Rue des Beaux-Arts n°60 – Juillet/Août/Septembre 2017
RUE DES BEAUX ARTS Numéro 61 Octobre/Novembre/Décembre 2017
McDermott & McGough, Oscar Wilde in Prison 1895
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Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde
RÉDACTRICE : Danielle Guérin-Rose Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm
et les numéros 42 à 60 ici.
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1 – Éditorial L’Impact de la prison
Porte de la cellule d’Oscar Wilde
Dans le monde littéraire, même si l’on excepte les artistes condamnés pour de raisons politiques, les écrivains ne sont pas rares à avoir fait l’amère expérience de l’enfermement. Clément Marot, François Villon, Paul Verlaine, Jean Genet, entre autres, ont tous entendu se refermer derrière eux la lourde porte des cellules, et le bruit des clefs qui scellaient la fin de leur liberté. Parmi eux, Oscar Wilde est sans doute celui qui était le moins préparé à affronter la dureté de l’incarcération, et sans doute celui qui fut condamné le plus sévèrement pour un crime qui n’en n’était pas un. Le dandy Wilde, qui ne vivait que pour l’Art, la beauté et le plaisir, qui menait une existence des plus raffinées, au milieu des décors de Godwin, des peintures de Whistler et de Burne-Jones, invité des salons les plus élégants, où il brillait par son esprit, enivré d’un
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succès toujours montant qui le faisait rayonner, ce Wilde-là ignorait tout du monde obscur où il allait brutalement être projeté.
Il convient cependant de nuancer ce propos, Wilde ayant été visiter une prison pendant son voyage en Amérique, où il a rencontré des détenus du pénitencier de Lincoln, dans le Nebraska. Wilde, à ce moment-là, est un jeune poseur, esthète jusqu’au bout des ongles, qui pense avant tout à marquer les esprits par des effets de style. Ses impressions sont cruellement dépourvues de compassion : Ces malheureux échantillons d’humanité en affreuse tenue rayée, qui faisaient cuire des briques au soleil, avaient tous l’air minable, ce qui m’a consolé, car j’aurais horreur de voir un criminel à noble physionomie. C’est ici une pure réflexion d’esthète, qui fait de la provocation en laissant le cœur de côté. La seule chose qui le frappe, c’est la présence de livres dans les cellules, encore juge-t-il que passer son temps à lire des romans, quand on est un assassin destiné à être
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pendu trois semaines plus tard, est une mauvaise préparation à l’affrontement avec Dieu ou le Néant.1 Cette attitude désinvolte, il en sera bien loin quinze ans plus tard quand, dans la cour de la prison de Reading, il verra tourner le jeune cavalier de la garde Charles Thomas Woolridge, sur le point d’être exécuté pour l’assassinat de la femme qu’il aimait et dont il était jaloux. C’est à lui (à C.T.W) qu’il dédie sa dernière œuvre, ce pathétique et terrible « chant du cygne » que sera « La Ballade de la geôle de Reading ». Confronté à ce mort qui marche encore et que la corde attend dans un hangar sordide où la trappe va s’ouvrir sous ses pieds, Wilde n’est plus ce jeune gandin du pénitencier de Lincoln, qui badinait sans vergogne, il est un frère désespéré du condamné. Sa mort prochaine, il la souffre dans son cœur et dans son âme, sa bouche n’est plus qu’un cri pour hurler sa terreur et sa compassion, son corps s’affaisse sur ses genoux, suppliant grâce pour celui dont on prépare la fosse et la chaux vive qui va dévorer et récurer à blanc sa carcasse maudite. Toute l’horreur de la prison, Wilde la sent à ce moment-là dans ses os et dans sa moelle. Cet effroi insupportable de la mort programmée qui suit les pas du bourreau, les pas de la loi qui résonnent dans les couloirs de la geôle de Reading tandis que tous les prisonniers retiennent leur souffle et prient un Dieu auquel la plupart ne croient pas, Wilde le ressent jusqu’aux fibres les plus intimes de son être. Cette révolte, cette douleur, cette communion avec son frère en souffrance, qu’il exprimera avec une force jusque-là inégalée dans son long poème, il les a déjà violemment ressenties en entendant 1
Lettres d’Oscar Wilde, choix de Rupert Hart-Davis, n° 38 à Hélène Sickert, 25 avril 1882, Fremont, Nebraska, Gallimard, 1966 et- 1994. 5
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les
gémissements
d’un
pauvre
soldat
faible
d’esprit
qu’on
flagellait1. Il les a ressenties plus violemment encore en croisant trois malheureux enfants incarcérés pour avoir chapardé des lapins. Les enfants étaient terrifiés et affamés et Wilde, bouleversé, écrivit aussitôt au bon gardien Thomas Martin pour intervenir en leur faveur : Tâchez de trouver le nom d’A.2.11 – Egalement le nom des enfants qui sont incarcérés pour vol de lapins et le montant de l’amende. Puis-je la verser pour eux et les faire libérer ? Si oui, je le ferai demain. Je vous en prie, cher ami, rendez-moi ce service. Il faut que je les fasse libérer. Pensez à ce que ce serait pour moi de venir en aide à trois petits enfants […] Si je peux l’obtenir en versant l’amende, annoncez aux enfants qu’ils seront libérés demain par un ami et demandez-leur d’être heureux et de n’en rien dire à personne .2 On sait que Wilde, à sa sortie de prison, écrira deux lettres au Daily Chronicle3 dans l’espoir de faire changer les choses. Il y parviendra
dans
une
certaine
mesure
puisque
certaines
améliorations proposées par Wilde furent prises en compte dans le projet, qui prit force de loi en août 1898, et constitua le nouvel Acte régissant les prisons.
1
A.2.11 était un soldat déficient nommé Prince qui avait été condamné à six mois de prison par les autorités militaires. Son état mental l’exposait à d’incessantes punitions et Wilde l’avait entendu hurler pendant qu’on le flagellait. Il reçut vingt-quatre coups de fouet qui le rendirent à demi fou. Dans sa lettre au Daily Chronicle, Wilde demandera que son cas soit réexaminé et qu’un traitement adapté à sa maladie lui soit accordé. 2
Lettres d’Oscar Wilde, choix de Rupert Hart-Davis, n° 175 à Thomas Martin, 17 Mai 1897, H.M Prison, Reading, Gallimard, 1966 et 1994. 3 La première lettre, intitulée « Le cas du gardien Martin : quelques cruautés de la vie de prison » a été envoyée au Daily Chronicle le 28 Mai 1897. La seconde : « Ne lisez pas ceci si vous voulez être heureux aujourd’hui », est datée du 23 mars 1898, jour même où s’ouvrait à la Chambre des Communes un débat sur la réforme des prisons. 6
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Le système pénitentiaire est absolument inique, proclamait-il déjà dans « De Profundis ». Je donnerais n’importe quoi pour être capable de le modifier à ma sortie. J’ai bien l’intention d’essayer. En prison, la propre souffrance de Wilde s’augmente donc de celle des autres. Mais c’est aussi cette souffrance d’autrui qui le sauve de la folie et du suicide. Il racontera ainsi à Gide comment l’intervention d’un de ses camarades, qui lui adressa un mot dans la cour, alors qu’il était absolument interdit, sous peine de châtiment, de communiquer les uns avec les autres, lui rendit l’espérance. Il y avait déjà six semaines que j’étais enfermé et que je n’avais dit un mot à personne – à personne. Un soir, nous marchions comme cela les uns derrière les autres pendant l’heure de la promenade et, tout à coup, derrière moi, j’entends prononcer mon nom. C’était le prisonnier derrière moi qui disait : “Oscar Wilde, je vous plains, parce que vous devez souffrir plus que nous.” Alors, j’ai fait un énorme effort pour ne pas être remarqué (je croyais que j’allais m’évanouir) et j’ai dit sans me retourner : “Non, mon ami, nous souffrons tous également” – Et ce jour-là, je n’ai plus du tout eu envie de me tuer.
1
Wilde n’est plus seul. Il appartient à la communauté souffrante et honteuse des parias et il s’en revendique, lui l’individualiste forcené. Il est au milieu des siens, ceux que la loi et la société ont rejetés, ceux qui ne sont plus dignes. Il est du côté des larrons que Jésus mena au Paradis. 1
André Gide, Oscar Wilde, In Memoriam, Mercure de France, 1910 et 1989. 7
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Wilde s’est-il réformé en prison ? Si l’on en croit ce qui vient d’être exposé,
la
réponse
tend
à
être
positive.
Ces
deux
ans
d’enfermement, d’humiliations, de souffrance physique et morale l’ont profondément changé. Sauf sur le plan des mœurs. Parce que sur ce plan-là, Wilde ne s’est jamais senti coupable. Il est ainsi, c’est tout. Les péchés de la chair ne sont rien. Il aime les hommes, il aime Bosie, et il ne s’en culpabilise pas. (« Un patriote jeté en prison parce qu’il aime son pays, aime toujours son pays. Et un poète emprisonné parce qu’il aime les garçons, aime toujours les garçons »). On lui en fera souvent le reproche, quand par la suite, il sera retombé dans ses anciennes errances. Comme si l’essentiel était là. Comme si la découverte de la compassion, de la solidarité, la découverte du versant noir de la vie qu’il s’était toujours refusé à voir, n’étaient pas plus importantes. La prison l’a brisé, mais elle l’a enrichi aussi, de tout un poids d’humanité. Wilde était un être magnétique, élégant, spirituel et léger, avec une bonté naturelle un peu inexploitée. La prison lui a donné densité et profondeur. Elle a révélé son courage et sa générosité. Albert Camus a pu écrire dans une préface à « La Ballade de la Geôle de Reading »1 que c’est la découverte de la souffrance qui permit à Wilde de percer « les secrets de l’art » et qu’en l’acceptant « il devient en même temps capable de comprendre Shakespeare et Dante dont il avait tant parlé sans les connaître et […] peut écrire alors l’un des plus beaux livres qui soient nés de la souffrance d’un homme, « De Profundis ».2 »
1 2
Albert Camus, L’Artiste en prison – Introduction à La Ballade de la geôle Reading, Falaize, 1952. Item 8
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Je ne crois pas pour ma part que Wilde ait attendu la prison pour « percer les secrets de l’art ». Un homme qui a écrit « Le Portrait de Dorian Gray » et « L’Importance d’être Constant » les avait bien évidemment déjà percés. Il n’en est pas moins vrai que sans l’épreuve initiatique de la prison, « De Profundis » et « La Ballade de la Geôle de Reading » seraient restées lettres mortes, totalement hors de portée. Les lettres sur la prison aussi qui, parce qu’elles sont totalement désintéressées, arrachent les masques de Wilde et le révèlent dans sa touchante nudité. Le prix à payer fut cher, puisque Wilde, désormais stérile, n’écrivit plus. Camus encore, affirma : « L’effort vers la vérité, la simple résistance à tout ce qui dans la prison tire l’homme vers le bas, suffisent à exténuer l’âme. Wilde ne produisit plus rien après La Ballade, et il connut sans doute l’invincible malheur de l’artiste qui sait les chemins du génie, mais qui n’a plus la force de s’y engager ».1 On peut, bien entendu, se demander comment aurait tourné la carrière de Wilde si son destin avait fait l’économie du scandale. Après le succès absolu de « L’Importance d’être Constant », y aurait-il eu d’autres triomphes, d’autres chefs-d’œuvre ? De quoi l’effondrement de la vie d’Oscar Wilde nous a-t-il privés ? Il nous promettait un « Pharaon », un « Achab et Jézabel » qui ne sont jamais venus. Sans la prison, Wilde aurait sans doute vécu beaucoup plus vieux. Il aurait eu le temps de construire une œuvre importante. D’autres comédies de salon, virtuoses et spirituelles. Des pièces bibliques, dans la veine de Salomé. 1
Item 9
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D’autres romans, peut-être. Mais il aurait manqué à cette œuvre – aussi grande aurait-elle pu être - le sacre de la tragédie et cette dimension si humaine des derniers textes, écrits avec le sang du poète. Ces textes magnifiques, dans leur vérité bouleversante, qui, toujours selon Camus, « donne(nt) envie de l’avoir encore parmi nous ». Danielle Guérin-Rose
Maggie Hambling
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2 – Publications (Attribué à ) Oscar Wilde – Teleny La Musardine – Septembre 2017 ISBN 978-2842718954 Gyles Brandreth – Oscar Wilde et l’assassin de la Tamise Terra Nova – Août 2017 ISBN 978-2824610405
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Kathleen Riley et Iarla Manny – Oscar Wilde and the classical Antiquity OUP Oxford – novembre 2017 ISBN 978-0198789260
Colleen Sattler – Oscar Wilde on life, love and money New Holland Publishers – Octobre 2017 ISBN 978-1742579894
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Michael Gillespie – The Branding of Oscar Wilde Routledge – Novembre 2017 ISBN 978-0815365945
Nicholas Frankel – Oscar Wilde, the Unrepentant Years Harvard University Press – Septembre 2017 ISBN 978-0674737945
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James Hodgson – Oscar Wilde: Philosopher, Poet and Playwright Greenwich Exchange Ltd – 0ct 2017 ISBN 978-1910996102
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3- Expositions ARTHUR CRAVAN. MAINTENANT?
