Rue des Beaux-Arts – Numéro 54 – Janvier-Février-Mars 2016
RUE DES BEAUX ARTS Numéro 54
Janvier/Février/Mars 2016
Rue des Beaux-Arts – Numéro 54 – Janvier-Février-Mars 2016
Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde
RÉDACTRICE : Danielle Guérin-Rose Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm et les numéros 42 à 53 ici.
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1 - Editorial Une amie d’Italie
Au moment où vient de sortir le livre d’Eleanor Fitzsimons s’intéressant aux femmes qui ont façonné la vie d’Oscar Wilde,1 on peut se pencher sur l’une d’entre elles, moins connue, et qui n’a peutêtre pas eu une importance primordiale sur sa formation, mais avec laquelle il noua cependant une amitié au cours d’un voyage en Italie. Cette jeune-fille qui avait alors, comme lui, une vingtaine d’années, s’appelait Julia Constance Fletcher, et devait devenir écrivain sous le pseudonyme de George Fleming. C’est à Rome qu’eut lieu la rencontre, lors du deuxième voyage du jeune Wilde en Italie. En avril 1877, son ami d’Oxford, Hunter Blair, avait essayé de l’attirer dans l’Église catholique romaine, en l’incitant à se rendre dans la Ville Éternelle. Il lui avait d’ailleurs envoyé de l’argent (qu’il prétendait gagné au casino de Monte-Carlo) pour payer le voyage. John Mahaffy, Eleanor Fitzsimons : Wilde’s women : How Oscar Wilde was shaped by the women he knew, Gerald Duckworth & Co Ltd (16 Oct. 2015) 1
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ex professeur de Wilde à Trinity College, à qui il avait demandé de l’accompagner
jusqu’à
Gênes,
avait
essayé
de
l’en
dissuader.
Protestant convaincu, il ne voulait pas que Wilde se fit catholique : « Non, Oscar, nous ne pouvons pas vous laisser devenir catholique, lui avait-il dit, mais nous ferons de vous, au lieu de cela, un bon païen ». Wilde résista, puis finit par céder et gagner la Grèce avec Mahaffy. Il n’avait pas rendu les armes pour autant. En revenant de Grèce, il repassa par Rome, où Hunter Blair lui avait obtenu une entrevue avec le pape Pie IX. C’était une occasion trop unique pour être manquée, et au diable la rentrée universitaire, qu’il différa en s’attirant les foudres du doyen et une exclusion temporaire d’Oxford. Insouciant des sanctions qui l’attendaient, il passa dix jours à Rome en compagnie de ses amis Ward et Blair. C’est là qu’il fit la connaissance de Julia Constance Fletcher, qui soignait sous le ciel italien un chagrin d’amour et l’échec cuisant de son projet de mariage avec Lord Wentworth1, petit-fils de Byron. C’était une jeune femme intelligente et ambitieuse, qui voulait devenir écrivain, et Wilde et elle s’entendirent tout de suite à merveille. Ils firent ensemble de longues promenades
à
cheval
dans
la
campagne
italienne,
eurent
d’interminables conversations pendant lesquels elle eut tout loisir d’observer son nouvel ami. Julia Constance Fletcher était la fille d’un missionnaire américain, le révérend James Coolie Fletcher, mais ses parents divorcèrent et Henrietta Malan, la mère de Julia, quitta les Etats-Unis avec sa fille et son fils pour gagner Venise avec le peintre Eugène Benson, qu’elle 1
Ralph Gordon Milan Milbanke, était le 13e baron Wentworth et le 2e comte Lovelace.
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épousa en secondes noces. Ce divorce eut des répercussions sur la vie de la jeune fille puisque le comte Lovelace, dont la mère Ada était la fille de Byron, rompit ses fiançailles avec Julia quand il apprit que ses parents étaient divorcés. C’est donc au moment où elle essayait de se remettre de cette cruelle déception amoureuse qu’elle rencontra à Rome
Oscar
Wilde,
dont
la
gentillesse
et
les
talents
de
conversationniste réussirent à la distraire de son chagrin. Il fut, pour elle qui souhaitait devenir romancière, un délicieux compagnon, et un merveilleux sujet d’étude. Malgré son jeune âge, elle s’était déjà forgée, l’année précédente, une certaine réputation littéraire avec « Kismet ». Sa rencontre avec Wilde allait lui inspirer un nouveau roman : « Mirage » où, à côté de son héroïne, une jeune américaine prénommée elle aussi Constance, on retrouve Oscar Wilde sous les traits du personnage Claude Davenant.
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Dans sa biographie d’Oscar Wilde, Richard Ellmann reproduit un extrait de l’œuvre où George Fleming décrit son personnage. On peut facilement y reconnaitre Oscar Wilde : « ce visage était presque un anachronisme. On eut dit un portrait de Holbein : pâle, des traits larges, une contenance singulière et intéressante, à l’expression particulièrement douce et pourtant ardente. Mr Davenant était très jeune – probablement pas plus de vingt et un ou vingt deux ans, mais il paraissait plus jeune encore. Ses cheveux, qu’il portait assez longs, étaient rejetés en arrière et retombaient en masse sur le cou, lui donnant un faux air de saint du Moyen-Âge. Il parlait vite, d’une voix basse à l’élocution étonnamment distincte, en homme qui s’applique à l’étude de l’expression. Il écoutait en causeur. » 1 Davenant est un esthète à la sexualité ambiguë, avide de sensations intenses, qui théâtralise sa vie. Il conseille à l’héroïne de « multiplier les émotions, rehausser et intensifier la qualité des sensations ». Et Fletcher met dans la bouche de son double, la jeune Constance, des phrases comme celle-ci : «Les émotions sont absolument essentielles à la consumation artistique de la vie », musique qui, sans nulle doute, lui fut chuchotée par Wilde, et qu’il nous fera lui-même souvent entendre, tout spécialement à travers la voix de Lord Henry dans « Le Portrait de Dorian Gray ». Plus tard, Julia Constance Fletcher allait rencontrer Henry James, et la romancière Constance Fenimore Woolson, qui habitait à Venise la maison où James écrirait Les Papiers d’Aspern. En son âge mûr, Fletcher connut Gertrude Stein qui traça d’elle un portrait en trois 1 1
Richard Ellmann, « Oscar Wilde », Gallimard NRF Biographies, 1995 – P.96
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sections, lequel, moins qu’une variation sur un même théme, constituait en réalité trois portraits différents. Mais c’est la rencontre d’Oscar Wilde, quand elle était une jeune fille cherchant sa voie vers l’écriture, qui l’impressionna au point d’avoir transposé son compagnon dans un livre. Wilde de son côté, fut également frappé, puisqu’il lui dédia « Ravenna », le poème qui, à Oxford, lui valut de remporter le Newdigate Prize. Bien plus, il publia en série – honneur rare – de longs passages de son livre « The truth about Clement Ker 1» dans son magazine « Woman’s world » quand il en était l’éditeur. « Je suis très attiré par elle sur tous les plans », écrivait-il, quelques mois après leur rencontre.2 Julia Constance Fletcher peut donc en toute légitimité prendre place parmi la cohorte des amies féminines d’Oscar Wilde, aux côtés d’Ada Leverson, Adela Schuster, Margaret Brooke, Florence Balcombe, Helena Sickert, Sarah Bernhardt, Lillie Langtry, Ellen Terry, Anna de Brémont, Frances Forbes Robertson, la princesse Alice de Monaco, Ada Rehan, et bien d’autres. Wilde cultiva toujours ses amitiés féminines avec bonheur. Un de ses amis, masculin, cette fois, le poète américain Vincent O’Sullivan, disait de lui dans son ouvrage « Aspects of Wilde » : « J’ai toujours trouvé – et je trouve encore aujourd’hui -, ses plus chaleureux The truth about Clement Ker: being an account of some curious circumstances connected with the life and death of the late Sir Clement Ker, Bart., of Brae House, Peebleshire. Boston – Robert Brothers, 1889. Le texte était censé être signé d’un certain Geoffrey Ker. Il était en fait de la main de Julia Constance Fletcher, alias George Fleming. 22 Complete Letters of Oscar Wilde, pp. 60/61 - à William Ward – Illaunroe Lodge – Août 1877 – Fourth Estate 2000 – traduction DGR 1
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admirateurs parmi les femmes. Lui, en retour, admirait les femmes. Je ne l’ai jamais entendu dire quelque chose de désogligeant pour une femme, même s’il arrivait que l’une
d’entre elles méritât un tel
traitement . » Même Bosie Douglas devait le reconnaître : « Il remporte beaucoup plus de succès auprès des femmes qu’auprès des hommes. Peut-être parce que ses qualités de sensibilité, de douceur, de courtoisie, de gentillesse, leur parlaient plus qu’aux hommes qui recherchent plutôt la force, l’autorité et la virilité (dont Wilde n’était cependant pas dépourvu, sans vouloir à tout prix le démontrer). Julia Constance Fletcher en tout cas, y avait été sensible, le temps d’un printemps italien, avant que le jeune Wilde, ayant épuisé, comme il l’avait préconisé à sa compagne, toute la gamme des sensations, de la plus délicate à la plus sulfureuse, fut devenu le Roi de la vie et le Seigneur du langage, le Magnifique et désastreux Wilde, qui laisserait à la postérité un nom de feu et de cendres. Danielle Guérin-Rose
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2 - PUBLICATIONS Jacques de Langlade – La mésentente cordiale. Julliard, Paris - 8 octobre 2015 Fichier numérique ISBN 978-2-260-02879-6 Les répercussions de l’affaire Wilde et de l’affaire Dreyfus sur la France et l’Angleterre
Robert
Smith
Hichens
L’œillet vert Traduit de l’anglais par Patrick Marcel Les moutons électriques Lyon, février 2016 Collection : Le rayon vert ISBN 978-2-36183-237-7
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Oscar Wilde – Poltred Dorian Gray. (édition bretonne) troet diwar ar saozneg gant Alan Martel (traduction Alan Martel) An Alarc'h Embannadurioù, Lannion (Côtes-d'Armor), octobre 2015 ISBN 978-2-916835-69-3
Oscar
Wilde,
l’écrivain
:
décadence
du
dandy
grandeur d’un
à et
artiste
provocateur (Ecrivains, n° 17) Par Hervé Romain Kindle édition
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Jean-Marc Varaut – Les procès d’Oscar Wilde (édition numérique) Editions Perrin, octobre 2015 ISBN : 978-2-262-05960-6 Dan Pearce et Bill Hunter – Oscar, le retour. Traduction française de Danielle Guérin-Rose (version française) Kindle Edition
Et ailleurs… David Charles Rose – Oscar Wilde’s Elegant Republic Transformation, Dislocation and Fantasy in fin de siècle Paris Cambridge Scholars Publishing – 1er décembre 2015 ISBN 978-1443883603
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Dan Pearce – Oscar, The second coming Bill Hunter, éditeur. Kindle Edition
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3 - OSCAR WILDE ET LA BANDE DESSINEE OSCAR WILDE : LA RESURRECTION Par Dan Pearce
Dernier épisode !
Merci à Dan Pearce pour sa collaboration artistique et pour son talent. Vous pouvez retrouver « Oscar, the second coming » (version anglaise) et Oscar, le retour (version française) sur le site d’Amazon. Fin !
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4 - Expositions
Gustave Moreau - Georges Rouault. Souvenirs d'atelier Gustave Moreau (1826-1898), dont Wilde s’inspira pour sa vision de « Salomé », fut professeur à l'Ecole des beaux-arts de Paris de 1892 à 1897. Georges Rouault (1871-1958) y fut son élève préféré, celui qu’il considérait comme “représentant” sa “doctrine picturale”. L'exposition se propose de mettre en lumière ce qui unit les deux peintres sur le plan artistique, de confronter leurs visions du paysage, de la femme, du sacré, mais aussi de faire apparaître leur fascination commune pour la matière et la couleur. Elle permet également d’évoquer, par les souvenirs de ses élèves, l’atelier de Gustave Moreau à l’Ecole des
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beaux-arts et d’appréhender l’enseignement libéral de celui qui se considérait comme un passeur plus qu’un professeur. Commissariat : Marie-Cécile Forest, assistée d’Emmanuelle Macé et Samuel Mandin
Du 27 janvier au 25 avril 2016 Musée Gustave Moreau – 14, rue de la Rochefoucauld 75009 Paris –
Et, très bientôt, au Petit Palais…
Wilde, l’impertinent absolu du 27 septembre 2016 au 15 Janvier 2017… Juste un peu de patience !!!
