Rue des Beaux Arts n°46

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RDBA N° 46 – Janvier/Février/Mars 2014

RUE DES BEAUX ARTS Numéro 46 : JANVIER/FÉVRIER/MARS 2014

2014


RDBA N° 46 – Janvier/Février/Mars 2014

160 e anniversaire de la naissance d’Oscar Wilde

Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle GuérinRose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm

et les numéros 42, 43, 44 & 45 ici.


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§1. Editorial Évolution des mœurs 2014 marque le 160e anniversaire de la naissance d’Oscar Wilde. Comment la traversée du XXe siècle et le début du XXIe ont-ils transformé l’image de l’auteur Irlandais ? Si l’on parcourt ce qui a été écrit sur Wilde depuis qu’il a commencé à se tailler une renommée, on ne peut qu’être frappé par l’évolution des jugements portés sur l’homme et sur l’auteur qui, de l’époque de Wilde à nos jours, passent par une courbe ascendante. L’homme d’abord. S’il a été apprécié et aimé par nombre d’amis et d’admirateurs, Wilde, en son temps, fut également moqué, méprisé, vilipendé. Les moqueries commencent tôt. Elles portent sur

les

excès

de

l’esthète,

tant

vestimentaires

que

de

comportement. De l’opérette Patience aux caricatures de Punch, en passant par les jeunes étudiants de Harvard venus se gausser au premier rang de sa conférence à Boston, les railleries n’épargnent pas Wilde. Est-il incompris, ou prête-t-il lui-même le flanc aux lazzis ? Wilde est certes un provocateur, et c’est en partie un brin de condescendance qui lui vaut d’être exécuté par Henry James qui le déclare « un sot plein de fatuité ». Quant aux éructations d’Ambrose Bierce, qui le traite d’« ineffable crétin » et de « souverain des insupportables », elles sont si excessives qu’on se demande bien d’où lui vient tant de haine. Pour certains, la personnalité même d’Oscar est insupportable. La spirituelle arrogance de son discours, au tomber de rideau de la première de


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Lady Windermere’s Fan, n’arrange rien. Et c’est toute sa vie, qu’il mène avec une liberté farouche, affichant un mépris ouvert des conventions et des règles, qui crée le plus grand scandale. Tout ceci finira naturellement en apothéose avec la révélation de ses mœurs et le déroulement des procès, qui déclencheront un des

plus

féroces

hallalis

de

l’histoire

littéraire.

La

boue,

désormais, étouffe Wilde, elle l’engloutit. On n’en finirait plus de reproduire ici les indignations vertueuses, les condamnations moralisantes, les haut-le-cœur dégoûtés qui envahissent alors les colonnes des journaux et les antichambres des salons du beau monde. Wilde n’existe plus. On le raye des rangs des humains dignes de vivre la tête haute. Il n’est plus qu’un monstre pervers, un dégénéré à qui son nom même est ôté. Même ceux qui le défendent ne peuvent s’empêcher d’émettre sur son cas quelques restrictions prouvant qu’ils ont l’esprit large, mais aussi de la moralité. Jean Lorrain, qui fut de ses amis, et qui, plus tard, s’indignerait de la lâcheté unanime autour d’un homme condamné au plus affreux des supplices, n’en exigea pas moins un démenti du journaliste Jules Huret qui l’avait fait figurer parmi ses proches dans sa chronique du Figaro Littéraire. Marcel Schwob alla plus loin en envoyant ses témoins au journaliste pour un duel qui n’eut finalement pas lieu. Quant à Catulle Mendès, il se battit bel et bien en duel avec Huret qui l’avait inscrit sur la liste des amis de l’infréquentable irlandais. La renaissance de Wilde fut longue. Il fut longtemps relégué en enfer et n’en émergea que lentement. Encore faut-il voir avec quelle prudence les critiques littéraires de la première moitié du


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XXe siècle, commencent à accepter l’idée de le voir à nouveau exister. Leur esprit de tolérance ne s’étend pas jusqu’à exempter totalement Wilde du péché d’homosexualité, considérée, au mieux,

comme

une

maladie

regrettable.

Une

sorte

de

condescendance préside à leur jugement de Wilde et de ses œuvres. Car la réprobation ne s’est pas seulement abattue sur la personne, mais également sur son œuvre littéraire. N’oublions pas qu’au cours des procès, c’est l’auteur de Dorian Gray qui, d’abord, fut mis en accusation. C’est Dorian Gray qui a servi d’arme pour l’abattre, ce roman qui, à sa sortie, s’était attiré les foudres de la presse, qu’on avait traité de « livre empoisonné », inspiré

des

« déchets

de

la

décadence

française »,

œuvre

sulfureuse qui avait valu aux Wilde de ne plus être salués par les gens de bien. Le reste de son œuvre prêtait moins au scandale, mais elle était souvent dépréciée, par André Gide le tout premier, qui, dans son petit ouvrage censé rendre hommage à Wilde1, proclame tout de go : « Il faut bien le reconnaître, Wilde n’est pas un grand écrivain.» Et c’est souvent en écrivain mineur que Wilde continua à être traité. Bel esprit, dandy prodigue d’aphorismes répétés à l’envi, et de pièces divertissantes à la Sacha Guitry, il n’était pas pris au sérieux. À peine si la tragique profondeur de De Profundis et de La Ballade de la Geôle de Reading redoraient un peu son image. Albert Camus2 les loua, mais non sans ajouter que le talent qui n’a su produire qu’une œuvre artificielle ne pouvait soutenir qu’une vie frivole et sans portée. 1 2

André Gide, Oscar Wilde, In Memoriam, Mercure de France, 1910 et 1989. Albert Camus, L’artiste en prison, Falaize, 1952.


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Robert Merle, qui consacra à Wilde sa thèse de doctorat, fut un des tous premiers à intéresser l’Université à son œuvre. Il s’efforça de démontrer que Wilde était bien autre chose qu’un « cynique et superficiel dandy » et que, sous la cuirasse qu’il affectait de porter, se dissimulait « une sensibilité terriblement vulnérable ». Après lui, la magnifique biographie de Richard Ellmann1 acheva de reconstruire la réputation d’Oscar Wilde. Aujourd’hui, il est un des écrivains anglophones les plus populaires et les plus aimés. Ses œuvres sont parmi les plus éditées et les plus lues. Plusieurs universitaires l’ont pris pour objet d’étude, en particulier, en France, Pascal Aquien, qui lui a consacré une biographie2 : « Les mots et les Songes ». Récemment, une thèse de philosophie vient de lui être consacrée3. Au Père Lachaise, on arrive du monde entier pour embrasser sa tombe, y déposer un mot ou un bouquet. Il n’y a plus personne, sinon quelques esprits incurablement rétrogrades, pour l’accuser de dépravation parce qu’il était un adepte de l’amour qui n’ose pas dire son nom. Dans les dernières décennies, les mœurs ont suffisamment évolué pour qu’on ne lui fasse plus porter le poids d’un péché qui n’en était un qu’aux yeux de la morale de l’époque. Du coup, on redécouvre

ses

brillants

essais

sur

l’art

et

ses

théories

individualistes et sociales, exprimées dans des ouvrages comme « L’Âme

de

l’homme

sous

le

socialisme ».

On

voit

dans

« L’Importance d’être Constant » les prémisses du théâtre de Richard Ellmann, Oscar Wilde, Vintage, 1988. Pascal Aquien, Oscar Wilde, Les mots et les songes, Aden, 2005. 3 Lou Ferreira, Oscar Wilde, une philosophie de la provocation (tome 1), Oscar Wilde, une esthétique de la tragédie, l’Harmattan, 2013. 1 2


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l’absurde. On loue la cruauté noire et la sensibilité de ses contes. On enseigne Dorian Gray dans les lycées. Salomé fascine les gens de théâtre et les chercheurs. D’une manière générale, les études savantes sur l’œuvre de Wilde se multiplient, ainsi que les biographies et les essais, et même les romans et les films qui s’inspirent de sa vie. Les retours de balanciers étant souvent excessifs, nous nous dirigeons maintenant vers une sorte de sacralisation d’Oscar Wilde, présenté comme un martyr de la cause homosexuelle, une victime du puritanisme victorien. Une pièce de théâtre ne porte-telle pas de titre de « Saint Oscar »1 ? N’allons pas jusqu’à la béatification (Oscar n’aurait sans doute pas aimé cela, lui que fascinait la transgression et l’attrait brûlant du péché), mais réjouissons-nous de l’évolution des mentalités, de la libéralisation des

mœurs,

qui

permettent

aujourd’hui

une

plus

juste

appréciation d’un auteur délivré des réprobations morales et des pesanteurs d’une société figée sur ses principes. Danielle Guérin-Rose

1

Terry Eagleton, Saint Oscar, Field Day, 1989.


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§ 2. PUBLICATIONS

Oscar Wilde – Le fantôme de Canterville (suivi du Prince Heureux, du Géant égoïste et autres contes) Traduit de l’anglais par Jules Castier et Albert Savine Librio, Paris, février 2014 ISBN 978-2-290-07590-6

Danielle Guérin-Rose – Oscar Wilde Collection Qui Suis-je ? Pardès, Grez-sur-Loing, février 2014


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Arthur Cravan est vivant ! (La Régle du jeu n° 53) Textes, photos et documents d’archives inédits. Grasset, Paris, octobre 2013 ISBN 978-2-246-80703-2 Un dossier consacré au neveu d’Oscar Wilde, poète et boxeur, mystérieusement disparu.

Jean-Jacques Gonzales – Ébauche de Mallarmé Manucius, Paris – Janvier 2014 Collection Littera ISBN 978-2-84578-154-2 Joris-Karl Huysmans – À Rebours Éditions Daniel Grojnowski Flammarion, Paris, janvier 2014 ISBN 978-2-08-133010-8 Cette édition conforme à l'originale comporte des commentaires de l'auteur ainsi que la préface écrite vingt ans après. Elle contient également un dossier complémentaire sur l'œuvre.


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Et ailleurs… Oscar Wilde – Decorative Art in America, A Lecture. Introduction : Richard Butler CreateSpace Independent Publishing Platform, novembre 2013 ISBN 978-1493710355

Mitzi Szereto – The Wilde Passions of Dorian Gray : A Novel Cleis Press, novembre 2013 ISBN 978-1573449656


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§3. OSCAR WILDE ET LA BANDE DESSINEE OSCAR WILDE : LA RESURRECTION Par Dan Pearce Introduction — Deuxième episode — Troisième épisode — Quatrième épisode — Cinquième épisode — Sixième épisode — Septième épisode — Huitième épisode — Neuvième épisode — Dixième épisode — Onzième épisode — Douzième épisode – Treizième épisode — Quatorzième épisode — Quinzième épisode – Seizième épisode – Dix-septième épisode – Dix-huitième épisode – Dix-neuvième épisode -- Vingtième épisode

— Vingtième et unième épisode – Vingt-

deuxième épisode – Vingt-troisième épisode – Vingt-quatrième épisode – Vingt-cinquième épisode – Vingt-sixième épisode - Vingt-septième épisode – Vingt-huitième épisode – Vingtneuvième épisode

Trentième épisode Une planche a été omise dans la BD de Dan Pearce. Nous reprenons donc à l’endroit où elle manquait pour rétablir le bon déroulement de l’histoire.


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À suivre… § 4. EXPOSITIONS – ÉVÉNEMENTS Désirs et Voluptés dans l’Angleterre Victorienne, au Musée Jacquemart André par Charlotte Ribeyrol


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Frederic, Lord Leighton, Jeunes filles grecques ramassant des galets au bord de la mer

L’exposition « Désirs et Volupté » qui s’est ouverte au Musée Jacquemart-André le 13 septembre 2013 présente pour la première

fois

au

grand

public

la

collection

de

peintures

victoriennes de l’homme d’affaires mexicain Juan Antonio Pérez Simón. Cette collection réunit des œuvres souvent peu connues d’artistes britanniques majeurs des années 1860 à 1914. Contrairement aux Impressionnistes, ces peintres ne font pas entrer le monde industriel dans leur espace pictural. Leur modernité est ailleurs : dans leur quête d’une sensualité souvent provocante et d’une beauté purement formelle qu’ils déclinent au passé. Les deux premières salles de l’exposition font tout d’abord la part belle à l’imaginaire antique qui séduisit Lawrence Alma-Tadema à partir des années 1860. Dès son entrée, le visiteur ne peut que river son regard sur les sublimes Roses d’Héliogabale (1888) de ce peintre hollandais devenu britannique en 1873. La pluie de roses


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qui s’abat par vagues musicales sur les convives du jeune tyran semble à la fois festive et harmonieuse jusqu’à ce que l’on comprenne que les figures au premier plan sont en train de suffoquer sous le regard amusé et cruel de leur hôte. Cette antiquité déjà décadente tranche non seulement avec l’inspiration plus sage et informée d’un point de vue archéologique qui prédominait dans l’œuvre d’Alma-Tadema une décennie plus tôt, mais aussi avec ses scènes de genre antiquisantes tardives dont la dernière salle propose quelques exemples (comme Courtiser sans espoir, 1900).