Aventurier, poète et boxeur, Fabian Avenarius Lloyd, plus connu sous son pseudonyme d’Arthur Cravan, était le fils aîné d’Otho Lloyd, frère de Constance Lloyd, et donc le neveu par alliance d’Oscar Wilde. Il gagna une certaine notoriété à travers sa revue « Maintenant » dont il était à la fois l’éditeur, le rédacteur et le diffuseur. Cinq numéros parurent entre 1912 et1915, dont il assura lui-même la distribution. Il s’illustra aussi sur le ring dans un combat contre le champion du monde Jack Johnson. Ce géant d’une rare excentricité, qui maniait le scandale comme un outil artistique, évoluait dans la sphère dadaïste et surréaliste dont il est considéré comme l’un des précurseurs. Il connut une mort aussi énigmatique que le fut sa vie,
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ayant disparu au large des côtes mexicaines. Son corps ne fut jamais retrouvé. La ville de Barcelone, où il séjourna après avoir quitté Paris, lui consacre une exposition où sont présentées pour la première fois les œuvres d’un peintre imaginaire, Edouard Archinard, dont le nom était pratiquement une anagramme phonétique d’anarchie. À Barcelone, où Cravan arriva en décembre 1915, il rencontra des couples
d’artistes,
Juliette
Roche
et
Albert
Charchoune et Helena Grunhoff, et les Picabias. L’exposition a lieu au musée Picasso de Barcelone.
26 Octobre 2017 au 28 janvier 2018 Museu Picasso – Barcelone
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Gleizes,
Serge
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4. Opéra et Musiques, The Selfish Giant Le conte d’Oscar Wilde « The Selfish Giant » constituera la base de l’opéra pour enfants que prépare le chanteur anglais Robbie Williams en collaboration avec Guy Chambers. Le spectacle, qui comprendra 29 chansons, et durera une heure et quart, est programmé en avril au Vaudeville Théâtre de Londres, dans le cadre de la saison qu’il consacre à Oscar Wilde.
The Young King
The Young King is charming, majestic and utterly delightful” Limelight Une production de Sydney Opera House and Slingsby Theatre Company
11 et 12 novembre 2017 17
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Studio – Sydney Opera House - Australie
5 – Théâtre L’Importance d’être Constant
5, 9, 12 et 18 septembre 2017 – à 21H Théâtre de Nesle - Paris
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Le Fantôme de Canterville
Mise en scène : Leïla Moguez Avec Antoine Brin et, en alternance, Leila Moguez et Eugénie Gendron
Du 2 septembre 2017 au 5 novembre 2017 Du lundi au vendredi – et le dimanche - à 14H30 – Le mercredi et le samedi à 15H La Folie Théâtre – Grande salle – Paris 11e
SALOMÉ 19
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Mise en scène Numa Sadoul
Salomé : Lola Letarouilly Hérodias : Paul Brouet Hérode : Louis Longeray Iokanaan : Julien Nacache Narraboth/Un Soldat : Lô Bouzige Un Soldat/Un Juif/Un Esclave : Jean Cheminet
samedi 4 novembre à 20h30. Théâtre de Ménilmontant, Paris vendredi 8 et samedi 9 décembre à 21h Théâtre de la Semeuse, Nice 20
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Un Mari Idéal
Mise en scène : Cathy Guillemin Avec : Edouard Licoys, Audrey Morin, Maxime Seynave, Laure Loaëc, Cédric Obstoy et Aurélie Campovecchio, Vincent Germain, Laurent Dubesset, Victoria Blanc, Isabelle Duvernois, Pavlina Novotny, Oscar Voisin, Aila Navidi. Du 22 septembre 2017 au 19 janvier 2018 – les jeudis (21H30) et vendredis (19H45) La Comédie Saint-Michel – Grande Salle
Et ailleurs…
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Le Vaudeville Theatre à Londres a programmé une saison Oscar Wilde qui s’étendra sur une année. Du 6 Octobre au 30 décembre 2017, « A woman of no importance » sera à l’honneur dans une mise en scène de Dominique Drumgoole. Avec : Eve Best (Mrs Arbuthnot) – Eleanor Bron (Lady Pontefract) – Crystal Clarke (Hester Worsley), Emma Fielding (Mrs Allonby), Anne Reid (Lady Hunstanton),William Gaunt (Venerable Archdeacon Daubeny), Dominic Rowan, Sam Cox, Harry Lister-Smith, William Mannering, Paul Rider et Phoebe Fildes.
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En outre, un spectacle familial basé sur les contes d’Oscar Wilde : « Wilde Creatures » est programmé du 15 au 31 décembre.
SALOME
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Adapté et mis en scène par Nick Pelas 17 au 29 Octobre 2017 Barons Court Theatre - Londres Et dans le cadre de la saison Wilde, au Vaudeville Theatre de Londres :
4 conférences : - Merlin Holland, le samedi 14 octobre à 18H – « The remarkable réputation of Oscar Wilde » - Stephen Fry, le jeudi 19 octobre à 18H – « Playing Oscar Wilde » - Frank McGuinness, le samedi 11 novembre à 18H – « Wilde, The European. - Franny Moyle, le jeudi 6 décembre à 18H – « A woman of no importance »
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6 - Les fantômes ont la vie dure : « The Canterville Ghost » (Oscar Wilde) et « The Cat Jumps » (Elisabeth Bowen) Fabienne Dabrigeon –Garcier
Parus à quarante-cinq ans d’intervalle, de part et d’autre de la charnière
XIXe-XXe
siècles, « The Canterville Ghost » (1891) et « The
Cat Jumps » (19341) empruntent à la littérature gothique son décor de prédilection, la demeure hantée. L’étrange, pour autant, n’émane plus des associations propres à un tel lieu – revenants, crimes secrets, présence du mal, délires intimes – mais du vacillement entre la certitude que ces associations n’ont plus cours dans le monde rationnel moderne et l’incrédulité face à leur réapparition inopinée. Dès l’incipit, les deux textes plantent leur décor et revendiquent leur appartenance
à
la
tradition
gothique:
1
tous
deux
affirment
« The Canterville Ghost », in Lord Arthur Savile’s Crime and Other Stories, Penguin Popular Classics, 1994 (1891). « The Cat Jumps », in The Collected Stories of Elizabeth Bowen, Londres, Jonathan Cape, 1980 (1934). 25
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explicitement l’inquiétante étrangeté d’un lieu familier contaminé par la terreur ou l’horreur : « When Mr Hiram B. Otis, the American Minister, bought Canterville Chase, every one told him he was doing a very foolish thing, as there was no doubt at all the place was haunted. Indeed, Lord Canterville himself, who was a man of the most punctilious honour, had felt it his duty to mention the fact to Mr Otis, when they came to discuss terms. “We have not cared to live in the place ourselves”, said Lord Canterville, “since my grand-aunt, the Dowager Duchess of Bolton, was frightened into a fit, from which she never really recovered, by two skeleton hands being placed on her shoulders as she was dressing for dinner.” » (CG, p. 45.) Dans « The Canterville Ghost », Lord Canterville lui-même confirme la rumeur qui entoure Canterville Chase et informe M. Otis de la présence d’un terrifiant fantôme alors que, dans « The Cat Jumps », c’est la presse à scandale qui se charge d’étaler l’horreur du meurtre qui a ensanglanté le lieu et flétri à jamais ses attraits aux yeux du public : « After the Bentley murder, Rose Hill stood empty two years. Lawns mounted to meadows; white paint peeled from the balconies; the sun, looking more constantly, less fearfully in than sightseer’s eyes through the naked windows, bleached the floral wallpapers. The week after the execution Harold Bentley’s legatees had placed the house on the books of the principal agents, London and local. But though sunny, up to date, and convenient, though so delightfully 26
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situated over the Thames valley […] Rose Hill, while frequently viewed, remained unpurchased. Dreadful associations apart, the privacy of the place had been violated; with its terraced garden, lilypond and pergola cheerfully rose-encrusted, the public had been made too familiar. On the domestic scene too many eyes had burnt the impress of their horror. Moreover, that pearly bathroom, that bedroom with wide outlook over a loop of the Thames. “The Rose Hill Horror”: headlines flashed up at the very sound of the name. » (CJ, p. 362.) Dans l’une et l’autre nouvelle, il ne s’agit pas de découvrir un secret de famille honteux, dont l’étrange serait la manifestation; au contraire, le passé gothique des deux demeures est dévoilé sans détour, pour être congédié aussitôt qu’évoqué. Il est congédié d’une part par le transfert de propriété : par l’acte de vente (et même si M. Otis achète le fantôme avec les meubles, « I will take the furniture and the ghost at a valuation », p. 45), la demeure tombe ente les mains d’une nouvelle famille qui n’a plus rien à voir avec le passé obsédant des Canterville et des Bentley. D’autre part, la modernité des deux nouveaux acquéreurs prétend rompre radicalement avec toute pensée archaïque ou sauvage, l’archaïsme du surnaturel dans « The Canterville Ghost », la sauvagerie des mœurs dans « The Cat Jumps ». Cette modernité n’est pas du même ordre cependant: la modernité de la famille Otis dans « The Canterville Ghost1 » est celle du Nouveau Monde;
pragmatique,
résolument
1
matérialiste,
elle
traite
les
Il est à noter que la famille Otis porte le nom d’une célèbre marque d’ascenseurs américaine, connue dès 1841. 27
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fantasmes du vieux continent comme de vulgaires biens de consommation: My Lord, answered the Minister, […] I come from a modern country, where we have everything that money can buy ; […] I reckon that if there were such a thing as a ghost in Europe, we’d have it at home in a very short time in one of our public museums, or on the road as a show. (CG, p. 45) La modernité des Wright dans « The Cat Jumps » est celle du rationalisme, de la culture scientifique, celle d’esprits sains, tolérants, très satisfaits d’eux-mêmes et de leur santé mentale: « The Harold Wrights, however, were not deterred. They had light, bright, shadowless, thoroughly disinfected minds. They believed that they disbelieved in most things but were unprejudiced; they enjoyed frank discussions. They dreaded nothing but inhibitions; they had no inhibitions. » (CJ, p. 362.) Pour les uns comme pour les autres, le gothique n’est plus de ce monde et ses derniers vestiges doivent disparaître. Chacune des deux nouvelles organise par conséquent une chasse aux fantômes, d’où le premier sens du titre de cet essai: « les fantômes ont la vie dure ». Dans « The Canterville Ghost », il s’agit d’empêcher le fantôme de Sir Simon de troubler la vie et le sommeil des nouveaux occupants. On ne lui en veut pas d’exister, puisque, de toute façon, il est rationnellement impossible qu’il existe, mais il doit s’en tenir à sa nature spectrale et ne pas interférer avec le monde des vivants. Dans « The Cat Jumps », il s’agit d’occulter l’histoire du meurtre, d’en refouler l’horreur en s’adonnant aux sports de plein air ou, quand le mauvais temps force le petit groupe de week-enders à 28
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rester dans la maison, en poursuivant de saines et savantes discussions sur la relativité ou la psychologie. C’est pourquoi dans un premier temps, j’aborderai, à partir de la proposition suivante: « si personne n’a plus peur d’eux, les fantômes n’ont plus de raison d’exister », l’extinction du gothique, la pensée archaïque aseptisée, le surnaturel expliqué. Mais, et c’est le deuxième sens du titre, « les fantômes ont la vie dure » parce qu’ils refusent de se laisser congédier. Ils tiennent absolument à revenir dans le monde des vivants, car ils y ont des « obligations »: « It was his solemn duty to appear in the corridor once a week, and to gibber from the large oriel window on the first and third Wednesday in every month, and he did not see how he could honourably escape from his obligations. It is quite true that his life had been very evil, but, upon the other hand, he was most conscientious in all things connected with the supernatural. » (CG, p. 57-58.) Sir Simon Canterville, le fantôme, défend les droits du surnaturel contre les lois positivistes de la nature auxquelles adhère M. Otis: « But there is no such thing, sir, as a ghost, and I guess the laws of nature are not going to be suspended for the British aristocracy » (p. 46). Loin d’être un fantôme immatériel, Sir Simon a une voix, un corps (et pas seulement un squelette), des convictions, et il tient à accomplir en homme d’honneur son destin de fantôme. En revanche, les revenants de « The Cat Jumps » n’ont ni corps ni voix propres ; ils viennent hanter les vivants, envahir leurs conversations, s’infiltrer 29
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dans leurs esprits, prendre leurs traits pour revivre, à travers eux, les horreurs passées. C’est pourquoi en réplique au désenchantement du monde par la pensée rationaliste, j’examinerai son réenchantement par le retour de l’étrange, par la revanche du surnaturel, pour m’interroger finalement sur ce que disent ces histoires de fantômes d’un autre âge sur le monde moderne La fin du gothique: si personne n’a plus peur d’eux, les fantômes n’ont plus de raison d’exister Conscient que ce qui fonde le gothique, c’est la terreur, le fantôme des Canterville met en œuvre l’arsenal le plus lourd pour terroriser la famille Otis: suaire, chaînes rouillées, lumière phosphorescente, ricanements lugubres (« his celebrated peal of demoniac laughter », p. 53). Il se déguise en « Spectre en armure » (« Spectre in Armour », p. 53) et monte des numéros qui ont fait leurs preuves dans le passé en poussant au suicide ou à la folie mainte victime. Ces numéros sont des Masques, dont les noms aux consonnes redoublées dans des paronomases en série accusent l’artifice : « Red Ruben, or the Strangled Babe », « Gaunt Gibeon, the Blood-sucker of Bexley Moor », « Martin the Maniac, or the Masked Mystery », « Dumb Daniel, or the Suicide’s Skeleton », « Reckless Rupert, or the Headless Earl », « Black Isaac, or the Huntsman of Hogley Woods ». Ils constituent une parodie grotesque du mélodrame et plus largement des productions théâtrales à sensation de l’époque victorienne 1. Cette 1
Un commentaire métatextuel sur le vocabulaire du théâtre et sa mise en scène du surnaturel souligne cette intention parodique : « It was an extremely difficult “make-up”, if I may use such a 30
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parodie recourt à une astuce de présentation magistrale de la part de Wilde: le choix d’un point de vue narratif ayant le fantôme pour focalisateur. Tous les artifices éculés qui constituent la panoplie de la terreur de Sir Simon sont ainsi présentés comme autant de trucs de mise en scène répétitifs, obsolètes et inopérants, puisqu’ils ne réussissent
plus
à
créer
chez
leurs
spectateurs
la
terreur
programmée. Non seulement l’échec de ses numéros remet en question la fonction de producteur du spectacle et jusqu’à la raison d’être du fantôme, mais de plus, la terreur a ironiquement changé de camp : les jumeaux Otis, « ghost-busters » improvisés, sont autrement plus terribles que le fantôme d’origine. Leur gémellité en fait une version moderne et redoutable du double fantastique, car ils sont capables eux aussi de fabriquer des machines à faire peur: un seau d’eau placé au-dessus d’une porte, « wetting him [the ghost] to the skin » (p. 59), ou un faux fantôme qui effraie le vrai, selon le motif bien connu de l’arroseur arrosé. La différence, dans les assauts que se livrent les deux camps, est que les jumeaux savent qu’il s’agit de vieilles recettes et ils en font une imitation parodique, au deuxième degré, alors que le fantôme, qui n’en connaît que le premier degré, est vaincu et ridiculisé par le pastiche de ses propres tours. On sait que la terreur cesse lorsque ses artifices apparaissent de façon flagrante, et le fantôme des Canterville est condamné à disparaître à partir du moment où ses artifices à lui ont dégénéré en grotesque, où les imitations ont eu raison de l’original.
