Rue des beaux arts 49

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RUE DES BEAUX ARTS Numéro 49 : Octobre/Novembre/Décembre 2014

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16 Octobre 2014 – 160 e anniversaire de la naissance d’Oscar Wilde


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Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm

et les numéros 42 à 48 ici.


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1. Editorial Après Wilde

Le 30 novembre 1900, quand Oscar Wilde s’éteint, veillé par Robert Ross et Reginald Turner, dans sa modeste chambre de l’Hôtel d’Alsace, peu donnent cher de sa postérité. Au contraire, nombreux sont ceux qui croient que cette mort met un point final à l’histoire tumultueuse d’un homme qui a bousculé bien des idées reçues, bien des valeurs morales solidement établies ; certains vont même jusqu’à espérer – sans le dire – que la liberté dérangeante de ce trublion scandaleux, git, définitivement enterrée, sous deux bons mètres de terre. Requiescat in pace, et refermons pour de bon ce livre sulfureux qui n’a sa place que dans l’enfer des bibliothèques. L’oubli fera le reste. Aujourd’hui encore, on a tendance à penser qu’il fallut bien du temps à Wilde pour ressusciter, qu’il eut à traverser des années de désert et de réprobation pour commencer à resurgir dans les


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mémoires et dans l’histoire littéraire. Or, l’oubli n’accomplit jamais tout à fait son œuvre. Tout de suite après sa disparition, certains s’entendirent à entretenir la flamme et à tenter de restaurer la réputation d’Oscar Wilde. À commencer par Robert Ross. Comme on sait, Wilde fut d’abord inhumé au cimetière de Bagneux, au sud-ouest de Paris, dans une concession que Ross espérait temporaire, souhaitant être en mesure de faire transférer rapidement le corps dans un lieu plus prestigieux. Cette tombe originelle était entourée d’une chaîne et à sa tête, une pierre portait ces mots : Oscar Wilde Oct 1854 – Nov 30th 1900 Verbis meis addere nihil audebant et super illos stillebat eloquium meum. Job XXXIX, 22. R.I.P. 16th

Il faudra cependant presque neuf ans à la dépouille de Wilde pour connaître sa sépulture définitive au Père Lachaise, où elle fut transférée le 19 juillet 1909. Mais entre 1900 et cette date, plusieurs admirateurs endeuillés avaient déjà transformé celle de Bagneux en lieu de pélerinage. Dans son livre de mémoires “Twenty years in Paris”, Robert Sherard raconte sa participation en 1904 à l’un de ces pélerinages dont les étapes principales comptaient le cimetière de Bagneux et l’hôtel D’Alsace. Là, le propriétaire, Jean Dupoirier, recevait enfin la récompense de ses bontés passées pour Wilde en retirant un bon profit de sa chambre, laissée en l’état, avec les mêmes meubles, et même – paraît-il – la seringue avec laquelle


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son locataire recevait des injections de morphine pendant son agonie.1 Les compagnons de Sherard étaient un jeune acteur New Yorkais, Donald Bruce Wallace, et Christopher Millard, grand admirateur de Wilde, qui devait plus tard publier une bibliographie de ses œuvres sous le pseudonyme de Stuart Mason et devenir en 1911 le secrétaire particulier de Robbie Ross. Le voyage de Wallace et Millard était clairement destiné à rendre hommage à un martyr homosexuel. Dès ce tout début de siècle, Wilde était devenu une icône pour les adeptes de l’amour qui n’ose pas dire son nom. Dans son introduction au recueil qu’André Gide consacra à Wilde2, Millard décrit sa visite à Bagneux avec Wallace comme un “pélerinage d’amour” pendant lequel ils “baignèrent de leurs larmes les lys et les roses dont ils avaient couvert la tombe du poète”.

1 Cf http://www.branchcollective.org/?ps_articles=ellen-crowell-oscar-wildes-tomb-silenceand-the-aesthetics-of-queer-memorial 2 « Oscar Wilde : a Study », en anglais, traduit de « Prétextes » d’André Gide


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Les lieux de recueillement ne se bornaient pas à Bagneux. La comtesse Anna de Brémont, qui connut bien Wilde, raconte dans une lettre qu’elle envoya à Robbie Ross en 1905 pour le remercier de l’envoi d’une copie de « De profundis », que le lendemain matin de la réception du livre, elle fit un pèlerinage en la mémoire d’Oscar, d’abord à l’Eglise Saint Germain des Prés « où la messe de requiem s’était tenue au-dessus de ses restes ». Elle s’était assise à la même place où elle se trouvait en ce jour endeuillé de décembre et avait communié avec l’âme de Wilde qui, peut-être, planait encore là. Puis, poussant de quelques mètres, elle s’était rendue Rue des Beaux-Arts, dans l’hôtel où Wilde était mort. Il nous reste donc quelques témoignages du souvenir ému et vivace laissé par Wilde après sa mort, en dépit du discrédit jeté sur lui dans les cinq dernières années de sa vie. Encore n’est-ce là, sans doute, que la partie visible de l’iceberg, car combien d’autres – célèbres ou anonymes - ont-ils voulu, eux aussi lui rendre hommage par ces pèlerinages sans en avoir laissé de trace écrite ?


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Wilde n’était pas un paria pour tout le monde après sa disparition. Ceux qui l’avaient connu savaient combien il avait été un être civilisé et aimable. Beaucoup se souvenaient de la brillance de son esprit, de son art de la conversation, de sa générosité de cœur. Et de ses magnifiques talents d’auteurs. Tout cela ne pouvait finir enseveli dans le terne cimetière d’une banlieue parisienne où Wilde n’avait jamais mis les pieds. Le Père Lachaise, qui donnait asile à tant de grands noms, était seul capable de lui offrir une terre pour l’éternité. Ce fut chose faite, grâce à Ross qui put y acheter une concession. Encore fallait-il un monument digne du disparu pour couronner la tombe. En 1908, un grand dîner réunissant nombre d’amis de Wilde fut donné au Ritz en l’honneur de Ross, qui venait de publier The Collected Edition of The Complete Works of Oscar Wilde1. Parmi les quelques deux cents convives, se trouvaient Cyril et Vyvyan Holland, les deux fils de Wilde. À la fin du dîner, Ross fit une annonce surprise, révélant qu’un bienfaiteur anonyme (en réalité Mrs Helen Carew, mère de Sir Coleridge Kennard2, ami de Vyvyan Holland), lui avait envoyé un chèque de £2000 (environ $325 000) pour ériger un monument sur la tombe de Wilde, à condition qu’il soit réalisé par le jeune sculpteur américain Jacob Epstein (poulain de Will Rothenstein). Cette annonce mit fin aux espérances de l’un des convives qui, sachant qu’un projet de monument pour Wilde était dans l’air, avait déjà commencé à travailler sur une statuette. The Complete Works of Oscar Wilde, Methuen, Londres, 1908. Jacques-Emile Blanche fit un portrait de Sir Coleridge Kennard : « Sir Coleridge Kennard sitting on the sofa », qui fut rebaptisé « The Portrait of Dorian Gray » par le galeriste Jacques Charpentier quand il l’exposa en 1926, sous la condition que le nom du modèle n’apparaîtrait pas dans le catalogue. 1 2


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Ce convive était Charles Ricketts, l’artiste avec lequel Wilde avait souvent collaboré. Il avait été l’illustrateur de plusieurs de ses œuvres, en particulier de «La Maison des grenades » et de ses poèmes en prose, comme « La Sphinge », « Le Disciple » ou « La Maison du Jugement ».

La Sphinge

Le Disciple

La maison du jugement

Dès septembre 1905, Ricketts avait travaillé sur une statuette de bronze intitulée « Silence », conçue comme un mémorial à Wilde, qui fut d’abord exposée à la New Gallery en janvier 1906, puis à la Carfax Gallery, celle de Ross et More Adey, en mars de la même année. Il en subsiste aujourd’hui deux exemplaires, l’un appartenant à un collectionneur privé, l’autre étant détenu par The William Andrews Clark Memorial Library de Los Angeles.


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Le choix d’Epstein, jeune sculpteur d’avant-garde controversé, était audacieux, et la réalisation du monument n’alla pas sans d’importantes difficultés qu’on ne relatera pas ici dans leur totalité. Quand on compare les deux œuvres, on ne peut qu’être frappé par l’immense

différence

de

conception

qui

les

caractérise.

La

délicatesse un peu austère de l’œuvre de Ricketts, sa fragilité de Tanagra, s’oppose à la massive puissance de la sculpture d’Epstein, débordante de sensualité. Son ange-démon aux traits assyriens, exposant ses attributs sans vergogne, ne pouvait que soulever un vent de désapprobation et de scandale. Il fallait bien qu’Oscar Wilde, même mort, continuât à révolter les ligues de vertu. L’art de la provocation qui avait guidé sa vie continuait à s’exercer par-delà sa mort. Cela, certes, ne lui aurait pas déplu. On peut s’imaginer qu’il a dû bien rire en entendant les cris effarouchés de ceux qui s’esclaffaient et se cachaient les yeux devant l’objet du délit. Et peut-être, chuchota-t-il encore à Robbie, couché tout près de lui,


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comme il le dit jadis des trompettes du jugement dernier : « Robbie, Robbie, faisons comme si nous n’avions rien entendu ». Danielle Guérin-Rose


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2. PUBLICATIONS

Emmanuel Drugeon :

Vernadakis The

importance

Marianne of

being

Earnest Éditions Atlante –septembre 2014 Clefs concours – Anglais-Littérature IBSN : 978-2350302775

Oscar Wilde – Le fantôme de Canterville Illustrations – Barbara Brun Marmaille Compagnie – septembre 2014 ISBN 978-2367730349


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L'Eventail de Lady Windermere, Lady Windermere's fan, édition bilingue Traduction : Pascal Aquien Flammarion, Paris – septembre 2014

Elodie Degroisse – The Paradox of Identity. Oscar Wilde's The Importance of Being Earnest Presses Universitaires de France, Paris – PUF – Octobre 2014 IBSN 978-2130632955

Daniel Salvatore Schiffer – Oscar Wilde : Splendeur et misère d’un dandy Editions La Martinière – Septembre 2014 ISBN 978-2732464039


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Jacques- Emile Blanche – Portrait de Marcel Proust en jeune homme Bartillat – Septembre 2014 ISBN 978-2841005680

Dictionnaire Marcel Proust Publié sous la direction d’Annick Bouillaguet et de Brian G. Rodgers Editions Champion – octobre 2014 ISBN 978-2745328700

Ernest Pronier – Sarah Bernhardt, une vie au théâtre France Empire – Décembre 2014 ISBN 978-2704812875


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Et ailleurs…

Michelle

Mendelssohn

Henry

James,

Oscar Wilde and the Aesthetic Culture Edinburgh University Press – Novembre 2014 IBSN 978-0748697533

David M. Friedman – Wilde in America : Oscar Wilde

and

the

invention of modern celebrity. W. W. Norton & Company – Octobre 2014 ISBN 978-0393063172


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3. OSCAR WILDE ET LA BANDE DESSINEE OSCAR WILDE : LA RESURRECTION Par Dan Pearce Introduction — Deuxième episode — Troisième épisode — Quatrième épisode — Cinquième épisode — Sixième épisode — Septième épisode — Huitième épisode — Neuvième épisode — Dixième épisode — Onzième épisode — Douzième épisode – Treizième épisode — Quatorzième épisode — Quinzième épisode – Seizième épisode – Dix-septième épisode – Dix-huitième épisode – Dix-neuvième épisode -- Vingtième épisode

— Vingtième et unième épisode – Vingt-deuxième

épisode – Vingt-troisième épisode – Vingt-quatrième épisode – Vingt-cinquième épisode – Vingtsixième épisode - Vingt-septième épisode – Vingt-huitième épisode – Vingt-neuvième épisode – Trentième épisode – Trente et unième épisode – Trente-deuxième épisode.

Trente-Troisième épisode


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À suivre…


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4. Expositions Les Pré-Raphaélites à New York

The Pre-Raphaelite Legacy British Art and Design

Sir Edward Burne-Jones. The Love Song, 1868–77.

Cette exposition réunit des œuvres issues du MET et de diverses collections privées. Elle met en évidence la seconde génération des préraphaélites, en se concentrant sur les figures clés de Dante Gabriel Rossetti, William Morris et Edward Burne-Jones. Peintures, meubles, dessins, céramiques, vitraux, textiles, ainsi que des illustrations de livres datant des années 1860 jusqu'aux années 1890,

sont réunis là, pour la première fois pour nombre d’entre

eux, démontrant l'impact durable des idéaux préraphaélite. Leur


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influence marquera l’imagerie onirique du symbolisme, le design de l’Art Nouveau et la composition hallucinatoire du surréalisme.