Sir Lawrence Alma-Tadema (1836-1912), Les Roses d'Héliogabale

La seconde salle, bien qu’également centrée autour de l’antiquité – grecque et égyptienne – présente l’œuvre de peintres très différents, à l’exception peut-être de Frederick Goodall dont l’érotisme biblique (Moïse sauvé des eaux, 1885) n’est pas sans rappeler le sensualisme de La Reine Esther (1878) d’Edwin Long. Au contraire, dans les toiles de jeunesse de Frederick Leighton


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(qui deviendra plus tard Président de la Royal Academy) ou dans celles d’Albert Moore, l’antique ne s’embarrasse plus de tels prétextes historiques, bibliques ou mythologiques, il devient synonyme de « l’Art pour l’Art » ou plutôt d’un esthétisme (Aestheticism) à l’anglaise qui privilégie l’harmonie des formes et des couleurs au détriment du sujet – au risque, parfois, d’un certain anachronisme comme dans le Quatuor (1868) de Moore où une frise de jeunes gens en toges joue de violons étrangement modernes. Le peintre rend ainsi hommage à la musique, art sœur, dont l’expressivité purement émotionnelle se donne à voir dans une composition qui évoque à la fois un relief sculpté et une partition, alternant notes blanches et noires.

Albert J. Moore (1841-1893) , Le Quatuor, hommage du peintre à l’art de la musique

La salle suivante expose les muses d’artistes davantage héritiers cette fois de la confrérie préraphaélite. On y trouve une sanguine abîmée et émouvante représentant une allégorie androgyne du sommeil (1892) de Simeon Solomon dont Oscar Wilde possédait par ailleurs quelques dessins. Mais comme dans le reste de l’exposition, ce sont surtout des femmes sensuelles et séduisantes


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qui sont ici à l’honneur, à l’image de la Fatima d’Edward Coley Burne-Jones (1862), qui met en scène l’épouse de Barbe-Bleue, les clés à la main et sur le point d’ouvrir la chambre interdite variante médiévale en quelque sorte de la curiosité fatale de Pandore. Contrairement aux peintres des deux salles précédentes, ces artistes revendiquent en effet leurs sources essentiellement littéraires, d’Alfred, Lord Tennyson à William Morris dont le Paradis Terrestre (1868) inspira à Burne-Jones ses séries de Pygmalion (1871), mise en abyme de la relation créatrice entre l’artiste et son modèle.

Sir Edward C. Burne-Jones (1833-1898), Fatima

La salle 4 poursuit cette veine à la fois littéraire et principalement médiévale avec un tableau étonnant de Henry Arthur Payne inspirée d’un conte de George Meredith et deux tableaux de John William Waterhouse représentant des sorcières dont la beauté fatale rappelle celle de la Morgan La Fay de Burne-Jones ou la


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Médée de Frederick Sandys. Le contraste avec la salle suivante n’en est que plus frappant puisque les sorcières y cèdent la place à des figures incarnant une domesticité bien plus passive et rangée,

celle

d’héroïnes

arthuriennes

tragiquement

fidèles,

comme l’Elaine (1891) de John Melhuish Strudwick (le disciple de Burne-Jones) ou encore l’Enid d’Arthur Hughes (1863) qui fut l’ami du Préraphaélite John Everett Millais dont la Couronne de l’amour (1875) s’oppose en tout point à La Boule de Crystal (1902) de Waterhouse.

John W. Waterhouse (1849-1917), La Boule de cristal

Autrement plus osées et voluptueuses sont les muses dénudées qui font suite à quelques compositions allégoriques et symbolistes de Strudwick. C’est la vogue du nu, débutée dans les années 1860, qui est à l’honneur ici, écornant notre image d’une Angleterre victorienne corsetée dans son puritanisme. Le lien


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entre le nu et l’antique paraît de plus en plus ténu, puisque s’y déclinent à l’envi des figures féminines à leur toilette qui ne sont déjà plus des Vénus sortant des eaux, à l’image de La Baignade de Moore (1890) qui rappellerait presque un Renoir. De même, l’Andromède d’Edward John Poynter (1869) n’a plus besoin pour s’exhiber d’un Persée ni d’un monstre menaçant. Seul compte le culte d’une beauté sensuelle qui s’érotise sous des drapés mouillés, à l’instar de la Crenaia (1880) de Leighton. La Venus Verticordia de Dante Gabriel Rossetti (1867) – le seul nu de l’artiste – attire également le regard du spectateur, séduit par l’harmonie de teintes chaudes et vénitiennes qui en soulignent l’érotisme troublant.

Frederic, Lord Leighton (1830-1896) , Crenaia, la nymphe de la rivière Dargle

La dernière salle paraîtra sans doute bien sage après ces nus provocants. On y renoue avec l’idéal domestique et une féminité d’intérieur parfois sublimée par des décors antiques et un travail très technique sur les textures et les matières, comme en


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témoignent le marbre délicatement nervuré dans la Valeria (1916) de William Clarke Wontner ou encore dans Un message de l’amour (1909) d’Alma-Tadema.

Arthur Hughes (1832-1915) , Un Nuage passe

Cette collection offre donc un panorama très riche des aspirations éclectiques et sensuelles d’artistes victoriens tantôt rebelles, tantôt académiques, dont la recherche d’un ailleurs fantasmé, qu’il soit antique ou médiéval, traduit une démarche résolument moderne de rupture avec leur temps, tout en annonçant les innovations oniriques des Symbolistes de la fin du siècle. Charlotte Ribeyrol


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Ø Charlotte Ribeyrol est Maître de Conférences en Littérature britannique XIXème siècle à l’Université Paris-Sorbonne.


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§5. THÉÂTRE De profundis à Bordeaux Mise en scène & Scénographie : Philippe CASABAN – Eric CHARBEAU Compagnie théâtrale du Mirail Avec Eric SANSON


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Petit Théâtre de Bordeaux – 8, 10, rue du Fg des arts - Bordeaux Du 5 décembre 2013 au 31 janvier 2014 Tous les jeudi, vendredi et samedi à 20h30 Représentations exceptionnelles les 24 et 31 décembre 2013 à 20h30

Un Mari Idéal à Paris

Mise en scène : Etienne de Vaublanc Avec : Olivier de la Houplière, Benjamin Ehalt, Charlotte Bougon, Indiana Loessin, Laure O'Quin, Jean de Chatillon, Valérie Grassin


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d'Alphonse, Anne Briqueler, Isabelle de Sousa, Etienne de Vaublanc Salle Étienne Pernet – Place Etienne Piernet – 75015 Paris Vendredi 29 Novembre 2013 à 20H30.

à Aix-en-Provence

Mise en scène : Julien di Tommaso Compagnie Interlude Avec

Alain

Coubronne, Lamoureux.

Véron, Guillaume

Marie-Laure Dagnas,

Comushian,

Philippe

Gardiol

Stéphanie ,

Hélène


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Théâtre du Jeu de Paume – Aix en Provence Ve 28 mars à 20H30

12, rue Papillon, Librement inspiré du Géant égoïste d’Oscar Wilde

à Avranches

Texte et Mise en Scène : Sylvain Diamand Compagnie En Faim de Contes Jeu : Lorraine Ollagnier Scénographie : Sylvain Diamand Conception pop-up, illustration : Alix Lauvergeat Théâtre d’Avranches Sa 14 décembre à 16H.

À Lyon Dorian Gray, un portrait (et La Forme des choses, d’après Neil Labute)


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Compagnie Accès Libre Théâtre Instant T – Lyon 8 au 18 janvier 2014

Et Ailleurs… À Edimbourg The Selfish Giant


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Mise en scène : Iain Johnstone Studio of The Festival Theatre 3 au 24 décembre 2013

En Calabre L'importanza Di Chiamarsi Ernesto


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Traduction de Masolino D’Amico Mise en scène : Geppy Gleijeses Avec : Geppy Gleijeses, Marianella Bargilli, et la participation de Lucia Poli Teatro Stabile di Calabria, Teatro Quirino Vittorio Gassman 19 au 23 février 2014 À Londres Ernest


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La plus célèbre comédie d’Oscar Wilde est ici mise en musique, dans une adaptation musicale de Phil H. Jacobs. Mise en scène : Pamela Shermann Direction musicale : David Merriman

Du 26 Novembre au 8 décembre 2013 Etcetera Theatre – Camden Town - Londres


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§6. De ideale man / L’homme idéal en Flandres et aux Pays-Bas par Tine Englebert

© Kurt van der Elst / Het Nationale Toneel – NTGent

En 2011, l’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek a adapté An ideal husband : quelque part entre une traduction et une adaptation libre. Avec son adaptation, Jelinek a fait une déclaration sans équivoque. Elfriede Jelinek est l’une des auteures les plus influentes de notre temps. Elle a reçu de nombreux prix, en particulier en 2004, le prix Nobel de littérature. Que la lauréate du prix Nobel tombe sous le charme de l’humour décalé d’Oscar Wilde, peut sembler surprenant. Mais sans doute Jelinek a-t-elle perçu la charge explosive de la pièce. Elle nous permet de rire avec des affaires pénibles mais qui font


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écho à une époque contemporaine où ont éclaté de multiples scandales politiques. En outre, elle est connue comme une grande admiratrice des pièces d’Oscar Wilde.

Steven Watermeulen (Lord Goring), Mark Rietman (Robert Chiltern), Anniek Pheifer (Gertrude Chiltern) et Ariane Schluter (Laura Cheveley)

De ideale man (L’homme idéal) est une coproduction du théâtre néerlandais Nationale Toneel et du théâtre belge NTGent la production. Ils présentent la version mise à jour par Jelinek, dans laquelle les sagesses de Wilde s’unissent avec brio à la tromperie politique contemporaine. Sa traduction est pleine d'esprit et rarement méchante.


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Katja Herbers (Mabel Chiltern) & Steven Van Watertermeulen (Lord Goring)

Chez Robert et Gertrude Chiltern, couple idéal habitant une villa parfaite et accueillante, c’est toujours la fête. Chaque fois que la porte s’ouvre sur la salle de fête, les sons disco résonnent à travers la scène. L’harmonie est parfaite, aussi longtemps que chacun s’en tient à son rôle. La femme d’affaires Laura Cheveley va provoquer des fissures dans cette belle perfection. Alors qu’elle remet en question l’intégrité de l’image du Secrétaire d’Etat des Affaires étrangères Robert Chiltern, la maison tombe littéralement en morceaux. Chiltern voit sa carrière politique compromise par l’arrivée soudaine de Laura Cheveley. Elle sait qu’il a commis une indélicatesse quand il était jeune homme, et projette de le soumettre à un chantage s’il ne sert pas ses projets. Cheveley a investi de l’argent dans un projet douteux et exige le soutien politique de Robert, sous la menace de révéler son secret. Robert Chiltern est placé devant un dilemme impossible à résoudre, lui que sa femme Gertrude croit parfaitement incorruptible et qui


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apparait à tous comme l’homme idéal. Les masques vont tomber dans la seconde partie de la pièce. ‘Personne n’est parfait et il est sage d’accepter cet imperfection’, c’est le message apporté par Oscar Wilde. La critique sociale contemporaine de Jelinek est claire : dans un monde matérialiste comme le nôtre, les apparences deviennent plus importantes que le vrai bonheur. Jelinek traite très généreusement le feu d’artifice verbal d’Oscar Wilde, en y ajoutant quelques lapsus. De plus, elle laisse transparaître son ressentiment féministe et se montre clairement agacée par les clichés sur les sexes.

Le metteur en scène Theu Boermans maintient la farce dans De ideale man (L’homme idéal) sans que la performance devienne médiocre. Il ne caricature pas, mais il souligne la comédie. Boermans a choisi parmi les deux groupes de théâtre huit acteurs très compétents dans la comédie. Ces acteurs semblent être nés dans leurs rôles. Leur performance force parfois le trait comique sans jamais abandonner l’humanité de leur personnage. Mark Rietman, (Robert Chiltern), Anniek Pheifer (sa femme Gertrude) et


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Ariane Schluter (Laura Cheveley), jouent leurs rôles avec un parfait sérieux. Les effets comiques naissent des accents fous du texte, et des tête-à-tête avec l’audience. Mark Rietman et Ariane Schluter forment un duo exemplaire de partenaires dans le crime. Rietman joue le politicien arrivé et volage. Il est le mari aimable, le causeur éloquent, le politicien qui essaie de sauver sa peau. Le moment où Rietman donne des conseils financiers à la salle, est un climax hilarant. Son monologue nous livre impudemment des conseils financiers qui révèlent une connaissance parfaite de toutes

les

échappatoires

fiscales.

