épreuve de la réalité. Si bien qu’il a à son actif plus de projets que de productions. Car il est surtout paresseux, et sombrerait volontiers dans l’apathie s’il ne craignait autant l’ennui. Son exigence se manifeste par à-coups – de gueule, de tête ou de cafard – et se confond souvent avec la maniaquerie. Sa lucidité est vaine, son pessimisme inconséquent, ses rapports despotiques. Il ne m’inspire aucune sympathie et je m’étonne de le voir éveiller chez ses proches un réflexe de protection proportionnel à la peur. Est-ce son infantilisme qui le fait paraître fragile? Il n’essuie jamais de refus frontal mais, insatiable, ne sait se satisfaire de faveurs qu’il n’a pas méritées. 60
LA VIGNE
Elle est douce, voire un peu molle, un peu flemme. Curieuse, elle lit beaucoup et emmagasine toutes sortes de connaissances mais, velléitaire, ne les approfondit pas. Elle s’est très tôt consacrée à l’imitation des adultes, se montrant presque trop sérieuse et y perdant sa gaieté originelle. Elle souffre de sa petite taille et se rattrape – sans parler des chaussures à semelles surcompensées sur lesquelles elle va tanguant – en s’imposant intellectuellement par la parole. La figure de l’institutrice, sans doute parce qu’elle ne l’a pas connue, lui sert de modèle inconscient. Elle en a la facilité élocutoire et l’autorité verbale. Elle a ainsi écrasé ses frère et sœur pendant toute leur enfance. Néanmoins, son premier mouvement est toujours de générosité. Elle a puisé ses références dans la jeunesse, mythifiée, de ses parents et adopté une posture post-existentialiste légèrement anachronique, à la fois esthète et contestataire. Sa sœur a trouvé l’étiquette juste: «marxiste-lennoniste». Très sûre de soi, elle a déjà en pleine adolescence un effrayant sens de l’équilibre. Il ne lui manque, peut-être, que la passion – et l’insouciance qui va de pair: le contraire de sa nonchalance. Aînée de nos enfants, nous l’avons sans doute trop choyée. Tout autre milieu lui devient vite hostile. Partie à quinze ans vivre sa vie dans la grande ville, elle s’y est rapidement reconstitué une famille, s’éprenant, et la séduisant, de la mère avec le petit ami. Elle a transformé l’aventure rastignacienne en un changement de foyer. Douée de sens critique et d’ironie, elle n’a pour se défendre que sa maîtrise du langage et sa voix trop perçante. Son absence a créé un vide, d’autant plus grand que le départ s’est accompli sans heurt, notre confiance en elle étant presque égale à sa confiance en soi. Je la retrouve plus mûre tous les trois mois, sans la voir grandir, sans recevoir ses confidences, sans lui être d’aucun secours. Elle m’apportera un jour son ouvrage comme une réponse. Bien que je l’aie onomastiquement vouée à l’errance, je lui ai réservé le rôle de la fille prodigue. 62
LE VICE
Solitaire, discret, il est à la fois le moins bavard, le moins sociable de nos enfants, et le plus intégré. Ses goûts accompagnent la mode; l’ordinateur et ses jeux le fascinent; il a élu la prouesse physique comme unique critère – même pour la musique! Très américain dans la tenue et l’allure, il appartient à sa génération, dont un fossé est censé me séparer. Nerveux, influençable, facilement prêt à douter de lui-même, il se révèle par ailleurs tenace, rapide, en quête de défis à relever. Il assume l’effort et la discipline des activités – danse et dessin – auxquelles il a choisi de se consacrer, où il peut s’affirmer hors de toute concurrence familiale. Longtemps coincé entre ses deux sœurs, il ne s’est véritablement épanoui qu’avec le départ de l’aînée. Fluet, taillé en cure-dents, il a su transcender le manque de souplesse dont il a hérité. Élégant, il est le premier dans la famille à s’assumer comme corps. Toutefois son narcissisme s’accompagne d’une forte misogynie – tendances homosexuelles latentes et surtout défense contre l’environnement sororal, traces enfin de jalousie infantile – ainsi que d’une compassion mêlée de mépris pour ses semblables. Le besoin de poser sa différence l’a fait passer par des phases d’opposition quasi-systématiques où il revendiquait, contre le modèle parental, le modèle bourgeois dont ses fréquentations scolaires lui faisaient miroiter les tentations. Il souffrait d’envier ses copains tout en rejetant leur futilité consommatrice. Sa rivalité à mon égard éclatait symboliquement dans tous nos jeux. Il a fini par trouver sa voie, par constater que nous l’encouragions, par admettre que, sans renoncer à notre utopie, nous ne cherchions pas à lui imposer un patron. Nous l’avons, à son tour, laissé partir. Il me ressemble trop pour que je ne perçoive pas derrière sa réserve un orgueil démesuré qui le voue à l’humiliation, mais se montre assez différent de moi pour que je lui attribue une grâce qui lui permettra de tout surmonter – la répétition est malédiction. Image de moi-même, image de mon frère – mon double étranger –, il est celui qui pourra devenir ce que je n’aurai pas été. 64
L’ATROPHIE
Elle est énergie pure, impossible à contrôler, à canaliser. Tout lui est jeu – théâtre et plaisanterie –, tout lui est, sinon dû, permis. Elle passe outre les interdictions, atteinte de surdité ou d’amnésie dès qu’une injonction s’oppose à son bon plaisir. Aussi se trouve-t-elle toujours en faute, et elle a perfectionné sa grande scène d’autopunition disproportionnée dont elle sait qu’on ne manquera pas de la relever. Elle est au fond la plus secrète, car la moins naturelle. Elle passe d’ailleurs facilement, truite changeante, d’un extrême à l’autre et sait, pour peu qu’une soif de tendresse l’y pousse, se montrer prévenante. Mais, dans le rôle de l’angelot ou du diablotin, elle ne cesse à aucun moment de représenter. Désobéissante et câline, sauvageonne et coquette, elle est la gitane, la contradiction, le risque, la vie. Elle assume l’enfance comme son territoire, à la fois espace protégé et alibi pour son goût irrépressible de la comédie – au même âge, sa sœur jouait les adultes et se cantonnait dans notre ombre, son frère jouait les ados et filait «avec les copains». Troisième-née, nous l’avons moins observée, donc moins contrainte, que nos premiers enfants. Son assurance est illimitée. Si elle consent à aller à l’école, c’est pour enseigner et corriger les professeurs – nous mettant ainsi sous les yeux une caricature en miniature de nous-mêmes. Il ne lui manque, vu le nombre d’activités et de mondanités simultanées qui la sollicitent, que le don d’ubiquité. À s’inventer mille rôles et mille obligations, elle provoque l’imprévisible et ce n’est déjà plus tant elle qui se jette dans les aventures que celles-ci qui l’élisent et lui courent après. Son désir va devant. À ne le voir que de dos, elle ne l’identifie pas toujours, car il est divers et mobile comme les masques que d’une moue elle se confectionne, et se confond avec son reflet dans le miroir. Notre sollicitude ni notre inquiétude n’ont de prise sur elle – elle ne reconnaît aucune autorité, pas plus la nôtre qu’une autre: tout se discute. Elle est l’insaisissable papillon de lumière. Elle est la piqûre qui me maintient éveillé dans l’attente du baiser qui saura m’endormir. 66
traite de l’âme tráfico da alma
tradução regina guimarães
I SOLUÇÃO DA ALMA 1: A ALMA SOLÚVEL É o próprio Descartes quem fixa precisamente a «descoberta» do cogito, pedra primeira sobre a qual construirá o Método, na data de 10 de Novembro de 1619. Porém, o cogito nem foi revelação – Deus será deduzido «por defeito» (consciência de imperfeição) e constituirá tão-só o segundo fundamento do sistema – nem iluminação – a exigência racionalista opõe-se, por definição, a qualquer mística – mas sim o resultado de um processo de reflexão em dois tempos: 1) A «tábua rasa», resultante da «dúvida metódica». 2) A evidência da cogitação, que resiste à dúvida e a reivindica. A tomada de consciência, pelo filósofo, da sua existência designa-o como «algo que pensa» («res cogitans»), i. e. como alma. Ora, tendo andado muito perto de descobrir a alma, Descartes faz marcha atrás, prova Deus, reintegra o mundo e a matéria e enreda-se numa malha de confusões sistemáticas, entre pensamento e expressão, entre alma e espírito, voltando a atolar-se nas antigas dicotomias que opõem a alma ao corpo, o homem aos animais, etc. Deslizando de conceito em conceito, acabará – no Tratado das paixões – por confundir paixão e reacção, lógica e simetria, e por pretender situar a alma na glândula pineal. Embora estas derradeiras elucubrações não tenham, de facto, encontrado seguidores, o resto do sistema manteve-se intacto até aos nossos dias e o erro inicial nunca foi corrigido. Pior ainda: com base nas confusões semeadas pelo filósofo, entre alma e espírito, alma e vontade, conservaram-se apenas os segundos termos e a alma foi desaparecendo aos poucos, pelo menos enquanto conceito. Para a encontrarmos de novo, precisamos pois de voltar ao dia 10 de Novembro de 1619: Descartes fechou-se no quarto do fogão na Baviera para prosseguir a sua pesquisa, doravante centrada na sua pessoa, excluindo provisoriamente todo o conhecimento anterior e qualquer manifestação do mundo exterior. Organizou metodicamente o seu retiro por forma a que o criado impedisse que o incomodassem e lhe tratasse da roupa e da comida. Nesse dia, tendo Descartes terminado a sua refeição, chamou o dito criado para levantar a mesa a fim de poder «trabalhar» – i. e. escrever, traduzir segundo o código linguístico, francês ou latim, as suas cogitações. É também possível imaginar, considerando que a constituição e o temperamento sanguíneo do filósofo, ao fazerem dele um bom garfo, favoreciam por outro lado uma tendência para a sonolência, que Descartes mergulhou num estado de semi-dormência e que o 70
I SOLUTION DE L’ÂME 1: L’ÂME SOLUBLE Descartes fixe lui-même précisément la «découverte» du cogito, première pierre sur laquelle il bâtira la Méthode, à la date du 10 novembre 1619. Le cogito ne fut pourtant ni révélation – Dieu sera déduit «par défaut» (conscience d’imperfection) et ne constituera que le second fondement du système – ni illumination – l’exigence rationaliste s’oppose par définition à toute mystique – mais le résultat d’un processus de réflexion en deux temps: 1) La «table rase», aboutissement du «doute méthodique». 2) L’évidence de la cogitation, résistant au doute et le revendiquant. La prise de conscience par le philosophe de son existence s’accomplit en tant que «quelque chose qui pense» («res cogitans»), i. e. en tant qu’âme. Or, parvenu au plus près de la découverte de l’âme, Descartes fait machine arrière, prouve Dieu, retrouve le monde et la matière et s’engage dans un processus de confusion systématique entre pensée et expression, âme et esprit, pour retomber sur les anciennes dichotomies opposant l’âme au corps, l’homme aux animaux, etc. Glissant de concept en concept, il finira – dans le Traité des passions – par confondre passion et réaction, logique et symétrie, et par vouloir loger l’âme dans la glande pinéale. Si ces dernières élucubrations n’ont guère été suivies, le reste du système s’est maintenu intact jusqu’à nos jours et l’erreur initiale n’a jamais été corrigée. Bien plus, profitant des confusions établies par le philosophe, entre âme et esprit, âme et volonté, on a fini par ne conserver que ces derniers termes et l’âme a peu à peu disparu, en tant que concept du moins. Il nous faut donc pour la retrouver revenir à la journée du 10 novembre 1619. Descartes s’est enfermé dans son «poêle» en Bavière pour y poursuivre sa quête philosophique, ne cherchant plus désormais qu’en lui-même, rejetant provisoirement toute connaissance antérieure, toute manifestation du monde extérieur. Il a organisé sa retraite méthodiquement, de façon que son valet, qui s’occupe de son entretien et de sa nourriture, veille à ce qu’il ne soit pas dérangé. Ce jour-là, ayant achevé son repas, Descartes appela son valet et lui demanda de débarrasser la table afin de lui permettre de «travailler» – i. e. d’écrire, de traduire selon le code linguistique, français ou latin, ses cogitations. On peut également envisager, considérant que la complexion et le tempérament sanguin du philosophe, qui lui faisaient apprécier la bonne chère, favorisaient par ailleurs une tendance à l’assoupissement, que Descartes sombra dans une demi-somnolence et que le valet vint effectuer son service sans que son maître 71
criado veio fazer o seu serviço sem que o patrão tenha precisado de intervir. Seja como for, convém obviamente restabelecer a verdade literal acerca do processo que Descartes falseou ao exprimi-lo de forma metafórica: 1) A «tábua rasa» é o resultado duma actividade não do filósofo mas do seu criado; a sua assimilação, na metáfora cartesiana, a uma operação de esvaziamento omite tomar em conta a função inicial de enchimento – do estômago. 2) Nesta fase, a única evidência que deveria ter resistido à dúvida «metódica» – a bem dizer difusa, dada a sua pretensão ao absoluto – era a dum processo em curso: a digestão. O filósofo deveria ter-se exclamado «digiro, logo existo»; tal constatação implica reconsiderar não só a natureza como a localização da alma. O que é que poderá ter levado o filósofo a enganar-se deste jeito na sua reflexão, falseando para os séculos vindouros as nossas concepções acerca da actividade pensante? O desvio ocorreu no momento da expressão, da formulação da evidência, e parece imputável, em última análise, a um condicionamento linguístico: 1) A pessoa: Descartes elimina o criado da sua narrativa. Mais do que ao orgulho, é à flexão do verbo que se deve atribuir a impossibilidade de conciliar autonomia – ignorância voluntária do exterior – e dependência – enfeudamento no mundo. Aliás, Descartes limitava-se a deslocar a contradição, posto que, mais tarde ou mais cedo, seria obrigado a ligar de alguma maneira a alma ao corpo, o eu ao mundo, o interior ao exterior, o pensamento à matéria. 2) A voz: o verbo cogitare ignora a voz passiva, o que implica que Descartes só consegue conceber-se enquanto agente da actividade pensante, assimilada a uma vontade. São sobejamente conhecidas as aberrações às quais, de deslize em deslize – da razão à vontade, e desta última à vontade de poder –, o erro racionalista, de Descartes a Hitler, conduziu. Será necessário uma transgressão, primeiro da norma gramatical – Rimbaud: «é falso dizer eu penso, é pensam-me que se deveria dizer» –, e depois da lógica binária – Jarry e o «pau de física» que permite demonstrar «a identidade dos contrários» – até estarmos em medida, hoje, de rectificar a descoberta cartesiana e de compreender finalmente que pensar e digerir constituem uma actividade única, que a alma e o intestino se confundem. Se da experiência cartesiana desejamos conservar a afirmação duma consciência individual – assimilável à alma –, somos pois forçados a rectificar a falsificação linguística e tentar a todo custo distinguir as características da actividade pensante do intestino, morada do ego.