20 mai – 26 octobre 2014 Metropolitan Museum of Art – New York

James McNeill Whistler à la Biennale de Liverpool The Bluecoat Presents James McNeill Whistler


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Cette année, le Bluecoat présente les œuvres du peintre américain James McNeill Whistler dans le cadre de la Biennale de Liverpool. L'exposition, la première de ce genre au Royaume-Uni, permettra d'explorer ce qui fait de Whistler l'artiste contemporain « original », et ce qui le différencie de l’art des artistes d’aujourd’hui. Le Bluecoat affichera des peintures, estampes, dessins et autres attirails associée à l'artiste flamboyant, tourné vers l'avenir.

5 juillet au 28 octobre 2014 – Liverpool


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5. OPÉRA Salomé De Richard Strauss D’après la pièce d’Oscar Wilde

À Vienne

4, 7 et 10 octobre 2014 - Direction : Alain Altinoglu 15, 19, 23, 27 janvier 2015 - Direction : Simone Young 2, 5 et 8 janvier 2015 - Direction : Peter Schneider Wiener Staatsoper Également à : • Hong Kong (9, 11 et 12 octobre)


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Et à … • Dallas (30 octobre au 8 novembre),

Avec :

Deborah Voigt

Robert Brubaker

Susan Bickley • Scott Quinn • Heather Johnson Direction : Evan Rogister • Bratislava (14 novembre au 19 décembre) • Naples (15 au 26 novembre)

Greer Grimsley


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Avec : Catherine Naglestad, Kim Begley, Tichina Vaughn, Markus Marquardt, Kim Wookyung, Jurgita Adamonyte Direction : Nicola Luisotti • Prague State Opera (23, 26 et 29 octobre, 25 novembre, 7 décembre 2014).

Direction : Heiko Mathias Förster Avec : Gun-Brit Barkmin, Jacek Laszckowski , Veronika Hajnová, Tomasz Konieczny, Št pánka Pu álková


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À Hollywood, a musical DORIAN’S DESCENT

En Première mondiale Produit par Doma Theatre et Requiem Media Productions – Los Angeles Livret de Chris Raymond, Marco Gomez, et Michael Gray Lyriques de Marco Gomez et Chris Raymon Musique de Chris Raymond Mise en scène : Marco Gomez Avec :

Michael

D’Elia,

Cassandre

Nuss,

Jeremy

Sage,

Kelly

Brighton, Toni Smith, Michelle Holmes, Lauren Hill, Tony Graham 30 Mai 2014 au 20 juillet 2014 MET Theatre – Los Angeles


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6. THÉÂTRE La compagnie des Framboisiers présente

Le Portrait de Dorian Gray

Avec : Benjamin Sieuw, Charles Filliaudeau, Jean-Baptiste Sieuw, Léa Monne, Aura Coben Tous les mercredis à 21H30 Du 10 septembre au 17 décembre 2014 Laurette Théâtre – 75010 Paris On peut aussi voir Salomé (du 19 septembre au 19 décembre), et L’Importance d’être Constant (du 20 septembre au 20 décembre)


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*

De Profundis

Avec : Christophe Truchi Mise en scène : Marjolaine Humbert Du 13 Septembre 2014 au 31 janvier 2015

Théâtre Pixel - Paris

**

Et ailleurs…


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Le Portrait de Dorian Gray à Bruxelles

Adaptation de Fabrice Gardin et Patrice Minck Mise en scène : Patrice Minck Avec : Damien de Dobbleer, Benoît Verhaert, Frédéric Clou, etc… Décors et costumes : Charly Kleinermann et Thibaut de Coster

22 octobre au 16 novembre 2014 Théâtre des Galeries - Bruxelles

Oscar De Masolino d’Amico En Italie


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Avec : Gianluca Guidi Mise en scène : Massimo Popolizio Musique : G. Mazzocchetti

27 et 28 juillet 2014 Tournée en Novembre. 48° Festival Teatrale di Borgio Verezzi (Savona)

The Importance of being Earnest à Londres

Avec : Rosalind Ayres, Niall Buggy, Patrick Godfrey, Nigel Havers, Martin Jarvis, Christine Kavanagh, Cherie Lunghi et Siân Phillips Mise en scène : Luc Bailey Décors : William Dudley Lumières : Olivier Fenwick


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27 juin au 20 septembre 2014. Harold Pinter Theatre - Londres


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7. Éclairages sur des masques : The Secret Fall of Constance Wilde Par Thierry Dubost

Inscrite dans son temps, marquée par une ou plusieurs cultures, la représentation théâtrale instaure en permanence un rapport renouvelé entre des œuvres dramatiques et les publics auxquels elle les révèle. Quelques caractéristiques permanentes demeurent, des mutations éphémères sombrent dans l’oubli, tandis que d’autres resurgissent de manière récurrente, porteuses de significations variables en fonction des moments d’occurrence. Parmi ces constantes, et bien qu’il soit quelquefois presque invisible, le masque figure au nombre des éléments constitutifs de l’acte théâtral, sachant que ses utilisations scéniques prennent des aspects différents selon les lieux et les époques. En tant qu’œuvre dramatique, The Secret Fall of Constance Wilde renvoie donc par définition à la problématique du masque et, soucieux de mettre à


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jour les subterfuges inhérents à l’expression dramatique, Thomas Kilroy y met en évidence la nature artificielle de la représentation. Dans cette pièce, l’auteur aborde la question du masque et de la découverte de l’être sous l’angle d’une oppression invisible. Personnages, marionnettes et langage figurent au nombre des outils dont il se sert pour nourrir sa réflexion. Dans The Secret Fall of Constance Wilde, le dramaturge se met en quête d’une vérité de l’être. Pour ce faire, il recrée l’histoire personnelle d’une femme, Constance Wilde, engagée dans un combat à la fois intime et social, lorsqu’elle se trouve confrontée à sa propre inexistence masquée. Par son contenu, la pièce tisse une unité avec un passé théâtral représenté par le personnage d’Oscar Wilde et par une filiation avec Yeats, laquelle s’affirme de façon plurielle. En premier lieu, par rapport à la théorie yeatsienne du masque et, d’une manière plus accentuée, par les rapprochements avec le théâtre asiatique. Ainsi, sur le plan symbolique, la figure/personnage de l’Androgyne amorce une convergence avec le théâtre oriental. Les correspondances avec le Kabuki se manifestent par exemple dans la relation que cette image entretient avec l’onnagata, mélange de force virile et de délicatesse féminine. En outre, l’utilisation de marionnettes, en tant que masques non réalistes représentatifs de vérités cachées, parachève un rapprochement avec un univers dramaturgique en rupture avec l’immédiateté des constructions réalistes occidentales. Sans aboutir à une fusion totale de cultures très éloignées, le recours aux marionnettes crée néanmoins une distance par rapport aux figurations usuelles de la personne. La scène, espace du travestissement et de l’artifice, s’affiche alors comme lieu de


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réflexion sur les masques, visibles ou non, perceptibles et institutionnalisés ou dissimulés sous une norme. Sur le plan formel, The Secret Fall of Constance Wilde rompt avec les usages contemporains tout en manifestant – dans l’esprit – une continuité par rapport à un héritage littéraire. Bien que Kilroy ait recours à des formes dramatiques allochtones, susceptibles de marquer une forte distance avec les modèles culturels en usage, il investit néanmoins un univers familier, celui dans lequel vivait Oscar Wilde. L’absence de coïncidence avec des réalités sociales en partie obsolètes aujourd’hui lui permet de mettre en évidence les comportements attendus par la société de l’époque et qui, par effet de miroir, révèlent la prégnance des masques dans le monde contemporain. La mise en relation d’événements reproduits sur scène avec la date de leur représentation pose toujours la question des liens qui unissent deux sphères temporelles a priori étrangères l’une à l’autre. The Secret Fall of Constance Wilde renvoie à une époque révolue et les enjeux exprimés dans la partie adjectivale du titre pourraient sembler quelque peu datés, en particulier dans un monde où la transparence est érigée en culte. Cependant, les métamorphoses graduelles de la société irlandaise, en léger décalage par rapport aux évolutions d’autres pays, leur donnent une actualité plus grande, sachant que d’autres changements sociaux, induits par le règne naissant du « politiquement correct », pourraient même octroyer un caractère avant-gardiste à la réflexion de Kilroy sur le masque :


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Then two other attendant figures lead Oscar and Constance into the spot, onto the disk, rather like hospital attendants with frail patients. [SFCW. 11] Puis deux autres figurants entraînent Oscar et Constance dans le rayon du projecteur, sur le disque, un peu comme des aidessoignants avec de frêles patients. [trad. fr. T. Dubost] Le cérémonial d’ouverture rappelle un certain nombre d’œuvres de Kilroy où, dès les premières répliques, le théâtre affiche sa nature spectaculaire et artificielle. La fragilité physique manifeste des deux protagonistes situe Constance et Oscar dans leur parcours existentiel, mais elle leur confère également un statut original, qui fait d’eux des personnages, plus que des personnes incarnées par des acteurs. Paradoxalement, compte tenu de la mise à distance que cette introduction présuppose, leur arrivée sur le plateau témoigne de la réalité de leur déclin. Ce moment particulier correspond à une mise à bas des masques puisque les corps ne peuvent cacher leur déchéance. Cependant, la perte d’autonomie physique des deux vieillards ne se limite pas à un constat de délabrement physiologique. Plus fondamentalement, la présence d’un guide qui règle leurs déplacements pose la question de la liberté de l’être, qui se répercute sur les événements à venir – chronologiquement antérieurs à la scène d’ouverture – et imprime cette interrogation sur le reste de la pièce. Cette vision initiale relative au statut des personnages (sujet / objet) semble confirmée par une autre indication scénique, qui reprend cette perspective de


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liberté entravée, sous forme d’une mise en œuvre théâtrale de la réflexion sur le masque : Constance crosses the stage at the back, walking with difficulty, holding the child puppets, in sailor suits, by the hands. Suddenly the puppeteers whisk the puppets away in a wild, childish run and then they are gone. [SFCW. 62] Constance traverse la scène, au fond, se déplaçant avec difficulté, tenant par la main les deux enfants-marionnettes, en tenue de marin. Tout à coup, les marionnettistes entraînent brutalement les marionnettes qui courent follement, comme des enfants, puis disparaissent. [trad. fr. T. Dubost] La mère et ses enfants se situent sur deux plans distincts, puisque Constance est incarnée par une actrice alors que Cyril et Vivyan sont métaphoriquement représentés par des marionnettes. Malgré cette opposition manifeste, Constance tient ses enfants par la main, ce

qui

leur

confère

une

existence

charnelle

symbolique.

Inversement, le lien établi entre les marionnettes et la comédienne agit sur le statut des acteurs et retire à Oscar, Constance et Douglas une partie de leur assise, car il pose indirectement la question de leur ancrage dans le réel. Lorsque les enfants échappent à Constance, ils semblent être les jouets de forces supérieures qui les emportent malgré eux, une situation qui rappelle

la

didascalie

d’ouverture

Constance

et

Oscar

paraissaient avoir perdu la maîtrise de leurs déplacements. La fuite des enfants renvoie au double statut de l’artifice et de l’authentique (exprimé ici par la manière dont les enfants sont entraînés hors-


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scène). La marionnette témoigne d’une rupture de l’illusion, d’une négation du processus d’identification qui se produit entre le spectateur et les comédiens, tout en illustrant d’une manière particulière le statut des individus dans la pièce. Si on la considère dans la perspective claudélienne, selon laquelle la marionnette est une parole qui agit, on constate qu’elle crée une mise à distance qui permet de révéler une vérité masquée. En l’occurrence, les personnages perdent un peu de leur réalité mais gagnent en crédibilité. En effet, le statut de marionnette fragilisée qui apparaît en filigrane comme définition de l’être renvoie à leur liberté entravée. Il annonce la force d’une emprise sociale sur les individus et assimile la puissance des codes sociaux à une dictature individualisée. Les personnages apparaissent alors non seulement comme sujets, éléments constitutifs de la représentation, mais aussi

comme

objets,

potentiellement

victimes

de

forces

dominantes : Constance. What you have to understand is that we women are trained from birth to conceal. Otherwise, you see, men would be unable to behave as they do. This is what is known as society. [SFCW. 30] Constance. Il faut que vous compreniez que depuis notre naissance, on nous enseigne, à nous les femmes, l’art de la dissimulation. Autrement, voyez-vous, les hommes seraient incapables de se comporter comme ils le font. C’est ce que l’on appelle la société. [trad. fr. T. Dubost]


