La belle revue 2009

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LA BELLE REVUE


Introduction Réalisé par In extenso, La belle revue est avant tout le �tre générique d’un projet expérimental dont l’inten�on première est de promouvoir des ar�stes issus de Clermont-Ferrand et de sa communauté. Ce faisant, il nous semble évident que ce�e volonté ne peut être sa�sfaite sans s’élargir et s’épanouir dans diverses collabora�ons pluri-territoriales. Le projet s’est donc naturellement développé grâce à des acteurs vivants dans et hors de l’aggloméra�on clermontoise. Le fruit de ce�e démarche est protéiforme. Depuis fin 2008 le site internet www.labellerevue.org témoigne de l’actualité en ma�ère d’art contemporain sur un axe défini entre Limoges à Saint-E�enne, il présente également des dossiers d’ar�stes issus de Clermont-Ferrand. La belle revue version papier permet quant à elle de découvrir de nombreux ar�stes à travers des par�es monographiques, des textes cri�ques extraits de la revue Dazibao (www.revuedazibao.fr), des comptes rendus d’exposi�ons.

Sommaire Panorama.....4 Le Creux de l’Enfer.....5 Frac Auvergne.....12 In extenso.....16 Alf 13bis.....18 Frac Limousin.....22 Appelboom/La Pommerie .....28 MAM Saint-E�enne.....32 Greenhouse.....36 Dazibaos.....38 Por�olios.....64 Focus.....92 Céline Ahond.....93 Emmanuelle Castellan.....98 Eui Suk Cho.....103 Jean-Charles Eustache.....108 Mathilde Fraysse.....112 Marc Geneix.....117 Cécile Hesse et Gaël Romier.....122 Carole Manaranche.....128 Pierre Redon.....133 Marion Robin.....138 Anne Marie Rognon.....143 Edwige Ziarkowski.....149


Présents dans cet ouvrage LES ARTISTES Céline Ahond* Julien Audebert Marc Bauer Thomas Bernardet Vincent Carlier Emmanuelle Castellan* Nina Childress Eui Suk Cho* Régine Ciro�eau Pierre Couliboeuf Philippe Eydieu* Jean-Charles Eustache* Mathilde Fraysse Fabrice Gallis Marc Geneix* Cecile Hesse et Gaël Romier Jérôme knebusch Kodama Nicolas Lafon L’Ins�tut Bancal Carole Manaranche* My Deer Massacres Cédric Peyronnet Pierre Redon Delphine Rigaud* Marion Robin* Anne Marie Rognon* Claude Rutault Benjamin Salabay Mathieu Sellier* Laurent Sfar Ran Slavin Edwige Ziarkowski*

Nassim Daghighian Thomas David Mar�al Déflacieux Guillaume Désanges Christophe Domino Stéphane Doré Tiphanie Dragaud (collec�f Pilo��) Jean-Paul Fargier Lise Guéhenneux Frédéric Emprou Marie Lancelin (collec�f Pilo��) Isabelle Le Normand Pierre Mabille Yannick Miloux Béatrice Méline Bertrand Naivin Léonor Nuridsany Michel Nuridsany Florence Ostende Virginie O�h Michel Poivert Lili Reynaud-Dewar Jean-Charles Vergne Elisabeth We�erwald LES LIEUX Centre d’Art Contemporain Le Creux de l’Enfer FRAC Auvergne In extenso ALF - 13 bis FRAC Limousin Appleboom / La Pommerie Greenhouse Musée d’Art Moderne de Saint-E�enne

LES AUTEURS Aude Berthelot (collec�f Pilo��) Sophie Biass-Fabiani Caroline Bissière Frédéric Bouglé Gaël Charbaud Clemenh

* Ar�stes ayant reçu une bourse dans la cadre des disposi�fs d’aide à la créa�on mis en place par Clermont-Communauté.


PANORAMA


LE CREUX DE L’ENFER 85 Avenue Joseph Claussat 63300 Thiers info@creuxdelenfer.net / 04 73 80 26 56 www.creuxdelenfer.net

CLAUDE RUTAULT VERS LE CIEL DE LA PEINTURE par Frédéric Bouglé, août 2009 La liberté du tableau comme postulat 1890, Maurice Denis, 20 ans et déjà peintre-écrivain, rédige le premier manifeste du style nabi : « Un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essen�ellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Ce�e surface plane dont parle celui qu’on surnommait le « Nabi aux belles icônes » se matérialise depuis la période an�que dans le tableau, support de la peinture dite « de chevalet ». Remarquons aussi que dans le mot « tableau », il y a le mot « table » (voir les tableaux posés sur des tréteaux de Claude Rutault), c’est à dire une « surface plane », plane comme le tableau de la poupe d’un bateau où son nom est peint. Ce postulat hâ�vement posé, abordons l’œuvre de Claude Rutault. Depuis des siècles le tableau est au mur Depuis des siècles en effet, la peinture, sur un médium approprié, est tenue de représenter une figure imagée ou abstraite, tableau donc, mais encore panneau de bois, toile ou papier libre. Et voilà que Claude Rutault arrive, et avec lui le courant d’air de la d/m. Voilà que le tableau s’émancipe de son contenu de peinture individuelle, et son contenant de sa fonc�on tradi�onnelle. Rendu là, le tableau ne �ent plus compte que de lui-même ; il puise dans son médium sa propre significa�on. Libre désormais, il n’a de compte à rendre qu’à des données strictement plas�ques : la couleur (les couleurs fondamentales : bleu, jaune, rouge ; les couleurs secondaires) la non-couleur (blanc, gris, noir, toile vierge), et les surfaces et volumes architecturaux de son espace d’accueil. Il n’est donc plus astreint à représenter une figure, pas plus d’ailleurs que des recouvrements picturaux recherchés. Il ne s’agit ni des enjeux esthé�ques du monochrome ni de ceux, sub�ls, du « Color Field ». Sur ce point, et à ce point seulement, ce travail est davantage en accord avec l’art concret, sachant que pour Rutault, la peinture peut être appliquée au pinceau ou au rouleau, et le travail réalisé par un ar�ste, un ar�san ou un opérateur individuel. Le tableau se trouve alors posi�onné tel un claveau, centré sur la voûte d’un art an�personnel. Avec les matériaux qui le cons�tuent, châssis et toile, ainsi qu’un tapis chargé de porter des signes tradi�onnels, le tableau véhicule la mémoire historique du médium qu’il représente lui-même, celui de l’art d’avant-garde russe du début du ving�ème siècle agissant dans un univers en révolu�on. C’est pourquoi dans ce�e œuvre, il est commutable à un autre qui charrie ce�e même histoire (et même parfois –– quand la toile est au sol –– permutable avec un tapis en par�e unicolore), bref, un tableau