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5. Opéra et Concerts The importance of being Earnest de Gérald Barry D’après la pièce d’Oscar Wilde À Londres
Mise en scène : Ramin Gray Décors : Ben Clarke Costumes : Christina Cunningham Avec : Benedict Nelson (Algernon Moncrieff) -
Paul Curievci (John
Worthing) – Claudia Boyle (Cecily Cardew)- Stephanie Marshall (Gwendolen Fairfax) – Alan Ewing (Lady Bracknell) – Hilary Summers (Miss Prism) – Simon Wilding (Lane/Merriman) – Kevin West (Rev. Chasuble) Britten Symphonia Orchestra Direction musicale : Tim Murray
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29 mars au 3 avril 2016 Barbican center Silk Street - Londres
Salomé De Richard Stauss D’après la pièce d’Oscar Wilde À Berlin Direction musicale : Alain Altinoglu Mise en scène : Claus Guth Avec : Hérode
Thomas Blondelle
Hérodias
Jeanne-Michèle Charbonnet
Salomé
Catherine Naglestad
Jochanaan
Michael Volle
Narraboth
Attilio Glaser
24, 29 janvier – 3 et 6 février 2016 – 2 et 6 avril
Deutsche Oper de Berlin
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6 - Théâtre Le Fantôme de Canterville
Mise en scène : Leila Moguez Avec Leila Moguez et Antoine Brin Lumières : François Leneveu
Du 15 novembre 2015 au 10 février 2016
Manufacture des Abbesses - Paris M
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Et ailleurs… Création de deux nouvelles pièces inspirées de la vie d’Oscar Wilde :
Oscar Wilde : From the Depths De Charles MacMahon
Mise en scène : M. Craig Getting Avec : Marc Levasseur (Oscar Wilde), Jered McLenigan (Lord Alfred Douglas), David Bardeen (Robbie Ross). Seul dans sa cellule de Reading, Oscar Wilde se bat pour vaincre les ténèbres qui menacent de l’envahir. Fouillant sa mémoire, il revisite ses souvenirs dans l’espoir d’y trouver le salut.
14 janvier au 14 février 2016 Lantern Theatrer – Philadelphie.
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Wretched Little Brat De Brian Merriman
Avec : Sean Doyle (Bosie), Dave Flynn (Robbie), Brian Higgins (Oscar Wilde), Ailish Leavy, Anne Doyle (Constance), Stephen Gorman, Eli Caldwell
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Le titre de la pièce est inspiré d’une réflexion de George Bernard Shaw qui, après avoir rencontré Bosie, déclara qu’il était a «wretched little brat » - Un misérable petit morveux.
16 au 21 novembre 2015 Sean O’Casey Theatre – Dublin
Et à Londres, on joue … L’adaptation du Portrait de Dorian Gray par Merlin Holland
Mise en scène : Peter Craze Avec : Guy Warren-Thomas, Rupert Mason, and Helen Keeley. Du 18 janvier au 13 février 2016 Trafalgar Studios – Londres
A Pendley
Oscar,
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de James Clutton & Damian Landi
A musical, Basé sur la vie d’Oscar Wilde
Avec : Oscar Ross Bosie Constance Speranza Marquess Whistler Lillie Carson D'Oyley Carte
Andy Faber Mark Lawrance Bryn Jones Rachel O'Mahoney Rebecca Taylor Colin Arney Charles Davey Niki Dixon John Dilks John Dilks
17 au 20 février 2016 The Court Theatre, Pendley – Tring – Hertforshire
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7 - « Cet incomparable Wilde » : étude de trois scénarios de Marcel L’Herbier pour l’adaptation du Portrait de Dorian Gray par Michael Temple
Dans une précédente étude sur l’adaptation du Portrait de Dorian Gray par Marcel L’Herbier1, nous avons analysé une quantité importante de documents de production qui se trouvent dans les archives personnelles du cinéaste et que Marie-Ange L’Herbier avait gracieusement mis à notre disposition. À partir de ce matériel, essentiellement correspondance et scénarios, nous avons tenté de reconstituer l’évolution de ce projet inachevé, que L’Herbier a poursuivi pendant plus de vingt ans, et nous avons formulé quelques hypothèses pour expliquer pourquoi le film n’a finalement jamais vu
Michael Temple, « An accurate description of what has never occurred : les projets d’adaptation du Portrait de Dorian Gray 1
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le jour. Aujourd’hui, si nous reprenons ce dossier, riche de quelques cinq cents pages, c’est avec un autre objectif, l’analyse détaillée de trois documents particulièrement instructifs dans cette curieuse affaire de film impossible (c’est le « projet auquel je suis attaché plus qu’à tout autre » disait L’Herbier1). Il s’agit des trois scénarios, retrouvés
dans
les
archives
à
Neuilly,
que
le
cinéaste
a
vraisemblablement écrits dans les années 1920-1930. Nous allons commencer par l’étude du scénario A, datant du muet, avant d’analyser ensemble les scénarios B et C, assez similaires, rédigés en vue d’un film parlant. Après une description rapide de la forme de chaque document et un résumé de son contenu avec citation d’extraits, nous proposerons quelques commentaires sur la manière dont L’Herbier semble avoir envisagé l’adaptation de ce « conte métaphysique
de
renommée
mondiale
et
d’un
symbolisme
fantasmagorique »2 à deux moments très différents de sa lettre à Charles Delac, novembre 1932, citée dans Michael Temple, ibid., p. 164.n parcours artistique et de l’histoire du cinéma. Un Dorian Gray muet : le choix de la « mélodramatisation » Le scénario A comporte une trentaine de pages dactylographiées numérotées ; sur la couverture est écrit à la main : « première version ». L’étude de la correspondance autour de l’adaptation du Portrait de Dorian Gray nous a permis de dater sûrement ce document entre 1924 et 1928, et plus précisément fin 1924 - début 1925, dans le contexte d’une possible collaboration entre Cinégraphic, la société de production de L’Herbier, et celle de Noé Bloch, l’ambitieuse mais 1 2
Lettre à Charles Delac, novembre 1932, citée dans Michael Temple, ibid., p. 164. Marcel L’Herbier, la Tête qui tourne, Paris, Belfond, 1979, p. 183.
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éphémère Ciné-France 1. Comme nous allons le voir, cette première version du scénario semble correspondre assez bien aux principes d’adaptation et aux critères de production recommandés par Bloch dans une lettre à L’Herbier datant de septembre 1924. Le producteur y déclare vouloir notamment que le récit soit le plus simple possible, que le film concentre l’action sur l’amour entre Dorian et Sybil Vane, et que le début et la fin soient raccourcis 2. Quant au texte lui-même, de nature essentiellement littéraire plutôt que filmique, il raconte l’histoire et décrit les scènes du film, donnant ainsi une idée assez approximative et prospective de ce à quoi le film va éventuellement ressembler. La fonction d’un tel texte est autant de « lancer » le projet auprès d’un éventuel producteur que de lui communiquer une véritable impression visuelle du film en tant que film. Nous sommes donc loin d’un scénario au sens technique du terme avec chaque scène, voire chaque plan, visualisés. Citons le début du scénario A pour illustrer cela et donner une idée du ton général du premier des trois textes en question : LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY À LONDRES en 1890 – C’est l’époque mondaine particulièrement brillante où la sévérité de la cour de la Reine Victoria commence à fléchir et où se dessine, dans les mœurs, ce second romantisme qui devait prendre les aspects les plus charmants et aussi les plus imprévus. C’est la dernière réception que donne cette saison Lady Brandon, dame de vieille noblesse et qui ne reçoit que ce qu’il y a de plus coté dans le monde officiel ou le monde des Arts.
1 2
Michael Temple, « An accurate description of what has never occurred », op. cit., pp. 155-159. Ibid., p. 157
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Cette réception a un caractère exceptionnellement luxueux : robes dignes de la Cour, uniformes étincelants, diadèmes, habits impeccables mais pittoresques à taille haute et à double cravate suivant la mode du moment. Partout des fleurs rares, partout des cristaux de prix, des objets merveilleux… On comprend que dans ces salons ne peuvent être reçus que des personnalités de grand renom ou de haute naissance et l’on n’est pas étonné d’y voir arriver Basil Hallward 1 le fameux peintre dont chaque portrait déchaîne l’enthousiasme et qui, demandé par les plus hautes personnalités ambitieuses de se voir portraiturer par lui, refuse depuis six mois presque toutes les propositions, et même des propositions venues de la Cour : c’est du moins ce qu’on chuchote dans les salons de Lady Brandon sur le passage de Basil Hallward, homme de 40 ans au beau visage pensif mais très sympathique, très bon. [2] Une autre arrivée est non moins remarquée dans la fête de Lady Brandon : celle du plus brillant causeur du moment, homme de la meilleure aristocratie : Lord Henry Wotton. Lord Henry, dès le premier abord, cause une impression très différente du peintre Basil Hallward. Il paraît du même âge mais quelque chose d’amer, de cynique dans l’expression, a contracté prématurément ses traits et sur son visage se reflète un esprit sans moralité et entièrement voué au culte du mal. Les invités sont tous réunis quand une nouvelle qui circule de bouche en bouche surprend tout le monde : Lady Brandon aurait invité le jeune Dorian Gray et il doit venir ce soir. Par les évocations que chacun à sa manière fait, en transmettant la nouvelle de Dorian Gray, on comprend que ce jeune homme est très diversement apprécié. (On montrera rapidement par quelques visions les bizarres appréciations des invités de Lady Brandon sur Dorian Gray : pour l’un, il triche au jeu – pour l’autre il habite une mansarde et loue ses habits chez un vieux fripier de Soho… etc.) Comment Lady Brandon a-t-elle réellement osé inviter un tel personnage ? Mais lorsque l’étrange nouvelle parvient à Lord Henry c’est une véritable stupeur qu’elle lui cause – il pâlit, semble au plus mal – et court rejoindre Lady Brandon (dont l’accoutrement est un peu caricatural et dont toute l’apparence indique la dame de 50 ans qui veut obstinément se rajeunir. Lady Brandon ne comprend d’abord rien à l’air solennel que prend Lord Henry pour l’aborder – mais bientôt il l’entraîne dans un coin de salon désert et là, en deux mots, il lui déclare avec autorité : 1
Les mots ou passages apparaissant en gras sont soulignés dans le manuscrit
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[3] « Lady Brandon, vous ne pouvez pas recevoir Dorian Gray. » La vieille Lady est sur le point de succomber d’inquiétude. – Eh quoi ! – Ce Dorian Gray est-il si mal ? Que sait-on contre lui ? Lord Henry dit à l’oreille de Lady Brandon cette chose qu’il croit terrible, définitive « Songez… il est le fils d’un sous-lieutenant d’infanterie… » Le sang de la vieille Lady ne fait qu’un tour. Elle l’ignorait. Il faut empêcher ce scandale. Elle va courir prévenir les valets qui sont à l’entrée. Elle ne recevra pas ce Dorian Gray ! Elle part en courant et Lord Henry sourit de ce sourire malfaisant qui dit clairement le fond de son âme. Près de l’entrée Lady Brandon a donné des ordres. Quand elle revient triomphante, elle rencontre Basil Hallward. Un cercle se forme autour d’eux. Elle minaude auprès du grand peintre « Maître : Et mon portrait ?… » Basil n’est pas décidé à sourire. Il dit gravement « Je ne ferai jamais votre portrait ! » puis il s’éloigne. C’est une grande hilarité cachée dans l’assistance. On se moque de la vieille Lady Brandon. – Et l’on approuve la rudesse du peintre. Basil est arrivé vers la porte, décidé à partir. Lady Brandon l’y rejoint, surprise, l’arrête. En vain. Il veut partir. Elle lui en demande la raison. Il dit « Je ne comprends pas que vous refusiez subitement de recevoir Dorian Gray ». « Mais vous ne savez pas… » et, se penchant vers l’oreille du peintre, elle lui fait « l’horrible » confidence de Lord Henry (avec une exagération comique). Pendant cette scène et la précédente un jeune [4] homme s’est présenté en bas de l’Hôtel de Lady Brandon (on ne doit pas reconnaître Dorian Gray), il dit son nom à un domestique. Le domestique répond « Madame n’est pas là ». Le jeune homme se fâche. Il lui montre les manteaux entassés là, les voitures rangées dehors, etc. Le valet restant imperturbable, une lutte violente s’engage entre lui, le jeune homme et les autres valets arrivés à la rescousse. Le jeune homme monte un escalier, saute la rampe, tombe, se blesse, etc.… Basil, lui, n’est pas du tout frappé. Il garde tout son sang-froid – et il ajoute « C’est possible mais ce n’est pas sa faute si sa mère s’est éprise d’un sous-lieutenant d’infanterie – et sa mère n’en reste pas moins la propre fille de Lord Kelso… » Et làdessus Basil s’éloigne.