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Sur le plan des idées, le parallèle entre les marionnettes et les personnages s’opère tout d’abord sous l’angle de la condition féminine. La vision caustique de Constance, presque ibsénienne, la rapproche fortement des figures inanimées qui hantent le plateau. Le portrait générique de la femme en tant qu’objet enserré dans un carcan de codes sociaux fait ressortir l’obligation qui lui est faite de porter un masque. Fruit d’une exigence communautaire masculine dont l’injustice est dénoncée, les reproches à l’encontre de cette dissimulation forcée constituent le premier volet d’une critique sociale qui gagne en intensité et en profondeur à mesure que les drames personnels viennent en surface. Le portrait à charge dressé à l’encontre du clan masculin s’alourdit encore lorsque Constance évoque sa vie conjugale. Elle révèle que la nécessité de se cacher dépasse le cadre des codes sociaux entendus dans une perspective large de communauté. Celle-ci s’applique également dans l’intimité du couple, où la possibilité d’expression demeure inconcevable dans certains domaines. Délaissée par son mari sur le plan sexuel pour des raisons qu’elle découvre plus tard, Constance fait état de sa meurtrissure, de ses doutes, confortés par une vision unique qui fait de la femme la responsable naturelle de tout échec sur ce terrain. Question inabordable, la sexualité compte au nombre des sujets que la communauté bannit de ses discours. Cependant, malgré les interdits qu’elle recouvre et les masques qu’elle génère, certains, sous couvert de fausse compassion, l’évoquent indirectement et cherchent à pénétrer dans l’intimité de ceux que la société met en marge. Le scandale, instant délicieux où les citoyens respectables


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se repaissent du spectacle des masques arrachés, permet de mesurer l’importance des codifications sociales. Confrontée aux ragots, commérages et questionnements perfides à propos de son mari, Constance explique à Oscar comment elle a su répondre aux agressions. Elle y est parvenue en se fondant dans son rôle d’épouse modèle, mais aussi en faisant usage des barrières protectrices que constituent d’autres interdits. Le masque acquiert alors une puissance salvatrice pour Constance, car elle s’appuie sur la religion afin d’empêcher que ne soit apposé sur elle, sans qu’elle puisse s’en défendre, l’image d’une femme dont le mari est socialement déchu. Le domaine spirituel, dont le cérémonial catholique représenté dans la pièce contribue à renforcer l’idée de transparence impossible, lui sert donc de paravent contre une inquisition mal inspirée. Constance (self again). Actually, I said to them in my best nonchalant, wife-of-a-celebrity voice : – Christ came to him in his cell. That stopped them in their tracks, I can tell you. [SFCW. 50] Constance

nouveau

nonchalamment,

avec

elle-même). ma

En

meilleure

fait,

voix

je

leur

d’épouse

disais,

d’homme

célèbre : – le Christ est venu à lui dans sa cellule. Ça les arrêtait net, je peux te le dire. [trad. fr. T. Dubost] Le ton employé, « wife-of-a-celebrity voice », décrit ailleurs comme « wifely », révèle que Constance mesure la force des attendus sociaux. Face aux enjeux, qui consistent pour ses interlocuteurs à faire tomber les masques afin de savourer une mise à nu


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humiliante, elle démontre par sa contre-attaque qu’elle sait combien chacun se garde de commettre un faux pas à son tour réprouvé par le groupe. En effet, l’édifice social semble contrôlé par le regard de l’Autre, et les conséquences communautaires d’une transgression des règles montrent combien la prudence s’impose en loi. Le séjour en prison d’Oscar atteste que la désapprobation publique ne constitue pas une punition ultime, car les agissements hors normes (homosexualité, par exemple) font encourir aux fauteurs de trouble des châtiments monstrueux. Le jeu social constitué autour de masques indique que ce fonctionnement global s’étend au-delà d’un mode d’oppression sexiste, et s’applique à l’ensemble de la communauté. À cet égard, il convient de noter qu’à l’instar de Constance, Oscar connaît parfaitement les règles du jeu sur le paraître et la dissimulation obligatoire, même s’il surestime sa capacité de résistance. Oscar apparaît à la fois dans le camp des victimes et dans celui des médisants. Cette dualité, soulignée au cours des actes, interdit toute lecture manichéenne, qui viserait, par exemple, à le transformer en martyr. Les codes sociaux érigés en absolus imposent un recours au masque, mais les frontières à ne pas franchir voient leur pertinence contestée au cours de la pièce : Douglas. That there are no absolutes except in the desperate imagination of men and women. No black. No white. No good. No evil. No male. No female. Everything runs together and runs in and out of everything else. But human beings cannot abide such glorious confusion. So they invent what is called morality to keep


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everyone and everything in place. I am quoting, I believe, from the testament of the beloved apostle, St. Oscar. [SFCW. 56] Douglas. Qu’il n’y a pas d’absolus, sauf dans l’imagination désespérée des hommes et des femmes. Pas de noir. Pas de blanc. Pas de bien. Pas de mal. Pas de masculin. Pas de féminin. Tout est dans tout, créant et créé par tout le reste. Mais les êtres humains ne peuvent supporter une confusion aussi glorieuse. Alors ils inventent ce que l’on appelle la morale pour garder chacun et chaque chose à sa place. Je cite, je crois, le testament du bien aimé saint Oscar. [trad. fr. T. Dubost] Douglas reprend à son compte la vision wildienne ; il réfute la prégnance des catégories socialement définies et leur oppose implicitement les démentis que leur fournit le réel, dans le domaine de la sexualité par exemple. La multiplicité des points de vue exprimés dans la pièce peut laisser entendre que Kilroy se refuse à prendre parti. Sur le plan de la représentation, on note que les rôles de Douglas et de l’androgyne peuvent être interprétés par le même acteur ou la même actrice, confusion sur les genres sciemment orchestrée par le dramaturge pour combattre l’idée de barrières infranchissables entre les sexes. D’une manière nettement moins polémique que Douglas, Kilroy marque aussi ses distances par rapport aux certitudes communautaires. L’homosexualité figure au nombre des problèmes qu’il soulève dans The Secret Fall of Constance Wilde à propos de la rencontre des normes et de la réalité, afin de nourrir son discours critique. Dans ce domaine précis, son refus de limites prédéfinies, qui contraignent les


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individus à se cacher pour tout déphasage par rapport aux exigences usuelles, donne une coloration politique à la pièce. L’analyse sociale prend chez le dramaturge des implications qui dépassent

les

critiques

manichéennes

d’un

système

communautaire. À partir des impasses existentielles multiples incarnées par les vies de Douglas, Oscar ou Constance, il s’interroge sur les conséquences profondes d’un mécanisme de défense individuel qui repose sur le recours au masque. Fidèle à sa technique de l’entre-deux, que l’on pourrait caractériser comme une méthode de réflexion sur le réel qui trace un champ d’exploration, tout en refusant de plonger totalement dans celui-ci, Kilroy maintient une distance constante par rapport aux enjeux évoqués. Face à la rigidité complète, presque absurde des règles morales qu’il dénonce, il amorce un contre-discours, en évoquant la suspicion qui entoure l’attitude de Douglas vis-à-vis des enfants d’Oscar. L’arbitraire du fondement moral se trouve contesté dans la mesure où il se présente comme absolu ; en revanche, sa nécessité sociale ne semble pas niée en elle-même. C’est donc sur les conséquences de cette dictature morale, laquelle contraint chacun à se parer des attributs de la respectabilité, que le dramaturge marque sa désapprobation : Constance. Stop it, Oscar ! Stop it ! Oscar. What ? What ? Constance. Playacting ! Oscar. Not playacting ! Constance. You never face the situation as it really is. Never ! Nothing


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exists for you unless it can be turned into a phrase. [SFCW. 11] Constance. Arrête, Oscar ! Arrête ! Oscar. Quoi ? Quoi ? Constance. De jouer ! Oscar. Pas de jouer ! Constance. Tu ne fais jamais face à la situation telle qu’elle se présente vraiment. Jamais ! Seul existe pour toi ce qui peut faire l’objet d’une expression spirituelle. [trad. fr. T. Dubost] Arrivée au terme de leur existence, Constance reproche à Oscar de continuer à jouer des rôles, car son comportement fait entrave à leur échange. Elle reformule ici ce qu’elle avait déclaré en réponse aux questions relatives à sa vie conjugale avant le procès : Constance. People keep asking me : what was it like, Constance, really like, to be married to him ? Of course, they’re thinking of youknowwhat. It’s as if they are undressing me with their eyes. Why, I answer in my best wifely voice. It was theatre, m’ dears, theatre ! Theatre all the way ! You know what Oscar is like ! Every day a different performance. With frequent costume changes, of course. [SFCW. 15] Constance. Les gens ne cessent de me demander : comment était-ce Constance, vraiment, d’être mariée avec lui ? Bien sûr, ils pensent à ce que tu sais. C’est comme s’ils me déshabillaient du regard. Eh bien, réponds-je avec ma meilleure voix d’épouse : c’était du théâtre, mes chers, du théâtre. Du théâtre d’un bout à l’autre. Vous connaissez Oscar. Chaque jour une représentation différente. Avec


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de

fréquents

changements

de

costumes,

bien

sûr.

[trad. fr. T. Dubost] Si l’on se fie aux indications de Constance, le déguisement se situe au cœur de la personnalité d’Oscar. Champion de l’esquive, Oscar détourne le langage et puise une partie de ses forces dans ce déphasage langagier qui déroute ses interlocuteurs. À l’opposé du caractère superficiel associé à son mode de vie, on constate que le portrait dressé dans la pièce, où les sentiments humains s’affichent avec force, démontre qu’il est la première victime des jeux dont il pense avoir la maîtrise. On peut néanmoins s’interroger sur l’authenticité de son besoin de dissimulation. Étant donné que la société impose une présentation fallacieuse de l’être, ses rôles de composition correspondent sans doute davantage à une série de réponses

stratégiques

qu’à

un

élément

révélateur

de

sa

personnalité. Comme

souvent

chez

Kilroy,

des

éléments

contradictoires

empêchent d’établir une lecture définitive. Par-delà cette mascarade forcée, le comportement d’Oscar rend compte d’un mécanisme de défense, pas seulement dans une perspective sociale, mais de manière plus intime. La mise en scène de sa personne pourrait également s’expliquer par la conscience qu’il a de ne pouvoir définir une vérité dont Constance estime, à l’inverse, qu’elle peut être aisément atteinte et qu’elle revêt un caractère unique. On ne saurait exclure l’hypothèse d’un positionnement philosophique fondamental qui, au nom d’une certaine éthique, pratiquerait le masque comme mode de représentation idéal de ce que peut être la


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vérité. Il reste que dans le cadre général de la pièce, son comportement répond à d’autres motivations. En arborant un paraître multiforme, Oscar résiste à l’oppression sociale qui, Constance elle-même le reconnaît, tente de l’emprisonner dans un rôle immuable. D’une certaine manière, sa futilité comportementale cache un acte de résistance, et il tente de garantir sa liberté d’être en se présentant sous des facettes multiples. Cette fois encore, malgré l’aspect positif que peut recouvrir une dissimulation de combat, les commentaires à ce sujet n’engendrent pas un discours laudateur.

Le

masque,

devenu

nécessaire

comme

mode

de

libération d’une oppression communautaire qui aboutit à une chosification de l’être, fait l’objet d’une critique véhémente à propos de son caractère délétère, dès la scène d’ouverture. Constance fait grief à Oscar de son recours endémique au masque, sujet qui lui importe en tant que victime d’une oppression dont son mari semble ne plus avoir conscience. Loin d’être un atout, ce mouvement réflexe qui l’incite à adopter un rôle en fonction des circonstances révèle l’impossibilité dans laquelle il se trouve de se montrer tel qu’en lui-même. Ancrée dans une critique sociale, la problématique du masque, telle qu’on la perçoit dans The Secret Fall of Constance Wilde, renvoie à une

époque

disparue.