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ait eu intervenir. Toujours est-il qu’il convient à l’évidence de rétablir la vérité littérale du processus que Descartes a faussé en le consignant sous une forme métaphorique: 1) La «table rase» est le résultat d’une activité non du philosophe mais de son valet; son assimilation dans la métaphore cartésienne à une opération de vidange escamote la fonction initiale de remplissage – de l’estomac. 2) La seule évidence à ce stade, qui eût dû résister au doute «méthodique» – en fait diffus à force de prétendre à l’absolu –, était celle d’un processus en cours: la digestion. Le philosophe eût dû s’écrier «je digère donc je suis»; un tel constat implique de reconsidérer et la nature et la localisation de l’âme. Qu’est-ce qui a pu amener le philosophe à se tromper ainsi dans sa réflexion, faussant pour les siècles à venir nos conceptions de l’activité pensante? La déviation a lieu au moment de l’expression, de la formulation de l’évidence, et paraît imputable en dernière analyse à un conditionnement linguistique: 1) La personne: Descartes élimine le valet de sa narration. Plus qu’à l’orgueil ou à la conscience de classe, voire de caste, c’est à la flexion du verbe qu’il faut attribuer l’impossibilité de concilier autonomie – ignorance volontaire de l’extérieur – et dépendance – appartenance au monde. Descartes ne faisait d’ailleurs que déplacer la contradiction, puisque à un moment quelconque il lui faudrait bien relier de quelque façon l’âme au corps, le je au monde, l’intérieur à l’extérieur, la pensée à la matière. 2) La voix: le verbe cogitare ignore la voix passive, si bien que Descartes ne peut se concevoir que comme agent de l’activité pensante, assimilée à une volonté. On ne connaît que trop les aberrations auxquelles, de glissement en glissement – de la raison à la volonté, de celle-ci à la volonté de puissance –, l’erreur rationaliste, de Descartes à Hitler, a abouti. Il aura fallu une transgression de la grammaire – Rimbaud: «c’est faux de dire je pense, c’est on me pense qu’il faudrait dire» –, puis de la logique binaire – Jarry et le «bâton à physique» permettant de démontrer «l’identité des contraires» –, avant que nous soyons en mesure de corriger aujourd’hui la découverte cartésienne et de comprendre enfin que penser et digérer constituent une unique activité, que l’âme et l’intestin se confondent. De l’expérience cartésienne, si nous voulons conserver l’affirmation d’une conscience individuelle – assimilable à l’âme –, il nous faut donc rectifier la falsification linguistique afin de dégager les caractéristiques de l’activité pensante de l’intestin, siège de l’ego.
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II DISSOLUÇÃO DA ALMA 1: A ALMA DISSOLVIDA Os organismos mais primários – alguns deles resistiram a todas as catástrofes e cataclismos de que o nosso planeta foi teatro, sem sentirem a necessidade de evoluir – são essencialmente constituídos por um aparelho digestivo. Embora não sejam em absoluto puras almas, são seguramente aquilo que há de mais próximo, vestígios dum estádio edénico em que a alma e o corpo se confundiam. Não é difícil destacar, a partir das características da ostra por exemplo, os atributos da alma: a) A concha: a alma protege-se. Sem ser verdadeiramente autónoma, ela faz questão de se isolar e de ignorar o mundo exterior – do qual depende porém; da mesma maneira, Descartes isolava-se no seu «quarto» e «ignorava» a presença do criado; exactamente como as classes dirigentes «ignoram» as classes laboriosas que contudo geram a sua riqueza, etc. A concha é a materialização duma atitude mental perante o mundo. b) O meio: durante milhões de anos, a concha confinou-se num meio marinho. O pensamento, actividade da alma e fruto dessa actividade, adaptou-se ao meio e adoptou mimeticamente as suas qualidades: fluidez, mobilidade, infixabilidade, transparência e salinidade. c) A consistência: a alma é mole, sem forma, e adapta-se ao espaço que lhe é consentido. Não se pode dizer que seja imóvel, mas todos os seus movimentos se efectuam «sem sair do lugar», revelando mais uma presença do que uma acção – a digestão será um processo activo ou passivo? A sua concentração mental não se traduz por um esforço visível – foi com base neste modelo que Thalberg desenvolveu as técnicas de underacting no Actor’s studio, em que a alma substitui o jogo de representação propriamente dito. d) A actividade: o pensamento é essencialmente improdutivo. A transformação e assimilação da matéria no decorrer da digestão só deixam escapar os detritos – à imagem de um alambique vivo que no fim da fermentação consumisse o álcool obtido e rejeitasse o mosto e a borra. Todavia, certas reacções patológicas bastante raras podem desencadear a produção de pérolas – concreções materiais de pensamentos perfeitos e impenetráveis. Não é nosso propósito tecer considerações acerca da esfericidade ideal que a pérola partilha com a bola e com a ideia, na medida em que sábios e teólogos ainda não resolveram a questão de averiguar se os planetas são pérolas de alguma alma cósmica. Observemos tão-só que é possível desencadear artificialmente essa reacção, 74
II DISSOLUTION DE L’ÂME 1: L’ÂME DISSOUTE Les organismes les plus primaires – il y en a qui ont résisté à toutes les catastrophes et cataclysmes dont notre planète a été le théâtre sans éprouver le besoin d’évoluer – sont essentiellement constitués d’un appareil digestif. S’ils ne sont pas absolument de pures âmes, ils sont assurément ce qui s’en approche le plus, traces d’un stade édénique où l’âme et le corps étaient confondus. Il est aisé de dégager, à partir des caractéristiques par exemple de l’huître, celles de l’âme: a) La coquille: l’âme se protège. Sans être véritablement autonome, elle tient à s’isoler et à ignorer le monde extérieur – dont elle dépend pourtant; de la même manière, Descartes s’isolait dans son «poêle» et «ignorait» la présence de son valet; tout comme les classes dirigeantes «ignorent» les classes laborieuses qui créent leurs richesses, etc. La coquille est la matérialisation d’une attitude mentale à l’égard du monde. b) Le milieu: l’âme s’est cantonnée pendant des millions d’années dans un milieu marin. La pensée, activité de l’âme et fruit de cette activité, s’est adaptée à ce milieu et en a mimétiquement adopté les qualités: fluidité, mouvance, infixabilité, transparence et salinité. c) La consistance: l’âme est molle, sans forme, et s’adapte à l’espace qui lui est laissé. On ne peut la dire immobile mais tous ses mouvements s’effectuent «sur place», révélant plus une présence qu’une action – la digestion est-elle un processus actif ou passif? Sa concentration, mentale, ne se traduit pas par un effort visible – c’est sur ce modèle que Thalberg a développé les techniques d’underacting à l’Actor’s studio, où l’âme remplace le jeu proprement dit. d) L’activité: la pensée est essentiellement improductive. La transformation et assimilation de matière au cours de la digestion ne laisse échapper que les déchets – tel un alambic vivant qui au bout de la fermentation consommerait l’alcool obtenu et rejetterait moût et lie. Néanmoins, certaines réactions pathologiques fort rares peuvent déclencher la fabrication de perles – concrétions matérielles de pensée, parfaites et impénétrables. Nous n’épiloguerons pas sur la sphéricité idéale que la perle partage avec la bulle et avec l’idée, dans la mesure où savants et théologiens n’ont pas encore résolu la question de savoir si les planètes sont des perles de quelque âme cosmique… Notons seulement qu’on peut déclencher artificiellement cette réaction mais qu’on n’obtient que des imitations «de culture», reconnaissables à quelque défaut de forme, de brillance ou d’«eau». 75
mas que se obtêm apenas imitações «de cultura», reconhecíveis graças a algum defeito de forma, de brilho ou de «água». Esta abordagem da alma, familiar para qualquer amador de moluscos – não julgámos oportuno debruçarmo-nos sobre o seu carácter comestível – permite compreender a evolução do mundo animal (do latim anima: a alma) tal como foi reconstituída por Darwin. A alma não evoluiu, mas a pressão do mundo obrigou-a desenvolver excrescências a fim de percepcionar o exterior – a cabeça com os seus olhos e ouvidos – e percorrê-lo – os membros. Nem a exploração da superfície terrestre, nem a sua transformação, aquando do aparecimento do homo habilis, afectaram a alma e a sua actividade pensante, apesar das alterações de regime alimentar que tanto uma como outra não deixaram de despoletar; no máximo, tê-la-ão instruído e distraído – posto que a alma acompanha o corpo como Sancho Pança segue D. Quixote (cf. Kafka, Narrativas). O que se segue é consabido: porventura em consequência duma convulsão geológica que ocasionou uma secação do oceano, a evolução animal passou por uma mudança de meio – donde a modificação do aparelho respiratório; depois, glaciações e aquecimentos sucessivos provocaram uma rarefacção dos alimentos – os quais no fundo dos oceanos se encontram em suspensão –, tornando-se a busca de comida a actividade primordial dos animais e factor de degradação das suas relações; a harmonia inicial do meio líquido é destronada pela lei dita da «natureza» ou «da selva» ou «do mais forte» e pelo mundo em guerra permanente que hoje conhecemos. A actividade pensante e a própria alma foram a pouco e pouco relegadas para a parte «inferior» dos corpos, enquanto os órgãos mundanos – i. e. nascidos da relação com o mundo e sustentáculos dessa relação – se arrogaram o comando do corpo. Mencionemos por último os caracteres secundários da evolução das espécies animais: endurecimento externo – carapaça – ou interno – esqueleto – como consequência da mobilidade adquirida, e sexualidade – pois a descoberta capital que a alma faz ao abrir-se ao mundo e ao explorá-lo é a do outro, do seu duplo, seu semelhante, a «alma-gémea». A relação com o outro, com os outros, determinará toda a evolução: o aparelho reprodutor substitui a cissiparidade, a organização política e social a meditação, o discurso as ideias.
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Cette approche de l’âme, familière à tout amateur de mollusques – nous n’avons pas jugé opportun de nous étendre sur son caractère comestible –, permet de comprendre l’évolution du monde animal (du latin anima: âme) telle que l’a reconstituée Darwin. L’âme n’a pas évolué mais la pression du monde l’a amenée à développer des excroissances afin de percevoir l’extérieur – la tête, avec ses yeux et ses ouïes – et le parcourir – les membres. L’exploration de la surface terrestre, pas plus que sa transformation lors de l’apparition de l’homo habilis, n’a guère affecté l’âme ni son activité pensante, malgré les changements de régime alimentaire qu’elle n’a pas manqué d’entraîner; tout au plus l’a-t-elle instruite et distraite – l’âme accompagnant son corps comme Sancho Pança Don Quichotte (cf. Kafka, Récits). On connaît la suite: conséquence sans doute d’une convulsion géologique ayant suscité un assèchement de l’océan, l’évolution animale passe par un changement de milieu – d’où modification de l’appareil respiratoire –, puis glaciations et réchauffements successifs provoquent une raréfaction des aliments – qui au fond des océans sont en suspension dans l’eau – si bien que la quête de la nourriture devient l’activité primordiale des animaux et aboutit à une dégradation de leurs rapports; à l’harmonie initiale du milieu liquide succède la loi dite de la «nature» ou de la «jungle» ou du «plus fort», et le monde en guerre permanente que nous connaissons. L’activité pensante et l’âme ellemême sont peu à peu reléguées à la partie «inférieure» des corps, tandis que les organes mondains – i. e. nés du rapport au monde et l’entretenant – s’arrogeaient le commandement du corps. Mentionnons enfin les caractères secondaires de l’évolution des espèces animales: durcissement externe – carapace – ou interne – squelette – comme conséquence de la mobilité acquise, et sexualité – car la découverte capitale que fait l’âme en s’ouvrant au monde et en l’explorant est celle de l’autre, son double, son semblable, l’âme-sœur. Le rapport à l’autre, aux autres, orientera désormais toute l’évolution: l’appareil reproducteur remplace la scissiparité, l’organisation sociale et politique la méditation, le discours les idées.
