De nouvelles formes d’habitat La construction de logements innovants à la campagne et dans les agglomérations est rare. Cinq projets montrent que l’on peut réaliser des habitats communautaires et durables également hors des villes.Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022
38 « Les locataires ont obtenu un droit de participation » Entretien entre anciens et nouveaux pionniers. Sommaire
Un tremplin pour la construction de logements Dans Hochparterre en 1989, Benedikt Loderer qualifiait ‹ Schauburg ›, un ensemble b âti par Metron et Büro Z à Hünen berg près de Zoug, à l’époque un petit village, d’« exemple d’architecture éclairée »: maisons mitoyennes habillées de bois au prix d’un appartement, participation des locataires et exigences écologiques élevées. Huit jeunes héritiers des familles propriétaires de Landis & Gyr avaient alors fondé la société à but non lucratif Pro Miet AG. 30 ans plus tard, ils vendaient la cité à Wogeno Luzern. Désireux de poursuivre sur cet élan positif, ils ont, grâce à la vente, créé le programme ‹ Sprungbrett Woh nungsbau › qui soutient des projets dans l’espace rural ou dans les agglomérations. Un jury de renom sélectionne cinq projets et leur affecte des coachs, l’idée étant de faire circuler des connaissances et non de l’argent. Une démarche éclairée. De la revitalisation d’une cité ouvrière à la planifica tion d’un lotissement axé sur la permaculture, de la ferme coopérative autoconstruite à la vie dans une ancienne halle industrielle, en passant par des clusters dans un village, le mélange est aussi hétéroclite que la vie. Les coachings ont connu des destins divers. Aucun des projets n’est encore achevé. Les reportages de ce cahier, illustrés par les pho tographies de Markus Frietsch, leur sont consacrés. Cette édition comme l’événement organisé à Berne le 15 septembre voir page 5 font partie du projet de soutien et du travail de sensibilisation. Ils contribuent en effet à diffuser les idées et les connaissances de ces cinq types d’habitat en Suisse. En 1989, Benedikt Loderer concluait son article par cette phrase: « Nous avons besoin de plus de ‹ S chauburg › ». Axel Simon Éditorial Impressum Édition Hochparterre AG Adresses Ausstellungsstrasse 25, CH 8005 Zurich, Téléphone + 41 44 444 28 88, www.hochparterre.ch, verlag @ hochparterre.ch, redaktion @ hochparterre.ch Direction Andres Herzog, Werner Huber, Agnes Schmid Directrice des éditions Susanne von Arx Conception et rédaction Axel Simon Photographie Markus Frietsch, www.markusfrietsch.com Conception graphique et mise en pages Antje Reineck Production Linda Malzacher Traduction Weiss Traductions Genossenschaft Lithographie Team media, Gurtnellen Impression Stämpfli AG, Berne Directeur de la publication Hochparterre Commandes shop.hochparterre.ch, Fr. 15.—, € 12.— ou gratuitement au format électronique
32 Un rêve difficile à concrétiser Habitat autonome dans l’Emmental.
14 La zone grise de l’autoconstruction Habitat en halles dans l’agglomération de Zurich.
Photos couverture: Le courrier hier et aujourd’hui. Boîtes aux lettres de la coopérative Wohnstatt près de Berne et du Neudorf à Flums.
20 Exactement ça ! Une ferme en autoconstruction aux portes de Berne.
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Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Sommaire
5 De l’ensemble ‹ Schauburg › au tremplin Faits essentiels sur le projet de soutien.
6 « Quand les communes prennent confiance, un grand pas est accompli » Trois expertes membres du jury échangent.
8 Neudorf: une histoire de traces Sauvetage d’une cité ouvrière à Flums.
26 Les habitants du monde d’après Clusters dans une ancienne grange dans le canton de Vaud.
Une grange vaudoise se transforme en clusters.
Les anciens entrepôts industriels abritent de nouvelles formes de vie en pleine croissance.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat De l’ensemble ‹ Schauburg › au tremplin 5 ProMiet AG En 1983, Daniel Brunner, Ursula Brunner, Verena Brun ner, Andrée Mijnssen, Christoph Mijnssen, Elisabeth Mi jnssen, Nick Mijnssen et Pete Mijnssen, les huit jeunes héritiers de la troisième génération des familles proprié taires de Landis & Gyr, ont fondé ProMiet AG, une société à but non lucratif. Leur objectif était de créer des loge ments abordables et favorables aux locataires, mais pré sentant des standards sociaux et écologiques élevés voir page 38. Conseil d’administration actuel de ProMiet AG: Beat Bachmann, Andrée Mijnssen, Axel Simon ( président ). Ensemble Schauburg En collaboration avec les bureaux d’études Metron et Büro Z, ProMiet AG a conçu l’ensemble Schauburg à Hünenberg près de Zoug, jadis encore un village. Il alliait pour l’époque exigences écologiques élevées et loyers modérés. Au prix d’un appartement, on pouvait habiter dans ces maisons mitoyennes habillées de bois comme si elles vous appar tenaient. Les locataires jouissaient par ailleurs d’un droit de participation plus important que d’ordinaire. L’emmé nagement a eu lieu en 1986 et en 1996, un bâtiment a été ajouté. ProMiet AG a vendu Schauburg à la coopérative Wogeno Luzern en 2013. Elle a investi le produit net de la vente dans le projet ‹ Sprungbrett Wohnungsbau › afin de poursuivre la promotion de logements innovants. Innovation dans la construction de logements
ProMiet AG a chargé le centre de recherche ETH Wohnfo rum d’enquêter sur ce que signifie aujourd’hui la construc tion de logements innovante. Pour le rapport ‹ Impulsions à l’innovation dans la construction de logements ›, Angela Birrer et Marie Glaser ont examiné six ensembles histo riques et modernes, du Höli à Scherz à la Giesserei à Win terthour. L’enseignement essentiel à en tirer ? Derrièr e chaque projet se cachent des personnalités ( promoteurs, architectes et autres intervenantes ) détenant de vaste s connaissances sur les projets et les processus, qui dans la plupart des cas sont distillées au compte-gouttes. Com ment transmettre ce savoir aux générations suivantes et éviter ainsi de repartir de zéro à chaque projet audacieux ?
– Christina Schumacher, sociologue et professeure FHNW, Muttenz ( 2e tour ) – Axel Simon, ProMiet AG, rédacteur à Hochparterre, Zurich – Petri Zimmermann, archite cte et spécialiste de l’habitat, Suhr Projets sélectionnés au 1er tour: – Revitalisation de la cité ouvrière du Neudorf, Flums SG Équipe: Ilona Schneider et Michel Eigensatz, Schneider Eigensatz Architekten ; coaching: Barbara Buser, architecte – Clusters dans une grange, Denens VD Équipe: Arthur de Buren et Charles Capré Architectes ; coaching: Laurent Guidetti, architecte Projets sélectionnés au 2e tour: – Lotiss ement Sonnhalde, Trubschachen BE Équipe: co opérative Sonnhas ; coaching: Christian Zimmermann, architecte ( retiré du projet ), Peter Schürch, architecte, et Sabine Wolf, architecte paysagiste – Habitat en halles, agglomération de Zurich Équipe: asso ciation ; coaching: Tex Tschurtschenthaler, expert financier – Auto construction Wohnstatt, Wohlen BE Équipe: co opérative d’habitation Wohnstatt ; coaching: Holzhausen Zweifel Architekten Événement le 15 septembre à Berne Seront présents à la manifestation de clôture du projet de soutien ‹ Sprungbrett Wohnungsbau ›: les é quipes et les coachs des projets promus, Andreas Hofer ( IBA 2027 Stuttgart ), Marie Glaser ( Office fédéral du logement ) et Barb ara Buser ( Denkstatt, Baubüro in situ ). Une co opération de Hochparterre, ProMiet AG et ETH Wohnforum – ETH Cas e / ETH Zurich. Jeudi 15 septembre, à 17h30, rencontre suivie d’un apéritif Progr, Zentrum für Kulturproduktion, Berne L’événement est gratuit, inscription sur www.sprungbrett-wohnungsbau.ch
– Gion A. Caminada, archite cte et professeur ETH, Vrin et Zurich – Marie Glaser, ETH Wohnforum, Zurich ( présidence du jury )
Tremplin pour la construction de logements Le projet de soutien ‹ Sprungbrett – Impuls e im Wohnungs bau › devait aider à surmonter des obstacles. Durant une période déterminée, les projets sélectionnés bénéficiaient de coachs qui apportaient leurs connaissances et leur car net d’adresses. Le programme devait promouvoir essen tiellement des projets dans l’espace rural et les agglomé rations, ce qui explique que ‹ Schauburg › n’ait pas vu le jour à Zurich ou à Bâle. Particuliers ou groupes pouvaient se porter candidats via le site Internet du projet. Le jury inter disciplinaire a choisi deux projets au premier tour en 2018, puis trois au second tour en 2019. Ils ont bénéficié d’un coaching d’une valeur de 35 00 0 à 50 00 0 francs. Trois critères étaient énoncés dans l’appel d’offres: – potentiel d’innovation, pertinence et durabilité – potentiel d’effet d’annonce et faisabilité – qualité du patrimoine bâti Le jury: – Anne Burri, Bureau de travail social, Bâle ( 1er tour )
Christina Schumacher: J’aurais dit à la guirlande de fanions colorés entre deux rangées de maisons qui suggère la com munauté, mais ce n’est plus le cas. Elle est aujourd’hui pré sente dans tous les rendus de concours. Ce qui compte, c’est le fonctionnement interne ainsi que les échanges du lotissement avec l’environnement. C’est en lien avec les transitions entre espace privé, semi-privé et public. Petri Zimmermann: Tout à fait. Ces jonctions entre l’intérieur et l’extérieur sont importantes. Un joyeux désordre est aussi un signe de vie. En même temps, une bonne part de l’innovation réside à l’intérieur, notamment dans l’occu pation des surfaces. Les ensembles bâtis des années 1930 et 1940, avec leurs petites surfaces habitables et leurs jar dins autosuffisants, n’ont rien perdu de leur exemplarité. Je me demande si le passé n’aurait pas aussi un rapport avec l’innovation.
Marie Glaser: De manière générale, l’innovation est liée à la critique de l’existant, portée par une idée forte de la manière dont on pourrait changer les choses. Pour la construction de logements, cela veut dire aussi que les rapports sociaux ont changé, mais que l’offre de loge ments ne reflète pas cette évolution. La nouveauté est pos sible si les bons acteurs se regroupent, développent une vision et la portent collectivement.