Cependant,

dans

la

mesure

la

représentation s’inscrit dans un contexte contemporain, la question des interactions avec la situation actuelle se pose. Les attaques relatives à la dictature du paraître développées dans la pièce gagnent en profondeur lorsque la contestation des usages en vigueur, utiles à un bon fonctionnement social, dépasse la simple


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mise en cause d’une hypocrisie institutionnalisée. Partant de cas particuliers, elle s’étend progressivement aux répercussions de la dictature morale, laquelle fait entrave à la liberté de l’être au sein de la communauté. Ainsi, le déphasage obligé par rapport à la société contemporaine s’estompe-t-il à mesure que s’instruit le procès d’un monde qui s’avère ne plus être uniquement celui de Constance et d’Oscar

mais

qui,

à

l’instar

des

personnages,

acquiert

progressivement une dimension universelle. On retrouve alors dans l’élargissement du regard posé sur le cercle intime

de

la

famille

Wilde

une

convergence

avec

d’autres

questionnements ancrés dans la réalité irlandaise qui, même lorsqu’il

paraît

s’en

éloigner,

demeurent

au

centre

des

préoccupations de Kilroy. Son intérêt pour le masque rejoint ici une problématique globale qui s’était imposée dans d’autres œuvres, lors de son examen de l’identité irlandaise et des rapports de l’être au monde en Irlande. L’absence d’ancrage réaliste, par l’extension qu’elle autorise, augmente la force de son analyse critique d’une société longtemps colonisée, où la dissimulation, d’une nécessité initiale, a fini par prendre un caractère banal. L’entrée en résistance passe par l’utilisation de masques ; les individus définissent machinalement des rôles de composition derrière lesquels ils courent le risque de disparaître, d’où l’inquiétude perceptible dans la pièce quant au statut de l’être. Avant d’aborder le dernier volet de la question fondamentale du rapport que Constance, étonnant personnage principal, entretient avec la problématique de la dissimulation, il convient de s’arrêter


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sur la relation particulière qui s’instaure entre Kilroy, dramaturge, et son illustre prédécesseur. Pénétré de la nécessité sinon d’éclaircir, au moins de souligner quelques mystères, Thomas Kilroy semble avoir gardé de sa formation universitaire un goût pour les préfaces, afin de guider ses lecteurs à travers les méandres d’une production littéraire complexe. Préfacier, il aurait pu situer The Secret Fall of Constance Wilde et la réflexion sur le masque qu’elle contient à l’intérieur de son œuvre ; or, contrairement à ses habitudes, il s’en est abstenu. L’absence de préface, lieu privilégié où l’auteur peut s’exprimer en son nom propre, libéré des contraintes inhérentes au langage dramatique, ajoute à la subtilité de l’œuvre. En mettant en scène un autre dramaturge – Oscar Wilde – il attire l’attention du spectateur sur le langage comme mode de dissimulation, instaurant une distance par rapport à sa production théâtrale. Il entame ainsi un nouveau jeu sur le masque en abordant l’écriture sous l’angle particulier d’une autobiographie virtuelle, au sens où Oscar l’entend dans la pièce : Everything I write is autobiographical. With the facts changed, of course. [SFCW. 25] Tout ce que j’écris est autobiographique. Mais les faits sont transformés, naturellement. [trad. fr. T. Dubost] Sur ce plan, au vu des libertés que Kilroy prend par rapport à l’histoire, la proximité avec Wilde est manifeste. Fort du discours tenu sur le masque, il peut d’autant plus librement réinventer le drame de Constance que, s’il s’était effectivement produit, les usages de l’époque l’auraient contrainte à le dissimuler. L’auteur,


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par sa présence dans l’univers représenté sur le plateau, tisse une complexité supplémentaire dans la pièce. Le monde ordinaire acquiert ainsi une nouvelle dimension fictive, devient celui du dramaturge, fait d’artifice et de dissimulations où, paradoxalement et par jeu de miroirs, la théâtralité s’annonce comme mode de réflexion sur la vérité de l’être, son existence et sa liberté. Dans The Secret Fall of Constance Wilde, Kilroy met l’accent sur une relecture du passé, tout en établissant un pont avec la situation contemporaine, puisque le silence, au féminin, constitue le point de départ de son analyse des rapports de l’être au monde. L’enfance, brièvement décrite, figure en sujet connexe, mais celui-ci n’est pas développé dans la pièce bien qu’il relève d’une problématique voisine. En effet, le dramaturge nourrit sa réflexion à partir du contraste entre deux réalités tragiques incarnées par Oscar et Constance, afin de montrer en premier lieu comment l’inexistence programmée faisait partie de la condition féminine. L’examen des masques lui permet de mettre en relief une oppression dont, à l’époque, on avait à peine conscience. Constance. You said to me, you’re different, Constance. Remember ? That long ago afternoon in Merrion Square ? You’re uncontaminated by life, Constance. That’s what you said. What utter rot ! You needed to invent me because you couldn’t face life as it really is. [SFCW. 66] Constance. Tu m’as dit, tu es différente Constance. Tu te souviens ? Cet après-midi lointain, à Merrion Square ? Tu n’es pas contaminée par la vie, Constance. C’est ce que tu as dit. Foutaises ! Tu avais


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besoin de m’inventer parce que tu ne pouvais pas affronter la vie telle qu’elle est véritablement. [trad. fr. T. Dubost] Outre son ironie dramatique, la déclaration de Constance tire sa force de la mise à jour d’une codification sociale universellement acceptée,

y

compris

par

Oscar.

La

banalité

convenue

et

présomptueuse de son discours amoureux – lequel repose sur la perception d’une différence de sa compagne dont il comprendrait spontanément la nature et qui lui permettrait d’accéder à son être profond – tranche avec l’originalité habituelle de sa pensée. On découvre sa soumission aux attendus sociaux grâce à ce fragment dévastateur,

intellectuellement

mortifiant,

car

son

aliénation

transparaît précisément dans son manque de conscience de l’étroitesse de sa vision. Infortune douloureuse, l’amour comme découverte, ou premier pas vers un épanouissement partagé, révèle un nouveau cadre d’enfermement. Dans cette étrange conception de l’amour, l’invention de l’Autre aboutit à sa mort symbolique, par l’absence de reconnaissance qu’elle présuppose. L’exploration du monde intérieur des femmes dépasse le constat de l’oppression qui les affecte. Ainsi, leur sexualité, dans ce qu’elle peut avoir de criminel, ne fait pas l’objet d’une révélation publique, contrairement à ce qui se produit pour les hommes. Le viol incestueux subi par Constance – qu’elle cache conformément aux attentes sociales – la rapproche inconsciemment d’Oscar dont elle pressent sans le comprendre qu’il connaît, différemment, une déchéance comparable. Plus tard, lorsqu’il est publiquement déchu, «the secret fall » de Constance s’oppose à « the public fall » d’Oscar


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qui, une fois ses activités homosexuelles rendues publiques, se trouve mis au ban de la société. La condamnation dont il fait l’objet l’affecte

profondément,

mais

constitue

également

une

force

libératrice, car elle le renvoie au plus profond de lui-même, face à sa propre vérité. Constance, à l’inverse, n’a pas pu exprimer sa souffrance. Faute d’avoir pu ou su dire qui elle était après l’agression qu’elle a subie, elle se juge partiellement responsable de son échec et dresse le bilan d’une vie gâchée parce que masquée et acceptée comme telle. Meurtri par la violence inhumaine du scandale, Oscar n’a sans doute pas conscience des bienfaits que Constance ressent après sa prise de parole finale, laquelle confine à un exorcisme. Elle refuse les déterminismes culturels, sociaux, qui la réduisent à un masque inerte, dévitalisé, et lui octroient une place de marionnette dans une mascarade aux rites qui consacrent la disparition de son être. La confession qu’elle parvient à formuler renvoie implicitement au sacrement de pénitence et constitue pour elle un mode d’accès à l’existence. En effet, par-delà la douleur générée par une blessure morale, Constance peut enfin renaître lorsqu’elle évoque le viol qu’elle a subi. Elle jette bas les masques et s’affirme dans sa nudité morale, flétrie, usée, comme son corps qui ne cache plus sa déchéance, mais enfin libre de se montrer telle qu’en elle-même. La dernière image de Constance, occupée par la rédaction d’une lettre testamentaire destinée à ses enfants afin qu’ils gardent une vision positive de leur père, la met à nouveau en scène dans un rôle – celui de mère – qui, jusqu’aux derniers instants de sa vie, se


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soucie du bien-être moral de ses enfants. Ce portrait pourrait donner à croire que passé l’instant de vérité, tout bascule et que Constance se trouve à nouveau prisonnière de masques étouffants. Il n’en est rien. Son image de mère, qui équivaut à un masque, est librement choisie car nulle obligation sociale ne la contraint à l’endosser. D’ailleurs, la sororité requise par Oscar, et finalement acceptée par Constance, indique que les anciennes frontières sont désormais abolies car l’un et l’autre se présentent tels qu’en euxmêmes, face à leur vérité intime, unis dans leur souffrance d’êtres humains.

Masqués,

doublés

d’un

aveuglement

partiellement

consenti, les parcours existentiels empruntés par les protagonistes dressent un triste tableau de la vie, mais en contrepoint salvateur, l’affirmation de l’ipséité leur permet d’accéder à l’existence. À cet égard,

l’ultime

conversation

qui

se

déroule

entre

Oscar

et

Constance (avec une référence beckettienne manifeste) s’affiche comme une fin de partie positive. Le miroir tendu vers le public se fait

alors

plus

insistant,

les

deux

personnages

deviennent

simplement un homme et une femme. Leur liberté, conquise par l’abandon des masques au profit de l’acceptation d’une déchéance humaine multiforme à partir de laquelle ils peuvent néanmoins reconstruire leur vie, constitue le premier pas de leur renaissance. Thierry Dubost


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Ce texte de Thierry Dubost : "Éclairages sur des masques : The secret fall of Constance Wilde", Le théâtre de de Thomas Kilroy, a été publié aux Presses Universitaires de Caen – 2001, p. 81 – 94

Thierry Dubost est Professeur à l’Université de Caen BasseNormandie. Il est l’auteur de Struggle, Defeat or Rebirth : Eugene O’Neill’s Vision of Humanity (McFarland, 1997 [2005]) et The Plays of Thomas Kilroy (McFarland, 2007), version étoffée de Le Théâtre de Thomas Kilroy (Presses Universitaires de Caen, 2001). Il a co-dirigé les ouvrages La Femme noire américaine : aspects d’une crise d’identité (PUC, 1997), George Bernard Shaw, un dramaturge engagé (PUC, 1998) et Du Dire à l’être : tensions identitaires dans la littérature nord-américaine (PUC, 2000), Regards sur l’intime en Irlande (PUC, 2008), ainsi que Music and the Irish Imagination (PUC, 2013). Il a également dirigé L’Adaptation théâtrale en Irlande de 1970 à 2007 (PUC 2010) [version anglaise Drama Reinvented: Theatre Adaptation in Ireland (1970 à 2007) - Peter Lang 2012]. Il est l’auteur d’articles consacrés au théâtre nord-américain, irlandais ou


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africain, et a traduit La mort et l’écuyer du Roi de Wole Soyinka (Hatier, 1986). Sur le sujet, on peut aussi consulter : Thierry Dubost : « Kilroy’s Theatre on the Conflicted Self «

in Anthony Roche (ed) : Irish

University Review, volume 32, number 1, Spring/Summer 2002, pp. 18/32.


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8. BIBLIOGRAPHIE Autour de la tombe d’Oscar Wilde Par David Rose Auteur

Titre/

Éditeur

Date

Source Hermann Scheffauer

The Monument to Oscar Wilde

Ellen Crowell

Oscar Wilde’s Tomb: Silence and the Aesthetics of Queer Memorial

Mark Antliff

Jacob Epstein's Tomb of Oscar Wilde: Anarchism and Art for Insurrection's Sake, c. 1913

Michael Pennington

An Angel for a Martyr – Jacob Epstein’s Tomb for Oscar Wilde

The International 7 Branch : Britain, Representatio n and NineteenthCentury History The Henry Moore Institute

Octobre 1913

26 Janvier 2013

1987

Référence


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Jacob Epstein

Let There Be Sculpture (1940), revised and extended edition published as Epstein, An Autobiography

London – Michael Joseph

1940

Hulton Press

1953

Chapitre VI; Appendice

Maureen Borland

Wilde’s Devoted Friend – A Life of Robert Ross 1869-1918

Lennard Publishing

1990

pp.136, 143, 170-1, 200, 207


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W. Graham Robertson

Time Was, being Reminiscences

Hamish Hamilton

1931

p.138

Michael Holroyd

Lytton Strachey, A Critical Biography. Volume II: The Years of Achievement (1910-1932)

Heinemann

1968

p.53


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J.G.P. Delaney

Charles Ricketts – A Biography

Clarendon Press

1990

p.229

C. J. Holmes

Self & Partners (mostly Self).

Constable

1936

p.294 Robert Ross

Lettre

Pall Mall Gazette

28 septembre 1912


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9. Bram Stoker – Oscar Wilde Une amitié (trop) discrète Par Alain Pozzuoli

Personnalités éminentes et charismatiques de la ville de Dublin, Bram Stoker, auteur de l’immortel Dracula, et Oscar Wilde eurent des destins parallèles et partagèrent nombre de points communs avant que les frasques de l’un et la frilosité de l’autre ne brisent les liens qui les unissaient depuis leur jeunesse. Sept ans à peine séparaient les deux hommes ; en effet, Bram Stoker naquit à Clontarf, dans la banlieue dublinoise, le 8 novembre 1847, quant à Oscar Wilde, il devait voir le jour le 16 octobre 1854, à Dublin même. Le premier arrive dans une famille modeste, son père est fonctionnaire à la ville de Dublin, sa mère, elle, compte parmi les premières suffragettes d’Irlande. Wilde naît dans une famille aisée comme chacun sait ; son père, sir Robert William Wilde, étant un chirurgien réputé de la capitale irlandaise, et sa mère, Jane Francesca Wilde, dite Speranza, une poétesse reconnue, en outre nièce d’une gloire des lettres irlandaises, le grand Charles Robert Maturin, auteur de Melmoth the Wanderer.