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Lady Brandon a une idée soudaine. Comment ? Dorian Gray est petit-fils de Lord. Tout s’arrange donc. Elle rattrape Basil – court donner aux imperturbables domestiques un contre-ordre non moins digne « nous recevrons Mr Dorian Gray »Elle revient vers Basil, rentre avec lui, – prenant de force son bras dans le salon, et descend vers Lord Henry qu’un grand cercle entoure juste au moment où le Maître d’Hôtel annonce : « Mr Dorian Gray ». Grand mouvement chez tous. On va donc voir, enfin, ce Dorian Gray qui… que… etc.… De la façon dont Lord Henry prend la chose on comprend que quelque chose qu’il n’a pas expliqué à Lady Brandon motivait son attitude hostile à Dorian Gray – car on le voit furieux, – son regard croise [5] celui de Basil et entre les deux hommes muettement quelque chose d’indéfinissable mais d’évident s’établit : un peu comme un défi – la promesse d’une lutte sourde – tenace – sans merci. Dans la suite du grand mouvement provoqué, voici qu’apparaît Dorian Gray et cette première apparition radieuse, impressionnante du jeune homme contraste singulièrement avec tout ce que l’on attendait. On a en face de soi un jeune homme de 20 ans, blond, pâle avec quelque chose d’absolument enfantin et d’angélique dans le regard – avec sur tout lui-même comme une précieuse, une ravissante candeur juvénile. Et Dorian Gray dans cette seule apparition a conquis tout le monde, même Basil Hallward, mais pas du tout Lord Henry qui le regarde en aparté, d’une façon mauvaise. On présente les deux hommes l’un à l’autre et l’expression de Lord Henry devient toute différente. Il montre une amabilité pleine de séduction et s’efforce de plaire. Dorian Gray est frappé par cette exquise politesse d’une si importante personne. Il en rougit de plaisir, puérilement. Puis il s’éloigne et Lady Brandon veut prendre son bras pour aller vers la salle où des rafraîchissements sont servis. Alors on s’aperçoit qu’une grande gêne étreint Dorian Gray. Il a caché jusqu’ici obstinément sa main gauche. Il doit la montrer pour offrir son bras à Lady Brandon. Et, quand il la montre chacun est stupéfait, elle est pleine de sang ! On interroge. Dorian Gray évoque gaiement, candidement cette aventure. Et [6] cela fait sur l’assistance la meilleure, la plus charmante impression. Encore plus profonde est l’impression produite sur Basil, son œil de peintre est captivé par le charme singulier qui émane de ce jeune homme si neuf. Il suit le
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groupe qui va, avec Lady Brandon et Dorian Gray vers les buffets. Au buffet Lord Henry rejoint également Dorian Gray. Un instant Dorian Gray est frappé par le contraste qu’il y a entre le visage de Lord Henry qui le regarde à gauche et celui de Basil qui le regarde à droite. Cet examen est interrompu par Lady Brandon qui demande à Dorian Gray (au moment où chacun se prépare à lever sa coupe à la santé du jeune blessé) de dire quel est son plus grand vœu, son plus grand désir (pour que chacun joigne son vœu au sien). Dorian Gray avec une grande flamme déclare : « Conserver la jeunesse ». On sourit et on boit puis Lord Henry s’approche de Dorian Gray et lui dit en le fixant intensément, avec un regard terriblement magnétique : « J’ai le moyen de vous empêcher de vieillir. Venez me voir demain. Je vous l’indiquerai ». On sourit davantage et on boit en l’honneur de Lord Henry (tout cela très gaiement et très légèrement. C’est-à-dire dans le mouvement, sans appuyer.) À ce moment, très gravement, Basil s’approche à son tour de Dorian Gray et son visage sérieux contraste avec les mines de tous. Il déclare : « J’ai le meilleur moyen pour vous empêcher de vieillir. » Une grande curiosité fait s’approcher les invités. Basil achève sur la prière de Dorian « Permettez-moi de faire votre portrait. Grâce à lui votre jeunesse [7] sera fixée pour toujours. »La vieille Lady Brandon pense tomber à la renverse. Basil Hallward que tout le monde prie, prie à son tour pour faire un portrait ! Son indignation est couverte par le mouvement de chaleureuse approbation qui fait trinquer tout le monde pour la troisième fois. Cependant que Dorian remercie alternativement, avec une joie très jeune, Lord Henry et Basil Hallward. Plusieurs remarques s’imposent à la lecture de ce début de scénario. Premièrement, L’Herbier invente cette séquence d’ouverture, très impressionnante sur le plan dramatique et très bien « vue » en termes de mise en scène, mais qui ne correspond que de très loin à la scène du bal de Lady Brandon dans le texte de Wilde. L’arrivée fracassante de Dorian Gray, en particulier, est une trouvaille par rapport au roman. Comme nous allons le voir, le scénario A est, en général, une adaptation très libre, voire une réécriture du roman ; ce qui n’est pas le cas pour les deux scénarios des années 1930 (B, C). Ce qui frappe
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dans la démarche de L’Herbier adaptateur c’est la totale réinvention d’un des personnages principaux du roman, Lord Henry Wotton. Le cinéaste a transformé ce dandy, certes décadent, voire amoral, mais aucunement malveillant envers Dorian, en véritable figure de « méchant », persécuteur cruel de l’innocent héros, qui paraît sortir d’un roman populaire de l’ère victorienne ou d’un serial des années 1910. Ici, opposé à Lord Henry, se trouve le peintre Basil Hallward, dont le comportement social et les intentions morales, surtout envers Dorian, sont au-dessus de tout soupçon, alors que, dans le roman, dès sa première rencontre avec lui, le peintre est frappé d’un coup de foudre symptomatique d’un « amour qui n’ose dire son nom ». Cette polarisation scénaristique du bon et du méchant engagés dans une lutte pour l’âme du héros est très loin de la complexité des relations sentimentales – et implicitement sexuelles – qui existent entre les trois personnages masculins dépeints par Wilde. Certes toute adaptation cinématographique d’un roman tend à la simplification, mais ici les changements apportés « mélodramatisent » profondément le texte de Wilde, comme l’avait préconisé le producteur Bloch. La simplification des rapports triangulaires entre Dorian, Lord Henry et Basil s’accompagne, en effet, d’une mise en valeur de la relation amoureuse entre Dorian et la jeune actrice, Sybil Vane. Cet amour hétérosexuel, socialement acceptable, rentre plus facilement dans les codes de représentation du mélodrame, et la focalisation sur Dorian et Sybil a évidemment pour effet de neutraliser encore plus le contenu homo-érotique du texte original.
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Après cette impressionnante ouverture, largement due à L’Herbier, le reste du scénario A se conforme, pour l’essentiel, à la structure du récit wildien : la mise en place du pacte faustien entre Dorian éternellement jeune et son portrait progressivement corrompu (pp. 711) ; la rencontre du jeune homme avec Sybil Vane et le suicide de celle-ci quand Dorian la séduit puis l’abandonne (pp. 11-24) ; et le renversement du pacte à la fin de l’histoire quand Dorian « se suicide » devant son terrible portrait qui, à son tour, reprend les traits originaux du jeune homme innocent et pur que Basil avait voulu éterniser (pp. 25-30). Nous verrons cependant que, tout en restant globalement fidèle à la structure narrative du récit, L’Herbier se permet d’apporter à l’original des modifications assez significatives qui,
dans
l’ensemble,
vont
confirmer
l’hypothèse
d’une
forte
« mélodramatisation » du roman. Concernant la mise en place du pacte (pp. 7-11), nous pouvons remarquer que dans cette version Lord Henry joue le rôle de l’agent provocateur, du diable qui séduit le jeune et naïf Dorian. Le corrupteur mal intentionné lui fait des discours mirobolants sur la possibilité de triompher sur la mort en vivant au-dessus de la loi des hommes et en assouvissant tous ses désirs et ses instincts les plus charnels ; il lui cite la légende de Faust et le Jekyll et Hyde de Robert Louis Stevenson pour étayer son argument. Or, dans le roman, la relation entre Lord Henry et Dorian ressemble plus à une initiation quasi-socratique, voire à une aventure partagée, qu’à une séduction malveillante. Ceci confirme la mélodramatisation du roman dans son adaptation par L’Herbier. En outre, pour expliquer le comportement de « méchant » de Lord Henry, L’Herbier ajoute une motivation
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psychologique totalement absente du roman : nous apprenons que la « haine » qu’éprouve Lord Henry pour Dorian est, en fait, inspirée par un dépit amoureux, la mère de Dorian lui ayant préféré un vulgaire sous-lieutenant de l’armée impériale britannique ! La partie du film portant sur la relation entre Dorian et Sybil Vane (pp. 11-24) occupe presque la moitié du scénario : 14 pages sur 30. Il va sans dire que ce rapport hétérosexuel n’a pas une telle place dans le roman de Wilde. Nous avons déjà remarqué que ce rééquilibrage sentimental et sexuel correspond à une neutralisation des aspects osés ou subversifs de l’original dans l’adaptation filmique de L’Herbier,
peut-être
inspirée,
sur
ce
point,
par
les
conseils
professionnels de Bloch. Cependant, bien que les proportions prises dans le scénario par l’épisode Dorian-Sybil soient hypertrophiées, l’adaptation de L’Herbier est textuellement assez fidèle à l’original, qu’il va jusqu’à paraphraser (pp. 11-13), voire citer (p. 12), par exemple dans les séquences du petit théâtre de l’East End où Sybil joue dans Roméo et Juliette. Nous reconnaissons ici un travail d’adaptation assez classique : l’adaptateur identifie les parties du récit à conserver (et donc celles, majoritaires, à supprimer) ; il condense encore, si nécessaire, l’action (toute la prise de conscience de la métamorphose du tableau tournant autour du rapport Dorian-Sybil) et simplifie les traits physiques et psychologiques des personnages (Dorian étant, dans cette partie, beaucoup plus typé comme « méchant » que dans la partie correspondante du roman) ; il met en valeur les aspects visuels du texte original en substituant la matérialité visuelle du cinéma à la description romanesque et aux interventions
du
narrateur
(par
exemple,
toute
l’évocation
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romanesque des lieux infâmes où traîne Dorian va « passer » dans le décor et les extérieurs du film). Bref, L’Herbier fait ici un bon travail d’adaptation, correct et sans surprise, ce qui justement nous dispense de citer longuement cette partie du document. Quelques remarques pourtant. D’abord, le personnage de Dorian emprunte ici les traits « méchants » de Lord Henry pendant tout cet épisode. C’est lui qui cherche à séduire Sybil, à la seule fin de la « violer » puis de l’humilier devant ses amis riches et célèbres. Nous sommes en plein sadisme populaire du mélodrame victorien – et le personnage de Sybil, déjà fade et stéréotypée chez Wilde, est la victime passive de la violente supériorité masculine. Par contre, L’Herbier semble s’intéresser davantage au personnage du frère de Sybil, James Vane, le matelot hypersensible et jaloux, notamment dans la scène – imaginée par le cinéaste – où, juste après le « viol » de Sybil, le frère hésite à confronter Dorian et ses amis riches et célèbres devant le Café Royal à Londres : Dans la rue, à son étonnement, Sybil a retrouvé James. James ne dit pas un mot. Il a arrêté un cab, y fait monter Sybil inquiète, donne l’adresse. Sybil voudrait qu’il l’accompagnât. Il refuse, reste là, devant la porte, résolu à tout. Dans la grande salle, le groupe des amis de Lord Henry s’est levé, est venu au-devant de Lord Henry et de Dorian. Hommes imposants, d’une élégance sensationnelle. – Femmes célèbres. Officiers.
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À la sortie, James épie, attend. Voici que tout le groupe paraît. Dorian Gray est au centre. Même dans l’ivresse son visage garde un air d’innocence indiscutable. Cela fait hésiter James. Pourtant il se ressaisit, va se jeter vers Dorian. Autre
chose
l’arrête :
tout
le
groupe
est
maintenant
visible,
impressionnant. Que peut-il faire, lui, ce timide adolescent, né du peuple contre tous ces hommes qui dominent la vie, dirigent l’opinion – couronnent le royaume ? Rien. – James, impuissant, voit passer devant lui tout le groupe glorieux. Et Dorian [19] rit sans cesse. James reste là mains dans les poches, – vaincu. L’imagination cinématographique de L’Herbier invente ici une scène hautement visuelle que l’on « voit » très bien à l’écran, introduisant par ailleurs – comme c’est le cas pour l’ouverture chez Lady Brandon – la question de la hiérarchie sociale britannique, laquelle n’intéresse guère en général Wilde, sinon comme prétexte humoristique ou gentiment satirique. La dernière partie du scénario – le dénouement suicidaire et le renversement du pacte diabolique – vaut d’être citée in extenso car les transformations
qu’apporte
L’Herbier
à
l’original
sont
assez
significatives et méritent donc plus d’attention : Dorian Gray a voyagé pendant 15 ans. Pendant 15 ans, autour du monde, il a accumulé des méfaits, et pourtant quand il rentre chez lui, à Londres, son visage n’a pas bougé.
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À la première rencontre c’est ce que remarque son valet qui a vieilli, lui, terriblement et que reconnaît à peine son maître. Le retour de Dorian a été vite connu dans la haute société et il est aussitôt convié à une réception chez Lord Henry. Réception curieuse où toutes les figures vues précédemment se retrouvent considérablement vieillies. Seul Lord Henry dont le visage a quelque chose d’immobile n’a pas trop changé et il salue avec joie le retour de Dorian. Dorian ne se retrouve pas sans une certaine émotion devant ce tableau de Faust qui le frappa le premier jour et quelqu’un ne manque pas de faire la réflexion que si Dorian Gray est resté miraculeusement jeune c’est qu’il a donné son âme au diable. Voici Basil Hallward terriblement courbé, vieilli. Il doit partir le lendemain pour Paris et demande à Dorian d’aller le voir le soir même. Il a une chose grave à lui demander. Dorian accepte. Quelques heures plus tard, la curiosité a poussé Dorian à revoir ces coins terribles de White Chapel où il s’introduisit au commencement de sa perdition. Il entre dans l’un d’eux. On y revoit les mêmes personnages terriblement vieillis. Un homme marche dans Horse Lane. Il est accompagné d’une fille vue jadis avec Dorian. Cet homme c’est James. Dans le cabaret la volonté de Dorian crée une minute de folie. Il a distribué de l’argent. Il fait boire les filles, les fait danser. Il est naturellement acclamé par les bénéficiaires de ses prodigalités. Dans la rue, devant le cabaret, James s’arrête. Il entre avec la femme. C’est la minute culminante de la folie générale, et juste à ce moment Dorian, satisfait de l’horrible spectacle qu’il a sous les yeux, sort vivement. James le voit. Il reste figé. On dirait qu’il a reconnu Dorian. Il se hâte derrière lui accompagné de la femme. Poursuite le long des quais de la Tamise. Poursuite tragique pleine de péripéties. Dorian se sent rejoint. Il n’y a plus qu’à faire face. Il se retourne. Et soudain James hésite. Dorian le défie et fait celui qui ne comprend rien, et d’ailleurs comment lui-même pourrait-il reconnaître James qui est si changé ? Il croit simplement à un malfaiteur. Mais déjà James s’excuse. Il dit : « Pardonnez, j’avais cru que vous étiez ce Dorian Gray dont ma sœur est morte » et il ajoute « mais non il aurait quinze ans de plus que vous ».
