Affaire d'Âme

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Ingmar Bergman

Affaire d’âme

Mise en scène : Myriam Saduis Avec Anne-­‐Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck

Photographie : Michel Boermans

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Créé en septembre 2008 au théâtre Océan Nord « Meilleure découverte » aux Prix belges de la critique 2009 Réalisé avec l´aide du Ministère de la Communauté Française -­‐ Service du Théâtre -­‐ CAPT Avec l’accord du bureau d'auteurs ALMO Bvba et Joseph Weinberger Limited, Londres, et de la Fondation Ingmar Bergman. Depuis 2009 les textes d'Ingmar BERGMAN sont représentées dans les pays de langue française par l'agence DRAMA -­‐ en accord avec l'agence Josef Weinberger Limited à Londres Un accueil en résidence du Théâtre Océan Nord Myriam Saduis a reçu les droits du texte d'Affaire d'âme du vivant d’Ingmar Bergman, en 2004. Son spectacle constitue la première création théâtrale de ce récit, initialement conçu comme un scénario pour une "expérience-­‐limite de cinéma".

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Mise en scène : Myriam Saduis Avec : Anne-­‐Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck Lumières : Xavier Lauwers Scénographie : Myriam Saduis et Xavier Lauwers Montage musique : Jean-­‐Luc Plouvier Créations sonores séquence radio : Pascale Salkin Images : Marian Handwerker Montage : Joachim Thôme Coach mouvement séquence 8 : Johanne Saunier Traduction : Vincent Fournier -­‐ Editions Cahiers du cinéma Assistanats : Aurore Depré (Mise en scène) Stéphanie Kinet (Scénographie) Régie : Nicolas Sanchez et Ronan Béthuel Couture : Mina Milienos et Olga Bozoti Un accueil en résidence du Théâtre Océan Nord, direction Isabelle Pousseur. Avec l’aide du Ministère de la Communauté Française, Service du Théâtre, CAPT. Avec l’accord du bureau d'auteurs ALMO bvba et Joseph Weinberger Limited, Londres et de la Fondation Ingmar Bergman.

Photographie : Michel Boermans

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Présentation Quand Bergman écrit Affaire d'âme en 1987, il a déjà déclaré qu'il arrêtait le cinéma. Il a réalisé, en 1983, son film testament, l'extraordinaire « Fanny et Alexandre » qui parachève une oeuvre majeure dans le cinéma du XXème siècle. Il continuera pourtant à écrire des scénarios, à mettre en scène au théâtre et il réalisera encore pour la télévision deux grands films : Après la répétition et Saraband. Une affaire d'âme a été écrite par lui comme une proposition radicale : faire un long plan rapproché. Il ne mènera pas ce projet au bout et cela le laissera sans tristesse aucune. Il le dit : « Non, je ne le réaliserai pas, je ne vais pas me lancer encore là-­‐dedans ! » Mais jusqu'au bout il ne cessera pas d'écrire, de chercher, de faire des propositions que d'autres que lui pourraient explorer. Quand j'ai lu le texte, en 2003, j'ai pensé que cette proposition pouvait se traduire au théâtre et Bergman a accepté. Affaire d'âme se divise en onze sections. Chacune recouvre un monde à elle seule. Ensemble, elles tracent la cartographie d'une chambre intérieure, un territoire en pleine bataille... Les images sont parcellaires. Quand elles apparaissent, c'est après avoir été comme englouties. Elles ressurgissent alors sous forme de morceaux d'épaves, remontant le courant du récit. Les séquences se succèdent mais se dérobent au diktat de la chronologie. Les rêves deviennent des savoirs précis, les présences hallucinées sont réelles. Le passé, comme le présent et l'avenir semblent avoir disparus. Il reste un flux qui lui, dispose du temps. Chaque tentative de dire essaie de recouvrir l'entièreté de la vérité. Dès lors chacune de ces tentatives se solde par un mensonge. Et le récit de s'enfoncer plus avant. Reviennent quelques mots éperdus, quelques phrases secrètes : hiéroglyphes à moitié effacés, détenant des énigmes. Ils sont les signes des forces telluriques qui animent l'esprit et traversent les corps. Ce sont bien sûr les actrices qui donnent chair à cette âme multiple et singulière à la fois. Ce sont les acteurs qui inventorient les routes, en trouvent de nouvelles, mettent les cartes à d'autres échelles. A leur guise ou à leur insu, ils font apparaître soudainement des territoires secrets qu'ils condensent et dévoilent... C'est à travers le corps des acteurs que réapparaissent ces terres perdues. C'est ainsi qu'elles nous reviennent à la mémoire, comme un retour d'exil.

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Texte du programme “Affaire d’âme est une Odyssée intérieure, l’histoire d’une quête, celle de Victoria : trouver à dire une vérité sur soi-­‐même et sur l’existence tandis que l’effondrement menace. Florence Hebbelynck et Anne-­‐Sophie de Bueger interprètent cette Affaire d’âme, évoquant par leurs deux présences que nous sommes toujours plusieurs à parler en nous-­‐ mêmes... Avec les seules armes de la fiction, elles traversent les souvenirs, retournent sur les lieux de l’enfance, plongent dans les rêves, convoquent les âmes mortes... Mais la vérité, elle, ne se convoque pas. Seul un récit en porte les filaments incandescents, faisant advenir des territoires inconnus, plus vastes que soi.

