rue des beaux arts n ° 43

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RUE DES BEAUX ARTS Numéro 43 : Avril/Mai/Juin

RUE DES BEAUX ARTS Numéro 43 : AVRIL/MAI/JUIN 2013

The Importance of being Earnest, Opéra de Gerald Barry mis en scène à Nancy (Image aimablement fournie par Gerald Barry)


RUE DES BEAUX ARTS Numéro 43 : Avril/Mai/Juin

Bulletin trimestriel de la société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin

Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis

On peut trouver tous les numéros de ce bulletin à l’adresse www.oscholars.com

§1. Editorial


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UNE AMITIÉ BRISÉE : les retombées inattendues de l’affaire Dreyfus

Parmi les fidèles amis d’Oscar Wilde, le plus méconnu et le plus mystérieux est sans aucun doute l’anglo-péruvien Carlos Blacker, « l’homme le mieux vêtu de Londres », selon Oscar, dont il écrivait peu après sa libération : « Souvent, dans ma prison, je pensais à vous, à votre nature chevaleresque, à votre générosité sans limites, à vos vives sympathies intellectuelles, à votre culture si réceptive et raffinée ».1 Wilde et Blacker se sont connus au tout début des années 1880. Ils devaient rester des amis intimes jusqu’en juin 1898, date à laquelle un brouille intervint entre les deux hommes qui mit définitivement fin à leurs excellentes relations.

Robert Maguire, Ceremonies of Bravery, Oxford University Press, 2013 – Traduction de Danielle Guérin 1


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« Ainsi, Tartuffe est sorti de ma vie », écrit alors Oscar à Robert Ross dans une lettre du 27 juin 1898 en parlant de l’homme qui avait été son témoin de mariage. Nous sommes loin du ton chaleureux employé par Wilde l’année précédente, quand, à sa sortie de prison, il répondait à une lettre de Blacker en ces termes : « Mon cher vieil ami, Je n’ai pas besoin de vous dire avec quels sentiments d’affection et de gratitude j’ai lu votre lettre. Vous fûtes toujours mon fidèle ami, et il y a bien des années que vous vous tenez à mes côtés ».2 Que s’est-il passé entre ces deux dates ? Quel séisme a provoqué la destruction d’une amitié qui semblait indéfectible ? Un séisme en effet, qui devait jeter la France entière dans une immense querelle et provoquer des affrontements virulents au sein même des familles les plus unies : l’affaire Dreyfus. Rien jusqu’alors, n’avait pu ébranler la loyauté de Blacker envers Wilde. Ni sa condamnation pour outrage aux mœurs, ni sa cohabitation

napolitaine

avec

Douglas,

qu’il

désapprouva

vivement pourtant en considérant que Wilde abandonnait femme et enfants au profit d’un amant qu’il avait pourtant juré ne plus jamais revoir. Si la vie intime d’Oscar, aussi désordonnée eût-elle pu être, n’avait pas réussi à les brouiller, une affaire extérieure, à laquelle ils n’auraient pas dû être mêlés, allait irrémédiablement les séparer.

2

Ibid


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Au début de l’année 98, Blacker séjourne chez sa sœur, à Fribourg, avec sa femme Carrie (qui fut toujours hostile à Wilde) et ses deux fils. Or, le Colonel Maximilian von Schwartzkoppen, l’attaché militaire allemand auquel Esterhazy avait vendu 200 documents compromettants, y avait été en poste trois ans, avant d’être nommé à l’ambassade allemande à Paris. C’est à Fribourg que Blacker apprit de façon certaine que Dreyfus était innocent. En

arrivant

à

Paris,

le

7

février

1898,

Carlos

Blacker,

particulièrement investi dans cette affaire, n’eût rien de plus pressé que de s’adresser à son ami le Major Alessandro Panizzardi, attaché militaire italien, pour savoir toute la vérité. Panizzardi et Schwartzkoppen entretenaient des relations étroites, pour ne pas dire intimes, et l’italien confirma à Blacker ce qu’il savait déjà, qu’Esterhazy était le traître et que Dreyfus avait été injustement condamné. Blacker, de plus en plus déterminé à sauver Dreyfus, imagina alors un plan destiné à faire éclater la vérité au grand jour, et à prouver l’innocence du prisonnier de l’Île du Diable. À la même époque, Wilde quittait Naples et s’installait à Paris, essentiellement préoccupé par la publication de son œuvre ultime, La Ballade de la Geôle de Reading, et totalement étranger à « L’Affaire » qui secoue alors violemment Paris. Ses relations sociales se limitent à peu de gens, parmi lesquels le journaliste Chris Healy, qui sert aussi de secrétaire à Rowland Strong, correspondant à Paris de journaux anglophones (New York Times, Observer et Morning Post). Strong a été présenté à Esterhazy par Robert Sherard dans les locaux de La Libre Parole, journal


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antisémite et anti-dreyfusard, et c’est lui qui va à son tour introduire Wilde à Esterhazy. « Je ne suis pas sorti depuis vendredi, si ce n’est un soir où je fus traîné pour rencontrer Esterhazy au cours d’un dîner, » écrit-il à Carlos Blacker le 28 mars. « Le commandant a été étonnant. Je vous raconterai un jour tout ce qu’il a dit. Naturellement, il n’a parlé de rien d’autre que de Dreyfus et Cie »

3

L’impression que l’on retire de cette lettre, c’est que Wilde s’exprime et se conduit avec une légèreté confondante, se confiant à Blacker, chaud partisan de Dreyfus, sans aucune gêne, comme s’il était tout à fait naturel de dîner avec un traître et un faussaire, avec un homme qui a envoyé un innocent au bagne, et que cette rencontre n’ait absolument rien de choquant ou de moralement répréhensible. Il récidivera avec Henri Davray auquel il confie : « c’est lui l’auteur du bordereau, il me l’a avoué […]. Esterhazy est bien plus intéressant que Dreyfus qui est innocent. On a toujours tort d’être innocent. Pour être criminel, il faut de l’imagination et du courage. » 4C’est là une pause cynique, assez dans l’esprit de Wilde qui, en tant qu’artiste, n’a jamais caché son goût des chemins obliques et sa fascination pour les âmes troubles. L’intelligent et audacieux Esterhazy était sans doute un caractère

romanesque

intéressant,

bien

plus

que

Dreyfus,

généralement décrit comme falot, mais c’est une chose que la littérature, et une autre qu’une réalité révoltante qui envoie un homme injustement déshonoré mourir sur l’île du Diable, au principal motif qu’il a le tort d’être juif. Wilde, pour sa part, n’est 3 4

Letters, Rupert Hart-Davis, 1962, p. 727 Jacques de Langlade, La mésentente cordiale : Wilde, Dreyfus, Julliard, 1999.


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pas du tout antisémite. Son esprit dandyesque néglige seulement l’éthique au privilège de l’esthétique, où le coupable est plus séduisant que l’innocent et lui offre un plus riche imaginaire. Mais comment le Wilde d’après Reading, celui qui a souffert dans les geôles anglaises, qui s’est élevé dans des lettres admirables contre le sort cruel infligé aux prisonniers, comment le Wilde solidaire de ses compagnons de chaîne, qui secourut les enfants emprisonnés et écrivit un vibrant plaidoyer contre l’affreuse exécution d’un condamné à mort, a-t-il pu demeurer insensible au sort réservé à Dreyfus, au point d’accepter de se compromettre avec l’un des responsables de sa disgrâce ? Un épisode, dans le martyre subi par Dreyfus, sans doute ignoré de Wilde qui était encore en prison, aurait pu le lui rendre d’autant plus fraternel. Cet épisode est rapporté par le Times du 20 janvier 1895 : “L’excapitaine Dreyfus a brutalement été emmené dans sa prison provisoire de l’Ile de Ré. Son arrivée à La Rochelle a rapidement été ébruitée et la foule s’amassait, tant à la gare qu’aux alentours de la prison. Vers six heures et demie du soir, lorsqu’il y eut lieu de transférer le prisonnier d’un endroit à un autre, la police fut incapable de le protéger de la violence de la foule et il reçut un grand nombre de coups de poing, tandis que l’on vociférait « À l’eau ! À mort le traitre ! ». Il fut finalement poussé dans un omnibus, mais là encore il était en danger, car les vitres en furent brisées à coup de pierre. »5 Comment ne pas penser, en lisant ces lignes, à l’épisode mortifiant de Clapham Junction, où Wilde, menotté et grotesque en habit de forçat, fut exposé aux rires et aux lazzis de la foule sous la froide pluie de novembre, et qui 5

ibid


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resta pour lui l’expérience la plus douloureuse et la plus dégradante de toute son vie carcérale ? Dreyfus et Wilde, frères d’injustice et de malheur. Et pourtant, c’est sur Esterhazy que se porte l’intérêt de Wilde, sur celui qui a armé la main du bourreau. Non pas que Wilde se sente proche des antidreyfusards, ni qu’il épouse leur cause le moins du monde. Il reste un spectateur extérieur, mais un spectateur qui aime à flirter avec le danger, comme il flirtait avec les panthères, comme il aimait à fréquenter la canaille du Château-Rouge et des bas-fonds de Londres. Par attrait du décadent, du vénéneux, du criminel. Par mépris de la morale commune. Dans cette affaire, Wilde joue sur les deux tableaux avec une égale insouciance : les dîners avec Esterhazy dans le rôle attractif du vilain, et l’amitié avec Blacker, le hérault de Dreyfus, qui se bat pour sa réhabilitation. Il reçoit les confidences de l’un et de l’autre, Esterhazy lui avouant sans vergogne qu’il est l’auteur du bordereau, et allant jusqu’à s’épancher en affirmant « qu’à l’âge de treize ans, il avait eu la profonde conviction qu’il ne serait jamais heureux dans sa vie », tandis qu’au moment de leurs retrouvailles, Blacker lui parle du plan secret qu’il a forgé pour faire éclater aux yeux de tous l’innocence de Dreyfus. Panizzardi, tourmenté par cette affaire, ayant accepté d’aider à confondre Esterhazy en transmettant à Blacker les facsimilés des documents écrits de la main de l’espion, celui-ci se propose de les publier

dans

la

presse

étrangère.

Mais

Rowland

Strong,

mystérieusement informé, dévoila prématurément le pot aux roses dans le New York Times, mettant ainsi à mal le plan secret.


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Blacker n’avait fait des confidences qu’à quatre personnes et ce fut Oscar qu’il soupçonna d’indiscrétion. Face aux attaques des antidreyfusards, Blacker dut s’éloigner quelques temps de Paris, non sans avoir envoyé à Wilde une lettre accusatoire à laquelle celui-ci fit une réponse indignée, protestant de son innocence et exigeant des excuses qui ne vinrent pas. Les soupçons de Blacker – fondés ou non – l’avaient profondément blessé. Il les ressentit comme la trahison insupportable du seul vrai ami qui lui restait à Paris, un ami qui le rejetait et l’abandonnait à son sort sur une insulte. Cette lettre mit un terme définitif à leur longue amitié. D’autres, qui avaient un temps témoigné leur sympathie à Wilde, comme Henri Bauer, se détournèrent également de lui, révulsés par son rôle supposé dans « L’Affaire ». Ainsi, le vide se creusa-til un peu plus autour de l’exilé. « Wilde a enduré trop de cruautés dans le Paris de son époque, a écrit Vincent O’Sullivan, il a reçu trop de blessures [qui] finalement l’ont tué ».6 La moindre de ces blessures ne fut pas sa rupture avec Blacker qui cassa un des derniers liens qui le retenaient encore à son passé. Quand Wilde mourut, Blacker se trouvait à Fribourg. Il rentra précipitamment à Paris en dépit des réticences de sa femme Carrie, qui s’était toujours opposée à de nouveaux contacts avec Wilde. Trois jours après son arrivée, il rendit visite à son ancien ami qui gisait sur son lit de mort, et, fondant en larmes, déposa un bouquet de violettes de la part des enfants « pour qu’il puisse emporter quelque chose d’eux dans sa tombe ». Les deux hommes ne s’étaient pas revus depuis presque deux ans. Danielle Guérin J. Robert Maguire, Ceremonies of Bravery, Oxford University Press, 2013, p. 122 – Traduction de Danielle Guérin 6


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§ 2. PUBLICATIONS Oscar

Wilde

-

L’importance

d’être Constant Traduction et préface inédite de Charles Dantzig Précédé de La Première Gay Pride par Charles Dantzig Grasset, Paris – 2 mai 2013 Les Cahiers Rouges ISBN 978-2-246-80476-5

Pierre Louÿs – Les sœurs à l’envers La Musardine, Paris – 18 avril 2013 ISBN 978-2-84271-780-3 Ce recueil contient 8 textes érotiques de Pierre Louÿs complètement inédits.


