Lieux dits interior

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TABLE DES MATIÈRES – petit théâtre chambré –


Ceux qui naissent d’une cause dernière te parlent. Une chimie d’outre-tombe les aura liquidés, liquéfiés, flot de larmes qui ne sont pas permises en scène. Ils te parlent de leurs tribulations et des petites actions entre les paroles qu’aucun jeu de rôle ne saurait réduire à la souplesse du geste et pour cause dernière. Ceux qui se plaisent à ne pas plaire, car ils s’engouffrent dans d’autres questions, pas posées, pas de pose qui leur convienne au BEAU milieu des ruines, te font part et parti vraiment pas pris. N’a-t-on pas conspiré, tous autant qu’on s’imaginait, et conçu – pour s’en rendre infiniment coupables – le délabrement de cette maison mémère où les répliques et les motifs sont soufflés? Or, attendu que nous étions enfermés dans des murs de chair et supportés par fondements et poutres invisibles, notre point de mire et de vue briguait cette cible cachée un peu à gauche. 4


Si, comme ce vocable venu des astres, devenu, hélas, un mot passe-partout, semble l’indiquer, le mouvement de la volonté vers un bien et le sentiment de privation en son absence ne sont pas désormais sujets tabous, ceux qui naissent trop naïfs pour se comprendre – autrement dit: ceux qui s’éprennent – te demandent en quoi cela relève d’un domaine étranger à l’arbitre et au vœu et par quelle malice cela élude et se dérobe, tout en collant à la langue, bien au centre du visage. Et vis-à-vis de quoi, précise-t-on. C’est que, vois-tu, il est des recoins grouillants d’une pensée qui refuse obstinément de faire da part des choses. S’agit-il de s’inscrire en faux contre la lumière tapie qui se cherche dans l’ombre, contre les plis jamais lissés d’un corps qui ne s’en remet pas de naître à tour de bras? Je mettrai, pour ne pas me trahir, du vin dans mon eau et pas l’inverse. Car, attendu que nous étions seuls et reclus dans chaque cellule de notre peau, 5


mais pourtant adossés à l’air du large comme des voiles troués, notre point d’attache et de rupture n’en paraissait que plus minime et ferme. Une exégèse de l’inusable nous autorisait à tremper les lèvres dans des thèmes tirant vers le fond, vers la trame, vers l’éclat. Ô lune cuisante, presque pleine sur fond de nuit presque vide – aux plus hautes fenêtres, on aperçoit à cette heure quelle heure le reflet terne des nuages ou l’humeur massacrante des lampes tamisées par et pour. Derrière les jalousies, il n’y a pourtant pas de rideau méritant ce nom théâtral, alors c’est comme si la lueur domestique s’épuisait elle-même avant de dévaler la façade, de déferler enfin, vague mais plus du tout vague, si tu vois ce que j’insinue... Sois sage, ô mon violeur, et tiens-toi comme il faut. Tu réclamais le noir? Courbe-toi, dis merci. Une autruche à deux têtes fait le tour du cerveau, faisant croire à nos yeux qu’ils auront un sursis. Rien de tel que les canons 6


quand on se propose de sonder la distance entre ce que l’on pige et les pièges rhétoriques. Par exemple: si je te dis je t’aime tu me dis je le sais et, sur ton visage torturé, s’affichent quelques longueurs d’avance. Par suite, ceux qui tentent de récupérer leurs possibles – ainsi que la cible qui les hypnotisait, au dé part, s’estiment parfois en mesure de parler, de déborder le cadre de la conversation. Ils se prennent par la main afin de plumer le duvet d’un peloton de danseuses de cancan et nombre d’accords sucrés, pimentés, pelucheux, incapables de coucher sur la paille mais sonnant comme si. Hélas ils se noient dans leur salive, pauvres andouilles travesties de perroquets – une âme bien intentionnée se cassera le cul pour leur annoncer: «Tout le monde n’est pas indésirable». S’il fallait croire sur boussole la parole de tes masques, on compterait bientôt au nom des formes inédites 7