Quand les communes pr ennent confiance, un grand pas est accompli »
Petri Zimmermann: On le constate avec les réfugiées d’Ukraine. Des familles partagent tout à coup leur logement avec d’autres. Dans notre matériel didactique ‹ Wohnraum ›, nous avons forcé le trait en posant la question: « Que se passerait-il si tu devais soudainement héberger le double de personnes dans ton appartement ? » De telles situations peuvent faire naître des impulsions pour de nouvelles formes d’habitat. Marie Glaser: Prenons l’angle de la crise écologique: nous avons des lotissements durables qui ont été réalisés as sez tôt, comme l’ensemble Niederholzboden à Riehen, en 1994. Les architectes ont appliqué des principes de construction écologiques, économisé sur la surface habi table, choisi un système de chauffage et de ventilation in telligent et bâti en réduisant les coûts le plus possible. Le terrain avait été légué à la commune, à charge pour elle de réaliser des logements sociaux. Elle a choisi une coopéra tive et fait appel à un bureau de travail social. Les parties prenantes avaient une vision claire et l’issue fut positive. Ce qui me soucie, c’est que davantage de protagonistes au raient pu bénéficier des acquis du projet. Le savoir-faire est resté local, un phénomène qui se répète malheureuse ment souvent. Nombre de nouveaux projets redémarrent plus tard à zéro. Nous avons voulu changer la donne avec ‹ Sprungbrett Wohnungsbau ›. Pour mieux réagir aux crises, nous devons faciliter l’accessibilité des connaissances sur les innovations.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Quand les communes prennent confiance, un grand pas est accompli »
Petri Zimmermann: C’est vrai. Souvent, le savoir reste can tonné aux milieux spécialisés. Christina Schumacher: Ce n’est pas aussi étanche. De grands projets de coopératives zurichoises comme la Kalkbreite ou le site de Zwicky ont aussi été traités dans la presse quotidienne et les pages culture. De nombreux promo teurs institutionnels ont découvert l’existence de besoins différents et la demande de nouveaux types de logements.
Interview: Karin Salm Lorsque vous vous promenez dans des régions rurales ou des quartiers urbains et que vous passez près de lotissements, reconnaissez-vous à un indice clair qu’il s’agit de construction innovante de logements ?
Marie Glaser: Effectivement, on reconnaît ou devine souvent en passant l’innovation dans la construction de logements. Elle se distingue des codes conventionnels – des bâtiments d’à côté – dans l’expression architecturale, les espaces ex térieurs, l’entrée ou le grand nombre d’abris pour vélos. Ces lotissements modestes, mais pratiques sont nés d’une nécessité. La nécessité est-elle mère de l’innovation ? Petri Zimmermann: Bien sûr ! L’innovation ne naît pas de la s atiété. Quand on pense aux zones où les particuliers ont exaucé leur rêve de maison individuelle à deux étages, on se dit qu’il y aurait urgence à innover.
Trois expertes membres du jury ‹ Sprungbrett ›, Marie Glaser, Petri Zimmermann et Christina Schumacher, échangent leurs points de vue.
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À quoi ressemble une construction de logements porteuse d’avenir, surtout à la campagne ?
Une base sur laquelle s’appuyer. Il s’agit de changer la mentalité et de consolider ce changement.
Marie Glaser: Même si un projet ne fait ‹ que › lancer un pro cessus et que le programme de soutien ‹ Sprungbrett › ne se solde pas par la construction d’un bâtiment, c’est un pas important pour la stabilisation du projet innovant.
Christina Schumacher Née en 1967, professeure de sociologie de l’architecture et de la planification à l’Institut d’architecture de la FHNW à Muttenz, pré sidente de la Fondation en faveur d’un duhandicapés,architecturalenvironnementadaptéauxco-fondatricecollectifsofa*p.
Christina Schumacher: Le rôle de l’architecture est remar quable: dans deux des projets, l’initiative est partie des architectes. Dans le projet d’habitat en halles en revanche, point de trace de leur présence.
Petri Zimmermann: Je souhaite une fois de plus plaider pour la médiation. Elle est capitale. On doit montrer les possi bilités existantes et les différents besoins à développer. L’initiative ‹ Sprungbrett › a soutenu cinq projets. Lequel trouvez-vous particulièrement intéressant ? Petri Zimmermann: La cité ouvrière de Flums voir page 8 a été longtemps stigmatisée. Le plan de revitalisation par la mixité des habitantes m’a captivée. J’aime quand l’existant renaît et est transformé en quelque chose de nouveau.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat « Quand les communes prennent confiance, un grand pas est accompli » 7 Dans les centres urbains, les choses bougent. Mais à la campagne ou dans les agglomérations, l’innovation n’est pas toujours au rendez-vous, d’où l’importance d’une ini tiative comme ‹ Sprungbrett ›.
Christina Schumacher: La référence au contexte est déci sive. Croire que les communes rurales tirent des leçons des clusters du site Hunziker ou de l’habitat en halles du Zollhaus de Zurich n’est probablement pas la bonne ap proche. Il faut concevoir quelque chose à partir de la lo calité. C’est pourquoi il est vital de donner de la visibilité aux petites innovations. C’est précisément l’idée de ‹ Sprungbrett ›: voir en situation quel résultat peut avoir un projet, et dans quels délais. Le coaching soutient et apporte une certaine stabilité.
Christina Schumacher: Mon coup de cœur va à la communau té de travail et de vie créée au sein d’un ancien entrepôt in dustriel reconverti, dans une commune de l’agglomération de Zurich voir page 14. Il s’agit d’un type d’utilisation de l’es pace qui, dans des cas extrêmes, autorise une très forte densification: le même espace peut en 24 heures trouver des vocations très diverses. La communauté interprète la halle comme un container pour vivre, travailler et dévelop per la culture. Au sein du collectif, on négocie pour savoir comment les différentes unités spatiales seront utilisées et les boîtes mobiles organisées. L’espace partagé n’est pas d’emblée figé comme d’ordinaire. Pour moi, c’est une véritable innovation et un défi intellectuel. Cette forme de vie requiert un très grand engagement et la volonté d’y investir beaucoup de temps. Il est impossible de la repro duire à grande échelle. Les projets sont très divers, il manque un fil conducteur. N’est-ce pas compliqué ?
Marie Glaser: Si une commune s’aperçoit qu’elle n’est pas seule face à ses interrogations et conçoit un projet avec la commune voisine, alors on innove. Comme dans la vallée de Zermatt où Täsch et Zermatt ont fusionné il y a quelques années. Elles fondent actuellement une coopérative dans le but de créer et d’assurer une offre de logements adap tés aux besoins et à prix modérés. Pour une ville comme Zurich, on n’est plus dans l’innovation, mais pour les deux communes valaisannes, c’est un pas de géant.
Marie Glaser: Le projet de Denens, un village du canton de Vaud, me séduit voir page 26. Deux jeunes architectes ont converti une grange désaffectée en habitat communau taire. En discutant avec leur coach, l’architecte Laurent Guidetti de Lausanne, ils ont développé leur vision et l’ont diffusée dans la région grâce à une pièce de théâtre pro fessionnelle. Ils ont ainsi sensibilisé la population et trou vé de potentielles colocataires. Ce n’est qu’un début: le marché immobilier est extrêmement tendu autour du lac Léman, les granges vides y sont pléthore. Ce projet a posé un jalon pour l’innovation dans la région.
Petri Zimmermann: Le rayonnement du projet a été un cri tère important pour le jury. Reprenons le projet de halle. Si le collectif parvient à rester dans la halle et à y vivre, on peut prouver qu’il est possible d’assouplir et d’adapter les normes et les règles. Sans normes, de nombreux pro jets restent de jolies créations qui apparaissent et dispa raissent. Les lois sont des éléments importants de l’amé nagement, puisqu’elles permettent ou interdisent. Les extrêmes ont un rayonnement particulier: le projet de la Kalkbreite à Zurich est si extrême que la nouvelle s’est vite répandue, même auprès des non-citadins. Les représen tants des communes rurales observent et constatent qu’il existe de nombreuses formes d’habitat conviviales.
Marie Glaser: Cela me plaît: quand les communes prennent confiance dans les projets, un grand pas est accompli. ●
Christina Schumacher: Dans les petites communes, les parti culiers jouent un rôle essentiel, vu que les administrations ne disposent pas des mêmes instruments de planification que dans les villes. Les alliances prennent encore plus de poids. C’est pourquoi les exemples judicieux permettant à une commune de se profiler sont nécessaires. Le but est en fin de compte d’attirer de nouvelles âmes et de redyna miser les lieux.
Vous avez dit que si les actrices concernées se regroupent, du nouveau pourrait en sortir. Doivent-elles être également capables de forger des alliances, à plus forte raison dans les régions rurales ?
Marie Glaser Née en 1971, responsable du secteur Questions fonda mentales Logement et Im mobilier à l’Office fédéral du logement depuis 2022. Elle a auparavant dirigé l’institut de recherches ETH Wohnforum – ETH Case. Petri Zimmermannde Jager Née en 1961, associée chez Zimmermann Architekten Aarau à Suhr, co-responsable Architecture et enseignement à l’ETH Zurich de 2005 à 2008, co-rédactrice du matériel didactique ‹ Wohnraum › ( 2010 ).
Marie Glaser: Pas du tout. Présenter des facettes très diffé rentes de l’innovation est intéressant. Nous avons ainsi un très large éventail.
Flums: Ilona Schneider et Michel Eigensatz souhaitent tirer une ancienne cité ouvrière de son sommeil.
Neudorf: une histoire de traces
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Neudorf: une histoire de traces 10
Un bourg dans la région de Sargans, dans la vallée de la Seez, au pied de montagnes imposantes. Les plus hauts sommets sont encore enneigés, des nuages s’accrochent entre les cimes. Derrière la gare, les poteaux électriques s’égrènent le long de la rivière bleu sombre. Sur la rive d’en face, on construit. Des grues, des perches d’échafau dage et un nouveau bâtiment ovale s’élancent dans le ciel. Il n’y a cependant plus guère de commerces à l’avenue de la gare. Cela fait longtemps que les habitantes n’ont plus célébré de fêtes sur la place de la poste. Les gens ne s’épanchent guère sur le quartier situé derrière la poste. Pourtant, le « nouveau village » ensorcelé pourrait sortir la localité de sa douce torpeur. Un patrimoine en déclin Le temps a passé depuis que la famille Spoerry, de grands projets en tête, est venue de l’Oberland zurichois pour s’établir à Flums. Attirée par cette localité indus trielle prometteuse, elle fonda une filature en 1866. Les ouvriers tissaient un fil de coton très fin servant à fabri quer des tissus précieux. Le commerce prospéra. Les entrepreneurs voulurent aussi assumer leurs responsa bilités à l’égard de leurs employés et firent bâtir une cité en périphérie. Bientôt, les premiers pignons à colomba ges couleur rouille des petites maisons jumelées de trois niveaux brillèrent au soleil. Après le travail, les familles ouvrières rentraient dorénavant dans leur quatre pièces avec grand jardin. Elles nommèrent ce petit quartier « Neudorf ». Mais ce nom laiss ait déjà présager que la structure bâtie figée et ses habitants ne s’intégreraient jamais totalement au village. De nombreuses années ont passé. Le temps a rôdé aux coins des maisons et au fil des hivers, plus de cent, a écaillé un peu plus la peinture et l’enduit, secoué les volets et brisé une vitre ici et là. Des familles de Macédoine du Nord, d’origine albanaise, ont aussi vécu ici. Les villageois qui n’habitaient pas la cité n’y mettaient pas les pieds. Ilona Schneider passait tous les jours devant le Neudorf pour aller de la menuiserie parentale à l’école. Le matin, les élèves écoutaient l’oiseau qui sifflait la chanson des souliers du Neudorf du haut des volets inclinés. Ils appre naient que si vous veniez dans le village avec des souliers poussiéreux, c’est que vous viviez dans les petites mai sons le long des rues en gravier. Pourtant, sur la place de la poste toute proche, on n’en voyait guère. La population du Neudorf avait peu affaire avec le reste du bourg. Après sa scolarité, Ilona Schneider quitta Flums pour étudier l’architecture. Elle n’a cependant jamais oublié le Neudorf. Un regard neuf Un locataire fait sécher ses pulls de travail sur une corde dans le jardin, comme un reliquat de l’époque avant la fermeture de la filature il y a 13 ans. Le temps semble s’être figé, les voitures sur le chemin en gravier plein d’or nières prennent des accents futuristes. Ilona Schneider est retournée au Neudorf avec Michel Eigensatz. D’un Le Neudorf à Flums Le Neudorf, l’une des cités ouvrières ma jeures de Suisse, est situé au cœur de Flums. C’est un legs de la filature Spoerry. Les propriétaires avaient fait bâtir 24 maisons jumelées regroupant 49 unités d’habita tion sur plus de 13 600 m², en trois phases: 1896, 1905 et 1909. Pour la Commission fédérale des monuments historiques, il s’agit d’une « cité d’importance nationale avec protection d’ensemble ». L’Inventaire fédéral des sites construits d’importance natio nale à protéger la qualifie de « cité ouvrière intacte de haute importance ».