Schluter

est

raffinée

et

froidement laconique. Son jeu est comme un commentaire de la situation épineuse. Lord Arthur Goring, élégamment joué par Steven Watermeulen, gagne en sympathie au cours de la performance. Il est honnête, s’engage pour ses amis et se tient éloigné de la politique. Dans le rôle de Lady Markby, Chris Thys ressemble à la caricature d’un créateur de mode parisien. L’emphase mise sur le rôle du majordome comme comique traditionnel est une nouveauté agréable voulue par le metteur en scène Boermans. Frank Focketyn joue ce rôle avec un grand respect de la tradition burlesque. Il détourne l’attention vers les moments

fous

et

accompagne

l’intrigue

d’un

cynique qui crée un flux de blagues très réussi.

commentaire


RDBA N° 46 – Janvier/Février/Mars 2014 Le majordome (Frank Focketyn)

De ideale man (L’homme idéal) est une performance qui excelle dans tous les domaines. C’est une représentation pleine d’esprit, qui se veut une soirée amusante plutôt qu’une incitation à réfléchir sur notre propre comportement et notre vision du monde. Jelinek fournit le matériel pour une comédie douce. Burlesque, mais sans mordant.

Chris Thys (Lady Markby)

Production de NTGent & Het Nationale Toneel Avec Mark Rietman

Sir Robert Chiltern

Ariane Schluter

Mrs. Cheverly

Anniek Pheifer

Lady Gertrude Chiltern

Steven Van Watermeulen Lord Arthur Goring Katja Herbers

Mabel Chiltern

Jaap Spijkers

Lord Caversham

Chris Thys

Lady Markby


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Frank Focketyn

Mason / Pipps

Mise en scène

Theu Boermans

du 6/11 au 21/12/2013 en Flandres et aux Pays-Bas Vue à Gand, le 13 novembre 2013

Tine Englebert


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§7 : I am a vagabond

Les derniers jours d’Oscar Wilde Par Ignacio Ramos Gay Depuis le jour de sa libération, le 19 mai 1897, jusqu’à sa mort le 30 novembre 1900, Oscar Wilde vécut trois ans en sillonnant l’Europe, tentant d’interpréter la vita nuova qu’il avait envisagée pendant les deux années que dura son incarcération à la prison de Reading. Bien qu’il n’envisageât nullement la repentance de ses «crimes» passés1, la lettre rédigée en prison et adressée à Lord Alfred Douglas, De Profundis, devint une proclamation téléologique de son

nouvel

être

futur.

En

faisant

constamment

appel

à

l’imaginaire biblique, l’épître recréait un Wilde insolite, un «je» poétique résultant de l’introspection critique à l’égard d’un passé d’assujettissement au plaisir, auquel il associait la négation de sa volonté personnelle au profit de celle de son amant. Le nouvel Oscar Wilde dévoilé dans la missive fondait son bienêtre futur dans la pénitence et le pardon : le poète avait pour but d’incarner son image personnelle du Christ2 afin d’atteindre un 1

Comme l’affirme John Stokes, les références à l’homosexualité de Wilde sont

totalement absentes dans la lettre, de sorte que le critique conclut que le poète ne fit de son orientation sexuelle, en aucun cas, la raison de sa souffrance, de même que l’attaque lancée contre Bosie réside davantage dans son tempérament hérité de son père que dans sa conduite sexuelle. (John Stokes, Oscar Wilde: Myths, Miracles and Imitations. Cambridge: Cambridge UP 1996 p 44 ). 2

C’est le Christ de Renan qui inspire largement l’imaginaire Wildien bâti à partir de

ses relectures en prison de La Vie de Jésus (1863) et Les Apôtres (1866).


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resurgissement purificateur. Déterminé à suivre un processus d’épuration interne, une « nouvelle vie » bâtie sur l’humilité, la charité et la foi, et détachée des dépendances hédonistes, De Profundis représentait bien une désertion du monde aussi bien qu’un salut au privilège du sacrifice. Comme les dernières années de sa vie le démontrèrent, Wilde était loin de se douter que l’épître serait le chef d’œuvre annonciateur d’une prophétie qui ne deviendrait que trop réelle. Le but de cette analyse est d’explorer les dernières années de la vie d’Oscar Wilde en tant qu’incarnation tragique de la figure du vagabond. Dès qu’il quitta Reading, l’itinéraire biographique de Wilde suivit exactement le processus de dépossession tragique de tous les éléments qui avaient contribué à forger son succès précédent, le résultat étant un homme dépouillé de ses biens ainsi que de sa propre individualité. Au moyen de l’étude contrastive des multiples biographies élaborées par les contemporains de Wilde, auxquelles nous adjoindrons la correspondance de l’auteur, nous tenterons de cerner le Wilde vagabond, misérable et mendiant, devenu l’image vivante de ses idoles littéraires. Pour ce faire, nous nous attarderons, dans un premier temps, sur l’ostracisme social dont il fut victime tant en France qu’en Angleterre. Dans une seconde

étape,

nous

étudierons

son

nomadisme

pénitent,

expression d’un moi instable qui tâche de se reconstruire par le biais de la mobilité géographique. Finalement, nous constaterons que l’exil et la stérilité du mouvement physique donnèrent lieu à la résignation passive du poète, certain de sa propre décadence,


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livré à sa propre autodestruction. Seul, répudié, déréglé et pauvre, nous verrons comment les derniers jours de Wilde personnifièrent ce que Melissa Knox appela « un long et charmant suicide».1 Bien que brisé en tant qu’homme et artiste à Reading, la sortie de prison d’Oscar Wilde ne fut pas exempte de la symbolique du dandy à laquelle il avait habitué son public à l’intérieur et à l’extérieur des salles de théâtre de Londres pendant la première moitié des années 1890. Malgré « l’état de misère existentielle où ses juges l’avaient réduit »2, Wilde, parfait dandy, se fit procurer à la veille de sa libération une garde-robe dans le but de « soigner à nouveau son apparence physique […] et de regagner par-là cette allure d’esthète qui avait été la sienne avant sa condamnation »3. Aussi désireux de donner l’image dilettante et frivole qui l’avait caractérisé préalablement, au procès, que de reconquérir un «moi» délabré par son expérience en prison, Wilde était effectivement décidé à récupérer les attributs publics d’antan, véhiculés par son maniérisme vestimentaire – il demanda même un produit de teinture capillaire « qui fait merveille pour tonifier les cheveux » et sa transcendance éthique. Comme lui-même l’affirma, « je tiens, pour des raisons psychologiques, à me sentir entièrement purifié physiquement des ordures et souillures de la vie de prison, de sorte que tous ces détails […] ont vraiment une énorme importance »4. Wilde récupérait sa liberté avec la « dignité d’un roi 1

Melissa Knox, Oscar Wilde. A Long and Lovely Suicide (New Haven and London: Yale

University Press, 1994). 2

Daniel Salvatore Schiffer, Oscar Wilde. Biographie (Paris: Gallimard, 2009), p. 237.

3

Ibid., p. 326.

4

Ibid., p. 327.


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de retour d’exil », et ceux qui, comme Ada Leverson, témoignèrent de sa rentrée glorieuse, le décrivirent comme quelqu’un qui « est entré en parlant, riant en fumant une cigarette, les cheveux ondulés et une fleur à la boutonnière. Il était franchement plus beau, plus mince et plus jeune qu’il ne l’avait été deux ans auparavant »1. Wilde était à nouveau sur les planches. Bien que Wilde se résolût à recouvrer son passé par le biais de la récupération de son esthétique, ses biographes constatent unanimement le schisme qui eut lieu entre ses désirs et la nouvelle réalité à laquelle le poète se heurta. Non que le poète ne fût

pas

conscient

de

ce

délabrement

provoqué

par

son

arrestation, ainsi qu’il l’avoua à son ami Max de Morès : « Je suis un vagabond. Le siècle aura deux vagabonds, Paul Verlaine et moi. »2 L’inadaptation dans un nouveau milieu social, l’exil dans un autre pays, les difficultés économiques qu’il dut subir, enfin, l’extinction des illusions rêvées en captivité, l’entraînèrent à réaliser que le pire de la prison l’attendait à l’extérieur. Dès qu’il quitta Reading, Wilde subit le déclin progressif de son image fulgurante aux yeux de la société et de sa famille, devenant ainsi l’antithèse de l’artiste à succès qu’il avait incarné pendant les deux dernières décennies du siècle. Rien ne demeurait du «professor of aesthetics » célébré par la société londonienne grâce à ses mots d’esprit et ses épigrammes subversifs. Bien au contraire, Wilde était devenu un paria, un déshérité embarqué

1

Cité par Pascal Aquien (Oscar Wilde, les mots et les songes: biographie, Paris: Eden,

2006, p. 431). 2

“I am a vagabond. The century will have two vagabonds, Paul Verlaine and me.” Cité

par Richard Ellmann (Oscar Wilde, London, Penguin, 1987, p. 539).


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dans un pèlerinage erratique visant à ressusciter la splendeur d’antan. Le vagabondage de Wilde débuta le jour même de sa levée d’écrou. Malgré le fait que ses amis Robert Ross et Reginald Turner tentèrent de l’aider à restaurer sa carrière littéraire précédente, le poète décida de quitter l’Angleterre pour ne jamais y retourner. Cet exil volontaire suivi de sa résolution de s’installer en France, reflétait la quête ambulatoire d’un refuge, une dépossession géographique irrésolue, voire même une négociation de l’identité nationale1. L’Angleterre symbolisait la nation de la répression, le milieu social où son théâtre de la confrontation acquérait son sens. « Je dois vivre en Angleterre si je veux être un dramaturge à nouveau »2, soutenait-il. La France, en revanche, représentait, dans l’imaginaire littéraire du poète, la patrie des artistes et de l’Art. « En France, le journaliste reste limité et on accorde à l’artiste une liberté presque parfaite. Ici [en Angleterre] le journaliste jouit d’une liberté absolue, tandis que l’artiste reste complètement limité »3. En effet, c’étaient les Français qui lui avaient accordé la gloire artistique qu’on lui avait refusée en 1

À propos de l’oscillation entre l’identité nationale britannique, irlandaise et française,

et de ses rapports avec la fluctuante identité culturelle d’Oscar Wilde, v. Ignacio Ramos Gay, “Wilde, France and Relative Englishness”, in Englishness Revisited, Floriane Reviron-Piégay, ed., Newcastle, Cambridge Scholars, 2009, pp. 244-261. 2

“I must live in England if I am to be a dramatist again”, cité par W. H. Auden, “Oscar

Wilde, An Improbable Life”, in Oscar Wilde. De Profundis. With notes by Rupert HartDavis, an essay by W. H. Auden and The Ballad of Reading Gaol, New York, Avon, 1964, p. 21. 3

“In France, they limit the journalist, and allow the artist almost perfect freedom. Here

we allow absolute freedom to the journalist and entirely limit the artist”, Oscar Wilde, The Soul of Man Under Socialism, in Collected Works of Oscar Wilde, Ware, Wordsworth Editions, 1998, p. 912.


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Angleterre, surtout après l’interdiction de jouer Salomé en 18921, de même que c’était la langue, la culture et la nation auxquelles il identifiait

l’image

de

l’artiste

universel.

La

France

et

sa

symbolique, incarnée dans l’imaginaire romanesque du poète par les plus éminents auteurs modernes qui l’avaient inspiré dans ses œuvres2 et dont il avait fait la connaissance lors de ses séjours à Paris, constituaient la seule issue à son drame personnel. Toujours est-il que l’aura mythique de cette nation, épigone de l’Art et retraite habituelle des artistes britanniques, contredisait le comportement individuel de ses plus illustres représentants. La bohème littéraire française, à l’instar de ses homologues anglais, désavouait

le

poète.