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La Libre Belgique -­‐ Philip TIRARD -­‐ 12/09/2008

A travers le miroir avec Bergman

Un inédit d'Ingmar Bergman en création sur la scène du Théâtre Océan Nord. Avec deux magnifiques comédiennes : Anne-­‐Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck. Pour sa première mise en scène d'envergure, Myriam Saduis propose un moment de beauté et de pureté théâtrale, un spectacle maîtrisé et accompli qui transporte le public au coeur du mystère de l'être et de sa représentation. Elle n'a pourtant pas choisi la facilité avec cette "Affaire d'âme", texte inachevé d'Ingmar Bergman (1918-­‐2007) inédit au théâtre, parce qu'écrit à l'origine pour le cinéma. Le grand metteur en scène suédois l'avait imaginé comme une expérimentation radicale sous la forme d'un long plan rapproché Au théâtre, comme le souligne Myriam Saduis, "la focale est différente". Elle a eu la très bonne idée d'adapter le texte pour deux voix, dédoublant ce monologue intérieur pour en faire un vrai dialogue avec soi. Elle ouvre du même coup sur l'autre, à savoir le spectateur... Devant nous, donc, deux états de Victoria, femme d'âge incertain aux prises avec ses souvenirs, ses émotions, son questionnement éperdu. Il y a eu un père pasteur absorbé par ses sermons, un mari aussi gentil qu'infidèle, une représentation théâtrale qui a mal tourné, un décès violent, un hôpital psychiatrique, etc. Rite bergmanien Les deux comédiennes sont époustouflantes du début à la fin. Présence, justesse, finesse de la diction, éloquence de la gestuelle, Florence Hebbelynck et Anne-­‐Sophie de Bueger semblent de surcroît liées par une complicité gémellaire. Motifs, répons et contrepoint s'enchaînent en une parfaite musique verbale où s'accomplit un rite plus bergmanien que nature. Chapeau. Et quel auteur que Bergman! La sobriété et l'efficacité de la mise en récit touchent en profondeur, au coeur des interrogations de tout un chacun sur l'identité et le sens de l'existence. Partant de la traduction de Vincent Fournier parue aux Cahiers du Cinéma, Myriam Saduis, qui est aussi thérapeute en milieu psychiatrique, a su le traduire sans l'amoindrir ni le statufier. Elle s'est entourée d'une équipe artistique des plus accomplies. La bande sonore allusive, ironique et émouvante de Jean-­‐Luc Plouvier, les lumières évocatrices de Xavier Lauwers, les superbes images enregistrées de Marian Handwerker, la scénographie composée de quelques voiles de tulle et d'un minimum d'accessoires (avec l'assistance de Stéphanie Kinet), tout entre dans le jeu et fait sens. 6


Le Soir -­‐ Jean-­‐Marie WYNANTS, 11 septembre 2008

La vérité n’est rien En fait, j’habite sans cesse dans mon rêve et j’entreprends parfois des visites dans la réalité. » Cette phrase d’Ingmar Bergman qui apparaît à la fin d’Affaire d’âme résume parfaitement le voyage intérieur que nous propose ce spectacle de Myriam Saduis. Sur scène, deux comédiennes, Anne-­‐Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck. Toutes deux vont porter la parole de Victoria qui nous entraîne dans ses étranges délires. Elle vogue sans cesse entre le rêve et la réalité sans qu’il soit possible de jamais démêler le vrai du faux. Elle évoque régulièrement son mari, Alfred, qui ne s’intéresse plus à elle et se tourne vers d’autres femmes. Elle participe à une réception où elle s’enivre de champagne. Elle rencontre Richard Strauss, auquel elle voue une admiration sans borne. Elle remonte au temps de son enfance, cherche son père, sa mère. Elle devient actrice pour une représentation, devant une altesse royale, au cours de laquelle elle va voir Alfred filer avec une autre femme. Elle croise des gens célèbres, avant de finir dans une maison de repos en Suisse… Qui est vraiment Victoria? Que lui est-­‐il arrivé? Est-­‐ce une mythomane, inventant toutes ces choses? Une femme perdue qui nous livre le récit de sa vie? Une malade mentale enfermée dans un hôpital suisse, comme le laisse à penser la dernière partie du spectacle? Une actrice jouant sa propre existence? Peu importe, finalement. Comme Victoria l’énonce soudain : « La vérité n’est rien. La vérité est vanité. ». Dans un décor constitué de rideaux blancs que l’on déplace sans cesse afin de créer une multitude d’espaces non identifiables, les deux comédiennes se répondent, se dédoublent, s’inventent des mondes, des vies, des aventures. «Je vis dans un vide que je peuple de rêves et de fantaisies », explique Victoria. On jurerait du Woody Allen En montant le texte d’Ingmar Bergman, Myriam Saduis ne cherche nullement à imiter l’univers cinématographique de celui-­‐ci. Elle en fait par contre ressortir toute la complexité, l’ambiguïté, la souffrance, mais aussi, et c’est une grande réussite du spectacle, l’humour. A cet égard, les deux comédiennes n’hésitent pas à aller de plus en plus loin dans la drôlerie, avant que le texte ne nous ramène par d’incessantes pirouettes dans la mélancolie ou l’amertume. On sait à quel point Woody Allen admire l’œuvre de l’écrivain et metteur en scène suédois. Certains se sont toujours étonnés de cette admiration. On la comprend parfaitement ici. Loin de nous enfoncer dans la déprime, Affaire d’âme émeut, fait rêver, mais fait également rire, très souvent. Face à son mari mort, Victoria lâche : « Je parle à mon mari. Pour la première fois depuis vingt ans de mariage, il est obligé de m’écouter. » C’est du Bergman, mais on jurerait que c’est écrit par Woody Allen.