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III ABSOLVIÇÃO DA ALMA 1: A ALMA ABSOLVIDA O homem distingue-se dos outros animais pelo facto de estar dividido: enquanto em todos os bichos as excrescências da cabeça e dos membros permaneceram ao serviço da alma e exercem as funções de localização e captura dos alimentos, a cabeça humana rejeita a sua natureza «periscópica» e pretende dirigir a alma – toda a etimologia dos termos que designam este ramo da alma confirma a vontade de poder que nele se alojou –, ou até substituí-la – constata-se uma incontestável semelhança formal entre as circunvoluções do cérebro e as do intestino que atestam que a formação do primeiro foi modelada pelo segundo, mas com uma estrutura de total oclusão: nem chegada aos lobos, nem evacuação pela extremidade da coluna vertebral foram previstas, daí que o processo de digestão se tenha fixado, fossilizado sob forma de matéria «cinzenta» – já que não pode passar sem ela. Assim, o corpo humano está sempre esquartejado, a sua história é a dum conflito entre a parte de cima e a parte de baixo – recusa de submissão às directivas da alma, àquilo a que se chama o instinto –, o divórcio é a sua condição. A linha de separação situa-se, na estrutura actual do corpo, ao nível do diafragma (em linguagem corrente conservamos a noção aproximada de «cintura», herdada dum tempo em que as bragas se usavam altas, moda hoje em dia desaparecida, excepto no âmbito de manifestações folclóricas como a tourada): a cabeça associou-se aos pulmões para produzir o espírito, ou sopro, que nada tem a ver com o pensamento, actividade da alma. A alma traga as partículas comestíveis do mundo e decompõe a matéria de que são constituídas para libertar ideias; a sua acção visível é de transformação. A cabeça percepciona as imagens que o mundo lhe oferece e codifica-as a fim de poder reproduzi-las; a sua acção é de classificação e de fixação. O instrumento mais elaborado do espírito, o seu código mais complexo, o seu inegável sucesso, é a linguagem. Na sua rivalidade histórica com a alma, o espírito conseguiu fazer da linguagem, originariamente simples código de etiquetagem – tratava-se de designar os animais – um ersatz convincente – o rouxinol mecânico – da alma cada vez mais depreciada. O espírito substituiu a meditação pelo vaticínio, o pensamento pelo discurso, a ideia pela palavra. A natureza, povoada de almas pensantes, viu-se repelida pela civilização humana, habitada por espíritos tagarelas. Todavia, a vitória da cabeça sobre a barriga, do homem sobre a natureza, da racionalização verbal sobre o ectoplasma ideal, da ordem e do código sobre a anarquia e a vida, é apenas aparente. A alma 78
III ABSOLUTION DE L’ÂME 1: L’ÂME ABSOUTE L’homme se distingue des autres animaux en ce qu’il est partagé: tandis que chez toutes les bêtes les excroissances de la tête et des membres sont restées au service de l’âme et exercent les fonctions de repérage et capture de la nourriture, le «chef» humain refuse sa nature «périscopique» et prétend diriger l’âme – toute étymologie des termes désignant cette branche de l’âme confirme la volonté de puissance qui s’y est logée –, voire la remplacer – on constate une incontestable similitude formelle entre les circonvolutions du cerveau et celles de l’intestin qui attestent que la formation du premier s’est opérée sur le modèle du second, mais avec une structure de totale occlusion: pas plus d’arrivée aux lobes que d’évacuation au bout de la colonne vertébrale n’ont été prévues, si bien que le processus de digestion s’est figé, fossilisé sous forme de matière «grise» – faute de pouvoir s’en passer totalement. Aussi le corps humain est-il en permanence écartelé entre le haut et le bas; son histoire est celle d’un conflit – refus de soumission aux directives de l’âme, à ce qu’on appelle l’instinct –, sa condition est le divorce. La ligne de séparation se situe, dans la structure actuelle du corps, au niveau du diaphragme (on a familièrement conservé la notion approximative de «ceinture», héritée d’un temps où les braies se portaient hautes, selon une mode aujourd’hui disparue si ce n’est dans des manifestations folkloriques comme la corrida): la tête s’est associée aux poumons pour produire l’esprit ou souffle qui n’a rien à voir avec la pensée, activité de l’âme. L’âme happe des particules comestibles du monde et en décompose la matière pour dégager des idées; son action visible est de transformation. La tête perçoit les images que le monde lui présente et les codifie afin de pouvoir les reproduire; son action est de classement et de fixation. L’instrument le plus élaboré de l’esprit, son code le plus complexe, son indéniable réussite, est le langage. Dans sa concurrence historique avec l’âme, l’esprit est parvenu à faire du langage, originairement simple code d’étiquetage – il s’agissait de nommer les animaux –, un ersatz convaincant – le rossignol mécanique – de l’âme de plus en plus dépréciée. L’esprit a remplacé la méditation par la vaticination, la pensée par le discours, l’idée par le mot. La nature peuplée d’âmes pensantes s’est vue repoussée par la civilisation humaine, habitée d’esprits bavards. Toutefois, la victoire de la tête sur le ventre, de l’homme sur la nature, de la rationalisation verbale sur l’ectoplasme idéal, de l’ordre et du code sur l’anarchie et la vie, n’est qu’apparente. L’âme refoulée s’infiltre dans toutes les fantaisies verbales de 79
recalcada infiltra-se em todas as fantasias verbais da cabeça que só mantém as suas ilusões de governo à custa de uma ficção conceptual precária cujos remendos resistem cada vez pior – conserva porém a arrogância e o cinismo de falsário do sector terciário, sector parasita, seu equivalente exacto ao nível social. Esta ficção espiritual assenta na presunção duma adequação, ou mesmo duma equivalência, entre o mundo e a sua representação codificada – criptagem primária gráfica ou criptagem secundária linguística –; não é, como para a alma, ignorância do mundo, antes se revela, após análise, distorção sistemática: o espírito, incapaz de ordenar o mundo, refugia-se no virtual. Ora, por muito displicente que o espírito se pretenda, não pode escapar à alma. Freud, não só nos forneceu através da sua descrição das operações de elaboração do sonho – condensação, deslocação, etc. – que se assemelham tão evidentemente às da digestão, uma das abordagens mais lúcidas do funcionamento da alma, como sobretudo demonstrou de que maneira a alma intervém na expressão do espírito, sob forma de lapsos, esquecimentos e outros actos falhados. Todas as sábias construções do espírito são pois subterraneamente influenciadas pela alma e a própria linguagem está minada. (Aqui convém restabelecer uma certa coerência terminológica: Freud, influenciado por Descartes, embora a sua análise arruinasse a fachada racionalista, atribuiu à cabeça a faculdade de consciência que só à alma pertence e por isso chamou «inconsciente» ao que é, na verdade, manifestação da consciência ocultada pelo ecrã das palavras; da mesma forma misturou, tal como Bergson, outro cartesiano, o humor, que é uma faculdade da alma, da qual aliás desmontou perfeitamente o mecanismo e a função de resistência ao mundo, e o «jogo de palavras» ou dito espirituoso, inofensivo passatempo cerebral que apenas mexe com a linguagem e não com a personalidade, a alma. Portanto, inconsciente = consciência, enquanto consciente = espírito; psiquismo = alma; por último, elaboração designa o aspecto construtivo do processo de digestão). A alma apropriou-se da matéria linguística e submeteu o código ao arbitrário: matéria sonora das palavras, lengalengas, rimas e poesia; desenho do alfabeto, caligrafia, garatujas e grafites. O espírito ainda se agarra ao sentido, à designação, à figuração, sem conseguir dominá-los; os enunciados resultam ambíguos, as imagens simbólicas; o erótico e o escatológico invadem o espírito, o qual, por ter querido opor-se ao autismo da alma, se atola num delírio a ele comparável. Este texto é a prova cabal disso.
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la tête qui ne conserve ses illusions de gouvernement qu’au prix d’une fiction conceptuelle précaire dont les rafistolages tiennent de plus en plus mal – elle conserve pourtant l’arrogance et le cynisme de faussaire du secteur tertiaire, secteur parasitaire, son équivalent exact au niveau social. Cette fiction spirituelle repose sur la présomption d’une adéquation, voire d’une équivalence, entre le monde et sa représentation codifiée – cryptage primaire graphique ou cryptage secondaire linguistique –; elle, n’est pas, comme pour l’âme, ignorance du monde, mais apparaît à l’analyse comme une distorsion systématique: l’esprit impuissant à ordonner le monde se réfugie dans le virtuel. Mais aussi détaché qu’il se prétende, l’esprit ne saurait échapper à l’âme. Freud non seulement nous a fourni, par sa description des opérations de l’élaboration du rêve – condensation, déplacement, etc. – qui s’apparentent si évidemment à celles de la digestion, une des approches les plus lucides du fonctionnement de l’âme, mais a surtout montré comment l’âme intervient dans l’expression de l’esprit, sous forme de lapsus, oublis et autres actes manqués. Toutes les savantes constructions de l’esprit sont ainsi souterrainement influencées par l’âme et le langage lui-même est miné. (Il convient ici de rétablir une certaine cohérence terminologique: Freud, influencé par Descartes même s’il ruinait par son analyse la façade rationaliste, a attribué à la tête la faculté de conscience qui n’appartient qu’à l’âme et a, du coup, dénommé «inconscient» ce qui est en fait manifestation de la conscience occultée par l’écran des mots; il a de même mélangé, sur les traces de Bergson, autre cartésien, l’humour qui est la faculté de l’âme dont il a d’ailleurs parfaitement démontré le mécanisme et la fonction de résistance au monde, et le «jeu de mots» ou mot d’esprit, inoffensif passe-temps cérébral qui ne touche que le langage et non la personnalité, l’âme. Donc inconscient = conscience, tandis que conscient = esprit et psychisme = âme; par ailleurs, élaboration désigne l’aspect constructif du processus de digestion). L’âme s’est appropriée la matière linguistique et a plié le code à l’arbitraire: matière sonore des mots, comptines, rimes et poésie; dessin de l’alphabet, calligraphie, gribouillis, graffitis. L’esprit s’accroche encore au sens, à la désignation, à la figuration, sans parvenir à les maîtriser; les énoncés s’avèrent ambigus, les images symboliques; l’érotique et le scatologique envahissent l’esprit qui, pour avoir voulu s’opposer à l’autisme de l’âme, finit par sombrer dans un délire qui revient au même. Ce texte en est la preuve.