à droite marelle n° 6, 1972 et dm 102 au mur/au sol 1979, au fond dm n° 258 monochrome V 1994

sans iden�té propre. Pourtant, bien que privé d’ego, il ne s’en montre pas moins effronté quant à la posi�on convenue et normalisée, qui�ant sans scrupule son mur séculier pour lui préférer, s’il le faut, l’indignité d’un sol ou les hauteurs burlesques d’un plafond. La d/m n’engage pas seulement le médium et son espace de démonstra�on, elle bouleverse, perturbe les rôles jusqu’ici admis où chacun reste sagement à sa place, rôles bien définis pour chaque protagoniste de l’art : créateur, acquéreur, conservateur, curateur d’exposi�on, et spectateurs aussi. Tout dans ce�e proposi�on pousse au contraire à revoir ces rôles, à réac�ver et responsabiliser les promoteurs de l’art, autant par la défini�on/méthode que par la « promenade » ac�ve ou la déambula�on réfléchie dans la visite de l’exposi�on. Chacun dans sa posi�on, et selon sa disposi�on par�cipa�ve, agira dans un rôle aussi interchangeable que les tableaux, mul�pliant les points de vue et les aperçus, même si parfois le public pourra se montrer quelque peu ingrat du rôle qu’on lui enjoint, comme au musée Bourdelle à Paris (l’Aube�e de Théo Van Doesbourg à Strasbourg a connu en son temps les mêmes difficultés), mais c’est bien là le jeu de la d/m. Pour monochrome V précisément, qui implique des toiles posées en vrac au sol, la défini�on/méthode confronte le tableau aux pas de sa « clochardisa�on ». L’œuvre de Claude Rutault se définit en effet dans l’audace, dans l’expérimenta�on ; c’est une œuvre qui ose à tous les niveaux, et c’est une œuvre qui, au-delà des risques pris, s’adresse à l’engagement d’autrui. Joseph Beuys affirmait : « Toute personne est un ar�ste » ; Claude Rutault ne proclame rien, mais son œuvre le permet réellement. La d/m et le monde Claude Rutault a posé sa première défini�on/méthode en 1973, et la dernière en 1997, réalisant au total un corpus de 274 d/m où chacun peut trouver toile à son mur, à son sol, à son plafond. Tout ce que l’ar�ste a réalisé auparavant, toutes ses peintures abstraites, il les « repeint » depuis, il les recouvre de deux couches successives de peintures grise et blanche, l’énoncia�on postérieure à


1973 recouvrant ainsi la posture précédente. Or, de 1971 à 1975, il réalisa des dizaines de travaux sur le thème de la marelle, donc avant et après l’appari�on de la première d/m. Des travaux liés à la mappemonde (« la marelle de l’univers » écrivait René Char [1]), et qui furent autant d’expérimenta�ons plas�ques que des sujets de réflexion théorique sur le rapport et le rôle réel et supposé, éthique et écologique, géopoli�que et économique, de l’art et de l’ar�ste à la société. C’est ainsi que la dimension par�cipa�ve des acteurs de l’art est apparue dans la d/m, une d/m « toile à l’unité » qui dans ces condi�ons n’est pas née par hasard. Avec l’exposi�on de Thiers cet été 2009, nous pouvons donc constater, et c’est une première, à la fois les correspondances et concordances de la « marelle » à la d/m, et constater encore qu’une toile peut effec�vement s’accrocher au plafond. Ces proposi�ons démontrent de manière sensible, réfléchie et enjouée, que le « preneur en charge », et par extension tout un chacun, en suivant les clauses d’une d/m et (comme ce le fut à Thiers) les plans et réflexions de l’ar�ste, peut tenir un rôle déterminant dans la réussite formelle et visuelle de l’exposi�on. D’ailleurs, l’ar�ste le prouve lui-même à merveille hors du circuit des exposi�ons ; ainsi, sur une proposi�on ini�ale d’Alain Rérat pour la DRAC Rhône-Alpes, il travailla près de dix ans à la réfec�on de l’église préromane de Saint-Prim, près de Vienne en Isère, pour abou�r, à par�r de la d/m n° 1, à un résultat esthé�que saisissant, une eurythmie visuelle. La d/m est, de manière entendue, une invita�on pour autrui à s’impliquer, une incita�on à peindre, à composer, à rechercher, à s’étonner. De même que la « marelle », la d/m représente davantage que les clauses d’un contrat, c’est une pensée structurée, avec des variantes numérotées, et qui permet par une approche nouvelle de confronter les réflexions des arts plas�ques aux logiques du monde, tout en impliquant chacun, autant que cela puisse se faire, dans le roulement des rôles. Loin d’être une rece�e figée, une homélie, un objet fini, l’œuvre de Claude Rutault, sur les fonda�ons de son credo éponyme, dispose des avantages les plus simples pour agir durablement sur son environnement, et se reconstruire avec lui indéfiniment de sa posi�on vivante et ouverte. La marelle « Un coup de peinture un coup de jeunesse » est le �tre d’une d/m (d/m n° 13, 1974) qui prend la forme d’un slogan rafraîchissant, un in�tulé en forme d’adage un peu loufoque comme l’ar�ste parfois les aime. « Vers le ciel de la peinture », la nouvelle exposi�on de Claude Rutault au Creux de l’enfer cet été 2009, prend de par son in�tulé, sa concep�on et son orienta�on, une sensibilité plus roman�que et spirituelle ; elle exprime formellement une transcendance réelle et une hauteur d’accrochage plus ver�cale. Le jeu de la marelle, au centre du propos, est un jeu qui remonte à fort loin quand la Terre, le Ciel et l’Enfer, le magique, le religieux et le quo�dien signifiaient pour l’humain une réalité globale ; sachant encore que ce jeu, qui demande bien peu, prendra plus tard valeur d’ini�a�on sociale, et qu’il était pra�qué plus ordinairement par des enfants issus des milieux populaires, plus enclins à vivre dans la rue et à s’approprier les cours et tro�oirs.

marelle n° 5 1972 - dm n° 258 1994 - dm n° 103 sol/ mur/plafond/mur 1979


dm n°1 toile à l’unité 1973; dm n° 258 1994 et dm 102 au mur/au sol 1979 - tapis de prière au centre unichrome réalisés en Turquie - au fond empilement de 5 pe�tes toile noire formant un cube de 10cm3, sur un angle de mur peint en noir.