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Musiq’3 – RTBF -­‐ Dominique Mussche -­‐ 11 septembre 2008 Très belle rentrée au Théâtre Océan Nord à Bruxelles avec une création « Affaire d’âme » d’Ingmar Bergman dans une mise en scène de Myriam Saduis avec deux comédiennes : Anne Sophie de Bueger et Florence Hebbeleynck. Le projet au départ est très original, audacieux aussi. On peut même dire que c’est un défi car il s’agit de porter à la scène les mots d’un des plus grands créateurs du XXème siècle, tant pour le théâtre que pour le cinéma. On rappellera que Bergman nous a quittés l’année dernière. Il écrit « Une affaire d’âme » en 1987 dans l’intention d’en faire un film. Son projet à l’époque était radical car il s’agissait pour lui d’en faire un long plan rapproché. Finalement, il abandonne, le texte reste dans un tiroir jusqu’à sa parution en 2002. C’est un coup de coeur pour cette metteure en scène, Myriam Saduis, qui finit par obtenir de Bergman les droits pour une adaptation au théâtre, ce qui est tout à fait étonnant. Que raconte « Affaire d’âme »? Monologue porté par une femme, Victoria, qui tente de comprendre sa vie, de savoir qui elle est, d’approcher la vérité sur son identité. Cette vérité, elle la poursuit en creusant vraiment en elle-­‐même, en recréant, en rejouant son histoire dans une sorte de chambre intérieure où elle projette ses propres fictions. Cette odyssée est structurée en onze séquences, en onze tentatives, finalement, pour cerner une identité qui toujours se dérobe. Elle revisite les lieux de son enfance. Elle convoque ses parents, ses amis, le mari disparu, elle se réfugie dans le rêve ou le sommeil. Autant de thématiques chères à Bergman, tout comme le couple, la mort, l’illusion théâtrale. Myriam Saduis, metteure en scène, dont, il faut le souligner, « Affaire d’âme » n’est que la deuxième mise en scène, signe un spectacle magnifique et tout à fait abouti. Pour rendre ce monologue plus théâtral, elle a eu l’idée de dédoubler le personnage de la narratrice de Bergman et elle l’incarne par deux comédiennes qui sont toutes les deux remarquables, à la fois différentes et complices et qui jouent très finement ce jeu de la dualité, une dualité qui reste en parfaite résonance avec le sujet. En effet, ce texte suggère presque en permanence une sorte de schizophrénie, chacun de nous n’est-­‐il pas multiple, n’y a-­‐t-­‐il pas plusieurs voix parfois contradictoires qui parlent en nous? D’autre part, le personnage de Bergman convoque souvent des fantômes du passé, autant d’interlocuteurs qui se profilent dans chaque séquence et qui justifient parfaitement, appellent même ce dédoublement. Myriam Saduis réussit à recréer un univers poétique et onirique, proche de celui de Bergman, mais en même temps très personnel et qui doit tout au théâtre. Elle y parvient avec très peu de moyens et d’accessoires. Il y a par exemple de grands voiles blancs que l’on manipule pour structurer l’espace, une manière aussi d’ouvrir ou de refermer une page de sa vie. Ou alors une simple couverture de satin rouge. Elle crée donc des images superbes, ciselées, sculptées par les très beaux éclairages de Xavier Lauwers Quelques images vidéo aussi, signées Marian Handwerker, et qui contrairement à ce que l’on voit d’habitude ne sentent pas du tout l’artifice. Sa mise en scène est d’une très 8


subtile fluidité, les scènes se succèdent par fondus enchaînés, comme au cinéma mais aussi comme dans les rêves. La lisibilité de l’ensemble ne gomme pas pour autant, les silences, le flou des contours, l’incertain qui est inhérent à ce type de voyage intérieur. Et puis enfin, si le rire n’est pas vraiment fréquent dans l’univers de Bergman, Myriam Saduis et ses comédiennes réussissent à nous fait sourire plus d’une fois et nous offre même une scène franchement hilarante qui doit tout à notre chère petite Belgique. Ce spectacle est un coup de coeur, très bel hommage à Bergman.