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En bons héritiers de l’imaginaire irlandais, Stoker et Wilde partageront la même passion pour l'irrationnel, le fantastique et les légendes de toutes sortes. Chacun en fera l'illustration dans ses propres textes, Stoker dans ses romans et nouvelles (Dracula, Le joyau aux sept étoiles, La dame au linceul, etc), comme Wilde dans ses textes les plus connus (Le portrait de Dorian Gray, Le fantôme des

Canterville).

Mais

ces

points

communs

se

retrouveront

également dans la vraie vie. Tous deux seront des mondains, des hommes de lettres et de théâtre, et des témoins passionnés de leur temps. Leurs chemins se croisent pour la première fois à Dublin, alors que le jeune Oscar est encore adolescent. A cette époque, Bram Stoker, tout frais émoulu de ses études à Trinity College (où Wilde sera également étudiant), et tout nouvel employé de Dublin Castle, l’administration de la ville où il officie dans son premier emploi, s’installe à deux pas de la famille Wilde. Celle-ci occupe alors une charmante demeure à Merrion Square 1, l’un des quartiers les plus tranquilles et les plus recherchés de la ville. Stoker, lui, trouve une chambre à Cunningham’s Lodge, une sorte de logement social destiné

aux

jeunes

travailleurs

célibataires,

équivalent

des

résidences d’étudiants d’aujourd’hui, située au 30 Kildare Street, à deux pâtés de maisons des Wilde. Il s’y installe en 1870 et y restera plusieurs années. C’est un concours de circonstances qui amènera le jeune Abraham Stoker (qui ne porte pas encore le diminutif de « Bram »2) à fréquenter les Wilde. En effet, passionné par le théâtre 1

Au 1 Merrion Square. Aujourd’hui la maison est le siège de « The Irish American University »

et porte une plaque commémorative au nom d’Oscar Wilde. 2

Il n’adoptera ce diminutif qu’à la mort de son père, Abraham Stoker, en 1876.


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et admirateur invétéré de l’acteur anglais Henry Irving1, Stoker est devenu, presque malgré lui, critique de théâtre dans The Dublin Mail pour être certain de pouvoir écrire publiquement dans un journal toute l’admiration qu’il porte au comédien. C’est ainsi qu’à force d’articles, Abraham Stoker, entré en journalisme par la petite porte (en écrivant gratuitement et anonymement), est rapidement devenu journaliste officiel et, à ce titre, sera introduit dans la meilleure société de Dublin. Il sera donc tout naturellement amené à rencontrer les Wilde puisque Speranza, la mère d’Oscar, tient des soirées littéraires chaque mardi à Merrion Square où sont conviés artistes et écrivains, célèbres ou pas. C’est là, de toute évidence, que leur première rencontre aura lieu. Par la suite, le jeune Oscar fréquentera les mêmes lieux que Stoker, notamment les salles de cours de Trinity College et la société philosophique de l’Université où Stoker laissa le souvenir d’un excellent débatteur. Si leurs rencontres ne seront alors que brèves et aléatoires, le destin rapprochera bientôt les deux hommes d’une façon particulièrement inattendue et détournée. En effet, alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’années, le jeune Wilde s’entichera de l’une des plus jolies jeunes filles de la ville, une certaine Florence Ann Lemon Balcombe, fille d’un ancien colonel de l’armée des Indes, qu’il courtisera un temps, vainement. En effet, contre toute attente, la jeune fille sera bientôt demandée en mariage par…Bram Stoker 1

Henry Irving (1838-1905), de son vrai nom John Henry Brodribb, fut la star absolue

du théâtre victorien, il fit de nombreuses créations au Lyceum Theatre et fut, à n’en pas douter, l’une des sources d’inspiration camper le personnage de Dracula.

les plus directes de Bram Stoker pour


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lui-même qui l’épousera le 4 décembre 1878, à l’église Sainte Anne de Dublin, quelques jours à peine avant leur départ pour Londres où le couple s’installera définitivement. Bram Stoker, doit y prendre les rênes de l’un des plus importants théâtres de la capitale britannique, The Lyceum Theatre1, propriété de l’acteur Henry Irving, le mentor de l’écrivain. Bram et Florence Stoker s’établissent dans une élégante demeure dans le quartier huppé de Chelsea, au bord de la Tamise, au 27 Cheyne Walk. Florence s’y révélera rapidement une parfaite maîtresse de maison, y recevant avec grâce et chaleur tout ce que Londres peut compter de personnalités en tous genres, acteurs, écrivains, peintres, scientifiques, hommes politiques. Bientôt on comptera parmi les habitués un certain Oscar Wilde, installé lui aussi à Londres, et devenu l’un de leurs voisins les plus proches puisqu’il emménage dans un hôtel particulier situé à deux rues de Cheyne Walk, au 16 Tite Street. Oscar Wilde se signale bien vite comme l’un des amis les plus intimes du couple et un spectateur assidu du Lyceum Theatre. De plus, Stoker et Irving ont rétabli une tradition au sein du Lyceum ; ils ont réactivé la « Sublime Society of Beef Steaks», un club de pensée, créé en 1735 sous le règne de la reine Anne, installé dans les foyers du théâtre où toutes les personnalités de passage sont conviées, après le spectacle, à dîner et à rencontrer les acteurs de la 1

Situé dans le Strand, à Covent Garden, à Drury Lane, Wellington Street, le Lyceum

Theatre est toujours en activité et semble s’être spécialisé, depuis les années 1990, dans la comédie musicale.


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troupe et les deux éminences grises du lieu, Henry Irving et Bram Stoker. Une autre particularité de la Compagnie des Beefsteak est qu’elle est interdite aux femmes, à l’exception d’une seule, la grande tragédienne, Ellen Terry 1, vedette féminine du Lyceum (surnommée « Notre Dame du Lyceum » par Wilde !), et véritable star de l’ère victorienne que l’on compare aisément à sa rivale française, la grande Sarah Bernhardt ! Oscar Wilde y est de toutes les réjouissances, ou presque. Il rencontre dans les salons du Lyceum d’autres intimes de Stoker, notamment l’écrivain Hall Caine

2,

fervent admirateur à la fois de Stoker mais également d’Henry Irving, ainsi que le grand poète Alfred Tennyson. Wilde passe des nuits entières à discuter, boire et fumer avec ses émules et devient incontournable dans le pré carré de Stoker. A tel point que lorsque ce dernier quitte Londres et accompagne le Lyceum pendant de longues semaines de tournée, en Grande-Bretagne ou aux EtatsUnis, c’est à Oscar Wilde, et lui seul, qu’il confie la garde de Florence et de son jeune fils, Noel. Wilde s’impose non seulement comme un ami proche de Stoker, mais comme un véritable confident de son épouse, Florence, à laquelle il sert de chaperon pendant l’absence de son époux. C’est dire si leurs rapports sont étroits, amicaux et empreints de confiance. De rival qu’il fut à une époque à Dublin (mais le fut-il réellement jamais ?), il est devenu indispensable, intime parmi les intimes à Londres.

1 Ellen Terry (1847-1928) fut l’une des personnalités les plus en vue du théâtre britannique du XIXè siècle. Elle fut également la première actrice de théâtre britannique à faire du cinéma. Elle est en outre la grand-tante du comédien Sir John Gielgud. 2 Hall Caine (1853-1931), écrivain et journaliste ; il vouait une amitié indéfectible à Stoker et Henry Irving qu’il admirait également. Il fut l’auteur de plusieurs succès de librairie, notamment du roman Captain Davy’s en 1893. C’est à lui que Stoker a dédié son roman Dracula


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Mais une ombre va bien vite changer la donne et jeter un voile pudique sur l’amitié entre les deux Irlandais. En effet, se profile bientôt la fameuse affaire du procès d’Oscar Wilde qui va jeter le poète à la vindicte publique. Honni, banni, dépouillé de toute son humanité, Wilde sera bientôt rejeté par ceux-là même qui, quelques mois plus tôt, l’adulaient, le glorifiaient encore. Quand bien même la grande Sarah Bernhardt accepta-t-elle de signer une lettre de soutien avec quelques-uns de ses amis, la plupart se sont tus ou se sont mis en sourdine en oubliant de prendre fait et cause pour l’homme bafoué. Le temps des fleurs était passé pour l’homme à l’œillet vert. Jeté en prison, peu se soucient encore de lui. Le bruit court que Stoker ne le délaissa point. Les deux hommes auraient échangé

une

correspondance.

Les

traces

en

sont

perdues.

Néanmoins on peut supposer que le lien n’était pas totalement rompu entre les deux auteurs. Stoker fit sans doute parvenir à Wilde un exemplaire de son fameux roman Dracula puisque Wilde, depuis sa prison, écrivit qu’il venait de lire « le plus beau roman du siècle ». Mais Stoker n’entama pourtant aucune démarche pour prendre publiquement la défense de son ami, car c’en était un, à n’en pas douter. Mais parfois, mieux vaut se faire discret sur certaines amitiés, par prudence, par sécurité…ou par lâcheté ? L’un des biographes anglais de Bram Stoker, Daniel Farson, petit neveu de Stoker et compagnon du peintre Francis Bacon, rapporte dans son ouvrage, The Man Who Wrote Dracula1, que lors de l’exil de Wilde à Paris, à la fin des années 1890, après sa libération de Reading, Bram Stoker lui rendit visite dans la capitale française et 1 1 Daniel Farson, The Man Who Wrote Dracula, a Biography of Bram Stoker, Michael Joseph, London, 1975.


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que les deux hommes fréquentèrent ensemble une maison de rendez-vous pour garçons où Stoker contracta la syphilis qui devait l’emporter quelques années plus tard, en 1912. On ne s’étonnera donc pas après cela que Stoker se soit montré si discret quant à son amitié avec le poète déchu. La preuve en est que, lorsqu’en 1906 il publie un ouvrage hommage à son mentor, Henry Irving, (Personal Reminiscences of Henry Irving1), sorte de Who’s Who de l’époque dans lequel figurent les noms de toutes les personnalités du siècle rencontrées par Stoker et Irving au cours de leurs carrières communes, le nom d’Oscar Wilde n’apparait à aucun moment et n’est même jamais cité, comme banni une seconde fois ! Rappelons que, dans un souci apparent de respectabilité et au nom des valeurs victoriennes qui peu à peu eurent raison de lui, Bram Stoker, à la fin de sa vie, commit un surprenant article

2

dans la

presse britannique prônant les bienfaits de la censure pour les auteurs « dits licencieux » ! Wilde, à ses yeux, faisait sans doute partie du nombre, bien que lui-même, auteur du brûlot qu’était Dracula aurait pu, ou du, également s’y inclure ! L’amitié est parfois amnésique lorsqu’il s’agit de protéger une réputation, mais l’élégance suprême aurait voulu qu’elle eût un peu de mémoire en regard de certaines affections du passé. Tout grand homme qu’il fut, tant d’un point de vue humain, littéraire que

1 2

Bram Stoker, Personnal Reminiscences of Henry Irving, William Heineman, London, 1906. The Censorship of Fiction dans

traduction française, par

Nineteenth Century & After, N° 64, septembre 1908. (Sa

Jean-Pierre Krémer, figure dans Bram Stoker, dans l’ombre de

Dracula d’Alain Pozzuoli, Editions Pascal Galodé, 2012.)


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théâtral, Bram Stoker en aurait été davantage grandi s’il avait eu le courage de prendre fait et cause pour Wilde au moment où celui-ci en avait le plus besoin. Mais Stoker, victorien bon teint et convaincu, était à l’image de son époque ; l’ère victorienne était une époque de mensonge, d’hypocrisie, de « bien pensence » et de malhonnêteté intellectuelle rare, plus prompte à clouer au pilori les marginaux que de rendre grâce à un homme intègre, à un poète rêveur qui, comme le disait Wilde lui-même, fut le premier à voir la vérité avant les autres. Alain Pozzuoli * Alain Pozzuoli est le biographe français de Bram Stoker. Sa dernière biographie sur le sujet, Bram Stoker, dans l’ombre de Dracula, est parue en 2012 chez Pascal Galodé. On lui doit également plusieurs dramatiques et feuilletons radio d’après l’œuvre de Stoker, tant sur France-Culture (Bram Stoker, un Biopic radio en 1988, Le joyau aux sept étoiles, un feuilleton en 10 épisodes, L’Invité de Dracula, une dramatique) que sur France-Inter (Le centenaire de la mort de Bram Stoker), ainsi qu’une dramatique originale consacrée à Oscar Wilde, L’homme à l’œillet vert, réalisée par Evelyne Frémy, avec Guy Tréjean dans le rôle de Wilde, diffusée sur France-Culture en 1988.