La peinture, la couleur, l’espace Dans le passé, à l’époque grecque, romaine et dans l’An�quité, en Orient comme en Occident, la couleur habillait la sculpture et l’architecture. Nous savons désormais qu’elle influence autant notre percep�on de la forme et du volume que nos sen�ments et nos émo�ons. L’architecture moderne et contemporaine ne laisse guère de place pour le tableau, elle s’est pourtant parfois réapproprié la couleur et la peinture, voir Le Corbusier ou Mies van der Rohe (3). Less is more, pensait l’architecte. Rutault constate dans ses notes que « quelle que soit la configura�on, l’architecte est en posi�on d’autorité et l’ar�ste confiné dans le rôle d’animateur ou de décorateur. Il fait de la figura�on ». Il relève par ailleurs que « plus une architecture est réussie, moins la peinture dans son rôle habituel aura de chance d’y trouver sa place ». Dans ce�e exposi�on, l’architecture intérieure du Creux de l’enfer se trouve rafraîchie par les couleurs vives, jaune et bleue, de l’exposi�on. La couleur iden�fie pays, par� poli�que ou club spor�f, (le jaune et bleu du rugby clermontois auvergnat par exemple), des couleurs qui ici iden�fient moins qu’elles ne dérident, égayent et relèvent la beauté austère de ce�e ancienne friche industrielle de coutellerie. Une étape dans le parcours de Claude Rutault « Vers le ciel de la peinture », avec les « marelles » dans le Creux de l’enfer, s’impose comme une expérience par�culière dans le parcours de l’ar�ste. « Ce travail n’est pas une exposi�on classique, mais un moment d’un travail en cours », précise Rutault à ce propos dans un texte accompagnant son interven�on. A Thiers, celle-ci marquera de fait une étape dans l’élabora�on de sa réflexion, cela au moins pour deux raisons. La première �ent évidemment à une présenta�on inédite des premières « marelles » de 1972-1973, conjuguées avec des défini�ons/méthodes appropriées à l’espace, et relevant la qualité plas�que de ces réalisa�ons. La seconde est caractérisée par l’u�lisa�on réelle


des trois dimensions de l’espace, à l’avenant de la prescrip�on d’une d/m, et avec l’exploita�on inédite et franche du plafond. L’ordonnancement sculptural de « marelles » faites de modules de ciment posés au sol, à l’horizontale, se poursuit dans des toiles et des papiers de couleur, cases de marelle disposées au mur ver�calement. Mondrian ne préconisait-il pas dans ses écrits de penser l’œuvre d’art comme un « noyau et module d’un espace global suscep�ble de s’étendre à la pièce en�ère ». Ainsi, au rez-de-chaussée, tandis que les toiles de la d/m monochrome V parsèment le sol, la marelle n° 5 disperse ses cases de papier sur le plus grand des murs. Si l’Enfer apparaît en hauteur comme un éclair blanc surgi d’un ciel noir de papier, la Terre dans sa ma�ère cimentée redouble la ma�ère brute du sol où elle est posée, de même que pour la d/m n° 102 « au mur/ au sol » à l’entrée, avec la texture rocheuse en arrière-plan. Dans notre promenade, nous vivons et expérimentons l’utopie spa�ale de la peinture, quand l’espace ici advient de fait une composi�on de surfaces/ plans/ tableaux à trois dimensions. L’actualisa�on magistrale de la d/m n° 103 de 1979, « sol/ mur/ plafond/ mur », avec l’u�lisa�on de six grandes toiles issues du stock de « Transit », des toiles sur châssis de trois mètres de longueur chacune, stockées dans l’atelier de l’ar�ste près de Paris, ont été suspendues à hauteur de la grande poulie du rez-de-chaussée. Pour le visiteur, c’est une véritable plongée en apnée à l’intérieur d’un tableau néo-plas�cien digne de Jean Gorin (4), et un clin d’œil naturaliste amusé pour deux nuages blancs flo�ant sur un ciel bleu géométrique ; tandis que la lumière d’été provenant des grandes verrières, en se réveillant et s’estompant durant la journée, module l’espace et ses plans dans une vision d’enchantement chroma�que de composi�on analy�que. Autre point de vue intéressant de la hauteur de la plate-forme de l’escalier métallique qui donne accès à l’étage : le disposi�f prend l’allure d’un décor retourné, l’envers du tableau, son châssis, les coulisses mécaniques d’un ciel dont le dieu totémique serait une grande poulie : la poulie-châssis d’un tondo instrumentant le soleil-machine, mémoire du lieu. D’ici l’on perçoit encore sous l’escalier, sur la cimaise blanche, près du mur de roche naturelle peint d’éclaboussures de lichen vert, la marelle n° 8 qui étale, majestueuse, sa mappemonde-carrelage gris lumineux, son quadrillé rouge vermillon, et à ses côtés, accrochées en damier, six pe�tes toiles-cases de la « marelle » du mur, soigneusement disposées tel un habillage de tufeau ajouré. Less is more... A l’étage, les deux salles principales sont peintes d’un bleu profond. Dans la salle orientée à l’est, on découvre quelques « marelles », dont la marelle n° 12 qui divise le Ciel et la Terre en deux par�es dis�nctes pour deux acquéreurs poten�els (je pense à Klein et Armand se partageant un soir, sur une plage de Nice, l’un le ciel aérien, l’autre la terre et ses richesses) ; et aussi la marelle n° 5, avec trois possibilités pour ses détenteurs, plus on la repeint, moins son prix d’achat sera élevé ! Voir encore la marelle n° 23, dont la nudité du dessin est cachée, recouverte de voiles en couches de papier calque ; plus il y a de feuilles, moins on la voit, plus il y a de lumière, moins elle sera opaque à la vision... less is more encore. Dans la plus grande salle à l’étage, non loin de ce�e dernière, monochrome V met en équivalence la vénéra�on dans l’art et la dévo�on religieuse, le Carré noir de Malevitch et la Kaaba musulmane, l’iconolâtre et l’iconoclaste. L’ar�ste est par� d’un recoin angulaire, véritable chapelle miniature orientée vers l’est ; là il a accroché, tel un objet de culte, une pe�te toile noire avec en avant, posé au sol, un tapis de prière, monochrome V, c’està-dire privé de toute représenta�on, conformément à la première d/m culte, « toile à l’unité ». On trouvera à ce niveau du bâ�ment d’autres référents liés aux ac�vités écrites de Claude Rutault, en rapport avec ses pensées théoriques et inédites sur la « marelle » ou ses ouvrages précédents, disposés sur un présentoir sobre mais élégant, type Club ouvrier de Rodtchenko. Enfin, en arrièreplan, est montré un travail spécifique en rela�on avec l’admirable édi�on, récente et limitée, de Bernard Chauveau, Le Jour de la peinture sur une grille de marelle, 2009-1971.