la figure du mensonge permanent du mensonge transparent, sous les pavés la page et ainsi de suite. Ergo, quand bien même un mensonge paraîtrait pieux au yeux d’un athée, comment faire reculer l’horizon sur la seule base du mirage, le voyeur s’efforçant, mais point trop, de tromper, le voyant se laissant, sans effort, se faire «avoir»? Il est probablement un ton qui justifie tous les tons. Un ton vaut mieux qu’un tien, un tu l’auras, un tu l’as eu, et ainsi de suite... Cependant, l’artiste ou l’amant retranché derrière la chiche conviction que l’autre n’y voit que du feu cet artiste, cet amant, doit-on entendre son appel comme s’il nous venait du vaste champ magnétique de la liberté? 8


Ces gens, des gens, qui prennent l’ascenseur et qui s’enferment dedans simulant la marée montante et je ne sais quel ciel à portée du puits ne sont pas parvenus à me détourner de ma quête à l’horizontale. Plate. Bande. Et en dépit de cette effrayante coïncidence – mais qui effraie qui? – qui permet de superposer l’illisible et l’indésirable, je ne me tiens pas sur mes gardes. On ne s’étonne pas assez de la fluctuation des monnaies d’échange chez les humains, de leur notion du cours, du haut et court. Ayant pris l’habitude d’embrasser avec les yeux, de caresser avec les tympans, j’embrasse également la croyance en la chair que l’on ne saurait ceindre et je caresse le mirage de l’enclos de mes tympans troués tels des poches tels que. Ceux qui naissent bravent la muraille de cris qu’on associe à l’enfantement – au leur, par exemple, pour exemplaire qu’il s’avère n’être pas. 9


Ceux qui naissent ne se pourlèchent pas les babines devant la poire coupée en deux et c’est tant pis pour leurs pommes. Car la cadence du marche ou crève de toutes les heures étriquées, trépanées par quoi de neuf qui nous sèment et qui s’égrènent au petit bonheur la chance effroi et froid d’effrayance idée aux pieds de poupée nous donnent envie de gerber. Faut pas, croyons-nous, chacun de moi, s’en tenir au politique ni à plus forte raison au peaulitique. Ça ne rend pas fou, ça rend sage – ce qui ce qui ne nous engage en rien, m’entends-tu? Gommage gommage gommage des épithètes tendant vers l’avenir des attributs déchiquetant le passé et des majuscules assassines – on n’en est plus à peaufiner, à finasser, 10


ni à jouer les fines bouches pour le plus offrant, chat botté ou autre beauté des sept lieues... Gommage d’images bienmalacquis ou malbienacquis et ainsi de suite. Des copistes sans original sous les yeux ont mis le feu à leurs propres cils mais c’est le décor qui a brûlé la taise, la chable, la fable, la pluche, le parmechin, le machin, se retrouvent au cœur de cet âtre improvisé thé. Mille chansons pour nous confondre, nous aurons, et nous fondrons en larmes de croco trop sincère, te disent ceux qui naissent couverts de croûtes couverts par leurs propres cris. Mille chansons et des savons dont les caresses effacent et se prolongent à rebours d’un goût pour le verdict faute de fonds de commerce et d’arrière-boutique et de ces arrière-pensées qui font la loi, qui sont la loi. Ô langue de bois, pas cette autre-là, et point de bois dormant s’offrant au plus offrant non plus, car seule la langue se perd au point où la parole nous égare, nous égaie 11


et tait ce qu’il y aurait à distraire de bonne foi, bon pied, bon œil. Du coup, ce n’est pas le silence qui accorde les meilleurs répits, les plus rapsodiques, ajouterons-nous. Enfin, ceux qui naissent tant qu’ils sont privés d’ivresse jouiront à tout le moins du tremblement. Cherche donc, amore mio, que tu sois façade aveugle ou devanture défoncée, toit de chaume sans chaumière ou toit de verre certifié. Cherche-nous afin que nous nous trouvions trouvés d’avance, comme dans ces jeux d’enfants merveilleux – les mômes autant que leur règle conçue pour être transgressée. L’antagoniste se dessine comme un nu Age de poussière Un nUage nu qui a l’air en habit qui nuAge craint le lang 12