Ce

n’était

pourtant

pas

un

acte

circonstanciel, puisque le procès avait été minutieusement suivi par la presse, et que la société européenne avait trouvé dans l’auteur le bouc émissaire de toute une époque. Or, si Wilde s’attendait à l’hostilité de ses contemporains anglo-saxons, au pharisaïsme et aux préjugés soulevés par le procès de ses contemporains – les touristes anglais à Dieppe répudiaient sa présence, et sa renommée infâme s’était répandue jusqu’aux Etats-Unis, où, selon quelques chroniqueurs, près de mille sermons furent prêchés contre lui entre 1895 et 1900 afin de 1

Wilde avouait sa prédilection envers la France en tant que seule nation capable

d’apprécier son art, lorsqu’il proclamait que “les Français furent toujours charmants avec moi, ils jouèrent ma pièce Salomé, et me décrivirent comme un artiste vivant, tandis que les Anglais refusèrent de m’accorder même la reconnaissance que l’on donne aux morts”. V. Rupert Hart-Davis, More Letters of Oscar Wilde, London, Murray, 1985, p. 147. 2

Pour une analyse des relations entre la production dramatique d’Oscar Wilde et le

théâtre français du dernier tiers du XIXe siècle, v. Ignacio Ramos Gay, Oscar Wilde y el teatro de boulevard francés, Valencia, Universidad de Valencia, 2007.


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mettre en garde la jeunesse américaine contre son infamie1 – il ne s’attendait point à être victime de l’ostracisme féroce pratiqué par ses pairs et ses anciens amis français. En effet, l’attitude des artistes français ne se différenciait aucunement de celle de ses confrères britanniques en ce qui concernait les préjugés à l’égard du poète emprisonné pour ses actes d’ « outrage à la pudeur »2. Dès qu’il s’installa à Dieppe, sa première destination après Reading, Wilde découvrit qu’il ne pouvait pas s’attendre à la connivence de ses pairs continentaux, dont l’hypocrisie à l’égard du proscrit ressemblait à celle de ses voisins d’outre-Manche. À Dieppe, ville peuplée d’artistes, Audrey Beardsley, Walter Sickert, Charles Conder et Jacques-Émile Blanche évitèrent Wilde dans les rues et refusèrent même, comme ce fut le cas de Beardsley, d’illustrer les ouvrages comprenant la signature de l’Irlandais. En France comme en Angleterre, Wilde fut socialement neutralisé, depuis le jour même de son arrivée jusqu’au jour de sa mort. « Je ne fréquente pas les forçats » fut la consigne répandue par la bohème française3. Un seul détail en ce sens nous permet de constater la posture de ses compères français à l’égard du vagabond solitaire que devint le poète : le 3 décembre 1900, lors de ses funérailles, Wilde ne reçut qu’un enterrement de « sixième classe », « le dernier avant la fosse commune »4. Le corbillard ne fut suivi que par neuf personnes : ses amis Robert Ross et Reginald Turner, Jean Dupoirier – le propriétaire de l’hôtel où 1

Cité par Richard Ellmann, op. cit., p. 515.

2

“Gross indecency”.

3

Cité par H. Montgomery Hyde (Oscar Wilde, A Biography, London, Methuen, 1976, p.

364). 4

Daniel Salvatore Schiffer, op. cit., p. 381.


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Wilde expira –, un domestique, deux infirmiers et quelques inconnus. À l’église de Saint-Germain-des-Prés, le pathétisme de l’abandon se reproduisit, et le cercueil ne fut reçu que par un seul représentant du monde littéraire français, Paul Fort1. De son vivant aussi bien que le jour de ses obsèques, le poète fut répudié par ses proches. Par conséquent, la solitude et la marginalisation, deux attributs indispensables à tout vagabondage, se retrouvaient chez ce nouvel Oscar Wilde qui, libéré de sa prison physique, avait bien pu constater que celle-ci s’étendait au-delà des murs carcéraux. Les amis qui, prétendument, partageaient une conceptualisation de l’art en tant que liberté vitale, l’ignoraient, de la même façon que les passants rougissaient à sa vue ou que les propriétaires des restaurants refusaient de le servir. C’est ainsi que Wilde réalisa en France qu’il était aussi tristement célèbre qu’en Angleterre.

Le

poète

était

stigmatisé

et

les

épreuves

qui

l’attendaient à Dieppe – il fut même surveillé par un détective privé embauché par le père de Lord Alfred Douglas, le marquis de Queensberry, afin d’éviter une nouvelle rencontre avec son fils – déchaînèrent

une

migration

perpétuelle,

une

pérégrination

séculaire en France et en Italie, qui s’avéra être aussi stérile et paralysante que son incapacité à se remettre à la littérature.

1

Ibid., p. 382.


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Son pèlerinage débuta1 dès sa sortie de prison et n’eut pour autre but que la poursuite improductive des splendeurs du passé. Comme l’explique poétiquement Kelver Hartley : [L]a terre d’exil ne reçut que le corps d’Oscar Wilde condamné à errer pendant quelques années à la recherche

de

l’âme

qu’il

avait

volontairement

éloignée de lui, comme le fit son symbolique pêcheur, afin qu’il pût goûter, à son aise, les délices de la matière, sans être importuné des remontrances de la chose ailée qu’il portait en lui2. Mais cette quête fût, de par son essence même, vouée à l’échec. Là où Wilde se rendit, il trouva toujours des problèmes d’adaptation à l’atmosphère locale, une désolation liée à l’espace qui traduisait en réalité une amertume intérieure. Dieppe fut sa première destination car, d’après le poète, « dans une petite ville comme Dieppe notre âme peut écouter les mots et les harmonies ainsi que contempler les couleurs du Grand silence »3. Pourtant, cette petite ville charmante, ce centre touristique à mi-chemin 1

Wilde lui-même utilisait le terme pour désigner son projet de réhabilitation

personnelle, bien que ce ne fut qu’ironiquement. Ainsi, en parlant de la possibilité d’avoir trouvé sa voie dans la foi catholique, il affirmait: “Ai-je besoin de dire que c’est un miracle? Je voulais aller en pèlerinage, et je découvre que la petite chapelle grise de Notre Dame de Liesse m’est apportée.” (“Need I say that this is a miracle? I wanted to go on pilgrimage, and I find the little grey Stone chapel of Our Lady of Joy [Notre Dame de Liesse] is brought to me”). Cité par Richard Ellmann, op. cit., p. 510. Traduction de Marianne Véron publiée dans Herbert Lottman, Oscar Wilde à Paris, Paris, Fayard, 2007, p. 157. 2

Kelver Hartley, Oscar Wilde, l’influence française dans son œuvre, Paris, Librairie du

Recueil Sirey, 1935, p. 4. 3

“In a small place like Dieppe one’s soul can listen to the words and harmonies and

behold the colours of the Great silence” (Richard Ellmann, op. cit., p. 499).


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entre la France et l’Angleterre, devint vite une transposition des préjugés britanniques et le poète dut la quitter une semaine plus tard. Après Dieppe vint Berneval-sur-mer, une ville « si obscure, éloignée et ennuyeuse qu’elle représentait l’endroit idéal pour écrire »1 ; mais elle s’avéra immédiatement être une déception, en raison de l’absence de plaisirs mondains et de l’ascétisme auquel elle condamnait notre auteur. Ces délassements, il pensait les retrouver auprès de Bosie et du soleil napolitain. Or, une fois de plus, Naples ne fut qu’une succession de revers, surtout économiques et sociaux – sa renommée infâme l’accompagna aussi en Italie, où un bon nombre de journaux locaux alertèrent de sa présence ignominieuse à Naples2 –, qui s’acheva avec le départ contrarié de Bosie et l’abandon de Wilde. À Dieppe, Berneval et Naples, il faudra ajouter Rouen, Aix-les-Bains, La Napoule, Gland (en Suisse), Santa Margarita, sur la côte ligure, Palerme ou Rome… Futile et improductif, le nomadisme de Wilde exigeait, plutôt que de retrouver un espace idéal, l’idéalisation du déplacement, son statisme dévoilant sa propre incapacité à assumer son nouvel être marginal. Comme Wilde lui-même l’avoua à son ami Robert Ross à Santa Margarita, « à Paris, ça va mal pour moi ; ici, je m’ennuie à mourir. Le dernier état est le pire»3. Wilde était définitivement en train de subir l’ennui

1

“So obscure and distant and tedious, was an ideal place for him to write” (Richard

Ellmann, op. cit., p. 505). 2

À propos des articles de presse condamnant la présence de Wilde à Naples, v.

Masolino D’Amico, “Oscar Wilde in Naples”, in C. G. Sandulescu, ed., Rediscovering Oscar Wilde, Gerrards Cross, Colyn Smythe, 1994, pp. 76-81. 3

“In Paris I am bad: here, I am bored: the last state is the worse”. (Rupert Hart-Davis,

Letters of Oscar Wilde, London, Hart-Davis, 1962, p. 794).


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décadent que ses poètes préférés avaient désigné comme le « mal du siècle ». En effet, sa persistante mobilité géographique découvrait un «moi» instable, fracturé, cherchant une réunification avec soi-même. Ses difficultés pour trouver une destination permanente laissaient deviner une perception désagrégée du moi pour laquelle la mutation spatiale réitérée produisait l’illusion d’une conversion interne. Wilde changeait constamment de lieu pour ne constater que l’immuabilité de son âme et son impuissance créatrice. La seule métamorphose possible, celle générée par une certaine discipline littéraire, était absolument hors de question puisque l’auteur ne pouvait plus recouvrer la force nécessaire pour se remettre au travail : « Je peux écrire, mais j’ai perdu la joie d’écrire »1. Seul le déplacement à la recherche de l’inspiration lui restait. Cependant, on serait loin de considérer que cette errance fut le résultat de la volonté du poète, car, dans une grande mesure, la migration géographique de Wilde ne fut que le fruit de sa propre passivité. En aucun cas le poète ne décida d’aller dans les villes où il se rendit régulièrement. Bien au contraire, il fut toujours emporté par les circonstances physiques et économiques de son exil. De plus en plus malade, ruiné à cause de son manque de motivation pour l’écriture, répudié par la plupart de ses amis, son itinérance n’était pas le produit de son choix mais de celui de ceux qui renonçaient à abandonner le poète et lui offraient leur 1

“I can write, but have lost the joy of writing.” (Cité par Richard Ellmann, op. cit., p.

527).


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charité et leur hospitalité. Par exemple, ce fut son ami Harold Mellor qui l’invita à passer quelques jours dans sa villa à Gland, et avec qui il visita Palerme et Rome, à ses frais et ses dépens. Aussi, ce ne fut que grâce à l’argent recueilli par quelques-uns de ses amis, notamment Vincent O’Sullivan, Robert Ross et Reggie Turner, qu’il fut capable d’aller à Naples en compagnie de Bosie. Non seulement ses voyages à l’étranger, mais son séjour même en France, dépendaient largement de la générosité de ses intimes. Dès qu’il s’installa à Paris, pauvre et épuisé, il reçut l’assistance de ses acolytes pour régler ses notes dans plusieurs hôtels, et ce fut même le propriétaire de l’hôtel d’Alsace, Jean Dupoirier, qui lui demanda de s’installer chez lui dès qu’il devina ses difficultés économiques. En effet, Wilde, n’étant plus maître de son destin, survécut grâce à l’aumône de ses adeptes. L’image qui résume peut-être le mieux son abnégation à ne plus dompter son futur est « l’accident » qui le résolut à s’établir à Berneval. En mélangeant le registre comique avec le sens tragique de la résignation, Richard Ellmann évoque l’épisode où Wilde, ignorant comment échapper au bigotisme de Dieppe, loua une calèche qu’il conduisit le long de la côte en compagnie de Ross. Par hasard, le cheval, originaire de Berneval, finit par l’emmener dans son village natal. Ayant déjà visité Berneval dans le passé, et livré à son sort, Wilde décida de « respecter le dessein équin »1. L’accidentalité de son choix, qui ne fut plus réservé à ses amis mais à la contingence de l’animal, indique bien que Wilde était incapable de faire preuve de volonté ou de détermination. Aliéné par son besoin de la charité et de l’altruisme de ses amis, l’anti1

“Decided to respect this equine hint.” (Ibid., p. 505).


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héroïsme passif du poète le transforma en une victime, « un homme », selon les mots de Richard Ellmann, « attendant toujours quelque chose, peut-être un miracle, pour constater que ce n’était que la mort »1. Ce pressentiment d’être condamné à une mort certaine poursuivit Wilde pendant les trois ans qu’il vécut après son incarcération. Conscient, comme il l’était, d’être soumis à un déclin aussi progressif qu’inexorable, il concevait sa propre existence comme une entité maléfique vouée à l’extinction. Ce processus d’autoanéantissement se matérialisa dans le nom d’emprunt qu’il adopta, « Sebastian Melmoth », tiré de la fiction gothique. En effet, du côté de la famille de sa mère, le révérend Charles Maturin avait joui d’une certaine reconnaissance dans les milieux littéraires britanniques, grâce à son roman gothique Melmoth the Wanderer (1820) dont le héros satanique avait exercé une fascination très profonde chez plusieurs « diabolistes distingués »2 comme Walter Scott, Charles Baudelaire – qui reconnaissait dans le personnage son propre alter ego – et Honoré de Balzac, ce dernier ayant rédigé une suite intitulée Melmoth réconcilié (1835). Les rapports entre John Melmoth et Wilde lui-même – mis à part les parallélismes littéraires facilement repérables entre le roman de son grand-oncle et The Picture of Dorian Gray (1890)3 – se firent 1

“Waiting for something, perhaps a miracle, only to find that it is death.” (Ibid., p.