Une œuvre qui surpasse le « dernier tableau » L’œuvre de Claude Rutault éveille de plus en plus d’intérêt, pourquoi ? Il convient de se remémorer ce qui a fait émerger un pareil travail. Les raisons embrayent sur les origines des probléma�ques en ques�on, leurs racines et filia�ons avec l’avant-garde picturale la plus rigoureuse et la plus expérimentale du début du ving�ème siècle, avec des ar�stes comme Malevitch ou Mondrian, pour innover ensemble l’art du siècle où nous sommes. Le sujet soulevé par ce�e œuvre est incontournable, discret, enjoué et puissant, il affirme pour l’art une réponse déterminante dans une forme de créa�on permanente, non dogma�que et éclec�que, non mercan�le et sans exigences matérielles ni économiques, son renouveau commence dans « la fin de l’objet fini ». Après l’exposi�on « 5 x 5 = 25 » en 1921 à Moscou, le cri�que russe Taraboukine annonce, avec la réalisa�on des trois couleurs fondamentales de Rodtchenko, le « dernier tableau » pour un monde nouveau. Claude Rutault dépasse le dernier tableau, sujet de la d/m où tout à commencé comme un jeu de marelle ; son travail an�cipe une aventure inédite pour les arts plas�ques, dans un monde en pleine muta�on, une aventure à expérimenter dans toute son étendue, riches de promesses ina�endues ; elle prend son ampleur à une vitesse exponen�elle, et avec les spectateurs-acteurs de la d/m.

Notes : 1 «Viendra le temps où les na�ons sur la marelle de l’univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que les organes d’un même corps, solidaires en son économie», Feuillets d’Hypnos, 1943-1944. 2 La marelle est l’ancêtre des jeux à tableau (go, échecs, dames... appelés « marelles assises ». Au Creux de l’enfer sont présentés pour la première fois au public les marelles n° 1, n° 2 , n° 5 , n° 6, n° 1 bis, n° 23, n° 11, n° 12, n° 8 et n° 23. 3 L’œuvre de Claude Rutault interroge le rapport de la peinture à l’architecture, c’est pourquoi il réalisa des exposi�ons dans l’atelier de Dominique Perrault à l’hôtel Berlier à Paris, à la Villa Savoye de Le Corbusier à Poissy (2000), ou encore au Pavillon de Mies Van Der Rohe à Barcelone, des architectures déterminées par la présence de la couleur et de la peinture. Son approche introduit une nouvelle posture dans l’aménagement du tableau et de la peinture dans l’architecture. 4 Référence à l’exposi�on et au catalogue « La peinture de Claude Rutault expose celle de Jean Gorin »,musée des Beaux-Arts de Nantes. Commissaire Blandine Chavanne, mars-avril-mai 2008. 5 Trois tapis de prière réalisés en Turquie (avec un centre �ssé monochrome) qui furent présentés e une première fois à la V Biennale d’art contemporain de Lyon en 2000, « Partage d’exo�smes ».

Glossaire de l’exposi�on Kaaba : édifice cubique se trouvant au centre de la Grande Mosquée de la Mecque. Dans l’angle oriental est scellée la pierre noire, point d’orienta�on vers lequel se tournent les musulmans. On dit que la pierre noire fut donnée par l’archange Gabriel, qu’elle était d’un blanc immaculé, et qu’elle s’est noircie au contact des mains peccables qui la touchaient. Par extension, ce mot désigne toute construc�on de forme cubique.


de gauche à droite : marelle 1bis - juin-août 1972 (encadrée 65x50 ); marelle n° 23 juillet-août 1972 65x50 ; marelle n°12 bis - juin-août 1972 - 65X50 (plus on la repeint moins son prix d’achat est élevé) - marelle n° 11 juin-août 1972 (accrochage chez l’un/chez l’autre ou les deux comme ici dans un même lieu).

Carré noir sur fond blanc de Malevitch : en juin 1915, Malevitch peint une toile où, sur un fond blanc, est représenté un seul plan pictural , un « quadrilatère » noir. Pour l’ar�ste, il ne s’agit pas d’une simple représenta�on géométrique, c’est davantage une en�té picturale vivante et autonome, l’« enfant royal » qui témoigne de son aventure ar�s�que. Pour Taraboukine (Du chevalet à la machine, 1923) le Carré noir « devient avant tout un objet », un objet autonome. Rappelons aussi que ce�e présenta�on de Rutault à Thiers renvoie à celle, historique, du Carré noir à Moscou ; c’est en effet dans un angle de murs que fut exposé pour la première le Carré noir sur fond blanc, reprenant ainsi la posi�on tradi�onnelle de l’icône dans la religion orthodoxe russe. L’angle du mur : renvoie encore au contre-relief angulaire de Tatlin, et comme celui-ci se regarde d’un point de vue unique, comme un tableau, alors que la mise en place des d/m au rez-dechaussée, sol/ mur/ plafond/ mur , offre autant de points de vue que le spectateur en trouvera dans ses déplacements. En cela, son rapport à Tatlin s’établira davantage avec le contre-relief central qui s’émancipe du mur, bien qu’ici il s’agisse exclusivement de « marelles » conjuguées à des d/m, faites de papier, de toiles tendues sur châssis et de ciment brut. Un parallèle entre vénéra�on de l’art et dévo�on religieuse : le tapis de prière au champ intérieur monochrome (et dont la bordure conserve les mo�fs tradi�onnels orientaux) est dirigé vers l’est, vers La Mecque, vers l’angle du mur formé par la jonc�on d’un mur ouvert sur l’extérieur avec une grande verrière, et une cimaise. Ce�e bande angulaire et étroite du mur fut, sur une demande de Claude Rutault, peinte en noir, et recouverte d’un empilement de cinq pe�tes toiles formant un cube de dix cen�mètres au carré, lui-même peint de la même couleur que le mur, telle une d/m de base. Au sol, dans la salle à côté, des toiles actualisent monochrome V : dix toiles peintes des couleurs de l’islam, ou vierges, et une toile adossée au mur avec une autre accrochée et peinte du même bleu ciel soutenu que la cimaise.