Age du tonnerre. Je pense à cor et à cri. Je pense à tue-tête à toi je pense. Pas de cailloux à lancer. Pas de paroles à livrer. C’est tout mon corps qui s’élance vers ce lieu où tu parais et tu culbutes. Je bute contre l’évanescence. But contre but. Une fois tous les sujets ratiboisés, les autres mots bourgeonnent. Cependant, les phrases ad hoc sonnent aussi creuses que des ventres, bien que mélodieuses comme des poussées de fièvre d’un enfant malade qu’on ne saurait empêcher de grandir. Demeure le sentiment de naître sans aide qui camoufle tous les besoins, y compris celui qui recèle l’appel constant – celui des êtres qui ne sont pas faits pour survivre seuls. Alors la voix, 13


telle une arme à double tranchant, fait entendre les inflexions de sa lame et le sang qui en découle ce sang en tête à queue ce sang qui est foule. Je crois bien que la voix du vin fait exploser le vieux tonneau, la voix de l’eau embrase les aubes trop longtemps dormeuses, la voix du lait fissure les parois des nuits d’outremer. Mais si je me surprends couchée froissée dans ta pupille, je lis non sans peine extrême que tu as tiré le mauvais numéro: celui du mot à mot arraché aux lèvres dédisantes. Mais si je me berce sous cape aux vagues précises de tes cernes, je lis non sans chagrin dépité que tu me comptes sur les doigts d’une seule main et tous de chiffres ulcérés dans l’autre – petites plaies de la pensée qui voit grand et s’en prend courroucée à l’en deçà. Dis-moi donc, 14


si tu le peux, que tu reconnais la morsure, l’origine des dents, la menue monnaie de migraine qui tinte à la nuque, comme des appartenances plus anciennes que les vents de guérison devant lesquels les barques se brisent, les bras du compas se referment et les regards s’enlisent inéluctablement. Une délivrance si poisseuse et percutante qu’elle bourdonne encore au bas des reins. Celle-là, oui. Et puis puissssque ton bon vouloir travaille sa mauvaise mine, dis-moi aussi où ça l’habit de feuille jaunie qui mijote sous l’écorce, dis-le par tous les moyens et de toutes tes forces car s’écorcher serait sans doute la manière la moins maniérée de retrouver des pans cachés de peau si neuve si veuve sous notre vieille peau de pot aux roses. J’habite clandestinement l’odeur de cette courte tempête tropicale 15


que tu as bue et commentée telle un breuvage renversé et un pur renversement. J’habite là où il est mal venu de bâtir son nid nomade. Haut en couleur, tu réclames. Ça manque d’espace dans ton secret alors que tu en réclamais la transparence la parenté limpide, parure et farce rivalisant dans ce qui sera décrit comme le repos du héros. Pas l’interrogatoire pas le perquisitoire pas la semblance pas le jeu des irritables tournantes, juste une méditation dévergondée sur le prêt-à-porter, prêt-à-partir, et cette unique excuse à présenter. Souviens-toi, diseur, là où je vais chargée de ton pardon comme un baudet, l’odeur de sainteté n’est pas de mise et nul ne songerait à s’excuser. Lasse d’essayer tous les agrès et les exercices qui vont avec, la pensée trampoline, insuffisamment muselée insuffisamment musclée, se concentre sur la figure de l’arbre 16


sur son ombre ambrée, sur cette platitude jetée au sol, croissante et décroissante, qu’on ne saurait gravir ou sauter – adieu sommes et sommets, c’est en bas que ça se casse et gourmand celui qui se tait la bouche pleine maxillaire hilare celui celle-ci qui se trahit... Les mots ils en sont tous au ce soir théâtre: prière de garder son souffle court. Ils en sont à la nuit des coulisses: prière de bien montrer ses longues dents. Du plus ténor au plus fausset, leur bel canto m’affolerait si par tic de vedette je déchantais tout autant. Esseulée comme cette ombre, ce candélabre bistré, cette nappe tatouée d’herbes folles et miettes aimantes, me voici à la poursuite de ton soleil haletant me voici en délirance 17