theatrical expression in connection with one of the greatest mysteries of the supernatural »(p. 59) 31
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Dans « The Cat Jumps », une alchimie beaucoup plus complexe s’effectue entre le lieu et ses nouveaux occupants. L’horreur passée a imprégné la maison et revient sous la forme métaphorisée d’une odeur persistante: « […] a resolute stuffiness, upstairs and down – due presumably to the house’s having been so long shut up – a smell of unsavoury habitation, of rich cigarette-smoke stale in the folds of unaired curtains, of scent spilled on unbrushed carpets, an alcoholic smell […] » (CJ, p. 363). Les Wright ont beau arracher le parquet, changer le mobilier, repeindre la maison, l’odeur résiste et se charge même des effluves du parfum « Trèfle incarnat » de la défunte Mrs Bentley lors du huisclos dans la bibliothèque ; ce qui est tout à fait différent de la tache de sang dans « The Canterville Ghost », trace du meurtre que le fantôme doit repeindre à la gouache (et qui change de couleur, du vermillon au vert émeraude, selon le stock de teintes qu’il a à sa disposition) parce que le nettoyant surpuissant de Washington Otis, « Pinkerton’s Champion Stain Remover », l’efface jour après jour. Dans« The Cat Jumps », le lieu agit sur les personnages à leur insu; chaque pièce leur rappelle une scène du drame originel puisque Harold Bentley a poursuivi sa femme de pièce en pièce avant de l’achever dans la baignoire: « Did you know », [Muriel] said, that one of Mrs Bentley’s hands was found in the library ? »
32
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Sara, smiling a little awkwardly, licked her lip. « Oh », she said. « But the fingers were in the dining-room. He began there. » (CJ, p. 367.) La lumière électrique, invention moderne s’il en est, s’altère lors du huis-clos, gagnée elle aussi par une émanation étrange: « a film, smoke-like, creeping over the bulbs » (366). La claustrophobie entretient et ajoute à l’effet d’étrangeté qui gagne de loin en loin tous les personnages, comme si une collusion irrationnelle s’était forgée entre
subconscient
humain
et
environnement
spatial
chargé
d’histoire, désarmant le premier face aux attaques du second. Ce que Wilde éliminait si sciemment de l’atmosphère de Canterville Chase comme artifice grossier du fantastique – la mise en condition des
esprits
pour
les
rendre
réceptifs
aux
phénomènes
parapsychologiques (« The conversation in no way turned upon ghosts, so there were not even those primary conditions of receptive expectation which so often precedes the presentation of psychical phenomena », p. 49) – revient en force dans la nouvelle de Bowen où les conversations ne cessent de ressasser, de manière obsédante, le meurtre Bentley. C’est avec une extrême perversité que la narration recourt à l’autosuggestion et à l’hystérie collective pour faire ressurgir les spectres du meurtrier et de sa victime, allant même jusqu’à mimer le drame dans sa forme, en libérant des fragments de phrase comme Harold Bentley disséqua sa femme. La reconstitution de l’histoire du meurtre procède donc à la fois d’un parcours spatial dans le monde claustrophobe de la maison, marqué par le souvenir indélébile des 33
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atrocités dont elle fut témoin, et de la recomposition des fragments de l’histoire que tel ou tel invité laisse échapper, fragments qui ne sont eux-mêmes que la reprise, en seconde main, de bribes d’articles de journaux à sensation. Le sadisme brut du meurtre passé devient alors un sadisme bien plus retors, un prétexte à délectation, le texte tirant sa jouissance des atrocités qu’il détaille et de la distillation de l’horreur. À cette méthode de distillation concourent des procédés fantastiques classiques, comme le dédoublement, les effets de miroir, ou encore les collages intertextuels et les hantises plus intérieures dont les spectres sont les déclencheurs. Le retour de l’étrange ou le réenchantement du monde Malgré
ses
dénégations
liminaires,
récusant
les
conventions
gothiques et l’imaginaire morbide des récits à sensation, le texte de Bowen travaille à donner une réalité discursive aux fantômes des Bentley. Il va même jusqu’à organiser la déroute du discours de la rationalité revendiquée par le discours bien plus puissant de l’irrationnel obsédant, selon une stratégie bien décrite par Charles Grivel : « Le fantôme est le nom d’un retour, l’emblématique figure de la narration en tant que telle. […] Fantastique par excellence, puisqu’il dit que ça ne peut rester caché, puisqu’il déplace la vision sur le point même qu’elle évitait vouloir considérer1. » Autrement dit, les fantômes des Bentley révèlent et libèrent précisément ces inhibitions qui étaient la seule terreur des Wright 1
Charles GRIVEL, Fantastique-fiction, Paris, PUF, 1992, p. 67 34
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(« they dreaded nothing but inhibitions; they had no inhibitions », p. 362). Tout l’univers conscient, retenu, raisonnable des Wright et de leurs amis se délite au cours de la soirée, rattrapé par son double spectral. Les enfants qui s’entendaient si bien se mettent à se battre, à se mordre, « their faces dark with uninhibited passion » (p. 364). Les visages des invités se défont comme des figures de cire exposées à la chaleur (« as though these were wax faces for one fatal instant exposed
to
a
furnace »
(p.
366),
et
leurs
personnalités
se
décomposent (« You would have said that each personality had been attacked by some kind of decomposition » (p. 366). Et surtout, dans la scène de la fin, les deux Harold, Bentley et Wright, fusionnent en un seul, émergeant de la salle de bains sous les yeux de Jocelyn Wright médusée, elle-même envahie par le souvenir de Lucinda Bentley et rejouant, comme une actrice, son rôle de victime : « With a strange rueful smile, like an actress, Jocelyn, skirting the foot of the two beds, approached the door of the bathroom. “At least I have still… my feet.” For some time the heavy body of Mrs Bentley, tenacious of life, had been dragging itself from room to room. “Harold !” she said to the silence, face close to the door. The door opened on Harold, looking more dreadfully at her than she had imagined. With a quick, vague movement he roused himself from his meditation. Therein he had assumed the entire burden of Harold Bentley. Forces he did not know of assembling darkly, he had faced for untold ages the imperturbable door to his wife’s room. She would be there, densely, smotheringly there. She lay like a great cat, always, on the mouth of his life. 35
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The Harolds, superimposed on each other, stood searching the bedroom strangely. Taking
a
step
forward,
shutting
the
door
behind
him:
“Here we are”, said Harold. Jocelyn
went
down
heavily.
Harold
watched.
Harold Wright was appalled. Jocelyn had fainted: Jocelyn never had fainted before. » (CJ, p. 369.) Les fantômes ressurgissent là où il faut, à l’endroit même où ceux qu’ils hantent se sont rendus: « Il faut parler de l’approche irrésistible du fantôme; le texte tout entier s’élabore autour de la nécessité qu’il survienne. Le personnage a rendez-vous avec lui 1. » Dans l’espace claustrophobe, défamiliarisé, de la salle de bains, les Wright rejouent geste par geste et mot pour mot l’estocade finale, le point de vue passant subrepticement de l’un à l’autre: c’est la voix de Mrs Bentley que l’on doit entendre dans celle de Jocelyn, dans les italiques de « Harold », de même que le « Here we are » de Harold Wright fait écho aux paroles d’Harold Bentley deux ans auparavant. La disposition tabulaire du passage, avec ses nombreux retours à la ligne, découpe chaque instant, le suspend, le dramatise. C’est vraisemblablement autour de cet instant paroxystique que la nouvelle a été construite, autour de ce dédoublement ou, pour utiliser le mot de Wilde dans « The Canterville Ghost », cette « impersonation » (p. 59) par laquelle une personnalité en endosse une autre, spectrale et maléfique. Il y a dans la nouvelle bien d’autres échos et dédoublements, moins spectaculaires, plus retors: la figure du chat, par exemple. On la 1
GRIVEL, Fantastique-fiction, p. 70. 36
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rencontre d’abord, de manière anodine, dans le « chat » du titre2. « The cat jumps » est une expression figée: « to watch which way the cat jumps » signifie voir d’où vient le vent, observer quelle direction vont prendre les événements. On retrouve ce « chat » dans l’image de la fin, où Jocelyn apparaît à Harold comme une chatte aux allures de panthère : « she lay like a great cat, always, over the mouth of his life » (p. 369). Il devient clair alors que le titre, programmatique comme il est d’usage dans la nouvelle, pointe dès l’origine vers cette scène où le chat (toujours au féminin en anglais) réapparaît comme incarnation
de
la
femme
menaçante,
étouffant
l’homme,
l’émasculant. Dans une autre occurrence, le « chat », métaphore du corps féminin, est, comme Mrs Bentley, disséqué par celui en qui Muriel, la célibataire psychopathe, voit un sadique : cet Edward Cartaret auquel, précisément, ses amis Wright rêvaient de la marier : « I noticed something about Edward Cartaret the moment I arrived: a kind of insane glitter. He is utterly pathological. He’s got instruments in his room, in that black bag. Yes, I looked. Did you notice the way he went on and on about cutting up that cat, and the way Talbot and Harold listened? » (p. 368) Comme les récurrences textuelles, les allusions intertextuelles tendent à alimenter ou à figurer les terreurs enfouies. Les textes et auteurs cités, qui sont pourtant supposés symboliser les lumières – ou le snobisme intellectuel – de ces bourgeois sûrs de leur savoir et de leurs pulsions, Othello, Krafft-Ebing, Freud, Havelock Ellis, ont tous en commun de traiter de passion destructrice, de pathologie psychologique ou de déviance sexuelle. Richard Von Krafft-Ebing, 2
Le chat occupe, comme on sait, une place privilégiée dans le bestiaire fantastique, chez Le Fanu (Wylder’s Hand), ou Poe (« The Black Cat ») par exemple. 37
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auteur de Psychopathia Sexualis (1886) cité deux fois dans la nouvelle, mérite une mention particulière, puisqu’il lui revient d’avoir forgé dans cet ouvrage les mots de « sadisme » et de « masochisme1 ». « The Canterville Ghost », quant à lui, joue sur les tensions sémantiques, dans son sous-titre (« a hylo-idealistic romance »), entre
« romance »
qui
désigne
un
récit
d’imagination,
et
la
philosophie « hylo-idéaliste » selon laquelle une chose n’est vraie que si vous y croyez. Le fantôme n’existe donc que pour ceux qui y croient, et personne dans le récit, ni la famille Otis, ni le lecteur de cette « romance », n’accrédite son existence, alors que lui-même se laisse prendre au leurre du faux fantôme qu’il croit vrai ! Autrement dit, c’est à une version néo-gothique du paradoxe wildien de l’art plus vrai que la réalité que nous avons affaire dans « The Canterville Ghost ». Ce que nous disent ces textes néo-gothiques sur le monde moderne: la guerre des sexes Dans les deux nouvelles, la scène primitive est un meurtre conjugal, et le meutrier originel est perçu comme une menace toujours présente pour les femmes. Tous les hommes deviennent, aux yeux des femmes, des Harold Bentley en puissance dans « The Cat Jumps » (p. 365), de même qu’elles incarnent à leur tour pour les hommes un danger sexuel et social, une menace de castration (qu’on entrevoit dans l’image du chat « laying on the mouth of his life »). Le 1
Il est à noter que Krafft-Ebing ne relève que des cas de sadisme masculin, les femmes ayant invariablement, selon lui, un rôle sexuel passif.