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Dorian comprend tout – fait mine de ne pas reconnaître James et, souriant, s’échappe dans la nuit. Mais la femme hors d’haleine a rejoint James. Elle lui crie de loin « C’est lui – c’est Dorian Gray. Je le reconnais bien. C’est par lui que j’en suis où je suis. » Et à ce moment en effet l’on reconnaît dans cette femme fanée l’une de celles qui offrirent leur jeunesse à Dorian dans les premières orgies. James réfléchit et conclut : « Je vengerai Sybil. » * Quand Dorian rentre chez lui, Basil est là, attendant toujours. Dorian ne pensait plus à lui. Basil explique ce qui l’amène. Il a dû attendre ici et il a manqué son train si bien qu’on le croit parti pour Paris et il aurait dû partir – mais il ne voulait pas partir sans demander à Dorian de lui permettre d’emporter pour deux semaines le portrait qu’il a fait de lui. Il veut l’exposer à Paris. C’est son chef d’œuvre. Dorian est tout de suite angoissé. Une telle chose n’est pas possible. De plus elle étonne Dorian. Basil ne dit pas tout ce qu’il pense. Dans les rues James s’oriente, cherche la demeure de Dorian. Basil livre enfin la vérité. Il veut ce portrait parce qu’il estime que Dorian n’est plus digne de le posséder. Il a suivi son existence. Elle est horrible. Il ne veut plus que son œuvre reste là. Il l’emportera. La discussion entre les deux hommes augmente, s’envenime. Dorian résiste à Basil d’abord doucement puis avec irritation. Les vins pris dans le cabaret lui remontent à la tête. Il résiste âprement. D’ailleurs si Basil veut le portrait qu’il le trouve ! Mais Basil se lève, blême, avec un visage qui fait peur et il dit à Dorian « Je sais où vous le cachez. » Dorian ne rit plus, d’autant moins que Basil prend la direction du réduit où est enfermé le portrait. Il l’arrête, le précède, le menace. L’autre comme fou avance. Dorian l’a enfermé dans une pièce. Il veut voir le portrait. Peut-être peut-il le lui donner si… Il entre ; sous la pâle lumière le portrait apparaît maintenant tout à fait monstrueux. Tous les crimes du monde, tous les crimes de Dorian sont là inscrits en rides, en sillons, en plus sur ce visage peint. Avec un cri d’horreur Dorian referme la porte. Mais soudain, par quel artifice, Basil est devant lui.
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(Dehors James est dans la rue où habite Dorian. Il cherche, avance.) Entre Basil et Dorian la lutte est inévitable. Elle doit être sans merci. (Elle sera coupée par l’escalade que James fait du mur de la maison.) Avec une rage farouche Dorian défend l’entrée du réduit où est le portrait. Basil recule peu à peu sous la menace de Dorian et Dorian saisit un couteau. Au moment où James pénètre dans la bibliothèque, Basil toujours aux prises avec Dorian a sorti un revolver. Le coup part. Mais en même temps le couteau de Dorian s’est enfoncé dans la gorge de Basil. Basil roule. À la stupéfaction de Dorian il y a dans la bibliothèque devant la vitre enfoncée un autre corps qui s’effondre. Celui de James atteint par le revolver. Dorian voit la scène, en comprend la portée, reconnaît James – songe à se sauver, revient, fouille James, trouve sur lui des choses sans importance puis un couteau, puis un billet. Il saisit ce billet qui porte son nom, rapidement arrange le drame, souille le couteau de James, fait disparaître l’autre, s’en va dans son lavabo, se lave les mains en souriant innocemment dans sa glace à son image parfaitement belle. * L’enquête a conclu à la lutte mortelle de Basil contre un voleur introduit chez son ami. Dorian pourrait poursuivre son effroyable vie mais quelque chose l’oppresse, le domine qui ressemble au remords. Le billet qu’il a trouvé sur James l’a frappé. C’est le dernier vœu de cette triste victime de la cruauté de Dorian. C’est une dernière pensée d’amour pour lui. Pourtant Dorian va le soir à un souper au Café Royal mais au milieu de son ivresse le remords devient plus précis, plus pressant. Partout dans ce salon où il pose son regard, il trouve la présence d’un fantôme, celui de la délicieuse Sybil. Les femmes qu’il a à son côté ne s’aperçoivent de rien. Elles rient bêtement. Ce sont de grandes dames déjà vues chez Lady Brandon et qui sont outrageusement vieillies pour la plupart et ridicules. Dorian est de plus en plus oppressé par la présence visible pour lui seul de ce fantôme. Le fantôme vit, agit, pleure, revit la fameuse scène. Dorian n’y tient plus et comme à ce moment Lord Henry paraît, il se jette contre lui, il le saisit à la gorge, il l’injurie. C’est par ses conseils monstrueux qu’est venu tout le mal. C’est lui le criminel. Lord Henry recule. Une sorte de lutte a lieu entre les deux hommes, puis Dorian qui a frappé comme un fou sort laissant Lord Henry mal en point. Il court chez lui, arrive dans la bibliothèque, relit le douloureux message d’amour et de pardon que Sybil lui a laissé avant de partir pour toujours. Il devient peu à peu un
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autre homme, le jeune homme de jadis à la conscience saine. Il se voit dans sa glace et le visage de jeune homme immuable qui est le sien le dégoûte. Il brise la glace. Il va dans le réduit où est le portrait, le saisit, l’amène dans la bibliothèque, le place en grande lumière, le fixe. Non, décidément, ce n’est pas juste que ce portrait porte seul les tares qu’il devrait avoir lui, Dorian, sur son propre visage vivant. Ce portrait lui a volé sa conscience. Il doit la lui reprendre ; et peu à peu Dorian saisissant un instrument se met dans sa folie à creuser dans son visage les rides, les marques qui sont sur le portrait. Et à mesure qu’il le fait, le portrait, féériquement, semble se guérir des mêmes traces ; elles disparaissent ainsi peu à peu, une à une de la toile. À présent elles sont toutes sur le visage de Dorian. Dorian est ressuscité à lui-même et sur son visage ridé, fané, glissent les douces larmes du repentir. Mais Dorian a poussé son arme bien loin. Il s’effondre devant le portrait radieux. * Un peu plus tard, le domestique a trouvé Dorian le visage déformé gisant mort devant le portrait. Il l’a à peine reconnu. Il l’a porté sur son lit. Près de Dorian sur le tapis il y avait l’instrument sanglant et aussi le billet de Sybil. Pendant que Dorian repose, le domestique lit lentement le billet d’amour de pardon. À chaque phrase qu’il lit le visage de Dorian Gray mort semble se détendre, reprendre peu à peu son expression sereine. Au dernier mot et tandis que le domestique s’effondre en larmes, le visage de Dorian près duquel se sur-imprime celui de Sybil semble avoir retrouvé son vrai cœur, sa vraie âme. Deux choses peuvent être relevées. D’une part L’Herbier garde les moments forts de la narration originale, notamment l’épisode de « reconnaissance » dans le cabaret de Whitechapel et la réapparition de James Vane. Le scénariste travaille même dans le sens de l’intensification de l’action en faisant intervenir le personnage de Basil Hallward en amont du départ de Dorian pour l’East End, tandis que, dans le roman, la rencontre fortuite et fatale des deux hommes arrive plus tard dans l’histoire et forme un épisode à part. Sans aller jusqu’à dire que L’Herbier « améliore » le récit de Wilde – ce qui ne serait pas
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du tout déshonorant pour un écrivain que même ses admirateurs inconditionnels n’ont jamais présenté comme un grand raconteur à la Stevenson – on peut affirmer que la narration scénaristique est ici plus efficace et plus dynamique que celle des mêmes événements dans le roman. De même, L’Herbier fait une véritable trouvaille narrative avec l’idée de la mort accidentelle de James qui servira d’écran au meurtre de Basil, car, dans le roman, le frère de Sybil meurt bel et bien d’un accident, mais il s’agit d’un accident de chasse, ce qui nécessite, au niveau de la narration, tout un détour par la résidence à la campagne de Dorian, prétexte comme toujours chez Wilde à des dialogues brillants et satiriques aux dépens de l’efficacité dramatique. Si ces quelques changements rendent plutôt service à la narration un peu lente et alambiquée du roman, en revanche l’autre modification majeure que L’Herbier apporte à cette dernière partie de l’histoire est presque une dénaturation de la forme et du sens de l’original. L’idée du « billet » de Sybil que Dorian retrouve sur le corps de
James
dénouement
est
une
astuce
qui
« supplémentaire »,
va
après
permettre celui
du
l’insertion suicide,
d’un lequel
transforme totalement la fin de l’histoire. Là où l’original se termine sur l’image des domestiques effrayés qui ne reconnaissent leur maître défiguré que grâce aux bagues précieuses qu’il portait aux doigts – un tableau guère réjouissant sur le plan esthétique et moralement sans espoir – c’est au contraire une véritable scène de rédemption par l’amour et le sacrifice, issue d’un pur mélodrame moralement édifiant, que L’Herbier impose à la fin du scénario : on imagine bien le regard embué de larmes du domestique se fondant en double surimpression des visages de Dorian et de Sybil retrouvés par-delà la mort !
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Cette réécriture du dénouement allant dans un sens de moralité chrétienne s’accompagne d’une normalisation des relations sexuelles, recentrées sur le couple hétérosexuel, là où, dans son roman, Wilde nous donne une image très moderne de l’énergie (homo-) sexuelle comme (auto-) conflagration, sans limite et sans appel. Wilde retrouve la parole : « … le film n’accepterait plus de se taire …» Les scénarios B et C datent vraisemblablement des années 1930. Nous n’en avons pas de preuve matérielle, puisque les deux documents ne portent pas de dates. Mais une simple lecture des textes nous confirme qu’ils ont été rédigés en vue d’un film parlant. Dans notre précédente étude, nous avons documenté les nombreuses tentatives que L’Herbier a menées, tout au long des années 1930, mais surtout entre 1929 et 1933, pour monter une production du Portrait du Dorian Gray, en collaboration avec des producteurs en France, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis1. Il y a donc de fortes chances que les scénarios B et C datent de cette période. (Notons en passant que, dans les archives, il existe aussi une version anglaise du scénario B, émanant sans doute d’une de ces tentatives malheureuses). Matériellement, les deux documents se ressemblent beaucoup. Le scénario B est plus long (48 pages, 9 440 mots) que le scénario C (26 pages, 7 950 mots), mais selon nos évaluations les scénarios sont à 55 % textuellement identiques ; à 30 % très similaires en termes de contenu narratif et thématique sans être textuellement identiques ; et seulement à 15 % très différents, en termes de contenu narratif et thématique, ainsi qu’au niveau textuel. 1
Michael Temple, ibid., pp. 163-167. Michael Temple, ibid., pp. 163-167.