et sur les traces fumantes d’une bonne idée criminelle, je ne sais laquelle, de je ne sais quel scélérat impensable provisoire aussi provisoire qu’un être accepte d’être. Oiseau cherche juchoir. Branche cherche vue imprenable. Bras cherche bras de fer pour finir coincé et toucher du bois. Je me souviens qu’à l’heure de l’ouverture des livres, on ne lisait pas, pas même en diagonale, on se battait plutôt pour un refuge en bas de page, car le grand écart du regard était notre magot, notre mot de passe-impasse. Je me souviens ensuite et sans fin des poussées d’enfer où il y aurait mise à bas. Y étais-tu? Et surtout – réponds, il y va de ma vie – que distingue-t-on 18


au loin si aisément? Est-il possible que l’on ne discerne que ce qui fut proche un jour, ce qui est sûr et incertain, ce qui est hors d’atteinte et nous éblouit néanmoins? La parole rampante n’a guère besoin de prise. Elle s’accroche à la plante des pieds et s’offre à ce qui marche vers le déracinement. La parole rampante décide d’une calligraphie incapable de flirter avec l’éphémère et, comme dans un véhicule soudain privé de chauffeur, les fantômes passagers ballottés par les ornières du texte et par un sentiment diffus d’effraction – à la ligne – hurlent de joie et d’effroi. Dissidence calligraphique ou simple coïncidence: – laissons l’accident trancher. La parole rampante s’oblige à formuler un tas de mauvaises questions – pas assez inquiétantes vu qu’elles n’inquiètent personne. L’attrait des sources, des bouches, des lits et des embouchures 19


vaut-il que l’on s’y attarde? L’abstraction et son concret et les ruines attenantes me conseillent, tour à tour, de m’écarter du passage, et d’écourter mon séjour. J’attends la fin la nuit pour me napper de rosée sachant que de ton côté avril mais sans te découvrir d’un fil. Ainsi soit-il? Ô dame au jardin boudeur Ô dame à la tour flambante Ô dame au corps de métier Ô dame à l’esprit de corps Ô dame chercheuse d’or entre limon et gravier Ô dame aux mains dégantées Ô dame aux mains d’ivoire fissuré Ô mains aux doigts édentés Ô mains qu’il fallait toucher – dame! – pour croire et pour s’y fier. Ceux qui naissent se tiennent à l’entrée des entrailles, ils voient au travers de fonds de bouteilles, et leur vin amniotique, vitreux, visqueux, 20


te ferait boire du dedans. Ils se rappellent qu’il fut un temps où tu semblais avoir envie de leur montrer ton pays, mélangeant le c’est et l’est-ce et la fumée sans feu à l’autre, toujours autre à chaque volute. Ils se rappellent et la force de frappe de l’oubli est pourtant très diabolique et plus marchande je tue, car ses modes d’omission, d’étourderie, de manquement, se donnent des airs de conclure les meilleures affaires – celles où l’on fixe son prix et on compose avec la réalité. Ils se rappellent que tu ne lésinais pas sur la palabre, chipotant pour ne pas pleurer, ça ils sont prêts à l’admettre, case de départ oblige. Ils se rappellent le désir ardent d’être attendus et que cela leur paraissait délicat, pas courtois, délicat, 21


grossier, sans-gêne, malappris, voilà. Ceux qui naissent n’en meurent pas moins, au contraire, ils restent dans l’anti-climax et ça les regarde plus qu’on ne saurait l’avouer. Ils entreprennent d’escalader des montages en miroir et récoltent sept ans de malheur – qui aura brisé quoi et dans quelle mémoire garde-t-on amoureusement les éclats des cimes pour se blesser avec en s’entendant dire: avec le temps espérez le pire? Ceux qui naissent soudain ne saignent plus. Il leur arrive de n’être pas arrivés. C’est ça. Ils se rendent comptent que leur voix est restée amarrée à un quai – introuvable ce quai – alors qu’on les avait rassurés sur leur état et vanté les bienfaits du voyage, etc. 22


Ceux qui naissent ne se détournent pas mais on leur reproche d’en avoir trop bavé, c’est salissant et répugnant, cette TRACE et que l’on puisse la suivre aussi. Ceux qui naissent te laissent des dessins de la main gauche, des seins à la poêle des silences de friture. Qui éclaboussent.

