xxstories.

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série d’histoires courtes ht.


1 roulé.

Elle est de ces lieux qui de loin fascinent et qui de près assassinent. Elle est vampirique, énergivore. Secrètement ou presque, elle vous déteste autant que vous pourriez l’aimer. A vos yeux elle est des plus généreuses, elle est des plus belles, elle est des plus grandes. Elle est de ces lieux dans lesquels on est, sans y vivre. On y demeure en transit, absorbé par un amas de vies dont on peine à percevoir une once de vivacité. On s’y rend en espérant, on y reste en soupirant. Emplie d’espoir, vous rêvez pour elle, elle s’accomplit pour vous. Esclaves mutuels d’un accord à l’amiable désavantageux. Il arrive alors un instant où certains s’interrogent sur leur propre dessein, leurs obsessions récurrentes, leurs aspirations premières, celles qui créèrent leurs plus belles idées, celles qui leur donnèrent la foi. Ce lieu dont il est question vous ensevelit si profondément sous le poids de l’information qu’il vous est ensuite impossible de divaguer dans votre propre âme : captifs du divertissment de masse, de la culture à outrance à ne plus savoir où se rendre. La générosité évoquée plus haut n’est en fait qu’un leurre qui dissimule le totalitarisme de notre amante urbaine. Difficile de produire lorsque l’on passe son temps à se nourrir. Elle est une meurtrière, auteur de l’overdose culturelle. Elle vous rend muet par sa splendeur mais ne vous redonne jamais la parole. Votre voix ne compte plus, seul le choeur de la ville toute entière résonne. Elle - elle n’est rien sans le nous, eux ne sont rien sans elle, mais tout cela subsiste sans le vous, le moi, le même. Ainsi, il semble impossible de se réaliser personnellement dans ce communautarisme des plus individualistes. Si ces endroits promettent tous les possibles, c’est parcequ’ils acceuillent avant


tout des individus indécis, coincés entre la possibilité de choisir et le risque de la potentielle erreur liée à ce même choix. «Nous n’apprenons rien de nous-même que nous ne savons déjà.» Mais, Se définir. Ce choix est un luxe que la plupart ne peut s’offrir car il implique beaucoup trop de risques. C’est pourtant indispensable, afin de produire de soi et non pour soi. Trouver les moyens de décrire ses propres contours, se dessiner, se discerner. Non pas dans une visée strictement personnelle et égocentrique mais bien dans l’idée d’une contribution subjective à l’existence de notre société. La victoire étant inévitablement la destruction d’un rêve à égale mesure qu’elle symbolise son accomplissement - cette démarche ne vise pas la récompense, mais la possibilité de prendre position et d’apporter de soi en ayant conscience de l’incompréhension et des erreurs que cela pourra parfois générer. Nous ne connaissons plus personne et plus personne ne se connaît. Il faut réapprendre à se connaître pour que la création redevienne un acte de sincérité. Je considère l’architecture comme un médium possible mais non exclusif, un support de réflexion tout comme le sont la musique, l’écriture ou le dessin. Dès lors, être architecte est-il le meilleur moyen de faire de l’architecture? Parceque l’architecture de la sorte ne se réduit trop souvent qu’à une oeuvre mégalomane et dispensable. Elle contribue à la culture du besoin et du caprice. Au mieux elle est un sacrifice permanent, au pire elle est un prétexe à l’égoïsme. Dans ce milieu, elle n’est pas essentielle et répond aux demandes d’une élite. Ceux qui la dessinent sont devenus ingras et prétentieux. Dans leur importante apparence (ou l’inverse), ils participent à l’écroulement d’un monde où le territoire est une denrée que l’on maltraite jusqu’à l’épuisement. Elle est alors si loin des autres activités telles que la science, la médecine, l’artisanat, l’enseignement ou la politique. Certains me diront que l’architecture est politique, à cela je répondrai que la guerre et l’esclavage le sont aussi. L’architecture s’est trop éloignée du quotidien, elle s’est trop éloignée de nos vies.


2 idée.