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Texte: Mirjam Kupferschmid
La cité ouvrière de Flums porte les stigmates du temps. Avec un regard neuf, un jeune couple d’architectes se lance dans son sauvetage. Si la transformation de la première maison réussit, une coopérative d’habitation sera créée.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Neudorf: une histoire de traces 11 Rue en gravier et peintures écaillées: le temps semble s’être figé au Neudorf.
La trame du lotissement était reliée à l’ancienne filature Spoerry visible en bas à gauche. Photo: Walter Mittelholzer, 1919
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Neudorf: une histoire de traces 12 012 5 012 5 012 5 Les maisons sont négligées, mais d’origine. Photo: Thomas Kessler Michel Eigensatz et Ilona Schneider avec leur coach Barbara Buser. Les intérieurs subiront une rénovation douce. Photo: Thomas Kessler Rez-de-chaussée type 1, base Rez-de-chaussée type 2, addition Rez-de-chaussée type 3, soustraction 0 5 m
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Neudorf: une histoire de traces 13 regard neuf, ils ont exploré le site et décelé dans les espaces extérieurs un bel avenir pour la cohabitation dans ce quartier et la connexion au bourg. Derrière les fa çades délabrées et les volets cloués, ils ont découvert ce qu’évoque aussi l’Inventaire fédéral des sites construits à protéger: un monument culturel d’importance nationale, un « témoignage majeur, sur le plan typ ologique et sociohis torique, de l’industrie textile jadis florissante ». Longe ant le Neudorf, les promeneuses du dimanche baissent les yeux. Pendant longtemps, il y a eu cet espoir que l’on arriverait peut-être à bâtir du nouveau si le quar tier se dégradait juste assez. Le temps avait, semble-t-il, presque gagné le combat. De nombreuses maisons sont aujourd’hui dans un état déplorable. Un tiers présente des installations électriques dangereusement obsolètes, voire des planchers défoncés, les rendant inhabitables. Le reste est occupé par des personnes très diverses. Loyers bas et extension simple, les maisons sont plutôt utilisées de manière temporaire que louées. Beaucoup ont essayé de créer un projet pour la cité. Deux rénovations pilotes ont montré que la cité ne pou vait être rénovée selon les critères traditionnels de ren dement et de confort. C’est là qu’Ilona Schneider et Michel Eigensatz sont entrés en jeu, sans mandat ni maîtrise d’ou vrage. Comment fonder une coopérative à la campagne ? Comment organiser le financement d’un si gros projet ? Avec ces questions et une proposition de rénovation, ils ont gagné un coaching ‹ Sprungbrett ›. Leur pr ojet a mis au défi l’entreprise qui a succédé à la filature Spoerry de réfléchir à l’avenir de la cité, sans grand enthousiasme. Le terrain a récemment été racheté par Andreas Hofmän ner, directeur de Eckstein Immobilien. Il s’est intéressé aux idées des architectes. La coach, l’architecte bâloise Barbara Buser expérimentée, aide également le couple à sensibiliser Andreas Hofmänner à l’idée de coopérative et de financement alternatif. Une lueur d’espoir Pour satisfaire aux exigences des logements actuels, il aurait presque fallu faire sauter les murs des maisons. Les architectes avaient prévu d’évider l’intérieur pour y placer une grande et une petite unité à la place des petits 4 pièces. Une opération onéreuse. Aussi Barbara Buser a-t-elle encouragé les architectes à employer le budget à des interventions minimes permettant d’obtenir le plus grand effet. Les premiers ouvriers se mettront bientôt à l’ouvrage et testeront cette transformation minimale sur une maison témoin. Elle prévoit une nouvelle cuisine, et derrière l’escalier un meuble encastré qui offrira, aux de mi-étages, de l’espace pour une penderie, des toilettes et des installations. De nouvelles fenêtres à croisillons et une isolation intérieure dans les pièces sans boiseries protègeront du froid. De nombreuses questions sont en suspens: pourrons-nous conserver les carreaux en mo saïque au sol ? Quel matériau trouverons-nous sous le lino léum ? Comment procéder avec la peinture qui s’écaille sur les rampes d’escalier tournées ? Tandis qu’Ilona S chnei der et Michel Eigensatz découvrent la maison strate par strate, dehors, un chat frôle les poteaux de clôture. Même ces éléments de construction simples se muent en défi dans une cité comme le Neudorf. Deux kilomètres de mé tal rouillé attendent un coup de peinture fraîche.
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Une intégration tardive Tandis que trois orchidées attendent le soleil cou chant derrière l’une des fenêtres à croisillons, les maisons du Neudorf patientent avant leur redécouverte. Familiari sés à l’idée de coopérative, les nouveaux arrivants citadins montreront la voie. Ils pourraient inciter des personnes de la région à s’installer dans les lieux. Le scénario idéal se rait de voir des entreprises locales participer à la remise en état et établir ainsi un lien avec le Neudorf. Si les ha bitants sont fiers de leur patrimoine architectural, la cité pourra peut-être, pour la première fois, s’intégrer au vil lage. Les maisons semblent encore échapper à l’emprise du temps. Bientôt, on verra de plus en plus de gens portant des souliers poussiéreux sur la place du village. Le petit oiseau sera forcé de trouver une mélodie plus joyeuse. ● Le verdict du jury ‹ Sprungbrett ›: « Le projet est pertinent pour son aspect patrimonial comme social. Il adopte une approche durable, paraît réalisable et créerait un bel effet d’annonce. Le jury se réjouit de ce projet et est admiratif de son ampleur. La structure rigoureuse de la cité laisse espérer un ensemble fort et des espaces extérieurs soignés, interdits au trafic. L’architecture, la politique et le social pourraient se mêler dans le processus de planification et de construc tion et les nouvelles interventions s’adapter avec retenue aux vieux murs. » Équipe: Ilona Schneider et Michel Eigensatz, Schneider Eigensatz Architekten Coaching: Barbara Buser, architecte
La diversité est centrale pour la réussite du quartier. Le schéma « mère, père et deux enfants » ne sera pas do minant, le couple d’architectes a également des idées de colocations, de familles nombreuses et d’habitat intergé nérationnel. Sur huit emplacements, une extension per mettrait d’agrandir les maisons en logement de 5 ½ pièces, sans perturber les espaces extérieurs fluides et en tenant compte de la topographie. Deux ouvertures dans le mur du milieu au rez-de-chaussée et dans les combles permet traient une utilisation communautaire des deux moitiés de la maison. Avec les deux escaliers existants, on obtien drait ainsi des références spatiales différentes. Famille réduite ou habitation intergénérationnelle, les futures habitantes feront partie de la coopérative d’utilité publique dont la création est à l’étude. D’ici là, les habi tants de Flums intéressés peuvent adhérer à l’association Pro Neudorf Flums. Sur son site Internet, celle-ci com mente l’avancement du projet et les avantages du modèle coopératif. En 2025, le propriétaire vendra les maisons à la coopérative et cédera le terrain en droit de superficie. La coopérative décidera alors des idées à mettre en pra tique en se basant sur la maison témoin.
Dans l’agglomération de Zurich: la halle comme espace d’expérimentation pour la culture, l’habitat et le travail.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat La zone grise de l’autoconstruction
L’habitat en halles implique l’utilisation parallèle d’espaces privés et publics, des configurations familiales et modèles de colocation divers et assez de place pour chacun. S’il n’y avait pas d’obstacle juridique … Une piè ce en six scènes.
Texte: Gianna Rovere Habitat en halles L’habitat en halles est né des utilisations temporaires de grandes colocations alter natives et du milieu des squatteurs·euses, avec l’idée de vivre en communauté dans des espaces multifonctionnels s’apparentant à des lofts. Il s’agit souvent de bâti ments vides situés dans des zones indus trielles ou commerciales proches de la ville, qu’un groupe de dix à vingt personnes loue légalement. Comme officiellement, le plan de zone ne permet pas d’habiter sur ces sites mais qu’il est possible de passer la nuit dans son propre atelier, on se retrouve dans une zone grise sur le plan juridique.
La zone grise l’autoconstructionde
Les habitant·e·s aménagent la halle en autoconstruction selon leurs souhaits et leurs b esoins. Outre les espaces de cuisine et les sanitaires, généralement fixes, on retrouve des lieux privatifs souvent modulaires, roulants et construits en hauteur. Pour dégager le plus d’es pace possible à la vie communautaire et au travail, l’espace privé est réduit à un minimum. On renonce volontairement à un aménagement conventionnel en cuisine, salle de bains, salon, chambre ou bureau pour mettre en avant une interface entre la culture, l’habitat et le travail. La cuisine est l’un des lieux de rencontre les plus importants de la halle.
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Niklas: Il faut simplement être conscient du fait que quand on va dans la cuisine, par exemple, on pénètre dans un es pace communautaire et social, dans lequel des gens font du bruit et s’affairent. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place les séjours à l’essai. Si la personne trouve que c’est trop difficile pour elle, il faut bien réfléchir pour savoir si c’est vraiment l’endroit qui lui convient.
Les nouvelles formes du vivre ensemble L’individualisation croissante de la société et le souhait de liberté qui en découle pour l’organisation de sa propre vie et de son travail donnent lieu à un besoin croissant de vie en communauté et d’auto construction. En Suisse et à l’étranger, différents projets de construction et d’ha bitat expérimentent des formes nouvelles et viables du vivre ensemble avec des plans d’utilisation et aménagements com munautaires. Parmi eux, l’habitat dit en halles. Grâce à la mise à disposition de lo caux bruts et non d’appartements finis, une forme légale doit être trouvée pour l’habitat en halles. L’utilisation parallèle d’espaces privés, semi-privés et publics doit également offrir suffisamment d’es pace à différentes configurations familiales et de colocation – pour un habitat densifié.