38
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fantôme des Canterville a tué sa femme pour des raisons futiles – parce qu’elle était laide, parce qu’elle ne savait pas amidonner ses fraises (« ruffs ») ni faire la cuisine (p. 62). Harold Bentley, après avoir achevé la sienne dans sa baignoire, a enfermé son cœur dans un carton à chapeau (« he put her heart in her hat-box. He said it belonged in there », p. 367) : meurtre symbolique de la femme affranchie, de la New Woman, qui ne se soumet plus à son rôle domestique mais s’affirme, cultive son apparence, dépense l’argent de son mari, attisant ainsi la frustration sexuelle, sociale et économique de ce dernier. On sait l’importance des rôles sexuels et des relations entre les sexes dans la littérature gothique. Dans les nouvelles de Bowen des années 30 et 40, ces relations sont exacerbées ; elles sont toujours violemment antagonistes et elles mettent fréquemment en jeu une projection imaginaire de l’autre sexe, comme dans « The Demon Lover », « The Shadowy Third » ou « Making Arrangements ». Dans cette dernière nouvelle, un mari met en pièces les robes de sa femme qui vient de le quitter. Une par une, il les examine, se souvient des circonstances dans lesquelles elle les a portées, de leur effet sur elle, drapé ou brillance; il les palpe, les dispose sur le lit, et puis, au cours d’une ellipse narrative, il les découpe en morceaux. Il s’en prend au vêtement comme substitut du corps de la femme, comme symbole de sa construction sociale, et il le soumet symboliquement aux mêmes violences qu’Harold Bentley a exécutées sur le corps de sa femme. Chez Wilde, le déguisement permet la fluctuation des identités, ce sont des masques que l’artiste-esthète cultive comme des doubles choisis de lui-même. Le fantôme, à cet 39
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égard, est un artiste: « with the enthusiastic egotism of the true artist, he went over his most celebrated performances » (p. 51). C’est en véritable artiste aussi qu’il met en scène la mort ou la folie des autres dans une esthétisation sadique de la cruauté, et c’est en artiste – manqué cette fois – qu’il poussera le perfectionnement de lui-même, l’idéal du moi, jusqu’à l’auto-destruction quand ses tours n’auront plus l’effet attendu. Ce sont les femmes qui, dans les deux nouvelles, exorcisent le fantôme (« lay the ghost1 »). Dans « The Canterville Ghost », la jeune Virginia Otis incarne la féminité virginale rêvée par les Victoriens. Médiatrice angélique, elle aide le fantôme à accomplir son rite de passage vers le cimetière dont il rêve, « the garden of death » qui préfigure l’au-delà chrétien et idéalise la mort. C’est une belle sortie de scène pour le fantôme, dans la plus pure tradition du gothique masculin, caractérisé par « le discours du désir, la parole érotique qui chante la Possession et l’Aliénation 2 », et dans la tradition du gothique irlandais aussi, celle de Melmoth, conquis par l’amour de la pure Immalee. Fantôme et vierge s’absentent du texte de Wilde à la faveur d’une ellipse temporelle et narrative ; ils disparaissent dans un espace dissimulé derrière une porte dérobée pour accomplir un obscur et sulfureux rituel, tout juste suggéré, qui nous fait craindre le pire pour la virginité de Virginia et dont nous ne saurons rien par la suite :
1
Bowen utilise le terme dans CJ : « The Wrights set out to expel, live out, live down, almost (had the word a place in their vocabulary) to “lay” the Bentley’s. », p. 363. 2 Jean FABRE, Le Miroir de sorcière : essai sur la littérature fantastique, Paris, PUF, 1992, p. 354. 40
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« You will see fearful shapes in darkness, and wicked voices will whisper in your ear, but they will not harm you, for against the purity of a little child the powers of Hell cannot prevail. » (p. 65) Le merveilleux, le mystère, la poésie naïve qui entourent la disparition du fantôme contrastent avec ses apparitions antérieures, tapageuses et grotesques. Une fois le fantôme bien mort et enterré, « The Canterville Ghost » finit comme un conte de fées: Virginia épouse le petit Duc de Cheshire et ils auront des enfants à qui elle racontera l’histoire du fantôme. En revanche, c’est sur un tomber de rideau brutal que s’achève « The Cat Jumps ». Jocelyn Wright n’est pas tuée par son mari; elle s’évanouit, comme les fragiles héroïnes victoriennes: « Jocelyn went down heavily. Harold watched » (p. 369). L’apparition spectrale des deux Harolds « superimposed on each other » (p. 369) l’arrache à la conscience et l’expédie, comme dit C. Grivel, « à la place du mort, dans un coma proprement onirique1». Quand Jocelyn s’évanouit, Harold Wright revient à lui, sort de son double: « Harold Wright was appalled » (p. 369). Dans les deux cas, le fantôme est exorcisé par les femmes: la victime désignée est finalement celle qui parvient à rompre le cercle de l’envoûtement sadomasochiste, selon un processus psychique soigneusement tenu sous ellipse dans les deux textes. « The Canterville Ghost » et « The Cat Jumps » sont deux « tales of terror » néo-gothiques, qui pastichent les archétypes les plus 1
GRIVEL, Fantastique-fiction, p. 71.
41
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éprouvés du gothique pour les mettre à l’épreuve de la science la plus moderne, la relativité einsteinienne chez Wilde (le fantôme disparaît, « adopting the Fourth Dimension of space as a means of escape », p. 50), la psychiatrie et la psychanalyse chez Bowen dont le texte est saturé de références à ces sciences (« inhibitions », « complex », « repressed »). L’ironie est que, dans cette épreuve de rapports de pouvoir, les spectres résistent à la rationalisation, puisque leur réalité surnaturelle échappe à la science, alors que la science est supposée expliquer et domestiquer le réel. Dans ses histoires, Bowen se sert des spectres pour explorer la psychologie de la terreur, et elle en reproduit avec jubilation les mécanismes dans son texte: « Bowen shifts from satirizing the character’s fears to validating them1. » Autrement dit, la terreur engendre ses propres spectres à partir du lieu de la fiction 2 et d’une histoire passée reconstruite à grand renfort de presse à scandale inventée; elle émane d’une dialectique textuelle qui fait jouer en permanence le prévisible et l’imprévisible, le montré et le caché, le pensé et le refoulé. Chez Wilde, en revanche, la surabondance des artifices expulse la terreur, qui devient un sujet de distraction désopilant, au service d’une satire qui se sert des Anglais contre les Américains, et des Américains contre les Anglais. Le gothique est rangé dans le magasin des accessoires pour laisser place à l’étrange retour du merveilleux, ultime parodie inattendue, enclave d’imaginaire, clin d’œil de l’esthète
désavoué,
dans
un
monde
1
moderne
où
triomphent
Phyllis LASSNER, Elizabeth Bowen : A Study of the Short Fiction, New York, Twayne Publishers, 1991, p. 61. 2 « Places more often than faces have sparked off stories », Elizabeth BOWEN, Afterthoughts : Pieces about Writing, Longmans, 1962, p. 78 42
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matérialisme et rationalisme. « The Cat Jumps » progresse pas à pas vers une déréalisation qui tient le fantastique à l’écart ou qui le loge dans cet écart, instillant le doute, distillant le sentiment d’étrangeté. Toute la nouvelle de Bowen tend vers l’inéluctable rendez-vous avec le fantôme, en portant insidieusement jusqu’au point de rupture « the impact of a crescendo of hints and happenings on taut, hypercontrolled and thus very modern nerves 1 ». La rupture, cependant, ne consomme pas l’horreur attendue: dans un retour au réel qui inverse le mouvement de l’étrange, elle désavoue brutalement fantasmes sadiques et projections spectrales. Ce bouleversement des codes, dans les deux cas, renvoie le lecteur à ses propres pulsions: frustration si le jeu de cache-cache avec les codes le prive finalement des horreurs qu’il espérait, jouissance ludique s’il partage le plaisir que prend le texte à se jouer des codes. Fabienne Dabrigeon-Garcier
Cet essai est précédemment paru dans un ouvrage collectif, « Territoires de l'étrange dans la littérature irlandaise au XXe siècle », publié sous la direction de Gaïd Girard aux Presses Universitaires de Rennes, Collection Interférences (2009), pages 71-82, que nous remercions pour leur aimable autorisation.
1
Introduction à Uncle Silas de Sheridan LE FANU, dans laquelle E. Bowen rend hommage à ce grand maître du fantastique irlandais. Uncle Silas. A Tale of Bartram-Haugh, Londres, The Cresset Press, 1947, p. 22.
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Fabienne Dabrigeon-Garcier est Professeur honoraire à l'Université Lille 3. Auteur d'une thèse de doctorat d'état sur la nouvelle irlandaise, elle a publié de nombreux articles sur George Moore, James Joyce, Mary Lavin, Frank O'Connor, Sean O'Faolain, Samuel Beckett, et co-dirigé avec Christine Huguet George Moore: Across Borders (Rodopi, 2013).
44
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- The critic as artist Dorian Gray
Un désir de jeunesse éternelle Opéra contemporain de Mariana Ungureanu et Emmanuel Reibel Par Tine Englebert Paris, Conservatoire Frédéric Chopin, Auditorium Maurice Ohana, le vendredi 23 et samedi 24 Juin 2017.
Dorian
Gray.
Un
désir
de
jeunesse
éternelle
est
un
opéra
contemporain inspiré de The Picture of Dorian Gray d’Oscar Wilde par la compositrice Mariana Ungureanu sur un livret d’Emmanuel Reibel. Cet été, les toutes premières représentations de cet opéra de chambre (commande d’état) avaient lieu le 23 juin à 20h et le 24 juin 2017 à 15h au Conservatoire Frédéric Chopin, Auditorium Maurice 45
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Ohana à Paris. Un projet de crowdfunding était nécessaire pour donner vie à ce nouvel opéra. L’opéra, créé pour le conservatoire, nous donne une vision contemporaine du roman d’Oscar Wilde avec un livret en même temps accessible et intelligent et de la musique classique moderne d’aujourd’hui. Compositrice et librettiste Née en République de Moldavie, Mariana Ungureanu est diplômée du Conservatoire Supérieur de Bucarest, où elle obtient en 1998 les premiers
prix
de
composition,
d’harmonie,
de
contrepoint,
d’orchestration, d’histoire de la musique et d’esthétique musicale, qui sont complétés l’année suivante par un Master de Composition. En 2001, elle obtient un Master de Composition à l’Ecole de Hautes Etudes en Science et Art de Leuven, Belgique, puis un Master de Musique et Musicologie du XXe siècle à l’Université Paris IVSorbonne. Elle enseigne actuellement dans les Conservatoires JeanPhilippe Rameau et Frédéric Chopin. Son œuvre musicale a été interprétée par diverses formations et programmée dans plusieurs festivals en France et à l’étranger. Plus d’information: Voir Rue des Beaux Arts n° 59: 10 – Dorian Gray – A Quest for Eternal Youth, interview de la compositrice par Adrien Alix.