Depuis la pointe d’une mine, de ce seul point précis, de cette première pression qui transformera bientôt une simple surface en cette profonde matière grise couchée sur un papier, de ce départ faussement insignifiant déversé par l’encre qui s’échappe, on peut lire les lignes de l’âme. L’idée. L’idée. Elle naît d’une pensée précieuse et rêveuse, au départ invulnérable et sans limite. Elle fait ses premiers pas sur un trait hésitant et imprécis. Sa maturité formelle, elle ne l’acquiert qu’après d’innombrables valses jouées sur les pages d’un carnet des plus indulgents. Ce carnet, il aime cette idée. Il accepte ses imperfections car il sait qu’à force de persévérance, elle sera aussi belle qu’il l’aurait souhaité dans ses songes. Il accepte ses ratures et sa maladresse car il est là pour lui apprendre à parler pour qu’ensuite, elle puisse chanter. L’idée. Elle s’épuise et se métamorphose sous les trajectoires que lui offre la main de son auteur. Elle s’élance, chute et se relève autant de fois que la plume expérimente ses capacités physiques et esthétiques. Elle a de moins en moins peur. Elle sait qu’aussi loin qu’elle ira, jamais elle ne s’égarera puisque depuis la pointe d’une mine a surgit le lieu d’où elle vient, cette première pression qui est maintenant devenue bien plus qu’un simple point. L’idée. Elle s’est précisée, elle s’est complexifiée, elle s’est densifiée, elle est presque prête à abandonner son premier terrain de jeu, là où elle apprit à danser. Le carnet est essouflé mais il conservera à jamais les traces de son passage car elles définissent la véritable nature de L’idée. Ce qu’elle n’est pas aujourd’hui, c’est tout ce qu’elle a d’abord été sur ce carnet. Et ce qu’elle est désormais, provient de cette rencontre charnelle entre l’âme


et le réel, cet instant où l’on agit instinctivement au contact de la matière sans aucune autre frontière que celle de l’imaginaire sur une feuille. Sur cette dernière, tout fut possible et quasiinstantané. L’idée passait d’un mot à une forme, d’une couleur à une dimension, d’un plan à une coupe dévoilant son anatomie, révélant ses désirs et ses défauts. Des allers-retours incessants afin de déterminer la bonne direction, celle qui la mènerait vers ce à quoi elle aspirait devenir. L’idée. Aussi naturel qu’il est de penser, elle retrouve dans le dessin sa forme la plus sauvage et la plus spontanée parcequ’il est de loin le plus véloce, parcequ’il est identitaire et propre à chacun, parcequ’il est accessible à tous et universel. L’idée aime ses dess(e)ins. L’idée aime se contempler au travers d’un croquis sur lequel la mine s’est usée sous le poids de la pensée. L’idée aime l’intuition et l’accumulation dans cette forme d’expression car au cours du processus un échange survient, parfois de façon réfléchie, d’autre fois par hasard, on appelle alors cela une découverte. L’idée oriente naturellement le dessin par son envie d’exister, mais le dessin à son tour nourrit L’idée d’une substance créatrice imprévisible et indomptable. On s’y découvre. On y révèle une autre vérité. Avant d’apposer la première griffure, le regard filtre, la pensée interprète et la main ensuite relate le récit. Ainsi prend vie L’idée, amalgames d’imaginaire et d’inspirations réelles, d’histoires vécues et d’expériences rêvées, d’esquisses jetées sur le coin d’une nappe et de détails minutieux réalisés sur les feuillets d’un journal de bord fatigué. Un jour, L’idée s’évade, elle a suffisamment vogué sur les mers de papier, elle souhaite poser les pieds sur la terre ferme. Une nouvelle existence apparaît dans notre univers quotidien, L’idée s’est concrétisée et le dessin en a été le compositeur, celui sans qui la pensée aurait perdu toute sa poésie ou bien ne l’aurait jamais trouvé, celui sans qui la pensée n’aurait pu se développer suffisament pour affronter la réalité, celui sans qui la pensée ne demeurerait qu’une idée.



à suivre ...


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