Frédéric Bouglé a réalisé deux livres d’entre�ens avec Claude Rutault, aux Edi�ons joca seria, à Nantes : La Fin de l’objet fini (1992, réédité en 2004), et Le Commencement de l’objet, sans fin (2009). Il est le commissaire de l’exposi�on de Claude Rutault, Vers le ciel de la peinture, l’été 2009 à Thiers, avec Ma� Hill commissaire associé.


FRAC AUVERGNE

6 rue du Terrail 63 000 Clermont-Ferrand frac.auvergne@wanadoo.fr / 04 73 31 85 00 www.fracauvergne.com

MARC BAUER LAQUE DES SIGNES par Jean-Charles Vergne

Les dessins de Marc Bauer sont des trous. Des trous de mémoire, des trous au fond desquels le regard tente de rassembler ce qui s’apparente à des souvenirs fragmentaires où se mêlent de sombres évoca�ons historiques, de troubles souvenirs ex�rpés du passé personnel et in�me de l’ar�ste, accompagnés souvent de textes bégayants qui dressent en poin�llés les bribes d’une narra�on. L’exposi�on réalisée par Marc Bauer au FRAC Auvergne (du 5 juin au 29 août 2009) s’in�tulait Laque. L’espace du FRAC, dont le sol avait été préalablement recouvert d’une couche de laque noire brillante, accueillait plusieurs dizaines de dessins de pe�ts formats auxquels s’ajoutaient trois dessins sur papier de grandes dimensions, trois wall drawings et une impression murale monumentale représentant un navire de guerre. Axée sur l’idée de guerre et de destruc�on, l’exposi�on proposait une vision exhaus�ve des thèmes qui entrent en fric�on dans le travail développé ces dernières années. Elle s’appuyait tout autant sur les figures historiques de Machiavel, pour ses considéra�ons sur le pouvoir, ou du Général von Clausewitz, pour ses théories sur l’art de la guerre, que sur un mixage entre de vraies évoca�ons de souvenirs et d’éléments totalement fic�onnels. Vernis protecteur, membrane imperméable de sépara�on entre une surface et son environnement, matériau semi réfléchissant, pellicule déformante, la laque noire révèle symboliquement l’opacité de ce qui est montré, la forclusion des histoires in�mes au sein d’éléments appartenant à l’Histoire. ARCHEOLOGIE / FALSIFICATION Les dessins de Marc Bauer sont une archéologie, creusent dans le passé pour faire remonter à la surface du temps les éclats désolidarisés de scènes primi�ves lacunaires, les restes froids des tragédies anciennes pour les accommoder avec les fêlures du présent. Dans un entre�en publié en 2004, Marc Bauer déclarait : « J’ai toujours eu l’impression que l’on me mentait et que sous tout ce qui était joli se cachait en fait quelque chose de pourrissant. Très souvent, le point de départ de mon travail est la mémoire ; que ce soit des souvenirs personnels ou des photographies de mon grand-père faites pendant la seconde Guerre Mondiale. Je rends des événements, je les remets en ordre. L’Histoire devient juste une ré-interpréta�on d’événements qui les inscrit dans une cohérence. C’est un artefact et non quelque chose d’objec�f. Qu’il s’agisse


Warship - Print - 250 x 400 - 2009. Court. Galerie Praz-Delavallade, Paris

d’une histoire personnelle ou de l’Histoire, c’est une ré-écriture et ce n’est donc qu’une ques�on de point de vue, tout comme la morale. ». Ce�e déclara�on donne quelques indica�ons sur ce qui s’opère dans le travail graphique de l’ar�ste Suisse. Il est en effet ques�on de procéder à d’incessantes fusions entre Histoire, histoire personnelle et éléments fic�onnels, pour créer un effet Dolby Stéréo parasité. Ce�e fusion pose les bases d’une réflexion sur le fond de subjec�vité qui sous-tend à la fois la manière dont nous organisons nos souvenirs propres et la façon dont une mémoire collec�ve s’empare d’événements pour élaborer des agencements par�culiers qui donnent corps à ce que l’on appelle l’Histoire. Celle-ci résulterait donc d’un montage a posteriori d’événements entre eux à l’image d’un film qui ne devient film qu’à l’issue du final cut, le montage évacuant ainsi l’ensemble des rushs obtenus lors du tournage, en ayant souvent pour conséquence de développer une narra�on trouée, totalement lacunaire, comme il est dit dans le texte accompagnant un dessin qui représente un fragment de salle de cinéma : LES IMAGES COMMENCENT À DEFILER ELLES N’ONT AUCUN RAPPORT AVEC LA SITUATION suivi d’un autre dessin – une chaise, une table – où, ce�e fois, la percep�on cinématographique de l’Histoire est perçue comme un véritable interrogatoire absurde : ON ME FORCE À ATTENDRE ASSIS SUR UNE CHAISE LA PROCHAINE SEANCE J’AI UN VIOLENT GOÛT DE FER DANS LA BOUCHE suivi d’un troisième dessin – un écran sommaire sur lequel apparaît en filigrane une image symétrique du type Test de Rorschach – qui, très clairement, instaure le trouble entre ce qui est vu, ce qui est su, ce qui est vécu, crée un vacillement, une fêlure :