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La Première RTBF -­‐ Christian Jade -­‐ 11 septembre 2008 Hugues Van Pell : Une surprise de taille : une oeuvre d’Ingmar Bergman, inconnue, «Affaire d’âme» au Théâtre Océan Nord, Christian Jade, manifestement votre coup de coeur va à ce Bergman? Christian Jade : De fait, Hugues et pour deux raisons: ce texte court de Bergman était à l’origine un scénario pour une seule actrice. Comme Bergman ne l’a jamais réalisé, l’oeuvre est donc inconnue. Intéressant, un inédit de Bergman! Deuxième bonne surprise: l’adaptation pour le théâtre par une jeune inconnue Myriam Saduis est d’une belle maturité. Elle a dédoublé le monologue initial en un dialogue étrange et passionnant. Les deux actrices, Florence Hebbelynck et Anne-­‐Sophie de Bueger, remarquables de naturel et de coordination, y jouent les jumelles quasi parfaites, disant parfois en écho le même texte, comme dans un miroir; ou alors elles dialoguent comme si elles étaient deux parties de la même personne: dédoublement de la personnalité, donc. Les thèmes sont typiquement bergmaniens : les problèmes du couple, le jeu entre l’actrice et son personnage, la difficulté à atteindre sa vérité intérieure. Hugues Van Peel : Tout ça m’a l’air bien sérieux. Pas trop d’«ennui distingué»? Christian Jade : Et bien pas du tout : ce n’est pas un Bergman «prise de tête», on sourit beaucoup des contradictions des deux jeunes femmes et l’on se souvient que Bergman a lui aussi fait des comédies. Et l’angoisse, qui est au fond de ces jeunes femmes, elles en jouent, comme si l’humour apaisait la douleur intérieure. C’est très fin, joliment chorégraphié avec l’aide de Johanne Saunier, découpé par les lumières de Xavier Lauwers et mis en musique par Jean–Luc Plouvier. Un travail collectif remarquable.

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Le Soir -­‐ Nicolas Crousse, 07 décembre 2010

Bergman, sa femme et sa maîtresse Bruxelles rendait ce week-­‐end un hommage tout particulier à Ingmar Bergman. Le théâtre Océan Nord reprend depuis la semaine passée un texte inédit de l'artiste suédois, Affaire d'âme, créé en Belgique en septembre 2008 par Myriam Saduis. Samedi, le théâtre Océan Nord recevait dans le cadre d'une journée-­‐rencontre Stig Björkman, réalisateur de récents documentaires sur le réalisateur des Fraises sauvages, ainsi que Jon Asp, jeune producteur de la Fondation Bergman. La Cinémathèque prenait le relais dimanche soir, avec le soutien de l'ambassade de Suède, en projetant Sonate d'automne, précédé du dernier film de Stig Björkman, « … mais le cinéma reste ma maîtresse ». Le titre de ce documentaire consacré à Bergman peut sembler énigmatique. Il est inspiré d'une citation du maître de Farö, qui disait en substance : « Le théâtre est ma femme, mais le cinéma reste ma maîtresse. » Cette phrase, qui supposait chez Bergman que le théâtre ramenait au réel et que le cinéma explorait notre part de fantasmes, tombe on ne peut mieux. Car Affaire d'âme était à l'origine un projet de cinéma de Bergman. Un projet expérimental, sinon radical, que le cinéaste tenta au milieu des années 80 de porter à l'écran. Problème : la comédienne à qui il destinait le texte (…) se désista. Bergman décida dès lors de créer le texte sous forme de lecture radiophonique. Et on en resta là. Jusqu'au jour où, en 2003, Myriam Saduis eut l'idée de porter le texte à la scène. Ce fut donc, chose rare, le cinéma qui inspira le théâtre. Pour en arriver là, et à ce vrai bonheur qui accompagne chaque soir les spectateurs du théâtre Océan Nord, Myriam Saduis eut à convaincre Bergman lui-­‐ même, en passant par son agent. (…) En découvrant Affaire d'âme, on ne peut s'empêcher de penser à Persona. Persona était un portrait de femme. Une comédienne entre dans une brutale dépression. Tout à coup, plus rien n'a de sens, les mots ne lui viennent plus. Alors on la place en repos forcé, sous le contrôle d'une infirmière, et peu à peu, les rôles se brouillent, s'inversent, se mélangent, jusqu'à un dédoublement de personnalité. L'infirmière et la malade ne font plus qu'une pâte trouble. Myriam Saduis le confesse : « Je m'intéresse au thème de la folie. Bergman l'a dit dans son livre Laterna Magica : Persona est né de son passage dans un lieu psychiatrique, et d'un combat contre l'effondrement psychique. » Qu'est-­‐ce que cette bizarrerie qu'on appelle l'âme ? Au cœur de la pièce actuelle, comme du film de 1966, une question obsédante : qu'est-­‐ce que cette bizarrerie qu'on appelle l'âme ? Myriam Saduis tente une réponse : « C'est une chambre intérieure, et un territoire en pleine bataille. » Avec Affaire d'âme, Bergman nous propose d'entrer dans le champ de bataille de l'intimité d'une femme, Victoria. Qui est incarnée, sur la scène du théâtre schaerbeekois, par deux visages complémentaires, tantôt contradictoires, tantôt complices. Victoria, c'est la femme en morceaux. Et c'est la femme tout court. Névrosée et infantile. Eprise de vérité et menteuse. Terrassée de monstres et légère comme une bulle de 11


champagne. Est-­‐ce une comédienne, ou une malade mentale ? Pourquoi pas les deux, suggère Bergman, chez qui tout est possible. Et l'on navigue autant dans l'imaginaire que dans le palpable. Pour donner corps à la double personnalité de Victoria, deux comédiennes très justes : Anne-­‐Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck.