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LES VILLES


DIX SUR NEUF Les villes se serrent la ceinture alors qu’on les imagine débordantes de chairs nouvelles bourgeonnant là où des branches frêles se laissent dessécher comme des rictus. Elles se supposent un centre un ventre prêt à des actions d’éclat mais voilà que bientôt elles accouchent dans tous les sens et elles affament leurs enfants à qui il manque leur ration quotidienne de ciel et terre. Si bien qu’on s’y nourrit surtout de regards obliques chacun jouant de ses œillades à l’instar de la femme fatiguée éreintée capable de tourner le dos au passé et au futur en même temps. Elles se surprennent périphériques de bon matin et qui ne dit mot consent car ce n’est pas leur moindre mal. Les villes embrassent pas sur la bouche 26


elles étreignent jusqu’à ce que les gorges soient nouées et les yeux exorbités en avant le tourisme de la faim qui ne dit mot. On y avale souvent de travers on s’y retrouve à regarder le vide trop longtemps pour que cela paye bien que le spectacle foisonne de détails croustillants de retournements de dénouements et de sang crypté sur le pavé. Les villes se cherchent des murs en sus elles se cherchent des musiques dans les moindres recoins du silence et sous la forme extrême de la pensée à haute voix. Les villes s’aveuglent en se creusant des galeries tapissées d’yeux et avec leur cécité de taupes les passants deviennent volontiers des pions sur l’échiquier d’une destruction géométrique et géométrique encore – les visages s’affichent alors comme un seul message incompréhensible simple pourtant irrecevable à coup sûr cloué sur la porte de la cuisine 27


juste avant de partir juste avant ce départ interminable juste avant. Pas de place pour l’intelligence des traces pas de place à l’ombre qui ne soit suffocante pas de place au soleil qui ne soit pourrissante car les langues diront midi à quatorze heures et les bouches se prendront à tort pour la quintessence du cœur.

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FAUVISME Les villes s’imprègnent des couleurs que les campagnes ont perdues ou libérées – pollens et duvets, rouilles et argiles, cendres et poussières d’étoiles. Les villes refoulent des orages et roulent sur la pente du couchant cherchant la foudre de leurs dents telles des oranges sanguines consanguines. Les villes déchirent de leurs dents le chevalet du peintre en promenade pour offrir aux figures qui les hantent un paysage à dévorer d’un seul trait. Elles font d’une pierre deux coups et marchandent leur lumière dans un lexique haut en couleur, comme on dit. Cependant, au cœur immédiat des villes, toutes les couleurs aspirent à l’azur. D’où cette grisaille 29


qui les dévêt souvent sans une parole. Un jour la nuit tombera des arbres fleur après fleur feuille après feuille moineau après moineau. Alors nous manquerons de rigueur mais le temps sera au rendez-vous. Ta fenêtre, ma fenêtre sera ouverte toute la nuit durant sur des langues inconnues merveilleusement parlées par des passants merveilleusement inconnus.