Brain - Wall drawing - 2009. Exposi�on Laque, FRAC Auvergne, Clermont-Ferrand

JE NE SAIS PLUS SI JE SUIS DANS UN CINEMA OU UNE SALLE D’INTERROGATOIRE ET JE NE COMPRENDS PLUS RIEN À CE FILM ET LE BRUIT DU PROJECTEUR ME BRÛLE LE CERVEAU ET JE N’ARRIVE PAS À SORTIR DU FAUTEUIL L’Histoire, dans les dessins de Marc Bauer, relève d’un processus similaire à celui d’un cinéma dont l’écran vierge serait des�né à recevoir les montages et remontages successifs de scènes combinables entre elles à l’infini. Ou, à l’inverse, l’Histoire serait la superposi�on de toutes les histoires et donnerait en défini�ve une image blanche, un écran blanc iridescent obtenu par un temps de pose démesurément long, comme sur les photographies de salles de cinéma de Hiroshi Sugimoto, comme sur le grand dessin Cinema de Marc Bauer. Et, comme pour un film, l’Histoire peut être l’objet d’ajouts de « scènes coupées au montage » ou au contraire être soumise à la censure, à la réécriture, au néga�onnisme, et subir de significa�fs changements de « scénario ». COMPOST Il est fréquemment fait allusion dans les dessins de Marc Bauer aux diverses formes de totalitarismes, croisées avec une vision généalogique de la famille au sein de laquelle les figures du grand-père et du père occupent une posture autocra�que, superposées à l’u�lisa�on de textes dont l’authen�cité narra�ve est invérifiable. Heidegger, Machiavel, Pasolini, Eisenstein ou Sade parcourent l’oeuvre de manière souterraine, mêlés de façon très ambiguë avec une dimension in�me à laquelle viennent s’adjoindre des éléments fic�onnels, à tel point qu’il est impossible pour le spectateur de faire la part des choses. Finalement, l’imaginaire du regardeur extrapole,


fait naître l’effroi, noue les connexions entre des événements majeurs et tragiques de l’Histoire et ce qui pourrait apparaître comme une somme de « sales pe�ts secrets familiaux » aux relents sordides de maltraitance et de violence encore stagnante dans les plis du temps de l’enfance et de l’adolescence. Ce�e invita�on à l’extrapola�on adressée au spectateur est amplifiée par l’inachèvement de la plupart des dessins : espaces laissés vides, traits de crayon suspendus, u�lisa�on extensive de la gomme qui opère par soustrac�on dans le graphite comme on sculpterait à même le trait, créant des trous comme pour remonter le temps ou affirmer l’existence de points aveugles jamais dévoilés. Du coup, la représenta�on chez Marc Bauer est toujours une affaire de trouble et ne dit jamais tout à fait sa finalité. Il en va dans sa créa�on comme d’un processus de compostage où des strates narra�ves et historiques se superposent, s’interpénètrent, subissent une lente altéra�on par pourrissement, finissent par fusionner, générant un compost à la fois homogène et riche, nauséabond et toxique. Ce�e analogie avec le compost est une manière de souligner la persistance du passé dans le présent, la puissance de la mémoire résiduelle. Une manière d’affirmer « vous croyez en avoir terminé avec le passé mais le passé n’en a jamais terminé avec vous ». Extrait du texte paru dans le livre STEEL - 144 pages - Edi�ons FRAC Auvergne, 2009

Fosse - 33 x 45 cm - Crayon gris et crayon noir sur papier. Collec�on privée


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JULIEN AUDEBERT FORT DU TAUREAU par Mar�al Déflacieux, décembre 2009.

Si on le prend strictement dans le sens de son élabora�on, le travail de Julien Audebert est un système nodal symptôme de l’entrelacement d’une mul�tude de références. L’œuvre se noue et se dénoue à travers un �ssu de cita�ons, de clins d’œil et d’emprunts puisés dans la culture savante ou populaire. En ce sens, si on souhaite dévoiler une par�e de l’exposi�on « Fort du taureau », il nous faut passer par la citadelle éponyme plantée dans la baie de Morlaix qui fut une prison dont Blanqui1 fut le dernier détenu. Depuis sa cellule, le célèbre communard rédige un texte à l’ambi�on scien�fique, l’éternité par les astres où l’auteur défend les thèses mécanistes2 de l’époque. Composé d’un �ssu noir criblé de plomb et retro-éclairé, « Screenshot sequence» s’apparente à une carte céleste qui n’est pas sans évoquer les recherches de Blanqui. Ce�e œuvre inédite est aussi un exemple de l’a�achement de Julien Audebert pour la chronophotographie3 dont il fait lui-même l’usage. C’est ainsi que les différentes scènes de chasse extraites de « la règle du jeu » sont condensées en une seule image qui devient le théâtre d’une étrange situa�on où un nombre impressionnant d’animaux se font aba�re. C’est en réalité une mul�tude d’interac�ons qu’entre�ennent les trois œuvres présentées par Julien Audebert. Ces interac�ons perme�ent aux œuvres de se déployer pleinement dans un lieu qui lui se contracte en prenant l’apparence d’un espace carcéral (vitres obturées, couloir étroit). Concentra�on et déploiement sont sans doute les principaux mouvements en ac�on dans l’iconographie de Julien Audebert sans oublier le plaisir évident que l’ar�ste prend à créer des images chargées d’énigmes et dont l’aspect mystérieux fascine.

Notes : 1 Louis Auguste Blanqui fut emprisonné par Adolphe Thiers pendant la commune 2 Que l’on peut entre autre résumer ainsi : Etant donné le peu d’éléments qui existent (60) dans l’univers et celui-ci étant infini, il y a de forte chance pour que tout soit reproduit ailleurs, par exemple la terre comme nous même. 3 Inventé par Marey et grâce à laquelle plusieurs mouvements d’une chose photographiée sont saisi sur la même image, (Marey u�lisait un fusil pour réaliser ses chronophotographie).


Screenshot sequence, toile occultante, �r au fusil, 200 x 280 cm, 2009. Pièce unique. Court. Galerie Art:concept. Photo: Sébas�en Camboulive

La règle du jeu, �rage lambda contrecollé sur aluminium sous diassec, 57 x 77 cm, 2008. ed. 2/5. Court. Galerie Art:concept. Photo: Sébas�en Camboulive.


ALF - 13 BIS

h�p://o13bis.blogspot.com/

LAISSER PISSER LE MERINOS avec Vincent Carlier, Fabrice Gallis, Jérôme knebusch, Nicolas Lafon, Delphine Rigaud, Benjamin Salabay, et Laurent Sfar.

Vincent Carlier, Bûche radiocommandée, 2008. Bois, résine polyester, système électronique.