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Henri Raczymow – Notre cher Marcel est mort ce soir Denoël, Paris – 12 avril 2013 ISBN 978-2-207-11221-2 Au printemps 1922, Proust annonce à sa gouvernante qu'il a terminé son œuvre romanesque. Le 18 novembre, il meurt, âgé de 51 ans.

Michel Erman – Marcel Proust La Table Ronde, Paris – 6 juin 2013 Collection La Petite Vermillon ISBN 978-2-7103-7061-1 Jean-Jacques Gonzalès – Ébauche de Mallarmé Manucius, Paris – 28 mars 2013 Collection : Littéra ISBN 978-2-84578-154-2 J.-J. Gonzalès va à la rencontre du fonctionnaire que rien ne destinait à une carrière littéraire, pour saisir le moment où il deviendra le poète Mallarmé.


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Joris-Karl Huysmans Volume 2, Huysmans écrivain catholique Textes réunis et présentés par Jérôme Solal Lettres modernes Minard, Divessur-Mer (Calvados) – 22 janvier 2013 La Revue des Lettres modernes ISBN 978-2-256-91171-2

William Butler Yeats – Le crépuscule celtique La part commune, Rennes – 21 mars 2013 ISBN 978-2-84418-253-1


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William Butler Yeats – Après un long silence La part commune, Rennes – 21 mars 2013 ISBN 978-2-84418-264-7 Domenica de Falco - La femme et les personnages féminins chez les Goncourt Honoré Champion, Paris – 29 Novembre 2012 Romantisme et modernités, n° 138 ISBN 978-2-7453-2389-7 William Morris – Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre Traduit de l'anglais et préfacé par Francis Guèvremont Rivages, Paris – 6 février 2013 Rivages-Poche Petite bibliothèque, n° 775 ISBN 978-2-7436-2454-5


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Matthieu Gosztola - Alfred Jarry à la

Revue

Blanche :

L’intense

originalité d’une critique littéraire L’Harmattan, Paris – 4 février 2013 Espaces Littéraires ISBN 978-2-343-00161-6

Jacques-Emile Blanche en Normandie : exposition, Dieppe, Château-musée, du 25 mai au 13 octobre 2013 Gourcuff Gradenigo, Montreuil (Seine-Saint-Denis) – mai 2013 ISBN 978-2-35340-153-6 A l'occasion du 70e anniversaire de la mort du peintre J.-E. Blanche, ce catalogue présente le travail de l'artiste en Normandie, en mettant plus particulièrement en avant les œuvres des deux musées de Dieppe et d'Offranville.


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Caroline de Costa – Francesca Miller Sarah Bernhardt et le Docteur Pozzi Préface Jacques Battin Traduction de Francine Siéty Ed. Glyphe, Paris – mars 2013 ISBN 978-2-35815-100-9

Et ailleurs…


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Donna Lee Harper - The Diary of Lillie Langtry: And Other Remembrances Préface de Frank Stevens Arrowhead Classics Publishing Company – 10 mars 2013 ISBN 978-1886571099

A.H Cooper-Prichard Conversaciones con Oscar Wilde Traduit de l’anglais par Héctor Lucidi Bottaro Austral – 4 avril 2013 ISBN 978-8408112372


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Oscar Wilde, a study from the French of Andre Gide HardPress Publishing, janvier 2013 ISBN 978-1313040143


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§3. OSCAR WILDE ET LA BANDE DESSINEE OSCAR WILDE : LA RESURRECTION Par Dan Pearce Vingt-septième épisode


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À suivre…


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§ 4. EXPOSITIONS – ÉVÉNEMENTS L'ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst

À partir des années 1760-1770, le versant noir du romantisme exploite la part d'ombre, d'excès et d'irrationnel qui se dissimule derrière l'apparent triomphe des lumières de la Raison. Cet univers se construit à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre dans les romans gothiques, littérature qui séduit le public par son goût du mystère et du macabre. Les arts plastiques emboîtent rapidement le pas : les univers terribles ou grotesques de nombreux peintres, graveurs et sculpteurs de toute l'Europe rivalisent avec ceux des écrivains. A partir des années 1880, maints artistes reprennent l'héritage du romantisme noir en se tournant vers l'occulte, en ranimant les mythes et en exploitant les découvertes sur le rêve, pour confronter l'homme à ses terreurs et à ses contradictions : la sauvagerie et la perversité cachée en tout être humain, le risque de dégénérescence collective, l'étrangeté angoissante du quotidien révélée par les contes fantastiques de Poe ou de Barbey d'Aurevilly. Lorsqu'au lendemain de la Première guerre mondiale, les surréalistes font de l'inconscient, du rêve et de l'ivresse les fondements de la création artistique, ils parachèvent le triomphe de l'imaginaire sur le principe de réalité, et ainsi, l'esprit même du romantisme noir. Au


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même moment, le cinéma s'empare de Frankenstein, de Faust et des autres chefs-d'œuvre du romantisme noir qui s'installe définitivement dans l'imaginaire collectif. Le musée d'Orsay propose de découvrir les multiples déclinaisons du romantisme noir, de Goya et Füssli jusqu'à Max Ernst et aux films expressionnistes des années 1920, à travers une sélection de 200 œuvres artistiques, parmi lesquelles celles de Gustave Moreau et d’Aubrey Beardsley trouvent aisément leur place.

Du 5 mars au 9 juin 2013 Musée d’Orsay – Paris


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Verlaine Emprisonné

Incarcéré en juillet 1873, après avoir tiré, dans l’emportement d’une querelle d’amoureux exacerbée par l’alcool, deux coups de feu sur son ami Arthur Rimbaud, Verlaine écrit dans sa geôle un recueil de 67 feuillets dans lequel il exprime ses rêves, ses fantasmes, son désespoir, ses frustrations, ses remords, ses espérances, ses évasions poétiques, ses fantaisies, ses théories, mais aussi l’irruption de la grâce à partir de l’été 1874. Ce recueil, Cellulairement (écrit précisément en cellule entre le 11 juillet 1873 et le 16 janvier 1875) montre le poète sous un jour


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inédit, à la lumière croisée de quatre cages qui enferment le poète : son physique, ressenti comme disgracieux, son tiraillement entre la fascination de l’enfer et l’appel de la grâce, sa dépendance à l’alcool et son emprisonnement effectif à Mons, en Belgique, après son agression sur Rimbaud. « Verlaine emprisonné », c’est la petite musique de l’âme de l’homme universel, de l’homme enfermé dans sa condition humaine, de l’homme double écartelé entre la fascination de l’enfer et la nostalgie du paradis perdu.

« L’art poétique », manuscrit autographe Cellulairement, [1873].

8 février au 5 mai 2013 Musée des Lettres et Manuscrits


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222 Bd Saint Germain – Paris Exposition André Gide Visages d’un Nobel engagé

Cette exposition est le fruit d’une étroite collaboration entre la Fondation Catherine Gide et le Conseil général de la Gironde. Conçue et réalisée par Jean-Pierre Prévost représentant la Fondation Catherine Gide, avec le concours des Archives départementales, elle se parcourt comme un album souvenirs, offrant au visiteur une scénographie originale réalisée autour de la vie et de l’œuvre de cet intellectuel majeur du XXème siècle, Prix Nobel en 1947. Elle est présentée en salle des voûtes du 11 février au 26 avril 2013, 72/78 cours Balguerie-Stuttenberg à Bordeaux. Plus de 200 photographies, des textes, des documents d’archives, des vidéos, retracent dans un parcours en trois espaces, la vie peu banale de cet étonnant personnage aux multiples facettes.


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"André Gide et les siens" ou l'esquisse des contours de la singulière famille de l’écrivain : 50 ans de sa vie intime, entouré de ses proches et de ses amis. "Les engagements d’André Gide" : ses prises de position affirmées dans les domaines politique et social : La Nouvelle Revue

Française,

la

réflexion

sur

l’homosexualité,

l'anticolonialisme, l'antifascisme et la critique des idéologies, les réfugiés... "André Gide et ses liens amicaux avec la Gironde" : ses affinités littéraires (Montaigne, Montesquieu ...), mais aussi des relations privilégiées avec d'éminentes personnalités bordelaises et du département et ses séjours à Bordeaux. 11 février au 26 avril 2013 - Bordeaux


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§5. OPERA ET CONCERTS LE NAIN DER ZWERG Conte tragique en musique en un acte Musique d’Alexander Von Zemlinsky Livret de Georg C. Klaren d’après The Birthday of the Infanta d’Oscar Wilde

Ouvrage chanté en allemand, surtitré Mise en scène : Philipp Himmelmann Direction musicale : Christian Arming Décors : Raimund Bauer Costumes : Bettina Walter Lumières : Gérard Cleven Chœur de l'Opéra national de Lorraine Orchestre symphonique et lyrique de Nancy


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Distribution : Donna Clara, l’Infante : Helena Juntunen Ghita, sa dame de compagnie : Eleonore Marguerre Don Estoban, le chamberlain : Oleg Bryjak Le nain : Erik Fenton Première servante : Yuree Jang Seconde servante : Olga Privalova 3ème servante : Aude Extremo 1ère fille : Eléna Le Fur 2ème fille : Catherine Lafont 21, 25, 27 et 29 juin 2013 à 20h 23 juin 2013 à 15h Opéra National de Lorraine – Nancy

Et Ailleurs…

The importance of being Earnest De Gerald Barry


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Direction : Ramin Gray Décor : Johannes Schütz Lumières : Franz David Costumes : Christina Cunningham 15 – 17- 18 – 20 – 21 juin à 19H45 – 22 juin à 18H00 Linbury Studio Theatre Royal Opera House – London


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Quelques photos de la production de Nancy… (aimablement transmises par Gerald Barry)

The importance of being Earnest, de Gerald Barry


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Mise en scène Sam Brown


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Décors et costumes : Anne-Marie Woods

Salomé À Oslo…


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Avec : Sabrina Kögel (Salomé), Hege Høisæter (Hérodias), Thor Inge Falch (Hérode), Thomas Hall (Iokanaan), Daniel Johansson (Narraboth), Brenden Gunnell , Jens Erik Aasbø Première le 25 mai 2013 30 Mai – 2, 7, 10,12, 18 et 23 juin 2013 Den Norske Opera – Oslo – Norvège

À Munster… Avec : Adrian Xhema (Herode), Suzanne McLeod (Herodias), Annette Seiltgen (Salome), Gregor Dalal (Iochanaan), Youn-Seong Shim (Narraboth), Lisa Wedekind (le Page) Direction musicale : Fabrizio Ventura Mise en scène : George Köhl 1er, 13, 23, 28 juin 2013 – 7, 10, 13 juillet 2013 Städtische Bühnen Theater – Münster – Allemagne


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§6. THÉÂTRE l’Importance d’être sérieux Nouvelle adaptation de Jean-Marie Besset

Mise en scène : Gilbert Désveaux collaboration artistique Régis de Martrin-Donos scénographie Gérard Espinosa costumes Alain Blanchot lumières Martine André Avec : Claude Aufort, Mathieu Bisson, Mathilde Bisson, Arnaud Denis, Marilyne Fontaine, Margaret Zenou … Du 16 Mars au 2 juin 2013

Théâtre Montparnasse – 31 rue de la Gaîté – Paris


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Lady Bracknell (Claude Aufort) et Algernon Montcrieff (Arnaud Denis)

« Il y a dans cette comédie un hymne à la jeunesse, au simple fait d’être jeune, et amoureux, une célébration des jeunes gens et des jeunes filles en fleur, avant que la vieillesse ne les condamne à devenir grotesques, pesants, et incapables

d’aimer, au sein de cet enfer que serait la vie

conjugale. » Jean-Marie Besset

«- J’espère que vous menez une existence honnête. - Je mène une existence délicieuse, ma tante. - Ce n’est pas la même chose. A dire vrai, c’est même très souvent le contraire.»