→ Formes d’autoconstruction: un espace fixe en construction. On retrouve en haut un espace privatif et en bas un atelier.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat La zone grise de l’autoconstruction 17 Scène I: introduction Les lumières s’allument: le soleil doré brille sur la Limmat qui passe devant la Shedhalle. Devant le hangar, Manu, Sonja, Niklas et son fils Enea* profitent de la journée, assis sur un banc. Ils sont en train de prévoir le repas du soir. Niklas ( se lève pour s’adresser au public ): Nous sommes quatre des quelque 15 personnes qui louent cette halle depuis l’été 2019 en tant qu’atelier autogéré et association. Sonja ( depuis le banc ): Et nous pourrons sans doute y rester 15 ans ! Scène II: rouler ou ne pas rouler, telle est la question Tout est calme dans la halle. Niklas déambule sur le sol gris foncé, entre les espaces fixes et mobiles ( des lieux de travail ou privatifs autoconstruits ), et passe devant la plateforme située près de la baie vitrée qui donne sur la rivière.
Niklas ( marche désormais plus lentement ): Au début, je vivais dans un « rollspace », un esp ace mobile que j’ai construit en environ une semaine. Mais finalement, certains s’at tendent à ce qu’on « roule » constamment avec, ce qui, à mon avis, n’est pas le but. C’est la raison pour laquelle je me suis construit un espace fixe par la suite, un espace qu’on ne pouvait pas pousser. Cela m’a pris environ deux mois. ( Montre un espace fixe encore en travaux )
Niklas: Un espace fixe te donne plus d’intimité. On peut mieux le délimiter. En principe, on a toujours la possibilité de se retirer, mais cela se limite à ton propre espace, qui n’est pas immense. ( Continue en direction de la cuisine )
Niklas: Ici, on construit l’espace de Hanna. Au début de son projet, elle n’avait pas vraiment d’expérience en construc tion – mais avec un peu de soutien, tout se passe bien maintenant. Chacun planifie et construit son espace luimême, y compris pour ce qui est du matériel. En dessous, son compagnon aura son atelier. Elle paie plus de loyer en haut que lui, en bas. ( Marque un bref silence et se tourne ensuite vers le public )
Niklas: On pourrait penser que c’est une réserve, mais avec une bonne douzaine de personnes qui cuisinent et qui mangent, cela ne dure pas longtemps. ( Se met à émincer des oignons à l’îlot de la cuisine ) Niklas: J’ai vécu pendant près de dix ans dans des collectifs de quatre à 40 personnes, ou dans des communautés bien organisées. Avant de venir ici, je vivais avec mon ex-com pagne dans un appartement normal que nous louions –mais la vie de petite famille n’était pas pour nous. ( Manu et Enea, cinq ans, arrivent dans la cuisine, Manu joue du ukulélé ) Enea: Est-ce que je peux t’emprunter tes ciseaux ? Nous Un tremplin pour l’IG Hallenleben
Les fonds alloués par le programme ‹ Sprungbrett Wohnungsbau › ont permis la création de l’‹ IG Hallenleben ›. L’objectif est de créer une base de soutien à long terme pour les idées, les valeurs et les qualités de l’habitat en halles, et de mettre en avant cette approche au niveau politique et conceptuel au moyen d’un service dédié. Il est également question de regrouper le transfert de sa voir-faire, de mettre en réseau les projets d’habitat en halles avec les institutions intéressées, et d’apporter un soutien juridique. Le récit de la vie dans des halles ainsi que les approches de solution pour les défis connus et nouveaux doivent faire l’objet de développements sur le plan pratique. Une petite partie de la sub vention est versée à l’association sous forme de coaching, que ce soit pour la co hésion sociale du groupe ou pour le plan de financement. Scène III: la halle se remplit Ce sont les utilisateurs·rices eux-mêmes qui ont installé la cuisine spacieuse. Elle dispose de beaucoup de plans de travail, de deux lave-vaisselles et de plusieurs réfrigérateurs. Sur l’un d’entre eux, on a collé le budget du ménage, soigneusement tenu. La baie vitrée illumine la scène, et on entend les bruits du trafic par une fenêtre ouverte. Niklas ( s’installe à la table de designer blanche et ronde devant l’îlot de la cuisine ): Avec les installations en autoconstruc tion, la halle ressemble peut-être un peu aux ateliers col lectifs d’artistes – en un peu plus rangé tout de même ! Près de trois ans plus tard, beaucoup de choses ont évolué, pas seulement pour ce qui est de la construction. Désormais, une trentaine de personnes vont et viennent ici. Certains ont des espaces fixes, d’autres des postes de travail, et une poignée de personnes utilisent uniquement l’infrastruc ture. Cela signifie qu’elles ont une clé, qu’elles peuvent utiliser l’atelier et les espaces publics et participer à la vie communautaire. En plus de la halle, on trouve également quelques locaux déjà existants. C’est là que se situent par exemple la cuisine, les toilettes et la salle d’exercice et de repos, vide à l’exception de quelques miroirs et tapis. voulons fabriquer un panneau d’interdiction de stationner.
→ La halle ressemble à un chantier permanent qui évolue chaque jour.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat La zone grise de l’autoconstruction 18 Scène IV: cuisine et responsabilité Niklas se lève de table et ouvre l’un des placards peints en rouge ou vert. Les étagères sont soigneusement étiquetées, les boîtes et emballages bien alignés.
Niklas: Bien sûr, prends-les sur ma table, mais remets-les à leur place ensuite. ( Enea et Manu quittent la cuisine. Pendant que Niklas verse du riz à risotto dans une casserole, Sonja arrive. Elle vient d’arriver dans la communauté ) Sonja: As-tu déjà connu des enfants à qui l’habitat en halles ne convenait pas ? Niklas: Je ne peux que citer l’exemple de mon fils. Je trouve qu’on remarque qu’il a de bonnes compétences sociales.
Certaines personnes ici ne s’intéressent pas vraiment aux enfants, mais la plupart y prennent plaisir et vont vers lui spontanément. Comme Manu à l’instant. On ne peut pas se décharger complètement de la responsabi lité d’un enfant ici, mais le fait que plusieurs personnes soient là pour veiller sur l’enfant est certainement un sou tien. Beaucoup de choses se mettent en place: on n’est pas obligé, mais on peut.
ment et l’autoconstruction rendent le concept abordable. De plus, le projet vient de la société civile – il n’y a pas de pro moteur derrière, seulement les actrices et acteurs eux-mêmes. Il s’agit d’un concept innovant, quoique très radical et avec un groupe cible bien spécifique. Mais c’est aussi comme cela que l’habitat en clusters a commencé. » Équipe: association Coaching: Tex Tschurtschenthaler, expert financier Scène VI: épilogue Le repas est prêt. La grande casserole de risotto est chargée sur un chariot de service avec un saladier de salade, une pile d’as siettes, des couverts et des verres. Niklas manœuvre avec atten tion le chariot jusqu’à la grande table de la halle. Manu, Enea, Sonja et Hanna arrivent et remplissent leurs assiettes. Hanna disparaît dans son espace tandis que les autres s’installent à table pour manger. Après quelques minutes, Niklas racle le reste de risotto de son assiette et s e lève. Les bruits de repas se taisent, la lumière s’assombrit. Lumière sur lui. Niklas: Il est intéressant de voir dans quelle mesure l’ar chitecture nous dicte – ou du moins nous suggère – la ma nière dont nous devons et voulons vivre. Si la norme ne se limitait pas aux trois-pièces et aux maisons individuelles, notre société serait bien différente. Pour de nombreuses personnes, nous vivons une expérimentation, mais il s’agit pourtant simplement de notre quotidien. Et ce n’est pas un hasard, c’est nous qui l’avons construit ainsi, comme une trame avec l’idée de partager plus d’espace, vivre comme nous le souhaitons et voir où cela va nous mener.
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● La halle peut être beaucoup de choses à la fois: café, salle de concert, espace privatif ou espace de travail, selon la manière dont la communauté de l’atelier souhaite organiser son quotidien.
* Les noms des protagonistes ont été mo difiés pour protéger leur anonymat.
Scène V: communication Tandis que le risotto mijote, Niklas lave la salade et coupe le chou frisé en morceaux. Hanna entre en silence et marque un temps d’arrêt avant de vouloir à nouveau quitter la cuisine. Hanna: Je suis énervée, mais cela n’a rien à voir avec vous. ( Niklas opine et lui serre brièvement l’épaule en passant ) Niklas: Voilà un bel exemple de l’exploit qu’est la communi cation. Nous avons différentes conceptions de la manière dont nous nous entendons ou composons les uns avec les autres. Je pense qu’il est essentiel d’avoir un dénominateur commun précis suffisamment solide. Plus il est petit, plus il faut faire preuve de tolérance. Et sur le long terme, tolérer ( Frappe avec la cuillère en bois sur le bord de la casserole pour enlever le reste de riz )
Niklas: … c’est offenser.
Le verdict du jury ‹ Sprungbrett ›: « Jusqu’à présent, l’habitat en halles se trouvait dans une zone juridique grise. Une légalisation entraînerait l’obligation de respecter toutes les prescriptions, direc tives de zone, etc., comme le montre l’exemple de la Zollhaus à Zurich. Le jury estime qu’en jouant le jeu, ce thème de niche pourrait être diffusé. Il existe de nombreuses halles vides. Dans le cas de l’habitat en halles, on associe le loge ment et le travail avec des utilisations publiques. L’espace est exploité de manière optimale et l’utilisation individuelle de la surface est minimisée. L’autodéveloppe
Wohnstatt à Wohlen près de Berne: un paradis avec panorama.
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La coopérative Wohnstatt à Wohlen près de Berne a réalisé le rêve de plus d’un: s’installer à la campagne avec des amis. Mais derrière ce bonheur se cachent un travail de forçat et beaucoup de temps. Compte rendu.