Ce�e exposi�on collec�ve rassemblait six ar�stes et un designer dont les réalisa�ons (re)présentent des renversements d’a�tudes et des gestes singuliers. Si l’apparence de chacune des oeuvres proposées se suffit à elle-même, toutes ont en commun le fait d’avoir repensé une posture, un objet, un comportement.Les proposi�ons sont parfois décontextualisées, et certaines, à priori, parlent d’autre chose. Benjamin Salabay, designer, repense la posture du cycliste pour l’accommoder à une a�tude dandy. Fabrice Gallis développe un algorithme perme�ant de calculer les dimensions de la plus grande table pouvant encore passer par une porte et la plus pe�te table ne pouvant plus passer. Nicolas Lafon reprend le principe des écritures de néon, avec un matériel de plomberie, déployant un message existen�aliste à la syntaxe confuse. Vincent Carlier dote d'une motorisa�on un élément flo�ant, une bûche, allant à l'encontre de sa dés�née première, dériver... Jérôme Knebusch recons�tue le curriculum vitae de Vincent Van Gogh.Laurent Sfar propose un autoportrait filmé, où on le retrouve dans des postures pour le moins inconfortable ; et enfin Delphine Rigaud, qui à par�r du Lorem Ipsum (texte sans valeur séman�que et provisoire pour calibrer une mise en page définive) u�lisé en édi�on graphique, retourne au texte originel (par Cicéron), et à par�r de ce texte, retourne à la racine du langage écrit. Le chien passe, la caravane aboie Pour le reste laissons pisser le mérinos.


Benjamin Salabay (avec Astrid Hauton et Kévin Torrini), Dandy boy, vélo. Delphine Rigaud, Ipsum Lorem, crayon sur papier, Livre biffé, 150 x 350cm, 2006.

Nicolas Lafon, It just won’t stay dead, tuyaux de cuivre, a�aches plomberie, dimensions variables, 2009.

Laurent Sfar, Fontaine, vidéo couleur, 5’ 20, 2002-2005


FABRICE GALLIS 3 X RIEN par Nicolas Lafon et Fabrice Gallis, septembre 2009. / « 07/07/2008, Aborder le monde en candide programmé. » / Au départ, une proposi�on faite à Fabrice Gallis : intervenir au sein d'A.L.F/13bis, sans plus de précision. / « construire brique par brique un système généra�f : le degré zéro de l'exposi�on. » / F.G commence toujours par écrire et éme�re des hypothèses plus ou moins réalistes qui condi�onneront son entreprise. / « L'exécu�on du code d'une rou�ne(1) revient à appliquer li�éralement ce texte au monde » /Ses mots organisés comme un programme informa�que, perme�ent d'aborder logiquement le système auquel il se confronte. De ces ques�onnements et de ce�e méthodologie faussement restric�ve découle une série d'énoncés cons�tuant un programme. Sa mise au point durera un an - prenant accessoirement la forme d'une résidence./ « le programme définit lui même l'espace et le temps de son inves�gatoire épopée. Aucune machine ne saurait prédire ces états futurs sans les calculer.Le problème de l'arrêt reste en�er. » /Le résultat : pas de résultat, mais une oeuvre possible : un plancher technique s'intégrant au lieu. Ce plancher est une étape vers une autre. Il est fonctionnel et permet donc de recevoir d'autres expositions, display zéro.Ce plancher dérobe également sous sa surface des espaces (fragmentaires) mis à disposition d'autres artistes, ou permettant un travail d'atelier sur place, /dispositifs embarqués/. L'association A.L.F quittant le 13 bis, F.G y répond en rédigeant un contrat d'utilisation du plancher avec le propriétaire des lieux. Les clauses établies maintiendront le programme « degré zéro de l'exposition » actif dans un contexte changeant (1) / « rou�ne : par�e d'un programme exécutable et répétable à l'infini. » /

videogrammes de Vidéo d’ar�ste, installa�on vidéo en direct avec musique exécutée simultanément par Ph. Eydieu


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NINA CHILDRESS LA HAINE DE LA PEINTURE par Yannick Miloux, février 2009

« Toujours partagée entre figura�on et abstrac�on, l’oeuvre de Nina Childress s’appuie la plupart du temps sur des images photographiques, souvent imprimées. En ce sens, elle est une « photopeintre » et lorsque nous l’avions interrogée sur sa manière de peindre après Richter et Picabia, elle avait répondu : « ...Moi aussi j’aime copier des photos. Je n’ai pas envie de m’embêter avec le dessin, je ne veux pas que mon style vienne du dessin. En copiant des photos je ne fais que de la peinture, même abstraite. Je passe des images en peinture, j’en fais un tableau, il n’y en a qu’un seul. Parfois comme Richter j’essaye de disparaître derrière la photo, ou comme Picabia j’ajoute des bê�ses. Ce qui m’est propre, c’est le choix des photos et puis le choix de la manière de peindre. Mes modèles, on sait que ce n’est pas la réalité, on le voit à l’éclairage, à la composi�on. La photo (scan, impression…) est un matériau visuel, comme la couleur, auquel je donne une nouvelle visibilité ». « La haine de la peinture » est le �tre du dernier tableau que l’ar�ste vient d’achever pour l’exposi�on. Il décrit de façon presque expressionniste les rela�ons très tendues entre Simone de Beauvoir et Hélène, sa soeur peintre, et fait par�e d’un vaste ensemble in�tulé « le tombeau de Simone de Beauvoir » sur lequel l’ar�ste a travaillé pendant toute l’année 2008. Cet hommage monumental se compose de plusieurs tableaux exécutés à par�r de photos de presse ou de livres rela�ves à l’image publique de l’écrivain. Mise en scène sur un papier peint dont le mo�f répète un détail d’un des chemisiers favoris de l’auteur, les tableaux sont présentés en rela�on avec des volumes, des sculptures. Ce�e collec�on d’images agrandies par la peinture établit un sub�l lien d’échelle avec les objets surdimensionnés. Comme un immense détail sur un bureau, le livre, les cigare�es, la boîte noire et les images forment une nature morte environnementale qui nous donne accès à l’in�mité de Simone de Beauvoir. […] A par�r d’images collectées dans de vieilles revues de décora�on, Childress expérimente les différentes capacités de la peinture à res�tuer les défini�ons, les trames, les contrastes de lumière et de couleur. Sa recherche autour de la mise au point de l’image – le flou ar�s�que ?- est un mo�f récurrent. Même si elle semble s’adonner plutôt à la figura�on, Nina Childress a toujours rêvé d’être une peintre abstraite. Dans de nombreuses scènes d’intérieur, on aperçoit souvent des tableaux dans le tableau. Ce�e no�on de « décora�f » semble irrémédiable à ses yeux et elle préfère l’envisager ainsi plutôt que d’imaginer ses tableaux oubliés défini�vement dans les réserves d’un musée. D’où également de nombreuses mises en scène de tableaux par des effets d’éclairage ou de présenta�on sur des murs de papier peint.