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Le Prince Heureux

Compagnie La Baldufa Adaptation : Jorge Picó et La Baldufa : Enric Blasi, Emiliano Pardo et Carles Pijuan Mise en scène : Jorge Picó Musique : Óscar Roig Conception scénographie et costumes : Carles Pijuan Avec : Enric Blasi et Carles Pijuan Conception des lumières et technicien sur scène : Miki Arbizu Assistance informatique: Sergio Sisqués Construction scénographique: Juan Manuel Recio, Xevi Planas et Carles Pijuan Costumes: Teresa Ortega Voix off : Marie Ortega Dag Jeanneret et Aurélie Namur


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23 au 28 Mai 2013

TNG (Théâtre Nouvelles Générations) – Lyon Et toujours… LA BALLADE DE LA GEOLE DE READING

Mise en scène : Grégoire Couette-Jourdain Avec : Jean- Paul Audrain, Monica Molinaro Du Mercredi 30 janvier 2013 au dimanche 14 avril 2013 à 20H Théâtre du Lucernaire – Paris


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“Each Man Kills the Thing He Loves”

Dans le précédent numéro, on avait manqué …

L’Importance d’être Constant

Mise en scène : Erick Desmarestz Décors : Brigitte Brassart Costumes : Charlotte David - Lumières : Christian Drillon Avec :

Jean

Bechetoille

(Algernon)

Erick

Desmarestz

(Lady

Bracknell) - Flore Friedman (Cecily) - Guillaume Gras (Jack) Eurialle Livaudais (Gwendolen) - Brigitte Winstel (Miss Prism) Mathieu Heribel (Chasuble) - Dominique Roncero (Lane/Merriman) Le regard de Wilde n’en finit pas de nous fasciner tant par sa liberté que par la modernité de son invention que nous nous sommes plus à conjuguer ici avec celle de l’univers coloré et stylisé de la comédie musicale des années 50 60. En nous inspirant de l’univers enchanté de Jacques Demy nous souhaitons faire chanter le texte de Wilde et offrir aux spectateurs un instant aussi joyeux qu’intelligent. Erick Desmarestz


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Du 9 au 17 mars 2013 Théâtre De Belleville - 94 rue du faubourg du Temple 75011

Le Fantôme de Canterville

Compagnie Les Apicoles Adaptation et Mise en scène : Bruno Bernardin Chorégraphie : Juliette Brancourt Création musicale : François Marnier Costumes : Marie Maurel Avec : Caterina Barone, Bruno Bernardin, Maxime Coudour, Véronique Ebel, Matthieu Hornuss

Ma 26, Je 28, Ve 29 Mars 2013 Studio-Théâtre de Charenton - Charenton Le Pont


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Et Ailleurs… À Singapour The Importance of being Earnest

10 Avril au 4 Mai 2013 Drama Centre Theatre, Singapore


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En Nouvelle-Zélande A Woman of no importance

Du 5 au 20 avril 2013 Theatreworks – Auckland


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§7. Étude sur la thématique de la liquidité dans

Le Portrait De Dorian Gray d'Oscar Wilde Par Catherine Coulais 1ere partie

John Everett Millais- Ophelia – 1851

Le roman de Wilde est, à mon sens, un véritable chef-d'œuvre qui a su traverser les frontières et les siècles. Il faut dire que les thèmes qui y sont abordés, l'art, la beauté, la jeunesse, le bien, le mal... sont des thèmes universels et indémodables. Il fait appel au merveilleux, genre qui m'est particulièrement cher, puisque très présent dans la littérature enfantine à laquelle je me consacre.

Enfin, et aussi paradoxal que cela puisse paraitre,

l'ouvrage de Gaston Bachelard, L'Eau et les rêves, a été déterminant dans mon choix du roman. L'élément liquide, en tant que tel, peut paraitre peu visible dans Le Portrait de Dorian Gray.


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Par contre, les mythes liés à l'eau y sont particulièrement présents. C'est en retrouvant Ophélie, Bacchus ou encore Narcisse que m'est apparue toute l'importance de ≪ l'eau ≫ dans le roman de l'écrivain anglais. Mais avant d'aborder mon étude proprement dite, j'aimerais revenir sur le roman d'Oscar Wilde et sur les conséquences tragiques qu'il a eues dans la vie de son auteur. Lorsqu'il parait dans l'Angleterre victorienne de la fin du dixneuvième siècle, le roman d'Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, déchaîne bien des passions. D'abord sorti sous forme de feuilleton dans le Lippincott's en juin 1890, Le Portrait de Dorian Gray connait immédiatement un succès de scandale qui lui vaut d’être étoffé de six nouveaux chapitres et d'être publié sous forme de livre en 1891. Encensé par bon nombre d'écrivains français, dont Mallarmé qui, dans une lettre à Oscar Wilde, écrit : « Redevenir poignant à travers l'inouï raffinement d'intellect, et humain en une pareille perverse atmosphère de beauté, est un miracle que vous accomplissez, et selon quel emploi de tous les arts de l'écrivain ! »7, le roman est également fortement vilipendé par une certaine presse anglaise. Le Scots Observer en date du 5 juillet 1890 donne à lire : « Mr. Wilde est un homme intelligent, artiste, élégant ; mais s'il ne peut écrire que pour des aristocrates dévoyés et des télégraphistes pervertis, plus tôt il se fera tailleur, mieux cela vaudra pour sa réputation et pour la moralité

7

Lettre publiée par Gomez Carillo dans Siluetas de escritores, 1892


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publique »8, et le Daily Chronicle de renchérir avec ce qu'il qualifie d'ouvrage immonde inspiré de la « Littérature lépreuse des Décadents français. »9 Il est vrai que le roman de Wilde, dont on a dit qu'il était le seul roman français écrit en langue anglaise, porte la trace de cette fascination qu'exerçait la décadence française sur son auteur. L'ouvrage est en outre jugé immoral et pervers par la société victorienne

qui

s'empresse

de

dénoncer

son

caractère

homosexuel, ses femmes bafouées et sacrifiées, ses suicides et ses meurtres. Devant un tel déferlement de critiques. Oscar Wilde se compare à Flaubert après la parution de Madame Bovary et, pour se justifier, il clame que l'art et la morale n'ont rien de commun, qu'il se devait de plonger son héros dans les pires débauches afin de justifier sa fin tragique. […] Présentation de la critique thématique La critique thématique connait son plein essor dans les années cinquante avec des théoriciens tels Georges Poulet, Jean Rousset, Jean Starobinski ou encore Jean-Pierre Richard. Tous ces critiques, qui ont été fortement influencés par les travaux du philosophe Gaston Bachelard, s'accordent à dire que l'œuvre d'art renvoie tout à la fois à une réalité formelle et à une conscience créatrice.

Si,

pour

Jean

Rousset

l'œuvre

d'art

est

« l'épanouissement simultané d'une structure et d'une pensée »10, Scots Observer, 5 juillet 1890. Daily Chronicle, 30 juin 1890. 10 Rousset, Jean, Forme et signification, Paris, Jose Corti, 1986, Introduction, p. X. 8 9


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pour Jean-Pierre Richard, plus proche de la pensée proustienne, « le style, c'est ce à quoi l'homme ne cesse confusément de tendre, ce par quoi il organise inconsciemment son expérience, ce en quoi il se fabrique lui-même, invente et à la fois découvre la vraie vie. »11 C'est cette expérience de lecture et d'interprétation que j'ai voulu mener dans l'étude du Portrait de Dorian Gray. La critique thématique m'a semblé le meilleur outil méthodique pour supplément de sens. J'ai donc choisi d'aborder le texte de Wilde sous l'angle thématique de la liquidité. Ce thème m'est apparu à travers la récurrence de certains éléments comme l'eau, la mer, le sang, le poison, les miroirs, ainsi que par l'évocation de mythes liés à l'élément liquide, mythes de Narcisse, d'Ophélie ou encore de Bacchus... […] La critique thématique reste une critique subjective. Il n'existe pas, à proprement parler, de grille ou de méthode d'analyse pour délimiter les thèmes et pour les structurer. C'est donc avec ma sensibilité de lecteur que j'ai pu décider de la pertinence du motif thématique choisi. J'ai donc recensé toutes les variantes possibles du thème de l'élément liquide, puis j'ai cherché les parentes secrètes qui les unissaient afin de mettre en évidence un réseau de significations propre à chaque personnage du roman. Ceci m'a permis, en toute fin, de découvrir le rapport de Wilde à l'élément liquide, de déchiffrer le langage symbolique de son œuvre, et

11

Richard Jean-Pierre, L'Univers imaginaire de Mallarmé, Paris, Le Seuil, 1962, p. 24.


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d'entrer finalement dans ce que Jean-Pierre Richard appelle « l'univers imaginaire » de l'auteur. Pour aborder ce thème de l'élément liquide, il m'a semblé important de faire un bref récapitulatif de l'ouvrage L'eau et les rêves de Gaston Bachelard, ouvrage qui m'a été indispensable pour mener à bien mon étude. Présentation de L'Eau et les rêves Dans son ouvrage L'Eau et les rêves, auquel iI donne comme sous-titre « Essai sur l'imagination de la matière », Bachelard s'éloigne de la psychanalyse qu'il avait privilégiée dans La Psychanalyse du feu. Son domaine de réflexion s'agrandit ; il accorde désormais une place prépondérante aux images des poètes dans lesquelles il s'abandonne, créant ainsi lui-même sa propre rêverie. Bachelard débute son ouvrage par les images fugitives et superficielles de l'eau. Ce sont les eaux claires, les eaux printanières et les eaux courantes. Puis, au fil de sa réflexion, le philosophe

se

tourne

vers

les

eaux

profondes,

les

eaux

dormantes, les eaux mortes. Des eaux qui nous conduisent tout droit au fleuve des morts où règne Caron, ainsi qu'aux lacs et aux étangs sur lesquels flotte le corps d'une Ophélie aux cheveux dénoués.


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Pour Bachelard, l'eau se rêve superficiellement ou en profondeur. Alors écoutons l'eau et ses mystères et laissons-nous entrainer par

le

philosophe

dans

sa

magnifique

méditation

sur

« l'imagination matérielle »12 Un dernier petit mot à propos de Gaston Bachelard pour rappeler que le philosophe français est né sur les bords de l'Aube, une rivière de la Champagne à laquelle il restera attaché toute sa vie et qui alimentera ses réflexions sur l'élément liquide. Dans L'eau et les rêves, Bachelard évoque cet amour qu'il porte aux rivières de son pays natal : « Si je veux étudier la vie des images de l'eau, il me faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de mon pays. Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières [...]. La plus belle des demeures serait pour moi au creux d'un vallon, au bord d'une eau vive, dans l'ombre courte des saules et des osières. »13 Bachelard, un rêveur d'eau... Une eau que je vais maintenant laisser s'exprimer à travers la voix des personnages d'Oscar Wilde, un autre rêveur d'eau s'il en est...

Le portrait de Dorian Gray : à chaque personnage son élément liquide A) Basil Hallward et «Les eaux composées »

12 13

Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves, Paris, Librairie Jose Corti, 1987, p. 7. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit, p. H.


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Dans son chapitre sur « Les eaux composées », Gaston Bachelard dit

que

« l'imagination

matérielle

a

besoin

de

l'idée

de

combinaison.»14 Or le personnage de Basil Hallward illustre à merveille cette notion. Artiste peintre, Basil utilise un liquide, eau ou huile, pour diluer ses couleurs, les mélanger, les appliquer sur la toile. Tout son art consiste à combiner parfaitement les liquides et les couleurs avant de leur donner une forme. C'est d'ailleurs cette union du liquide et de la pâte qui permet au peintre de donner aux traits de Dorian Gray cet éclat devant lequel tous s'émerveillent : des « yeux bleus », « des cheveux brillants », « des lèvres vermeilles »15. Des couleurs primaires, certes, mais l'eau qui « attendrit les substances »16 les a si bien diluées que Lord Henry ne peut que se récrier devant « ce jeune Adonis qui semble fait d'ivoire et de pétales de roses. »17 Curieuse liaison qui mêle tout à la fois une matière dure, l'ivoire, et une matière « molle », des pétales de roses. Mais Bachelard ne dit-il pas que « l'eau [peut être] rêvée tour à tour dans son rôle émollient et dans son rôle agglomérant. [Qu'] elle délie et [qu'] elle lie »18 ? L'eau lie les couleurs entre elles et à la toile, et c'est ce même mélange qui lie le peintre à son portrait. Le pouvoir agglomérant est tel que Basil se trouve intégré contre son gré au tableau. Le corps représenté est bien celui de Dorian Gray mais l'âme, l'âme 14 15 16 17 18

Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 126. Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray, op.cit., p. 126. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 143. Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray, op.cit., p. 21. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 142.


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qui anime le tableau, c'est la sienne. Devant ce coup de maitre, Basil est d'abord subjugué mais très vite « il ferma les yeux et posa les doigts sur ses paupières, comme pour emprisonner dans son esprit quelque rêve étrange, dont il redoutait de s'éveiller.»