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10. Wilde, dans la littérature

The Cobra De Justin Fleming

Cette pièce de Justin Fleming, auteur australien, né à Sydney en 1953, met en scène un Lord Alfred Douglas âgé de 75 ans. Bosie y réfléchit amèrement à sa relation avec Oscar Wilde dans ses jeunes années. La pièce a été créée à l’opéra de Sydney en 1983, avec sir Robert Helpmann dans le rôle de Lord Alfred. Justin Fleming – The Cobra – Sydney Theatre Company - 1983


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11- Work in progress Sigmund Freud et le fantôme d’Oscar Wilde Pièce en 5 actes de Danielle et Christian Morris (extraits) Les annotations de couleur ne sont pas des auteurs mais de Danielle Guérin-Rose

La pièce commence à Londres, dans le bureau du Docteur Freud, où le grand homme s’apprête à recevoir un nouveau patient… un peu surprenant. Acte 1 – Scène 1 Sigmund FREUD entre dans le bureau. Son pas est celui d’un vieillard.

A

peine

la

porte

est-elle

refermée

qu’il

époussette

nerveusement la manche droite de son veston. Il fait quelques pas, montre

un

rictus

(il

souffre

de

la

mâchoire);

ayant

porté

machinalement la main à son menton, il se lisse la barbe. (…) Enfin, il observe son nouveau patient, écarquille les yeux, penche la tête pour mimer la surprise... FREUD: C’est curieux, j’ai le sentiment que nous nous sommes déjà rencontrés ! WILDE: Je ne le crois pas. (…) FREUD: Bon, bon ! Parce que, voyez-vous, la question est d’importance; une question, disons d’éthique; je dirais presque de


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morale professionnelle. Dans la pratique psychanalytique, on ne noue

aucun

lien

personnel

avec

son

patient

avant

de

le

rencontrer... et même pendant d’ailleurs. D’ailleurs, vous avez remarqué: je ne vous ai pas serré la main. (Wilde opine du chef, amusé). Mais bon sang, je parle trop. C’est le patient qui doit parler; (…) Bien, bien. A qui ai-je l’honneur, je vous prie ? (agacé) Enfin, je voulais dire: Quel est votre nom ? WILDE: Oscar Wilde. FREUD: Comme l’esthète, le dandy ? WILDE: Comme le poète, le génie. C’est moi, en effet. FREUD: J’ai vu quelques photographies, des gravures de l’époque. Vous lui ressemblez, en effet; c’est étonnant ! Et en plus, vous portez le même nom ! WILDE: Vous n’avez pas bien compris, docteur. Je suis Oscar Wilde! FREUD: J’ai écrit des choses sur les mots d’esprit. Vous devriez me lire ! WILDE: Les mots d’esprit, je les ai inventés. Ceci n’en est pas un, je suis Oscar Wilde. FREUD: Voilà bien un symptôme. Si vous étiez Oscar Wilde, vous seriez un fantôme, et je ne crois pas aux fantômes. J’ai déjà eu des démêlés avec une sorte de fils spirituel. Il s’appelait Jung, Carl Gustav. Il faisait tourner les tables. Je l’ai évincé. (Freud s’énerve) Je ne crois qu’à la science mécaniste, à Descartes, à Newton, vous m’entendez ! WILDE: Il est vrai que je suis un peu dur d’oreille, j’en suis même mort. Mais quand vous criez, je vous entends !


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FREUD: Eh bien, justement, ne me faîtes pas crier, j’ai un cancer de la mâchoire! WILDE: Je sais, en phase terminale. (…) FREUD: Être un fantôme, ça veut dire: n’être rien, ne pas exister, ne pas être reconnu. Souffrez-vous de sentiments de rejet, d’infériorité ? Cessons cela: quelle est votre souffrance ? De quoi voulez-vous guérir ? Quelle est la raison de votre présence ici ? WILDE: Exister, si je vous en crois, mais... comme fantôme ! FREUD: Cessons ce jeu. Qui êtes-vous vraiment, monsieur ? WILDE: Mais enfin, je ne cesse de vous le dire ! Je suis Oscar Wilde, ou son fantôme, si vous préférez ! (…) FREUD: Tout cela est stupide. Les légendes n’existent pas. Vous êtes un imposteur. Ou alors, c’est bien pire: vous seriez atteint d’une de ces psychonévroses que j’ai si bien décrites (Freud se lisse de nouveau la barbe d’un air satisfait; mais, immédiatement après, il fait une grimace de douleur). Oui, une psychonévrose, une des pires. Dans le langage commun, vous seriez un fou. Mais alors, monsieur, je vous demanderais de sortir, car, voyez-vous, tout le monde le sait, les fous me font peur. (…) WILDE: Je ne sortirai que lorsque vous m’aurez analysé. Je dois affronter ma vie pour entrer dans la lumière. En échange, je vais vous aider à mourir. (…) Freud va finalement accepter de commencer l’analyse de celui qui se

prétend

le

fantôme

d’Oscar

Wilde,

parce

que,

dit-il :

« L’usurpation d’identité, ou plus exactement l’identification à un personnage célèbre peut être analysé comme un symptôme; et si par extraordinaire, loin d’être un fantasme, vous étiez un fantôme,


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j’aurais le privilège d’être le premier à étudier ce cas, je veux dire scientifiquement. Je me suis habitué à être un pionnier, et, à mon âge, je peux me permettre quelques folies. » (Acte 1 – scène 2)

Acte 2 À la scène 1, un enfant de six ou sept ans est entré dans le bureau dans un halo de lumière sans que les deux hommes semblent y prêter attention. À la scène 2, c’est une jeune femme en noir qui entre pendant que les deux hommes sommeillent. Nous sommes le 23 septembre 1938, un an exactement avant la mort de Freud. Wilde se réveille. LA JEUNE FEMME EN NOIR : Je savais bien que je vous trouverais ici. (…) Figurez-vous qu’en consultant le listing de mon fichier client pour l’année à venir, je suis tombé sur le nom de cet excellent docteur FREUD, neurologue, père de la psychanalyse, juif, athée, cancéreux à un stade III. J’ai deviné que le grand Sigmund, en proie à ses terreurs métaphysiques, serait pour vous un hôte sur mesure. Qui d’autre qu’un homme connu et adulé comme vous, mais détestable à souhait pour lui, pouvait le rassurer sur une hypothétique continuité de l’âme. Vous alliez, avec talent, lui apporter le réconfort, une sorte de placebo sur mesure à la peur viscérale de la mort qui le tenaille. (…) Vous ne pouviez faire meilleur choix que de venir ici. A votre place, j’aurais fait de même. Scène 3 La jeune femme partie, les deux hommes restent silencieux. Mais une

nouvelle

interruption

survient

avec

l’apparition

de

la


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secrétaire qui annonce un autre client : Adrian MELMOTH fait son entrée. Il apparaît comme un homme distingué et soigné; il porte un costume noir et un foulard rouge. Il se dirige vers FREUD qui, furieux, pointe son index vers la porte: FREUD: Sortez immédiatement. Que signifie cette intrusion ! Vous avez perdu la tête ? À la fin de l’acte, Dans un coin du bureau, l’enfant est accroupi. Il lit un conte de fées. Sur la couverture est dessinée la mort. Il s’agit d’un livre animé. L’enfant tire sur une languette de papier; la capuche de la mort se soulève; le visage qui apparaît est celui de l’amie de WILDE, la jeune femme en noir...

Acte 3 Scène 1 – (…) WILDE: Et je vous ai dit que, sur l’autre rive, rien ni personne ne m’attendait ? FREUD: Vous l’avez dit. WILDE: Eh bien, voyez-vous, docteur, j’avais refoulé un tout petit détail. FREUD: Refoulé ? WILDE: Je crois que c’est le mot qui convient, et dans le sens que vous lui avez, vous-même, donné. Mais il ne s’agit pas d’un évènement de ma petite enfance, ou même du cours de ma vie. Ce que j’ai refoulé, c’est un moment de ma mort !


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FREUD: Fantasme ! WILDE: Appelez cela comme il vous sied, mais elle est venue vers moi. FREUD: Qui est venue vers vous ? WILDE:

La

lumière

!

Une

lumière

éclatante,

éblouissante,

...terrifiante. (FREUD en laisse tomber son crayon; il se penche pour le ramasser) Quelque chose m’invitait à y entrer. (…) En entrant dans cette aura, je devais intégrer, dans l’instant, tous les évènements de ma propre vie. Et moi, Oscar WILDE, qui avait jadis assumé tant d’extravagances et de magnifiques envolées, aussi bien dans mon œuvre que dans ma vie, j’avais peur de me regarder en face. (…) FREUD: Qui que vous soyez, et même si vous êtes Oscar WILDE, et même si ce que j’appelle votre Moi peut se targuer des plus belles réussites, il n’empêche qu’une autre instance se tient au plus profond de vous, à laquelle j’ai donné le nom de Surmoi, qui est la loi de nos pères. C’est de cela dont vous parlez. WILDE: Croyez-moi, docteur FREUD, la plus implacable et la plus rigoureuse des analyses n’entraîne pas cet état de nudité de l’âme qu’on ressent dans la lumière. Ce que j’en dis, c’est ce que j’en ai pressenti, car je me tenais entre la peur et la fascination et je n’osais y entrer. (…) Je suis venu vers vous, docteur FREUD, parce qu’au-delà de votre sale caractère et de votre côté bougon, vous êtes un passeur d’âmes, même si vous ne le savez pas (FREUD tourne la tête à l’opposé, semblant ignorer ce discours). Mais il y a une autre raison qui m’a conduit vers vous: (…) Vous êtes un artiste, en quelque sorte, et Oscar WILDE ne pouvait se confier qu’à un autre artiste.


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Scène 2 Il est minuit. Nous sommes le 30 novembre 1938. Le cabinet de FREUD se trouve dans la pénombre (…) Adrian MELMOTH s’approche du bureau. (…) Sur le divan est allongée la femme en noir. LA JEUNE FEMME EN NOIR: Vous voilà donc, mon cher; je pensais bien vous voir ici ce soir ! ADRIAN MELMOTH: Oui, il est évident que je ne pouvais être ailleurs ce 30 novembre. Cela fait combien de temps, maintenant ? Vous qui êtes plus précise qu’une montre suisse, vous devez savoir ça. LA JEUNE FEMME EN NOIR: Trente-huit ans, mon ami; trente-huit longues années que notre cher Oscar WILDE erre dans les ténèbres. (…) Oui, Oscar voyage inlassablement au milieu de ces pauvres mortels, qui se raccrochent à la vie comme ces vilaines sangsues le font sur les plaies. Pourtant, tous tomberont, un jour ou l’autre. Je suis fatiguée, Adrian. Je viens les chercher; je leur fais des signes, je leur donne des indices, je vais même jusqu’à les prévenir de leur départ; rien. Ils sont têtus comme des mules; ils m’ignorent, me rejettent. Cela est fatigant, à la fin. (…) Oscar WILDE me préoccupe, voyez-vous; je ne pensais pas avoir de problème avec lui. (…) Et puis voilà que monsieur WILDE me fait un pied de nez: il n’entre pas dans la lumière ! Au demeurant, qu’il soit allé dans la lumière ou chez vous, Adrian, je m’en fichais un peu. Mes prérogatives s’arrêtaient là, et d’ailleurs, ça ne me regardait plus. Mais au lieu de cela, nous sommes obligés de venir le mander chez ce FREUD ! Je crains le pire. Ce docteur, il est déjà inscrit dans mon compte de résultats pour l’année trente-neuf, le 23


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septembre, si j’ai bonne mémoire. Je pense que, là aussi, nous aurons des problèmes. Mais pourquoi ces humains ne veulent-ils pas mourir ? Ils sont nés pour cela, non? ADRIAN MELMOTH : (…) Les humains sont prêts à tout pour vivre, grappiller des minutes, des heures, des mois, des années... Je suis là, et j’attends leur proposition. Ces pauvres hommes sont pathétiques: ils prient Dieu toute leur vie, le prennent à témoin de chaque catastrophe qu’ils ont eux-mêmes créée; mais c’est moi qu’ils appellent pour que je les laisse vivre, que je leur octroie un peu de jeunesse, ou quelque richesse, toutes ces choses éphémères et sans importance. Je suis, à cet instant-là, plus important que leur Dieu, parce que je suis le seul à pouvoir exaucer leurs vœux. (…) Scène 4 LA JEUNE FEMME EN NOIR: (…) Dîtes-moi, Oscar, pourquoi vous entêter de la sorte ? Vous avez vu la lumière et vous n’y êtes pas entré; pourquoi ? Pourquoi venir chaque jour vous installer sur ce divan mité, dans ce bureau poussiéreux, chargé de tant de souffrance et de douleur ? Ce cabinet respire tant de malheurs, de doutes, de secrets ! FREUD va mourir; il le sait et il est terrifié. Vous ne parvenez qu’à le tourmenter d’avantage. Imaginez un peu le gouffre devant lequel il se trouve; et s’il s’était trompé ? Et s’il y avait

autre

chose,

quelque

chose

après

?