543). 2

“Distinguished diabolists” (Neil Sammells, Wilde Style. The Plays and Prose of Oscar

Wilde, Harlow, Longman, 2000, p. 2). 3

Pour une étude approfondie des intertextes entre les deux œuvres, vide Marie-Noëlle

Zeender, “John Melmoth and Dorian Gray: The Two-Faced Mirror”, in C. G. Sandulescu, op. cit., pp. 432-440


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plus étroits au moment de sa libération, où son ami Reginald Turner lui remit deux bagages marqués des initiales « S. M. ». En suivant le conseil de Robert Ross, Wilde incarnait dès lors une nouvelle identité, « à la fois ‘juif errant’ et ‘martyr chrétien’, tel cet éphèbe quasiment nu, le corps transpercé de flèches et les mains liées à son calvaire, qu’il avait jadis admiré, à l’orée de sa jeunesse, dans ce sublime mais cruel tableau de Guido Reni, Saint Sébastien »1. Son pseudonyme témoignait sans aucun doute de sa nouvelle identité, ainsi que de sa volonté de « transformer sa vie en une imitation de la littérature »2. Cette carnavalisation identitaire,

quoiqu’en

partie

travestissement

ludique,

s’accompagnait d’une pudeur du passé. Même si son patronyme mettait en valeur le caractère mythique et hagiographique du martyr errant qu’il était devenu, Wilde présageait une certaine dépossession de son individualité. Ce ne fut pas le seul indice que Wilde, ce suprême égotiste, en perdant le nom auquel la gloire de naguère s’associait, était en train d’être enterré vivant. Dès son internement à Reading le poète fut dépouillé non seulement de sa liberté mais aussi de ce qui véhiculait son individualité, son nom. En prison, Oscar Wilde ne fut que le matricule « C.3.3 », d’après le numéro de sa cellule – la troisième au troisième étage du bloc C-. Le poète, jadis réclamé par son exercice sublime de l’individualité dans ses écrits théoriques – la défense acharnée du moi dans The Soul of Man Under Socialism (1891) en tant qu’expression du but

1

Daniel Salvatore Schiffer, op. cit., p. 330.

2

“His desire to turn his life into an imitation of literature” (Thomas Wright, Oscar’s

Books, London, Chatto & Windus, p. 282).


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véritable de toute vie1 venait transposer en termes de doctrine ce que les personnages féminins de ses pièces avaient préconisé sur les planches au cri du « plus absolu individualisme »2 - devenait ainsi un détenu anonyme, réduit à une lettre et à deux chiffres signalant une cellule quelconque dans un couloir insignifiant, ou, selon les mots de Richard Ellmann, « à un des milliers de chiffres inanimés, identique aux milliers de vies éteintes »3. Ce fut avec cet alias, C.3.3., que The Ballad of Reading Gaol vit le jour. Aucun autre indice sur la couverture ou sur la page du titre ne révélait l’identité de l’auteur. Identifié à la masse, Wilde n’existait plus comme artiste. Son passé en prison semblait bien avoir scellé par anticipation son présent et son futur, ce que le poète réalisa lors de sa visite au cimetière protestant de Gênes, sur la tombe de sa femme décédée pendant son incarcération. L’inscription qu’il découvrit sur la tombe de Constance lui parut tragique et prophétique : « Constance Mary, fille d’Horace Lloyd, Q. C. » Le nom de Wilde n’y était pas. Seul le nom de jeune fille y était inscrit, « comme s’il n’eut jamais existé »4.

1

“The realization of the self that serves as the true fulfillment of life’s aim” (Frederick

S. Roden, “Introduction”, in Oscar Wilde Studies, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004, p. 1). 2

“Sheer individualism” (Richard Ellmann, op. cit., pp. 347-348). Ou, comme le

soutenait Wilde dans une conversation avec Robert Sherard à l’égard de sa propre interprétation de la figure de Jésus Christ, l’artiste par excellence, “to be a supreme artist […] one must first be a supreme individualist” (“Wilde’s God”, in E. H. Mikhail, ed., Oscar Wilde. Interviews and Recollections, London, Basingstoke, Macmillan Press Ltd, 2 vols., 1979, vol. I, p. 338). 3

“One of a thousand lifeless numbers, as of a thousand lifeless lives.” (Oscar Wilde, De

Profundis, op. cit., p. 99). 4

Richard Ellmann, op. cit., p. 537.


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Banni des cercles sociaux, condamné au silence et résigné passivement à sa destinée, Wilde poursuivit son chemin, victime de son destin, imitant la lignée des héros anciens subjugués par les caprices de la volonté de Fortune. Ce n’est pas par hasard qu’en maintes occasions la trajectoire vitale de Wilde a été racontée en termes d’hubris1, c’est à dire, de celui qui, jouissant d’un talent orgueilleux et démesuré accordé par les dieux, est finalement victime du châtiment infligé par ceux-ci à cause de son manque de tempérance. Le poète lui-même avoua son indifférence et sa méconnaissance à l’égard de son futur, comme si celui-ci n’était que le résultat d’une divinité anonyme : Je ne peux pas dire ce que je vais faire de ma vie. Je me demande ce que ma vie fera de moi. J’aimerais me retirer dans un couvent – derrière les murs de pierre grise d’une cellule où j’aurais mes livres, j’écrirais des vers, et je fumerais mes cigarettes avec révérence2. Personnage principal d’une vie théâtralisée, Wilde se prenait pour un acteur tragique, ainsi qu’il l’avoua à son ami André Gide, lorsque l’écrivain français lui rappela que son déclin lui avait été prédit auparavant : « Oh, bien sûr, bien sûr ! Je savais bien qu’il y aurait une catastrophe, d’une façon ou d’une autre », répliqua-til. « Ça ne pouvait finir que de cette façon. Imaginez-vous : il était 1

Sheridan Morley, Oscar Wilde, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1976, p. 9.

2

“I cannot say what I am going to do with my life; I am wondering what my life is going

to do with me. I would like to retire to some monastery – to some grey-stoned cell where I could have my books, write verses, and reverently smoke my cigarettes.” (Richard Ellmann, op. cit., p. 517).


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impossible d’aller plus loin, et ça ne pouvait plus durer »1. Toujours est-il que, loin de combattre cette progression tragique, Wilde devenu un mort-vivant à cause du bannissement unanime de ses confrères, semblait encourager sa défaite en se repliant sur lui- même. Conscient de sa condition de lépreux social, de l’embarras qu’il provoquait chez ses connaissances, il finit par éviter ses amis dans la rue et dans les endroits auxquels on l’invitait, afin de ne pas souiller leur nom. Parmi bien d’autres, Wilde déclina l’invitation à dîner avec le chercheur Peter Chalmers

Mitchell,

en

assurant

que

«

vos

amis

ne

le

supporteraient pas. Je rentre dans ma petite auberge, où l’on ne me connaît pas »2. Capable de sentir le relent nauséabond qu’il dégageait aux yeux d’autrui, Wilde avait honte de lui-même. La fierté de jadis avait disparu. Sa présence n’était qu’une « existence furtive »3, une crasse épidémique susceptible de contaminer la réputation de ceux qui l’approchaient. Ainsi avait-il finalement regagné l’individualité dont il rêvait ; pourtant, cette fois-ci, il ne s’agissait plus de la subjectivité créatrice mais d’une contagion avilissante. Les derniers jours d’Oscar Wilde précipitèrent sa dégénérescence. Engagé

1

dans

une

spirale

d’agonie

autodestructrice,

Wilde

“Oh, of course, of course! I knew that there would be a catastrophe, that way or

another […] It had to end that way. Just imagine: it wasn’t possible to go any further, and it couldn’t last.” (Ibid., p. 508). 2

“Your friends would not stand it. I am going back to my little inn where they don’t

know me.” (Ibid., p. 538). 3

“His was a furtive existence” (John Sloan, Oscar Wilde, Oxford, Oxford University

Press, 2003, p. 29).


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semblait s’être « voué à sa propre destruction »1. « Les atteintes du mal affreux qui doit l’emporter », souligne Robert Merle, auxquelles s’ajoute « la conscience de sa stérilité » […] « lui font désirer d’accélérer son déclin »2. C’est peut-être l’image d’un Verlaine abandonné à sa destinée – qui, déjà, l’avait hanté pendant son séjour en prison – qui l’inspira lorsque, cloué au lit à cause d’une infection fatale de l’oreille et alors que ses amis, suivant les prescriptions médicales, tentaient de l’empêcher de boire de l’absinthe, Wilde eut pour toute réponse : « Et pourquoi vivrai-je ? »3 Wilde ne trouvait de consolation que dans l’alcool et dans les prostitués masculins ; or, ces paradis artificiels n’arrivaient pas à neutraliser son mal physique et spirituel. Plutôt que d’accepter de vivre en marge des plaisirs mondains qui avaient fait jaillir sa créativité jadis, Wilde semblait jouir du privilège de la douleur et de la souffrance. A nouveau, c’est Robert Merle qui résume ses dernières heures : « Il parle à plusieurs reprises de se suicider, et certainement, longtemps avant la fin, la volonté de vivre l’avait déserté. Il se laisse aller, il s’abandonne. »4Wilde savait bien que rencontrer Bosie une dernière fois serait fatal, mais il ne pouvait pas se soustraire à ses propres désirs : « Pourquoi courons-nous toujours vers notre propre ruine ? », se demandait-il dans De

1

“He was dedicated to his own destruction” (Philippe Julian, Oscar Wilde. A Gallic View

of his Whole Extraordinary Career, Drawing on French Sources, New York, The Viking Press, 1969, p. 360). 2

Robert Merle, Oscar Wilde, Paris, Librairie Académique Perrin, 1984, p. 143.

3

“And what have I to live for?” (Richard Ellmann, op. cit., p. 546).

4

Robert Merle, op. cit., pp. 143-144.


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Profundis. « Pourquoi la destruction nous fascine-t-elle autant ? »1 Ses inclinations naturelles à l’égard du jeune homme étaient plus fortes et il succomba aux charmes de Bosie en assumant son incapacité de vivre dans la négation de soi. « J’ose dire que ce que j’ai fait est fatal […] Mais je devais le faire. »2 Plutôt que guidé par sa propre volonté, le poète se laissait emporter par une passion aliénante destinée à l’échec : « Je l’aime comme d’habitude, avec un certain sens de la tragédie et de la destruction. […] Ma vie ne peut pas être amendée. Je suis condamné. »3 Cette malédiction, que le poète avait imaginée, fut renforcée par les morts successives de la plupart de ses amis et parents pendant les dernières années du siècle, comme si la caste à laquelle le poète appartenait était effectivement damnée. D’abord, ce fut Aubrey Beardsley qui mourut, âgé de 25 ans, en 1898. Ensuite, son frère Willie, alcoolique, rendit l’âme en 1899. Sa femme était morte quatre ans auparavant et, en 1900, ce fut le tour du modèle littéraire et spirituel de Wilde, le poète Ernest Dowson, et de son ennemi le plus acharné, le marquis de Queensberry. Wilde pouvait ainsi pressentir la fin d’une époque qui approchait, le rideau qui clôturait la pièce dont il était l’acteur principal. Comme l’affirme Jacques de Langlade, « la Décade

1

“Why is it that one runs to one’s ruin? Why had destruction such a fascination?”

(Richard Ellmann, op. cit., p. 528). 2

“I daresay that what I have done is fatal […] But it had to be done” (Rupert Hart-

Davis, Letters of Oscar Wilde, op. cit., p. 597). 3

“I love him as I always did, with a sense of tragedy and ruin” […] “My life cannot be

patched up. There is a doom on it.” (Ibid., p. 597).