19

Car Basil ne supporte pas de voir ses sentiments offerts en pâture aux yeux de tous. Et s'il refuse d'exposer sa toile, c'est sous le prétexte que « tout portrait qui a une âme est un portrait de l'artiste et non du modèle», et d'ajouter : « Je ne veux pas exposer ce portrait parce que j'ai peur d'y avoir livré le secret de mon âme.»20 Or ce secret, que Basil cherche à cacher aux yeux du monde et à ses propres yeux, c'est sa passion inavouable pour son

modèle,

une

passion

tellement

forte

qu'elle

gouverne

désormais son art et sa vie. Basil, l'homme des mélanges, refuse d'exposer au regard d'autrui ce côté féminin / masculin qui forme sa personnalité. Pourtant, entrainé par sa passion pour son modèle, il finit par avouer à Lord Henry : « Tant que je vivrai, je serai sous le charme de Dorian Gray. Vous ne pouvez savoir ce que je ressens.»21 Et lorsque Lord Henry demande à Basil de lui présenter le jeune éphèbe, le peintre se rebelle : « Ne m'enlevez pas la seule personne à qui mon art soit redevable de tout le charme qu'il peut posséder. Ma vie, en tant qu'artiste, dépend de lui.»22 Basil, l'homme des combinaisons, sait que « dans le règne de l'imagination matérielle, toute union est mariage et [qu'] il n'y a pas de mariage à trois.»23

19 20 21 22 23

Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray, op.cit., p. 20. Ibid., p. 24. Ibid., p. 32. Ibid,p.34. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 130.


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Basil Hallward, lorsqu'il termine le portrait de Dorian Gray, écrit « son nom en hautes lettres vermillon au coin gauche de la toile ».24 Cette signature, couleur de sang. inscrit d'emblée le destin du peintre sous le signe de la violence et du meurtre. Car c'est bien lui, qui au début du roman, veut « tuer » son chefd'œuvre. Dans un accès de désespoir, il prend son long couteau à palette et s'apprête à fendre la toile. Il refuse de laisser ce tableau « briser [leurs] trois existences »25. Espère-t-il, par ce geste fou, retrouver « une combinaison de deux éléments ? [...] [cette union] de deux substances élémentaires [qui], dès qu'elles se fondent l'une dans l'autre, se sexualisent »26 Se fondre dans Dorian Gray ; repousser Lord Henry le plus loin possible puisque toute union ternaire est impossible. Pendant un court moment, le peintre pense avoir réussi. Dorian Gray, ébranlé par le comportement de l'artiste lui arrache le couteau des mains et s'écrie : « Non, Basil, non ! Ce serait un meurtre ! »27 Le peintre alors exulte. Dans « le mélange [qui] s'opère entre deux matières à tendance féminine, [...], l'une d'elles se masculinise légèrement pour dominer sa partenaire.»28 A cet instant, Basil pense avoir de nouveau la maîtrise sur son modèle. Il se déclare heureux que Dorian Gray apprécie enfin son œuvre. Mais l'illusion est de courte durée. Lord Henry réussit à entrainer le jeune homme avec lui au théâtre et c'est la mort dans l'âme que le peintre se dirige vers le tableau et déclare : « Je resterai avec le 24 25 26 27 28

Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., p. 46. Ibid., p. 49. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., pp. 129-130 Wilde, Oscar, Le Portraitde Dorian Gray..., op.cit., p. 49. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 130.


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vrai Dorian.»29 Basil, l'homme qui combine les matières, n'a pas réussi sa fusion avec Dorian Gray. Il l'a réussie sur la toile, mais même cette toile, il va devoir s'en départir. Seul, le voici seul avec son art. Il pourrait s'accommoder de cette solitude, Bachelard ne dit-il pas que « Les véritables images, les images de la rêverie, sont unitaires ou binaires »30 ? Mais pour Basil, séparé de Dorian et du portrait, cette rêverie unitaire n'a plus aucun sens, Dorian étant toute son inspiration. Dès lors, son art s'épuise ; « la qualité de sa peinture avait beaucoup baissé, comme s'il avait perdu quelque chose. Il avait perdu son idéal. Dès que votre amitié s'est terminée, il a cessé d’être un grand artiste »31, conclut Lord Henry à la fin du roman. Basil a tout mis de lui dans ce portrait ; il l'a signé de son sang, en lettres vermillon. Mais lorsque le peintre découvre l'hideux visage grimaçant avec ses couleurs ternies et éteintes, ce bleu, cet or, ce pourpre qui n'ont plus aucun éclat, « son sang [se] métamorphos[e] de feu en glace.»32 « L'eau éteint le feu, la femme éteint l'ardeur. Dans le règne des matières, on ne trouvera rien de plus contraire que l'eau et le feu.33 Basil, l'homme divisé, Basil, l'homme écartelé entre virilité et féminité. Basil, qui face à la terrible réalité, hésite encore. Et si les couleurs dont il s'était servi à l'époque, « contenaient quelque terrible poison minéral »34 ? Toujours l’éternel mélange…

29 30 31 32 33 34

Wilde, Oscar, Le Portraitde Dorian Gray..., op.cit., p. 51. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 129. Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., p. 272. Ibid., p. 203. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 133. Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., p. 203.


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Mélange de cellules et de plasma, ce sang qui tombe maintenant goutte à goutte de la tête du peintre et qui vient s'étaler sur la table en « une mare de sang noir caillé.»35 Pour Bachelard, « quand un liquide se valorise, il s'apparente à un liquide organique. » Or le sang de Basil, retiré de ses profondeurs charnelles, n'a plus rien d'organique. Le voici devenu liquide épais coulant « lourdement, douloureusement, mystérieusement soit comme un sang maudit, comme un sang qui charrie la mort.»36 Figé, coagulé sur une table en bois comme la peinture sur une palette, il s'est transformé en une matière solide, inerte. Tristesse de cette poétique du sang dont Bachelard dit qu'elle est faite « [de] drame et de douleur, car le sang n'est jamais heureux.»37 Drame et douleur d'une mort violente. Basil assassiné, Basil dont le corps repose maintenant dans la petite salle de classe humide et qu'il va falloir faire disparaitre. Apres un court moment de panique, Dorian Gray pense à Alan Campbell. Le chimiste n'aura qu'à utiliser une eau pour dissoudre le corps. « [...] tous les liquides sont des eaux [...]»

38,

l'acide nitrique n'est qu'une eau

parmi d'autres. Comme tous les liquides, il dissout les solides. Puissance d'une eau qui pénètre dans la substance pour la vaincre. Lorsqu’Alan Campbell, après sa terrible besogne de dissolution, rejoint Dorian Gray dans la bibliothèque, il « [est] pâle mais parfaitement calme.»39 A-t-il ressenti « cette joie mâle [...] de 35 36 37 38 39

Ibid. p. 206. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 84. Ibid., p. 84. Ibid., p. 127 Wilde Oscar, I^ Portrait de Dorian Gray..., op.cit., p. 224.


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prendre part au combat des éléments, de participer à une force dissolvante sans recours»40 ? A-t-il ressenti cette joie satanique de dissoudre ? Oui, mais voilà, on ne manipule pas les éléments impunément. La chimie est une science dangereuse. Alan Campbell en fera les frais. Basil s'est délité, Basil n'est plus. Même les termes utilisés pour le désigner n'ont plus

aucune

consistance : « ce qui était assis à la table, quelques heures plus tôt, avait disparu.»41 Il ne reste plus rien du peintre, seule une idée un peu floue, pour Lord Henry, d'un homme « glissant sur le dos à travers les eaux verdâtres du fleuve [...] de longues algues s'accroch[ant] à ses cheveux.»

42

Basil s'ophélise. Même dans la

mort, il reste l'homme des mélanges, l'homme des combinaisons. B) Lord Henry ou le culte à Bacchus Le culte à Bacchus, un culte que Lord Henry revendique haut et fort. Car Lord Henry aime l'alcool, tous les alcools. Tout au long du roman, on le retrouve un verre ou une coupe à la main, dégustant avec volupté les vins les plus divers. Tantôt « [iI] sirot[e] un vermouth aux oranges amères»43, tantôt il boit « son champagne par petites gorgées»44, tantôt il « dégust[e] son vin.»45 En véritable hédoniste, Lord Henry savoure le plaisir que lui procure « cette eau brulée»46. Même « ses longs doigts pâles » expriment de la jouissance lorsqu'ils « caressent la tige mince de

40 41 42 43 44 45 46

Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cil., p. 146. Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cil., p. 224 Ibid., p. 212. lbid.,p. 104. Ibid. p. 108 Ibid, p. 229. Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., p. 132.


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son verre. »47 Et cette jouissance. Lord Henry veut la faire partager à Dorian Gray. En tant qu'initiateur du jeune homme, il souhaite lui faire découvrir toutes les voluptés de ce monde et le vin en fait partie. Le jeune homme finit par se laisser séduire par ce mélange « d'eau et de feu », il entre dans « cette communion de la vie et du feu »48. Communion qu'il connait déjà pour avoir dans le sang « un germe étrange et empoisonné [...] transmis jusqu'à lui de génération en génération.»49 Car sa mère, « avec son visage à la Lady Hamilton, ses lèvres humides, humectées de vin. [...] dans sa robe fendue de bacchante [...] »50 l'a nourri de son sang, de ses « gouttes de feu. » Devant le portrait de sa mère, qui montre une femme d'une grande beauté mais d'une incroyable sensualité, Dorian Gray ne peut qu'éprouver ce sentiment terrible : « qui boit de l'alcool peut brûler comme l'alcool. » Et sa mère s'est brûlée au feu de l'alcool. Pour avoir côtoyé de trop près ce mélange d'eau et de feu, elle s'est laissé entrainer dans une dangereuse ivresse qui lui a coûté son rang et finalement la vie. C'est surtout après les épreuves que Dorian Gray se tourne vers le vin. Ainsi, après la mort de Sybil Vane, Basil retrouve-t-il le jeune homme « en train de déguster un vin de Champagne dans un merveilleux verre de Venise décoré de perles dorées.»51 Et lorsque le peintre lui reproche son comportement quelque peu léger à l'égard de la pauvre actrice qui vient de se suicider, Dorian Gray lui rétorque : « Je ne serai pas l'esclave de mes émotions. Je Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., p. 110. Bachelard, Gaston, La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, Folio essais, 1994, p. 145. 49 Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., p. 187 50 Ibid., pp. 188-189 51 Ibid., p. 146. 47 48


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veux m'en servir, en jouir, et les dominer. »52 De même, le soir qui suit la dissolution du corps de Basil dans l'acide nitrique, retrouve-t-on Dorian Gray en compagnie de Lord Henry et de Lady Narborough une coupe de champagne à la main, coupe que le maitre d'hôtel remplit à plusieurs reprises. Est-ce pour le jeune homme une façon d'oublier ses actes cruels ou plutôt d'en tirer une forme de jouissance? Car il existe bien deux sortes d'alcool: « [...] l'alcool qui submerge et qui donne l'oubli et la mort »53 et celui qui donne l'impression « [...] que la matière [est] folle, [...] que l'eau féminine a perdu toute pudeur, et qu'elle se livre délirante à son maitre le feu !54 Lord Henry, un maitre de feu, un Bacchus. Un homme qui, comme le dieu, peut se montrer à la fois bienveillant et aimable mais aussi cruel lorsqu'il pousse ses

victimes à accomplir des

actions déplorables. Lord Henry qui, lors de la dernière séance de pause de Dorian Gray, a su séduire le jeune homme en lui tenant un discours totalement subversif. Dorian Gray est sous le charme. Il reconnaît dans ce « Bacchus [...] un dieu bon ; [qui] en faisant divaguer la raison, [...] empêche l'ankylose de la logique et prépare l'invention rationnelle. »55 Car Lord Henry fait bien divaguer la raison de Dorian Gray lorsqu'il lui expose sa conception de l'existence, une conception qui fait l'apologie de la beauté et de la jouissance : « [...] la beauté est une forme de génie [...] Ceux qui la possèdent sont des princes. [...] Ah ! Réalisez votre jeunesse aussi longtemps qu'elle est à vous. [...] Soyez 52 53 54 55

Ibid, p. 146. Bachelard, Gaston, La psychanalyse du feu..., op.cit., p. 156 Bachelard, Gaston, L'Eau et les rêves..., op.cit., pp. 130-131 Bachelard, Gaston, La psychanalyse du feu..., op.cit., p. 151.