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EFFORT DE GUERRE Les villes sont faites, dit-on, pour qu’on s’y cache et pour que l’eau passe tumultueuse ou plate sous les ponts. Et pourtant ce camouflage, cette manière de caresser le temps dans le sens du poil, se joue à coup d’affichage et de rasage de façade. Les villes on y fabrique des gueules anonymes et au fond un visage des visages quoi de moins susceptible de soulever des soupçons. Alors les villes seraient par ailleurs projetées pour qu’on adhère, pour qu’on y adhère, comme on dit qu’un personnage grandiose pourquoi pas colle à la peau 31


– merveilleux pièges à mouches que ces dédales de rues et ruelles où elles les mouches s’entraînent à des vols nuptiaux. Ni la candeur du tabou ni les arabesques de la transgression ne se laissent observer au sein des villes car on s’y emploie avec des efforts soutenus à imposer l’ordre et la norme et la forme comme si elle pouvait se passer de l’asphyxie des contenus. En ville les sujets sont hors sujet. Et on ne sait à quoi à qui s’en prendre quand se retrouve nez à nez avec ce trop plein de dedans étalé sur la chaussée prêt à être méconnu donc inlassablement piétiné.

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IGNIS Les villes se maquillent avec des moucherons et se parfument d’odeurs toxiques. Les terrains gorgés d’eau trouble sur lesquels elles furent bâties et les perles de sueur précieuse qu’elles coûtèrent à leurs bâtisseurs font patauger les idées, entravent l’élan de la pensée, l’empêchant de se croire libre et plus véloce que ses propres ailes. Si les villes tirent à la fin lentement telles des journées d’été absolu c’est qu’on y est plus qu’ailleurs ailleurs que chez soi mais totalement au fait des gestes familiers des lieux intimes des intrus. Car ces derniers sont foule et leurs actes ont de tout temps été prévus comme des faisceaux devant s’allumer ou s’éteindre au cours d’une pièce de théâtre de La pièce de théâtre longtemps répétée devenue incontournable se pétrifiant de reprise en reprise. 33


Les villes enferment leurs muses trop blondes ou trop brunes – cela ne dépend pas... – dans des bordels et des mausolées reliés par des souterrains dont le tracé lui ne saurait changer dans l’essence. Chaque regard se trouve entaché de cette fragrance funèbre et intestine que les vies font semblant de dérober à la vue qui remplace l’odorat en multipliant les envols de cheveux déracinés. Chaque regard se reconnaît dans sa propre flaque encadrée de dorures et noirceurs art i fi ci elles. Chaque regard se fabrique douloureusement sa propre intermittence. Les villes se maquillent, sont cadavres et se laissent veiller par des connaissances 34


trop nombreuses – ni fleurs ni couronnes – cependant bizarrement éparpillées, – ni pompe, ni cortège – se donnant au mieux une contenance en regardant là où il n’y a rien à regarder.

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LES FORÊTS


WEBERN a floresta faz-nos ouvintes de seus ramos marulhando de seus amuos de grande dama arreliada de suas peripécias de luz à caça de uma nudez ouço respirar latejar pulsar pensar não sucedo ao que me sucede.

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1 Parties en tête et fonçant droit vers le ciel la tête la première, elles n’en finissent pourtant pas d’arriver exténuées à cheval sur leur retard les forêts. Les déesses décoiffées s’y cherchent des coins miroirs mais ne trouvent que des lambeaux de ciel putrescible inaccessible pour parfaire leur toilette. Malicieuses, elles se chuchotent des remarques ahurissantes qui font taire les oiseaux – «je suis née prête-à-porter» par exemple. Des êtres inachevés tels qu’on pourrait les décrire dans la sphère de l’invisible s’y établissent à demeure et prennent pour cible le promeneur. Ce sont leurs pleurs primitifs que les branches dégarnies touchant quasiment le sol se donnent la peine de scander pour activer le silence et le rendre plus palpable. Aussi le coeur presque enflé du dernier des promeneurs se sent-il toujours ailleurs mais appelé par ici par ici – à cor et à cri.

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2 Les forêts font mumuse avec leurs grandes oreilles se découpant sur étoffe polyphonique. Elles sont entièrement construites sur scène comme des décors trop énormes qu’on ne saurait transporter, mais le texte qu’on y joue se réduit à une seule trame et se chante en aparté. Les forêts feront sortir les vieux souffleurs de leur trou quel que soit le stade du jeu quel que soit l’état des lieux. Or aux abords de toute forêt des comédiens en exil alertent les promeneurs contre ce qui les attend depuis toujours à l’ombre des grandes onomatopées. Entre un arbre et son prochain il est plus difficile de se perdre que de faire fausse route fausse écoute.