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Suite à une lecture parallèle de ces deux documents, il serait tentant d’avancer l’hypothèse que le scénario C soit une version condensée et peaufinée du scénario B. En effet, le scénario B garde encore quelques traces du scénario A, le paraphrasant ou en reproduisant même parfois des passages, tandis que le scénario C s’éloigne de plus en plus de la version « muette ». Sur le plan stylistique, les scénarios B et C deviennent progressivement moins mélodramatiques que le A. Dans B, le personnage de Lord Henry, par exemple, est déjà plus nuancé, s’éloignant du stéréotype du « méchant » ; dans l’ouverture de C, il disparaît entièrement, laissant la place au couple Basil-Dorian, et ne faisant sa première apparition que dans la scène suivante, chez Hallward, exactement comme dans le roman. Dans C, Lord Henry est beaucoup plus proche du personnage conçu par Wilde, c’est-à-dire un dandy certes cynique et un peu pervers, mais qui n’est pas du tout malintentionné envers Dorian. Deuxièmement, nous constatons que C vise à une narration plus efficace, plus rapide, que B, en simplifiant le récit, en cherchant des lignes
narratives
plus
directes,
voire
en
supprimant
certains
passages. Troisièmement, les deux scénarios parlants, mais C encore davantage que B, restent beaucoup plus fidèles au texte de Wilde que n’est le scénario « muet ». En fait, L’Herbier se contente parfois de recopier des passages du roman, surtout pour ce qui concerne les dialogues du célèbre « wit » irlandais. Ceci n’est guère surprenant, quand on considère que l’écriture de Wilde est surtout connue pour la pensée paradoxale et l’humour subversif de ses dialogues, quel que soit le genre littéraire qu’il pratique d’ailleurs – roman, nouvelle, pièce de théâtre, critique littéraire ou essai politique… La démarche scénaristique de L’Herbier, pour la version sonore du Portrait de
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Dorian Gray, n’est que bon sens, pourrait-on dire : identifier et préserver les grandes lignes de l’histoire, laquelle est, en fait, très simple, plutôt fable que roman ; garder fidèlement les traits psychologiques majeurs des personnages principaux en maintenant une dynamique équilibrée entre les quatre pôles dramatiques du récit (Dorian, Basil, Lord Henry et Sybil) ; condenser, voire supprimer, tout ce qui est trop descriptif ou lyrique dans le texte original, en faisant confiance à la puissance évocatrice du cinéma dans sa spécificité visuelle que L’Herbier, en tant qu’artiste du muet, connaissait mieux que quiconque ; enfin mettre en valeur au maximum les qualités de Wilde que le cinéma muet justement n’aurait jamais pu rendre de manière satisfaisante – les échanges rapides entre personnages, les jeux de mots et d’idées, les formules paradoxales, les sous-entendus sexuels, bref tous les feux d’artifice de ce brillant dialoguiste de théâtre du boulevard qui aurait pu se convertir sans doute en excellent scénariste de cinéma… après le passage au parlant. Une mise en parallèle des fins respectives des scénarios B et C devrait suffire à illustrer notre argument, puisque nous ne pouvons évidemment reproduire ces documents en entier. D’abord la version B (pp. 39-43) : On retrouve Dorian Gray chez lui. Il joue du piano avec une émotion intense. Lord Henry est non loin de lui. Quand Dorian Gray a fini, Lord Henry le complimente. – Vous n’avez jamais joué avec plus d’expression que ce soir, mon cher Dorian. – C’est l’effet des bonnes résolutions que j’ai prises. – Lesquelles ? – Changer, devenir un autre, faire le bien. Et tenez, aujourd’hui, pour la première fois, je suis sûr d’avoir résisté au péché, d’avoir senti la miséricorde dans mon âme…
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Et quelque chose de très pur passe dans les yeux de Dorian Gray quand il dit ces mots. – Prenez garde, ricane Lord Henry. Un bienfait n’est jamais perdu. Je veux dire qu’il se retourne toujours contre nous ! (Un instant, à l’extérieur de la maison de Dorian Gray, on aperçoit l’ombre de James Vane – il se glisse dans une encoignure. Puis commence d’escalader le mur de côté.) Mais Dorian Gray est grave. Il prend très mal les plaisanteries de son ami. – Taisez-vous, Henry. Voici assez longtemps que vous dirigez ma vie… Je vous dis qu’il y a en moi quelque chose de changé. Comment vous expliquer ? Vous ne me croyez pas… Vous ne croyez rien. Et pourtant, c’est vrai, j’ai revu Sybil Vane, ce soir, dans un éclair… Elle a arrêté ma main. Elle m’a écarté d’un acte ignoble. J’ai changé… Je vous dis que j’ai changé… Et il ajoute en s’exaltant : « Je suis sûr, même, que c’est déjà visible… que je vais pouvoir le constater… » Lord Henry croit que son ami devient fou et tente de changer de conversation. – À propos… avez-vous eu des nouvelles de Basil. Il est à Paris, n’est-ce pas ? - Ne me parlez pas de Basil… réplique furieusement Dorian. Lui aussi il a influencé ma vie… Tout cela est fini… Peu à peu tout s’effacera, crie-t-il, en pensant au tableau. Tout rentrera dans l’ordre… Je serai libre… * La silhouette de James Vane apparaît au deuxième étage, à la hauteur de la fameuse pièce où est rangé le portrait. * Lord Henry avant de prendre congé dit à Dorian dont le visage est tendu dans une expression mystique : « En tout cas, vous ne sauriez changer à mon égard, Dorian. Vous savez que j’ai toujours voulu votre bonheur. » Mais Dorian Gray ne le regarde même pas et le laisse partir sans lui dire un mot, sans lui tendre la main.
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Dès que la porte est refermée, Dorian Gray court au 2e étage voir s’il peut constater quelque adoucissement de ses traits sur le portrait. Un cri de douleur et de rage lui échappe… Aucun changement n’est visible, il est, au contraire, plus repoussant encore et la tache écarlate qui souillait la main semble briller davantage et mieux figurer un sang frais répandu. Dorian se met à trembler en constatant que, sur les pieds aussi, des gouttes de sang sont tombées. Dorian prend en terrible haine ce portrait-miroir. Il ricane en regardant autour de lui et aperçoit le couteau dont il a frappé Basil. L’arme, nettoyée, luit, nette, étincelante. Il menace le portrait, lève le bras, l’abaisse. Au même moment un coup de feu claque. Un cri déchirant se fait entendre, puis de dos, on voit Dorian Gray s’écrouler. Un revolver, jeté de l’extérieur, tombe à côté de lui. L’horreur de ce cri est telle que…. * – le valet de chambre s’éveille, effrayé, dans son lit * Deux gentlemen traversant la rue lèvent, interdits, les yeux vers la belle demeure. Un policeman passe. « À qui appartient cette maison, constable ? », demande le plus âgé. « À Mr Dorian Gray » répond le policeman. Les deux passants échangent un regard et s’éloignent en souriant. * Par le jardin une ombre fuit ; James Vane. * Les domestiques, habillés en hâte, sont en train de forcer la porte, la gouvernante pleure. La porte cède et… * …. ils se trouvent devant le portrait de leur maître dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa merveilleuse beauté. Sur le plancher, un homme en habit de soirée gît.
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Le sang coule du cœur sur son plastron. Son visage est flétri, ridé, repoussant. Sa main semble presque posée sur l’arme jetée près de lui. * On porte sur son lit le cadavre d’un homme qui, en un instant, a vieilli miraculeusement de 20 ans. Personne ne parvient à le reconnaître. La vieille gouvernante en doute tout haut à travers ses sanglots : « Ce n’est pas lui… ce n’est pas lui… » Mais le vieux domestique regarde les mains boursouflées du mort… Aux doigts sanglants brillent bien les bagues fameuses de Dorian Gray… FIN * Dans cette dernière version, on peut noter que L’Herbier oublie de justifier la présence de James, qui va pourtant abattre Dorian d’un coup
de
revolver…
Sans
doute
aurait-il
corrigé
cette
erreur
scénaristique si le film avait été tourné. Ce qui frappe dans les deux versions « parlantes », c’est que L’Herbier abandonne la tentative de « sauver » Dorian à la fin de l’histoire, comme il l’a fait pour la version « muette ». Il se contente d’introduire un élément de moralisation dans le film en « punissant » Dorian via la vengeance de James Vane au nom de sa sœur Sybil. Mais la fin du film aurait tout de même semblé assez « difficile » et trop pessimiste aux producteurs et au public de l’époque. Est-ce en fin de compte cette plus grande fidélité de L’Herbier à Wilde qui rendit inacceptables ses projets du Portrait de Dorian Gray dans les années 1929-1933 et au-delà ? Dans les années 1920, L’Herbier souhaitait sans doute se conformer à un canon de l’époque en transformant le récit en un mélodrame s’achevant sur un
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certain conformisme moral – comme il l’avait fait dans plusieurs de ses films antérieurs (l’Homme du large, El Dorado…) – afin de rendre acceptable l’ouvrage sulfureux d’un artiste scandaleux… Il était par ailleurs difficile d’imaginer comment, dans un film muet, on pouvait rester fidèle au texte d’un roman étant donné l’importance des dialogues wildiens. Dans un premier temps, L’Herbier semble avoir choisi de focaliser son propos sur les dimensions mythiques (Faust) et fantastiques (Jekyll et Hyde) de l’histoire, tout en suivant les conseils du producteur Noé Bloch quant aux contraintes morales et formelles à respecter pour sauvegarder les chances commerciales du projet. Mais après le passage au parlant, il a momentanément vu dans ce même Portrait de Dorian Gray la possibilité de faire un film qui offrirait de riches pistes d’invention visuelle et plastique, tout en ouvrant la voie vers un cinéma neuf, moderne, où la parole serait audacieuse, poétique. C’est en tout cas ce que laisse entendre le cinéaste dans ses mémoires, quand il évoque, en quelques paragraphes, le triste sort de son
projet
de
prédilection
pendant plusieurs décennies. Laissons-lui le dernier mot. De jour en jour et de plus en plus il était devenu évident [en 1929] que la bataille du muet était perdue : le film n’accepterait plus de se taire […] En remontant dans mes archives jusqu’en 1924, je retrouvais, comme par miracle, ce conte métaphysique de renommée mondiale et d’un symbolisme fantasmagorique dont j’avais fait l’adaptation sans parvenir à la réaliser encore. En la relisant maintenant avec une attention autrement orientée, elle me paraissait convenir exceptionnellement – disons même prodigieusement – au film cent pour cent parlant et pourtant cent pour cent
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muet dont je m’étais mis à rêver – comme d’une bouée de sauvetage – et qui aurait seul pu doter, dans ma prévision profonde, l’art cinéphonique naissant d’une œuvre type, qui fut union de silence avec un verbe de pure spécificité filmique, et non de « clichés de vaudeville et de mélodrame », à travers une fiction aussi largement captivante pour l’esprit supérieur que pour le cœur moyen. Ce trésor que j’avais dû négliger par impossibilité de l’imposer aux argentiers et qui semblait aujourd’hui me tomber des nues était cet incomparable Wilde : le Portrait de Dorian Gray […] Avec le Portrait de Dorian Gray il y avait une grande place pour un jeu de phantasmes qui supposait le silence. Mais il y avait par contre, et notamment dans les paradoxes ravageurs de Lord Henry Wotton, une place primordiale pour la parole – la parole se trouvant, là, à la hauteur des images les plus stylisées.1 Michael Temple Michael Temple Michael Temple, Reader in Film and Media, Birkbeck, University of London. Parmi les publications dont il est l’auteur ou auxquelles il a contribué: The Cinema Alone: Essays on the Work of Jean-Luc Godard 1985-2000 (2001); For Ever Godard (2004-2007); The French Cinema Book
(2004-2007);
Jean
Vigo
(2005-2011);
Jean-Luc
Godard:
Documents (2006). http://www.bbk.ac.uk/culture/our-staff/michael-temple
Référence électronique Michael Temple, « « Cet incomparable Wilde » : étude de trois scénarios de Marcel L’Herbier pour l’adaptation du Portrait de Dorian Gray », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 64 | 2011, mis en ligne le 01 septembre 2014, consulté le 17 novembre 2015. URL : http://1895.revues.org/4395 1
Marcel L’Herbier, la Tête qui tourne, op. cit., pp. 183-184.
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1895 – Revue de l’association française de recherche sur le cinéma. * NB : En 1921, Marcel L’Herbier produira « Villa Destin», une parodie faisant allusion à Oscar Wilde (son héroïne s’appelle Rosy Vane, par exemple).
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8 - Quelques étapes italiennes Vues d’hier et d’aujourd’hui
Photos : Eleonora Nesi1 Texte - Danielle Guérin-Rose En 1875, à la fin de sa première année Oxfordienne, Oscar, pendant l’été, voyage en Italie. Il visitera Florence, passera à Bologne et Venise. Avec son ancien professeur de Trinity College, John Mahaffy, il ira à Padoue, Vérone et Milan, puis Oscar rentrera à Paris où sa mère l’attend. Fin mars 1877, toujours avec John Mahaffy, le voici, en route pour la Grèce, avec un crochet par Gênes, Ravenne (qui lui inspirera son poème « Ravenna »)2, et Brindisi. Mahaffy, qui craint sa conversion au catholicisme, n’a pas voulu qu’il aille à Rome. Mais il s’y arrête tout de même sur le chemin du retour, comme il le raconte à sa mère, en avril 1877 : « Ma chère maman, Je suis à Rome, cité des saints et des martyrs ! Je reviens tout juste du cimetière protestant où je me suis recueilli sur la tombe d’ «un jeune poète anglais », John Keats. (…) C’est pour moi le lieu le plus sacré de Rome. »
1 Les photos actuelles ont été prises par Eleonora Nesi. Les photos anciennes ont été fournies par elle. 2 « Nous sommes allés d’abord à Gênes, belle ville aux palais de marbre qui domine la mer, puis à Ravenne, qui est extrêmement intéressante à cause de ses vieilles églises chrétiennes d’un âge fabuleux et de ses merveilleuses mosaïques du IVe siècle’ – lettre au révérend H .R. Bramley, 2 avril 1877, Corfou – Lettres d’Oscar Wilde – Gallimard – 1966 et 1994 – p.50 – Outre Mahaffy, il était accompagné dans ce voyage par son ami Goulding et George MacMillan.