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IV SOLUÇÃO DA ALMA 2: A ALMA RESOLVIDA Ao dizer que «só há ciência do oculto», Bourdieu exprimia simultaneamente o império da alma – o oculto é sempre, sob todas as suas representações simbólicas, oníricas ou transcendentais, de «Deus» a «Fantomas», a alma – e a pretensão, por parte do espírito, de a perseguir, nas suas manifestações mais recônditas, a fim de a racionalizar – i. e. etiquetá-la depois de ater matado e embalsamado, ou, no melhor dos casos, domesticá-la. Por detrás de todas as concepções do espírito humano, a alma está presente, as mais das vezes de forma invisível; mal a sua intervenção se torna manifesta, ela é considerada escandalosa. É portanto possível abordar a alma através da esteira de transtornos, surpresas, influências, revelações que o seu aparecimento, detectável em certas produções do espírito, terá deixado – no conto A busca de Almotasim, Borges compraz-se em descrever, sob forma de parábola, uma busca desta ordem. No entanto, o jogo da moda, do snobismo, dum mercado ávido de distinção e de paradoxo, os malentendidos endémicos que as contradições do espírito e do social – são uma e a mesma coisa – acarretam, impedem-nos de confiar inteiramente no critério da recepção. A presença da alma perturba o trabalho do espírito; ela é, por oposição à vontade, aquilo que decorre da paixão; é o indizível, presente nas «entrelinhas» do discurso. A infracção, o desvio, o lapso, o delírio, frequentemente denunciam a intervenção da alma. É porventura a história da arte pictural que melhor permite definir os traços desta intervenção – sem os deduzir duma duvidosa relação com a norma –: o espírito, forjado pelo mundo, pela percepção do mundo, tem como última função reproduzi-lo; fixação e reprodução são os modos extremos, o mais simples e o mais complexo, da perenização, actividade essencial do espírito, enquanto a alma transforma pela digestão. Assim, a história da arte dá conta das etapas da luta entre a alma transformadora e o espírito figurador: a) A marca da alma reside no desvio, na distância, da figuração ao objecto figurado. A alma revela-se no perfil egípcio, no hieratismo gótico, no ouro dos ícones, no vazio das estampas, na careta das gárgulas, na profusão das figuras nos templos tântricos. Bataille e Malraux assimilam ambos arte e fé (sem que esta última seja necessariamente recuperada por uma crença ou religião), manifestações, tanto uma como outra, da alma. A alma, que habita todas as representações «primitivas» é historicamente desacreditada à medida que as civilizações se impõem, procuram convencer e fazer-se reconhecer, em suma, 82
IV SOLUTION DE L’ÂME 2: L’ÂME RÉSOLUE Bourdieu disait qu’«il n’y a de science que du caché», exprimant simultanément l’empire de l’âme – le caché, c’est, sous toutes ses représentations symboliques, oniriques ou transcendantales, de «Dieu» à «Fantômas», toujours l’âme – et la prétention de l’esprit à la traquer dans ses manifestations les plus occultes afin de la rationaliser – i. e. l’étiqueter après l’avoir tuée et empaillée, au mieux la domestiquer. Derrière toutes les conceptions de l’esprit humain, l’âme est présente, le plus souvent de façon invisible; dès que son intervention devient manifeste, elle est perçue comme scandaleuse. On peut donc approcher l’âme à travers le sillage de bouleversements, surprises, influences, révélations que son apparition reconnaissable sous certaines productions de l’esprit aura laissé – dans son conte L’approche d’Almotasim, Borges se complaît à décrire sous forme de parabole une recherche de cet ordre. Pourtant, le jeu de la mode, du snobisme, d’un marché avide de distinction et de paradoxe, les malentendus endémiques que les contradictions de l’esprit et du social – c’est la même chose – entraînent, interdisent de se fier au seul critère de la réception. La présence de l’âme perturbe le travail de l’esprit; elle est, par opposition à la volonté, ce qui relève de la passion; elle est l’indicible, présent «entre les lignes» du discours; l’infraction, la déviation, le lapsus, le délire signalent le plus souvent l’intervention de l’âme. C’est peut-être l’histoire de l’art pictural qui permet le mieux d’en préciser les traits en soi – sans les dégager d’un rapport à une norme douteuse –: l’esprit, forgé par le monde, par la perception du monde, a pour fonction ultime de le reproduire; fixation et reproduction sont les modes extrêmes, le plus simple et le plus complexe, de la pérennisation, activité essentielle de l’esprit, alors que l’âme transforme en digérant. Ainsi l’histoire de l’art rend compte des étapes de la lutte entre l’âme transformatrice et l’esprit figurateur: a) La marque de l’âme est constituée par l’écart, la distance, de la figuration à l’objet figuré. L’âme se montre dans le profil égyptien, dans le hiératisme gothique, dans l’or des icônes, le vide des estampes, la grimace des gargouilles, la profusion des figures ornant les temples tantriques. Bataille et Malraux s’accordent pour assimiler art et foi (sans que celle-ci soit nécessairement récupérée par une croyance ou une religion), manifestations l’un comme l’autre de l’âme. L’âme, qui habite toutes les représentations «primitives», est historiquement battue en brèche au fur et à mesure que les civilisations s’imposent, cherchent à convaincre, se faire reconnaître, bref troquent leur âme pour la raison et l’esprit – on découvre 83
trocam a alma pela razão e o espírito – a descoberta da perspectiva e da rotação da terra são simultâneas –; mas esta tendência, bem mais do que à decadência, à universalização e à mediocridade, que se traduz do ponto de vista estético pelo realismo da figuração, está submetida à intervenção da alma a uma outra escala, a do tempo: mutiladas dos braços ou da cabeça, as estátuas da antiguidade, literalmente «desfiguradas», ganharam em alma o que perderam em figuração. b) O regresso da alma, numa figuração dominada pela estética da parecença, caracteriza-se pelo esbatimento dos traços. É pela incerteza, pelo questionamento do traçado enquanto fixação, que Rembrandt revoluciona a pintura do seu tempo, reintroduzindo vida no material plástico. É no fundo um apagamento das linhas do mesmo tipo que conduz à ruptura impressionista e a todas as que se seguiram; o próprio cubismo se distingue por uma abolição de fronteiras – através de outros meios que não a «desfocagem», claro – entre os objectos representados. Tanto quanto pela distorção, a infiltração da alma no grafismo traduz-se pelo «tremido», o sobreposto, o indistinto. c) Os indícios gráficos de penetração da alma na representação são indissociáveis do aparecimento da matéria, do seu peso, espessura, consistência pastosa – é impossível conceber, no processo de digestão, a produção de ideias independentemente da fabricação de resíduos. A grandeza de Miguel-Ângelo reside no afloramento, nos próprios músculos dos seus profetas, da pedra. Toas as estátuas de Rodin, em que rostos e figuras não podem libertar-se da matéria mineral, são simultaneamente metáforas da sua digestão original. Van Gogh conseguiu espalhar a alma da luz e da cor nas suas telas… d) De forma mais sintética, poderíamos definir a presença da alma na arte como a manifestação visível no seio das técnicas do rasto – que são próprias do espírito – do gesto soberano – como o canto, no seio das palavras, revela a poesia. Esta definição coincide com a noção de aura proposta por Benjamin, se atribuirmos a esta última, a par da sua efemeridade vital («única aparição»), toda a sua dimensão escatológica.
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simultanément la perspective et la rotation de la terre –; mais cette tendance, bien plus qu’à la décadence, à l’universalisation et à la médiocrité, qui se traduit du point de vue esthétique par le réalisme de la figuration, reste soumise à l’intervention de l’âme à une autre échelle, celle du temps: en se voyant mutilées de leurs bras ou de leur tête, les statues de l’antiquité littéralement «défigurées» ont gagné en âme ce qu’elles ont perdu en figuration. b) Le retour de l’âme dans une figuration dominée par l’esthétique de la ressemblance se signale par un brouillage des traits. C’est par l’incertitude, donc par la mise en cause, du tracé en tant que fixation, que Rembrandt révolutionne la peinture de son temps en y réintroduisant la vie. C’est au fond un effacement des lignes du même type que constitue la rupture impressionniste et toutes celles qui ont suivi; le cubisme lui-même se caractérise par une abolition de frontières – par d’autres moyens que le flou, bien sûr – entre les objets représentés. Tout autant que par la distorsion, l’infiltration de l’âme dans le graphisme se traduit par le «tremblé», le superposé, l’indistinct. c) Les indices graphiques de pénétration de l’âme dans la représentation sont indissociables de l’apparition de la matière, avec sa lourdeur, son épaisseur, sa consistance pâteuse – il est impossible de concevoir, dans le processus de digestion, la production d’idées indépendamment de la fabrication de déchets. La grandeur de Michel-Ange tient à l’affleurement, dans les muscles mêmes de ses prophètes, de la pierre. Toutes les statues de Rodin, où visages et figures ne sauraient s’arracher à la matière minérale, sont simultanément des métaphores de leur digestion originelle. Van Gogh est parvenu à étaler l’âme de la lumière et de la couleur sur ses toiles... d) De façon plus synthétique, on peut définir la présence de l’âme dans l’art comme la manifestation visible au sein de techniques de la trace – qui sont le propre de l’esprit – du geste souverain; de même, le chant au sein des mots révèle la poésie. Cette définition recouvre la notion d’aura proposée par Benjamin si on accorde à cette dernière, à côté de son éphémérité vitale («unique apparition»), toute sa dimension scatologique.
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V DISSOLUÇÃO DA ALMA 2: A ALMA DISSOLUTA Só uma confusão lexical permite a alguns falar hoje dum declínio da espiritualidade de que a sociedade ocidental seria vítima: nunca foi ela tão dominada pelo espírito, ou seja pelo cálculo e pelo discurso. A própria atitude que consiste em satisfazer as necessidades da máquina socio-económica e industrial à medida que elas vão surgindo, a incapacidade de pensar tanto o futuro como o presente – que faz com que, do krach de 1929 ao putsch de Munique, os acontecimentos pareçam surpreender sempre o mundo intelectual que só retrospectivamente os «compreende» –, o pavor da paragem sob todas as formas – doença, morte, ou simplesmente reforma, desemprego, greve ou até sesta –, denunciam a soberania exclusiva do espírito na nossa civilização. Este poder absoluto remonta à mais alta Antiguidade: no princípio da religião judaico-cristã era o verbo. As religiões semíticas são religiões do espírito e do sopro, da lei e da pregação – à oposição entre espírito e alma correspondem, além das de natureza física entre cabeça e barriga, respiração e digestão (é curioso constatar, graças à etimologia, que o espírito latino pretendia suplantar a alma assimilando-a a si e atribuindo-lhe a mesma origem e o mesmo significado: anima = spiritus = sopro; era esquecer a génese marinha da alma, garante da sua anterioridade e da sua especificidade; a falsificação é flagrante, mas característica das manobras obscurantistas do espírito), as de cariz estrutural entre ritmo binário (diástole-sístole) e ritmo ternário, entre estrutura pendular e estrutura circular, entre movimento centrífugo e movimento centrípeto, e, sobretudo, entre as diversas atitudes pragmáticas que daí decorrem: conquista contra isolamento, hierarquia contra anarquia, etc. A guerra, que tem sido desde tempos imemoriais a principal actividade desta civilização, reivindica sempre o seu enfeudamento no sopro: religioso – embora o espírito possa supostamente «soprar onde lhe apetece» –, épico ou revolucionário. Aliás, quer se trate de cruzadas, de lutas pelo poder ou, hoje em dia, de «guerra económica», constata-se que a rivalidade e o combate só são concebíveis entre entidades da mesma espécie – o Islão e o cristianismo são duas religiões do espírito e da conquista. Todavia é possível reconhecer em Jesus, na incoerência das suas parábolas, na escolha do peixe como símbolo – e logo do universo marinho a ele associado –, na metáfora canibal da última Ceia, a tentativa – alguns diriam tentação – de reconciliar, num culto em que tudo, desde a prática do sermão à extrema magreza, denuncia a espiritualidade, espírito e alma. É claro que a Igreja não tardou a reduzir 86
V DISSOLUTION DE L’ÂME 2: L’ÂME DISSOLUE Seule une confusion lexicale permet à certains de parler aujourd’hui d’un déclin de spiritualité dont souffrirait la société occidentale: elle n’a jamais été autant dominée par l’esprit, c’est-à-dire par le calcul et par le discours. La démarche même qui consiste à satisfaire les besoins de la machine socio-économique et industrielle au fur et à mesure qu’ils apparaissent, l’incapacité à penser tant l’avenir que le présent – qui fait que, du krach de 1929 au putsch de Munich, les événements semblent toujours surprendre le monde intellectuel qui ne les «comprend» jamais que rétrospectivement –, la hantise surtout de l’arrêt sous toutes ses formes – maladie, mort, ou simplement retraite, chômage, grève, voire sieste –, dénoncent la domination exclusive de l’esprit sur notre civilisation. Celle-ci remonte à la plus haute antiquité: au commencement de la religion judéochrétienne était le verbe. Les religions sémitiques sont des religions de l’esprit et du souffle, de la loi et du prêche – à l’opposition entre esprit et âme correspondent, outre celles physiques entre tête et ventre, respiration et digestion (il est curieux de constater grâce à l’étymologie que l’esprit latin prétendait supplanter l’âme en se l’assimilant et en lui prêtant une même origine et une même signification qu’à soi: anima = spiritus = souffle; c’était oublier la genèse marine de l’âme, garante de son antériorité et de sa spécificité; la falsification est flagrante mais caractéristique des manœuvres obscurantistes de l’esprit), celles structurelles entre rythme binaire (diastole-systole) et rythme ternaire, entre structure pendulaire et structure circulaire, entre mouvement centrifuge et mouvement centripète, et surtout entre les diverses attitudes pragmatiques qui en découlent: conquête contre repliement sur soi, hiérarchie contre anarchie, etc. La guerre, qui a été de tout temps la principale activité de cette civilisation, se réclame toujours du souffle: religieux – bien que l’esprit soit censé «souffler où il veut» –, épique ou révolutionnaire. D’ailleurs, qu’il s’agisse des croisades, de luttes pour le pouvoir ou, aujourd’hui, de «guerre économique», on doit constater que la rivalité et le combat ne sont concevables qu’entre entités de même espèce – l’islam et le christianisme sont deux religions de l’esprit et de la conquête. On reconnaît toutefois chez Jésus, à l’incohérence de ses paraboles, au choix du poisson pour symbole – et, partant, de l’univers marin connoté –, et surtout à la métaphore cannibale de la dernière Cène, la tentative – d’aucuns disent: la tentation – de réconcilier, dans un culte où tout, de la pratique du prêche à l’extrême maigreur, dénonce la spiritualité, esprit et âme. Bien entendu, l’Église a eu tôt fait de 87
o rito eucarístico a uma dimensão tão diáfana e etérea – a hóstia – que a transubstanciação, à falta de matéria comestível, se transforma numa vã palavra, porventura num barbarismo. As nossas instituições civis foram modeladas pelas religiosas e assentam na lei, traduzida em diversos códigos – civil, penal, da estrada, etc. – regidos pelo «espírito e a letra» – que profundamente são a mesma coisa. Numa civilização que só valoriza a cabeça e os membros, a ciência e o desporto, sobre a alma pesa um tabu equivalente àquele que pesa sobre o sexo – ao qual durante muito tempo ela foi assimilada, devido à sua vizinhança «debaixo da cintura» – mas muito mais temível, visto que nenhuma «libertação» da alma se vislumbra. A alma está no corpo como o bicho no fruto, como a serpente no jardim do Éden, como o cabelo intruso caído na sopa, etc. Ora, existem ou existiram outros modelos de civilização: a tradição oriental, com os seus impérios fechados sobre si próprios, as suas práticas de meditação silenciosa, o seu culto dum Buda imóvel e quase redutível à pança proeminente, oferece, comparada à nossa, um vivo contraste. Também identificamos culturas da alma nas civilizações índias dos hopis e dos tarahumaras, assim como nas tribos antropófagas da África equatorial e da Amazónia – que a nossa civilização aniquilou, matando-as à fome. Existiriam pois alternativas ao impasse em que se encontra a sociedade ocidental – é fácil adivinhar de que maneira o restabelecimento dum culto da alma poria fim aos males do planeta: o stress e o desemprego desapareceriam logo que o farniente e a meditação se tornassem modelos seguidos; a cupidez e a criminalidade passariam à história a partir do momento em que a indiferença perante o mundo e os bens terrenos começasse a reinar; o excesso de população resolver-se-ia quando as práticas sexuais orais e anais, privilegiadas por razões evidentes numa colectividade adoradora da alma, fossem valorizadas, até ao advento da era da reprodução por clonagem (que é uma forma de regresso à cissiparidade). Esta utopia, ligada à nostalgia da vida intra-uterina original, levar-nos-ia mesmo a desejar, pelo menos para a nossa descendência, um novo dilúvio. Infelizmente, um bom número de exemplos históricos, da orgia romana ao bandulho capitalista, estão aí para nos lembrar que a alma não partilha.