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Alternatives Théâtrales, n°101

Un inédit de Bergman porté au théâtre

:«Le film, quand ce n'est pas un documentaire, est un rêve. C'est pourquoi Tarkovski est le plus grand de tous. Il se déplace dans l'espace des rêves avec évidence, il n'explique rien, d'ailleurs, que pourrait-­‐il expliquer ?... J'ai frappé toute ma vie à la porte de ces lieux où il se déplace avec tant d'évidence. Quelques rares fois seulement je suis arrivé à m'y glisser... Aucun art ne traverse comme le cinéma directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme.»’ -­‐ Ingmar Bergman, Laterna Magica -­‐ Editions Gallimard. L’oeuvre d’Ingmar Bergman attire naturellement l’intérêt des metteurs en scène de théâtre, parce qu’il a longtemps mené la double vie de directeur/metteur en scène de théâtre, l’hiver et de cinéaste l’été. Ses œuvres, centrées sur la richesse des dialogues, gardent trace de cette esthétique théâtrale Ses dernières œuvres, comme les fameuses «Scènes de la Vie conjugale»-­‐ feuilleton télé qu’il a lui-­‐même adapté pour le théâtre-­‐ ont connu de nombreuses mises en scène. En Belgique, Michel Kacenelenbogen en a donné une solide version naturaliste, au théâtre Le Public, en mai 2007. La surprise vient d’un ovni théâtral, présenté en septembre 2008, au Théâtre Océan Nord, à Bruxelles. Un monologue destiné à une actrice, «Affaire d’âme», écrit pour le cinéma, comme un «gros plan rapproché» d’une heure trente, n’a jamais pu être porté à l’écran, faute de producteur. Bergman s’en est désintéressé mais en a cédé les droits pour des adaptations radiophoniques .Une metteuse en scène, d’origine française, vivant à Bruxelles, Myriam 13


Saduis, en propose, pour la première fois, une adaptation théâtrale. Un inédit donc, dédoublant habilement le rôle principal. L’accueil critique est unanimement positif, grâce à cette approche sensible de la folie par des moyens plus symboliques que réalistes, avec une excellente interprétation de Florence Hebbelynck et Anne-­‐Sophie de Bueger. Suite dans Alternatives théâtrales, numéro 101 – « Extérieur Cinéma » -­‐ Mai 2009 – C. Jade http://www.alternativestheatrales.be/catalogue/revue/101

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www.ruedutheatre.info

La folie à la loupe

Grâce à Myriam Saduis qui en a reçu l'autorisation du vivant du cinéaste, voici la révélation d'un texte et la création au théâtre d'un projet inachevé d'Ingmar Bergman, qualifié par celui-­‐ci "d'expérience-­‐limite du cinéma". Avec "Affaire d'âme", il se livre à l'analyse du fonctionnement de l'âme humaine. L'aspect sacré des "choses de l'esprit" mais davantage encore les mystères de l'âme féminine l'attiraient. Il manie des paradoxes. Il pense que "la vérité n'est rien, la vérité est vanité" mais il place au centre de sa pièce la question de sa recherche de Vérité dans l'histoire d'une femme en perdition qui questionne son passé : souffrances, échecs, frustrations…Mettant en exergue une phrase de Bergman : « J'habite sans cesse dans mon rêve d'où j'entreprends parfois des visites dans la réalité », Myriam Saduis a abordé cette "odyssée intérieure", sorte de "long plan rapproché". En se basant également sur son expérience personnelle de théâtre en milieu psychiatrique. Car le propos n'est pas léger puisqu'il est question d'assister en onze séquences-­‐souvenirs éclatées dans le temps, à la dégradation progressive de Victoria, une femme atteinte de folie douce, puis de rage meurtrière. Deux voix pour un monologue. Non pas regarder passivement mais essayer de comprendre…si faire se peut! C'est que les territoires intimes de l'âme humaine ne se laissent pas découvrir facilement même si l'on y a pour guides deux merveilleuses comédiennes, Anne-­‐Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck, complices autant que complémentaires, formant un Janus déroutant. La schizophrénie est là, identifiée – jusque dans ses aspects comiques et linguistiques – mais ne nous arrive-­‐t-­‐il pas de dialoguer avec nous-­‐mêmes? N'y a-­‐t-­‐il pas en chacun de nous à la fois un Dr Jekill et un Mister Hyde? Ne sommes-­‐nous pas parfois en proie à des débats intérieurs… non pas à deux mais à plusieurs voix? Et si le self-­‐control, de mise en société -­‐ celle que décrit Bergman en toile de fond n'est guère différente de la nôtre -­‐ n'était qu'une forme de folie du contrôle? Et donc agissant à la façon d'une chape de plomb, un être soumis à un tel régime ne peut-­‐il qu'exploser, un jour, soudain, surprenant les autres et se surprenant lui-­‐même…? De cette œuvre d'introspection, de cette analyse qui fait constamment s'ouvrir des portes et susciter de multiples interrogations en privé, Myriam Saduis, dont c'est la première mise en scène importante, a fait un spectacle vivant et abouti, non dénué d'un humour que l'on ne soupçonnait pas chez Bergman. Ce beau et envoûtant spectacle, dû à un long et patient travail artistique à la fois sur la direction d'acteurs, sur la scénographie et la mise en scène, a misé également sur les étroites interactions entre les membres de l'équipe. SUZANNE VANINA (Bruxelles)