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toujours à la recherche de sensations nouvelles. N'ayez peur de rien... «

56

Et pour convaincre Dorian Gray du bien-fondé de sa

réflexion, le Lord conclut par cette phrase où il évoque la vieillesse d'une façon terrifiante : « Nous dégénérons en d'horribles pantins, hantés par le souvenir de passions effrayantes, de tentations adorables auxquelles nous n'avons pas osé céder. Jeunesse ! Il n'est rien au monde que la jeunesse ! »57 À ces mots, Dorian Gray ressent un profond désarroi. Le dieu a insufflé en lui « des vapeurs

sulfureuses

[qui]

« mont[ent]

jusqu'au

cerveau,

rattaqu[ent], peupl[ent] son imagination de désirs monstrueux et de

rêves

morbides. »58

Ces

désirs

monstrueux,

ces

rêves

morbides vont se traduire par le pacte insensé que Dorian va conclure avec son portrait. Lord Henry / Bacchus, à l'instar du vin, en a la double nature : tout à la fois bienfaiteur et destructeur. Il sait réjouir et réchauffer le cœur des hommes mais il peut aussi les enivrer. Et Dorian Gray s'enivre de ses vapeurs empoisonnées. S'imaginant soudain avec un visage ridé et flétri, une silhouette défigurée, le jeune homme ressent une douleur intense dans tout son être comme si « un poignard le transperçait »59 Dans un immense accès de jalousie envers son portrait, Dorian Gray se révolte et émet ce pacte diabolique qui va le mener à sa perte : « si je demeurais toujours jeune et que le portrait vieillisse à ma place ! Je donnerais tout, tout pour qu'il en soit ainsi. [...] Je donnerais

56 57 58 59

Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., pp. 43-44. Ibid.,p. 44. Ibid., p. 84. Ibid, p. 47.


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mon âme ! »60 À partir de ce moment, un processus irrévocable se met en marche, déchainant des forces qui entraineront la ruine de Dorian Gray et de tous ceux qui l'auront approché. Tombé sous l'emprise d'un dieu tout puissant, le jeune homme va connaitre « la folie et l'ivresse, la raison et la jouissance constamment présentées dans leurs interférences «

61

Lord Henry

/ Bacchus domine sa victime. Il a su séduire son jeune adepte en lui insufflant la conviction qu'il possédait en lui bien plus de force et de pouvoir qu'il ne l'imaginait, qu'il pourrait désormais réaliser ce qui lui paraissait jusqu'alors au-dessus de ses forces : devenir lui-même un dieu ! Ô pouvoir de l'alcool qui « s'incorpore pour ainsi dire à ce qui fait effort pour s'exprimer. De toute évidence, l'alcool est un facteur de langage. Il enrichit le vocabulaire et libère la syntaxe.»62 Et Lord Henry connaît la puissance de sa parole. Il sait qu'il peut, par sa voix mélodieuse, mais également par la verve de son verbe déclencher chez ses auditeurs cette ivresse que seul le dieu du vin est capable de leur procurer. Lors d'un dîner où les convives l'écoutent religieusement, il réussit par la poésie de ses mots à faire de la philosophie «une véritable bacchante vêtue de pourpre, couronnée de lierre, emportée par le rythme insensé du plaisir [...].» Il la montre ensuite « dans le pressoir d'Omar-le-sage foul[ant] de ses pieds blancs les raisins.»63 Lord Henry, véritable dieu du vin, un Bacchus tout-puissant, « éblouissant, prodigieux, inspiré » ; il sait conquérir ses auditeurs « qui accept[ent] de 60 61 62 63

Ibid., p. 47. Bachelard, Gaston, La psychanalyse du feu..., op.cit., p. 149. Ibid., p. 150 Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., pp. 65-66.


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suivre la flûte de l'enchanteur en riant.»64 Sons d'une flûte auxquels Dorian Gray n'a pu, lui non plus, résister : « c'était bien la musique de ses harmonieuses paroles qui [...] avait inspiré au jeune homme la plus pure des déclarations d'amour. Dorian Gray était, dans une large mesure, sa création.»65 Lord Henry, dieu de l'inspiration sacrée, qui sait communiquer son esprit aux hommes et leur apprendre la grâce et le pouvoir des mots. Dieu « étrange, joyeux, chasseur cruel et inspirateur sublime, [mais qui est] aussi une victime. Il [est] la vigne, une plante que l'on émonde [...] ; en hiver, chaque branche est élaguée, seul demeure le cep dénudé, une souche de bois mort, un moignon noueux qui parait incapable de jamais reverdir. »66 Lord Henry, à l'hiver de sa vie, se compare à ce cep dénudé. Ressentant une profonde amertume devant l'éblouissante jeunesse de son adepte, il lui déclare avec des regrets plein la voix : « Je n'ai que dix ans de plus que vous et je suis ridé, fané, jauni.»

67

Incorrigible Bacchus

qui envie son disciple de connaitre « toutes les ivresses, [d'avoir] écrasé tous les raisins du monde contre [son] palais. »68 … Catherine Coulais (La seconde partie sera publiée dans le prochain numéro)

Ibid., p. 66. lbid,ç.9A 66Hamilton, Edith, La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes, Paris, Marabout, 1997, pp. 73-74. 67 Wilde, Oscar, Le Portrait de Dorian Gray..., op.cit., p. 274. 68 Ibid., p. 215 64 65


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C’est

en

préparant

une

maîtrise

en

création

littéraire

à

l'Université Laval de Québec que Catherine Coulais est «tombée en amour avec le pays », où elle a demandé sa résidence permanente, puis la citoyenneté canadienne. Aujourd'hui, elle vit à Ottawa où elle enseigne le français aux fonctionnaires du gouvernement fédéral, tout en faisant de la révision et de la correction de textes. À ses heures perdues, elle écrit de la littérature jeunesse et des pièces de théâtre.


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§8. Wilde entre modernisme et modernité Par David Ball Mise

à

part

l’extraordinaire,

l’exceptionnelle

réussite

de

L’Importance d’être constant, les pièces de théâtre de Wilde peuvent nous sembler aujourd’hui démodées même par rapport au théâtre de son époque. La modernité de ce théâtre nous la trouvons plutôt dans les pièces d’Ibsen, de Strindberg et de Tchékhov, qui ont du moins ceci en commun, qu’elles se passent des grands gestes et envolées lyriques d’un romantisme mal vieilli ou d’un sentimentalisme mélodramatique. Et plus près de Wilde, l’exemple de son contemporain, George Bernard Shaw, témoigne de tout ce qu’il était possible d’apprendre d’Ibsen en Angleterre à la fin du dix-neuvième siècle. Au réalisme du maître, Shaw ajouta une argumentation progressiste et socialisante, qui s’exprime le plus clairement dans son texte, La Quintessence de l’Ibsénisme, mais aussi, de manière plus aléatoire, dans les débats de ses personnages sur scène, où le goût du paradoxe et la guerre verbale des sexes peuvent mener à tout et son contraire. Plus tard, dans le théâtre de Brecht, l’élément progressiste fut repris dans des débats entre personnages encore plus clairement dirigés vers des conclusions marxisantes. Une telle idée de la modernité – une idée de progrès, de raison, à la fois scientifique et démocratique, et d’égalité homme femme – peut être perçue aujourd’hui comme une continuation, ou une élaboration, du travail des Lumières du dix-huitième siècle, un travail philosophique s’opposant aux injustices et aux absurdités


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d’une société traditionnelle réglée par la religion et la coutume. Et dans son texte politique, L’Ame de l’homme sous le socialisme, Wilde défend lui aussi des idées progressistes, l’idée surtout d’un socialisme

humaniste,

individualiste

et

utopique,

l’épanouissement d’un seul implique l’épanouissement de tous. Dans ses pièces de théâtre, cependant, il se tourne plutôt vers le passé, vers d’autres utopies ou mondes imaginaires, d’une époque

élisabéthaine

idéalisée,

ou

d’une

aristocratie

toute

d’élégance et de raffinement. Comment expliquer enfin qu’un jeune homme de presque trente ans, qui a déjà fait sept ans d’études littéraires et linguistiques brillantes dans deux universités prestigieuses, puisse écrire une pièce aussi démodée et immature que La Duchesse de Padoue ? Si ce n’était justement cette vie universitaire la cause principale de son échec. La vie universitaire d’Oxford surtout, un monde à part, ancré dans le passé, un monde de privilège, où la confiance en soi se cultivait parfois à l’excès. Et pourtant, dans ses trois comédies de mœurs, L’Eventail de lady Windermere, Une femme sans importance et Un mari idéal, il arrive tout de même, grâce à un sens de l’humour fondamental, et grâce aussi, sans doute, au besoin de gagner de l’argent, à circonscrire et à modérer les excès de son romantisme. Quant à la modernité du roman, elle s’exprimait, comme celle du théâtre d’Ibsen, principalement par le réalisme, par l’effort de comprendre et de représenter la vie sociale de l’époque dans toute sa complexité, l’effort surtout des œuvres romanesques immenses


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de Balzac et de Zola. Et dans Le Portrait de Dorian Gray, le seul roman de Wilde, il y a des éléments significatifs de réalisme : dans la présentation bien observée de la vie des milieux artistiques et aristocratiques londoniens. Mais les événements clé de l’intrigue relèvent du même esprit fantaisiste que l’on trouve dans ses contes et nouvelles. Le héros qui est prêt à donner son âme, à faire un échange avec son beau portrait, pour une jeunesse éternelle est un personnage de mythe, une version du Faust prêt à vendre son âme au Diable pour atteindre à la possibilité d’un savoir universel. Le rêve de rester toujours jeune – toute une industrie pharmaceutique, et bien d’autres activités encore, lui sont consacrées aujourd’hui. Mais une jeunesse éternelle pour quoi faire ? Pour Dorian Gray, ce sera la poursuite du plaisir, une démarche évidemment provocatrice dans une société dont les valeurs dominantes étaient le travail, le mérite et le devoir, mais une démarche tout de même fascinante, le travail et le devoir étant parfois si fatigants ! A la fin du roman, cependant, la morale traditionnelle revient en force dans la punition du héros, qui trouve la mort dans des circonstances laides et brutales. Un tel mélange de réalisme et de fantaisie pourrait être comparé dans ce contexte de modernité au roman expérimental de Virginia Woolf, Orlando, dont le personnage principal a la même capacité de rester jeune, et a de plus la possibilité

de

changer

de

sexe,

selon

les

besoins

de

la

démonstration féministe de l’auteure. Il y a dans les deux textes une critique comparable des conventions sociales victoriennes : de l’oppression et de l’exclusion des femmes par Woolf, et du rejet de la beauté et du plaisir par Wilde. Et pourtant, si nous


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essayons un instant de comparer Wilde aux autres modernistes plus ou moins contemporains, tels que Pound et Eliot, Mallarmé ou Pessoa, nous sommes obligés de constater qu’il a très peu à voir avec leur esprit pessimiste, conservateur et élitiste. Le modernisme de ces écrivains était en fait, du moins en partie, une révolte contre la modernité. C’était l’art d’être difficile, iconoclaste, fragmentaire, d’être innovateur et minoritaire. On ne croyait plus au progrès, les masses populaires s’étant révélées incapables de l’effort nécessaire. Il fallait en conséquence opposer à la culture majoritaire une autre, plus érudite, plus exigeante. Wilde aurait pu participer à un tel mouvement. Il aimait l’érudition, il aimait la provocation, il était assez francophone et francophile, et il était attiré par l’idée d’appartenir à une minorité, même secrète, mais au fond son désir d’être remarqué était un désir d’être reconnu et apprécié et de trouver dans le succès la preuve de cette appréciation. D’où la tragédie des procès qui brisèrent sa carrière. Sa réputation posthume a beaucoup souffert de la désapprobation de son homosexualité, une désapprobation, souvent hypocrite, qui a perduré jusqu’aux dernières décennies du vingtième siècle. Depuis quand, les attitudes, critique, populaire et militante, à son égard ont radicalement changé. Et il est devenu aujourd’hui un des saints et martyrs de la cause gay. Il n’a, pourtant, jamais été l’apôtre de la vie et des pratiques homosexuelles. Il était presque impossible

à

l’époque

de

faire

ouvertement

l’apologie

de

l’homosexualité, la condamnation en étant quasi universelle. Ce


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qu’il cherche à établir dans sa lettre, De Profundis, adressée à son mauvais génie, Bosie, est que les péchés de la chair sont triviaux comparés à ceux de l’esprit, tels la haine, le mépris et l’indifférence. On peut même affirmer que Wilde et son histoire ralentirent l’acceptation sociale de l’homosexualité en Angleterre, où les lois qui frappaient ces pratiques ne furent abrogées qu’en 1967. Tous les détails de ses procès avaient créé une impression de quelque chose de sordide et de scandaleux, et cela d’autant plus que l’image de l’homosexuel élaborée à partir de son cas était fondée sur l’idée de l’inversion, c’est-à-dire, que l’homosexuel typique était efféminé, une femme dans le corps d’un homme, et donc un phénomène aberrant et contre nature. Aujourd’hui pourtant, Wilde, par sa célébrité, pourrait encore représenter tous les homosexuels anonymes du passé dont la vie fut détruite par le scandale ou qui vivaient dans la peur. Il témoigne à tout jamais de la stupidité et de la cruauté des lois qui prétendent punir les orientations sexuelles. Et là il rejoint, du moins pour nous, la cause de la modernité, celle d’une société ouverte, tolérante et multiple, une société où l’homosexualité serait enfin sortie du rejet, de la clandestinité et du vécu tragique. Et on se demande à ce moment précis en France si tous ceux qui s’opposent à l’extension du droit au mariage aux homosexuels ont vraiment le désir de maintenir l’homosexualité en dehors de l’acceptable, de refuser à ces concitoyens minoritaires l’égalité républicaine...