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ramener le rite eucharistique à une dimension si diaphane et éthérée – l’hostie – que la transsubstantiation, faute de matière comestible, n’y est qu’un mot, voire un barbarisme. Nos institutions civiles ont été modelées sur les religieuses et s’appuient sur la loi, traduite en codes divers – civil, pénal, routier, etc. – régis par «l’esprit et la lettre» – qui sont profondément la même chose. Dans une civilisation qui ne valorise que la tête et les membres, la science et le sport, pèse sur l’âme un tabou du même ordre que celui sur le sexe – auquel elle a longtemps été assimilée, du fait de leur proximité «au-dessous de la ceinture» – mais plus lourd encore et à l’égard duquel ne se profile aucune «libération». «L’âme est dans le corps comme le ver dans le fruit, comme le serpent dans le jardin d’Éden, comme un cheveu sur la soupe, comme un poil dans la main, etc.» Or il existe ou a existé d’autres modèles de civilisation: la tradition orientale, avec ses empires repliés sur eux-mêmes, ses pratiques de méditation silencieuse, son culte d’un Bouddha immobile et quasiment réductible à son ventre proéminent, offre avec la nôtre un contraste saisissant. On reconnaît également des cultures de l’âme chez les indiens hopis et tarahumaras, ainsi que parmi les tribus anthropophages d’Afrique équatoriale et d’Amazonie – que notre civilisation a anéanties en les affamant. Il existerait donc des alternatives à l’impasse à laquelle aboutit la société occidentale – on voit bien comment le rétablissement du culte de l’âme mettrait fin aux maux de la planète: plus de stress ni de chômage dès que le farniente et la méditation deviennent des modèles suivis; plus de cupidité ni de criminalité à partir du moment où l’indifférence au monde et aux biens d’icelui se met à régner; plus de surpopulation lorsque les pratiques sexuelles orales et anales, privilégiées pour des raisons évidentes dans une collectivité cultivant l’âme, seront mises à l’honneur en attendant la reproduction par clonage (qui est une forme de retour à la scissiparité). Cette utopie, liée à la nostalgie de la vie liquide intra-utérine originelle, irait jusqu’à nous faire souhaiter, au moins pour notre descendance, un nouveau déluge. Malheureusement, de nombreux exemples historiques, de l’orgie romaine à la bedaine capitaliste, sont là pour nous rappeler que l’âme ne partage pas.
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VI DISSOLUÇÃO DA ALMA 3: A ALMA DISSOLVENTE O tabu que ainda hoje pesa sobre a alma deve-se, mas do que à ignorância da natureza digestiva do pensamento, à aversão pelas matérias excrementícias, única parte visível por ela produzida. Esta execração convencional está tão universalmente enraizada que, por exemplo, em 1930 pareceu suficiente a Breton enfeudar Bataille numa tradição escatológica – mencionada por Marx que não se apercebe de que, se «em cada época nasceram filósofos-cabelos, filósofos-unhas, filósofos-artelhos, filósofos-excrementos», também nascem outros tantos filósofos-força de trabalho, filósofos-liberdade, etc. – para o arrasar e vencer a polémica. A palavra de Cambronne («merda») é categórica, definitiva, absoluta enquanto expressão negativa. À primeira vista, a função eminentemente fertilizante da alma está de todo esquecida, ocultada – por detrás desta amnésia, há porventura tão-só antropocentrismo exacerbado e vontade de distinção em relação aos animais, i. e. rejeição pelo homem da parte animal em si existente: o poio de cavalo ou a bosta de vaca são habitualmente utilizados como ingredientes do estrume, ou até como combustível. Só o excremento humano deve ser obliterado e desaparecer no buraco negro da fossa séptica ou do canal sanitário – este último prolonga indefinidamente a estrutura tubular intestinal, garantindo assim, num plano estritamente formal, a passagem da alma individual para a alma colectiva social; infelizmente, à homotetia formal não corresponde, no plano social, a produção de ideias complementar. A consciência do carácter fertilizante dos resíduos da alma revela-se quase tão rara como a do carácter dispéptico do pensamento. No entanto, quando L. Buñuel conta nas suas memórias que projectava rodar um filme sobre o estilita Simão do deserto – «desde há muito, desde que Lorca (lhe) dera a ler A lenda dourada», especificando que o poeta tinha particular afeição pela passagem, que muito o fazia rir, em que se diz que «a merda escorria pela coluna como a cera por um círio» (metáfora que na obra subentende que o santo era, no cimo da sua coluna, comparável à chama do círio) –, corrige imediatamente o acima descrito pois, como o santo «na realidade só se alimentava com umas folhas de salada que subiam a ele dentro dum cesto, os seus excrementos deviam parecer-se mais com caganitas de cabra». Assim, a visão escatológica que se encontra na origem do projecto acaba por estar totalmente ausente do filme: e aqui se manifesta a profunda divergência entre a fé, herética e almada, do poeta blasfemador, e o ateísmo niilista do cineasta que transforma o santo empoleirado 90
VI DISSOLUTION DE L’ÂME 3: L’ÂME DISSOLVANTE Le tabou qui pèse encore aujourd’hui sur l’âme tient, plus encore qu’à l’ignorance de la nature digestive de la pensée, à l’aversion à l’égard des matières excrémentielles, seule part visible produite par l’âme. Cette exécration conventionnelle est si généralement ancrée qu’en 1930, par exemple, il paraît suffisant à Breton de renvoyer Bataille à une tradition scatologique – relevée par Marx qui ne semble pas non plus se rendre compte que si «à chaque époque naissent des philosophes-cheveux, des philosophes-ongles, des philosophesorteils, des philosophes-excréments», naissent tout autant des philosophes-force de travail, des philosophes-liberté, etc. – pour le terrasser et vaincre la polémique. Le mot de Cambronne est catégorique, définitif, absolu en tant qu’expression négative. Il semble que soit totalement oubliée, occultée, la fonction éminemment fertilisante de l’âme – derrière cette amnésie, il n’y a sans doute qu’anthropocentrisme exacerbé et volonté de distinction vis-à-vis des animaux, i. e. rejet par l’homme de la part animale en lui: le crottin de cheval ou la bouse de vache sont employés communément comme ingrédients du fumier, voire comme combustible. Seul l’excrément doit être oblitéré et disparaître dans le trou noir de la fosse septique ou du conduit sanitaire – ce dernier prolongeant indéfiniment la structure tubulaire intestinale, assurant ainsi sur un plan strictement formel le passage de l’âme individuelle à l’âme collective sociale; malheureusement, à l’homothétie formelle ne correspond pas, au niveau social, la production d’idées complémentaire. La conscience du caractère fertilisant des déchets de l’âme s’avère presque aussi rare que celle du caractère dyspepsique de la pensée. Pourtant, lorsque L. Buñuel raconte dans ses souvenirs qu’il songeait à tourner un film sur le stylite Simon du désert, «depuis longtemps, depuis que Lorca (lui) avait fait lire La légende dorée, précisant que le poète affectionnait particulièrement le passage qui le faisait beaucoup rire où il est dit que «la merde coulait le long de la colonne comme la cire le long d’un cierge» (métaphore qui dans l’ouvrage sous-entend que le saint était sur sa colonne comparable à la flamme du cierge), il spécifie immédiatement que comme le saint «en réalité ne se nourrissait que de quelques feuilles de salade qu’on lui montait dans un panier, ses excréments devaient plutôt ressembler à de petites crottes de chèvre». Ainsi la vision scatologique qui est à l’origine du projet finit-elle par être totalement absente du film: éclate ici la divergence profonde entre la foi, hérétique et almée, du poète blasphémateur, et l’athéisme nihiliste du cinéaste qui fait du saint perché sur son 91
no seu monumento fálico no símbolo acabado da esterilidade, física e mental. A reabilitação da alma tal como a podemos acompanhar nos poetas franceses do século XIX, da confusa interrogação romântica – «objectos inanimados, será que tendes alma?» – ao derrubar dos valores espirituais estabelecidos pelos simbolistas (etiqueta inadequada para um conjunto tão heterogéneo como Rimbaud e Jarry, mas que coloca sem equívoco possível a sua poesia sob o signo da alma) – o Pai Ubu é, pela forma ovóide do corpo que se confunde com a sua cornupança, a incarnação da alma –, passa pela das dejecções: aos capítulos consagrados aos esgotos de Paris (segundo livro da última parte, intitulado O intestino de Leviatão), sucede na obra-mestra de V. Hugo, Os Miseráveis, um livro intuitivamente chamado A lama, mas a alma; Verlaine, Nouveau, Cros e Rimbaud despem a alma dos poemas dos seus contemporâneos, sem contudo excluir os seus, no Álbum zutique; Isidore Ducasse, na genial segunda estrofe do quinto dos Cantos de Maldoror (estrofe onde o autor introduz a comparaçãopadrão, a imagem associada a uma pura qualidade abstracta, a série dos «belo como…»), narra a digestão externa – visto que o processo acontece a céu aberto, graças à marcha do escaravelho que empurra a bola – de uma mulher cuja alma é assim exibida («E eu que julgava que eram matérias excrementícias»); por último, Jarry verbaliza, na Canção da desmiolagem, a substituição dos miolos pela bosta – i. e. do espírito pela alma –: «e ao morgado atiro uma merdra descomunal que se esborracha no nariz do Lacaio…» A alma não pode ser totalmente eliminada. Uma sociedade sem alma é uma sociedade com prisão de ventre; mas a nossa limitou-se a repelir a alma, confinando-a a esses sítios de prazeres clandestinos que são as retretes – única divisão na casa ocidental prevista para o isolamento, a intimidade, ou mesmo a humectação, tudo posturas em afinidade com a alma. Sabe-se que a repugnância pelas fezes é uma repulsa adquirida – os bebés não hesitam em comer a sua própria merda. Sem irem necessariamente até chafurdar nos excrementos que obram – atitude tão-só infantil –, os homens, que sabem que pisar a merda – i. e. tomar contacto, senão com a alma, pelo menos com um dos seus rastos – dá sorte, talvez devessem começar a avaliar as suas obras em função da fertilidade dos resíduos.
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monument phallique le symbole même de la stérilité, physique et mentale. La réhabilitation de l’âme telle qu’on peut la suivre chez les poètes français au cours du XIXème siècle, de l’interrogation romantique confuse – «objets inanimés, avez-vous donc une âme?» – au renversement des valeurs spirituelles établies, par les symbolistes (étiquette inadéquate pour rassembler des personnalités aussi hétérogènes que Rimbaud et Jarry, mais qui place sans équivoque possible leur poésie sous le signe de l’âme) – le Père Ubu est, de par la forme ovoïde de son corps qui se confond avec sa gidouille, l’incarnation même de l’âme –, passe par celle des déjections: aux chapitres consacrés aux égouts de Paris (deuxième livre de la dernière partie, intitulé L’intestin de Léviathan), succède dans l’œuvre maîtresse de V. Hugo, Les Misérables, un livre intuitivement nommé La boue, mais l’âme; Verlaine, Nouveau, Cros et Rimbaud mettent à nu l’âme des poèmes de leurs contemporains, sans exclure toutefois les leurs, dans l’Album zutique; Isidore Ducasse, dans la géniale seconde strophe du 5ème des Chants de Maldoror (strophe où il introduit la comparaison-étalon, l’image associée à une pure qualité abstraite, la série des «beau comme»…), narre la digestion externe – car le processus s’accomplit à découvert, par la poussée du scarabée – d’une femme dont l’âme est ainsi exposée («Et moi qui croyais que c’étaient des matières excrémentielles»); Jarry enfin verbalise, dans la Chanson du décervelage, la substitution de la bouse à la cervelle – i. e. de l’âme à l’esprit –: «j’flanque au rentier une gigantesque merdre qui s’aplatit sur l’nez du Palotin»… L’âme ne saurait être totalement éliminée. Une société sans âme est une société constipée; mais la nôtre a seulement refoulé l’âme dans ces lieux de plaisir clandestin que sont les cabinets – unique pièce de la maison occidentale prévue pour l’isolement, l’intimité, voire l’humectation, toutes postures en affinité avec l’âme. On sait que la répugnance à l’égard des fèces est un dégoût acquis – les bébés n’hésitent pas à manger leurs propres selles. Sans aller jusqu’à se vautrer dans leurs excréments – attitude infantile sans plus –, les hommes qui savent que marcher dans la merde – i. e. prendre contact avec, sinon l’âme, au moins une de ses traces – porte bonheur, ne devraient-ils pas commencer à évaluer leur ouvrage en fonction de la fertilité des déchets?