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3 Les forêts boivent le lait de la parole qui flotte au-dessus des cimes de leurs parties exposées qui sont prises sous le charme de paraître trop intimes. Elles sortent au grand air ferrailles et rouilles, pas de vis et roues dentées de la machine à penser leur matière imaginaire. Les forêts s’étranglent encore à l’idée qu’un rire abstrait les poursuit et les précède. Quelque chose de rampant les empêche cependant de s’envoler pour aller cueillir ce son farci d’une quiétude cristalline. Les forêts boivent le lait de la parole première qui nous revient sous les traits à la fois marqués et émoussés de la vieillesse.

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4 Les verts profonds jouent longtemps à la bataille des éclaircies se cachant se dévoilant tels des enfants qui éventrent du bois de leurs fausses épées les murs d’une maison en ruine. Les verts se bleutent lorsque vaincus blessés éclopés ils se retirent dans le désordre d’une fuite trop lente. Les verts se noircissent de fumée quand ils crachent la nuit par tous les pores comme s’il fallait faire de la place à la nuance violence de l’aurore. Les verts à l’instar des corps se cherchent des bords des contours des rives des ports et un œil suffirait pour qu’ils en fassent l’expérience définitive.

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5 Les forêts se disputent le bout du monde aidées par des poètes à bout de nerfs. Dans leurs rondes clairières, traversées par des proies et des surprises, les bêtes carnassières narguent le ciel lourd de reproches de baisers et de nuages troublants comme des ailes brisées. Elles ne pourraient pas se contenter de bleu celles-là... Dans les forêts superficielles les marchands d’ombre se lamentent toute la journée durant car la nuit cassera les prix dès le couchant et les brumes de l’aube dépensent sans compter leur surplus de voie lactée. Dans les forêts profondes le commerce vil s’approfondit-il ?

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6 Les connaisseurs d’inconnu l’ont affirmé sans réserves: les forêts profondes sont toujours plus pénétrantes qu’impénétrables. On s’y promène pour renforcer des croyances. On en ressort pour donner libre cours à l’ombre des doutes.

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7 Les forêts s’ouvrent vers l’intérieur c’est-à-dire qu’elles s’offrent plus pleinement à l’heure et à l’endroit où elles se ferment.

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8 Les forêts se piquent d’avoir été d’être encore le bouillon d’amour illettré qui permet à la vie de sortir de son labo de son eau d’indifférence et de contrecarrer le sublime sur tous les fronts, Pas de tissu indécis qui n’y soit une tapisserie où les scènes de chasse cachent l’ivresse de revenir bredouille l’extase de l’échec et le triomphe de la pure tendresse.

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9 SORTIR DES FORÊTS Alors que je pensais justement à l’effet de symétrie entre les étoiles filantes et le tracé le drapé noir de la chauve-souris, la chute d’un corps trop sombre pour porter le nom d’étoile et trop clair pour se confondre avec l’ombre a déchiré la voûte céleste. Les images sont plus lestes que les pensées et elles permettent à ces dernières de ne pas s’épuiser ou du moins de ne pas tourner trop avidement à vide...

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LES ÎLES


1 Les îles sont ces portions de ciel déchu dont on croit pouvoir faire le tour. Le calme plat ainsi que les sculptures de tourmente y dissimulent l’écho des cris de cet azur qui ne cesse de choir de cet azur qui ne cesse de chair. Les îles se mettent en mer – elles se mettent en marche de bon matin et, à l’instar des enfants, dans la cour de récréation du monde, elles s’épuisent à faire la ronde, la roue et le grand écart, à jouer à la marelle et même à saute-mouton. Elles s’époumonent comme on se vide de tout son sang dans une vieille baignoire couleur d’ivoire.