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Ecrivain inclassable, un peu démodé ou dépassé peut-être, comme s’il n’avait pas compris, ou compris de façon trop limitée, les enjeux culturels de son époque, la gloire personnelle et artistique

de

Wilde

restera

inébranlable

sur

le

socle

de

L’Importance d’être constant. Et il y aura toujours une place pour les écrivains inclassables, surtout quand ils ont autant d’humour que lui. David Ball

David Ball fut professeur d'université en Angleterre avant de prendre sa retraite en France. Il est poète, publié dans des revues anglaises, et aussi membre du comité de rédaction des Lettres comtoises et de la revue théâtrale Skén&graphie.


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§9. OSCAR WILDE ET SES CONTEMPORAINS Carl Lionel Dauriac Armory

De son vrai nom Carl Lionel Dauriac, le poète chansonnier Armory, est l’auteur de romans, de poèmes et d’une pièce, Le Monsieur aux Chrysanthèmes, dans laquelle son personnage de Gill Norvège s’inspire, entre autres, d’Oscar Wilde et de Jean Lorrain. Dans la mouvance d’André Antoine, il crée en 1906 la Nouveau Théâtre d’Art. En 1943, il publiera des mémoires, intitulés 50 ans de vie Parisienne, où il trace un portrait d’Oscar Wilde qu’il rencontrait parfois au bar Calisaya.

Frédéric Boutet, grand besogneur de lettres, esprit curieux et original, en ce temps-là volontiers caustique, m’avait dit : « Venez donc un de ces soirs vers six heures au « Calisaya », je veux vous présenter à Oscar Wilde. »


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Il se trouva, plaisante coïncidence, que c’est en sortant de la réception d’une dame chez laquelle je venais de faire la connaissance d’Antoine Mariotte, qui travaillait déjà à sa Salomé, que je fus mis en présence de Wilde. « Wilde, égorgé par la coalition de l’envie et du pharisaïsme, victime, comme Lord Byron, de la détestable hypocrisie anglicane », écrivait Laurent Tailhade.

Oscar Wilde était près des fenêtres, les manches trainant sur

une

table

de

marbre,

affalé

plutôt

qu’assis.

J’imaginais mal le poète de la Ballade de la Geole de Reading dans cet amas de chair d’aspect repoussant. Je dus chercher quelque éclat du regard sur un petit faciès, perdu dans la grosse boule glabre qui lui tenait lieu de visage. Il buvait un « pale ale », lentement, la pensée ailleurs, la pensée peut-être nulle part. Avare de mots, bougon et souriant à la fois, il prit part à la conversation, adressant la parole à une jeune femme à la figure criblée de taches de rousseur, unique personne du sexe qu’il tolérât en son voisinage. Puis il dit des choses, des choses

étonnantes

s’intéressant

de

justesse

brusquement

aux

et

de

nouvelles

profondeur, que

nous

apportions du dehors. Bientôt, las de parler, il se tut comme on ferme un livre, appela pour payer, remontant frileusement sur ses épaules un macfarlane usé.


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Je revins plusieurs fois au « Calisaya » … Wilde m’y était accueillant, mais d’une mélancolie poignante, rebutante à la longue. Toujours se trouvait là, muette, empressée, docile aux moindres gestes de l’écrivain, la grande fille à la figure tachetée. Il me souvient mal des autres personnages qui entouraient alors, avec Boutet, l’auteur du Portrait de Dorian Gray. A ceux qui l’admiraient comme moi j’offrais, leur servant de guide, la visite – mais brève – du poète en son abreuvoir familier. Un soir je ne le trouvai plus au « Calisaya ». Je ne l’y vis plus. Je sus enfin sa mort, sa mort lamentable, cruel démenti donné par le Destin à ce gentilhomme déchu qui prétendait avoir mis son génie dans sa vie, qui ne rêvait toujours qu’Art et Beauté … Armory - 50 ans de vie parisienne – (Jean-Renard,1943)

Oscar Wilde par Opisso


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§10. Ce qu’il reste de soi Par Véronique Wilkin Nogent-sur-Marne, été 1898. Quatre hommes passent quelques jours de vacances loin du vacarme et de la fièvre parisienne. A Paris, c’est l’Affaire Dreyfus partout étalée, discutée, disputée, clivante, révélatrice des lézardes qui minent la société française. L’Affaire Dreyfus,

le miroir où apparaît la sale gueule de la

France mais aussi son plus beau portrait. Entre les deux, une infinité d’ombre.


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Mais, à Nogent-sur-Marne, l’Affaire est tout autant présente qu’à Paris, si ce n’est plus. Et pour cause, puisque ces quatre hommes ne sont autre que le commandant Walsin Esterhazy, l’auteur du bordereau et antisémite forcené, Rowland Strong, journaliste alcoolique et véreux, prêt à tout pour un scoop et surtout pour de l’argent , Lord Alfred Douglas et Oscar Wilde. Une telle réunion a de quoi choquer. On

voudrait croire à une erreur, voire à un

scénario issu d’une imagination torve, mais il n’en est rien. « A chacun sa vérité » disait Pirandello. Ceremonies of Bravery, de Robert Maguire, témoigne de deux engagements : celui de Carlos Blacker et celui d’Oscar Wilde. Deux engagements comme les deux pans du mensonge et de la vérité, tissés au même métier du doute et de la confusion. Eté 1898, donc. Eté de rupture, été de rapprochements équivoques. Plus tôt dans l’année, à son retour à Paris, Oscar Wilde a renoué avec celui que depuis des années il appelle son meilleur ami, Carlos Blacker. A l’occasion de ces retrouvailles, Carlos Blacker lui fait des révélations de première importance au sujet de l’innocence d’Alfred Dreyfus (dans son éditorial Danielle Guérin revient sur les détails de ces révélations). Oscar Wilde, socialement

ruiné, est pourtant devenu une des très rares

personnes, en France comme en Angleterre, à connaitre la vérité sur l’Affaire. Le retrouver, en pleine conscience, en telle compagnie,

alors

qu’il

rompt

avec

déstabilisant. On ne peut que réprouver.

Carlos

Blacker

est


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Pourtant, la lecture attentive du livre de Maguire amène à d’autres réflexions sur l’errance de Wilde dans un milieu que rien ne semblait le prédisposer à fréquenter. Si la réprobation est le premier réflexe, il est bon

par ailleurs de s’interroger sur les

raisons qui, au-delà d’une fascination certaine pour le glauque, purent motiver chez Wilde la recherche d’une telle compagnie et peut être même la tentation d’une trahison. En effet, certains Dreyfusards

proches

de

Blacker

l’accusèrent

d’avoir

communiqué les révélations que ce dernier lui avait faites à Esterhazy. De même, on peut se demander si l’héroïsme proféré de Blacker ne relève pas d’une autre forme de trahison : celle des biens pensants envers l’homme qui a chuté et qui n’entend plus jouer le jeu social.


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A première vue, le cas de Wilde est proche de celui de Dreyfus. Ils sont deux faux coupables, mais deux vrais visages de l’altérité pour la société. L’un est juif, l’autre est gay. Dreyfus était innocent de la trahison dont on l’accusait, Wilde était « coupable » d’être gay mais peu coupable des turpitudes théâtralisées par Queensberry. Dans les deux cas, leur être les condamnait à la différence, mais l’un pouvait prouver son innocence, tandis que l’autre était confronté à sa culpabilité du moment qu’il existait selon sa nature. Ce qui nous apparait aujourd’hui comme des évidences était jugé comme des problèmes moraux. Le Juif était un traitre en puissance, l’homosexuel un asocial tout aussi traitre. Oscar Wilde était doublement rejeté : pour avoir été jugé coupable d’abord et pour vivre selon sa nature ensuite. Alfred Dreyfus, lui, était condamné pour une prétendue trahison mais défendu au nom de son innocence certaine. Cette abyssale différence entre les deux fait que l’innocence de Dreyfus était défendable par la morale admise du temps, quand celle de Wilde était niée du fait même de sa transgression. Pour Wilde, il y avait eu les procès, la ruine financière et sociale et la prison. Pire que tout aux yeux du monde il y avait eu le retour de Lord Alfred Douglas dans sa vie.

Au détour des

correspondances croisées, on découvre qu’au moment de son séjour à Naples, en 1897 avec Alfred Douglas, sa vie a basculé. Une métamorphose intime entre l’homme qui tenait encore pour vraie l’illusion d’avoir retrouvé un semblant de liberté, à celle du


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paria qui a pleinement réalisé que le jugement qui l’a condamné sera immanquablement répété par les bons esprits qui se hâteront de reformer le jury pour examiner et condamner ses faits et gestes. Si Carlos Blacker apparait comme un chevaleresque défenseur de Dreyfus, il ne faut pas oublier que lui, le meilleur ami, n’hésita pas à participer à ce jury volontaire. N’a-t-il pas rompu avec Wilde au prétexte qu’il vivait avec un jeune homme ? Si les admirateurs, les amis et les suiveurs avaient accepté le mode de vie provocateur et brillant de Wilde, un bon apôtre comme l’oxonien Conybeare écrivait à propos de son mode de vie que désormais seul le suicide pouvait lui être une fin honorable. Et il l’écrivait en toute bonne conscience, sans réaliser que l’ignominie d’une telle homophobie rejoignait celle du pire antisémitisme. Car la duplicité de Wilde est nébuleuse. La solitude et le mépris qu’il subissait étaient en un certain point compensés par l’accueil que lui firent Esterhazy et Strong. Cette compagnie trouble avait au moins le maquillage de la camaraderie. Maquillage, car des bribes de témoignages demeurent de la mésestime mutuelle que Esterhazy et Wilde se portaient. De

même,

il

parait

évident

que

Wilde

ait

véritablement

communiqué les éléments que lui avait fournis Blacker

à la

défense de Zola. Zola aurait souhaité le rencontrer, mais Wilde


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aurait refusé arguant qu’il ne voulait pas rencontrer un auteur de livres immoraux. On jugera de la hauteur et du cynisme avec laquelle il répondait à l’absence de compassion et d’engagement dont Zola avait fait preuve à son égard en 1895. Zola et la plupart des intellectuels français qui maintenant défendaient Dreyfus et qui, lui, l’avaient abandonné et accablé. En écrivant cela, il ne s’agit pas de considérer la fréquentation de Strong et d’Esterhazy comme anecdotique. Mais il faut se garder de porter un jugement contemporain, car nous considérons de tels individus en regard de la germination de haine et d’horreur que leurs paroles et leurs écrits ont semé. S’ils représentent de possibles préfigurations de Vichy ou de la Collaboration à nos yeux, il ne faut pas oublier qu’en 1898, nul ne savait la monstruosité à venir dont l’affaire Dreyfus était grosse. La médiocrité intellectuelle et morale de ces hommes suffit amplement à s’interroger sur les motifs plus profonds, peut-être, que le défi à la société et la solitude, qui poussèrent Wilde à s’acoquiner avec eux. Il existe dans le livre de Maguire une réflexion révélatrice. Quand Henry Bauër reprochait à Wilde son commerce avec Esterhazy, celui-ci répondait que ce n’était pas tant par choix, mais que sa vie présente ne lui offrait plus la liberté de fréquenter d’autres cercles que celui des parias, qu’ils soient sociaux ou politiques. Cette phrase pourrait passer pour une mauvaise excuse mais elle semble révéler un profond