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VII ABSOLVIÇÃO DA ALMA 2: A ALMA ABSOLUTA Os arúspices da Antiguidade afirmavam que liam o futuro nas vísceras, prática simultaneamente inspirada, na medida em que postula uma ligação metafísica entre a alma e o tempo, e vã, porque apenas interroga almas mortas, digestões interrompidas, cujas mensagens pertencem irremediavelmente ao passado. A dissecção das entranhas permite-nos antes de mais identificar a estrutura particular da alma, composta de três ciclos heterogéneos concomitantes: um ciclo longo – que corresponde ao aparelho digestivo na sua globalidade e se divide esquematicamente em uma entrada (o esófago), uma saída (o cólon) e, entre os dois, um inextricável nó de vísceras (este esquema é, mais coisa menos coisa, o do elefante dentro da jibóia, formalmente semelhante a um chapéu em perspectiva cavaleira, com o qual Saint-Exupéry começa O principezinho) –; um ciclo curto – que corresponde a cada circunvolução do intestino (princípio da espira, que não só voltamos a encontrar nas entranhas doutros mecanismos, tais como a corda do relógio, como também constitui, sob forma de «cornupança», o emblema da alma ostentado pelo Pai Ubu) –; finalmente, um ciclo aleatório, formado pelas várias chegadas de sucos no decorrer da digestão, bem como pela absorção do quilo (funcionamento em duplo sentido, regido por um princípio de equilíbrio: a ruptura deste último provoca a indigestão, sob forma de vómito ou de diarreia). Ora, esta estrutura inconfundível está patente em todas as produções onde a alma intervém, como uma assinatura das suas obras. Por exemplo, o objecto livro, independentemente do seu «conteúdo» discursivo, obedece a esta estrutura: ciclo longo, o livro por inteiro, «ao correr das páginas» com as folhas virgens, as guardas, à entrada e à saída; ciclo curto, a página (não devemos deixar-nos iludir pela disposição quadrilátera das linhas: a leitura faz-se com retorno obrigatório à margem a cada mudança de linha, segundo uma estrutura ondulatória de espira de perfil); ciclo aleatório, as divisões (em capítulos ou outras), as eventuais ilustrações, as notas de rodapé, as páginas arrancadas, mas também as dobras, as amachucadelas, etc. O que prova que um livro é efectivamente composto de pensamentos, mas fora do texto. O poema, que é pensamento concentrado, apresenta uma estrutura idêntica: ciclo longo, o poema; ciclo curto, o verso; ciclo aleatório, a estrofe (qualquer divisão), o refrão ou a rima (qualquer repetição), etc. A própria palavra escrita não escapa à regra: ciclo longo, a palavra; ciclo curto, cada haste e cada círculo; ciclo aleatório, os pontos, os acentos, os traços, os espaços brancos, etc. A 94
VII ABSOLUTION DE L’ÂME 2: L’ÂME ABSOLUE Les haruspices de l’antiquité prétendaient lire l’avenir dans les viscères, pratique tout à la fois inspirée, dans la mesure où elle postule un lien métaphysique entre l’âme et le temps, et vaine, puisque elle n’interroge que des âmes mortes, des digestions interrompues, dont les messages appartiennent irrémédiablement au passé. La dissection des entrailles nous permet avant tout d’identifier la structure si particulière de l’âme, composée de trois cycles hétérogènes concomitants: un cycle long – qui correspond à l’appareil digestif dans sa globalité et se divise schématiquement en une entrée (l’œsophage), une issue (le côlon) et entre les deux un inextricable nœud de viscères (ce schéma est peu ou prou celui de l’éléphant dans le boa constrictor, formellement semblable à un chapeau en perspective cavalière, par lequel s’ouvre Le petit prince de Saint-Exupéry) –; un cycle court qui correspond à chaque circonvolution de l’intestin (principe de la spire, qui non seulement se retrouve dans les entrailles d’autres mécanismes, tel le ressort de montre, mais constitue sous forme de gidouille l’emblème de l’âme arboré par le Père Ubu) –; enfin, un cycle aléatoire – composée par les diverses arrivées de sucs au cours de la digestion, ainsi que par l’absorption du chyle (fonctionnement donc à double sens et soumis à un principe d’équilibre: la rupture de ce dernier provoque l’indigestion, sous forme de vomissement ou de diarrhée). Or cette structure inconfondable se retrouve dans toutes les productions où l’âme intervient, comme un sceau apposé sur ses œuvres. Par exemple, l’objet livre, indépendamment de son «contenu» discursif, obéit à cette structure: cycle long, le livre en son entier, le «fil des pages» avec ses pages de garde vierges à l’entrée et à la sortie; cycle court, la page (où la disposition quadrilatère des lignes ne doit pas nous tromper: la lecture s’accomplit avec retour à la marge à chaque changement de ligne selon une structure ondulatoire de spire de profil); cycle aléatoire, les divisions (en chapitres ou autres), les éventuelles illustrations, les notes en bas de page, les feuillets manquants, mais aussi les pliures, les écornures, etc. Ce qui prouve qu’un livre est bien composé de pensées, mais en dehors de son texte. Le poème, qui est de la pensée concentrée, présente également la même structure: cycle long, le poème; cycle court, le vers; cycle aléatoire, la strophe (toute division), le refrain ou la rime (toute répétition), etc. Le mot écrit lui-même n’y échappe pas: cycle long, le mot; cycle court, chaque cercle ou jambage; cycle aléatoire, les points, les accents, les tirets, les blancs, etc. L’âme de la musique sur la partition est plus flagrante 95
alma da música na partitura é ainda mais flagrante. Todavia, a distinção dos três ciclos nem sempre é tão visível; a alma manifesta a sua presença através duma influência, intraduzível por palavras, inexprimível por um código, a que chamamos geralmente humor, dado que as presenças externas da alma agem como os sucos ou humores digestivos da alma interna. Esses humores, ou estados vividos, que vão da melancolia inconsolável à alegria radiosa, e que nunca dependem da nossa vontade (do nosso espírito), não são, como julgava Descartes, paixões, mas sim pensamentos que qualquer tentativa de formulação em geral atenua, ou até aniquila. Um livro, mesmo folheado rapidamente, desencadeia em nós esse humor; uma palavra, uma música, imprimem-se em nós e provocam spleen ou êxtase – pois o pensamento, tal como a paixão cartesiana, tem um carácter obsessivo. Os pensamentos comunicam-se, de alma para alma, por contágio. Fora da digestão propriamente dita, a influência determinante sobre os nossos humores vem-nos do tempo meteorológico, i. e. da luz. E nos fenómenos atmosféricos tornamos a identificar os três ciclos da alma: ciclo longo, o ano, a rotação do planeta à volta do sol; ciclo curto, o dia, a rotação da terra em torno de si mesma; ciclo aleatório, o das nuvens, que compreende a evaporação e a chuva – injecção e absorção, em que a água faz ofício de suco. O clima é um reflexo da alma, a chuva um fenómeno mental. Os movimentos dos planetas inscrevem-se num processo de digestão cósmica. No espaço-tempo, cada galáxia apresenta os aspectos ostreícolas duma alma autónoma. Como no livro o poema e no poema a palavra, no tempo cósmico insere-se, à maneira como se encaixam as bonecas russas, o tempo humano. Este último compreende um ciclo longo, a vida, um ciclo curto, o dia – o traçado imaginário do percurso quotidiano dum ser humano representa a espira –, um ciclo aleatório composto pelos seus encontros. O aparelho digestivo do tempo não é visível – fala-se por isso de «quarta dimensão» – mas é intuitivamente perceptível: a «espiral do tempo». Por muito grande que seja a decepção infligida ao seu orgulho, o homem tem de admitir que, na digestão crónica, desempenha tão-só o papel duma boca cheia, que todos os passos duma vida mal lhe chegam para forjar uma ideia da sua existência, que o ventre materno faz as vezes de esófago temporal e que a morte porá fim à sua aventura intestina, expulsando-o, cadáver-cagalhão a estrume destinado, para um séptico além.
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encore. Le repérage des trois cycles n’est pas toujours aussi aisé, ceux-ci ne sont pas nécessairement visibles: l’âme manifeste sa présence par une influence intraduisible en mots, inexprimable à travers un code, que nous appelons généralement humeur car les présences externes de l’âme agissent comme les sucs ou humeurs digestives de l’âme interne. Ces humeurs ou états ressentis, qui vont de la mélancolie inconsolable à la joie radieuse, et qui ne dépendent jamais de notre volonté (de notre esprit), ne sont pas, comme le croyait Descartes, des passions, mais des pensées, que toute tentative de formulation généralement atténue, voire anéantit. Un livre, même feuilleté rapidement, déclenche en nous cette humeur; un mot, une musique, s’impriment en nous et provoquent spleen ou extase – car la pensée, comme la passion cartésienne, a un caractère obsessif. Les pensées se communiquent, d’âme à âme, par contagion. En dehors de la digestion elle-même, l’influence déterminante sur nos humeurs nous vient du temps, météorologique, i. e. de la lumière. Or nous retrouvons les trois cycles de l’âme dans les phénomènes atmosphériques: cycle long, l’année, la rotation de la planète autour du soleil; cycle court, la journée, la rotation de la terre sur elle-même; cycle aléatoire, celui des nuages, comprenant évaporation et pluie – injection et absorption, où l’eau joue le rôle de suc. Le climat est un reflet de l’âme, la pluie un phénomène mental. Les mouvements des planètes s’inscrivent dans un processus de digestion cosmique. Dans l’espace-temps, chaque galaxie présente les caractères ostréicoles d’une âme autonome. Comme dans le livre le poème et dans le poème le mot, dans le temps cosmique s’insère à la façon des poupées-gigogne le temps humain. Celui-ci comprend un cycle long, la vie, un cycle court, la journée – le tracé imaginaire du parcours quotidien d’un être humain en représente la spire –, un cycle aléatoire composé de ses rencontres. L’appareil digestif du temps n’est pas visible – c’est pourquoi l’on parle de «quatrième dimension» – mais est intuitivement perceptible: la «spirale du temps». Quelque déception que son orgueil en doive souffrir, l’homme doit admettre qu’il joue dans la digestion chronique le rôle d’une bouchée de nourriture, que tous les pas d’une vie servent à peine à forger l’idée de son existence, que le ventre maternel a fait office d’œsophage temporel et que la mort mettra fin à son aventure intestine en l’expulsant, cadavre-étron bon pour engrais, vers un au-delà septique.
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traite de l’âme 2 cœur au ventre tráfico da alma 2 coração das tripas
tradução regina guimarães
A intimidade com uma zona de não-conhecimento é uma prática mística quotidiana, durante a qual Eu, numa espécie de esoterismo especial e alegre, assiste, de sorriso nos lábios, à sua própria falência e, quer se trate da digestão da comida ou da iluminação do espírito, traduz, incrédulo, o seu próprio desvanecimento.
Trata-se, pelo contrário, de atingir, de modo arqueológico, a defecação enquanto campo de tensões polares entre a natureza e a cultura, o privado e o público, o singular e o comum. (…) Como Calvino uma vez realçou, as fezes são produções humanas como as outras, só que nunca foi feita a respectiva história.
Podia acontecer que a visão do sangue da massa dos assassinados brotando do chão lhe desse uma volta ao estômago. O mais horrível então: é o acontecimento que ele evoca; ou a reacção ao acontecimento; ou o facto de que ainda assim continuou; ou o estômago ter-se tornado o último refúgio da moral e da piedade, tendo o bestial e o moral trocado de lugar?
Supor que nós, homens de hoje, exclusivamente alimentados a sucedâneos, a estereótipos e fantasmas, ainda somos «eus» possuidores de um «eu próprio», e que é esse regime alimentar que nos impede de sermos «nós mesmos», seria mostrar um optimismo porventura ultrapassado.
Toda a escrita é uma porcaria. As pessoas que saem do vago para tentar exprimir com precisão seja o que for daquilo que se passa no pensamento, são porcos. Toda a raça literária é porca, em especial a dos tempos que correm. Todos os que têm pontos de referência no espírito, quero dizer dum certo lado da cabeça, em locais bem situados no cérebro, todos os que são donos da língua, todos aqueles para quem as palavras têm um sentido, todos aqueles para quem existem altitudes da alma e correntes no pensamento, aqueles que são espírito da época e que nomearam as tais correntes de pensamento, estou a pensar nas suas tarefas precisas, e nesse ranger de autómato que o seu espírito emite aos quatro ventos, – são porcos.
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L’intimité avec une zone de non-connaissance est une pratique mystique quotidienne, lors de laquelle Moi, dans une sorte d’ésotérisme spécial et joyeux, assiste, le sourire aux lèvres, à sa propre débâcle, et qu’il s’agisse de la digestion de la nourriture ou de l’illumination de l’esprit, témoigne incrédule de son propre évanouissement. Giorgio Agamben, «Genius» in Profanations Il s’agit, en revanche, de rejoindre de manière archéologique la défécation comme un champ de tensions polaires entre la nature et la culture, le privé et le public, le singulier et le commun. (…) Comme Calvino a pu le remarquer une fois, les fèces sont des productions humaines comme les autres, si ce n’est qu’on n’en a jamais fait l’histoire. Giorgio Agamben, «Éloge de la profanation» in Profanations Il pouvait arriver qu’à la vue du sang de la masse des assassinés, jaillissant du sol, son estomac se révulse. Le plus horrible alors: est-ce l’événement qu’il évoque; ou sa réaction à l’événement; ou le fait qu’il a quand même continué; ou que l’estomac était devenu le dernier refuge de la morale et de la pitié, que le bestial et le moral ont échangé leur place? Günther Anders, Nous, fils d’Eichmann Supposer que nous, hommes d’aujourd’hui, exclusivement nourris de succédanés, de stéréotypes et de fantômes, nous serions encore des «moi» ayant un «soi», et que ce serait ce régime alimentaire qui nous empêcherait d’être «nous-mêmes», ce serait faire preuve d’un optimisme qui n’est peut-être plus de mise. Günther Anders, L’obsolescence de l’homme Toute l’écriture est de la cochonnerie. Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons. Toute la gent littéraire est cochonne, et spécialement celle de ce temps-ci. Tous ceux qui ont des points de repère dans l’esprit, je veux dire d’un certain côté de la tête, sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux qui sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens, tous ceux pour qui il existe des attitudes dans l’âme, et des courants dans la pensée, ceux qui sont esprit de l’époque, et qui ont nommé ces courants de pensée, je pense à leur besogne précise, et à ce grincement d’automate que rend à tous vents leur esprit, – sont des cochons. Antonin Artaud, Le pèse-nerfs 101
Onde cheira a merda cheira a ser. O homem poderia muito bem não cagar não abrir a bolsa anal, mas escolheu cagar como teria escolhido viver em lugar de consentir em viver morto.