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2 Le nez se mouche aux nuages bruyamment et les joues lourdes de notre joie se croient prises au nouveau piège des éternelles retrouvailles. Mais le passé du parfum se respire par tous les pores. Qu’est-ce donc que ce parfum qui supplie noyé dans notre sueur et naufragé dans la chair de notre chair? Qu’est-ce donc que cette senteur à bout de nerfs et de corps qui en redemande encore?

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3 Les ĂŽles prennent la mer au pied de la lettre.

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4 Tout y ploie tout se plie tout s’y couche tout y touche à tout. Néanmoins ce qui tient lieu de révérence n’a rien de doux ou servile courbettes et courbes étant un appel au soulèvement.

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5 Leur beauté est avant et après tout mélancolique. Leur laideur serait savante rassurante et rassurée. Mais comment se figurer l’envers du réveil des oiseaux et l’endroit du sommeil lourd de Jeanne Duval? Leur beauté est d’avant et d’après le temps. Leur laideur serait semailles.

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6 Et le débit rauque de la radio sied comme un gant à ces lieux frileux où l’on s’attend à avoir vent d’une guerre lointaine à toutes fins proches...

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7 Ces arbres de chair ces hommes de bois ces femmes de bambou et clair de terre et puis ces clochers rares dont on ne sait s’ils sont le faîte d’un palmier plumé ou le repère d’une église de la résurrection de l’insurrection.

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8 Là où l’on ne jouerait pas à cache-cache bien qu’on en meure d’envie et qu’on associe cela à toute couleur du désir.

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9 On les dirait saupoudrées d’une lumière trop changeante pour éclairer la pensée. Camouflage de cratères maquillage de clairières farine de farine tout conspire pour qu’on y perde le sens des proportions et celui de la décence en gardant les bonnes manières.

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10 Elles sont forêts de hanches et de croupes dont sourdent des fleurs si lourdes si criardes et lancinantes qu’elles nous semblent plantées là depuis longtemps et toujours telles des couteaux encore prêts pour des émeutes ajournées.

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11 Puis juste à côté c’est la forêt de flûtes et de hautbois où la musique emprunte des sentiers de sève. Quelque chose monte. Mais on n’est pas au parfum si bien qu’on ne saura quoi. Sans doute une symétrie de pluie une giboulée à mille pattes dont les grosses gouttes marchent sur les mains riant aux éclats au nez des fées et ouvrant des sourires à sens unique entre rigoles et flaques.

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12 Et ces revers de main où broutent deux trois bêtes paumées. Et cette dévorante tendresse qui fait que partout ça repart et ça repousse. Bord de mer ou bord de route ô la vache. Et ces animaux sans nom qui pourraient bien le rester jusqu’à l’excès.

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13 Chacun son or et son outre... Pourtant on avait dit qu’on ferait pirate commun. Or chacun son autre... Pourtant on.

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14 Et saisir soudain le rapport entre arbre et serpent puisque connaître on le savait presque d’avance revenait à s’étreindre à s’enrouler à se lover à être nid ni ni.

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15 Viens en habit d’arbre. Je viendrai en habit de nuditÊ.

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16 Les îles gommez-les des cartes. Les cartes gommez-les point barre. L’écart et l’écart seul entouré d’eau de toute part.

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17 Toutes les îles en une seule et l’arbre unique pour se cacher derrière comme on se cache pour dire son unique prière.

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18 Les îles fusil à l’épaule.

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19 Nuages bas tels des mains caressant des genoux et ce frisson de faux rendez-vous qui fait perdre son poids Ă tout un chacun.

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20 Quatre saisons qui tournent en rond sur un air de cage. Mais l’élan d’éden répond à l’enfer en état de marche.

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21 Cela pue le passé et la remise à neuf qui s’arrête en cours de route. Mon amour, écoute la cantilène en bouteille qui a bu son matelot. Je t’aime.

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22 Et ces lignes alanguies et ce lit où l’on se lit en sautant certains passages .........comme si on s’y arrêtait.

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TABLE DES MATIÈRES............................. 3 LES VILLES.............................................25 LES FORÊTS...........................................37 LES ÎLES.................................................49


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