LA CROIX L'HEBDO Date : 21 fevrier 2020 Journaliste : Faustine Prévot
Pays : FR Périodicité : Hebdomadaire
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CONTEMNER
Claudia Andtgar
De l’autre côté du miroir SusiKorihana thëriaubain (1972-1974), Fondation Cartier, pellicule infrarouge.
S
a tête est renversée dans une eau turquoise
en s’unissant à la fille du monstre aquatique
aux reflets fuchsia. Sous ses yeux clos, un
Tëpërësiki. Destruction et renaissance car il a aussi
éclat lunaire émane de sa peau ambrée. Nous sommes au début des années 1970, au cœur de la forêt amazonienne, dans le nord
anéanti les membres d’une de leurs communautés par une inondation, avant de se servir de l’écume du courant pour les réincarner en d’autres peuples
du Brésil, et Susi Korihana thëri, jeune Indienne
indiens et blancs.
Yanomami, se rafraîchit dans une rivière. Un bain
Dans ce miroir double face, ce que Claudia Anduj ar
qui tient de l’extase, mais aussi de l’engloutissement
voit et nous montre, c’est aussi son propre reflet.
car sa bouche percée de bâtonnets se maintient juste
Celui d’une petite fille qui a vu le jour dans la Suisse
à la surface, au centre d’un halo cerné d’ombres. Cette image qui aimante le regard est l’affiche de
de l’entre-deux-guerres mais a vite perdu son père
l’exposition« ClaudiaAndujar, la lutte Yanomami »,
zis de Dachau et Auschwitz. Une survivante fanto
à la Fondation Cartier, à Paris. L’une des 40 000 que
matique, qui a fui l’Europe à New York, puis Sao
la photographe brésilienne a prises, durant cin
Paulo et jusqu’en Amazonie, aux marges du monde
quante ans, de ce peuple de chasseurs-cueilleurs
dit civilisé, où elle a trouvé, à l’orée des années 1970,
animistes. À partir de 1972, l’artiste multiplie les
un second foyer et un second souffle.
expérimentations pour tenter de représenter leur
Ce second souffle a rythmé un combat dont le por
vision magique du monde, traversée d’apparitions.
trait de Susi est aujourd’hui le manifeste. Car, àpar-
Pour Susi au bain, elle utilise une pellicule infra
tir de 1973, les Yanomami ont été décimés par les
rouge et des filtres qui métamorphosent les cou leurs : l’émeraude des feuillages vire au magenta, le bleu s’intensifie et le noir s’éclaire. Sur le tirage, les flots phosphorescents matéria lisent le passage insensible entre respiration et
et une partie de sa famille juive dans les camps na
épidémies, l’alcool et la violence. ClaudiaAndujar s’est engagée corps et âme pour empêcher que sa seconde famille ne soit victime d’un autre géno cide. Elle a cofondé la Commission pour la créa tion du parc Yanomami qui a obtenu, en 1992, la
noyade, vie et mort. Une traduction de la cosmo
protection d’un territoire grand comme deux fois
gonie des Yanomami, qui associe l’eau à la nais
la Suisse. Des droits aujourd’hui bafoués par le nou
sance mais aussi à la destruction et à la renais sance. Naissance car leur dieu Omama les a créés
veau président Jair Bolsonaro. kt Fa us tine Prévôt
© Claudia Andujar (1931), fille d'une mère suisse protestante et d'un père juif hongrois, réchappe à la Shoah. Elle s'installe au Brésil en 1955 et s'intéresse rapidement aux peuples amérindiens. Après avoir travaillé comme photojournaliste, elle entame, au début des années 1970, une œuvre personnelle sur les Yanomami du rio Catrimani. Depuis les années 1980, face à la décimation de leur population et à leur acculturation, l'artiste s'est muée en militante. C'est ce double visage que nous fait découvrir la Fondation Cartier, à Paris, jusqu'au 10 mai, à travers une sélection de 300 images, pour certaines inédites.
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CARTIER 1816938500524
LA CROIX L'HEBDO Pays : FR Périodicité : Hebdomadaire
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