O cérebro é a tripa da cabeça. Pensar é uma faca!
As consciências aliviam-se como barrigas.
E a consciência de que a metafísica é uma consequência de estar mal disposto.
Falseia-se o espírito, a consciência, a razão, como se estraga o estômago.
O estômago é o nosso próximo mais imediato. A digestão, por exemplo, que se cumpre desejavelmente num silêncio sagrado, eis o princípio de toda a poesia.
Pois o que é um avarento senão o homem que tenta guardar só para si o que lhe pertence, tudo quanto tem de espírito ou de fôlego, ou, para empregar uma expressão um bocado fora de moda, de alma? No fim de contas, é bastante natural. Ao fechar-me por cima, abri-me por baixo… que pena! De repente esvaziei a tripa toda. Vazio que nem um coelho!
Eros desajeitado que falha a pontaria no coração e só atinge o estômago…
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Là où ça sent la merde ça sent l’être. L’homme aurait très bien pu ne pas chier, ne pas ouvrir la poche anale, mais il a choisi de chier comme il aurait choisi de vivre au lieu de consentir à vivre mort. Antonin Artaud, «La recherche de la fécalité» in Pour en finir avec le jugement de dieu Le cerveau est la tripe de la tête. Penser est un couteau! Miguel Angel Asturias, Bolivar Les consciences se soulagent comme des ventres. Georges Bernanos Et la conscience de ce que la métaphysique est l’effet d’un malaise passager. Álvaro de Campos, Bureau de tabac On fausse son esprit, sa conscience, sa raison, comme on gâte son estomac. Nicolas Chamfort, Maximes et pensées Le ventre est notre prochain le plus immédiat. Malcolm de Chazal La digestion, par exemple, qui s’accomplit à souhait dans un silence sacré, voilà le principe de toute poésie. Gilbert Keith Chesterton, Le nommé Jeudi Car qu’est-ce qu’un avare, sinon l’homme qui essaye de garder pour lui tout seul ce qui lui appartient, tout ce qu’il a d’esprit et de souffle, ou, pour employer une expression un peu démodée, d’âme? C’est assez naturel après tout. C’est dommage qu’en me fermant par le haut je me sois ouvert par le bas. D’un seul coup je me suis défait de ma triperie. Vidé comme un lapin! Paul Claudel, La mort de Judas Éros maladroit qui manque le cœur et n’atteint que l’estomac... Paul Claudel, Journal 103
Ficai pois a saber que depois de Eva e seu marido terem comido a maçã proibida, Deus, para castigar a serpente que os fizera cair em tentação, relegou-a para dentro do corpo do homem. Não há criatura humana nascida desde então que não acalente uma serpente, parente dessa primeira, no seu ventre, como castigo do crime do primeiro pai. Chamais-lhe tripas e julgais que são necessárias às funções da vida, mas ficai sabendo que são tão-só serpentes enroladas sobre si próprias em várias dobras. Quando ouvis gritar as vossas entranhas, é a serpente a assobiar, essa que, seguindo a tendência natural para a gula com a qual outrora incitou o primeiro homem a comer demais, reclama também comida; pois Deus que, para vos castigar, queria tornar-vos mortal como os outros animais, fez-vos obcecado por essa insaciável, de tal maneira que se a alimentardes demasiado, sufocareis; e se lhe recusardes o sustento quando, com seus dentes invisíveis, essa esfomeada morde o vosso estômago, ela grita, vocifera, despeja o veneno a que os vossos doutores chamam bílis e que inflama as vossas artérias até consumir a vossa pessoa. Enfim, para vos provar que as vossas tripas são uma serpente que tendes dentro do corpo, lembrai-vos que foram encontradas serpentes nos túmulos de Esculápio, de Cipião, de Alexandre, de Carlos Martel e de Eduardo da Inglaterra, as quais ainda se alimentavam dos cadáveres dos seus hóspedes. – com efeito, disse-lhe interrompendo-o, reparei que como essa serpente está sempre a tentar sair do corpo do homem, vê-se-lhe a cabeça e o pescoço brotar do nosso baixo-ventre. Mas Deus também não permitiu que o homem fosse o único ser por ela atormentado e quis vê-la erecta contra a mulher para nela derramar seu veneno cujo inchaço dura nove meses a contar do instante em que foi picada.
A cocção, como se faria no estômago se o coração não fizesse chegar lá o calor pelas artérias, e, além disso, algumas das partes mais fluidas do sangue, que ajudam a dissolver as carnes que para ali enviámos?
Mas apercebo-me de que digiro mal e de que toda esta triste filosofia nasce de um estômago obstruído.
A barriga é o maior de todos os deuses.
Man ist, was man ißt (É-se o que se come).
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Vous saurez donc qu’après qu’Ève et son mari eurent mangé de la pomme défendue, Dieu, pour punir le serpent qui les avait tentés, le relégua dans le corps de l’homme. Il n’est point né depuis de créature humaine qui, en punition du crime de son premier père, ne nourrisse un serpent dans son ventre, issu de ce premier. Vous le nommez les boyaux et vous les croyez nécessaires aux fonctions de la vie, mais apprenez que ce ne sont autre chose que des serpents pliés sur eux-mêmes, en plusieurs doubles. Quand vous entendez vos entrailles crier, c’est le serpent qui siffle et qui, suivant ce naturel glouton dont jadis il incita le premier homme à trop manger, demande à manger aussi, car Dieu qui, pour vous châtier, voulait vous rendre mortel comme les autres animaux, vous fit obséder par cet insatiable, afin que si vous lui donniez trop à manger, vous vous étouffassiez; aussi, lorsque avec les dents invisibles dont cet affamé mord votre estomac, vous lui refusiez sa pitance, il criât, il tempêtât, il dégorgeât ce venin que vos docteurs appellent la bile, et vous échauffât tellement par le poison qu’il inspire à vos artères que vous en fussiez bientôt consumé. Enfin pour vous montrer que vos boyaux sont un serpent que vous avez dans le corps, souvenez-vous qu’on en trouva dans les tombeaux d’Esculape, de Scipion, d’Alexandre, de Charles Martel et d’Édouard d’Angleterre qui se nourrissaient encore des cadavres de leur hôte. – En effet, lui dis-je en l’interrompant, j’ai remarqué que comme ce serpent essaie toujours de s’échapper du corps de l’homme, on lui voit la tête et le col sortir au bas de nos ventres. Mais aussi Dieu n’a pas permis que l’homme seul en fût tourmenté, il a voulu qu’il se bandât contre la femme pour lui jeter son venin, et que l’enflure durât neuf mois après l’avoir piquée. Cyrano de Bergerac, Les états et empires de la lune La coction, comment se ferait-elle en l’estomac, si le cœur n’y envoyait de la chaleur par les artères, et avec cela quelques unes des plus coulantes parties du sang, qui aident à dissoudre les viandes qu’on y a mises? René Descartes, Discours de la méthode Mais je m’aperçois que je digère mal, et que toute cette triste philosophie naît d’un estomac embarrassé. Denis Diderot, Lettre à Sophie Volland, 3 novembre 1959 Le ventre est le plus grand de tous les dieux. Euripide Man ist, was man ißt (On est ce qu’on mange). Ludwig Feuerbach 105
A expressão popular «os sonhos vêm do estômago» explica aquilo que entendemos por excitantes do sonho, fontes do sonho.
Qual é o leitmotiv militar do intestino delgado? Todas as manhãs, delega em quem fala curto e grosso: missão cumprida, meu cólon.
É depois do jantar que o homem tem mais ideias. Do estômago cheio parece desprender-se o pensamento, como dessas plantas que suam instantaneamente pelas folhas a água com a qual foi regado o seu torrão.
A insurreição tem a ver com o espírito, o motim com o estômago.
A carne é cinza, a alma é chama. O espírito e o corpo estão em estreita dependência recíproca: chegam à maturidade mais ou menos simultaneamente. Um espírito só amadurece plenamente quando o corpo ao qual se contra ligado pelo cérebro ultrapassa a idade da puberdade.
O homem moderno é ainda um tubo digestivo antes de ser um cérebro.
Borborigmos! borborigmos!... Surdos grunhidos do estômago nas entranhas, Queixas da carne constantemente modificada, Vozes, cochichos irreprimíveis dos órgãos, Voz, a única voz humana que não mente, E que até persiste durante um tempo após a morte fisiológica… (…) Borborigmos! borborigmos... Será que também há borborigmos nos órgãos do pensamento, Inaudíveis através da espessura da caixa craniana?
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L’expression populaire «les rêves viennent de l’estomac» explique ce que nous entendons par excitants du rêve, sources du rêve. Sigmund Freud, La science des rêves Quel est le leitmotiv militaire de l’intestin grêle? Chaque matin, il balance: mission accomplie, mon côlon. Serge Gainsbourg, Pensées, provocs et autres volutes C’est après dîner que l’homme a le plus d’idées. L’estomac rempli semble dégager la pensée, comme ces plantes qui suent instantanément par leurs feuilles l’eau dont on a arrosé leur terreau. Edmond et Jules Goncourt, Idées et sensations L’insurrection confine à l’esprit, l’émeute à l’estomac. Victor Hugo, Les misérables, IVème partie, livre dixième, chap. II Le fond de la question La chair est cendre, l’âme est flamme.
Victor Hugo, L’homme qui rit
L’esprit et le corps sont en étroite dépendance réciproque: ils arrivent à maturité plus ou moins simultanément. Un esprit n’est pleinement mûr que lorsque le corps auquel il est lié par le cerveau a passé l’âge de la puberté. Aldous Huxley, Le plus sot animal L’homme moderne est encore un tube digestif avant d’être un cerveau. Henri Laborit, Biologie et structure Borborygmes! borborygmes!... Grognements sourds de l’estomac dans les entrailles, Plaintes de la chair sans cesse modifiée, Voix, chuchotements irrépressibles des organes, Voix, la seule voix humaine qui ne mente pas, Et qui persiste même quelque temps après la mort physiologique… (…) Borborygmes! borborygmes... Y en a-t-il aussi dans les organes de la pensée, Qu’on n’entend pas, à travers l’épaisseur de la boîte crânienne? Valéry Larbaud, Les poésies d’A.-O. Barnabooth, Prologue 107
Há pessoas que julgam que basta pensar que temos um motor no lugar do coração, cilindros nos pulmões, um botão da ignição no sítio do fígado, uma cambota nas entranhas e um carburador no estômago.
Os miolos pastosos julgaram que a sua fermentação era a alma, que o apodrecimento das carnes era a história, os meios de adiar esse processo eram a civilização.
Os alimentos exercem sem dúvida uma grande influência sobre a condição humana tal como ela se apresenta nos nossos dias. É o vinho que mais ostensivamente exerce o seu poder; o dos alimentos é mais lento, em verdade, mas não menos certo. Quem sabe se não devemos a bomba de ar a uma sopa bem preparada e, quantas vezes, uma guerra a uma outra menos conseguida? Eis uma questão que exigiria uma pesquisa aprofundada. Quem sabe se o Céu não atinge assim os seus vastos fins, apoiando os súbditos fieis, derrubando tronos e libertando Estados, e se os alimentos não são, de facto, responsáveis daquilo a que chamamos «influência do clima»?
As coisas mais importantes fazem-se nos canos. Os membros da geração, a pena do escritor e a nossa espingarda: sim! o que é o homem a não ser um feixe confuso de canos?!
É triste não se poder ver as entranhas eruditas dos escritores para descobrir o que comeram.
Popper: A dor de dentes é muito consciente, mas não é um processo intelectual superior (…) a banal dor de dentes pode monopolizar totalmente a minha consciência. Lorenz: «E só na cavidade apertada do queixal se esconde a alma», diz Wilhelm Busch.
Em todas as idades, em todos os tempos, em todos os lugares, seja qual for a situação em que nos encontramos, o estômago exerce sobre o cérebro uma prodigiosa influência. 108
Il y a des gens qui croient qu’il suffit de penser qu’on a un moteur à la place du cœur, des cylindres dans les poumons, un delco à la place du foie, des villebrequins dans les entrailles et un carburateur dans l’estomac. Jean-Marie Gustave Le Clézio, Les Géants Les cervelles pâteuses prirent leur fermentation pour l’âme, le pourrissement des viandes pour l’histoire, les moyens de le retarder pour la civilisation. Stanislas Lem, Retour des étoiles Les aliments ont sans contredit une très grande influence sur la condition humaine telle qu’elle est de nos jours. C’est le vin qui exerce le pouvoir le plus ostensible; celui des aliments est certes plus lent mais tout aussi certain. Qui sait si l’on n’est pas redevable de la pompe à air à une soupe bien préparée et, souvent, d’une guerre à une qui l’est moins? Voilà qui exigerait une recherche approfondie. Qui donc sait si le Ciel n’atteint pas ainsi ses vastes fins, soutenant les sujets fidèles, bousculant les trônes et libérant les États, et si les aliments ne sont pas, en fait, responsables de ce qu’on nomme «influence du climat»? Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme (aphorismes) Que les plus importantes choses se font par des tuyaux. Les membres de la génération, la plume de l’écrivain et notre fusil: oui! qu’est-ce donc que l’homme, sinon un faisceau confus de tuyaux! Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme (aphorismes) Il est triste qu’on ne puisse voir les entrailles érudites des écrivains afin de découvrir ce qu’ils ont mangé. Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme (aphorismes) Popper: Le mal de dents est très conscient, mais ce n’est pas un processus intellectuel supérieur (…) le vulgaire mal de dents peut accaparer ma conscience entièrement. Lorenz: «Et il n’y a que dans les étroites cavités de la molaire que se niche l’âme», dit Wilhelm Busch. Konrad Lorenz & Karl Popper, L’avenir est ouvert À tout âge, en tout temps, en tous lieux, dans quelque situation qu’on se trouve, l’estomac influe prodigieusement sur le cerveau. Jean-Baptiste Louvet de Couvray, Une année dans la vie du chevalier de Faublas 109
Expulsa aquilo que se diz morar nos esconderijos da nossa noite de vísceras, porventura a alma, e o outro orifício, humilior, rege o sopro virado ao avesso da decomposição piroclástica.