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Tombe de Keats à Rome1
Il séjourne alors à l’hôtel d’Inghilterra (Hôtel d’Angleterre), où il a rejoint ses amis Ward et Hunter Blair. Celui-ci, qui devait devenir abbé bénédictin, lui obtint une audience avec le pape.
1
Cette photo n’est pas d’Eleonora Nesi
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Avant sa chute, Wilde ne retournera qu’une fois en Italie, en mai 1894, à Florence, où il rencontrera Gide qui écrira à sa mère : « Qui rencontrai-je ici ? Oscar Wilde !! Il est vieilli et laid, mais toujours extraordinaire conteur, un peu, je pense comme Baudelaire a dû l’être, - mais peut-être moins aigu et plus charmant. Il n’est plus ici que pour un jour et, quittant un appartement qu’il avait loué pour un mois et dont il n’avait profité que quinze jours, il m’en offrait aimablement la succession ». Ce n’est pas avant les ultimes années de sa vie que Wilde fera ses derniers périples en Italie, et d’abord à Naples (après une journée passée à Gênes), où il arrive avec Bosie en septembre 1897. Il s’installe en premier lieu à l’Hôtel Royal des étrangers. Ayant été reconstruit en 1955, il existe aujourd’hui sous le nom d’hôtel Royal Continental.
À l’époque de Wilde
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Aujourd’hui. Hôtel Royal Continental
« Nous espérons trouver une petite villa ou un appartement » écrit-il de cet hôtel à son ami Robbie Ross, le 21 septembre 1897. Ce sera la villa Giudice, sur la colline du Posillippo.
La colline du Posillipo autrefois
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Aujourd’hui
« Nous avons une adorable villa sur la mer et un excellent piano », écrit-il à Robbie, le 1er octobre 1897.
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En octobre 1897, Bosie et Oscar passèrent trois jours à Capri, où Wilde voulait aller fleurir la tombe de l’empereur Tibère. Ils s’installèrent à l’hôtel Quisisana, un des plus fameux établissements de l’île.
Albergo Quisisana – Capri
Bosie et Oscar étaient arrivés au Quisisana le 15 octobre, mais le lendemain, l’écrivain et médecin suédois Axel Munthe les rencontra tous deux dans la rue, assez déprimés. La veille au soir, le
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propriétaire de l’hôtel était venu les voir, embarrassé, tandis qu’ils dînaient, et les avait priés d’aller se faire servir ailleurs. Ils avaient été reconnus par un citoyen britannique qui n’avait pu tolérer leur présence. Le second asile où ils s’étaient réfugiés n’avait pas été plus accueillant. « Ils m’ont refusé le pain » dit Wilde à Axel Munthe, qui les invita aussitôt dans sa magnifique Ville San Michele, alors qu’ils projetaient de quitter Capri et de rentrer à Naples. Wilde y resta jusqu’au 18 octobre tandis que Bosie s’y attardait encore quelques jours. “Bosie est à Capri. J’en suis revenu hier, pour fuir le sirocco et la pluie. Il dine avec Mrs. Snow. Nous avons tous deux déjeuné avec le Dr. Munthe, qui possède une villa ravissante et qui est un grand connaisseur en art grec. C’est une personnalité prodigieuse.”1
Villa San Michele - À l’époque d’Oscar
1
Lettre à Robbie Ross – 19 octobre 1897
Aujourd’hui
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Cuisine de la Villa San Michele – hier
Aujourd’hui
Villa San Michele
Sphinge de la Villa San Michele
Le 3 décembre 1897, Douglas, désargenté, obéissait aux injonctions de sa mère et quittait Naples et Wilde, qui s’en alla à Taormine chez le baron Wilhelm von Gloeden, photographe connu pour ses nus masculins, avant de regagner Naples où il découvrit qu’un domestique lui avait volé ses vêtements. Découragé par ce nouveau revers de fortune, il déménagea pour un logis moins coûteux, au 31, via Santa Lucia.
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Le 13 février 1898, il partait pour Paris où il allait finir sa vie. En avril 1899, cependant, quittant la Suisse où il séjournait à Gland, chez Harold Mellor, il se rendit à Gênes, et s’installa à l’Albergo di Firenze, une petite auberge située sur les quais, dans un endroit assez mal famé. Après avoir visité la tombe de Constance, il émigra au Restaurante Christofero Colombo, à Santa Margarita Ligure, d’où il visita Rapallo et Portofino, puis, se sentant seul, il rentra à Paris. L’ultime voyage de Wilde en Italie aura lieu l’année de sa mort. Le 2 avril 1900, il arrive à Palerme, où l’a invité Harold Mellor. Il y restera huit jours, repassera par Naples, où il demeurera trois jours, avant de gagner Rome le Jeudi Saint. Il se fera plusieurs fois bénir par le pape Léon XIII. « Comment avais-je obtenu mon billet d’entrée ? Par un miracle, cela va de soi. Je pensais qu’il était inutile d’en demander et je ne fis aucun effort en ce sens. Mais, samedi, à 5 heures de l’après-midi, Harold et moi allâmes prendre le thé à l’hôtel de l’Europe […] un homme […] vint me demander s’il me plairait de voir le pape le jour de Pâques. Humblement, je baissai la tête et murmurai : « Non sum dignus », ou des mots analogues. Aussitôt, il m’offrit un billet !1 Le jour de Pâques, il assista aux Vêpres à Saint-Jean de Latran, et les jours suivants, visita le Palais Doria pour admirer le portait d’Innocent par Velasquez, et le faune de marbre du Musée du Capitole. Il visita aussi les jardins et les musées du Vatican, ainsi que la villa Borghèse. 1
Lettre à Robbie Ross – 16 avril 1900
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Hôtel de l’Europe
Ex Hôtel de l’Europe – Aujourd’hui Maison Valentino
Oscar devait passer huit jours à Rome. C’est de là que datent ses dernières
photographies,
dont
il
nous
reste
exemplaires. Sept mois plus tard, il était mort.
seulement
trois
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Oscar Wilde. St. Peter's Square – Rome
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9 – Témoignage d’époque Souvenirs de Graham Greene Pendant les vacances de Noël 1897/1898 (ou peut-être en février 1898), le père de Graham Greene rencontra à Naples un inconnu qui vint s’asseoir à leur table et qui s’avéra être Oscar Wilde : « Parfois il [mon père] s’accordait des vacances d’hiver en Egypte, en France ou en Italie, seul avec un ami, M.George, principal comme lui […] Une fois – c’était à Naples – ils firent une curieuse rencontre. Un inconnu, les entendant s’exprimer en anglais, leur demanda s’il pouvait se joindre à eux, à la table où ils prenaient le café. Il y avait quelque chose de familier et, pour eux, de vaguement déplaisant dans le visage de cet homme ; mais il les tint sous le charme de sa conversation et de son esprit, plus d’une heure, avant de leur dire au revoir. Ils n’échangèrent pas de noms, même en se séparant, et il les laissa payer sa consommation, qui n’avait sûrement rien d’une tasse de café. Il leur fallut un bon moment pour que l’identité de ce compagnon leur revînt. L’inconnu était en réalité Oscar Wilde, sorti depuis peu de prison. Racontant cette histoire, chaque fois mon père concluait : « Pensez à ce que devait être la solitude de cet homme, pour qu’il ait gaspillé tant de temps et d’esprit à faire des frais à deux maîtres d’école ! » Jamais il ne lui vint à l’idée que Wilde avait payé sa consommation avec la seule monnaie qu’il eût à sa disposition. » Graham GREENE, « Une Sorte de Vie », autobiographie, 1971
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10 - Oscar Wilde : La crypte et le fantôme par Christian MORRIS Un fantôme a besoin d’une crypte pour s’abriter dans la nuit de l’Inconscient. La crypte est inclusion dans le moi. Au moment du deuil, précoce et/ou brutal, l’objet d’amour a été introjecté, le temps qu’une alchimie sépare ce qui appartient au sujet de ce qui appartient à l’autre. Quelquefois ingestion, digestion, élimination ne peuvent s’accomplir. Alors l’introjection se fait incorporation. Dans les actes, les rêves, l’écriture du sujet, l’autre agit sur le mode du fantasme. La crypte, nostalgie d’un vide, est interne au sujet. Le fantôme vient de l’inconscient d’un autre. Il nidifie dans la crypte ou erre de crypte en crypte. Le fantôme-vampire, interdit de mort, erre la nuit, et mord de ses deux dents (dedans) dans nos dehors. Je découvrais la clinique initiée par Nicolas Abraham et Maria Torok. Je lisais leur filiation d’esprit chez Claude Nachin, Didier Dumas, Serge Tisseron, Pascal Hachet et bien d’autres. Danielle, mon épouse, écrivait une biographie d’Oscar Wilde. Un ouvrage de Sylvette GendreDusuzeau « Oscar Wilde – Père j’ai mal à l’oreille » fit le lien. Je partis en quête de la crypte et du fantôme d’Oscar Wilde dans l’énoncé de sa vie, la thématique et le « Verbier » de ses œuvres.
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Les parents de l’écrivain ont eu trois enfants : William (1852), Oscar (1854), Isola (1857). Ajoutons trois enfants illégitimes du père : Henry Wilson (1836 ou 1838), Emily (1847), Mary (1849). Des drames répétés (effets fantômes ?) atteignent la famille en plein cœur : 1864 : Mary Travers, jeune patiente du père, médecin, l’accuse de viol ; procès retentissant. 1867 : Isola, petite sœur d’Oscar, meurt brutalement d’une fièvre à neuf ans. Aux cris de chagrin du père, Oscar répond par une profonde mélancolie. Inconscient contre inconscient, peine contre peine. *La crypte objet : Toute sa vie, Oscar conservera par devers lui une enveloppe sacralisée contenant une mèche de cheveux d’Isola. *La crypte-poésie : « Requiescat », un poème de Wilde, évoque la crypte au sein du moi : « Cercueil en planches, pesante pierre, écrasent sa poitrine, Abandonné, mon cœur se désole, Elle repose. Silence ! Silence ! Elle ne peut entendre la lyre ni le sonnet, Toute ma vie est enterrée ici, Entassez de la terre dessus. » Chagrin du père contre chagrin du fils, le généalogique fait retour. Le fantôme s’éveille. Quel fantôme ?
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1871 : Emily et Mary, demi-sœurs d’Oscar, meurent atrocement brûlées à 22 et 24 ans. Trop près de la cheminée. Dans « Le fantôme de Canterville » d’Oscar Wilde, le spectre fait apparaitre, chaque matin, une tache de sang devant la cheminée du salon. Quelle tache ? Six enfants Wilde sont dans un bateau, trois filles tombent à l’eau. Pourquoi ? Le fantôme a-t-il son dû ? William, chirurgien, spécialiste de la vue et de l’ouïe est anobli « intuitu personae », non pour sa descendance. Oscar le fils, au sommet de son imagination, semble inventer sa propre vie, loin, semble-t-il, des images parentales. Causeur, esthète, écrivain, poète, il symbolisera pourtant sur les miroirs et les portraits, les doubles et les fantômes, les sphinx, les secrets. Isola dort sur son « île », et ils restent en présence, le père et le fils, peines refoulées, encryptées. 1876 : William, le père, meurt. 1877 : Henry, le fils illégitime, le suit. Dans un héritage-chantage, Henry lèse Oscar, le sommant de renoncer à ses penchants catholiques, qui offensent la religion paternelle protestante. A la conception d’Henry, William avait 22 ans. A son décès, Oscar a 22 ans. Retour du généalogique ? La libido d’Oscar réinvente la vie : 1884, il épouse Constance. Deux garçons naissent. Les filles ne sont pas remontées sur le bateau.
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1886 : Oscar rencontre Robert Ross, son premier amant. Il restera le double fidèle de l’ombre, faisant mêler ses cendres à celles d’Oscar dans le tombeau du Père-Lachaise, veillé par le « Sphinx » d’Epstein. 1887 : Première histoire de l’écrivain : « Le fantôme de Canterville ». Quel fantôme ? Justement, il se réveille. 1891 : Il prend les traits faustiens de Lord Alfred Douglas, dans sa 22ème année (!!!) Cet amant terrible va entraîner Wilde dans la lutte entre un fils (luimême) et son père. Trois procès pour la pseudo victoire absurde d’un père marquis « reniant » sur un fils renégat. Oscar en fera les frais, encrypté dans une geôle pendant deux ans pour homosexualité. Pour Wilde, « L’Amour qui n’ose pas dire son nom... », c’est cette immense affection d’un homme mûr pour un autre plus jeune. » Un père ? Ce n’est pas l’homosexualité qui jette Wilde en prison, c’est une lutte mythique de l’inconscient familial qui oppose le père et le fils, une lutte pour le oui ou le non au nom, le nom du père. Dans l’exil de France, Oscar sera Sebastian, et Wilde Melmoth, Sebastian Melmoth – S M – comme Soufre Mercure que l’alchimiste maçon Oscar Wilde essaie en vain de marier dans une impossible alchimie. De n’entendre le nom du père transmis de bouche à oreille par la tradition orale, l’inconscient invente le symptôme de l’oreille et WildeMelmoth meurt d’une infection à cette même oreille que le père, spécialiste de l’oreille, n’a pu soigner.