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www.cultureetdependances.be

Jeu de dame(s) Deux femmes endormies dans un grand drap rouge au milieu de la scène. Derrière elles, des voiles blancs et transparents font office de cloisons, parallèles, démultipliant les espaces du possible de cette Affaire d'âme. Deux corps drapés, endoloris, s’extirpent du monde des rêves et entament leur quête de réalité. A moins que ça ne soit l’inverse. Seule Victoria détient peut-­‐être un début réponse, alors qu’elle-­‐même se trouve et nous place face à tant de questions. « C’est une fureur qui me brûle de l’intérieur », explique cette femme loin d’être monochrome. Un personnage, deux comédiennes. Elle et sa voix intérieure. « Je est un autre » écrivait Rimbaud, qu’en est-­‐il la concernant? Victoria aurait été actrice, mariée à un homme à la tendresse et la fidélité pas particulièrement notoires. S’agit-­‐il des faits ou de folie, l’effet du chaos qui l’envahit? La dualité peut aussi se multiplier. Jouant avec les lumières et ces voiles transparents, l'espace se mue en véritable salon, où deux deviennent quatre puis six. Illusion de la réalité, réalité illusoire. Victoria hurle son tourment, parfois sur un ton grandiloquent. Elle part et nous narre ses histoires, mêle présent et passé, toujours au bord du futur et de la rupture. Se moquer des mondanités, conventions et autres usages superflus qui saupoudrent l’existence. « Vos vacances ont-­‐elles été agréables? ». Certainement. Le grain de la folie, petit à petit, se propage, Victoria se réfugie dans ses récits. Après un passage en hôpital psychiatrique, elle dit s’en être échappée, avant de se raviser. Bergman écrit ce texte en 1987 alors qu’il vient de renoncer au cinéma. En approchant cet univers à part entière, Myriam Saduis y voit la possibilité d'une transposition sur les planches. Avec l’accord du réalisateur suédois, elle a pu porter et mener à bien ce projet de plusieurs années. Elle nous livre une pièce déroutante, édifiante, parfois ébouriffante. Aux premiers abords, difficile de pénétrer cet univers à l’atmosphère sombre, floue, parfois délétère. Le tourment, la lutte intérieure de Victoria, déstabilisent avant de nous interpeller puis peu à peu nous questionner. Portées par une scénographie habile et bien pensée, les deux comédiennes dansent avec virtuosité sur le fil des réalités. Des funambules. Elles pleurent, crient, chantent, dansent, se déchirent et soudain, pour notre plus grand plaisir, respirent. Cette dualité de l’âme, sa multiplicité nous interroge sur nos propres convictions, façon d’être, d’appréhender la vie en société. Tout individu même en pleine lumière possède une inévitable part d’ombre. Et même un caractère trempé possède de nombreuses aspérités. Postulat très bien illustré par un éclairage intelligemment conçu. Bergman écrivait « En fait, j’habite sans cesse dans mon rêve d’où j’entreprends parfois des visites dans la réalité ». Cette visite atypique, il serait folie de s’en priver. GABRIEL HAHN

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Myriam Saduis : entretien avec Alain Cofino Gomez pour le Journal du théâtre Océan Nord-­‐ Septembre 2008 Un récit en onze tableaux habité par une femme qui s'adresse aux ombres du passé... Se mêlent folie et fantasmes de scènes d'un temps révolu, réactivées. Le faux et le vrai mêlent finement leurs traits, qui esquissent le portrait intérieur et profond d'une femme qui souffre peut-­‐être d'une maladie psychique -­‐ à moins qu'il ne s'agisse d'une actrice qui se joue de nous... Une rencontre. Alain Cofino Gomez -­‐ S'agit-­‐il de ton premier spectacle ? Myriam Saduis -­‐ C'est mon deuxième. Le premier était une petite forme autour des nouvelles d'une auteure américaine : Grace Paley (Enorme Changement de dernière minute). J'ai également mis en scène un solo de danse avec et pour Johanne Saunier (You are here). Affaire d'âme de Bergman est un projet que je porte depuis cinq années. Pour des raisons très diverses, la mise en route de cette création fut fort longue. Mais cette Affaire d'âme ne me lâchait pas... ACG -­‐ Comment l'expliques-­‐tu ? MS -­‐ C'est un texte qui véhicule plusieurs thèmes essentiels pour moi. D'une part, il s'agit d'un récit sur une quête de vérité, une recherche de compréhension de sa propre vie. Le personnage qui prend la parole dans le texte de Bergman, une femme, Victoria, est quelqu'un qui se retourne sur son passé et tente de réorganiser sa vie, qui revisite les évènements de son existence. Elle est en quête d'un point de vérité, toujours introuvable. D'autre part, ce qu'elle élabore, ce sont des fictions : c'est ce qui lui permet de s'approcher du noyau de vérité «supposée». La vérité absolue, le réel, ne se laissent jamais appréhender, juste approcher... En quelque sorte «la vérité a une structure de fiction» pour reprendre l'expression de Lacan. Bergman, lui, écrit dans Affaire d'âme : «la vérité n'est rien, la vérité est vanité» et il écrit une fiction sur cette question ! Ce qui me passionne aussi dans ce texte, c'est cette détermination du personnage à produire un discours sur sa propre existence. Ce fait de construire une parole autour d'événements indicibles, intenables, peut en modifier l'intensité et, in fine, la perception. Dans ce chaos que sont parfois les existences, le questionnement, l'élaboration d'une parole finit par produire un savoir, voire une création… C'est, je crois, ce qu'a tenté de faire Ingmar Bergman lui-­‐même, dans ce texte et à travers toute son oeuvre. ACG -­‐ Et sans doute, dans ce qui a fondé ton désir de porter ce texte à la scène, il y a la figure de Bergman. MS -­‐ Absolument, Bergman est un amour de jeunesse. J'avais seize ans quand j'ai vu pour la première fois un de ses films. C'était «Sonate d'automne». Cela m'a littéralement foudroyée. Dans la confusion que porte parfois l'adolescence, cet objet cinématographique m'a ouvert un monde nouveau, quelque chose d'à la fois intelligible et mystérieux…. Après, j'ai vraiment cherché à en savoir plus, j'ai continué à voir ses films, je l'ai lu ( Bergman est aussi un très grand écrivain) et cela m'a accompagné toute ma vie jusqu'à vouloir monter un de ses 17