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dénigrement que l’on retrouve quand il écrivait à Robert Ross : « il ne peut rien arriver de bien dans ma vie car elle est à présente fondée sur de mauvaises bases ». C’est dans ce dénigrement que l’on pourrait trouver l’explication de ce flottement moral. Il suffit de repenser au jeune esthète humaniste qu’il fut aux Etats Unis, lecteur de Thoreau, admirateur de Walt Whitman, Pater et Ruskin, disciple de Platon et de Keats pour mesurer sa régression spirituelle. Oscar Wilde, en prison, avait rêvé d’une Vita Nuova dans laquelle refonder son être. Arrivé à Paris en 1898 c’est plutôt la vie à l’envers de lui-même mène avec une fascination suicidaire. Pour lui, l’importance de mener une vie philosophique n’a jamais été une pose. Cette vie, qui suppose que ce que nous construisons de nous, à partir de l’idée de ce que nous sommes, devient consubstantiel de la vie que nous menons. Pour Wilde, l’idée de vivre sa vie comme une œuvre d’art, participe de cette construction complexe, dynamique et esthétique, où les éléments constitutifs du vécu s’agrègent et s’harmonisent autour du développement de soi. Son œuvre comme sa vie témoignent de cette aspiration. C’était avant 1895. Après 1895, l’armature de sa vie est brisée, la reconstruction impossible. La métamorphose de la prison n’est pas à la hauteur de ses espérances, l’affinement spirituel ne suffit pas à construire une Vita Nuova l’ombre peut désormais s’agréger à la vie.

et

seule,


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Est-ce à dire que ses relations avec des individus comme Strong et Esterhazy n’auraient pas eu de place dans sa vie d’avant, et que son rang d’intellectuel l’aurait placé de fait dans le camp des Dreyfusards ? Nul ne peut le savoir. Véronique Wilkin


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§11. Témoignages d’époque Souvenirs inédits sur Oscar Wilde Recueillis par Guillot de Saix Témoignage du capitaine Paterson

« Ma première rencontre avec Oscar Wilde, dit le capitaine, date de plus longtemps. Je n'avais encore que sept ou huit ans. Ma marraine, Mme Hope, née Coots, qui portait symboliquement son nom d'espérance, s'intéressa à son ami Wilde plongé dans la Geôle de Reading. Elle était de la grande famille de Lindmith Geow et l'intime amie de la théosophe Annie Besant. Elle tint à m'emmener au parloir de la prison, malgré mon père: Je fus très impressionné par l'aspect et par la voix de cet homme qui portait avec noblesse la veste rayée du forçat La visiteuse lui parla de son âme. Je ne le revis que beaucoup plus tard avec Mme Hope encore, au café de la Paix... « Ah ! Le café de la Paix ! Il m'y menait souvent, reprit la baronne. Il commença l'un de ses contes, Le sphinx qui n'a pas de secret, en notant qu'il y contemplait la splendeur et les dessous de la vie parisienne. II aimait à se tenir au coin à droite, en entrant, du côté de la rue Auber. Il était très orgueilleux. J'étais fort riche alors, et je voulus plusieurs fois l'aider. Il refusa toujours, préférant vivre chichement de travaux faits pour d’autres. Un jour donc que nous étions à ce café le tzigane Boldi s'exhibait au restaurant voisin. Il jouait un air alors très en vogue: Lettres d'amour. Comme je marquais de la satisfaction à l'entendre, Wilde appela le groom .et, lui donna


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quarante sous pour faire venir le violoniste, Boldi fut bientôt devant nous. Très grand seigneur irlandais, sous son feutre large, Wilde prononça ; « Jouez Lettres d’Amour pour madame ! » Le Tzigane joua, et Wilde, fastueux jusque dans sa misère, lui donna vingt francs. C’était son dernier louis ! Un instant après, le capitaine reprit : « A ce même café, il survint un jour, une sorte de miracle. 'Tous nous écoutions Wilde narrer une de ses paraboles, celle de l'homme qui a vu des choses merveilleuses, quand, tout à coup, je vis s'avancer vers nous, sur la place de l'Opéra, léger, impondérable, un ange d'or haut comme quatre ou cinq fois un homme. Wilde suivit mon regard, aperçut la même vision que moi et tressaillit en me posant la main sur le bras. Aussitôt, les autres clients du café se levèrent, stupéfaits. Des chaises tombèrent. Des femmes se signèrent. Etait-ce la fin du monde qui s'annonçait par un tel messager ? Nous eûmes bientôt l'explication toute naturelle de ce mirage. C'était un jour d'été. ÏI faisait très chaud. On avait arrosé. Dans la vapeur d'eau mêlée à la poussière, le soleil, en frappant 1’Apollon qui couronne le Temple de Garnier, promenait l'image spectrale du dieu suivant la loi de réfraction découverte par le professeur Pepper. Mais, depuis lors, pour moi, un ange d'or géant marche toujours à côté du fantôme laissé dans mon souvenir par Oscar Wilde. » « Il habitait, continua la baronne, une affreuse petite chambre que lui avait trouvée Ernest La Jeunesse, rue des Filles-duCalvaire. J'étais navrée de le voir si mal logé. Un jour, j'appris


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qu'Alfred Douglas allait venir à Paris pour lui demander pardon. Alors, je soudoyai le concierge. Je transformai la chambre au moyen de tentures, de tapis et de fleurs. Je fis dresser une table luxueuse avec du linge brodé, des cristaux, de l'argenterie, des orchidées rares. Je cachai des musiciens dans une petite pièce voisine. Je fis brûler des parfums. J'avais déridé Wilde, qui ne voulait jamais aller en ville le soir parce qu'il n'avait plus d'habit, à en accepter un sur mesure. « Vous verrez, vous verrez ! Ce soir est un grand soir ! » Un maître d'hôtel et un valet stylés attendaient les ordres. Oh ! Si vous .aviez vu la surprise, l'extase de «Wilde rentrant dans son taudis transfiguré et y trouvant à genoux, en pleurs, l'ami cause de tout son mal !... » 'Wilde avait des mains grasses et féminines, des mains de prélat voluptueux. Il caressait les objets qu'il touchait et, avant de boire, il-palpait amoureusement la forme du verre. J’avais alors un palazzo à Venise. Avant d'y retourner, je me dis : « Il faut qu'un tel homme boive dans le plus beau verre du monde, il faut à ce prêtre du verbe un calice digne de ses mains, digne de ses lèvres». Et, de Venise, je fus à Murano apprendre l'art des vieux verriers, car je voulais que cette coupe fût mon œuvre personnelle. Pendant trois mois, j'épuisai mes poumons à souffler chaque matin la pâte de sable dans le chalumeau, devant la fournaise. Je savais que Wilde aimait le cristal pour sa seule beauté, sans souci de vains ornements. Je choisis donc une forme simple et, après de multiples essais brisés, je réussis un verre opalin qui semblait avoir emprisonné dans sa tige tordue une tulipe de flamme. Heureuse de mon œuvre, je voulus la faire porter à Wilde par une


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personne à mon service. On m'assura que l'envoi se ferait fort bien dans un emballage d'ouate. Hélas ! Mon beau verre parvint en miettes à son adresse. Cet homme, je vous l'ai dit, était magnétique. L'étincelle ne se dégageait que lorsque son pôle positif rencontrait un pôle négatif. Souvent seule avec lui, je lui prenais les mains et, pendant les orages, je sentais passer en lui du fluide électrique... « Je cessai de le voir depuis qu'ayant été conviée par lui dans un établissement des Champs-Elysées, je l'y trouvai attablé avec un compagnon impossible. Quelque temps après, il m'écrivit pour me dire qu'on pouvait découvrir autant qu'on en voulait des êtres comme celui-là, mais qu'il n'y avait qu'une Columba. Je le revis donc. II avait le don de prédire l'avenir. Il voulut m'empêcher d'aller à Menton où m'appelait une affection chère : << Je sens que vous allez vivre là-bas une grande tragédie... » Huit jours plus tard, le drame eut lieu. Pauvre Oscar ! Il est mort dans un infâme hôtel, et si misérable qu'on a arraché à son cadavre l'or de son râtelier afin de payer sa note... » L’Européen – Hebdomadaire, économique, artistique et littéraire – 8 mai 1929

Nous livrons ce témoignage pour ce qu’il vaut, bien que certaines choses qui y sont avancées semblent étranges. Wilde habita-t-il


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rue des Filles-du-calvaire ? Je ne l’ai jamais entendu dire. Non plus qu’on arrachât l’or de sa bouche à son cadavre. Et l’épisode du verre vénitien, fabriqué des propres mains de Mme Hope, comme celui de la pauvre chambre tranformée en un palais de conte de fée, paraissent bien improbables. Je n’ai pas réussi non plus à identifier le capitaine Paterson. Quelqu’un sait-il qui il était ?


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§12. LA BIBLIOGRAPHIE DU MOIS Lettres d’Oscar Wilde 1966 Lettres d’Oscar Wilde Traduit de l’anglais par Henriette de Boissard Introduction de Rupert Hart-Davis Gallimard NRF Du Monde Entier

1994 Lettres d’Oscar Wilde Choix de Rupert Hart-Davis Traduit de l’anglais par Henriette de Boissard Préface de Diane de Margerie Gallimard – NRF Collection : Du monde entier


RUE DES BEAUX ARTS Numéro 43 : Avril/Mai/Juin 1996 Oscar

Wilde :

Lettres

illustrées

Choisies et commentées par Juliette Gardiner Editions Herscher

En Anglais 1962 The letters of Oscar Wilde Editées par Rupert Hart-Davis


RUE DES BEAUX ARTS NumĂŠro 43 : Avril/Mai/Juin 2000 The Complete Letters of Oscar Wilde Merlin Holland and Rupert Hart-Davis Fourth Estate, London

The Complete Letters of Oscar Wilde Merlin Holland and Rupert Hart-Davis Henry Holt and Company (US Edition)


RUE DES BEAUX ARTS NumĂŠro 43 : Avril/Mai/Juin 2003 Oscar Wilde : A life in letters Selected by Merlin Holland Fourth Estate

2006 Oscar Wilde : A life in letters Selected by Merlin Holland Carroll & Graf Publishers Inc


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§13. Conférences et colloques À Monaco Le 14 mai prochain, Merlin Holland donnera une conférence à la Princess Grace Irish Library de Monaco, sur le thème

The Unexpected Oscar Wilde Comme son titre l’indique, cette causerie se propose de présenter un Oscar Wilde inattendu, et sera malheureusement réservée aux quelques

privilégiés

qui

auront

pu

trouver

place

sur

la

quarantaine de sièges offerts par le lieu. Cette heureuse assistance aura droit à quelques nouvelles inédites d’Oscar Wilde, transmises par son avant-dernier descendant !


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COLLOQUES Oscar Wilde and Fin de Siècle The Importance of Being Wilde Day Symposium on Oscar Wilde and Fin de Siècle Culture University of Limerick, IRELAND 12th June 2013 Plenary Speakers: Professor Margaret D. Stetz (University of Delaware) Professor Joseph Bristow (University of California Los Angeles) On the 8th of January 1884, Mr Oscar Wilde appeared before a Limerick audience in the Theatre Royal (Henry Street). His lecture ‘On the House Beautiful’ was not well attended; according to the Limerick Chronicle, the audience ‘was select and small and would have damped the ardour of many public speakers’. Nonetheless, Wilde appeared onstage again the following night to deliver a talk on ‘Personal Impressions of America’. Over a century later, this day symposium commemorates Wilde’s visit to Limerick, focusing primarily on Wilde as public intellectual and cultural critic. A key figure at the fin de siècle, Wilde was a literary writer, radical thinker, and cultural icon all at once. His works, and his legacy, are associated with disruptions of norms of gendered behaviour, sexual identities, class alignments, and aesthetic issues. Today, the flourishing of a diverse and interdisciplinary body of scholarship is testament to his importance. The continued production of Wilde’s work, particularly his plays, attests to the sustained interest of a general audience in his ideas. Our


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symposium aims to contextualize Wilde’s work in relation to other scholars,

literary

writers,

radical

ideas,

and

avant

garde

movements of his day. Papers may address, but are not limited to the following topics: · Wilde and his contemporaries · The Irish Wilde · Wilde and the New Woman · Wilde: public intellectual · Wilde and aestheticism · Wilde and socialism · Wilde the European · Wilde: our contemporary Abstracts (300 words, for papers of twenty minutes), accompanied by a brief bio, should be sent to wilde@ul.ie by March 31st 2013. Organisers: Dr. Tina O’Toole, Dr. Eoin Devereux and Dr. Kathryn Laing


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Oscar Wilde: Celebrity or Notoriety? A symposium; July 25-27, 2013 Chad Thomas / The Santa Fe Opera contact email: Chad.Thomas@uah.edu The Santa Fe Opera seeks proposals for its first (of three proposed annual) New Works Symposium. The symposium will take place July 25-27, 2013, in Santa Fe, New Mexico. The theme for this year’s symposium is “Oscar Wilde: Celebrity or Notoriety?” and is presented in conjunction with the world premiere of Oscar, an opera about the life of Oscar Wilde after his infamous trial for Gross Indecency, and his too-early death. This symposium offers an opportunity to theorize Wilde’s continuing relevance in literature, theater, and culture more broadly. We invite proposals from a variety of disciplines with a diversity of approaches. Presentations might include Wilde as a figure of literary and theatrical renown, focus on his influential wit and gift for aphorism, contextualize the ways in which he scandalized (and was punished by) Victorian society, theorize Wilde as a modern queer figure (or perhaps gay martyr), and/or consider the ways in which Wilde’s life and work have been consistently appropriated and re-appropriated since his death. Scholars, critics, artists, activists, or writers representing any field or discipline are invited to offer proposals for consideration. Proposals may be for conference-type papers or any other form


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suitable for a symposium. Proposals should include an abstract of 250 to 300 words in length (with a preliminary summary of the content of the proposed presentation), any audio-visual/other technological requirements. Proposals should also include the submitter’s name, institutional affiliation (if applicable), and complete

contact

information.