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Sylvette Legendre-Dusuzeau y voit la conséquente somatisation du secret autour de la filiation du demi-frère Henry Wilson. Mais est-ce vraiment un secret ? Et n’est-il pas trop neuf (une demi-génération) au regard des effets de la hantise ? Ce « mystère » pourrait ne constituer que la « réplique » d’un « épicentre » transgénérationnel situé en amont. A l’appui de cette thèse, considérons que, par son choix professionnel, William, le père, symbolise déjà sur la nécessité de soigner les yeux et les oreilles. A la génération précédente, Thomas, le grand-père, était déjà médecin. Par son intérêt pour l’archéologie et les mythes et légendes, William, le père, symbolise sur la recherche du passé. Il est temps d’entrer dans le manoir des Canterville pour y chercher, selon le terme de Serge Tisseron, « les suintements du secret ». Une famille américaine (les héritiers) acquiert dans la vieille Angleterre (les ancêtres) un manoir hanté par un fantôme. Le nom de l’acquéreur, Hiram Otis, renvoie à la branche paternelle : Hiram est le héros de la mythologie maçonnique. L’initiation maçonnique est avérée pour William et Oscar. Hiram est le roi de Tyr, site où William poursuivit des recherches archéologiques, pendant la gestation de son fils illégitime. Otis renvoie aux troubles de l’oreille (Otitis = Otite) et à l’intérêt hypnotique du monde intérieur (Autist = Autiste). Le gardien du seuil : Les « héritiers » sont accueillis par Mrs Umney, la gouvernante. Elle a servi le vendeur ; elle servira l’acheteur. Elle
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s’évanouit au premier effet-fantôme, un éclair (ne pas voir) et un coup de tonnerre (ne pas entendre). Son nom, une fois décodé, lève le mystère : UM-NEY = NEY-UM = NAME (le nom). Poursuivons : « Cela fait trois siècles qu’il (le fantôme) se manifeste… et qu’il apparait ponctuellement avant chaque mort dans notre famille. » « Eh bien, il en va de même du médecin de famille, ne l’oubliez pas, Lord Canterville. » Fantôme = médecin, mais lequel, père ou grand-père ? La clef : Jonas sans tombe ou le voleur de cadavres de Chertsey Barn est un des rôles interprétés par le fantôme. Il y porte « Un épais cache-nez rouge autour du cou pour se protéger des courants d’air… » Thomas Wilde, le grand-père, fit le voyage du domicile de ses parents au lieu de ses études « accompagné d’un cadavre obtenu d’une manière ou d’une autre en Irlande pour payer ses études ». Dans « A victorian doctor », il est ainsi croqué : « Chandail et hautes guêtres, ainsi qu’un cache-nez rouge qui lui dissimulait la moitié du nez… » Le fantôme de la problématique du nom et de sa transmission chez les Wilde aurait sa source à la génération de Thomas, le grand-père. Trois frères Wilde y sont en présence, en symétrie avec les deux générations suivantes. Dans le fantôme de Canterville, ce sont trois frères qui essaient, par des moyens de fortune, de l’effacer. A
la
génération
tragiquement
pour
d’Oscar, laisser
ce les
transmettre le nom, en présence.
sont trois
trois
sœurs
frères,
seuls
qui
meurent
habilités
à
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Dans le fantôme, c’est une jeune fille, Virginia, sœur des trois frères, qui sera amenée à libérer le fantôme, évocation d’une Isola cryptée dans l’inconscient littéraire d’Oscar. « C’est vous », dit-elle au fantôme » qui avez volé les couleurs de ma boîte d’aquarelle pour essayer de raviver cette ridicule tâche de sang dans la bibliothèque… si bien que je ne pouvais plus peindre que des clairs de lune, qui sont toujours tellement déprimants à regarder… » Et la prophétie, que dit-elle ? « Quand une fillette aux cheveux d’or obtiendra Une prière des lèvres du péché ingrat, Quand l’amandier stérile retrouvera sa fleur, Quand un enfant innocent versera des pleurs, Le calme viendra ici élire son domicile Et la paix sera revenue sur Canterville. » Que veut-il ce fantôme ? Parler du nom, indûment transmis, dès la génération de Thomas, ou évoquer déjà la présence, dans cette fratrie, d’un enfant illégitime, écarté d’une succession (?). Ah, si Virginia-Isola pouvait revenir du royaume des morts, la crypte dans le moi d’Oscar n’aurait plus lieu d’être, et le fantôme qui s’y abrite pourrait être libéré ou exproprié. Oscar la ressuscite : « Virginia apparut sur le palier, très pâle et toute blanche, un coffret entre les mains… » Un coffret de bijoux. Des bijoux de famille ? Oscar croit le fantôme libéré. C’était sa toute
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première histoire. Mais Isola n’est pas revenue, et le fantôme est passé de l’écrit à l’écrivain. Et il a eu son dû. Dans la descendance d’Oscar, les filles ne sont pas remontées sur le bateau. Les garçons ne portent plus le nom de Wilde, le nom du Père. Christian Morris
Christian Morris est psychanalyste transgénérationnel. Avec sa femme Danielle (auteur de « L’Ami de Bunbury »), ils ont fondé avec leur fils Dorian la compagnie de l’œillet vert, à Roquebrune-surArgens, où ils habitent. Christian et Danielle viennent de publier « Sigmund Freud et le fantôme d’Oscar Wilde » chez L’Harmattan.
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11. Bibliographie Éditions Italiennes (études –essais) Auteur
Titre
Editions
Date
M. T. Dainotti Cerutti
Wilde e il suo Problema religioso
Ed. Paoline –Modène
1958
Présentation Alfredo Obertello
Pier Francisco Gasparetto
Oscar Wilde – L’Importanza di essere diverso
Sperling & Kupfer – Milan
1981
Renato Miracco
Oscar Wilde, Verso il Sole. Cronaca del Soggiorno Napoletano.
Colonnese – Naples
1981
Francesco Mei
Oscar Wilde
Rusconi
1987
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Francesco Mei
Oscar Wilde
Vergara – Milan
1991
Marcella Quadri
L’arte della menzogna: i racconti di Oscar Wilde
Bulzoni – Rome
1996
Giovanna Silvani
ll cerchio di Narciso: figure e simboli dell’ immaginario wildiano
Liquori – Naples
1998
Renato Miracco
Oscar Wilde, Verso il Sole. Cronaca del Soggiorno Napoletano.
Colonnese – Naples
1998
En appendice : Oscar Wilde e Sorrento
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Renato Miracco
Oscar Wilde, Verso il Sole. Cronaca del Soggiorno Napoletano.
Colonnese – Naples
2000
Rita Severi
Oscar Wilde & Company : Sinestesie fin de siècle
Pàtron
2001
Rita Severi
La Biblioteca di Oscar Wilde
Novecento – Palerme
2005
Laura Giovannelli
Il Principe e il satiro : (Ri)leggere « Il retratto di Dorian Gray
Carocci – Rome
2007
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Marco Pelliccioli
Un dandy a teatro, Oscar Wilde e Woody Allen: Dalla letteratura al cinema al teatro per svelare e ricomporre le maschere della modernità
Andrea Perego
Un uomo interessante
Firenze Atheneum Florence
2008
2015
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12 - Personnages secondaires Lady Mount Temple
Plus que d’Oscar Wilde, c’est de son épouse Constance que Lady Mount Temple fut l’amie. Elle était une de ses lointaines cousines, et surtout sa confidente la plus sûre. Constance retrouvait en elle la figure de la mère qui lui avait tant manqué. Cependant, Oscar la fréquentait également, et c’est à elle qu’il loua la merveilleuse propriété de Babbacombe Cliff, près de Torquay, de novembre 1892 à mars 1893. Intime de plusieurs des figures victoriennes majeures de l’époque, telles que John Ruskin, Dante Gabriel Rossetti et sa femme Christina, Georgina Cowper-Temple était la fille de l’Amiral John Richard Delap Tollmache. Elle épousa William Cowper-Temple en 1848, qui mourut en 1888, sans avoir eu d’enfants, ni de son second, ni de son premier mariage avec Harriet Alicia Gurney.
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Lady Mount-Temple se tailla une réputation de philanthrope. Elle s’engagea pour la connaissance sanitaire des femmes et contre la vivisection. C’était une femme douée d’une grande capacité de sympathie et de gentillesse. On ne sait pas exactement comment Constance la rencontra. Il se peut que ce fût par l’intermédiaire de Lady Sandhurst, autre philanthrope, qui était une amie commune aux deux femmes. Leur rencontre date probablement de 1889, cinq ans après son mariage avec Oscar, et Constance fut captivée par Georgina, de trente-six ans son ainée, au premier instant. Quand elle était à Londres, Lady Mount Temple habitait au 9, Chayne Walk, à Chelsea, tout près du domicile des Wilde à Tite Street, de sorte que Constance pouvait la visiter quotidiennement. Ensemble, elles allaient admirer
les
peintures
d’Edward
Burne-Jones
ou
écouter
les
conférences sur Dante de l’économiste et théologien Philip H. Wicksteed. Georgina et Constance échangèrent des centaines de lettres, jusqu’à la mort de cette dernière. Pendant les années sombres, Constance trouva un soutien appréciable dans l’amitié de Lady Mount Temple, qu’elle appelait ‘darling mother’, ‘santissima madre’, ‘madre dolorossa’, ‘mothery’ ou ‘darling Ani’. Elle trouva plus d’une fois refuge à Babbacombe Cliff, cette maison de contes de fées, qu’Oscar investit en novembre 1892, d’abord avec sa femme et ses enfants, puis avec Lord Alfred Douglas, après le départ de Constance pour l’Italie. Wilde fut lui aussi séduit par cette demeure haut-perchée. En février 1892, il écrivit à Lady Mount-Temple : « Je suis revenu dans votre ravissante maison pendant que (Constance) est absente et, si vous m’autorisez encore à y rester, j’accepterais avec joie et reconnaissance votre aimable invitation à y passer deux semaines de plus - jusqu’au 1er mars si cela ne doit pas vous déranger, tant je
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trouve la paix et la beauté d’ici bonne pour les nerfs troublés et inspirantes pour un nouveau travail. À vrai dire, Babbacombe Cliff est devenu un genre de collège ou d’école, car Cyril apprend le français dans la nursery, j’écris ma nouvelle pièce dans Le Pays des merveilles et, dans le salon, Lord Alfred Douglas – un des fils de Lady Queensberry- étudie Platon avec son tutor. »1 Toutes les pièces de la maison portaient un nom, et celui de « Pays des merveilles » (Wonderland) était attribué au boudoir de Lady Mount-Temple. Ses fenêtres ouvraient sur trois côtés et il était orné de tableaux de Rossetti et de Burne-Jones. C’est là qu’Oscar acheva l’écriture d’« Une femme sans importance ». Pendant son séjour, il supervisa également la première production amateur de « L’éventail de Lady Windermere » qui se donna en janvier 1893, au Royal Theatre de Torquay. Il accorda aussi une interview à l’historien local Percy Almy, qui fut publié dans le journal The Theatre. En 2006, une plaque bleue fut apposée pour commémorer le séjour d’Oscar à Babbacombe.
Lettres d’Oscar Wilde – à Lady Mount-Temple – Février 1893 – N° 110 – Gallimard – 1966 et 1994. 1
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Constance avait longtemps craint de survivre à sa chère Georgina dont elle disait qu’elle n’avait jamais eu d’amie comme elle, à qui elle avait écrit : « Je voudrais vraiment pouvoir vivre toujours avec vous, et veiller sur vous ». Elle mourut avant elle, en 1898. Georgina lui survécut trois ans et s’éteignit en 1901
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13 - Mad Scarlet Music L’opéra The Picture of Dorian Gray de Lowell Liebermann Par Tine Englebert
Lowell Liebermann
Le compositeur américain Lowell Liebermann (New York, 1961) avait treize ans lorsque, pour la première fois, il lut The Picture of Dorian Gray d’Oscar Wilde. Plus de vingt ans plus tard, il composa l’opéra du même nom. Il a effectué l’adaptation du roman avec la collaboration du metteur en scène John Cox. L’œuvre, commande de l’Opéra de Monte-Carlo, est dédiée à la Princesse Caroline de Monaco. L’opéra en deux actes se divise en douze scènes. Liebermann choisit le roman d’Oscar Wilde pour sujet de son premier opéra, qui fut présenté dans le cadre du Printemps des Arts de Monte-Carlo. La première mondiale, avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par le Britannique Steuart Bedford, eut lieu à l’Opéra-Garnier de la Principauté, le 8 mai 1996, avant de connaître une première américaine en février 1999. Jeffry Lenz était Dorian Gray, John Hancock Lord Henry Wotton et Grégory Rheinhardt chantait le rôle de
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Basil Hallward. Lors de la première, l’opéra a attiré l’attention, tant positivement que négativement, pour sa partition très tonale et son désir affirmé de plaire au public. Bedford était dans la fosse pour la première américaine, le 5 février 1999, au Florentine Opera de Milwaukee, Wisconsin. C’était Mark Thomsen qui chantait le rôle de Dorian Gray, John Hancock était de nouveau Lord Henry Wotton et Kelly Anderson chantait le rôle de Basil Hallward. On peut trouver quelque clips sur YouTube.