La compositrice Mariana Ungureanu
46
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Le livret de cet opéra a été écrit par Emmanuel Reibel, professeur à l’Université Lumière Lyon 2 et membre de l’Institut universitaire de France.
Ancien
élève
de
l’École
normale
supérieure
et
du
Conservatoire national supérieur de musique de Paris, Reibel est agrégé de lettres classiques. Il a travaillé sur les rapports entre musique
et littérature: l’histoire
de
l’opéra,
les dramaturgies
musicales et les mythes littéraires en musique. Lauréat du prix François-Victor Noury de l’Académie française (2014) pour son essai Comment la musique est devenue romantique, de Rousseau à Berlioz (2013), il a également reçu le Prix des Muses, catégorie essai, pour son ouvrage Faust, la musique au défi du mythe (2008). Reibel est également pianiste et conférencier pour de nombreux festivals et théâtres d’opéra. Plus d’information: Voir Rue des Beaux Arts n° 59: 9 – Mad Scharlet Music: Oscar Wilde et l’opéra. Conférence par Emmanuel Reibel, au Petit Palais, samedi 7 janvier 2017, 16h.
Le librettiste Emmanuel Reibel
Livret et partition The Picture of Dorian Gray, unique roman d’Oscar Wilde, est aujourd’hui encore très lu et apprécié. Cette œuvre fantastique et philosophique évoque les thèmes de l’art, de la beauté, de la jeunesse, de la morale et de l’hédonisme à travers la personnalité 47
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trouble de Dorian Gray. L’idée d’adapter Dorian Gray est venue un peu
spontanément
à
Ungureanu
et
Reibel
qui
ont
cherché
longuement à trouver quelque chose qui soit dans le domaine public et qui les intéresse en tant que dramaturgie, thématique abordée et d’autres aspects du texte. Ungureanu et Reibel ont été attirés par le thème du décalage entre l’image qu’on donne et ce qu’on est réellement:
la
différence
entre
l’extérieur
et
l’intérieur
d’une
personne. Le livre et le livret glorifient la jeunesse idéale.
Le
personnage principal a une résonance contemporaine parce que Dorian Gray est traité en Narcisse et le narcissisme est un phénomène très contemporain. Il a de nombreuses corrélations avec notre temps: Internet, Facebook, selfies… permettent une mise en scène continue de soi-même. Wilde devrait être heureux s’il revenait maintenant. L’opéra a toujours des résonances, fortuites ou assumées, avec le présent.
Reibel et Ungureanu pendant l’avant concert 48
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Le livret anglais est un mélange de la traduction du livret français d’Emmanuel Reibel et des phrases originales d’Oscar Wilde. Ce livret était facile à suivre. La traduction française était projetée pendant la performance. Bien qu’ayant réduit le texte énormément, Reibel en a conservé l’essence. C’est un livret très dynamique. Reibel s’est beaucoup inspiré de l’adaptation de Jean Cocteau en pièce fantastique, condensée en quatre actes et cinq tableaux Le Portrait surnaturel de Dorian Gray de 1909. Cette pièce mettait en lumière la personnalité équivoque de Dorian. Mais, en changeant le titre en Le Portrait surnaturel de Dorian Gray et en le décrivant comme une pièce fantastique, Cocteau soulignait les qualités surnaturelles du texte original. Reibel a été contraint de réduire tout ce qui se dit en très peu de mots. A partir du livret en français, la compositrice a travaillé avec la traductrice Naomi Toth sur les rythmes des phrases. La traduction anglaise est dans une langue vraiment proche de celle de Wilde. Le résultat est un livret très efficace, avec peu de mots pour ne pas alourdir la musique. L’âpreté de la partition renforce la noirceur et l’amertume sousjacentes de l’œuvre d’Oscar Wilde. C’est une musique très variée qui sonne comme si la compositrice inventait des sons. Un univers tendre, coloré, poétique et en même temps dynamique, accentué et vif où se rencontrent les personnages de Wilde. La partition est écrite dans un langage musical synthétique et épuré, accessible aux personnes qui sont intéressées par la découverte de la musique contemporaine. La création, à moitié concertante, à moitié scénique, commence avec une projection du tableau qui disparait ensuite pour transparaitre dans la musique. On ne montre pas directement les 49
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péchés de Dorian, ce qui rend ses vices visibles, sont les dégâts causés par son comportement sur son être réel représenté par le tableau, qui a sa musique propre. Dans sa musique, Ungureanu a très bien compris et adapté l’œuvre de Wilde. C’est une écriture vocale qui suit la prosodie de la langue, de manière à ce que le public suive aisément ce qui passe. Les moments d’introspection et la musique qui suit le déroulement de l’action sont à leur juste place. Les rapports entre musique et texte sont très intéressants à explorer. La musique du protagoniste, par exemple, n’évolue pas. C’est sa musique qui montre le vrai visage: son être refuse le passage du temps et vit dans la négation de sa déchéance. Les dernières mesures de l’opéra peuvent être reliées aux premières, et instaurent ainsi un temps cyclique. Alors que l’action finit avec la tentative de destruction du tableau par Dorian Gray, la réalité musicale montre que tout cela pourrait continuer et finit par revenir au point de départ, avec la symbolique du mal éternel qui intervient sans difficulté dans la vie et qui corrompt bien trop facilement les êtres sans un socle intérieur solide. L’opéra contemporain a gagné un nouveau souffle. Le travail d’Ungureanu prévue qu’il y a un nouveau jeunisme dans l’opéra.
50
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Distribution Dorian Gray est un opéra de chambre pour quatre chanteurs et une dizaine d’instrumentistes. L’opéra tourne autour des personnages qui accompagnent la décadence de Dorian : lui-même, Sybil Vane, 51
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l’archétype de la chanteuse d’opéra, Lord Henry et Basil. Ungureanu et Reibel ont pu compter sur une distribution solide, avec la soprano Laura Muller dans le rôle de Dorian, la soprano colorature Diane Fourès dans celui de Sybil, aux côtés du ténor Edouard Monjanel interprétant Lord Henry et le baryton Luc Dhénin comme Basil. Pour Dorian, le Narcisse, jeune et beau, Ungureanu a écrit pour une voix élevée: un contreténor avec une voix relativement aigüe ou une soprano avec une couleur plus lumineuse. Ici, Dorian est une soprano; c’est un rôle de travesti. Dorian Gray apparaît comme androgyne, bien loin des canons de virilité. C’est à la fois juste et rafraîchissant. La performance de la jeune soprano Muller était phénoménale. Autant que la colorature, Fourès prouva ses qualités en tant que chanteuse et actrice. Très bien aussi, les voix contrastées du baryton Dhénin avec son timbre plus chaleureux et Monjanel avec son timbre brillant de ténor. Le choix des voix prouve qu’une distribution correcte des voix a un sens. Et cela fonctionne et permet de créer des contrastes avec les timbres des personnages. Du point de vue instrumental, Lord Henry est caractérisé par des instruments peu chaleureux comme les percussions, le piano, un peu de harpe. Ils ne résonnent pas beaucoup. Basil, au contraire, est accompagné de timbres beaucoup plus chauds, exprimés par les cordes graves du violoncelle qui chantent. Quant à Sybil, elle est accompagnée par la sonorité chaude de l’alto. La voix de Dorian Gray raconte son apparence, le déni de sa déchéance, tandis que la partie instrumentale révèle les remous intérieurs. L’instrument le plus méchant et rare dans l’opéra est l’accordéon. Il lie l’ensemble et permet des effets dramatiques extraordinaires, des bruits de soufflet, d’étranglement. La composition de l’ensemble instrumental était 52
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parfaitement adapté à l’Auditorium Ohana, tout en gardant l’idée d’un orchestra. Flûte, clarinette et trombone pour les vents s’ajoutaient au piano, à la harpe, à l’accordéon, à la percussion et à un quatuor à cordes. Les musiciens, majoritairement jeunes, étaient répartis sur scène. Le plus jeune, Albert Kuchinski, âgé de quatorze ans, jouait bien le violoncelle. La création eut lieu avec des musiciens amateurs, qui ont
bénéficié
de
peu
de
temps
pour
répéter, mais qui ont donné le meilleur pour un résultat qu’euxmêmes n’osaient sans doute pas imaginer. Pendant 1h15, les jeunes chanteurs et musiciens nous ont fait partager leur passion pour cette musique et leur bonheur de participer à cette création. La mise en scène était confiée à Benjamin Pintiaux, metteur en scène, historien et musicologue. L’opéra était dirigé par le chef roumain Ajtony
Csaba;
Frédéric
Menant
était
responsable
photographie et la vidéo, et Mehdi Rguieg de la régie.
La soprano colorature Diane Fourès 53
pour
la
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Prédécesseurs Par ses écrits comme par sa vie, Oscar Wilde semble avoir inspiré assez d’opéras pour que l’art lyrique ne l’oublie pas. L’œuvre prolifique d’Oscar Wilde a inspiré et continue d’inspirer de très nombreux artistes. Les adaptations littéraires, cinématographiques, musicales... qui en ont été faites sont extrêmement nombreuses. The Picture of Dorian Gray a été une source d’inspiration de nombreux opéras, ballets et musicales. Il est impossible de toutes les évoquer. En voici néanmoins quelques exemples, comme les opéras d’Arundel Orchard (1915-1917), Carl Flick-Steger (1930), Hans Leger (1939), Hans Schaeuble (1947-1948; première 2004), Robert Hanell (1962), Roderich
Kleemann
(1965),
Hans
Kox
(1974),
Michael
G.
Cunningham (1981), Franco Mannino (1973; première 1982), Eberhard Eyser (1985-1986), William Underwood (1992), Karmella Tsepkolenko (1900), Herbert A. Deutsch (1995), Lowell Liebermann (1996), Isaac Steiner (2000), Jeffrey Brody (2011), Ľubica Čekovská (2013), Roland Fister (2013) et Thomas Agerfeldt Olesen (2013). Dorian Gray. Un désir de jeunesse éternelle : une réussite ! La création mondiale de cet opéra a été chaleureusement applaudie, preuve que le public peut prêter l’oreille à des œuvres musicalement éloignées du grand répertoire classique. Cette dernière adaptation musicale du roman de Wilde, (qui a connu un nombre très élevé d’adaptations), mérite notre admiration et tout notre soutien. Parce que c’était bien, c’était même très bien. Pendant une heure un quart, sans la présence constante de la peinture, l’opéra nous a raconté l’essentiel de l’oeuvre. On n’oublie pas le niveau supérieur, la
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création très forte musicalement, les beaux timbres, le livret superbe ! Alors, l’opéra « Dorian, un désir de jeunesse éternelle » mérite d’autres présentations sur d’autres scènes françaises ou même européennes. Un opéra, c'est aussi une expérience visuelle, et j’espère revoir le beau travail de Mariana Ungureanu et Emmanuel Reibel dans une représentation complètement scénique. Tine Englebert Vu le 24 Juin 2017.
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8 Les illustrateurs de La Ballade de la Geôle de Reading Illustrateurs Jean de Bosschere
Nationalité Belge
Edition New York, Boni & Liveright, 1927
René BenSussan
Française
Paris: Fernand Hazan, 1941 (frontispice)
Jean George Cornelius
Française
P. Javal et Bourdeaux, 1927
Jean-Gabriel Daragnès
Française
Emile-Paul Frères (gravures à la manière noire) Paris, Léon Pichon, 1918 Revue Nos Loisirs n° 3 1919
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Illustrations
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André Dignimont
Française
Modest Alexandrovich Durnov
Russe
Erich Heckel
Allemande
12 bois gravés E. Ratheneau New York 1963
Robert Fonta
Française
Bibliophiles et graveurs d’aujourd’hui 1950 15 pointes sèches originales
Peter Forster
Paris, Librairie Marceau, 1942 43 compositions en couleurs
Berkshire, England: Carpathian Press, 1999
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Zhenya Gay née Eleanor Byrnes
Américaine
Limited Editions Club, New York, 1937
Raymond Gid
Française
Raymond Gid, Paris, 1980
Peter Hay
Anglaise
Two Rivers Press, 1995
Arthur Holitscher
Hongroise
Methuen & Co, London, 1925
Paul Haefliger
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Ota Janacèk
Tchèque
Jaroslav Podroužek, 1946
Vasile Kazar
Roumaine
Frantisek Kobliha
Tchèque
Editura Univers Bucarest 1971 Kamila Neumannova Prague 1919.