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Mauve avait accompli son destin tragique »1. Les ‘Nineties’ touchaient à leur fin et l’agonie de cette ère crépusculaire enterrait Wilde avec elle. Stimulé par la disparition rythmée de ses amis, Wilde lui-même, dans un effort de théâtralisation, fut capable de prédire la sienne sur son lit de mort : « Je ne survivrai pas au siècle. Les Anglais ne le supporteraient pas »2. Pour conclure, pendant les trois ans et demi où Wilde (sur)vécut après sa sortie de prison, il vit défiler devant lui, en silence, le négatif (au sens photographique) de son passé de gloire et de splendeur. Répudié par sa femme et ses amis, appauvri et criblé de dettes, oublié de l’amour et de ses enfants, réduit à un état de misère physique et morale extrême, et incapable de reprendre l’écriture, son corps reflétait bien sa déchéance artistique : gros, décrépit, la figure et les bras truffés de taches, miteux et sans dents du haut, « Wilde joue à L’Opéra de quat’culs »3, affirmait Whistler, en faisant un jeu de mots de mauvais goût. Sa déchéance physique dévoilait celle que plusieurs attribuaient à son âme. En effet, Wilde, dont la personnalité ce projetait constamment

dans

les

dandys

et

les

raisonneurs

qui

saupoudraient ses comédies de société, incarnait dès lors le vagabond qu’il avait toujours écarté de son univers dramatique,

1

Jacques de Langlade, Oscar Wilde, écrivain français, Paris, Stock/Monde Ouvert,

1975, p. 67. 2

“I will never outlive the century, the English people would not stand for it.” (Richard

Ellmann, op. cit., p. 545). 3

“Wilde is working on the Bugger’s Opera” (Richard Ellmann, op. cit., p. 541). Le jeu de

mots de Whistler met en contact presque homophonique les termes “beggar” (mendiant) et “bugger” (sodomite).


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réservé à la haute société londonienne. Sa mort ne fut donc que la suite du pathétisme de ses derniers jours. Mais la chute de Wilde fut, dans une grande mesure, une chute toute aussi mythique1 que littéraire. Son déclin suivit celui des héros de Stendhal et de Balzac, dans Le Rouge et le noir (1830) et Les Illusions perdues (1837-1843), déchirés entre leurs ambitions personnelles et l’irrémédiable condamnation à mort décrétée par la société. Wilde savourait bien l’idée d’incarner la mort symbolique de deux personnages avec lesquels il s’identifiait en maintes occasions, non pas seulement à cause de leurs désirs sublimes, mais de la fin que la société leur réservait. Le poète l’avait avoué en prison à son ami Vincent O’Sullivan, en constatant sa déchéance artistique : « Lorsque j’étais jeune homme, mes deux héros étaient Lucien de Rubempré et Julien Sorel. Lucien s’est pendu, Julien est mort sur l’échafaud, et moi en prison »2. Frank Harris, biographe et ami intime de Wilde, ratifierait le sentiment du poète en attestant que ce fut « l’inhumanité du docteur de la prison ainsi que ce système des prisons anglais qui tuèrent Oscar Wilde »3. Même s’il ne rendit pas l’âme héroïquement, comme ses deux héros préférés, il ne quitta pas non plus la littérature dans ses dernières heures, et son agonie reproduisit l’ignominie du trépas d’un autre des 1

Julia Wood, The Resurrection of Oscar Wilde, Cambridge, The Lutterworth Press,

2007, p. 61. 2

“Lucien hanged himself, Julien died on the scaffold, and I died in prison.” (Rupert

Hart-Davis, Letters of Oscar Wilde, op. cit., p. 493). 3

“It was the inhumanity of the prison doctor and the English prison system that killed

Oscar Wilde.” (Frank Harris, Oscar Wilde, His Life and Confessions, Ware, Wordsworth Editions, 2007, p.27).


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personnages favoris du poète, l’Emma Bovary de Flaubert. L’écrivain français avait décrit la mort de la jeune femme comme celle d’un « cadavre que l’on galvanise » : [S]a poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux comme si l’âme eût fait des bonds pour se détacher.1 La mort de Wilde fut également vile et nauséabonde, tout en restant littéraire. Le poète imitait, même dans son dernier soupir, ses personnages favoris, et faisait de sa vie une œuvre d’art macabre. Les deux amis qui l’accompagnèrent pendant son agonie, Robert Ross et Reginald Turner, décrivirent avec détail la détresse de sa dernière heure : Reggie et moi passâmes la nuit à l’hôtel d’Alsace dans une chambre à l’étage supérieur. La garde vint nous y chercher deux fois, croyant qu’Oscar rendait le dernier soupir. Vers cinq heures du matin, il changea complètement. Ses traits s’émacièrent et je crois que commença ce qu’on appelle le râle de la mort. Mais je n’avais rien entendu de pareil. Ce bruit ressemblait à l’horrible raclement d’une manivelle et

1

Gustave Flaubert, Madame Bovary, Paris, Librairie Générale Française, 1983, p. 358.


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il ne cessa jusqu’à la fin. Ses yeux ne voyaient plus la lumière1. À peine avait-il expiré que « des humeurs jaillirent de tous ses orifices » et son corps, « que la pourriture avait déjà commencé à envahir, suintait de toutes parts »56. La mort de Wilde, comme celle d’Emma Bovary, imposa l’abandon de l’univers d’illusion esthétique et leur retour définitif à la vulgarité du réel… C’est ainsi que nous pouvons affirmer que les dernières années d’Oscar Wilde réunirent tous les éléments définissant la figure mythique du vagabond. Wilde, esthète raffiné en vie, mourut en fugitif et mendiant. Bien que libéré en 1897, il ne purgea intégralement sa peine que le jour de sa mort où, en imitant le déclin physique de ses personnages de fiction adorés, le poète fut dépouillé de sa gloire passée, de ses biens, de sa réputation littéraire, de son amant, de sa famille, de sa patrie, et de sa joie de vivre… Curieusement, comme dans le cas du jeune Lucien dans Splendeurs et misères des courtisanes (1838-1847), les funérailles de Wilde eurent d’abord lieu à l’église de SaintGermain-des-Prés ; mais il reposa finalement, après quelques années à Bagneux, dans le fameux cimetière parisien du Père Lachaise. Une fois de plus, la destinée de Wilde confirmait l’actualité de son axiome esthétique, et « la vie imitait l’art »2.

Ignacio Ramos Gay 1

55 Traduction de Daniel Salvatore Schiffer, op. cit., p. 378.

2

56 Ibid., p. 379.


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Ignacio Ramos Gay est Maître de Conférences en littérature française et comparée à l’Université de Valence, en Espagne. Spécialiste du théâtre anglais et français du 19e et 20e siècles, ses principaux domaines de recherche comprennent la littérature comparée, l’industrie culturelle théâtrale, et les mécanismes d’adaptation transnationaux. Il est l’auteur d’une monographie sur l’influence du théâtre de boulevard français sur Oscar Wilde (Oscar Wilde y el teatro de boulevard francés, 2007), ainsi que de plusieurs articles sur le théâtre européen parus dans plusieurs revues spécialisées (Revue de Littérature Comparée, Cahiers Victoriens et Édouardiens, Atlantis, Épistolaire, Romantisme, Revue

des

Sciences

Humaines,

Nineteenth-Century

Prose,

Pennsylvania Literary Journal). Il participe à l’édition critique du théâtre complet d’Eugène Labiche (Classiques Garnier) et a récemment dirigé un ouvrage consacré à l’adaptation sur la scène britannique

contemporaine

(Adaptations,

Versions

and

Perversions in Modern British Drama, 2013). Ce texte a été originellement publié dans l’ouvrage suivant : Francis Desvois et Morag J. Munro-Landi, éds. Le vagabond en occident. Sur la route, dans la rue. 2 vols. Paris: L'Harmattan, 2012. L'article fait partie du vol. 1, intitulé "Du Moyen âge au XIXe siècle", pages 343-358. ISBN: 978-2-296-99153-8


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§8. Témoignages d’époque Causerie - Oscar Wilde Par Maurice Talmeyr

Caricature de Maurice Talmeyr par Coll-Toc (1885)

Le poète et esthète anglais Oscar Wilde, si en faveur chez nos esthètes à nous, vient vraiment de bien mal finir. Être mis en prison pour « crime contre les mœurs » ! C’est un peu dur pour un auteur en vogue. Il allait, lui aussi, avoir son banquet, nos petits jeunes gens des petites revues le lui préparaient déjà, et les voilà obligés de manger entre eux les plats qu’on lui réservait. Que pourra bien valoir au pauvre Wilde la déplorable erreur d’avoir ainsi pris Virgile au sérieux ? On parle de vingt ans de travaux forcés. Ce serait peu esthétique, et la Justice anglaise n’a évidemment rien d’artiste, mais nos esthètes de Paris, après un lavage à cette eau-là, vont-ils continuer à aller « se faire blanchir »


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à Londres ? Qu’ils n’y aillent plus, l’eau de Seine vaut mieux, et l’impôt sur le linge sale est trop cher sur la Tamise. Que peuvent bien se dire entre eux, en ce moment, nos esthètes, et quel parti ou quelle posture vont-ils prendre, dans cette mémorable et douloureuse circonstance ? Ils n’ont pas à hésiter et doivent, s’ils m’en croient, non pas baisser la tête, mais triompher, et revendiquer hautement le droit au Corydonisme. Et veulent-ils donc toute ma pensée ? Il y a certainement encore là un droit à rattacher aux Droits de l’Homme. Nos esthètes sont des militants, affichent une philosophie militante et manqueraient, par conséquent, au mandat qu’ils se sont donnés, s’ils ne propageaient pas les mœurs militantes.[…] Qu’un de nos jeunes gens se laisse donc tenter, qu’il se fasse carrément l’apôtre du Wildisme, qu’il se lance par-là dans « la mêlée sociale », et il verra si le succès ne vient pas le rémunérer. […] Allons, qui va revendiquer le droit des « mœurs artistes » ? Qui va les légitimer esthétiquement, philosophiquement, révolutionnairement ? Qui est-ce qui « va émigrer » en l’honneur d’Oscar Wilde, et se bâtir, à côté de lui, sa petite case empestée mais originale dans quelque Sénégal ou quelque Guyane esthétiques ? Nous aurons donc certainement, un de ces jours, une nouvelle variété d’apôtre, celle des pratiques anti-physiques. Et il faut même que nous l’ayons, il manque à la collection, on le réclame, et il ne peut pas venir plus à propos. Le misérable public tant gobé de thèses, d’idées, de doctrines, de sottises, de nouveautés, de balivernes, de couleuvres de toutes les tailles, qu’il est ouvert aujourd’hui à tout ce qu’on voudra lui faire avaler.[…] Il a perdu


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le goût moral, et ne sait plus faire la différence entre le bon et le mauvais, le sain et le malsain. Pourvu qu’on le distraie, qu’on l’occupe, qu’on l’excite, ou qu’on l’agace, il ne regarde pas à ce qu’on lui offre, et considère tout comme un sport, dans lequel il accorde son admiration, ou tout au moins sa curiosité, au plus fort et au plus adroit, quand ce n’est pas au plus cynique. […] Le dilettantisme, aujourd’hui, n’est pas seulement le fait de quelques écrivains ou de quelques artistes, mais celui de la foule, et tout s’y juge au point de vue de ce dilettantisme, tout s’y mesure, tout s’y rapporte, et c’est bien l’heure, par conséquent, de lever la noble bannière du Wildisme. Que nos esthètes y songent, que les entrepreneurs ordinaires de ces sortes de librairies préparent pour cette œuvre éminemment occulte leurs couvertures les plus mystiques, et que les petits pets-en-l’air de la décadence s’y consacrent religieusement. Maurice Talmeyr La Revue Hebdomadaire – Paris 1895 – Tome XXXV – Libairie Plon

Né en 1850, Maurice Talmayr est un romancier, essayiste et journaliste français. Il écrit dans de nombreux quoditiens où il contribue à des chroniques sur la vie littéraire, artistique et politique. On goûtera ici la condescendance affichée à l’encontre de Wilde (et de ses suppots, les esthètes), la raillerie moralisatrice appliquée aux petits « pets-en l’air de la décadence ». Le bon goût bien-pensant a encore frappé !