Texte: Anna Raymann Bien avant d’arriver, on entend le chant du coq qui sou haite bruyamment la bienvenue aux visiteuses. On s’y at tendait presque: la route longe des moutons, des vaches et un champ fleuri, sur fond de montagnes splendides. On songe qu’on aimerait habiter dans le coin, et on n’est pas la seule. Ici, 18 amis ont élu domicile et se partagent le grand jardin, le four à pizza et la longue table dans la salle com mune. « Dans notre bande, nous sommes nombreux à sou haiter vivre ainsi », explique Mathias ‹ Tuz › Jost en riant. Il y a longtemps, une autre partie du groupe d’amis avait fondé ‹ Wohnstatt ›, mais sans plans concrets. Puis Mathias Jost a découvert cette ferme à Wohlen près de Berne, composée de deux maisons d’habitation principales assez grandes pour toute la « bande », auxquelles s’ajoutent 5000 m² de terrain. En plus, la ville est atteignable à vélo. Le bémol ? S on prix trop élevé. Mais « j’étais tomb é amoureux. Cela m’a incité à rechercher les bonnes personnes prêtes à me ner à bien le projet », raconte Mathias Jost. Son groupe s’est formé, a fait des calculs, rêvé et co gité. Sans hâte, mais opiniâtrement. Ils s’attèleraient eux-mêmes à la transformation, offriraient un foyer à des p ersonnes aux projets de vie différents, à prix modéré et soustrairaient la maison à la spéculation. Au bout d’un an, la ferme à l’orée de la forêt était toujours en vente. Les conditions pour un deuxième essai ne pouvaient être plus favorables. « Per sonne ne s’intéressait plus à la bâtisse. Une aubaine ! » Mathias Jost et ses 17 futurs colocataires ont transféré la coopérative à leur nom et saisi l’occasion. C’était vers 2015, petit à petit, les souvenirs s’estompent. Une communauté renforcée La ferme des années 1940 n’est pas un joyau de style romantique. Certaines maisons de la région, ornées de colombages, d’une véranda joliment ouvragée et de gé raniums rouges, sont plus proches de la carte postale bucolique. Au moment de la vente, la pelouse était fau chée ras, du genre « gazon de golf avec tente et piscine en plastique ». Une partie de la ferme avait besoin d’une rénovation, le stöckli aussi. Pour créer un logement pour 18 adultes, leurs enfants et les animaux domestiques, il fallait mettre la main à la pâte. Certains sont artisans, constructeurs métalliques ou menuisiers, comme Mathias Jost. Tous tâtent un peu d’un autre domaine. Ensemble, on improvise avec dextérité. Les premiers mois, tout le monde participait deux jours par semaine au chantier. À l’exception des poutres porteuses, la partie est a dû être déconstruite, puis reconstruite. « Construir e soude. Non seulement nous habitons ensemble, mais nous poursui vons un même but », explique Céline Fluri. La graphiste vivait avec sa famille à Berne, jusqu’à ce que le 4 piè ces et la colocation pour six personnes au-dessus soient achevés. Le matin, le chemin pour aller à l’atelier, puis le soir pour l’apéritif avec les amies est un peu long, concède-t-elle. Cela étant, elle n’est pas obligée de prendre la voiture chaque fois qu’elle veut faire ses courses. La réserve à la cave renferme presque tout ce qu’il faut: liquide vaisselle, pois chiches, pâtes, tout est bio et équitable. Chaque mois, les colocataires versent une somme qu’ils estiment, parfois plus, rarement moins. Le local contigu est réservé aux échanges de vêtements triés. On donne et on se sert. « Dans notre s ociété régie par le principe de la famille nucléaire, les individus s’isolent de plus en plus les uns des autres. Davantage d’esprit collec tif ne nous ferait pas de mal », déclare Mathias Jost. « Au fond, nous ne sommes pas si différents », p ense Céline Fluri. Elle a pour voisines deux autres familles, avec six enfants au total et deux sont en route. Les membres du groupe ont plus ou moins le même âge et viennent du même milieu. Jusqu’à récemment, un jeune Afghan vivait dans la colocation, mais il a déménagé en ville. Aide extérieure Le coq qui salue les visiteurs s’est échappé de son enclos et traverse en courant la pelouse devenue entretemps une prairie broussailleuse. Deux amies jardinières ont aménagé un jardin naturel. Pas de légumes, mais toutes sortes de fleurs et de graminées qui attirent les insectes. Les enfants ont un trampoline et une maison de jeux, un projet réalisé pendant la pandémie. Bien que ce soient les vacances, la ferme est animée. Néanmoins, après la première phase des travaux, le groupe était à bout de souffle. L’euphorie initiale était retombée, juste au moment de rénover la pièce maîtresse de la coopéra tive, l’espace commun au cœur de la maison. Les tâches communes sont devenues compliquées, le rêve s’est mué en obligation. Un passage à vide fréquent dans de nom breuses coopératives. L’aventure Wohnstatt aurait pu s’ar rêter là. Elle avait besoin d’aide, de quelqu’un qui ressoude le groupe. C’est alors que l’appel d’offres pour le coaching ‹ Sprungbrett › a atterri dans la boîte mail de Céline Fluri.
Exactement ça !
Le nouvel espace commun réunira un jour tout le monde pour les repas, les conversations et le temps parta gé. La coopérative se l’est promis. « Certains aspects sont peut-être moins innovants que prévu. Les logements → On trouve des fermes plus romantiques dans la région. L’idylle de Wohnstatt est terre à terre. À l’arrière de la maison, un autre appartement est en cours de construction.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Exactement ça ! 23 ‹ Tremplin ›, un nom de bon augure. Un coup de pouce, voilà qui tomberait à pic. Ils ont rassemblé les documents re quis, ajouté des photos et expédié le dossier. Les membres de la coopérative ont fait ensemble le voyage à Zurich. « C’était chouette », rac onte Céline Fluri, « Nous pouvions enfin faire connaître notre projet ». Pour la pièce maîtresse de la ferme, Wohnstatt a obtenu en 2019, quatre ans après l’achat, l’aide des architectes Sebastian Holzhausen et Hannes Zweifel. L’alchimie a été immédiate, explique Hannes Zweifel. « Nous avions en face de nous des idéologues au meilleur sens du terme. Ils ne glorifient pas ce qu’ils font, sont organisés et travaillent les uns pour les autres, ensemble. Cet esprit positif en impose. » Le s architectes ont examiné le bien. Qu’offrait la substance ?
Comment poursuivre le récit de la maison ? Holzhausen Zweifel Architekten ont l’habitude de travailler avec des moyens simples. Ils ont transformé la cour de Progr à B erne, classée monument historique, avec un budget li mité, privilégiant les matériaux pratiques aux matériaux prétentieux. Une cour pensée pour l’utilisation et réelle ment utilisée par les clientes du bar, les restaurateurs et les créatrices des ateliers voisins. Planning des tâches et piscine en plastique
L’élément le plus important dans la cuisine communautaire est la longue table où tous prennent place.
Les deux coachs ‹ Sprungbrett › Sebastian Holzhausen et Hannes Zweifel à gauche sont assis avec les habitantes.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Exactement ça ! 24
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Exactement ça ! 25 sont plutôt pratiques. L’espace commun, pièce majeure de la coopérative, est désormais un objectif pour tous », analyse Hannes Zweifel. Une large baie vitrée remplace ra la porte en bois et ouvrira la pièce sur le jardin. La cui sine sera décalée à l’arrière, des niches et un espace de rangement seront aménagés pour les casseroles encore accrochées aux murs et pour la vaisselle et les bocaux qui s’empilent sur des meubles dépareillés. « Nous, nous au rions simplement vidé la pièce et hop, créé l’espace le plus grand possible », pens e Céline Fluri. L’ancienne grange, en biais au-dessus de l’espace com mun, accueille un grand fatras: des herbes fanées dans des pots oubliés, des câbles, des outils et même une bat terie acoustique. Après la transformation, il y aura une ga lerie à ce niveau. Pour visualiser le projet, les architectes ont apporté des photos de maisons japonaises présentant différentes plateformes et éveillé ainsi l’imagination des habitants. « Dans cette p artie centrale, nous avions ima giné construire une sorte de navire équipé de nombreuses couchettes », se s ouvient Céline Fluri. « Il fallait probable ment passer par les options les plus ludiques pour revenir à une solution simple. » Mais l’appartement dans la partie ouest doit d’abord être rénové. La transformation de la salle commune ne débutera que dans un ou deux ans. D’ici là, le groupe doit tenir bon. Pour ne pas perdre le fil, chacun a reçu une mission. Le « bure au du travail » géré à tour de rôle garde une vue d’ensemble grâce au planning des tâches sur le tableau à côté de la porte me nant à l’espace commun. Tous les ans, cinq journées d’ac tion sont organisées: tout le monde met la main à la pâte, sur le chantier ou lors des travaux forestiers. On aide la commune à éliminer les néophytes. Même les points du jour importants sont alors discutés. Chaque étape est fê tée, en petit ou grand comité, comme ce jour d’été où l’on avait accroché l’énorme boule disco au pignon. Le groupe n’a que des photos du lendemain: celles des chaussures oubliées sur la pelouse, des cendres dans le brasero et des serpentins mouillés par la rosée dans la cour. « Nous allons tous vraiment bien. » Céline Fluri r egarde le jar din. Il faudrait songer à soigneusement récurer la pis cine en plastique avant l’été. Un paradis épuisant « De temps à autre, des gens viennent nous voir et nous disent: ce que vous avez, la manière dont vous vivez, nous voulons exactement ça », rac onte-t-elle. Pourquoi cet « exactement ça » ne se r éalise-t-il pas plus souvent ? Pourquoi chaque ferme désaffectée n’est-elle pas habitée par une communauté ? « Le s gens sont trop paresseux », tranche Mathias Jost. Il rit, mais pense sérieusement ce qu’il dit. Bâtir un paradis, c’est un travail de forçat et cela demande du temps. Trois vies de cochon. Depuis la der nière fête du cochon justement, la ferme ne compte plus que Berta, le cheval en bois grandeur nature, une colonie d’abeilles, les poules et le coq qui doit réintégrer l’étable avant que le renard ne l’attrape. ● Le verdict du jury ‹ Sprungbrett ›: « Wohnstatt p ourrait devenir un modèle pour ce type de projet, car nombreux sont ceux qui rêvent de cette forme d’habitat à fort potentiel d’épanouissement person nel. Déjà présente dans les années 1980, elle innove aujourd’hui une véritable alter native à la maison individuelle en milieu rural. Le projet est bien plus qu’une île des bienheureux. Des réfugiés et des per sonnes défavorisées en font partie et cela ne doit pas changer. Wohnstatt se sous trait volontairement à la spéculation, mais l’équipe ne fait pas de prosélytisme. La coopérative est le reflet d’une génération qui souhaite vivre autrement et a des idées bien à elle, cependant peu empreintes d’idéologie. Les personnes expérimentent des formes d’habitat et de vie et les dé fendent sans donner de leçons. » Équipe: coopérative d’habitation Wohnstatt Coaching: Holzhausen Zweifel Architekten
Rez-de-chaussée → 0 5 10 m 1er étage
Denens: Charles Capré et Arthur de Buren construisent des appartements en clusters dans une grange.
Lui: Ouais, c’est vrai, c’était nul, avant. Je déprimais, tout s eul. J’avais tout, mais je n’avais personne. On est quand même mieux à la Grange. Elle: Tu sais comment ils l’ont conçue ?
Lui: Les deux architectes ? Non, en fait Elle: C’était quelques années avant l’Événement, en 2017. L’un deux a reçu un mandat de sa mère et de sa tante, les propriétaires. Elles voulaient transformer la grange dont elles avaient hérité en habitation. Mais il n’y avait pas assez de place pour faire des appartements standards, alors les deux jeunes architectes ont proposé d’y créer des clusters.