Abram Krol
Polonaise
Alfred Kubin Alfred Leopold Isidor Kubin
Autrichienn e
Paris : Abram Krol, 1962: Impr. de l'école Estienne 25 burins d’Abram Krol Edition limitée à 75 exemplaires Berlin, Hyperion, 1918
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Brian Lalor
Irlandaise
Duckworth, 1997
Bernard Locca
Française
Ed. Bievres en Essonne, 1979. 25 lithographies originales
Frans Masereel
Belge
London Methuen 1924
Hans Alexander Müller
Charlotte Mutsaers
NY, Peter Pauper Press, 1940
Hollandaise
Meulenhoff: Amsterdam, 1987
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Tavy Notton
Française
Editions de l’Odéon 1951 18 burins originaux
Varsányi Pál
Hongroise
Magyar Helikon 1959
Garrick Palmer
Anglaise
Old Stile Press edition 1994
Otto Pankok
Allemande
Ballade des Zuchthauses. Berlin, A. Juncker 1923
Giovanni Ponti
Italienne
Modernissima Milano 1920
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Delphine Rivals
Française
Le bon chameau 1999
Rudolf Schlichter
Allemande
O.C.Recht Munich 1923
Otto Schmalhausen (dit George Grosz) Alfred Skrender
Gyula Komjati Vanyerka (Julius Komati)
Berlin : Axel Juncker [1918] Grosset&Dunlap, Cameo classics 1937
Hongroise
Dante Könyvkiadó,
Budapest 1921
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John Vassos
Américaine
New York E. P. Dutton 1928
Lynd Ward (Lynd Kendall Ward)
Américaine
Vanguard Press, NY, 1928
Latimer J. Wilson
Arthur Wragg
Peter P. Mulligan,1923 Aldus Book Company 1954
Anglaise
Castle Press 1948
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9 - La vie, l’œuvre : quelques considérations sur les échanges entre Oscar Wilde et André Gide. David Charles Rose (traduit de l’anglais par Danielle Guérin-Rose)
3e et dernière Partie1 Cet essai a commencé en se référant au parcours de la phrase sortie de son contexte dans la relation Gide/Wilde. Le fait de n’être pas amarrée permet à la phrase d’offrir une multiplicité de significations. Gide lui-même, quand il parle du génie dans la vie de Wilde, se réfère à sa conversation, non à son mode de vie, et Edouard Roditi accepta si bien cette position qu’il écrivit, sans donner ses sources, « Wilde dit un jour qu’il donna son talent à ses œuvres, mais garda son génie pour sa conversation.2 Richard Pine attribue carrément cela à l’ambivalence omniprésente de Wilde, citant Gide et ajoutant ‘Mais l’ambivalence de Wilde va plus loin, parce que sa conversation était elle-même un piètre reflet de ses idées et de ses processus de pensée les plus intimes – c’est à dire son ingenium. » [Pine 1995 p.110.] Melissa Knox, qui s’attarde moins que prévu sur les implications psychologiques de la prise de conscience
de
soi
témoignée
par
Wilde,
propose
une
autre
interprétation, utilisant l’édition Frechtman : ‘La vie dans laquelle 1
On trouvera la première et la deuxième parties dans les numéros 58 et 59 de « Rue des BeauxArts » 2 Edouard Roditi: Oscar Wilde. New York: New Dimensions 1947. New & enlarged edition 1986 p.174. Edouard Roditi: Oscar Wilde. New York: New Dimensions 1947. New & enlarged edition 1986 p.174. 64
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Wilde mit son génie n’est pas une comédie, mais la grande tragédie qu’il n’écrivit jamais à propos d’un prophète martyrisé. », une phrase qui signifie malheureusement moins à chaque fois qu’on la lit. 1 Même Roditi, critique très perspicace, s’il considère la phrase comme porteuse d’une « forte dose d’auto-dénigrement » la qualifie de « plaisanterie ». [Roditi 1986 p.10] C’est ainsi qu’elle a été perçue par la plupart de ceux qui l’ont recopiée dans leurs propres publications, et la séparation de son contexte a conduit la citation (comme souvent chez Wilde) à figurer, non seulement dans d’innombrables collections d’aphorismes et d’épigrammes, mais aussi dans le canon des apocryphes et pseudépigraphes wildiens. Cela a été étendu et vulgarisé par l’usage de ces lignes de Wilde sur des mugs, des cartes postales, des magnets pour décorer les frigos, etc. Peut-être la première réapparition de la remarque de Wilde à Gide date-t-elle du jour où George Moore écrivit que Villiers de l’Isle Adam n’avait « aucun talent, seulement du génie », mais c’est dans les collections postérieures de Wildeäna, que la phrase est le plus souvent
rencontrée
[Moore
1928
p.75].
L’anthologie
la
plus
importante et substantielle d’apophtegmes wildiens, dont on peut hasarder que presque tout le reste dérive, était celle compilée et publiée par Alvin Redman, The Epigrams of Oscar Wilde [London 1952; réimpression 1954; nouvelle publication sous le titre The Wit and Humor of Oscar Wilde.
New York: Dover 1979 et comme The
Epigrams of Oscar Wilde. London: Bracken Books 1995.] Ceci reçut la validation d’une introduction de commande du fils de Wilde, Vyvyan Holland. Dans l’édition française, la phrase de Wilde est 1
Melissa Knox: Oscar Wilde, A Long and Lovely Suicide. New Haven & London: Yale University Press 1994 p.2. Ceci dit, cette étude freudienne très controversée et souvent perverse, contient plus de matériel utile que les détracteurs de Knox ont bien voulu l’admettre. 65
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‘Aimerez-vous connaître le grand drame de mon existence? C’est que j’ai mis tout mon génie dans ma vie – dans mes œuvres, je n’ai mis que mon talent’. [Redman/Vierne 2000 p.244]. Il semble qu’il s’agisse d’une version postérieure, puisque la référence indique ‘Dans le conversation’, mais sans faire référence à Gide. Cependant, la considérable variation qu’elle présente par rapport aux originaux français la rend suspecte. Il s’agit d’une retraduction de l’anglais de l’édition Redman par la traductrice du volume, Béatrice Vierne, sans doute pour la lancer dans une existence qui lui soit propre [Béatrice Vierne à l’auteur, 25 Décembre 2005]. Ce n’est cependant pas aussi simple qu’on le voudrait. Dans l’édition de Redman de 1995, la citation est donnée dans une brève introduction au Chapitre V : « La vie » Elle se lit ainsi : Dans le premier volume de son Journal, André Gide rapporte une conversation qu’il eut avec Oscar Wilde à Alger quand, avec ce
qui,
plusieurs
années
après,
semblera
à
Gide
de
l’impertinence, il critiquait les pièces de Wilde. Wilde l’écouta sans protester, ni manifester d’impatience aux propos tenus par Gide, puis, presque en manière d’excuse, vint cette fameuse phrase, si souvent citée: ‘J’ai mis tout mon génie dans ma vie: Je n’ai mis que mon talent dans mes œuvres.’ Cette remarque résume complètement le motif essentiel de la vie de Wilde. [Redman 1995 p.64] Merlin Holland donne la version correcte en anglais dans la section ‘Oscar mainly on Oscar’ de son anthologie regroupant les œuvres de son grand-père : ‘Would you like to know the great drama of my life? It is that I have put my genius into my life – I have put only my 66
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talent
into
my
works’,
précisant
consciencieusement
que
la
remarque trouve sa source ‘In conversation with André Gide, Algiers, Jan. 1895’.1 De la même façon, dans l’anthologie des épigrammes de Wilde par Léo Lack et Jean-Jacques Pauvert, la citation est correcte : ‘Voulez-vous savoir le grand drame de ma vie?
C’est que j’ai mis
mon génie dans ma vie et je n’ai mis que mon talent dans mes œuvres’,
indiquant
brièvement
comme
source :
‘dans
la
conversation’. [Wilde / Lack / Pauvert. 1993 pp.78-9]. Il doit être noté que tous deux écartent le mot ‘tragedy / tragédie’ en faveur de ‘drama / drame’. En contraste, c’est sous la forme d’un simple état de fait que la phrase est donnée dans un programme télévisé commentant le film de Brian Gilbert’s Wilde : ‘On attend le cinéaste qui saura traduire à l’écran la célèbre phrase de l’écrivain: “J’ai mis mon talent dans mon œuvre et mon génie dans ma vie”.’ [Télérama no 2891, 8 Juin 2005 p.136], ce qui est plus proche de la version popularisée, avec ‘et’ préféré à ‘mais’ mais s’éloigne du sens véhiculé par Wilde et retransmis par Gide. La version popularisée est généralement coupée du contexte The mais parfois elle est recontextualisée et ceci permet de nouvelles lectures. Par exemple, John Calvin Batchelor et Craig McNeer ont compilé une anthologie d’épigrammes sous le titre Oscar Wilde’s Guide to Modern Living, qui suggère un vade mecum de Wilde pour notre époque.
Là, sur une page portant en titre ‘Genius’, trois
citations sont données: ‘I have put only my talent into my works. I have put all my genius into my life’, ‘I have nothing to declare except Merlin Holland (ed.): The Oscar Wilde Anthology. London: HarperCollins 2000 p.234. Holland, certainement un des éditeurs actuels les plus méticuleux, ne dit pas s’il s’agit là de sa propre traduction.
1
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my genius’ et, extrait de Lord Arthur Savile’s Crime, ‘Not being a genius, he had no enemies’. [Batchelor & McNeer p.29]1
Ce lien
démontre une certaine flexibilité du concept : dans le troisième cas, c’est une réflexion sans artifice de Lord Arthur sur lui-même, mais peut-être cache-t-elle aussi une réflexion plus ou moins cynique et désabusée de Wilde à propos de lui-même. Mark Nicholls en a fait un passepartout élaboré, mais coupé de ses sources,
réimplantant
radicalement
la
phrase
à
la
fois
géographiquement et linguistiquement, mais revenant à la simple anecdote: Wilde fonçait à Paris à chaque fois que ses fonds le lui permettaient.
Au cours d’une de ces visites, alors que sa
renommée s’était répandue dans toute la France, il dîna avec André Gide, qui, un peu sous la mauvaise emprise du vin, s’avisa de critiquer une des pièces d’Oscar – son Salomé en un acte.
Wilde écouta attentivement la critique lucide de Gide.
Gide finit par se taire et adressa à Oscar un regard agressif, s’attendant à une explosion de ressentiment. Au lieu de cela, il entendit Oscar observer tranquillement ‘André, j’ai mis tout mon génie dans ma vie: Je n’ai mis que mon talent dans mes oeuvres!’ [Nicholls p.27] Ici, Wilde semble excuser un manque de génie dans Salomé, dans une version dont la circonstance parait authentifier la source, mais la bibliographie assez substantielle de Nicholls ne contient aucune œuvre de, ou sur Gide. De la même façon, dans l’introduction de 1
« J’ai mis seulement mon talent dans mes œuvres. J’ai mis tout mon génie dans ma vie » - « Je n’ai rien à déclarer sinon mon génie » - « N’étant pas un génie, il n’avait pas d’ennemi ». Traduction DG 68
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Ralph Keyes à The Wit and Wisdom of Oscar Wilde, nous trouvons : ‘Plus que tout autre chose, c’est la somme des quarante-six années vécues par Oscar Wilde qui retient notre attention. Wilde lui-même le ressentait ainsi. “Voulez-vous savoir le grand drame de ma vie ? demanda-t-il à André Gide. “C’est d’avoir mis mon génie dans ma vie; tout ce que j’ai mis dans mes œuvres, c’est mon talent.” C’est une approche biographique qui est privilégiée ici, aux dépens d’une approche critique, enrôlant Wide lui-même pour donner son approbation.
Keyes poursuit : ‘ La vie de Wilde était une
représentation en cours où il se mettait lui-même en vedette. L’écriture était seulement le véhicule le propulsant vers le but réel : la dramatisation d’Oscar Wilde.’
