Parisien 37 | Le2 FÉVRIER 2020
DIMANCHE
CLAUDIA ANDUJAR
Tentations
CULTURE
EXPO DANS LES YEUX DES INDIENS PAR YVES JAEGLÉ
« CLAUDIA ANDUJAR : LA LUTTE YANOMAMI » Fondation Cartier (Paris XIVe), du 30 janvier au 10 mai, 11 heures-20 heures. Le mardi jusqu’à 22 heures, fermé le lundi. Tarifs : 7-10 €.
E M B A R Q U É E s u r u n e b a r ge , une Coccinelle Volkswagen s’apprête à traverser le fleuve en Amazonie. Une petite voiture dans l’immensité déserte. Une photo en noir et blanc, qui surprend parmi toutes ces images d’Indiens Yanomami, l’un des derniers peuples amazoniens à perpétuer sa culture, auquel la Fondation Cartier consacre une exposition qui chavire. Les Indiens de la frontière, au bout du Brésil, adossés au Venezuela, ultimes résistants à la conquête, à l’exploitation. La photographe Claudia Andujar, 88 ans, milite pour leur cause depuis les années 1970. C’est elle qui conduisait la Coccinelle. « J’habitais à São Paulo. J’ai décidé de rejoindre l’Amazonie en voiture. Ça m’a pris deux semaines. J’avais besoin de ce temps pour comprendre comment notre monde est en relation avec leur monde », raconte la vieille dame fatiguée mais combative. C’est en prenant ce temps que Claudia Andujar, née Claudine Hass en Suisse, fille d’une protestante et d’un juif d’Europe de l’Est disparu pendant la Shoah, réfugiée à New York puis au Brésil, s’est fait accepter des Yanoma-
mi, ces autres survivants, que le pouvoir brésilien veut dompter pour exploiter l’or et le minerai de la grande forêt.
« Photos de l’intérieur » Beaucoup d’images, douces ou dures, se révèlent d’une intimité stupéfiante : un Indien qui dort dans son hamac, totalement relâché, un enfant heureux qui nage dans la rivière, et ces scènes impressionnantes de chamanisme, en principe fermées à toute présence extérieure. Comme si les Indiens avaient oublié la présence de la femme blanche. « La plupart des photographes arrivent avec une distance exotique. Claudia non. Elle fait des photos de l’intérieur », pointe Bruce Albert, anthropologue spécialiste des Yanomami, qui avait assisté, stupéfait, à l’arrivée de la Coccinelle en pleine nuit. Claudia Andujar se baigne avec les Indiens, marche et accompagne les chasseurs dans la forêt. « Je n’ai pas pris tout de suite l’appareil, confirme-t-elle. Ils n’en avaient jamais vu. J’ai voulu d’abord que l’on se connaisse, créer une intimité avec un peuple très différent. Mais avec lequel je me sentais lié. Mon père a été
La photographe Claudia Andujar, qui milite depuis cinquante ans pour la survie des Indiens Yanomami, s’est plongée dans le quotidien de ce peuple d’Amazonie.
massacré parce qu’il appartenait à un peuple dont les Allemands, et d’autres aussi, ne voulaient plus. » La photographe ne connaît pas la sérénité. Son travail d’une vie pour la préservation des terres des Yanomami est remis en cause, actuellement, par le gouvernement de Bolsonaro au Brésil. La seconde partie de l’exposition, plus politique, montre à quel point la construction d’autoroutes a brisé l’harmonie, et amené, avec les chercheurs d’or, épidémies et prostitution. « Le seul intérêt du gouvernement actuel, c’est de faire de l’Amazonie une terre qui va rapporter de l’argent. Les Indiens ont le droit d’être respectés sans qu’on veuille les changer. » Une vidéo, dans l’exposition, montre la condescendance du président du Brésil pour ces Indiens d’Amazonie. L’art peut-il changer le monde, à travers ces photos réalisées dans la forêt, avec très peu de lumière, et des techniques, comme de la vaseline étalée sur les bords de l’objectif pour créer un flou, qui leur donnent un aspect onirique ? Claudia Andujar retourne la question avec un sourire mordant : « Qu’est-ce que c’est, l’art ? Dites-le moi. Je ne sais pas ce que ça signifie, être artiste. Je veux témoigner, montrer d’autres manières de vivre, dire que ça existe. » Sauver les Yanomami, comme si elle se sauvait elle-même.
« Bolsonaro veut briser la forêt » DAVI KOPENAWA,
AFP/MARTIN BUREAU
CHAMAN ET PORTE-PAROLE DES YANOMAMI Il porte une couronne de plumes et un long collier en perles, sur un jean et une tenue occidentale. Davi Kopenawa, porte-parole des Yanomami, a repris son bâton de pèlerin pour défendre la cause de son peuple. A la Fondation Cartier, il enchaîne les interviews. Pas facile, car il fait de très longues réponses en portugais. L’interprète n’ose pas interrompre le chaman. Difficile
aussi de résumer en quelques mots ce rôle fascinant : « Un chaman a surtout une capacité de rêver hors du commun, explique Davi Kopenawa. Le rêve est lié à la nature, à la terre, aux montagnes. Quand un enfant est bien nourri, qu’il joue sans peur dans la forêt, il attire l’attention des chamans. Je rêvais déjà vers 2-3 ans, je faisais des cauchemars au-delà de la moyenne pour un enfant, et mon beau-père me disait : Ne t’effraie pas. A 15 ans, la formation commence ». Le chaman est en contact avec les esprits, les ancêtres. Mais celui qui est
aussi le porte-parole de sa communauté défend la beauté amazonienne, poumon vert de la planète, menacée par le gouvernement Bolsonaro au Brésil, qui veut revenir sur des accords préservant l’intégrité du territoire des Yanomami, grand comme le Portugal, mais très peu peuplé (38 000 Indiens) : « Nous appartenons tous au peuple de la terre, nous partageons la même planète. Mais Bolsonaro nous divise, nous provoque. Il veut briser la forêt, commercialiser le bois, le minerai, l’or. Mon rôle est de protéger la terre. »