Mark Thomsen, ténor, dans le rôle de Dorian Gray Florentine Opera Le Center City Opera Theater de Philadelphia a commandé une réorchestration de l’opéra pour orchestre de chambre. Cette version a été donnée pour la première fois le 6 juin 2007, au Perelman Theater dans le Kimmel Center for the Performing Arts, Philadelphie, en Pennsylvanie, dans une production de Leland Kimball, menée par Andrew M. Kurtz. Il y a quelques clips de musique sur le website. Ce premier opéra de Liebermann a connu une nouvelle production à l’Aspen Music Festival en juillet 2014. La production, au Wheeler Opera House d'Aspen, a été dirigée par Gregory Fortner, avec des
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décors de Christopher Fitzer, des costumes de Summer Lee Jack et des lumières de Lloyd Sobel. La distribution se composait entre autres de Johnathan McCullogh (Lord Henry), Andy Dwan (Basil) et Christian Sanders (Dorian). Le critique George Loomis écrivit le 28 juillet 2014: “The Picture of Dorian Gray is a good opera, and whenever the music flags, you can count on the mesmerising plot (Liebermann fashioned his own libretto) to propel things along.”1
Lord Henry, Basil et Dorian Gray à Aspen Le compositeur new-yorkais lui-même présentait son ouvrage comme une “grande passacaglia”, une variation sur le thème de Dorian, le tableau d’un tableau. Il racontait dans une interview à quel point le livre d’Oscar Wilde fit une forte impression sur son imagination. Le roman ne pouvait être comparé à nul autre livre qu’il avait lu auparavant: 1
“Il
me
hanta
par
la
richesse
du caractère
George Loomis (2014-07-28). "The Picture of Dorian Gray, Wheeler Opera House, Aspen, Colorado – review". Financial Times
des
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personnages et par son histoire même, la poésie de son langage, la saveur de la décadence qui collait à ses pages et par la conception de l’art et de l’esthétique comme une film en soi.”1 Il considérait à juste titre que Le Portrait de Dorian Gray “possède une résonance mythique qui égale le meilleur des mythes grecs. L’individu le moins cultivé sait ce que représente le portrait de Dorian Gray même si cette conception populaire de The Picture of Dorian Gray est celle d’une histoire d’horreur, conception vraisemblablement engendrée par la familiarité du public avec une des versions des maints films réalisés, plutôt qu’avec le roman original.” Liebermann trouvait dans l’histoire de Wilde plusieurs niveaux en même temps: l’histoire d’horreur, la romance tragique, la fable victorienne de moralité, le traité esthétique et l’examen philosophique de la moralité de l’art et de la question de forme contre fond. En ce qui concerne le livret, le pianiste et compositeur américain considéra qu’on avait offert un livret de rêve. Il relevait que “le roman lui-même est structuré d’une façon très musicale, voire dans sa forme dramatique, dans les échos et dans les récapitulations de plusieurs thèmes et caractères ainsi que dans la poésie de son langage.” Liebermann opéra certaines coupures tout en respectant le dialogue original. Parmi les légères modifications, il ajouta quelques données nouvelles dans la scène d’amour entre Dorian et Sibyl et transposa quelques vers de Roméo et Juliette de Shakespeare dans la scène de rupture avec Sibyl. Il attribua à Dorian le surnom de ‘Roméo’ plutôt que celui de ‘Prince Charmant’. 1
Toutes les citations proviennent de: Lowell Liebermann, “L’opéra est une variation sur le thème de Dorian”, en: Magazine littéraire, mai 1996, no. 343, p. 43
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L’adaptation musicale de Liebermann est “d'un style très simple avec une retenue quasi classique qui va de pair avec les idéaux apolloniens de Wilde, tout en évitant la bêtise du minimalisme et la confusion stylistique qui marquent la plupart des opéras “post-modernes” afin de remettre la ligne vocale à sa juste place de prééminence.” L’opéra est chanté d’un bout à l’autre et aucun dialogue ou monologue parlé ne vient interrompre son déroulement. La cohérence de l’ensemble se trouve dans l’alternance du thème de Dorian et de celui du portrait qui est une déformation du thème musical initial. Il ne fait aucun doute qu’Oscar Wilde aurait sans doute apprécié cette adaptation musicale de son œuvre. L’auteur de Dorian Gray disait en effet: “[M]usic is the perfect type of art. Music can never reveal its ultimate secret.” Il est regrettable qu’après la première de 1996, cette adaptation musicale n’a plus atteint le public européen. Nous devons nous contenter de quelques clips sur YouTube. On attend une reprise. Tine Englebert
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14 – Wilde au théâtre Oscar et Bosie Plusieurs pièces de théâtre ont entrepris de donner la parole à Bosie pour raconter sa version de l’histoire qu’il partagea avec Oscar Wilde.
Oscar Remembered De Maxim Mazumdar • 1974 - Montréal – Phoenix Theatre - Stratford Festival Avec Maxim Mazumdar (Lord Alfred Douglas) • 1978 - Londres – Mayfair Theatre – Mai/Juin 1978 Avec Maxim Mazumdar
• 1979 - Dublin – Olympia Theatre – Novembre 79 • 1981 - Théâtre de Provincetown – Juin/Juillet 1981
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Avec Maxim Mazumbar
• 1989 - Boston Avec James Beaman (Lord Alfred Douglas)
• 1995 - Chicago – Writers’ theatre Mise en scène : David Cromer Avec Michael Halberstam • 2007 - Toronto – Real Theatre – Juillet 2007 Mise en scène : Greg Campbell Avec Denis Couillard
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• 2009 - Rochester (NY) – Mise en scène : Michael H. Arve Avec : Kevin J. Indovino (Lord Alfred Douglas)
Cette pièce a été publiée en 1977 – Toronto – Personal Library
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Lord Alfred’s lover D’Eric Bentley • 1979 - Gainesville (Floride) • 1980 - Buffalo • 1982 - New York – New Vic Theatre Mise en scène Eric Bentley Avec Maxim Mazumdar et Quentin Crisp Cette pièce a été éditée en 1981 chez X Books et en 1995 chez Prometheus Books
Wilde about Oscar
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De James T. Meredith • 1994 - Brighton Festival – St Leonard’s on sea
- Londres – Duke’s Head • 1995 - Dublin – Andrew Lane Theatre – avril 1995
My Scandalous Life De Thomas Killroy • 2011 - Dublin – Irish Repertory Theatre - W. Scott McLucas Studio Theatre – 2 février/6 mars 2011 Mise en scène : Jack Going Avec : Des Keogh (Lord Alfred Douglas) – Fiana Toibin (Eileen, servante irlandaise)
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Cette pièce de Thomas Killroy a été publiée en 2004 chez Gallery Press.
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Wrechted Little Brat de Brian Merriman • 2015 - Dublin Gay Theatre Festival – Sean O’Casey theatre – 16 au 21 novembre 2015 Avec Sean Doyle (Lord Alfred Douglas), Dave Flint (Robbie Ross), Brian Higgings, Ailish Leavy, Anne Doyle, Stephen Gorman, Eli Cadwell. L’histoire de la rivalité opposant Bosie à Robbie, les deux amants d’Oscar Wilde.
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15 – Conférences Wilde on the Borders: Conference, Theatre, and Art, April 2, 2016 English Department, Niagara University, NY contact email: jcarr@niagara.edu On February 8, 1882, after his seventh lecture in America in just over a week, Oscar Wilde traveled north from Buffalo, NY crossing the border by train to Niagara Falls, Ontario, Canada to play the role of tourist. In typical Wilde fashion, his response to seeing the falls was paradoxical, proclaiming it “one of the earliest, if not the keenest, disappointments” of a bride’s married life, yet appreciating its aesthetic and spiritual power as “a sort of embodiment of pantheism.” Wilde’s visit to Niagara Falls is both microcosm and metaphor for all of what might be called Wilde’s ‘border crossings’—national, classed, sexual, religious, and aesthetic. “Wilde on the Borders” celebrates Wilde’s complexity through the forms he expressed: essays, theatre, and art. Please join us at Niagara University, located just four miles north of Niagara Falls, NY along the U.S./Canadian border, for a Wilde day of lively academic discussions hosted by the English Department. Join us, too, for a performance of Lady Windermere’s Fan—the inaugural production of Wilde by Niagara University’s acclaimed Theatre Department in the Leary
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Theatre (http://theatre.niagara.edu/). As well, The Castellani Art Museum of Niagara University (http://www.castellaniartmuseum.org/) will feature two exhibitions in association with “Wilde on the Borders.” Wilde at the Falls: Touring the Falls with Oscar Wilde will include historical Niagara Falls paintings and prints from the CAM Collection paired with notable quotes by Wilde following his 1882 visit to the Falls. Also on view will be selections from the CAM’s permanent collection of late 19th- and early 20th-Century American and European landscapes. For the conference, “Wilde on the Borders”, topics may include, but are not limited to: Wilde in academia and popular culture; the American lecture tour; Anglicanism and interest in/conversion to Catholicism; Irish/Anglo identity; gender and sexuality; anarchism and socialism; aestheticism and socialism; writing across genres or for different audiences – plays, novel, poetry, fairy tales, essays; Wilde’s popularity then and now; etc.
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16 – The Oscholars www.oscholars.com abritait un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle.
Le rédacteur en chef en était
David Charles Rose (Université d’Oxford). Depuis 2012, les membres du groupe sont indépendants, et le site, délaissé par son webmaster, ne reste plus sous le contrôle de M. Rose. THE OSCHOLARS est un journal international en ligne publié par D.C. Rose et son équipe de rédacteurs, consacré à Wilde et à ses cercles. Il compte plusieurs mille lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007. Les numéros de juin 2002 à octobre 2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site www.irishdiaspora.net. Vous y découvrirez une variété d’articles, de nouvelles et de critiques : bibliographies,
chronologies,
liens
etc.
L’appendice
‘LIBRARY’
contient des articles sur Wilde republiés des journaux. Les numéros jusqu’à mars 2010 sont en ligne ici, mais quelques pages ont été détruites par le ci-devant webmaster. Depuis l’automne 2012, on peut trouver THE OSCHOLARS sous cette adresse : http://oscholars-oscholars.com/ THE EIGHTH LAMP : Ruskin studies to-day – rédactrices Anuradha Chatterjee (Sushant School of Art and Architecture New Delhi) et Laurence Roussillon-Constanty (Université de Toulouse). Nos 1 et 2 étaient sur le site orignal de THE OSCHOLARS, mais le lien a été coupé par le ci-devant webmaster. On peut trouver no 3 ici — no 4 ici — no 5 ici — no. 6 ici — no 7 ici — no.8 ici — no. 9 ici.
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THE LATCHKEY est consacré à ‘The New Woman’. Les rédactrices sont Sharon Bickle (University of Queensland), Joellen Masters (Boston University) et Kirsty Bunting (Manchester Metropolitan University). Le numéro le plus récent en ligne est daté de l’hiver 201. MELMOTH était un bulletin consacré à la littérature victorienne gothique, décadente et sensationnelle. La rédactrice était Sondeep Kandola, Université de Liverpool John Moores. Le numéro 3 était en ligne, mais le lien a été coupé par le ci-devant webmaster. RAVENNA effectue une exploration des liens anglo-italiens à la fin de siècle. Les rédacteurs sont Elisa Bizzotto (Université de Venise) et Luca Caddia (University of Rome ‘La Sapienza’). Le numéro 3 en ligne est celui de fin mai 2010, mais le lien a été coupé par le ci-devant webmaster.
On
peut
le
retrouver
chez
http://oscholars-
oscholars.com/our-sister-journals/ravenna/ mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. Shavings était un bulletin consacré à George Bernard Shaw.
Le
numéro 28 (juin 2008) est en ligne ; désormais on le trouvera dans les pages de UpSTAGE. The Sibyl
(commencé au printemps 2007) explore le monde de
Vernon Lee, écrivaine anglaise, née le 14 octobre 1856 au Château St Léonard, à Boulogne sur Mer; décédée à Florence, le 13 février 1935. La rédactrice est Sophie Geoffroy (Université de La Réunion). Le numéro 4 (hiver 2008/printemps 2009) est en ligne. Actuellement, on le reprend ici.
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UpSTAGE était consacré au théâtre du fin de siècle, rédactrice Michelle Paull (St Mary’s University College, Twickenham). Le dernier numéro (6, de 2013) est en ligne. VISIONS (deux ou trois fois par an) était consacré aux arts visuels de la fin de siècle. Les rédactrices associées étaient Anne Anderson (University of Exeter), Isa Bickmann, Tricia Cusack (University of Birmingham), Síghle Bhreathnach-Lynch (anciennement National Gallery of Ireland), Charlotte Ribeyrol (Université de Paris–Sorbonne) et Sarah Turner (University of York). Le numéro 8 était en ligne, mais le lien a été coupé par le ci-devant webmaster et d’autres éditions ne sont pas prévues.
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17. Signé Oscar Wilde Je me retourne vers mon pays, Mon pèlerinage s’achève, Même si, là-haut, un soleil rouge sang Indique le chemin de Rome la sainte. (Rome non visitée)
And here I set my face towards home, For all my pilgrimage is done, Although, methinks, yon blood-red sun Marshals the way to Holy Rome. (Rome Unvisited)