Ceci découle logiquement de la
prémisse, mais la prémisse elle-même est viciée, et Keyes, en citant Gide : Oscar Wilde: In Memoriam
(New York: Philosophical Library
1910, 1949), a en tout cas falsifié la traduction de la phrase par Mason [Keyes 1996 p.3]. ]. Une plus grande falsification apparaît dans les Pensées éditées par Arnaud Hofmarcher: ‘Il faut mettre son génie dans sa vie et son talent dans ses œuvres’ [‘One must put one’s genius into one’s life and one’s talent into one’s works’]. 1 Dans The Quotable Oscar Wilde de Sheridan Morley la phrase prend un tour différent. Elle devient : ‘I have put my genius into my life whereas all I have put into my work is my talent’ (J’ai mis mon génie dans ma vie alors que tout ce que j’ai mis dans mes œuvres, c’est mon talent – trad. DG), et Morley relie ceci à la fameuse remarque de Wilde à la douane de New York, en 1882, quand on lui demanda s’il avait quelque chose à déclarer : ‘Je n’ai rien à déclarer, que mon génie’, [donné ainsi par Ellmann 1987 p.15] qui apparaît sur la page 1
Oscar Wilde: Pensées. Direction éditoriale Arnaud Hofmarcher. Paris: Le Cherche Midi 2010 p.9 69
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précédente (ces épigrammes se présentent à un par page). Morley le rapporte ainsi ‘Quand je dus remplir les papiers de l’immigration, j’indiquai l’âge de 19 ans, et « génie » comme profession. J’ajoutai que
je
n’avais
Malheureusement,
rien aucune
à
déclarer, source
n’est
excepté
mon
indiquée,
1
talent’. mais
si
véritablement, Wilde écrivit ceci en 1882 ou alors plus tard – il n’est pas très probable que Wilde, alors âgé de vingt-huit ans, en ait indiqué dix-neuf sur les papiers de l’immigration – cela suggère qu’il jouait du rapprochement entre son « génie » et son « talent » bien avant qu’il reformule l’idée au bénéfice de Gide. Alvin Redman reproduit un bon mot, n’indiquant malheureusement comme seule source que ‘in conversation’, avec lequel Wilde s’amusait sûrement: «Je connais tant d'hommes à Londres dont le seul talent est de savoir se laver. C'est pour cette raison, je pense, que les hommes de génie se lavent si peu: ils ont peur qu'on croie qu'ils n’ont que du talent!’2 Une des traductions françaises de la remarque de New-York est celle-ci ‘Je n’ai rien à déclarer à part que je suis génial’ 3. Elle montre encore une fois l’ambivalence des significations déclenchées par la référence au génie. Bien que l’adjectif ‘génial’ dérivât en effet du nom ‘génie’ et soit une traduction appropriée de ‘brillant’ ou d’‘avoir du génie’, il est difficile pour les anglophones de le séparer de genial, 1
Une lettre à Mr Morley (que je connaissais très peu) ne reçut pas de réponse, et malheureusement, il mourut avant que j’aie pu le recontacter.
N’ayant pas eu accès au volume de Redman, j’ai, avec quelque témérité, retraduit le français de Béatrice Vierne. Redman/Vierne 2000 p.244. 2
Carte postale publiée à Paris: Éditions du Désastre 1998, désigné comme ‘extrait de La jeunesse est un art 1889’; carte postale publiée dans la collection ‘Mots d’Esprit’. Cestas: Éditions Milaberto n.d,, aucune attribution. 3
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d’une bonne nature ou de bonne humeur (en français ‘cordial’) alors que ‘c’est génial’ est maintenant utilisé dans le français familier sans plus de signification que ‘that’s great’ en anglais. Que l’expression ‘que je suis génial’ soit une traduction excentrique est suggéré par la version plus formelle et familière donnée par Merle ‘Il dit à la douane de New York qu’il n’a que “son génie à déclarer”.’ [Merle 1995 p.47] Emmanuel Haymann, suivi d’Emmanuel de Brantes, donnent un simple : ‘Je n’ai rien d’autre à déclarer que mon génie’. 1 Ceci nous ramène à la remarque que Wilde fit à David Hunter-Blair à Oxford: que s’il ne pouvait pas être célèbre, il serait connu, quitte à avoir mauvaise réputation. Tous les écrivains populaires qui se sont emparés de Wilde ont considéré cette déclaration comme une licence à se concentrer sur les portraits clinquants d’‘Oscar’, célébrité tardive du vingtième siècle, ‘célèbre pour être célèbre’, un ‘hôte de talk-show’, une ‘personnalité’ de la télévision. Wilde a joué de cette idée seulement pendant une courte période, entre Oxford et sa tournée Américaine, avant de se tourner vers un travail acharné et de devenir un auteur intellectuellement exigeant, révélé par ses analyses critiques: ‘l’un des plus grands et des plus perspicaces des critiques littéraires anglais du dix-neuvième siècle, dira Roditi qui n’est pas connu pour donner dans l’exagération. 2 1
Haymann p.101; Brantes p.48. C’est aussi la version donnée par Georges-Bazile p.72. La ‘déclaration’ de New York a pris également sa vie propre. Elle passa probablement pour monnaie courante quand plus tard des auteurs la trouvèrent chez Frank Harris (1916), mais aussi chez Arthur Ransome: Oscar Wilde, A Critical Study. London: Methuen 1912 p.64. C’est un oratio obliqua: ‘Wilde s’embarqua pour New York, pour dire qu’il était déçu par l’Atlantique, et pour déclarer aux fonctionnaires des Douanes qu’il n’avait rien à déclarer, excepté son génie, et pout donner des conférences à travers les Etats-Unis.’ Pour une discussion sur le déploiement de Ransome de la phrase et de ses sources possible, voir John Cooper: http://www.owsoa.org/quotations1.htm. Mr Cooper Mr Cooper n’a pas trouvé de source imprimée antérieure à Ransome.
Roditi p.183. Voir aussi Sammells 2000, une étude réfléchie et élégante des tendances dans la critique récente. 2
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La conviction de Wilde en tant qu’artiste était que ‘révéler l’art et dissimuler l’artiste est le but de l’art’, que ‘la personnalité de l’artiste n’est pas une chose que le public devrait avoir à connaître’. 3 Dans l’Angleterre des années 1890, Wilde était l’esprit le plus fin à se tourner vers l’exploration et l’interprétation de tout ce qui était défini comme la fin-de-siècle, mais il ne se contenta pas d’être seulement un commentateur : comme Dorian Gray, il voulut expérimenter, pratiquer, là où Pater avait seulement prêché. C’est alors, quand Wilde, une fois encore, passa plus de temps à cultiver sa vie plus que son art, qu’il provoqua la Némésis. Comme il l’écrivit dans De Profundis, ‘J’ai traité l’art comme la Réalité suprême et la vie comme une forme de fiction’, ce qui modifie encore son affirmation des correspondances
entre
génie/talent/œuvre/vie.
Wilde
était
rarement cohérent, mais en rapprochant les diverses versions, elles s’éclairent les unes les autres. Alors que les œuvres de Wilde sont restées fidèles, la vie a fini par le trahir, comme elle le fait toujours, pauvre acteur qui se pavane.
David Charles Rose
Bibliographie
On trouve la première citation dans la Préface du Portrait de Dorian Gray; la seconde est extraite d’une interview publiée en janvier 1895, juste avant sa visite à Alger et sa rencontre avec Gide. 3
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Batchelor, John Calvin and McNeer, Craig (eds.). Oscar Wilde’s Guide to Modern Living. London : Simon & Schuster, 1996. Belford, Barbara. Bloomsbury, 2000.
Oscar
Wilde:
A
Certain
Genius.
London:
Davray, Henry-D. Histoire de la Ballade de la Geôle de Reading. Paris: Mercure de France, 1946. Delay, J. La Jeunesse d’André Gide. Paris: Gallimard, 1976. Deschodt, Eric. Gide, le Contemporain Capital. Paris: Perrin, 1991. Ellmann, Richard. Oscar Wilde. London: Hamish Hamilton, 1987. Fryer, Jonathan. André and Oscar: Gide, Wilde and the Gay Art of Living. London: Constable, 1997. ----- . Robbie Ross : Oscar Wilde’s True Love. 2000.
London: Constable,
Gide, André. Correspondance avec sa Mère 1880-1895. Édition établie, présentée et annotée par Claude Martin. Préface d’Henri Thomas. Paris: Gallimard, 1988. ----- . Essais Critiques. Édition présentée, établie, et annotée par Pierre Masson. Paris: Gallimard, 1999. ----- . Journal I: 1887-1921. Édition établie, présentée et annotée par Éric Marty. Paris: Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1996. Cette édition, la plus prestigieuse des éditions françaises, reste inutile pour les chercheurs par son absence d’index. ----- . Journals 1889-1949. Translated, selected and edited by Justin O’Brien. London: Secker & Warburg 1947; Harmondsworth: Penguin, 1967. ----- . Oscar Wilde: A Study from the French. Translated by Stuart Mason. Oxford: Holywell Press, 1905. ----- . Oscar Wilde. London: William Kimber, 1951. ----- . Oscar Wilde. Paris: Mercure de France, 1989.
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----- . La Porte Étroite. Paris: Mercure de France, 1909. Traduit par Dorothy Bussy sous le titre Straight is the Gate 1924. Harmondsworth: Penguin Books, 1952. ----- . Prétextes. Paris: Mercure de France, 1903. Réédité avec Nouveaux Prétextes (1911) comme Prétextes, Refléxions sur Quelques Points de Littérature et de Morale. Paris: Mercure de France, 1963. ----- . Si le Grain ne Meurt. Paris: Gallimard Folio, 1997. Hart-Davies, Rupert (ed.). Lettres d’Oscar Wilde. Traduit de l’anglais par Henriette de Boissard. Préface de Diane de Margerie. Paris: Gallimard,1994. Haymann, Emmanuel (ed.) Oscar Wilde: Les Pensées. Paris: Le Cherche Midi, 1990. Nouvelle édition sélectionnée par Emmanuel de Brantes, 2000. Hofmarcher, Arnaud (direction editorial). Oscar Wilde: Pensées. Paris: Le Cherche Midi, 2010 p.9. Holland, Merlin (ed.) The Oscar Wilde Anthology. Collins, 2000.
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----- & Hart-Davis, Rupert (eds.) The Complete Letters of Oscar Wilde. London: Fourth Estate, 2000. Hyde, H. Montgomery. Oscar Wilde: A Biography. Methuen, 1976.
London: Eyre
Ireland, G.W. André Gide: A Study of his Creative Writings. Oxford: Oxford University Press, 1970. Jullian, Philippe. Oscar Wilde. Paris: Perrin, 1967. ----- . Oscar Wilde. London: Constable, 1969. Keyes, Ralph (ed.) The Wit and Wisdom of Oscar Wilde: A Treasury of Quotations, Anecdotes and Observations. New York: Gramercy Books, 1996. Knox, Melissa. Oscar Wilde: A Long and Lovely Suicide. New Haven & London: Yale University Press, 1994. Langlade, Jacques de. Oscar Wilde, ou la Vérité des Masques. Préface de Robert Merle. Paris: Mazarine, 1987. 74
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London: John Lane
Mann, Klaus. André Gide et la Crise de la Pensée Moderne. Paris: Bernard Grasset, 1999. Mazel, Henri. ‘My Recollections of Oscar Wilde’, Everyman Volume I:1 18th October, 1912, réédité dans E.H. Mikhail (ed.) Oscar Wilde, Interviews and Recollections. Volume II. London: Macmillan, 1979. Merle, Robert. Oscar Wilde. 1948. Nouvelle édition: Paris: Editions de Fallois, 1995. Moore, George. Memoirs of My Dead Life. Heinemann, 1906. Edition révisée 1928.
London: William
Morley, Sheridan. The Quotable Oscar Wilde. Philadelphia & London: Running Press n.d. Nicholls, Mark. The Importance of being Oscar: The Wit and Wisdom of Oscar Wilde Set Against His Life and Times. London: Robson Books, 1981. L’indice donné par le titre s’explique par la dédicace à Michéal Mac Liammóir; Nicholls reconnait aussi l’aide de son ‘ami tardif [] Capitaine Vyvyan Holland.’ Pearson, Hesketh. The Life of Oscar Wilde. London: Methuen, 1946. Edition révisée 1954. Harmondsworth: Penguin, 1960. Pine, Richard. The Thief of Reason: Oscar Wilde and Modern Ireland. Dublin: Gill and Macmillan, 1995. Redman, Alvin (ed.) The Epigrams of Oscar Wilde. London: Alvin Redman Ltd, 1952; réimpression 1954; republié sous le titre The Wit and Humor of Oscar Wilde. New York: Dover, 1979 et comme The Epigrams of Oscar Wilde. London: Bracken Books, 1995. L’édition française s’intitule Oscar Wilde: Cher Oscar. Édité par Alvin Redman; introduction de Vyvyan Holland; préface de Stephen Fry. Monaco: Éditions du Rocher, Collection Anatolia, 2000. Etrangement, page 244, on nous dit que le titre original était The Wit and Humor of Oscar Wilde. Roditi, Edouard. Oscar Wilde. New York: New Dimensions, 1947. Nouvelle édition élargie 1986.
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Sammells, Neil. Wilde Style: The Plays and Prose of Oscar Wilde. London: Longman, 2000. Sherard, Robert Harborough. The Life of Oscar Wilde. Werner Laurie, 1906.