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§9. Un soleil de vin chaud Par Véronique Wilkin

Le 16 décembre 1898, Oscar Wilde arrive à la Napoule, invité par Frank Harris à passer quelques semaines sur la Riviera, à ses frais et en sa compagnie, avec l’espoir de reprendre des forces morales après des mois pénibles à Paris et, le calme et la beauté des

lieux

aidant,

de

retrouver

assez

de

stabilité

pour

recommencer à écrire. Le calme et la tranquillité de l’esprit, essentiels à la création sont, en ce début d’hiver, tout ce à quoi il dit aspirer. Quelques mois plus tôt, la publication de son poème The ballad of the Reading Gaol lui a valu la reconnaissance de sa force poétique et tous ceux qui ont lu son rythme incantatoire et puissant savent qu’Oscar Wilde n’a pas perdu sa voix en prison. L’homme a été brisé par le sort monstrueux que lui a réservé l’appareil judiciaire britannique mais l’écrivain n’a pas été affecté, au contraire, au sortir de prison il semble être à l’acmé de son art. Pourtant, depuis sa ballade, il n’écrit plus rien, ou plutôt il n’arrive plus à écrire, et cette incapacité est pour lui comme une mutilation supplémentaire. «I can’t write», la constatation ponctue ses lettres. Parmi le cercle d’amis qui le soutient encore, beaucoup espèrent que ce silence ne soit que passager et tous, avec plus ou moins d’insistance, reviendront à la charge pour l’inciter à coucher sur le papier cette nouvelle pièce qui, ils en sont persuadés ou veulent l’en persuader, lui permettra de


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retrouver son rang d’auteur dramatique et des moyens financiers. De le sauver corps et âme et de les dédouaner de l’impuissance où ils sont de l’aider véritablement. Il est des rivages du désespoir où un triomphe semble un objectif raisonnable. Il occulte le réel le temps d’une respiration. Frank Harris, lui, croit sûrement qu’Oscar Wilde peut encore écrire cette pièce miraculeuse. Il était si doué et il l’est encore, il n’est qu’à passer un moment avec lui pour s’en persuader, il n’a perdu ni son humour, ni son esprit, et la plus courte de ses lettres témoigne d’un style intact. Et, en dépit d’une vieille amitié, Harris est surtout un homme d’affaires qui sait flairer un bon coup : aider Oscar Wilde pourrait se révéler rentable, comme pourrait se révéler rentable cet Hôtel des Bains, à la Napoule, qui pourrait devenir un palace et concurrencer ceux de Cannes, là juste en face de la baie, il suffirait d’insuffler de l’argent, de l’énergie pour le transformer en lieu de villégiature privilégiée …. Et comme il est beau parleur le propriétaire de l’hôtel boit ses paroles et se prend à rêver d’un avenir mirobolant. Et comme il est beau parleur il a su convaincre Oscar de venir à La Napoule, dans son hôtel aux œufs d’or, de laisser derrière lui la dureté de sa vie parisienne, sa situation inextricable et fausse, de respirer le bleu. Et dans un mois il aura produit une œuvre d’art. Un hiver au soleil en échange d’une pièce éclatante.


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Oscar Wilde, lui, a accepté l’invitation avec un enthousiasme des premiers jours qui est perceptible dans ses lettres. Lui qui cultive la grâce de rester léger sur des sujets graves juge son incapacité à écrire avec une acuité douloureuse. Il a su diagnostiquer les racines de son mal : entre l’écrivain qu’il est resté et la vie que le sort lui a réservée, le hiatus est trop grand. L’homme peut survivre mais ne parvient plus à faire vivre celui qui écrit en lui. A H.C Pollitt, il écrit le 26 novembre 1898 « (…)Vous me demandez ce que j’écris : j’écris très peu. Je suis perpétuellement harcelé par ce moustique : l’argent, dérangé par des petites choses comme des notes d’hôtel et le manque de cigarettes ou de cinq malheureux francs. La paix est nécessaire à l’artiste comme au saint ; mon âme est racornie par des anxiétés sordides (…). »


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Avec Robert Ross, il est encore plus explicite, le 3 décembre 98 «(…) Mais sur quoi pourrais-tu me donner des leçons, si ce n’est sur mon passé et mon présent, que tu exclus expressément. Je n’ai aucun futur, mon cher Robbie. Je sais que je ne suis plus capable d’une pensée complexe et structurée : je n’ai que des humeurs et des moments et L’Amour ou la Passion avec le masque de l’Amour est ma seule consolation. (…)» La Napoule, avec sa belle solitude qui voisine avec la vie élégante de Cannes et celle, mondaine et théâtrale, de Nice a tout pour favoriser la paix de l’âme et redonner un élan à la création. Il y a la haute lumière de l’hiver, les rochers de porphyre rouge et : « le soleil est doré comme un abricot et chaud comme le vin, l’hôtel où je réside est sur le golfe de Juan et tout autour il y a des pins avec leurs effluves piquantes, l’air devient aromatique quand il passe à travers leurs branches et on marche dans la douceur d’un tapis d’aiguilles : je voudrais que vous soyez-là », écrit-il à Louis Wilkinson.


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Dans chacune de ses lettres, le même tableau enchanteur est dépeint, La Napoule est magnifique, le site ressemble à un tableau de Conder, et il y est heureux. Heureux mais seul ; à la plupart de ses correspondants, il demande de venir le rejoindre, en vain. Il y a les visites aux boutiques de Cannes, deux fois par semaines, il y a les conversations avec Frank Harris qui parle de Shakespeare et d’affaires à faire et s’éclipse sans crier gare, il y a le propriétaire de l’hôtel que sa conversation charme mais qui s’inquiète d’une note qui s’allonge, il y a les batailles de fleurs et le carnaval de Nice, la vie cosmopolite et élégante de la Côte, il y a la compagnie des pêcheurs, il y a de l’insouciance sans légèreté, le badinage épistolaire. Dans la réalité, il n’y a personne et surtout pas celui qu’il cherche : lui-même. Les semaines passent, filent, dans la déflagration des mimosas et aucun signe de l’œuvre d’art promise n’apparait. Oscar n’écrit pas plus à la Napoule qu’à Paris. A aucun moment, il ne revient sur ce mutisme, sur ce manque, sauf pour glisser à H.C Pollit « Parfois, quand je suis morbide, je souffre de ce manque d’intellect, mais c’est une grave faute. Cela vient d’Oxford, aucun de nous ne survit à la culture. »


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Portrait de Herbert Charles Jérôme Pollitt Rien ne change pour lui. La Riviera est un résumé de son ancienne vie, comme le lui démontre cette rencontre fortuite avec George Alexander, celui-là même qui montait une de ses pièces quelques années plus tôt, et qui jaillit à bicyclette, comme un diable au détour du chemin et lui adresse un sourire torve en pédalant le plus vite qu’il le peut. Absurde attitude dira Oscar, mais qui illustre l’ostracisme qui l’entoure où qu’il aille et le désir d’écrire n’y survit pas. Frank Harris est de moins en moins présent, mais la solitude génère un nouvel ami : Harold Mellor, jeune et neurasthénique, entiché d’un garçon qui porte un nom de folle avoine, Eolo. Avec Mellor, Oscar commence une amitié tantôt acide, tantôt placide. Pour Oscar, et à l’hôtel des Bains, Mellor commande le meilleur des champagnes, et sa compagnie lui fait oublier la dureté d’un


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Noël solitaire. Il l’invite à Nice voir Sarah Bernhardt jouer la Tosca, favorisant la dernière entrevue entre la comédienne et celui qui a été son admirateur passionné. Soirée de rires et de larmes, de projets, sans doute, et de promesses de se revoir qui n’aboutiront à rien. Mélancolie des grands hôtels, surface d’un monde vu de l’autre côté du miroir, visible sans plus être accessible. En février, l’ennui a pris le pas sur les pins, les rochers rouges et les plaisir de la pêche. Sans rien avoir écrit que des bribes évocatrices de la belle baie, Oscar quitte l’hôtel des Bains, et va vivre sans argent dans les palaces de Nice en attendant que Frank Harris règle la note et qu’Harold Mellor l’invite en Suisse pour quelques semaines. Aux vacances studieuses se substitue l’errance. « Je repense avec joie et regret au beau soleil de la Riviera et au charmant hiver que vous m’avez si gentiment et généreusement offert. C’était très bon de votre part et je ne pourrais jamais l’oublier. » écrit-il à Frank Harris le 19 mars 1899.


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Charles Conder – Vacances à Menton

Quelques semaines anecdotiques, mais qui sont un miroir assez fidèle de l’inextricable situation de Wilde, de son incapacité à renouer avec les forces de sa création littéraire et de son regard lucide où la futilité n’est que le masque d’élégance du morbide.

Véronique Wilkin

L’auteur

remercie

Madame

Thérèse

Sine,

responsable

des

Archives de la Napoule, pour sa disponibilité et les documents d'époque qu'elle lui a fournis à propos de la Maison Longua qui fut l'Hôtel des Bains où Wilde passa l'hiver de 1898-99.


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§10. LA BIBLIOGRAPHIE DU MOIS Influences françaises et sources dans l’œuvre d’Oscar Wilde par David Rose Auteur

Titre

éditeur

date

Doan, Phuong Mai

A Rebours de Huysmans et l'intertextualité flaubertienne. Etude d'un cas: la description de Salomé

inconnue

Hartley, Kelver

Oscar Wilde, l’influence française dans son œuvre

Librairie du Recueil Sirey

1935

Evans, B. Ifor

English Poetry in the Later Nineteenth Century [Baudelaire]

Methuen

1933

Jacques de Langlade

Oscar Wilde, écrivain français

Stock

1975

Le Juez, Brigitte

Art, écriture et moralité: Flaubert modèle d'Oscar Wilde.

Peter Lang

2004

Lück, Karl

Das franzözische Frendwort bei Oscar Wilde als stilistisches Kunstmittel.

Emil Hartmann

1927

MacDonald, Ian A.

Oscar Wilde as a French writer: considering Wilde’s French in Salomé

Michael Y. Bennett (ed.)

2011

Magid, Annette M. (ed.)

Wilde’s Wiles: Studies of the Influences on Oscar Wilde and His Enduring Influences in the Twenty-

Cambridge Scholars Press

2013

Chapter XIV: Oscar Wilde pp.309, 313

in : FranceIreland: Anatomy of a Relationship. Studies in History, Literature and Politics pp.8396.

Refiguring Oscar Wilde’s Salome. Amsterdam: Rodopi


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The French Influences on Oscar Wilde’s Comedies.

Revue de Littérature Comparée 42

1968

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Oscar Wilde's Allusions and References to Baudelaire, An Essay.

The Author

2001

Nicholas,

Two Nineteenth Century Utopias: The Influence of Renan’s L’Avenue de Science’ on Wilde’s ‘Soul of Man under Socialism’.

Modern Language Review

July 1964

Ogane, Atsuko

Du mythe solaire au mythe lunaire: d'Hérodias de Flaubert à Salomé d'Oscar Wilde.

Rue des Beaux-Arts 18

2009 JanFév

Ogane, Atsuko

De l’écriture sainte à l’écriture tentatrice. Hérodias de Flaubert et Salomé d’Oscar Wilde.

site du Centre Flaubert, rubrique «Études critiques»

2009

Ogane, Atsuko

Critique génétique d'Hérodias de Flaubert: la transcription des manuscrits de “la danse de Salomé” et la question de la mise en oeuvre.

The Liberal Arts Association, College of Law, Kanto Gakuin University Journal of Arts and Sciences, n°19

2009 Jan

Paul, Charles B. & Pepper, Robert D.

The Importance of Reading Alfred: Oscar Wilde’s Debt to Alfred de Musset.

Bulletin of the New York Public Library 75

1971

pp.506-42

Powell, Kerry

Oscar Wilde & the Theatre of the 1890s

Cambridge University Press

1990

pp.163, 175

Raafat Z.

The Literary Indebtedness of Wilde’s Salome to Sardou’s Theodora

Revue de la Littérature Comparée 40

1966

Raby, Peter

Oscar Wilde [Flaubert]

Cambridge University Press

1988

Edward H.

Brian

pp.361-70

pp.37, 64


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Sammells, Neil

Wilde and Dandyism : From Baudelaire to Bowie.

Longmans

2000

Chapter V of Wilde Style: The Plays and Prose of Oscar Wilde.