textes. C'est grâce à Bergman que j'ai appris le mot « introspection» : regarder dans l'intérieur. J'étais encore adolescente et le mot ainsi que sa définition m'avaient fascinée. La découverte, au travers de Bergman, de ce «regarder dans l'intérieur» a fondé toute une part de mon existence… Affaire d'âme est l'histoire d'une femme qui se livre à une introspection, et nous fait voyager dans son «âme»… C'est aussi une figure de Bergman lui-­‐même, qui est quelqu'un qui a utilisé sa vie intérieure comme matériau de fiction -­‐ y compris les moments d'effondrement. ACG -­‐ Retrouvera-­‐t-­‐on le texte dans son intégralité ( Cahiers du Cinéma traduit du suédois par Vincent Fournier) ? MS -­‐ Affaire d'âme a la particularité de ne pas avoir rencontré une finalité aboutie. Il est en quelque sorte resté en chantier. Bergman voulait, avec ce texte, expérimenter une forme radicale : faire un long plan rapproché. L'actrice pour laquelle il avait écrit a fini par décliner l'offre, et le projet est resté dans les tiroirs jusqu'à sa parution en 2002. Il y a juste une pièce radiophonique qui a été faite en Suède, et plus récemment en France. C'est d'ailleurs pour cela aussi que Bergman m'a accordé les droits. Il était d'accord avec l'idée de le traduire au théâtre, de lui trouver une autre destination. Ce qu'il n'aurait jamais accepté s’il avait pu réaliser le film. Ça n'aurait d'ailleurs pas eu d'intérêt de le monter au théâtre si son film avait vu le jour… ACG -­‐ «Un long plan rapproché» : c'est un choix assez extrême pour un réalisateur ? MS -­‐ Bergman l'utilise déjà dans ses autres films; il a d'ailleurs filmé les visages de façon unique, au plus près... Il cherchait à saisir quelque chose d'indicible… l'âme au sens de «ce qui anime». Il le dit : « il doit y avoir quelque chose à l'intérieur du visage, on ne sait pas ce que c'est, de mystérieuses particules…». Bien entendu, l'ouverture de la scène théâtrale n'use pas de la même focale que celle du cinéma. Donc il fallait trouver autre chose qui ne soit pas de l'ordre du gros plan mais plutôt de la fragmentation. Il me semblait juste aussi, puisque nous sommes au théâtre, de s'appuyer en tout premier lieu sur le récit, sur la structure narrative en onze séquences. Ce sont onze identités autonomes… Je voulais dire «entités» autonomes. Mais c'est un lapsus intéressant puisque dans chacune de ces parties le personnage tente de cerner une identité, qui se défait pour laisser place à une autre. Chaque fois qu'il y a tentative de raconter il y a fiction : un essai d'approche de la vérité. Comment s'organise une fiction sur un plateau de théâtre ? Comment elle se déploie pour ensuite céder le pas à une autre fiction ? Et ainsi de suite... avec aussi des phases d'épuisements, des instants où le récit se dérobe, où l'on ne sait plus comment raconter. Mais il faut pourtant continuer, tenter de traduire ce qui toujours échappe, une sorte de silence, un innommable… ACG -­‐ Dès lors, est-­‐ce qu'on peut dire qu'il s'agit d'un monologue ? MS -­‐ Sur ce spectacle, il y aura deux actrices qui joueront toutes les deux Victoria. C'est écrit apparemment comme un monologue, je dis apparemment, parce qu'il y a des interlocuteurs qui se dessinent derrière chacune de ses onze prises de paroles. Il y a là des personnes auxquelles Victoria s'adresse et qui ne répondent jamais. Elles peuvent être reconnues comme ayant appartenu à son histoire. Victoria reprend des évènements vécus et les 18