Texte: Casimir Trabandan Sur le pont d’une grange, assis sur des bottes de paille rangées de manière à former un mobilier sommaire, une femme et un homme, pratiquement nus, discutent, à la lumière d’une bougie.
La pièce de théâtre La pièce intitulée ‹ La thé orie de l’ours polaire › a été corédigée par Alexis Rime, Stella Giuliani et Arthur de Buren. La troupe du Comsi se produisait lors du Festival des Granges à La Chaux ( Cossonay ) et dans deux autres fermes.
Lui: C’est vrai qu’autrefois on ne pensait pas que c’était possible. Comment ont-ils trouvé les habitants ? Elle: Ils ont postulé à un programme de coaching. Ils di saient que la ‹ Grange › pourrait être un projet-pilote, un modèle qui pourrait se généraliser.
Lui: Des quoi ? Elle: C’est le nom qu’on donnait à notre manière d’habi ter: une colocation géante, avec séjour, cuisine et jardin en commun, mais aussi une petite cuisine et une salle de bain par appartement. C’était nouveau et on en parlait beaucoup dans les villes. Mais ça n’existait pas vraiment en campagne. Lui: Oui, enfin, dans le monde d’avant Elle: Maintenant nous vivons pratiquement tous en com munauté. Nous n’avons plus vraiment le choix, d’ailleurs. Mais à l’époque ça n’allait pas de soi, le territoire rural n’attirait pas vraiment d’initiatives progressistes, d’alter natives aux petits logements taillés sur mesure pour des familles – ou de l’idé e qu’on se faisait. Il rigole et s’étouffe en mangeant sa pomme. Puis reprend: Lui: Ah ben c’est sûr ! Avant, quand on déménageait à la campagne, c’était plutôt pour se ranger … Et les deux sœurs ont accepté ? Elle: Elles étaient d’accord, mais à la condition qu’ils trouvent les futurs habitants. Pour obtenir un prêt, il fallait aussi convaincre la banque qu’ils pourraient réunir dans une même maison des gens qui ne se connaissent pas.
Lui: Je dirais que c’était plutôt visionnaire au vu de ce qui s’est passé. Elle: Il faut dire qu’il y avait plein de granges vides à l’époque, qui n’attendaient qu’à être habitées. Leur pro jet a été retenu et c’est comme ça qu’on leur a présenté Laurent Guidetti. C’était une sorte de gourou en Suisse romande, un architecte engagé, ‹ écolo ›, comme on disait. Je crois que ça a bien fonctionné. Guidetti a réinvesti
Les habitants du monde d’après Deux rescapés après la catastrophe. Ils habitent dans une grange transformée, en communauté comme tout le monde désormais. Lui et elle égrènent calmement leurs souvenirs.
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Lui: On n’était pas si mal avant, tout de même … Elle: Oh, arrête, on n’arrêtait pas de courir, on n’avait plus le temps pour rien. Et on tombait malade. Il croque une pomme et mâche lentement, avant de répondre.
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Le coach ‹ Sprungbrett › Laurent Guidetti avec les architectes Arthur de Buren et Charles Capré.
Le hall au centre sert d’espace principal et de cage d’escalier. Visualisation: architectes La grange à Denens, sur les hauteurs de Morges, avant transformation.
Lui: Tu penses que nous ne sommes que des personnages de théâtre ?
Du bruit se fait entendre dans les autres pièces: des pas, des paroles, des verres qui s’entrechoquent. Rideau. ● Le projet Au cœur d’un village vaudois se dresse une grange désaffectée. Les proprié taires acceptent de se prêter à l’expé rience de deux jeunes architectes qui projettent une colocation en clusters. L’intérieur s’articule en six clusters de différentes dimensions, avec salle de bain et kitchenette, autour de partie s communes: hall, cuisine, coin cheminée et chambre d’amis. Le contrat signé par les locataires s’intitule ‹ Charte pour un habitat durable ›. Ils s’engagent à renoncer à la voiture individuelle, à utili ser les ressources avec parcimonie et à éviter « toute forme d’extrémisme ou de marginalisation ». La ‹ Grange › de Denens souhaite ainsi allier qualité de vie et durabilité
Lui ( plié de rire ): Apparemment ça n’a pas fonctionné ! Elle: Non … mais au moins ça a inspiré les architectes. Ils sont allés trouver une troupe de campagne et ont conçu une pièce. Ils ont travaillé ensemble avec les acteurs, avec l’aide d’un écrivain et d’une metteuse en scène.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Les habitants du monde d’après 31 une partie de la somme dans le développement du pro jet et invité les deux architectes à s’intéresser à l’une de ses passions: le théâtre d’improvisation.
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Lui: Tu veux dire qu’ils ont joué notre existence avant de la projeter ? Intéressant comme approche, pour des archi tectes. Ils ne s’intéressent pas toujours aux habitants. Elle: La pièce a même été jouée plusieurs fois, dans trois granges différentes. Ils ont fait salle comble à chaque re présentation: les habitants des villages, curieux, sont ve nus, ainsi que des gens de toute la région. Lui: Les futurs habitants étaient-ils dans la salle ? Elle: À par moi, personne. Mais le bouche-à-oreille et les r éseaux sociaux ont fait le travail. Le projet intéressait pas mal de monde: je pense que beaucoup de gens vou laient construire, mais n’avaient ni le terrain ni les res sources pour investir. Alors la vie en communauté repré sentait une option, qu’il fallait mettre en scène afin de s’y Le verdict du jury ‹ Sprungbrett ›: « Les hautes écoles et les offices fédéraux sont proches, la demande de logements est forte. Le canton de Vaud regorge par ailleurs de granges vides. De nouvelles formes d’habitat non conventionnel pour raient aider à en faire des lieux utilisables et permettre à de jeunes adultes et à des personnes âgées de rester au village. C’est un petit projet, qui répond cependant à une problématique générale urgente. La transformation devrait contribuer à la culture du bâti. Assistons-nous à l’émer gence d’un nouveau type d’habitat rendant lisible le dénominateur commun des granges de la région et leur histoire ? » Équipe: Arthur de Buren et Charles Capré Architectes Coaching: Laurent Guidetti, architecte projeter. La pièce a été jouée durant la première pandémie, celle de 2020, qui a déclenché un confinement généralisé, puis un premier exode rural.
Elle: Peut-être. Mais en même temps, si nous sommes plus nombreux, peut-être pas.
Lui: Cette pièce, tu l’as vue ? Elle: Oui … Lui: Et qu’est-ce que ça racontait ? Elle: Eh bien, notre histoire, en quelques sortes: la vie com munautaire dans une grange, après la catastrophe.
Il mange sa pomme en mâchant lentement, pensif.
Lui: Ah oui, je m’en souviens. La solitude du confinement … quel ennui ! Elle: Au moment de lancer l’appel, une vingtaine de per sonnes ont répondu. Comme il n’y avait que six apparte ments de part et d’autre du grand espace central, les ar chitectes ont organisé des rencontres et laissé les gens s’organiser en groupes, selon leurs affinités et en prenant soin de respecter une certaine diversité. Lui: Incroyable, cette histoire. Mais comment ont-ils trans formé la grange ?
Lui: J’avais entendu que leur gourou était un philosophe français ? Elle: Ah oui, Bruno Latour. En effet, l’un des architectes a participé à un programme monté par Latour à Paris. Là aussi, le théâtre jouait un rôle important ; on disait que c’était une manière de partager des idées et des émotions en direct, collectivement, et non plus à travers un média. À l’époque, Latour avait monté une pièce de théâtre pour ex pliquer aux gens l’urgence des dérèglements climatiques.
Elle: Selon le principe du ‹ faire avec ce qu’on a ›: des s olives réemployées, les terres d’excavation valorisées en brique d’adobe, etc. Ils ont même fait un mur en gabion avec les pierres délogées pour percer les ouvertures. Pour isoler, ils ont employé du crépi isolant à la chaux et avec du chanvre. À l’époque, il fallait à tout prix limiter l’emploi des éner gies dans les matériaux de construction Lui: …avant qu’elles ne s’amenuisent complètement.
Trubschachen dans l’Emmental: une coopérative autour d’Anton Küchler 2 e à. p. de la g. recherche l’habitat collectif idéal.
Un rêve difficile à concrétiser À Trubschachen dans l’Emmental, la coopérative Sonnhas planifie un habitat groupé avec une ferme collective. Conception, construction et exploitation seront les plus écologiques et économiques possible. Histoire d’une planification difficile.
Texte: Melanie Keim
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La Mauerhoferhaus à Trubschachen: l’ancienne demeure d’un riche négociant en fromages sert aujourd’hui de lieu de réunion à la coopérative Sonnhas.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat
Un rêve difficile à concrétiser
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Un rêve difficile à concrétiser 35 Le plus souvent, un écriteau portant l’inscription « Notre magasin est définitivement fermé » à la porte d’un maga sin, au cœur du village, n’augure rien de bon. On trouve ces écriteaux dans des localités peut-être ravissantes, mais peu attractives. Des localités comme Trubschachen. Si tué au pied du Napf, le village s’enchâsse entre les douces collines de l’Emmental, vers le milieu de la ligne ferro viaire Berne-Lucerne qui traverse l’Entlebuch. À la gare, le voyageur est accueilli par l’odeur de beurre et de sucre qui s’échappe de la biscuiterie Kambly, par un libre-service de produits régionaux agricoles et faits maison et par un écriteau qui souhaite la bienvenue « au cœur de l’Emmen tal, au cœur de la Suisse ». Mais dans ce cœur-ci, on ne fait que passer. À Trubschachen, les chiffres de la popu lation ne baissent pas, ils stagnent. Certaines habitantes de Trubschachen et de Trub, le village voisin, sont persua dées que le village pourrait attirer plus de monde, que de nombreux urbains seraient ravis d’habiter ici, à condition qu’on leur offre ce qu’ils cherchent et ne trouvent pas en ville, que l’on concrétise leur rêve d’une vie isolée: cultiver son potager sur un lopin de terre. Cette transposition dans la réalité, la coopérative Sonn has entend la proposer. Sur une parcelle située à côté de la ligne ferroviaire, elle planifie un lotissement coopératif pouvant accueillir environ 50 personnes. Elle fixera des loyers abordables, ce qui leur donnera le temps, en parallèle à leur emploi rémunéré, d’assurer en partie une production autonome, dans une ferme collective pratiquant la perma culture: les besoins seront couverts au maximum par des r e ssources locales et renouvelables. Un principe que l’ex ploitation mais aussi la construction du lotissement devront suivre: l’ensemble devrait être en effet bâti en bois massif naturel de la région. Cinq personnes engagées Nous n’en sommes pas encore là. L’histoire du projet Sonnhas est d’abord celle d’un groupe engagé nourrissant une idée visionnaire, et d’un long et difficile cheminement vers un but. Dans les rôles principaux, on trouve Anton Küchler, le spécialiste de la permaculture en Suisse. Anton Küchler dirige une ferme communautaire consacrée à la permaculture sur le Balmeggberg, sur les hauteurs de Trub, et un bureau de design en permaculture à Trubschachen. Il est la locomotive du projet. À ses côtés, Ingur Seiler, char pentier de formation, qui a grandi au Berghof Stärenegg au-dessus de Trubschachen, où il travaille aujourd’hui avec des adolescents ayant des besoins particuliers. La petite phrase selon laquelle le lotissement prévu sera construit avec un litre de colle au maximum par logement, c’est lui. Puis il y a l’agriculteur, qui a lui aussi grandi à Trub schachen et qui exploite aujourd’hui une ferme Demeter. Pour lui, ce qui compte, c’est que les logements soient abor dables, même s’ils sont en bois. Le rôle de la seule femme du groupe est joué par une scénographe qui habite et tra vaille dans une maison communautaire à vocation agricole centrée sur la permaculture. Elle s’intéresse surtout à la manière dont les futures habitantes utiliseront le lotisse ment. Le cinquième de la bande est le ‹ Tranquille ›: l’archi tecte de Langnau, qui parle peu et porte deux casquettes, celle de mandant et celle de mandataire. Les cinq ont for mé un jour le comité directeur de la coopérative Sonnhas, fondée spécialement pour ce projet résidentiel et agricole. Le point de départ, c’est cette parcelle de terrain à bâtir sur les extérieurs de Trubschachen, mis e en vente avec une an cienne ferme voisine, et le sentiment qu’il pourrait y avoir des demandes pour la combinaison habitat et agriculture sans ferme personnelle. « J’ai l’impression qu’il y a pas mal de gens qui aimeraient ce type d’habitat, même des gens de mon en tourage », explique Anton Küchler. Comme lui: à la campagne, loin de tout. Mais il sait aussi que l’isolement n’est pas facile, que certains redescendent des collines pour s’installer dans des localités mieux desservies. Anton Küchler connaît bien le qualificatif que l’on donne aux citadins hautement qualifiés qui repeuplent les zones en recul démographique. Il mentionne en riant les « New Highlanders » et le « type du nouveau bourgeois », politique ment correct, écologiquement responsable et habitant dans un lotissement coopératif. L’expert en permaculture n’en parle pas de façon péjorative. Lui-même est un ancien nouvel arrivant, il s’est installé dans la région il y a 20 ans après ses études à l’ETH Zurich et s’est ancré dans le cercle qui a vu naître le projet Sonnhas. Un milieu constitué de marginaux et d’avant-garde écologique, de passionnés de permaculture et de projets communautaires, pour le citer.
