Date : 06 fevrier 2020 Page de l'article : p.14-15 Journaliste : CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT
Pays : FR Périodicité : Hebdomadaire OJD : 340253
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au cours de son initiation, trouvait son animal to tem, l’aigle, dans les volutes de plantes médicinales dont nous n’avons pas encore percé tous les secrets. Près de quarante ans plus tard, la tendance n’est pas à la sanctuarisation des derniers poumons verts
de la planète et de ceux qui y vivent. Surtout au Bré sil. Jair Bolsonaro, nouveau maître de la 9e économie du monde, avait annoncé la couleur dans le Correio Braziliense du 12 avril 1998: «Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace
que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens.» Aujourd’hui, il a les moyens de mettre en pratique sa vision d’une Amazonie débarrassée de ses autoch
tones, qu’il veut « intégrer aux forces armées», et de la Funai, l’organisme public des affaires indigènes, qu’il veut «frapper d’un coup à la nuque».
L’eau, la vie, l’or et le pétrole.
Alors les Indiens
sortent des forêts. Et pas les moindres. Davi Kope nawa, 63 ans, est Tun d’entre eux. Un puissant cha man du peuple yanomami (littéralement, « les êtres humains»), rompu à l’art de la guérison par la yakoana et autres plantes hallucinogènes, mais aussi à celui de la parole. « Je suis venu demander de l’aide. » La tête ceinte de sa parure de chaman en plumes de
perroquet, symbole de la lumière des esprits de laforêt, et d’un pectoral de perles, mais chaussé de bas kets, Kopenawa - dont le nom vient d’un rêve qui l’associe à l’esprit guerrier des frelons - est l’auteur, avec l’anthropologue Bruce Albert, d’un livre qui a fait date, La Chute du ciel, publié en 2010 dans la col lection «Terre humaine » de Jean Malaurie, dont les Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss ont été Tun des premiers titres. « Qu ’est-ce que vous diriez si des gens s’introduisaient
Redevenez «amazoniaques»
chez vous pour tout voler et tout salir? Je ne peuxpas res
ter les bras croisés. La parole est une arme. J’ai le droit de me plaindre. » Kopenawa parle simple, et clair. En portugais, même si pour les Yanomamis c’est la « langue poison» avec laquelle on les a manipulés. Et de raconter son contact avec les évangélistes, qui se disaient «envoyés par Dieu», lui parlaient de «péché», avant de séduire sa cousine Linda et de le mettre très
Le chaman Davi Kopenawa et son peuple sont mis à
en colère. Une grande partie de sa famille est morte de la rougeole, contractée auprès des visiteurs. Davi Kopenawa parle de Teau, de la vie, de l’or et du pé
l’honneur par la photographe
trole que le dieu démiurge Omama n’a pas caché sous
terre pour rien - « tout ce dont nous avons besoin pour
Claudia Andujar. Rencontre.
manger est disponible» - et des massacres des an nées 1987-2990 qu’il ne voudrait pas voir se répéter. Aujourd’hui, dans la forêt, 25 000 orpailleurs clan
PAR CHRISTOPHE 0N0-DIT-BI0T destins sont présents, souligne Bruce Albert. 2 5 000, I es Indiens d’Amazonie attrapent au cœur des
ff
I
pour 2 7 000 Yanomamis. «Le cours de l’or est a la hausse,
Humaniste. Le chaman
maladies/Contagion express envoyée par cour-
Davi Kopenawa, porteparole des Indiens
L rier civilisé.» C’était Yves Simon, c’était en 1983, ça s’appelait «Amazoniaque», et on rêvait fo
en ce moment, et malheureusement, la vie des Indiens est indexée sur lui. En courbe inversée », déplore t-il. «Ilfaut empêcher de nouvelles morts. Nous voulons simplement
rêt et fleuve géant aux ondoiements de hanches noc
yanomamis, menacé
bien vivre là où nous sommes nés», enchaîne Kopenawa,
de mort au Brésil.
turnes. Deux ans plus tard, John Boorman nous
Photographié ci-dessus
emmenait dans La Forêt d’émeraude chez les Indiens
à Paris, le 29 janvier.
«Invisibles», à la suite du petit Tommy, 7 ans, qui,
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qui connaît bien le monde des Napé, les Blancs. Pour eux, dit-il, la Terre est comme une jeune femme qu’ils MARTIN BUREAU/AFP
veulent tous posséder. Le mot garimpagem, qui a
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Date : 06 fevrier 2020 Page de l'article : p.14-15 Journaliste : CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT
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Témoignage. La grande photographe brésilienne Claudia Andujar, qui milite pour la cause des Indiens yanomamis depuis les années 1970, lésa photographiés dans leur vie quoti dienne. Ses clichés sont à découvrir à la Fondation Cartier. En haut, «Susi Korihana thëri au bain, pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, Brésil, 19721974».En bas,«Invité orné de plumules de vautour pape ou de faucon pour une fête, photographié en surimpression, Catrimani, Roraima, 1974».
donné garimpeiro - chercheur d’or - ne signifie-t-il pas « faire des trous »? Davi a vécu à la ville ( « la ville est une bagarre », dit-il) avant de retourner dans la forêt. «Qu’apprenez-vous à l’école ?» s’interroge-t-il, prophétisant à tous, Indiens et non-indiens, deux possibilités d’avenir tout aussi peu enviables: «Ou nous mourrons brûlés, ou nous mourrons noyés. »
«L’arc et la flèche» de la parole. Candidat à la dépu
«Qu’est-ce que vous diriez si des gens s’introdui
tation fédérale en 1988, Kopenawa a obtenu, en mai 199 2, la re connaissance, garantie par un décret présidentiel, d’un territoire
saient chez vous
de 96 650 kilomètres carrés à l’usage exclusif des Yanomamis.
pour tout voler et
Mais il refuse désormais de s’engager en p oli tique, où il n’a « pas d’a mis de la parole pour ». Il croit davantage en «l’arc et laflèche»
tout salir? Je ne
faire changer les choses. Partout où il peut le faire, de la tribune de l’ONU à la Fondation Cartier, où se tient l’exposition de pho tos de la grande Claudia Andujar, rescapée de la Shoah, qui,
peux pas rester les bras croisés. La parole est une
pendant près de cinquante ans, a photographié les Yanomamis dans leurvie quotidienne. Clichés saisissants de vie et de beauté, aux effets puissants décuplés par la gélatine dont elle enduit son objectif pour restituer la dimension métaphysique de l’uni
arme. J’ai le droit de me plaindre.» Davi Kopenawa
vers yanomami. Aujourd’hui, Claudia et Davi parcourent la planète ensemble. «Mon peuple est là, vous ne lui avez jamais rendu conclut Davi visite mais l’image des Yanomamis est ici, à Paris,
g
Kopenawa. C’est important pour vous et pour moi, pour vos fils et
$ vos filles.» Pour ne pas qu’advienne, comme dans la chanson g d’Yves Simon, le «paradis zéro en Amazonie» m < Exposition « La Lutte yanomami », Fondation Cartier, Paris. Jusqu’au ro mai. A lire : La Chute du ciel, de Davi Kopenawa et Bruce Albert (Plon, collection u «Terre humaine», en format poche).
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