fictionnalise, sans doute pour les appréhender et tenter de se saisir elle-­‐même, de se ressaisir, à l'intérieur de circonstances qu'elle n'a pas comprises, qu'elle revit ou rejoue. J'ai aussi choisi de travailler avec deux actrices, pour traiter la division, la schizophrénie que recèle, je pense, le texte. On est toujours plusieurs à parler en soi, une voix intérieure peut dire l'inverse d'une autre au sein d'une même personne. A qui s'adresse-­‐t-­‐on quand on se parle à soi-­‐même ? Quel est cet autre à l'intérieur de nous qui nous est à la fois si proche et si étranger ? Je voulais rendre visibles ces collisions, ces tiraillements et ces frictions qui peuvent naître en une seule personne. Victoria n'est pas double, elle est multiple. Il y a donc ces autres parts d'elles-­‐mêmes, qui parlent : à côté d'elle, plus fort qu'elle, en même temps, dans une autre langue. Une autre voix, parfois la surprend, lui révèle un territoire inconnu, lui ouvre une autre voie / voix. Il me semblait que les revirements, la quête, les mises en scène qu'elle fait advenir, seraient rendus plus fort par le jeu, la relation de deux actrices. ACG -­‐ C'est un texte troublant, tout vacille, il n'y a plus rien d'exact, tout se dérobe… MS -­‐ La vérité se dérobe... ! L'idée n'étant pas de raconter une histoire, mais bien ce que le personnage principal fait de cette histoire. Ce que l'on peut dire d'exact, c'est que l'endroit où elle(s) se trouve(nt) est une chambre intérieure, toute d'obscurité et de rideaux froissés, "où la lumière rasante vient d'ouvertures invisibles à l'habitant même" comme l'écrit Deleuze au sujet de l'âme selon Leibniz. C'est le lieu de son chaos intime d'où elle tente de revisiter ce qui lui est arrivé et qui lui reste opaque. C'est une recherche d'un temps perdu, à retrouver… Affaire d'âme commence par quelqu'un qui dit « je n'ai pas envie de me réveiller» et qui va amener le monde nocturne, le monde du rêve, jusque dans la vie, jusque sur la scène… Mais pour construire cela théâtralement, il y a aussi la confiance donnée aux actrices. Les acteurs ont un rapport très organique au texte qu'ils jouent, quel qu'il soit. Cela produit des topographies, et fait advenir un espace. Aussi, l'idée du théâtre comme refuge pour cette femme est très vite apparu. Le texte dit : «Je suis actrice, ou je l'ai été» et aussi « je me suis échappé d'un hôpital» Le Théâtre Océan Nord sera donc l'endroit concret de sa fuite, mais également un espace immatériel qui s'ouvre et se ferme à vue, et où l'on voit un être tirer sur le fil de sa propre vie pour le mesurer. En tout cas, ce qui me parlait, en terme d'espace, c'est que Victoria soit dans un théâtre, «vide». J'aime l'esprit de l'avant ou l'après répétition. Quelque chose qui semble inanimé et qui n'attend que d'être saisi par les acteurs pour que se raconte une histoire. Il y aura quelque chose de cela ; les outils du théâtre dans l'espace de la représentation. Cela fait également penser à la chambre d'enfant, l'endroit de toutes les inventions. Ce texte est évidemment un hommage à ceux qui manipulent les outils de la fiction : les acteurs. Cela ressemble au travail de l'enfant qui joue, c'est un jeu mais il s'agit en fait de quelque chose de très sérieux, de nécessaire qui requiert beaucoup d'attention et de ferveur. ACG -­‐ Qu'aimerais-­‐tu que le public reçoive ? MS -­‐ Je pense que nous sommes tous, qui que l'on soit, confrontés à l'expérience «d'être seul». Pas l'esseulement, pas la perdition d'être sans liens, non, plutôt cette solitude comme passage obligé pour parvenir à un «être soi-­‐même». Affaire d'âme raconte une Odyssée intérieure, la traversée d'une chambre interne, un apprentissage de la solitude, celle que nous avons tous à conquérir. Cette épopée, nous la donnons à voir sur la scène du théâtre. 19


Cela me fait penser à ce que dit Vitez : «Qui pourrait vivre en n'étant sur aucune scène d'aucun théâtre imaginaire? En n'ayant pas ce simulacre qui nous permette de raconter notre vie en la faisant?» Il ne s'agit pas d'être convié à une confession mélancolique sur «qu'est-­‐ce qu'une existence». Cette interrogation que mène Bergman demande du courage, de la fureur, du désir. Le personnage qu'il a écrit en est plein … ACG -­‐ C'est l'héroïne d'un récit… MS -­‐ Oui, elle est un peu comme Ulysse... Elle voyage pour retrouver un espace et un temps originels, où elle croit qu'il y aurait comme un trésor à retrouver… Cet endroit, s'il a jamais existé, n'est plus. Ce qu'elle découvre, c'est un futur antérieur : «il n'y aura pas eu…». C'est là où se conjugue la perte... En échange, elle découvre que construire une histoire ouvre une vérité plus vaste que celle que l'on avait prévue. Bergman le dit dans sa préface aux «Meilleures intentions» : le scénario qu'il a écrit sur la rencontre de ses parents, la « légende» familiale : « Je ne prétends pas avoir toujours été d'une scrupuleuse véracité. J'ai souvent arrangé, rajouté, supprimé ou inversé l'ordre chronologique, mais, comme cela arrive fréquemment dans de tels jeux, celui-­‐ci est devenu plus distinct que la réalité». Il y a là une déclaration d'amour à la puissance de la fiction : ce filament lumineux de vérité.

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