Un contexte initial difficile La Mauerhoferhaus où nous nous rencontrons possède également un charme alternatif. Dans cette ancienne mai son imposante située sur l’artère principale vivait à l’époque de Gotthelf, un riche négociant en fromages. C’est ici que travaillent aujourd’hui le conseiller en permaculture et deux spécialistes en informatique, dans des bureaux semblables à de confortables salons. Une illustratrice y a installé son stu dio, un cordonnier son atelier. On y trouve aussi du café torré fié local et la cave où l’on entreposait les fromages accueille un espace événements. La première réunion de l’équipe de planification s’est tenue dans une salle avec vue sur le terrain en pente, au prin temps 2022, trois ans après l’achat de la parcelle et de la ferme. Dans l’intervalle, l’équipe a dû vaincre quelques obsta cles. En premier lieu, relever le défi initial: une construction la plus économique et écologique possible. Bâtir en bois massif selon les principes de la permaculture peut vite devenir cher. Autre écueil, le comité a mis du temps à se mettre d’accord. Même si l’on fait partie du même milieu, du même univers intellectuel et culturel, on ne trouve pas forcément un point commun. Dans les rôles secondaires, on a aussi l’État qui ne prévoit, pour la parcelle en périphérie du village, que des → Parcelle du lotissement avec la ferme en rouge et la Mauerhoferhaus en bleu.
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Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat Un rêve difficile à concrétiser 36 maisons individuelles et doit accorder une dérogation pour l’acquisition de la surface agricole. Une modification des prescriptions de zones avec obligation de planification est né cessaire pour le lotissement prévu. Un coach entre également en scène: il s’agit d’un professeur d’architecture de la Haute école de Lucerne qui doit soutenir le comité directeur pour la planification, mais ne peut pas vraiment être utile ici. Les conceptions sont trop divergentes. Enfin, les voisins jouent aussi un rôle dans la pièce, incitant presque, lors de l’assem blée communale, la population de Trubschachen à ne pas dé livrer l’autorisation pour des constructions plus grandes que des maisons individuelles. « Classique dans un village », com mente Regula Turtschi à propos du résultat serré du vote en s eptembre 2020. Il y a quelques semaines, la scénographe et l’agriculteur ont quitté le comité directeur. Elle justifie sa dé cision par des raisons personnelles, évoque ses ressources, mais aussi un processus difficile. Elle aurait préféré une ap proche plus pragmatique et se serait accommodée de plus de compromis sur les idées écologiques. Au lieu de s’attarder sur des détails techniques comme les matériaux de construc tion ou la quantité de colle, elle aurait préféré s’intéresser à l’utilisation des espaces et, sur cette base, planifier le projet. Son récit ne laisse cependant transparaître ni frustration ni amertume. Pour Regula Turtschi, le projet reste un « superb e » projet et une « chance fantastique pour le village ». Elle est convaincue que le comité, ainsi réduit, progressera. Conflits d’objectifs et esprit pionnier Les points de vue divergents sont clairement apparus lors des premières ébauches à l’occasion du coaching: sur un plan, quelqu’un a fait remarquer que cela ressemblait trop peu à une habitation. Pour une structure sinueuse qui se serait parfaitement insérée dans la pente, la discussion s’est de nouveau focalisée sur la construction en bois. Avec le bois, les formes en zigzag sont compliquées et donc coû teuses. « Nous avons constaté que nous ne pouvions pas être un interlocuteur sérieux en tant que maîtres d’ouvrage, si nous n’étions pas d’accord », explique Anton Küchler. Dans un processus démocratique, les cinq membres du comité ont décidé d’axer le projet sur les matériaux et la méthode de construction. Seul du bois massif provenant des forêts en vironnantes et transformé par l’industrie locale sera utilisé. Il ne restait alors plus que trois membres à promouvoir leur vision pour Trubschachen. Un manuel du projet est disponible. Il clarifiera les ques tions essentielles concernant le lotissement et la planifica tion. Le comité restreint n’en est pas moins face à la quadra ture du cercle, tant le projet est complexe. En parcourant le terrain avec les trois membres restants, on saisit leur esprit pionnier et leur passion de concevoir. Devant l’ancienne ferme flanquée d’un stöckli, d’une grange et d’un cabanon, les hypothèses sur de futurs usages possibles fusent: dans la vaste ferme, il y aurait de la place pour une table de repas commune ou un espace de stockage, et devant le fournil près de la Mauerhoferhaus où se réunit chaque semaine le groupe boulangerie, on peut imaginer la vie communautaire aux ac cents campagnards et urbains. Construction et urbanisme
On ne p arle plus guère de l’utilisation ou des espaces exté rieurs. Le prix a la priorité: comment concilier construction en bois massif et logement ab ordable ? L’option préférée – la disposition en anneau – sus cite des réticences de la part de l’architecte paysagiste, car la forme fermée ne correspond pas à l’idée du lotissement qui cherche au contraire à relier l’habitat à l’exploitation des terres alentour. Pôle important, le lotissement doit également être attrayant. La modification des prescriptions de zones est condition née à la mise en œuvre d’une procédure de qualité. Le budget restant du coaching ‹ Sprungbrett › est dorénavant affecté en partie à des ateliers avec des professionnels externes, une architecte paysagiste et un architecte expert en durabilité. Quand vient la question de savoir à quelle date ceux de l’exté rieur pourront emménager, on voit que ce projet n’est pas uni quement pensé pour eux. Sonnhas est aussi un projet destiné à Trubschachen et à ses habitantes actuelles et aussi à ceux qui souhaiteront peut-être un jour descendre des collines. ●
La visite du terrain soulève aussi des questions fonda mentales: par exemple, ne devrait-on pas acheter à la com mune l’étroite bande de terrain qui appartient à l’école at tenante ? Pour s’apercevoir ensuite que le temps n’est pas Le verdict du jury ‹ Sprungbrett ›: « La coopérative Sonnhas veut promouvoir un habitat abordable et autonome à Trubschachen. Il existe déjà des alterna tives de ce type dans la région, il s’agit donc d’un projet réfléchi qui peut se ratta cher à d’autres. La coopérative souhaite bâtir quelque chose de pertinent, un lotis sement simple en bois local. Elle veut donner quelque chose au village, de nou veaux habitants et des élèves. Quand on est paysan, on reste au village, a déclaré l’un d’eux, il faut donc améliorer le village. C’est un projet de développement qui part de la base et à ce titre, un projet pionnier. » Équipe: coopérative Sonnhas Coaching: Christian Zimmermann, architecte ( retiré du projet ), Peter Schürch, architecte, et Sabine Wolf, architecte paysagiste le paramètre essentiel du projet. « Rien ne presse », pré cise Anton Küchler, mais aussi Ingur Seiler, le charpentier, qui explique qu’il fauche ce tapis de verdure et peut utiliser le fourrage pour ses bêtes. En entendant le groupe discuter des plans, on comprend ce que veut dire planifier à partir des ma tériaux. Plus aucune mention en revanche des formes d’ha bitat innovantes comme les clusters ou les habitations pour seniors. Les questions sur la table sont désormais plutôt: quelle doit être la largeur des pièces pour ne plus utiliser de poutres collées ni de structures d’assemblages complexes ?
L’ancienne ferme avec stöckli, grange et cabanon sera utilisée par les futurs occupants.
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Le terrain du lotissement est situé entre le chemin et le terrain scolaire. Sur le devant, le coteau descend vers la voie ferrée.
Daniel Brunner: Nous voulions que les locataires disposent de droits similaires à ceux des propriétaires et qu’ils puissent aussi transformer les appartements. Metron a notamment proposé une protection très étendue contre les résiliations de bail, mais cela entrait en conflit avec le concept de l’entreprise d’alors, qui associait un logement de fonction à un emploi. En conséquence, mais aussi à cause du scepticisme quant à l’attractivité des apparte ments avec un standard d’aménagement simple pour les employés de Landis & Gyr, la holding a interrompu l’étude, en proposant que les « jeunes » puissent montr er sur un terrain résiduel dans la campagne de Hünenberg si leurs intentions étaient compatibles avec le marché et la réalité.
Andrée Mijnssen: Notre offre s’adressait aux groupes les plus défavorisés économiquement sur le marché du logement. Les loyers de ‹ Schauburg › étaient moins chers que les nou veaux appartements en coopérative ; la maison mitoyenne avec jardin, d’une surface de 95 m², coûtait 110 0 francs par mois. En même temps, la loi fédérale encourageant la construction et l’accession à la propriété de logements ( LCAP ) garantissait des aides supplémentaires pour les mé nages à revenus bas et moyens. Les locataires de ‹ Schau burg › avaient également l’avantage de ne pas devoir ac quérir de parts sociales. Avec une protection très étendue contre les résiliations de bail, ils pouvaient facilement dé ménager à nouveau.