London: T.
Sheridan, Alan. André Gide: A Life in the Present. London: Hamish Hamilton, 1998. Wilde, Oscar. Clamavi ad Te, suivi d’un Choix de Pensées sur l’Art, la Vie, la Société et l’Amour. Paris: André Delpeuch, 1925. ----- . De Profundis. Traduit de l’anglais par Léo Lack. Stock,1975; 7eme impression 2001.
Paris:
----- . De Profundis, suivi par Lettres sur le Prison. Paris: Gallimard, 1992. ----- . De Profundis. Traduit de l’anglais par Jean Gattégno. Paris: Gallimard La Pléiade, 1996. ----- . La jeunesse est un Art. Epigrammes choisies et traduites par Léo Lack et complétées par Mathias Pauvert. Paris: Les Belles Lettres, 1993. ----- . Wilde Anthology, selected by Merlin Holland. Glasgow: Harper Collins, 1997. Woodcock, George. The Paradox of Oscar Wilde. London & New York: T.V. Boardman
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10 – Mad Scarlet Music
Salomé (Richard Strauss) Recension de Tine Englebert mise en scène : Ivo van Hove pour De Nationale Opera, Amsterdam
Salomé de Richard Strauss était à l’affiche de l’Opéra d’Amsterdam pour huit représentations du 9 juin au 5 juillet 2017. C’était l’événement de la fin de la saison 2016-2017, avec dans la fosse, l’orchestre du Concertgebouw placé sous la direction de son directeur musical tout neuf : Daniele Gatti, dans une mise en scène du directeur du Toneelgroep d’Amsterdam, Ivo van Hove, dont on connaît les lectures acclamées. Van Hove a dirigé une Salomé légendaire, sanglante et hors du temps. L’opéra de Richard Strauss est une œuvre brillante et 77
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compacte. De Nationale Opera est habitué à nous offrir des spectacles
de
haut
niveau,
mais
les
productions
vraiment
légendaires restent rares. Et pourtant, c’est le terme approprié pour cet opéra qui invite à interpréter et actualiser. Le metteur en scène, Ivo van Hove, dans sa quatrième production pour De Nationale Opera, raconte Salomé comme une ‘coming of agestory’ intemporelle. Van Hove et son équipe montrent une Salomé qui tend vers la sobriété. L’image de scène de Jan Versweyveld opte pour un parti-pris minimaliste. Le décor, composé d’un mur noir remplissant l’espace, est percé d’un trou qui laisse entrevoir une échappée vers les salles du palais. Peu à peu, l’ouverture s’amenuise, et s’amenuise encore, jusqu’à se refermer complètement au moment de la danse des sept voiles. Une avant-scène porte en son centre une ouverture circulaire qui donne accès à la citerne où Jochanaan est emprisonné. Sur le mur noir, à certains moments pertinemment choisis, se découpe la lune. Salomé se tient dans l’arène devant le palais, où se trouve la citerne enfermant le prophète.
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On ne peut que louer la phénoménale performance des solistes : un casting parfait réuni sur scène, jusqu’aux plus petits rôles. La soprano suédoise Malin Byström n’avait jamais chanté Salomé, mais elle fit ici sans réserve des débuts de rêve avec une voix qui sonnait bien dans les moindres détails. On peut sans exagérer dire qu’elle était absolument remarquable. Cette Salomé idéale selon Strauss (femme fatale et fragile avec une voix Wagnérienne) offrit un tour de force vocal et physique pendant presque deux heures. Elle semblait relativement jeune et assura elle-même la danse des sept voiles. Au moins aussi impressionnants étaient Lance Ryan en Hérode, Doris Soffel en Hérodias et Evgeny Nikitin, le basse russe couvert de tatouages, dans le rôle de Jochanaan. Dans les voix des seconds rôles, on remarquera particulièrement Hanna Hipp (le Page) et Peter Sonn (Narraboth).
Doris Soffel et Lance Ryan
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Salomé fut un triomphe pour le chef Daniele Gatti et les musiciens de l’orchestre. Gatti incita l’orchestre du Concertgebouw à faire de la musique extrêmement sensuelle. Il montra ce qui peut faire un vrai chef d’opéra et créa une unité parfaite entre les musiciens et les solistes sur scène. La musique de Strauss, dans toute sa richesse harmonique et émotionnelle, connut son point culminant absolu dans la danse des sept voiles qui fut parfaitement jouée. Là, Ivo van Hove a brillamment prouvé sa compétence. Salomé, seule sur scène, dansa une chorégraphie expressive écrasante signée du chorégraphe belge Wim Vandekeybus. Après un certain temps, une projection vidéo s’imposa sur la noirceur du mur. Là, tandis que se poursuit
la
danse,
Van
Hove
nous
montre
une
rencontre
sexuellement explicite avec Jochanaan. C’était une scène palpable, extraordinairement présente. La vidéo des vraies pensées de Salomé sur l’écran (la même danse, mais dans les bras de l’adoré) était un deuxième enrichissement. A mi-chemin de la danse, tandis que Salomé s’arrête, toutes les personnes présentes commencent à se mouvoir : la cour entre dans la danse.
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Van Hove a suivi fidèlement le livret, jusqu’au moment fatidique de l’exécution. Ici, le prophète n'est pas décapité, mais grièvement blessé. Ce n’est pas la tête coupée du prophète qu’on sort de la prison, mais un homme en train de mourir. Le jeu morbide de l’amour avec une tête coupée, qui horrifiait tellement Hérode que, malade de dégoût, il ordonnait la mise à mort de Salomé, est ici remplacé par une scène avec un moribond ensanglanté. Le metteur en scène belge préférait un corps vivant à une tête de caoutchouc. Un choix qu’on peut juger remarquable.
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Tout sonne juste dans cette production: à la fois musicalement et théâtralement. C’est un spectacle qui fait justice à l’œuvre, tant par la puissance psychologique, que par la puissance poétique du travail. Un tonnerre d’applaudissements a salué cette réussite à la fin du spectacle, avant que le public ne se lève pour manifester son enthousiasme
dans
une
ovation
interminable.
Une
Salomé
inoubliable. Tine Englebert, vu le 18 Juin 2017.
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11 – Personnages Secondaires Nelly Melba
Célèbre cantatrice d’origine australienne, Nelly Melba n’était pas une amie proche d’Oscar Wilde, mais elle l’a rencontré à plusieurs reprises, au temps de sa splendeur, et aussi à l’époque de sa déchéance, à Paris, où se situe une triste anecdote dont je parlerai plus loin. Elle fut présentée à Oscar Wilde quand elle était une jeune-femme par l’entremise d’une relation commune, Gladys, comtesse de Gray, à qui Wilde dédicaça sa pièce « A woman of no importance ». À vrai dire, Oscar la mettait mal à l’aise, ce qui ne l’empêchait pas d’admirer son éloquence, ce qu’elle appelait « sa brillante chaine de mots couleur de feu ». Sans doute étaient-ils assez intimes pour qu’il se présentât chez elle car elle relate, qu’incorrigible fumeur, elle savait qu’il lui avait rendu visite en voyant les nombreuses cigarettes consumées qu’il avait jetées dans sa cheminée. Dans ses mémoires, Melodies and Memories, elle raconte comment Oscar, parlant de ses petits garçons qui « avaient été méchants et fait 83
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pleurer leur maman », s’attira d’un autre invité le commentaire suivant : « Quel châtiment pourrait-on réserver aux méchants papas qui ne rentrent pas à la maison avant le petit matin et qui font pleurer les mamans bien davantage ? »
C’est encore dans ses Mémoires que figure cette anecdote bien connue, évoquée plus haut. Un jour qu’elle se promenait dans Paris à l’époque où Oscar y finissait sa vie, elle le croisa au détour d’une rue. Il avait dit-elle « une expression traquée dans les yeux ». Elle allait passer son chemin quand il l’arrêta, présumant qu’elle ne le remettait pas : « Madame Melba, vous ne savez pas qui je suis ? Je suis Oscar Wilde, et je vais faire une chose terrible : je vais vous demander de l’argent ». Interloquée, la diva vida sa bourse, supportant à peine de le regarder. Il s’empara de l’argent en murmurant un remerciement inaudible et disparut aussitôt. On imagine combien Oscar Wilde devait être désespéré pour en arriver à de telles extrémités. Combien il dut se sentir mortifié et honteux
de
cette
démarche 84
à
laquelle
la
nécessité
le
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contraignait :
lui,
l’ancien
roi
de
Londres,
s’abaisser
à
quémander l’aumône à une diva avec laquelle il avait été jadis sur un pied d’égalité. Et combien Melba dut être sidérée et embarrassée par cette rencontre. C’est là – si elle est vraie – une des anecdotes les plus pitoyables et les plus touchantes des dernières années d’Oscar Wilde. Melba est restée dans la postérité, non seulement en raison de sa brillante carrière de soprano qui l’emmena sur toutes les scènes du monde avec un immense succès (elle s’illustra en particulier comme Lucia dans Lucia di Lammermoor, Gilda dans Rigoletto, Marguerite dans Faust, Desdémone dans Othello et Juliette dans Roméo et Juliette), mais aussi à cause du dessert que le grand chef Escoffier conçut pour elle. Escoffier, « roi des cuisiniers et cuisinier des rois », officiait au Savoy à Londres, où résidait la cantatrice. Elle l’invita à une de ses représentations, et pour la remercier, il fit tailler un cygne dans un bloc de glace, en référence à Lohengrin qu’il avait vu la veille. Entre les ailes du cygne, il disposa sur un lit de glace des pêches à chair blanche, pochées dans un sirop à la vanille, puis il recouvrit les pêches d’une purée de framboises. La pêche Melba était née. Oscar en a-t-il dégusté ? Ce n’est pas impossible puisque le fameux dessert a été créé en 1894, quand Oscar, en pleine gloire, fréquentait beaucoup le Savoy.
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12 – Wilde au théâtre Satin and tweed, de Frank 0’Hagan
Écrite par l’Irlando-Sud-Africain, Frank O’Hagan, « Satin and Tweed » s’intéresse à deux irlandais nommés Oscar Wilde er George Bernard-Shaw. Elle n’a été représentée qu’en Afrique du Sud. Créée en 1965 au Théâtre International, dans le Civic Theatre de Johannesburg, elle était dirigée par Malcolm Woolson, avec Norman Coombes, David Horner, et Angela Davidson, dans le rôle de la servante. Reprise deux ans plus tard par le Cape Performing Art Board (CAPAB), elle est encore représentée en 1980, au Baxter Théâtre, dans une mise en scène de David Horner.
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13 – Cinéma Dorian Gray au féminin La chanteuse américaine St Vincent, qui a fait cette année ses débuts derrière la caméra avec un court métrage intitulé « Birthday Party », présenté au festival de Sundance, devrait prochainement transposer au grand écran le chef-d’œuvre d’Oscar Wilde. Cette adaptation,
produite
par
Lionsgate,
sera
une
version
cinématographique féminine du « Portrait de Dorian Gray ». David Birke, l'auteur de "Elle" de Paul Verhoeven, sera chargé de l'écriture du scénario. L'œuvre a déjà été transposée sur grand écran par Albert Lewin en 1945 et Oliver Parker en 2009.
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14 – The Oscholars www.oscholars.com abritait un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en était David Charles Rose (Université d’Oxford). Depuis 2012, les membres du groupe sont indépendants, et le site, délaissé par son webmaster, ne reste plus sous le contrôle de M. Rose. THE OSCHOLARS est un journal / site de web international en ligne publié par D.C. Rose, consacré à Wilde et à ses cercles. Il compte plusieurs milliers de lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007 jusqu’à Juillet 2010.
Les numéros de juin 2002 à
octobre 2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site
www.irishdiaspora.net.
Vous
y
découvrirez
une
variété
d’articles, de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc.
L’appendice ‘LIBRARY’ contient des articles sur Wilde
republiés des journaux. Les numéros jusqu’à mars 2010 étaient en ligne
ici,
mais plusieurs pages ont été détruites par le ci-devant
webmaster, et l’accès est interdit. Depuis l’automne 2012, on peut trouver THE OSCHOLARS sous cette adresse :
http://oscholars-oscholars.com/
en train d’y être republiées.
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et toutes les éditions sont
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15. Signé Oscar Wilde Le mur de prison nous cernait tous deux, Et deux réprouvés nous étions : Le monde nous rejetait de son cœur, Et Dieu de Sa sollicitude ; Le piège de fer rendu au Péché Nous enserrait dans ses mâchoires. (La Ballade de la Geôle de Reading)
A prison wall was round us both, Two outcast men we were: The world has thrust us from its heart, And God from out His care: And the iron gin that waits for Sin Had caughtus in its snare. (The Ballad of Reading Gaol)
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