Croyez-moi,

son

interminable cancer, la douleur terrible de sa mâchoire ne sont rien à côté du doute qui le tourmente: et s’il s’était trompé ?


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WILDE: Mais que faîtes-vous de la mienne, de souffrance ? Imaginez: Pas plus tard qu’hier, j’ai vu ma petite Isola, cette enfant, cet ange. Elle m’apportait elle-même la lumière...et j’ai eu peur ! Je vous en veux, voyez-vous; si nous étions mieux préparés à mourir, nous autres humains, je ne me trouverais pas ici aujourd’hui et FREUD lui-même serait en paix. Pourquoi êtes-vous si cruelle ?

Acte 4 Scène 2 FREUD: (agacé) Je lis dans ce carnet: « En finir avec ma colère, ma rancœur envers BOSIE, parler de ma peur, de mon passé, de mon devenir, ce que j’étais (…) Tout ceci doit être envisagé avant septembre, et pour être plus précis, avant le 23 septembre 39... » Dites-moi, monsieur WILDE, qu’avez-vous prévu le 23 septembre 39? WILDE: J’assisterai quelqu’un. Je serai avec lui... à ses côtés.

Acte 5 Scène 1 … FREUD: Le temps de cette analyse tire à sa fin. Je crois qu’en définitive, nous avons été tous deux à la hauteur. WILDE: Nous avons, l’un et l’autre, l’habitude des sommets !


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FREUD: Certes, mais vous savez qu’ils attirent la foudre; vous en avez fait l’amère expérience. Mieux vaut, vous avez raison, laisser flotter nos pensées: encore une fois, dîtes-moi sans contrainte, sans jugement, ce qui vient à votre esprit; permettez-vous d’associer librement, sans aucune censure. Quant à moi, je vous écouterai en laissant flotter mon attention. Encore une fois, avant de partir, rejouons le cadre de la psychanalyse. Là, c’est bien, ma mâchoire se détend; à votre tour, détendez votre oreille. WILDE: Elle est détendue, mon oreille; Vous avez dit: « Avant de partir »; de partir où ? Vous envisagez de déménager, de prendre votre retraite ? FREUD: Vous m’avez bien entendu, et bien compris ! Ma mâchoire est si détendue que je peux imaginer un monde sans douleur... (FREUD devient pensif) Il m’est plus difficile d’imaginer un monde sans cigare, sans l’odeur des cigares, leur goût, leur texture... Savez-vous, monsieur WILDE, ce qui me ferait plaisir ? WILDE: Dîtes ! FREUD: J’aimerais que, juste une fois, je puisse m’installer à votre place, et vous à la mienne. Certains matins, ce père fondateur que je suis, cette sorte de dieu, s’ennuie. J’ouvre la porte de mon bureau à des patients qui défilent; à chacun, je dis: « Comment allez-vous ? », et personne ne me répond: « et vous? » Tous sont persuadés que je vais bien, et tout le temps ! WILDE: Je croyais qu’après avoir créé ce monde, certains de vos disciples vous avaient analysé ? FREUD: Avec eux, mes associations n’étaient pas assez libres, et leur attention pas suffisamment flottante. Ils étaient stressés ! WILDE: Chiche !


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FREUD: Pardon? WILDE: Venez à ma place ! (WILDE se relève; il quitte le divan) FREUD: Vous êtes bien sûr que cela ne vous dérange pas ? (Il se lève et quitte son fauteuil. Ils échangent leurs places.) Oh, oh, oh! Comme c’est drôle ! Ce divan m’appartient - je l’ai d’ailleurs payé fort cher - et je n’en profite jamais; je crois même ne m’y être jamais installé ! C’est surprenant: je suis impressionné ! Que pourrais-je bien vous raconter ? WILDE: (qui joue le jeu) Ce qui vous passe par la tête, librement ! …

Danielle et Christian MORRIS sont nés en 1954, et mariés depuis 1979. C’est Danielle qui, après leur rencontre, à « inoculé » sa passion pour Oscar WILDE à son mari. Après avoir vécu à Paris, puis à Lyon, ils se sont aujourd’hui posés dans le Var, à Roquebrune-sur-Argens. Elle est écrivain-biographe – auteur de « L’ami de Bunbury ou si Oscar Wilde m’était conté » - et anime

des

ateliers

d’écriture,

et

il

est

psychanalyste

transgénérationnel. Ils ont écrit cette pièce « à quatre mains » en se renvoyant la balle. Danielle « faisait parler » Oscar et Christian « incarnait » Sigmund, mais au fil de l’écriture, il leur est arrivé d’échanger leurs places, comme FREUD et WILDE s’amusent à le faire dans la scène qui précède.


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A ce jeu-là, Danielle et Christian ont aujourd’hui du mal, en relisant certaines scènes ou répliques, à savoir qui, de lui ou d’elle, les ont écrites, et ils en viennent à penser qu’Oscar WILDE et Sigmund FREUD se sont bien amusés à leurs dépens !

12. Personnages secondaires Cheiro

William John Warner, plus connu sous le nom de Cheiro, est né le 1er novembre 1866, à Bray, station balnéaire proche de Dublin où la famille Wilde allait en villégiature. Son père ayant été ruiné par des spéculations immobilières, il dut quitter l’école et partir pour Londres à l’âge de 17 ans. Un jour qu’il s’y promenait sur les quais,


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il sauta dans un bateau qui l’emmena jusqu’en Inde, où il devait rencontrer celui qui lui enseigna à lire les lignes de la main. C’est du moins ce que raconte la légende. Selon d’autres sources, plus prosaïques, le jeune William Warner aurait vécu de divers emplois, groom dans un hôtel de Belfast ou encore ouvrier de plateau dans les théâtres londoniens. Il se présentait également sous le nom de comte Louis Hamon, descendant d’une noble lignée. L’imagination ne lui faisait pas défaut. C’est à la fin des années 90 qu’il apparaît sous le nom de Cheiro. Il prétend que ce pseudonyme lui est apparu une nuit comme une fulgurance. On peut néanmoins faire remarquer que Cheiro semble bien être un dérivé de « Cheiromancy » (chiromancie), qui désigne l’art de lire l’avenir dans les lignes de la main. Wilde a d’ailleurs consacré une de ses nouvelles à cette « science » puisque dans « Le crime de Lord Arthur Savile », le chiromancien Septimus R. Podgers révèle à Lord Arthur Savile au cours d’une soirée mondaine chez Lady Windermere, qu’il est destiné à commettre un crime.

(illustration : Nika Golz)


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C’est dans une soirée de cette sorte que les chemins de Wilde et de Cheiro se rencontrèrent. C’était après un dîner chez Blanche Roosevelt, la nuit de la première d’ «Une femme sans importance ». Cheiro se tenait dissimulé derrière un rideau et chaque invité venait faire lire les lignes de sa main à tour de rôle. Vint le tour de Wilde, dont Cheiro ne voyait que les mains. Il examina d’abord la main gauche, qui reflétait la noblesse et l’intelligence, puis la droite qui révélait la brillance et le succès. Mais, ajouta--il : « La main gauche est la main d’un roi, mais la droite est celle d’un roi qui s’enverra lui-même en exil. » Le propriétaire de ces mains lui demanda à quelle date un tel évènement se produirait. « Dans quelques années. Lorsque vous aurez entre quarante et un et quarante-deux ans » répondit-il. C’est exactement ce qui se passa. Wilde avait quarante et un ans quand éclata le scandale qui devait plus tard le conduire à la ruine et à l’exil.

Danielle 2/9/14 18:46

Wilde retourna le voir pour une visite privée après laquelle il écrivit sur le livre d’or du palmiste une phrase de son roman « Dorian Gray » : « Le mystère du monde est le visible, non pas l’invisible ».

Empreinte de la main de Cheiro, telle qu’il la reproduisit dans son livre : « The Langage of the Hand » (1897)

Comment [1]:


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Neil McKenna raconte dans son livre « The secret life of Oscar Wilde’ qu’il y eut un dernier rendez-vous dans Half Moon Street. Il voulait savoir si la faille que Cheiro avait vue dans sa main deux ans plus tôt s’y trouvait toujours. Il lui répondit qu’elle y était encore, mais il tenta de le rassurer en lui disant que son destin pourrait maintenant difficilement être brisé. « Mon cher ami, répondit Wilde, vous savez bien que le Destin n’a prévu personne pour réparer les accidents.»

Cheiro n’était pas le seul voyant consulté par Wilde. Peu avant son procès, il avait rendu visite à Madame Robinson, qu’il appelait « La Sybille de Mortimer Street ». Elle lui avait fait une prédiction qui recoupait assez bien celle de Cheiro : « Je vois pour vous une vie très brillante, jusqu’à un certain point. Ensuite, il y a un mur. Audelà du mur, je ne vois rien ». Dans sa pièce « In Extremis », créée en 2000 au National Theatre de Londres, Neil Barlett a imaginé une rencontre posthume entre Mrs Robinson et Oscar Wilde, où celle-ci lui prédit un « grand succès ». Wilde rentre à Chelsea, les larmes aux yeux, rassuré sur l’issue du procès. Dans ses mémoires, Cheiro raconte qu’il rencontra Wilde à Paris après qu’il fût sorti de prison. Celui-ci fondit en larmes en le voyant et lui confia qu’à présent tout le monde l’évitait et qu’il lui était


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reconnaissant d’être venu à lui. « Votre présence fait resurgir le passé de la tombe, lui dit-il. Vous rappelez-vous cette nuit, chez Blanche – la nuit même où je venais de remporter un de mes grands triomphes – et vous souvenez-vous de ce que vous m’avez dit ? Combien j’y ai songé depuis, et quand je dépeçais l’étoupe, je regardais mes mains et je réfléchissais à cette faille qui montrait si clairement la marque du Destin, et je me demandais pourquoi je n’avais pas été capable de prendre en compte cet avertissement. » Mais peut-on échapper à son destin ?


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13 - Le personnage d’Oscar Wilde au théâtre The secret fall of Constance Wilde de Thomas Kilroy

Cette pièce de Thomas Kilroy, qui met en scène 9 personnages (3 personnages

parlant

et

6

masques

muets

manipulant

des

marionnettes, dont deux représentent les enfants Cyril et Vyvyan), a été créée à l’Abbey Theatre de Dublin le 8 octobre 1997, dans une mise en scène de Patrick Mason, pour 44 représentations. Elle a ensuite été donnée en tournée pendant l’année 98, avant de revenir à l’Abbey Theatre, pour 16 représentations du 6 au 21 septembre 2000, avec Jane Bennan dans le rôle de Constance, Robert O’Mahony (Oscar) et Andrew Scott (Bosie). Une nouvelle tournée a suivi en 2000.


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L’Abbey n’est pas le seul théâtre où ait été donnée la pièce de Kilroy. Elle a été reprise au Barbican de Londres en 2000 (du 27 septembre au 7 octobre 2000), avec la même distribution qu’à la création.

En novembre 2000, elle est également jouée à l’Atheneum Theatre de Chicago, dans une mise en scène de Michael Kass, avec la distribution suivante : Jennifer Byers, (Constance), Trey Maclin (Oscar Wilde), Gary Alexander, (Lord Alfred Douglas).


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Deux ans plus tard, c’est à Los Angeles qu’on la retrouve. Karen Ryan,

Craig

Aldrich,

Christopher

Michaels,

interprètent

rétrospectivement Constance, Oscar et Bosie au Celtic Arts Center du 6 avril au 12 mai 2002, dans une mise en scène de Peter Wittrock. En 2008, elle s’installe au Guthrie Theatre de Minneapolis du 6 juin au 11 juillet. Sarah Agnew jouait Constance, Matthiex Grier, Oscar, et Brandon Weinbrenner, Lord Alfred, dans une mise en scène de Marcela Lorca.

Matthew Greer (Oscar Wilde) et Sarah Agnew (Constance Wilde)

Constance avec les marionettes de Cyril et Vyvyan


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La pièce de Thomas Kilroy a été éditée chez The Gallery Press en octobre 1997. Voir aussi : Anna McMullen : “Masculinity and Masquerade in Thomas Kilroy’s Double Cross and The Secret Fall of Constance Wilde”, in Anthony Roche (ed), Irish University Review, volume 32, number 1, Spring/Summer 2002, pp. 126-36.

In Extremis De Neil Bartlett

La pièce de Neil Barlett, qui met en scène un rencontre posthume entre Oscar Wilde et la palmiste Mrs Robinson, a été créée en novembre 2000 au Royal National Theatre de Londres, avec une double affiche comportant aussi le De Profundis interprété par Corin Redgrave. Celui-ci assurait également le rôle d’Oscar Wilde dans In extremis. Il donnait la réplique à Sheila Hancock dans le rôle de Mrs Robinson. La pièce se joua du 3 novembre au 16 décembre 2000.