Daniel Brunner: Nous avons rejeté la forme d’une fonda tion parce qu’une société anonyme d’utilité publique fe rait plus d’émules pour la construction économique et respectueuse de l’environnement. La possibilité d’aides fédérales liée au modèle LCAP devait rendre le concept ‹ Schauburg ›, avec comptabilité ouverte, particulièrement intéressant pour les coopératives et autres maîtrises d’ou vrage disposant de peu de fonds propres. En 1986, l’ensemble Schauburg avec ses 20 maisons mitoyennes et 14 appartements était terminé et les logements ont été loués rapidement. Il constituait un projet écologique pionnier dans le domaine de la construction sociale de logements locatifs.
L’ensemble Schauburg a vu le jour il y a 40 ans, près de Zoug. Entretien sur les logements durables avec Andrée Mijnssen et Daniel Brunner de ProMiet AG, et Andreas Wirz des coopératives d’habitation de Zurich.
Daniel Brunner: À partir de 1980, je travaillais à côté de mes études comme rédacteur technique dans l’industrie à temps partiel. À cette époque, j’ai intégré un groupe d’action luttant contre le manque de logements, l’‹ Ak tionsgruppe Wohnungsnot ›. Je me suis engagé dans des campagnes de votation pour les logements urbains et j’ai milité contre les démolitions de logements et la trans formation d’appartements en bureaux. À l’époque, j’habi tais dans un ensemble de Landis & Gyr très simple, situé à Arbach et voué à la démolition. C’est dans ce contexte qu’est née l’idée de quelques descendants de l’entreprise familiale Landis & Gyr de transformer profondément la po litique de construction de logements de cette dernière.
Andrée Mijnssen: Nous étions huit héritiers et nous avons relevé le défi en chargeant les architectes de Metron Markus Ringli et Claude Vaucher d’élaborer un projet de construction. Peu après, ils ont fondé la spin-off Büro Z et nous avons monté la société d’utilité publique ProMiet AG. Pourquoi avez-vous opté pour une société anonyme d’utilité publique et pas pour une autre forme ?
Daniel Brunner: Avec la signature du bail, les locataires de venaient membres de l’association des locataires et rece vaient des droits d’aménagement et de participation. Andrée Mijnssen: À l’époque déjà, les panneaux solaires, les façades en bois avec lasure colorée biologique, les plan tations d’espèces végétales locales, le revêtement per méable des sentiers piétonniers et le compostage contri buaient à la protection de l’environnement. Du reste, le comité de l’association des locataires était convié aux as semblées annuelles des actionnaires.
Interview: Karin Salm Au début des années 1980, comment est née l’idée de fonder ProMiet AG pour créer des habitations à la fois favorables aux locataires et écologiques ?
Le projet Kraftwerk 1 à Zurich a vu le jour 15 ans après ‹ Schauburg ›. Andreas Wirz, vous êtes co-fondateur de la coopérative de construction
Andrée Mijnssen: Au début des années 1970, j’ai étudié l’éco logie des paysages et le développement territorial à Berlin, ce qui a éveillé mon intérêt pour une construction de loge ments qui soit aussi écologique. En Suisse, ce n’était pas encore un sujet à l’époque. En 1981, Ursula Brunner, Daniel Brunner et moi-même nous sommes adressés à Alexander Henz, professeur à l’ETH: nous voulions savoir comment Landis & Gyr pouvait permettre une construction de loge ments abordable et écologique avec une protection des locataires et une autogestion. À l’époque, les nouveaux appartements de l’entreprise étaient trop chers pour les employés normaux. Comme Landis & Gyr fixait la valeur du terrain à 15 % des c oûts d’investissement, il n’y avait aucune incitation à construire à bas prix. Quelles ont été les réactions ? Andrée Mijnssen: Alexander Henz nous a orientés vers Me tr on à Brugg, dont il était le co-fondateur. À la suite d’un conflit avec la direction de Landis & Gyr, Metron devait réaliser une étude sous l’égide de la holding familiale Lan dis & Gyr et aux frais de cette dernière. Huit héritiers de la génération des petits-enfants Gyr, âgés de 22 à 32 ans, se sont engagés dans le groupe d’accompagnement.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat « Les locataires ont obtenu un droit de participation » 38 « Les locataires ont obtenu un dr oit de participation »
Andrée Mijnssen: Au conseil d’administration, nous avons dis cuté en détail de la question de savoir si nous souhai tons développer ‹ Schauburg › et si oui, comment. D e larges travaux de rénovation étaient également prévus. Les ac tionnaires ont donc décidé de confier le développement futur à un organisme au profil similaire.
Daniel Brunner Né en 1957, etProMietéconomique,anthropologuedirecteurdeAGde1983à1992membreduconseild’administrationjusqu’en2007,membreduGrandConseildelavilledeZougde1986à1998.
Cahier thématique de Hochparterre, septembre 2022 De nouvelles formes d’habitat « Les locataires ont obtenu un droit de participation » 39 et de logement du même nom. L’ensemble Schauburg était-il présent dans vos discussions ? Andreas Wirz: Non. Bien sûr, c es sujets me sont familiers. Mais il y a une différence de taille entre tenter d’apporter une contribution dans le nid déjà établi du conglomérat familial et se lancer après 1994, en période de récession. Nous avons cherché d’autres formes de logement. Notre revendication est née du mouvement des années 1980 et de la lutte pour les logements. La famille en tant que mode de vie était remise en cause. Nous nous intéressions aux grands ménages, aux colocations qui dépassaient le cadre de la communauté d’intérêts pour être envisagées comme une extension du vivre ensemble. L’écologie était égale ment un sujet central chez nous. Kraftwerk 1 a construit le premier grand immeuble certifié Minergie avec un sys tème de ventilation. Beaucoup disaient que cela ne fonc tionnerait pas, mais c’est pourtant le cas depuis plus de 20 ans maintenant. J’ai l’impression que les questions éco logiques n’ont pas vraiment avancé.
Cela était-il aussi lié à la lenteur des coopératives dans les années 1980 et 1990 ? Andreas Wirz: Effectivement, il s’agissait des années de crise pour le mouvement des coopératives en Suisse. Les coopératives vivaient de leur héritage et apportaient peu d’innovations. De nombreux membres des comités vi vaient eux-mêmes dans les ensembles d’habitations et ne voulaient rien faire qui puisse conduire à une augmenta tion des loyers. C’était pour nous le bon moment pour agi ter un peu la branche.
Andreas Wirz: En France, il existe des territoires entiers avec des villages sans bistrot ni magasin, avec seulement un grand supermarché dans la rue principale. En Suisse, nous n’en sommes pas encore là. Mais ici aussi, la mobilité crois sante fait qu’on ne dépend plus de son environnement di rect. Si nous parvenons à promouvoir dans les petites loca lités des communautés qui créent un nouveau cœur de vie et qui offrent un nouveau regard sur le vivre ensemble du village ( par exemple en mettant en place un petit commerce ou un bistrot le samedi ), nous pouvons contribuer de ma nière essentielle à renforcer la région rurale concernée. ● Andrée Mijnssen Née en 1950, études en éco logie de s paysages et développement territorial, propriétaire d’un centre de séminaire écolo gique jusqu’en 2012, membre du conseil d’ad deministrationProMietAG depuis sa fondation en 1983.
Daniel Brunner: À l’époque, une construction de logements à la fois abordable et écologique était considérée comme une équation insoluble, une contradiction. En tant que po liticien local, je voulais changer cela. Depuis, les choses ont beaucoup évolué en matière de construction de loge ments urbaine et en coopérative. L’ensemble Schauburg s’est agrandi en 1996 tandis qu’en 2013, ProMiet AG l’a vendu à la coopérative Wogeno Luzern.
Andreas Wirz: Cette histoire me préoccupe. Elle montre qu’une SA n’est pas un modèle durable pour transmettre l’esprit des fondateurs à la génération suivante. C’est pour cette raison que j’apprécie la forme juridique d’une coopé rative, un modèle intergénérationnel pour les personnes qui habitent dans l’ensemble résidentiel et qui en assurent la gestion. Il existe d’ailleurs des entreprises ayant choisi la société coopérative d’utilité publique comme modèle commercial, comme l’entreprise Halter, qui fonde des coo pératives avant de les transmettre aux coopératives de lo cataires. Nous ignorons encore si le transfert fonctionne. Avec le produit de la vente de ‹ Schauburg ›, vous avez mis sur pied l’initiative ‹ Sprungbrett Wohnungsbau ›, avec pour objectif d’encourager les projets d’habitation innovants et durables en zone rurale et en agglomé ration , et ce, sous la forme de coachings visant à transmettre savoir-faire et contacts. Andrée Mijnssen: Cela fait longtemps que les bons concepts existent dans les villes, à l’instar de Kraftwerk 1. D e tels projets n’ont guère besoin de soutien. Notre idée était de transmettre des connaissances spécifiques, par exemple dans le domaine du financement, de l’organisation ou de la construction écologique.
Andrée Mijnssen: Pour ‹ Sprungbrett ›, nous avons sélection né quelques projets riches en idées. Nous ne saurons que dans quelques années si cela donne lieu à quelque chose de durable. Les nouvelles formes d’habitat et de vie doivent notamment encourager d’autres personnes à es sayer de suivre l’exemple.
Daniel Brunner: Finalement, on se trouvait face à un change ment de génération et aussi à un point faible de la SA d’uti lité publique: en cas de legs d’actions avec interdiction statutaire de dividendes, les réserves latentes de la SA au raient pu être réclamées, ce qui aurait pu mettre en péril l’ensemble d’habitations favorable aux locataires.
Andreas Wirz Né en 1966, architecte avec son propre cabinet à Zurich et associé chez Archipel, co-fondateur et membre du comité de Kraftwerk 1, membre du co mité des d’habitationcoopérativesdeSuisse de puis 2010, association régionale de Zurich.
Andreas Wirz: Les coachings sont une bonne idée. À l’asso ciation des coopératives d’habitation de Zurich, nous appe lons cela le conseil en création. De nombreuses petites coo pératives sont tenues dans un système de milice. Dès qu’il y a un défi plus important à relever, le comité est dépassé. Un tel soutien fait surtout défaut dans les régions rurales, où la part d’appartements en coopérative est faible. Dans certaines communes, il n’existe même pas d’appartements locatifs mais quasiment que des maisons individuelles.
De formesnouvellesd’habitat
De la cité ouvrière d’autrefois au projet de lotis sement en permaculture, de la ferme co opé rative autoconstruite à la vie dans une ancienne halle industrielle, en passant par des clusters dans un village, tous ces projets contribuent à la réflexion nouvelle sur la construction de loge ments en Suisse. Le programme ‹ Sprungbrett Wohnungsbau › créé par ProMiet AG a soutenu les cinq équipes en leur attribuant des coachs afin de leur faire bénéficier d’expériences de longue date. Avec le soutien amical de ProMiet AG
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