Quando a alma abandona o corpo pela barriga para nadar, produz-se uma tal libertação de não sei quê, é um abandono, um gozo, um relaxamento tão íntimo (…) Então, quando ela se encontra ocupada a nadar ao longe, por esse simples fio que liga o homem à alma derramam-se volumes e volumes de uma espécie de matéria espiritual, como lama, como mercúrio ou como um gás.
Amo aquele que é livre de espírito e livre de coração; como tal sua cabeça é tão-só intestino de seu coração (mas seu coração leva-o à perdição).
Aprenderam mal, e não aprenderam o melhor, e aprenderam demasiado cedo e demasiado depressa: comeram mal e foi isso que lhes estragou o estômago. …porque o seu espírito é um estômago estragado: ele aconselha a morte! Porque, em verdade, meus irmãos, o espírito é um estômago!
A seriedade, esse sintoma evidente de uma má digestão.
O homem era o que comia – «é o que come» –, seu cérebro produzia os pensamentos como o fígado produz a bílis, e seu espírito provinha de seu estômago.
…medir que dose de forças a civilização, no seu estado actual, rouba ao sexo, a partir do início da puberdade, a fim de a dirigir para o cérebro. Por conseguinte, uma comparação com os gansos não nos parece ilícita: aquilo que conseguimos, por entupimento, engorda e sobrealimentação, a fazer com eles – o «foie gras» –, a nossa civilização conseguiu obtê-lo, pela sua prática secular, das nossas disposições cerebrais: estou a falar do cérebro humano.
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Il expulse ce qu’on dit se tenir dans les cachettes de notre nuit de viscères, l’âme peut-être, l’autre orifice, humilior, régissant le souffle retourné de la décomposition pyroclastique. Giorgio Manganelli, La nuit Quand l’âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c’est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime (…) Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l’homme à l’âme s’écoulent des volumes et des volumes d’une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz. Henri Michaux, Mes propriétés J’aime celui qui est libre d’esprit et libre de cœur: ainsi sa tête n’est que l’intestin de son cœur (mais son cœur le mène à sa perte). Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra Ils ont mal appris et ils n’ont pas appris les meilleures choses, tout trop tôt et tout trop vite: ils ont mal mangé, c’est ainsi qu’ils se sont gâté l’estomac. …car leur esprit est un estomac gâté: c’est lui qui conseille la mort! Car en vérité, mes frères, l’esprit est un estomac! Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra Le sérieux, ce symptôme évident d’une mauvaise digestion. Friedrich Nietzsche L’homme était ce qu’il mangeait − «il est ce qu’il mange» −, son cerveau produisait les pensées comme le foie produit la bile, et son esprit procédait de son estomac. Oscar Panizza, L’illusionnisme et le salut de la personnalité …mesurer quel apport de forces la civilisation, à son stade actuel, retire au sexe, dès le début de la puberté, pour le diriger vers le cerveau. Aussi une comparaison avec les oies ne nous paraît-elle pas illicite: ce que nous réussissons, par engorgement, gavage et suralimentation, à faire avec cellesci – le foie gras –, la civilisation l’a obtenu, par sa pratique séculaire, de nos dispositions cérébrales: j’ai nommé le cerveau humain. Oskar Panizza, La surcharge sexuelle de la psyché comme source de l’inspiration artistique 111
Um peido do cérebro, não solicitado, que explode no meio da mais consequente sociedade, ou solidão. O cérebro trabalha como os intestinos. É um gás cerebral.
O corpo é o túmulo da alma.
Geronte:
Parece-me que está a colocá-los no sítio errado, que o coração está do lado esquerdo e o fígado do lado direito. Esganarelo: Pois, dantes era assim, mas a gente mudou isso tudo.
Quando a barriga está vazia, o corpo torna-se espírito; quando está cheia, o espírito torna-se corpo.
Dos meus estados de alma, a neve é o que prefiro.
Um pedante é um homem que digere mal intelectualmente.
O espírito está mais ou menos para a inteligência verdadeira como o vinagre para o vinho robusto de boa colheita: bebida dos cérebros estéreis e dos estômagos doentios.
Apercebemo-nos de que temos estômago bem antes de pressentirmos que temos alma. Os olhos são os espelhos do corpo, dizem muito mais sobre o estado das nossas vísceras do que sobre o da nossa alma ou do nosso espírito.
O estômago é o chão onde o pensamento germina.
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Un pet du cerveau, non sollicité, qui explose au milieu de la plus conséquente société, ou solitude. Le cerveau travaille comme les intestins. C’est un gaz du cerveau. Georges Perros, Papiers collés 1 Le corps est le tombeau de l’âme. Platon, Cratyle Géronte: Il me semble que vous les placez autrement qu’ils ne sont; que le cœur est du côté gauche et le foie du côté droit. Sganarelle: Oui, cela était autrefois ainsi, mais nous avons changé tout cela. Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, Le Médecin malgré lui, II, 4 Quand le ventre est vide, le corps devient esprit; quand il est rempli, l’esprit devient corps. proverbe persan De mes états d’âme, la neige est celui que je préfère. Jules Renard, Journal Un pédant est un homme qui digère mal intellectuellement. Jules Renard, Journal L’esprit est à peu près, à l’intelligence vraie, ce qu’est le vinaigre au vin solide et de bon cru: breuvage des cerveaux stériles et des estomacs maladifs. Jules Renard, Journal 1887-1892 On s’aperçoit qu’on a un estomac bien avant de se douter qu’on a une âme. Pierre Reverdy, Le gant de crin Les yeux sont les miroirs du corps, ils en disent beaucoup plus long sur l’état de nos viscères que sur celui de notre âme ou de notre esprit. Pierre Reverdy, Le livre de mon bord L’estomac est le sol où germe la pensée. Antoine Rivaroli, dit Rivarol 113
Sem a alma, o corpo não teria sentimentos; e sem o corpo, a alma não teria sensações.
Ei-la. A pequena alma, ali está ela, disse ele designando com precisão o centro do peito.
Os climas, as estações, os sons, as cores, a obscuridade, a luz, os elementos, os alimentos, o barulho, o silêncio, o movimento, o repouso, tudo age sobre a nossa máquina, e sobre a nossa alma.
Quem não gosta de ostras, nem de espargos, nem de bom vinho, não tem alma nem estômago.
Deveria ser possível amar tudo numa pessoa, o esófago, e o fígado, e os intestinos. Talvez isso não aconteça por falta de hábito, se os víssemos como se vêm mãos e braços porventura amá-los íamos.
...como o ar se liberta da terra porosa e pensante, como a alma sobretudo atravessa o corpo.
É pelo horror das necessidades naturais que se pode explicar este gosto infeliz que ele ostentava pela arte culinária da qual não percebia nada e as suas intermináveis discussões com os tasqueiros. Precisava de disfarçar a fome; não se dignava comer para saciar o apetite mas para apreciar, através dos dentes, da língua e do palato, uma certa espécie de criação poética. Aposto que preferia as carnes com molho aos grelhados e as conservas aos legumes frescos. Para grande pança, magros miolos! Os bocados suculentos, se enriquecem a carne, levam o espírito à bancarrota.
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Sans l’âme, le corps n’aurait pas de sentiment; et sans le corps, l’âme n’aurait pas de sensations. Antoine Rivaroli, dit Rivarol Voilà. La petite âme, elle est là, dit-il en désignant avec précision le milieu de sa poitrine. Christiane Rochefort, Le repos du guerrier Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l’obscurité, la lumière, les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme. Jean-Jacques Rousseau, Les confessions, Livre IX Qui n’aime ni les huîtres, ni les asperges, ni le bon vin, n’a pas d’âme et pas d’estomac. Saki On devrait pouvoir aimer tout d’une personne, l’œsophage, et le foie, et les intestins. Peut-être qu’on ne les aime pas par manque d’habitude, si on les voyait comme ils voient nos mains et nos bras peut-être qu’on les aimerait. Jean-Paul Sartre, Le Mur ...comme l’air s’échappe de la terre poreuse et pensante, comme l’âme surtout traverse le corps. Jean-Paul Sartre, Baudelaire C’est par l’horreur des besoins naturels qu’on peut expliquer ce goût malheureux qu’il affichait pour l’art culinaire où il n’entendait rien et ses interminables discussions avec les gargotiers. Il fallait qu’il déguisât sa faim; il ne daignait pas manger pour s’assouvir mais pour apprécier par les dents, la langue et le palais, une certaine espèce de création poétique. Je parierais qu’il préférait les viandes en sauce aux grillades et les conserves aux légumes frais. Jean-Paul Sartre, Baudelaire À large panse, maigre cervelle! Les morceaux succulents, s’ils enrichissent la chair, mettent l’esprit en banqueroute. William Shakespeare, Peines d’amour perdues 115
Somos manequins montados numa carcaça oca e temos o fígado no lugar do coração.
Comer é uma necessidade do estômago, beber é uma necessidade da alma.
Fabricam-se tantos excrementos nas circunvoluções cerebrais como nas intestinais, mas a merda mental evacua-se menos regularmente, e sobretudo menos facilmente.
Nada de mais original, nada de mais «eu» do que alimentar-se de outros. O leão é feito de carneiro assimilado.
A admirável virtude de pastilhas de cérebro cujo efeito não é aguçar a lucidez, mas antes acelerar o trânsito intestinal; não é provocar relâmpagos nos miolos, mas remoinhos nas tripas; não é dar génio, mas desencadear gorgolejos; não é suscitar na pessoa uma invenção, um poema, um pensamento que honram a humanidade, mas fazê-la correr para a sanita.
O homem preferirá sempre que se apiedem da debilidade do seu fígado do que da debilidade da sua alma, que se apaixonem pelos litígios com o seu rim flutuantes, por um cálculo na sua vesícula biliar, pelos espasmos da sua próstata ou pelas contracções do seu esfíncter e pelas vitórias que contra eles alcança, mais do que pelos seus litígios com o diabo, a tentação, os escrúpulos de consciência, as angústias e as vitórias que contra todos estes últimos alcança.
Se então olhar para os meus semelhantes em redor, de novo sou acometido por temores. Vejo rostos ásperos e animados, outros baços e perigosos, outros fugidios e mentirosos, sem que nenhum possua a calma autoridade de uma alma razoável: Tenho a impressão de que o animal vai, de súbito, reaparecer em todos esses rostos… 116
Nous sommes des mannequins montés sur une carcasse creuse et nous avons le foie à la place du cœur. Henry David Thoreau, Plaidoyer pour John Brown Manger est un besoin de l’estomac; boire est un besoin de l’âme. Claude Tillier, Mon oncle Benjamin Il se fabrique autant d’excréments dans les circonvolutions cérébrales que dans les intestinales, mais la merde mentale s’évacue moins régulièrement, et surtout moins facilement. Roland Topor Rien de plus original, rien de plus «soi» que de se nourrir des autres. Le lion est fait de mouton assimilé. Paul Valéry, Tel quel L’admirable vertu de cachets de cerveau dont l’effet n’est pas d’affûter votre lucidité, mais d’accélérer votre transit intestinal; non de provoquer des éclairs dans votre cervelle, mais des remous dans vos tripes; non de vous donner du génie, mais des gargouillements; non de susciter en vous une invention, un poème, une pensée qui honorent l’humanité, mais de vous faire galoper aux cabinets! Pierre Véry, Le pays sans étoiles L’homme préfèrera toujours qu’on s’apitoie sur la débilité de son foie plutôt que sur la débilité de son âme, que l’on se passionne pour ses démêlés avec son rein flottant, un calcul dans sa vésicule biliaire, les spasmes de sa prostate ou les contractions de son sphincter et les victoires qu’il remporte sur eux, plutôt que pour ses démêlés avec le diable, la tentation, les scrupules de conscience, les angoisses et les victoires qu’il remporte sur eux! Pierre Véry, Le pays sans étoiles Si, alors, je regarde mes semblables autour de moi, mes craintes me reprennent. Je vois des faces âpres et animées, d’autres ternes et dangereuses, d’autres fuyantes et menteuses, sans qu’aucune possède la calme autorité d’une âme raisonnable. J’ai l’impression que l’animal va reparaître tout à coup sous ces visages... Herbert George Wells, L’île du docteur Moreau 117
table des matières la passerelle mirabelle anciennetés parti pas pris
3 31 33 le corps du texte 34 venus d’ailleurs 36 inconfort des habits neufs 38 la bête qui m’hante 40 défense du fruit 42 elle-même 44 rebrousser 46 épi fané 48
l’essai de famille
51 flagrant mort 52 l’amer 54 la paire 56 lave-âme 58 le marri 60 la vigne 62 le vice 64 l’atrophie 66 traite de l’âme 69 tráfico da alma 70 traite de l’âme 2 / cœur au ventre 99 tráfico da alma 2 / coração das tripas 100