Yeoland, Rosemary

Richard Strauss, Romain Rolland and the French Salomé

Richard Strauss Jahrbuch

2013

Tutzing: Hans Schneider Pp 61-77


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§11. Conférences et colloques

TULSA – Oscar Wilde and the Law Les 7 et 8 novembre dernier, une conférence s’est tenue à l’Université de Tulsa (Oklahoma), pendant laquelle Merlin Holland est intervenu sur le thème : "Oscar Wilde: A Century of Copyrights and Wrongs"

Robert Spoo, éminent professeur de droit et expert sur les questions de copyright et de propriété intellectuelle, était


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l’organisateur de la conférence qui se proposait d’examiner les diverses manières dont Oscar Wilde s’est confronté à la loi, quelquefois tragiquement et de façon infamante, ainsi que les contextes légaux – diffamation, copyright, chantage, outrage aux mœurs, homosexualité – mis en lumière par l’expérience de Wilde pendant sa vie et après sa mort. Voici le programme de la conférence : Thursday, November 7 12:15 - 1:45 PM Keynote Address: "Oscar Wilde: A Century of Copyrights and Wrongs" Merlin Holland 2:00 - 3:45 PM Panel: "Oscar Wilde: Private Acts, Public Opinion, Public Display" Moderator: Robert Spoo, Chapman Distinguished Professor of Law, The University of Tulsa College of Law *Brief remarks, Clayton B. Hodges, Director, The Importance of Being Earnest, Theatre Tulsa "Oscar Wilde: Shifting Public Opinions and the Enticing Danger of Community Support" Professor Laura Appleman, Willamette University College of Law "Oscar Wilde, Trademarking Taste" Professor Jonathan Goldman, English Department, New York Institute of Technology "Whistler, Wilde, Sargent, and the Dandy" Joseph A. Kestner, McFarlin Professor of English, The University of Tulsa Friday, November 8


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Noon - 1:30 PM Panel I: "Wilde, Dorian Gray, Blackmail, and the Law" Moderator: Professor Stephen Galoob, The University of Tulsa College of Law "The Trial of Dorian Gray" Professor Simon Stern, University of Toronto Faculty of Law "The Puzzle of Blackmail" Professor Russell Christopher, The University of Tulsa College of Law "Genre on Trial: A Picture of Wilde's Persecution" Matthew Kochis, Mellon Postdoctoral Fellow in Digital Humanities, Dickinson College 1:45 - 3:15 PM Panel II: "Law, Libel, and Literature" Moderator: Tamara Piety, Phyllis Hurley Frey Professor of Law, The University of Tulsa College of Law "Libel and Literature" Sean Latham, Pauline Walter Professor of English and Comparative Literature, Editor, James Joyce Quarterly, The University of Tulsa "He's a Pishogue, If You Know What That Is: Oscar Wilde, Leopold Bloom, and the Citizen at the Bar" Professor Margot Backus, Department of English, University of Houston "Oscar Wilde: Man of Law" Professor Robert Spoo, The University of Tulsa College of Law

Parallèlement à la conférence, le théâtre de Tusla présentait une nouvelle production de The Importance of being Earnest ainsi qu’une adaptation dramatique de « The Critic as artist ».


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§12. Handbag

Reading – Fin de Ballade La prison de Reading, où Oscar Wilde a été incarcéré entre novembre 1895 et mai 1897, a été fermée le 20 décembre 2013 en vue d’être remplacée, selon les plans gouvernementaux par une super-prison,

plus

moderne

et

mieux

adaptée.

Les

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prisonniers qui y étaient incarcérés ont été dispersés sur d’autres sites. Ainsi vont disparaître les murs entre lesquels Wilde fut enfermé et qui lui inspirèrent son poème : La Ballade de la Geôle de Reading. La Oscar Wilde Society anglaise a lancé un appel pour une préservation de ce bâtiment iconique, possiblement comme attraction touristique et pour la conservation du souvenir de son plus célèbre prisonnier.


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La prison de Reading vue des ruines de l’Abbaye

Ceux qui souhaiteront retrouver la trace d’Oscar Wilde en ces lieux pourront encore se promener dans l’allée Wilde qui longe le mur de la prison.


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La clôture qui la borde porte la phrase que prononça Wilde à sa sortie de prison.


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À la gare de Twyford où deux gardiens l’avaient escorté, il s’était arrêté devant un buisson en fleurs en s’écriant : « Ô beautiful world », à la grande confusion des gardiens qui lui dirent : « s’il vous plait, monsieur Wilde, il ne faut pas vous trahir comme ça. Vous êtes le seul homme en Angleterre qui puisse parler de la sorte dans une gare de chemin de fer ! »1

1

Richard Ellmann, Gallimard, 1994, p.558, de New York Times 19 mai 1897.


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Entrée de l’allée Wilde


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Je ne sais pas si les lois sont fondées, Ou si les lois sont sans raison, Tout ce qu’on sait, captif, c’est que le mur Est solide en cette prison, Que chaque jour est long comme une année, Une année dont les jours sont longs


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§13. The critic as artist (Cinéma) Le géant égoïste Par Laurent Cambon

Oscar Wilde a écrit un conte qui tient sur à peine trois pages « Le géant égoïste » là où Clio Bernard parvient à faire un long métrage d’une heure trente. C’est l’histoire simple et belle d’un géant qui prive les enfants d’accéder à son jardin, par pur égoïsme, lequel jardin dépérit dans un hiver permanent jusqu’au jour où un enfant clouté aux mains et aux pieds parvient à s’engouffrer par


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une brèche du mur. Wilde dépeint un univers triste et décadent où se mêlent légèreté, enfance, sacrifice, déité et amour. Le titre du conte est beau. Le film ne l’est pas moins. Il fait gris dans cette banlieue anglaise. De temps en temps, le paysage s’égaye de vues magnifiques traversées par des chevaux et des morceaux de ciel clair, fracturés de fils électriques. Les familles dépérissent dans la misère, les enfants sont mal élevés et mettent à mal l’autorité des enseignants, les adultes transgressent la loi. Il n’y a pas d’espoir possible, à part peut-être la manière dont ces deux bouts de gamins, ratissent les paysages, les routes et les rues, avec une brouette sur laquelle ils entreposent divers matériaux de récupération qu’ils vendent à un ferrailleur. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène superbe où les deux petits se cachent d’adultes, plus aguerris qu’eux au vol de métaux sur les voies de chemins de fer, mais dont ils finissent dans un mouvement de joie par récolter le butin. Cette scène amorce dès le départ un climat ambigu qui mêle à la fois les lumières de l’enfance, la dureté de la société anglaise et la brutalité, ô combien d’actualité, des trafics de métaux. Les chevaux occupent une grande place dans ce conte filmique, se situant à la fois comme victimes de la violence humaine, adjuvants à leurs trafics, et objets de désir et d’amour. Ce triptyque bien connu des psychanalystes constitue le moteur essentiel du film qui, à la manière de Wilde, ne se résout jamais à privilégier le drame, l’ironie, la critique sociale ou la douceur de l’enfance. Ces diables d’adolescents s’amusent autant qu’ils se mettent en danger ou qu’ils exaspèrent les adultes, voire les


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spectateurs, du fait de leurs effronteries et de leur défi permanent vis-à-vis de l’autorité. Pourtant, il y a de l’amour entre ces deux gamins. C’est un amour exclusif construit à partir de la rupture de ces deux adolescents de leur communauté scolaire et de leur famille. Ils errent à longueur de journée sur les routes dans la quasi indifférence de leurs parents. La mère d’Arbor se débat avec un grand fils toxicomane dans un positionnement maladroit et complice des agissements de son plus jeune fils. Leur amitié cousue de fils électriques se heurte peu à peu à celle du géant égoïste, ce ferrailleur immense, Kitten, dont ils attendent de la reconnaissance, un terrain pour jouer aux grands et l’amour du père qu’ils n’ont pas. Il emmène le moins dégourdi des deux enfants, Swifty, qui révèle un talent à dresser les chevaux et à conduire des courses clandestines. Et c’est ce talent qui constitue le nœud du drame. Les chevaux deviennent alors les lieux même de la jalousie, de l’ascension sociale dans l’univers du recyclage et du trafic de métaux, et de la fracture d’amour entre les enfants. Beaucoup comparent Clio Bernard à Ken Loach. Cela n’est pas faux, le film poursuivant le savoir-faire britannique des tragédies sociales. Clio Bernard va au-delà du seul pamphlet sociologique. Elle tisse un film d’abord sur l’enfance, certes des enfances cruelles et chaotiques dans un univers dur. Ce film raconte l’entrée inéluctable dans l’enfer de la délinquance organisée de deux enfants dont on ne parvient pas vraiment à donner un âge. Ils apprennent à mentir, à tromper leur monde, à braver les interdits et l’autorité. Ils apprennent à aimer aussi. Une scène absolument touchante de pudeur et de légèreté, montre les deux gamins qui jouent et rient dans ce qui leur sert de charrette pour


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récolter

leurs

précieux

métaux.

Et

la

fin,

magnifique

et

nécessaire, conclut le film sur l’enfance dans ce qu’elle peut avoir de plus juste, d’universel, mais aussi de plus fragile. Voilà un film qu’il faut se précipiter de voir. Non seulement parce que l’esprit de Wilde, encore plus irlandais que d’habitude, le domine mais tout simplement, parce que l’enfance est si belle.

Le géant égoïste, un film de Clio Bernard, avec Conner Chapmann, Shaun Thomas, Sean Gilder, distribué par Pyramide Distribution.

Laurent Cambon

Né en 1972, Laurent Cambon est sociolinguiste et Maître de Conférence associé à Paris XII, ainsi que directeur d’une association de protection de l’enfance.


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§14. WWW.OSCHOLARS.COM www.oscholars.com abrite un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en est David Charles Rose (Université d’Oxford). Voir aussi le site allié www.thefindesiecle.com, rédactrice Tara Aveilhé (Université de Tulsa). THE OSCHOLARS est un journal international en ligne publié par D.C. Rose et son équipe de rédacteurs, consacré à Wilde et à ses cercles, il compte plusieurs mille lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007. Les numéros de juin 2002 à octobre 2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site www.irishdiaspora.net. Vous y découvrirez une variété d’articles, de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc. L’appendice ‘LIBRARY’ contient des articles sur Wilde republiés des journaux. Le numéro 51 : Mars 2010 est en ligne ; mais on peut trouver sur le site plusieurs feuilletons mensuels. Désormais

(automne

2012),

THE

OSCHOLARS

apparaîtra chez http://oscholars-oscholars.com/ THE EIGHTH LAMP : Ruskin studies to-day – rédactrices Anuradha

Chatterjee

(Xi’an

Jiaotong

University,

China)

et

Laurence Roussillon-Constanty (University of Toulouse). Désormais

(janvier

2012),

THE

EIGHTH

LAMP

apparaîtra chez http://issuu.com/theeighthlamp/docs/l87.


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THE

LATCHKEY

rédactrices

sont

est Petra

consacré

à

‘The

Dierkes-Thrun

New

Woman’.

(Stanford

Les

University),

Sharon Bickle (University of Queensland) et Joellen Masters (Boston University). Le numéro le plus récent en ligne est daté de Summer 2013. MELMOTH était un bulletin consacré à la littérature victorienne gothique, décadente et sensationnelle. La rédactrice était Sondeep Kandola, Université de Liverpool John Moores. Le numéro 3 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. Moorings est consacré au monde de George Moore, écrivain irlandais, bien lié avec beaucoup de gens du fin de siècle, soit à Londres, soit à Paris. Le numéro 3, été 2008, est en ligne. Actuellement, on trouvera sa nouvelle version ici. RAVENNA effectue une exploration des liens anglo-italiens à la fin de siècle. Les rédacteurs sont Elisa Bizzotto (Université de Venise) et Luca Caddia (University of Rome ‘La Sapienza’). Le numéro 3 en ligne est celui de fin mai 2010, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues.

Shavings est un bulletin consacré à George Bernard Shaw. Le numéro 28 (juin 2008) est en ligne ; désormais on le trouvera dans les pages de UpSTAGE.

The Sibyl

(commencé au printemps 2007) explore le monde

de Vernon Lee, écrivaine anglaise, née le 14 octobre 1856 au


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Château St Léonard, à Boulogne sur Mer; décédée à Florence, le 13 février 1935. La rédactrice est Sophie Geoffroy (Université de La Réunion). Le numéro 4 (hiver 2008/printemps 2009) est en ligne. Actuellement, on le reprend ici. UpSTAGE est consacré au théâtre du fin de siècle, rédactrice Michelle Paull (St Mary’s University College, Twickenham). Le numéro 6 est en ligne VISIONS (deux ou trois fois par an) est consacré aux arts visuels de la fin de siècle. Les rédactrices associées sont Anne Anderson (University of Exeter), Isa Bickmann, Tricia Cusack (University of Birmingham), Síghle Bhreathnach-Lynch (anciennement National Gallery of Ireland), Charlotte Ribeyrol (Université de Paris– Sorbonne) et Sarah Turner (University of York). Le numéro 8 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. www.oscholars.com est/était édité par Steven Halliwell, The Rivendale Press, spécialiste de la fin-de-siècle.


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§15. Signé Oscar Wilde

Il ne faut regarder ni les choses, ni les personnes. Il ne faut regarder que dans les miroirs, car les miroirs ne nous montrent que des masques. Salomé

Neither at things, nor at people should one look. Only in mirrors should one look, for mirrors do but show us masks Salome


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