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Après une incursion au Danemark dans la ville de Krudttonden, en novembre 2009 (avec Annemette Andersen et Ian Burns, sous la direction de Claus Bue), la pièce fut reprise au King’s Head theatre, du 18 novembre au 2 décembre 2012, avec Kate Copeland and Nigel Fairs.

Kate Copeland (Mrs Robinson), Nigel Fairs (Oscar Wilde)

Sa dernière production en date a eu lieu au Sarah Thorne Theatre, à Broadstairs, en novembre 2012, avec Charlie Buckland et Fiz Marcus.


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• Neil Bartlett – In extremis – Oberon Books - 2000


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14 – À propos du recueil de Claude Beausoleil, MYSTÈRE WILDE Poésie La poésie s’inspire souvent de la poésie, et des figures de poètes peuvent servir d'inspirants déclencheurs à une réflexion sur l’écriture poétique et ses ramifications. Claude Beausoleil a fréquemment investi ces motifs d’inspiration comme moteur de son œuvre. Dans La Parole jusqu’en ses envoûtements (2001), il s’agissait de Rimbaud et de sa poésie dont les impulsions rebelles nourrissaient une réévaluation de l'expérience créatrice. Suivre les traces. Ouvrir aux illuminations de la parole poétique. En 2006, avec Regarde, tu vois, c’est la figure et la poésie de Jack Kerouac qui supportent l’écriture rythmique, donnent le «beat». On the Road et Mexico City Blues ont profondément marqué l’imaginaire de la seconde moitié du XXe siècle. Sur cette lancée, la langue du poème s'est déliée pour devenir un chant à l'origine de la route. En 2012, dans

Amerikerouac cette quête se prolonge, essentielle

question du rythme et de la liberté nés de l'exploration d'horizons infinis. Avec Black Billie (Prix de poésie Charles-Vildrac de la SGDL), des éléments biographiques concernant la chanteuse de jazz Billie Holiday (1915-1959) traversent cette poésie «noire» incarnant l’âme


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profonde d'une Amérique qui n’est pas que rêve. Une plongée aux racines musicales et dans la vie de la chanteuse relance sur le mode de la célébration, la place du ton, de la voix, dans le travail d'une écriture poétique lyrique hantée par cette icône nocturne paradoxalement surnommée Lady Day. En 2014, Oscar Wilde, sa vie, sa poésie, son époque servent de fil rouge à l'écriture du recueil Mystère Wilde dans lequel Claude Beausoleil propose une synthèse de ses recherches sur le questionnement liant

le biograhique et le poétique. En une

polysémie croisée, la poésie et le poète sont des ancrages du réel et de la fiction. Dans Oscar Wilde, pour l’amour du Beau (2001), l'auteur a analysé la vie d’Oscar Wilde sous l'angle de son amour de la poésie. Le premier et le dernier livre de l'auteur irlandais sont des recueils de poèmes. Sa pièce Salomé, seul texte écrit en français, dédiée à Paul Verlaine, est empreinte de poésie. La poésie demeure la clé énigmatique de l'oeuvre d'Oscar Wilde, son attente comme sa nécessité. L'écriture du recueil Mystère Wilde s’inscrit dans la perspective de ces lignes de force explorant le biographique et le fictif. Le personnage d’Oscar Wilde est évoqué dans sa dimension historique, tout en étant présent dans des entrelacements d'intertextes. Des allusions à l'histoire littéraire et des faits vécus sont tramés dans cette interprétation biographique libre. La pensée, les influences, les émotions que l'on retrouve dans l'œuvre du dandy sont scrutées et rejouées. De Dublin à Paris, de l’envol à la chute, la beauté, l’esthétique, l’art demeurent des leitmotivs de cette oeuvre fin de


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siècle qui n'a pas fini de poser des questions à notre époque. Pour Oscar Wilde, "Le Crime de l'art" est d'être au-dessus de la morale. Wilde et son œuvre sont toujours un laboratoire interrogeant la place de la beauté, de la singularité, de la poésie et de la gratuité dans un univers matérialiste qui uniformise tout. Mystère Wilde est composé de deux sections: Le Tombeau d'Oscar Wilde et L'Ivresse des labyrinthes. Des éléments biographiques y jouxtent des fictions. Wilde demeure le prisme reliant les reflets et les effets. En exergue au recueil, une citation de la mère de Wilde, poète au verbe flamboyant, donne une tonalité intime et singulière à l'ensemble qui suivra. Viendront d'autres citations comme celle du poète et chanteur Jim Morrison : «Nos amis ne doivent pas nous faire croire que nous jouons la comédie.» Wilde a tout risqué : le vrai, le faux, la vie, l’amour, la surface et les gouffres, les tensions paradoxales autour du mot liberté. Wilde n'a pas joué la comédie, il a joué sa vie. Celui qui «d’instinct cible la beauté » est la source d'inspiration de laquelle Claude Beausoleil revisite les formes fixes (sonnet, ode, élégie, aphorisme) tout en expérimentant des langages nouveaux. L'ensemble, tissé de modulations lyriques joue sur plusieurs

tonalités

parfois

narratives

ou

elliptiques,

parfois

didactiques ou philosophiques. Le recueil prend comme toile de fond l'art et la poésie, reflétant l'actualité d’un destin qui n’a pas fini de voir renaître, autre et même, sa trajectoire. Cet hommage à Oscar Wilde est un Tombeau où se déploie «la beauté murmurante/de désirs apocryphes enchâssés.» À travers des décors wildiens, les ambiances se superposent, mémoire et


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imagination inventent un théâtre encadrant cette parole réactivée, disant «dans le secret de l’atelier», que l’art est la seule promesse à sauver. Au-delà des morales, des préjugés et des aveuglements, une passion exprime l’universalité du poème. Dans sa traversée des classiques de l'Antiquité, aux œuvres de ses contemporains, le grand

dublinois

est

resté

fidèle

aux

évocations

poétiques

orchestrées par sa mère dans ces fiévreuses rencontres de Merrion Square qui ont marqué son enfance et son imagination. Poète, essayiste, romancier, fin dandy aux mots qui virevoltent dans les

lieux médusés du théâtre humain, Wilde a été et demeure

«sauvagement Wilde». Dans Mystère Wilde, Claude Beausoleil en témoigne avec éclat, tendresse, érudition et ironie.« Ceci est un tombeau

pour

celui / qui

célèbre

la

vie »,

une

poésie

aux

ramifications scintillant dans le corps des mots, entre lucidité, masque et vérité. Se profilent des trames biographiques, ludiques et fictives. Dans ces dédales, la poésie, lumière et passion, aura le dernier mot.

Claude Beausoleil, poète, romancier et essayiste, est né à Montréal en 1948. Directeur de la revue Lèvres urbaines, sa poésie est traduite en une douzaine de langues. Auteur d’anthologies de poésie acadienne, québécoise, suisse romande et mexicaine, il a été décoré de l’Ordre des francophones d’Amérique.

Membre de

l’Académie Mallarmé et de la Société Oscar Wilde en France, il été le


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premier poète à occuper le poste de « Poète de la Cité » de la ville de Montréal.

15. Poèmes TO R. R.

1

ON REREADING THE "DE PROFUNDIS" OF OSCAR WILDE De Florence Earle Coates

HE stood alone, despairing and forsaken: Alone he stood, in desolation bare; From him avenging powers e'en hope had taken: He looked,—and thou wast there! Why hadst thou come? Not profit, no: nor pleasure, Nor any faint desire of selfish gain,

1

Robert Baldwin Ross (Robbie Ross)


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Had moved thee, giving of thy heart's pure treasure, To share a culprit's pain. In that drear place, as thou hadst lonely waited To greet with noble friendship one who came Handcuffed from prison, pointed at, and hated, Bowed low in mortal shame, No thought hadst thou of any special merit, So simple, natural, seemed that action fine Which kept alive, in a despairing spirit, The spark of the divine, And taught a dying soul that love is deathless, Even as when its holiest accents fell Upon a woman's heart who listened, breathless, By a Samarian well. (Extrait de « The unconquered air and others poems » - 1912)


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16. HANDBAG Le Prince Heureux à New-York En avril 2011, fut installée à Central Park, une statue intitulée « Le Prince Heureux », et qui s’inspire du conte éponyme d’Oscar Wilde.

L’artiste, Ryan Gander a représenté l’image finale de la ruine, celle que Wilde n’a pas décrite, mais que l’on peut imaginer après que la statue du Prince ait été jetée à bas de son piédestal et détruite. C’est ce qui reste du socle de la statue, après la disgrâce du Prince, qui est représenté ici.


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La sculpture de Gander a été érigée sur la Doris C. Freedman Plaza (Central Park, 5e avenue et 60e rue) où elle est restée exposée jusqu’en février 2012. Au milieu des décombres, on peut y voir l’hirondelle morte, le cœur et l’épée du Prince massacré.


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17. WWW.OSCHOLARS.COM www.oscholars.com abritait un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en était David Charles Rose (Université d’Oxford).

Depuis 2012, les

membres du groupe sont indépendants. THE OSCHOLARS est un journal international en ligne publié par D.C. Rose et son équipe de rédacteurs, consacré à Wilde et à ses cercles, il compte plusieurs mille lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007. Les numéros de juin 2002 à octobre 2003, et d’octobre

2006

à

décembre

www.irishdiaspora.net.

2007

sont

abrités

par

le

site

Vous y découvrirez une variété d’articles,

de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc. L’appendice ‘LIBRARY’ contient des articles sur Wilde republiés des journaux. Le numéro 51 : Mars 2010 est en ligne ; mais on peut trouver sur le site plusieurs feuilletons mensuels. Depuis automne 2012, THE OSCHOLARS apparaît chez http://oscholars-oscholars.com/ THE

EIGHTH

LAMP :

Ruskin

studies

to-day

rédactrices

Anuradha Chatterjee (Xi’an Jiaotong University, China) et Laurence Roussillon-Constanty (University of Toulouse). Désormais (janvier 2012), THE EIGHTH LAMP apparaît chez http://issuu.com/theeighthlamp . No. 8 est en ligne.


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THE LATCHKEY est consacré à ‘The New Woman’. Les rédactrices sont Petra Dierkes-Thrun (Stanford University), Sharon Bickle (University of Queensland) et Joellen Masters (Boston University). Le numéro le plus récent en ligne est daté de Summer 2013. MELMOTH était un bulletin consacré à la littérature victorienne gothique, décadente et sensationnelle. La rédactrice était Sondeep Kandola, Université de Liverpool John Moores. Le numéro 3 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. MOORINGS est consacré au monde de George Moore, écrivain irlandais, bien lié avec beaucoup de gens du fin de siècle, soit à Londres, soit à Paris.

Le numéro 3, été 2008, est en ligne.

Actuellement, on trouvera sa nouvelle version ici. RAVENNA effectue une exploration des liens anglo-italiens à la fin de siècle. Les rédacteurs sont Elisa Bizzotto (Université de Venise) et Luca Caddia (University of Rome ‘La Sapienza’). Le numéro 3 en ligne est celui de fin mai 2010, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues.

Shavings est un bulletin consacré à George Bernard Shaw. Le numéro 28 (juin 2008) est en ligne ; désormais on le trouvera dans les pages de UpSTAGE.


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The Sibyl

(commencé au printemps 2007) explore le monde de

Vernon Lee, écrivaine anglaise, née le 14 octobre 1856 au Château St Léonard, à Boulogne sur Mer; décédée à Florence, le 13 février 1935. La rédactrice est Sophie Geoffroy (Université de La Réunion). Le

numéro

4

(hiver

2008/printemps

2009)

est

en

ligne.

Actuellement, on le reprend ici. UpSTAGE est consacré au théâtre du fin de siècle, rédactrice Michelle Paull (St Mary’s University College, Twickenham).

Le

numéro 5 est en ligne. VISIONS (deux ou trois fois par an) est consacré aux arts visuels de la fin de siècle. Les rédactrices associées sont Anne Anderson (University of Exeter), Isa Bickmann, Tricia Cusack (University of Birmingham), Síghle Bhreathnach-Lynch (anciennement National Gallery

of

Ireland),

Charlotte

Ribeyrol

(Université

de

Paris–

Sorbonne) et Sarah Turner (University of York). Le numéro 8 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. www.oscholars.com

est/était

édité

par

Steven

Rivendale Press, spécialiste de la fin-de-siècle.

Halliwell,

The


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18. Signé Oscar Wilde C’est absurde de diviser les gens en bons et en mauvais. Les gens sont soit charmants, soit assommants. Je suis pour les gens charmants. (Lord Darlington - « L’éventail de Lady Windermere – Acte 1)

It’s absurd to divide people into good and bad. People are either charming or tiedous. I take the side of the charming. (Lord Darlington – Lady Windermere’s Fan – Act 1)


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