Please

submit

a

current

curriculum vita with your proposal. Submit proposals electronically as word documents or pdfs to Chad Thomas (Chad.Thomas@uah.edu) by March 25, 2013.


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§14. Handbag

Une lettre inédite Le Daily Telegraph rapporte qu’une lettre de treize pages signée Oscar Wilde vient d’être découverte dans une boite poussiéreuse, au fond d’une garde-robe d’une propriété de Shippon, près d’Abingdon, en Angleterre. Cette lettre pourrait avoir été écrite aux alentours de 1890, alors qu’Oscar Wilde était en pleine ascension littéraire. Il y prodigue des conseils à un jeune écrivain, un certain « Mr. Morgan ». Le contenu de cette missive n’a pas été dévoilé, à part deux phrases où Oscar s’exprime sur la difficulté de vivre de son art : "On doit toujours la meilleure littérature à ceux qui n’en dépendent pas pour gagner leur pain quotidien et la forme la plus élevée de littérature, la Poésie, n’apporte pas la moindre richesse au chanteur. Faites quelques sacrifices pour votre art et vous serez dédommagé mais demandez à l’art de se sacrifier pour vous et vous n’aurez en retour qu’une amère déception". Ce document inédit s’accompagne d’une première ébauche du poème « The New Remorse », écrit pour Lord Alfred Douglas alors qu’il venait juste de le rencontrer en 1891.


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Les deux documents appartenaient au riche propriétaire d’une brasserie

victorienne,

M.

Lawrence

Hodson,

collectionneur

d’autographes et de manuscrits qu’il a légués à sa petite fille. Après la mort de celle-ci en novembre dernier, les experts chargés de la liquidation de l’héritage ont découvert les manuscrits de Wilde dans un carton. Mike Heseltine, spécialiste des manuscrits chez Bloomsbury à Londres a déclaré que cette lettre inconnue jusqu’alors, était "aussi

excitante

que

le

premier

jet

du

poème

qu’elle

accompagne". Tous deux ont été mis aux enchères le 4 avril. La lettre de treize pages est estimée à 12 000£ (14 000€). L’ébauche du poème, rédigé sur un papier à en-tête du Florence-Hotel, devrait atteindre 7 500£.


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§15. WILDE, PERSONNAGE LITTÉRAIRE ANATHÈME (roman graphique) Par Christopher

Une nuit de brouillard, la reine Néfertiti déambule le long du canal Saint Martin. Elle y fait la rencontre d’un autre personnage plus parisien mais tout aussi perdu dans l'espace-temps ; Oscar Wilde. Néfertiti se sent bien seule sans Akhenaton. Oscar Wilde, lui, recherche la jeunesse masculine éternelle, l'Adonis. Ils sont


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bientôt rejoints par David Watts, le héros récurrent des albums de Christopher. En visitant le Louvre, ils vont évoquer leurs passions défuntes.

Christopher, Anathème , (Les contes inachevés de David Watts, tome 8) - La comédie illustrée – 1999


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§16. Poèmes Rue des Beaux-Arts De Derek Mahon There is only one thing…worse tan being talked about, And that is not being talked about. (Oscar Wilde – The Picture of Dorian Gray) The new art is everywhere with its whiplash line Derived from pre-Raff ivy and twining vine, Its biomorphic shapes, motifs of cat and moth; Base metals and industrial design, Outside and inside, in themselves uncouth, Aspire to the carnal life of pond and bower – And you yourselves, old trendy that you are, Have exchanged the silvery tinkle of champagne For muddy clouds of absinthe and vermouth, Bitter herbs self-prescribed to make you whole. As you said, a yellow-journalism survivor Has no need to fear rhe yellow fever; But it’s mid-July and nature has crept back To the rue des Beaux-Arts and the rue du Bac, The humid side-streets of the Latin quarter With its rank plants and warm municipal water, Its fiery pavement scorching feet and soul; ‘the whole body gives you a silent scream’. A man of griefs, acquainted with insomnia,


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You doze most of the day with curtains drawn Against the hot-house light of afternoon, Rising at agate Paris dust to take Your walk by the twilit river, quai des brumes, Visit a church to chew the alter rail (what ever happened to the Greek ideal ?) And check with the sale people at Galignani’s On the latest magazines; and more than once You’ve mixed with tourists in the Luxembourg To watch schoolchildren under the stony gaze Of Anne de Bretagne and Marguerite de Provence And listen to infants piping in the Coupole, Your Babylonian features raised in reminiscence. ‘Art’s mainspring, the love of life is gone; Prose is so much more difficult.’ The morgue Yawns, as it yawned too for Verlaine, Laforgue, Nor will you see your wife and sons again. Gestures, a broken series ; performance strain; Judge by appearances and what you get Is an old windbag. Still full or hot air, Still queer as fuck and putting on the style, You spout in the Odeon given half a chance For yours in the nonchalance of complete despair. ‘The thing now is to forget him; let him go To that limbo of oblivion which is his due’– Though the Daily Chronicle and the St. James’Gazette Are gone, while you are talked of even yet. Back-lit by sunset, a great trench of sky


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Glows like a brazier; grotesque tableaux, Unprecedented animals are engraved there In angelic purple-and-gold photography And the stars shine like oil-lamps. Gazing west You can just make out the tip of Finistère Where the last rock explodes in glistening mist. ‘They will not want me again in airy mood; They would like me to edit prayers for those at sea.’ Job with a skin-rash and an infected ear, Oisin in the real world and enforced humility, You pine still for the right kind of solitude And the right kind of society; but it’s too late To benefit from the astringency of the sea O come to terms with the nature you pooh-poohed; For you, if anyone, have played your part Constraining nature in the name of art, Surviving long enough for the birth-knell Of a new century and a different world. Go sup with the dead, the party’s life and soul : ‘The greatest men fail, or seem to have failed’. Derek Mahon (The Yellow Book) Ce poème est publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.


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Né à Belfast, Derek Mahon est un poète irlandais célébré, lauréat du Poetry Now Award en 2006 pour son recueil, Harbour Lights, puis en 2009 pour Life on Earth. Son poème Rue des Beaux-Arts, qui a pour sujet Oscar Wilde à Paris dans ses dernières années, appartient à son recueil The Yellow Book (Gallery Press; Wake Forest University Press, 1998).


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§17. CINÉMA, TELEVISION, RADIO, CD, DVD Le dernier numéro d’Intentions, publié par la Oscar Wilde Society, annonce une sortie imminente du film d’Al Pacino : Wilde Salomé, qui aurait enfin trouvé un circuit de distribution. Il devrait sortir aux Etats-Unis dans le courant du 4e trimestre 2013, et tout de suite après en Angleterre. Espérons que la France ne restera pas à la traîne et qu’elle ne laissera pas le film de Pacino dans les cartons, comme ce fut le cas du film de Mike Barker, A good Woman, (adaptation de Lady Windermere’s fan) qui n’a jamais été diffusé sur les écrans français et n’a connu qu’une sortie DVD sous le titre La Séductrice.


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§18. WWW.OSCHOLARS.COM www.oscholars.com abrite un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en est David Charles Rose (Université d’Oxford). Voir aussi le site allié www.thefindesiecle.com, rédactrice Tara Aveilhé (Université de Tulsa). THE OSCHOLARS est un journal international en ligne publié par D.C. Rose et son équipe de rédacteurs, consacré à Wilde et à ses cercles, il compte plusieurs mille lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007.

Les numéros de juin 2002 à

octobre 2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site www.irishdiaspora.net. d’articles,

de

nouvelles

chronologies, liens etc.

Vous y découvrirez une variété

et

de

critiques :

bibliographies,

L’appendice ‘LIBRARY’ contient des

articles sur Wilde republiés des journaux. Le numéro 51 : Mars 2010 est en ligne ; mais on peut trouver sur le site plusieurs feuilletons mensuels. Désormais

(automne

2012),

THE

OSCHOLARS

apparaîtra chez http://oscholars-oscholars.com/


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THE EIGHTH LAMP : Ruskin studies to-day – rédactrices Anuradha Chatterjee (University of Tasmania) et Laurence Roussillon-Constanty (University of Toulouse). Désormais

(janvier

2012),

THE

EIGHTH

LAMP

apparaîtra chez http://issuu.com/theeighthlamp/docs/l87. THE

LATCHKEY

rédactrices

sont

est Petra

consacré

à

‘The

Dierkes-Thrun

New

Woman’.

(Stanford

Les

University),

Sharon Bickle (University of Queensland) et Joellen Masters (Boston University). Le numéro le plus récent en ligne est daté de mai 2012. MELMOTH était un bulletin consacré à la littérature victorienne gothique, décadente et sensationnelle. La rédactrice était Sondeep Kandola, Université de Liverpool John Moores. Le numéro 3 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. Moorings

est consacré au monde de George Moore, écrivain

irlandais, bien lié avec beaucoup de gens du fin de siècle, soit à Londres, soit à Paris.

Le numéro 3, été 2008, est en ligne.

Actuellement, on trouvera sa nouvelle version ici. RAVENNA effectue une exploration des liens anglo-italiens à la fin de siècle. Les rédacteurs sont Elisa Bizzotto (Université de Venise) et Luca Caddia (University of Rome ‘La Sapienza’).


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Le numéro 3 en ligne est celui de fin mai 2010, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues.

Shavings est un bulletin consacré à George Bernard Shaw. Le numéro 28 (juin 2008) est en ligne ; désormais on le trouvera dans les pages de UpSTAGE.

The Sibyl

(commencé au printemps 2007) explore le monde

de Vernon Lee, écrivaine anglaise, née le 14 octobre 1856 au Château St Léonard, à Boulogne sur Mer; décédée à Florence, le 13 février 1935. La rédactrice est Sophie Geoffroy (Université de La Réunion). Le numéro 4 (hiver 2008/printemps 2009) est en ligne. Actuellement, on le reprend ici. UpSTAGE est consacré au théâtre du fin de siècle, rédactrices Helena Gurfinkel (University of Southern Iowa – Edwardsville), et Michelle Paull (St Mary’s University College, Twickenham).

Le

numéro 5 est en ligne VISIONS (deux ou trois fois par an) est consacré aux arts visuels de la fin de siècle. Les rédactrices associées sont Anne Anderson (University of Exeter), Isa Bickmann, Tricia Cusack (University of Birmingham), Síghle Bhreathnach-Lynch (anciennement National Gallery of Ireland), Charlotte Ribeyrol (Université de Paris– Sorbonne) et Sarah Turner (University of York). Le numéro 8 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues.


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Toute la famille de journaux est servie par un groupe de discussion,

annonces,

Cliquez sur l’icône

messages

et

autre

correspondance.

.

www.oscholars.com est/était édité par Steven Halliwell, The Rivendale Press, spécialiste de la fin-de-siècle.


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§19. Enchères Le manuscrit d’un des poèmes de Wilde intitulé Les Ballons sera mis aux enchères le 8 mai prochain, en deuxième partie de la vente de The Roy Davids Collection, Part III, Poetry, poetical manuscripts and portraits of poets, à Bonhams, New Bond Street, Londres. Il s’agit de la seule copie connue du poème entier écrit de la main de Wilde. Wilde commença ce poème à Paris pendant le séjour qu’il y fit à son retour d’Amérique entre janvier et mai 1883. Il y décrit des enfants faisant voler des ballons au jardin des Tuileries. Il spécifia à l’illustrateur Bernard Partridge que les enfants devaient avoir l’air japonais. L’Art Japonais était en effet une influence majeure pour les artistes du mouvement esthétique.

Le manuscrit est estimé à une valeur allant de 14 000 et 16 000€


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§ 20. Signé…Oscar Wilde Sur ces troubles ciels de turquoise, Les légers ballons lumineux Plongent et volent comme lunes de satin, Au hasard, tels des papillons de soie. (Fantaisies décoratives – II – Les Ballons) Against these turbid turquoise skies The light and luminous ballons Dip and drift like satin moons, Drift like silken butterflies. (Poems – Les Ballons)


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