L’exposi�on « la haine de la peinture » s’intéressait ainsi aux condi�ons de récep�on du style pictural. Comme d’autres peintres d’aujourd’hui familiers du FRAC Limousin (John Currin, Glenn Brown, Franck Eon, Gabriele Di Ma�eo, Andreas Dobler,…) Nina Childress persiste à interroger le cliché dans le sens photographique du terme, mais aussi la peinture en tant que cliché, quand tout semble avoir déjà été peint, de toutes les manières possibles, et avoir déjà été récupéré, stylisé, épuisé dans le décor. Les stratégies qu’elle emploie contribuent à donner à ses tableaux la présence singulière et obsédante d’images déjà-vues, mais pas défini�vement perdues dans les oublie�es de notre mémoire. »

vue de l’exposi�on Nina Childress, la haine de la peinture au FRAC Limousin du 20 mars au 6 juin 2009

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L’EXPOSITION RAYONNANTE Portraits, photographies d’espaces et d’objets après Man Ray par Yannick Miloux, avril 2009

En 2002, nous présen�ons une première approche des rela�ons entre la photographie et la sculpture sous-�trée rayogrammes, sténopés. Cet été 2009, nous en proposions une version renouvelée basée sur une recherche iconographique détaillée dont nous avons trouvé les sources chez Man Ray, un des plus grands inventeurs, souvent accidentel, de la photographie au XXème siècle. En examinant la collec�on photographique du FRAC Limousin, notamment à par�r du fameux essai « Surréalisme et photographie » de Rosalind Krauss1, les exemples abondent tant la créa�vité de Man Ray fut féconde. Ses inven�ons photographiques, souvent dûes au hasard si l’on en croit Philippe Sers, ont servi de points d’appui à notre prospec�on. Il précise : «Elles surgissent parfois d’un désordre d’atelier, voire d’accidents. Autant qu’on puisse le savoir, la solarisa�on et le flou, qui sont les procédés auxquels Man Ray doit une par�e de l’impact de son oeuvre photographique, sont nés d’erreurs commises durant le travail. La solarisa�on (double insola�on du �rage) est le résultat d’un éclairage intempes�f de la chambre noire. Le flou est le résultat d’un oubli. Man Ray n’avait pas pris l’objec�f nécessaire lorsqu’il était par� faire le portrait de Ma�sse et, pour réaliser la photographie où on le voit en face de son modèle, il fut contraint d’u�liser son verre de lune�es (il était passablement myope). Le résultat fut une épreuve en laquelle le peintre et son modèle se trouvaient unis par une atmosphère de fondu riche de sens. La surimpression serait également issue d’un hasard bienheureux … »2. Le rayogramme, photographie d’objets sans caméra parfois appelé rayographie, se pra�que toujours aujourd’hui, soit comme une étape de

HECHT, Berlin/Bern, Markus RAETZ - 2 photographies noir et blanc présentées en angle, 42 x 30 cm chaque / 1⁄2, 1982, Collec�on FRAC Limousin.


recherche (Joachim Mogarra, Richard Monnier), soit comme une spécialité, comme c’est le cas chez Pierre Sava�er […]. Les photographies d’espace sans caméra, que l’on nomme sténopés (pinhole disent les anglais) sont également u�lisées par les ar�stes d’aujourd’hui (Hubert Duprat, Barbara Ess, Steven Pippin, Rodney Graham, …). Par leurs qualités archaïques et rudimentaires, elles perme�ent une sorte de retour à l’essen�el qui objec�ve notre regard et donnent aux ar�stes l’occasion d’expériences spa�ales en profondeur. La solarisa�on a également ses adeptes. Ainsi, Mar�ne Abbaléa colorisa longtemps des photographies noir et blanc qui firent ses premiers succès avant de travailler avec des logiciels et d’apposer des filtres de couleur aux fenêtres des lieux d’exposi�on. Dans la famille des exposi�ons mul�ples ou superposi�ons de néga�fs (proche du photomontage dadaïste) on trouve le très bel exemple de Lothar Hempel, récemment acquis, ainsi que le magnifique diptyque d’angle de Markus Raetz qui démultiplie l’espace. Pour le flou et l’expérience du détail, où les exemples sont pléthoriques, nous présentions la splendide série des « Léguorites » de Michel Blazy, macrophotographies de plantes en décomposition, en regard d’une image source envisageable de Man Ray, le fameux « élevage de poussière »3. Mais la pêche est presque « miraculeuse » du côté des photographies de « sculptures éphémères »: on y trouve les noms aussi divers que Gordon Matta-Clark, Wim Delvoye, Joachim Mogarra, …4 Les super-pouvoirs de Man Ray ont franchi le XXème siècle et continuent d’agir aujourd’hui. L’aérographe, le rayogramme et la solarisation furent ses armes principales, mais il en expérimenta beaucoup d’autres, notamment de multiples collaborations avec Marcel Duchamp (la tonsure, Rrose Sélavy, Eau de voilette, élevage de poussière) ou avec Hans Richter dans le domaine du cinéma5. Comment ne pas voir enfin dans le patronyme que s’est choisi l’homme-rayon, comme le surnommait André Breton, une allusion aux super-héros du rêve américain en même temps qu’une prémonition au « je veux être une machine » de Warhol ? Au début de sa carrière, Emanuel Radnitzky choisit un « Nom-de-caméra »6. Son influence fut immense : il donna son nom à un procédé de photographie sans caméra, le rayogramme7, et, parmi d’autres exemples de sa célébrité, l’ar�ste William Wegman bap�sa « Man Ray » son premier chien modèle pour des séances de pauses tragicomiques dont on connaît à Limoges (et ailleurs) la célébrité. Le numéro 52 du catalogue Man Ray publié lors de la biennale de Venise en 1977 montre une rayographie de 1925 : un groupe de trois fleurs avec trois valeurs de gris et de blanc sur un fond de fougères. Difficile de ne pas y déceler à la fois un prolongement du « pinceau de la nature » de Fox-Talbot et les prémisses du célébrissime tableau « Flowers » d’Andy Warhol. L’homme-rayon et le dandy pop eurent d’ailleurs une prédilec�on en commun: les portraits de célébrités, qui leur perme�aient de (bien) gagner leur vie. On imagine la suite : une exposi�on « rayonnante » de portraits de Man Ray (d’ar�stes, d’écrivains, de modèles pour la couture, d’autoportraits), d’Andy Warhol (peut-être…), de Cindy Sherman, Véronique Boudier, Urs Luthi, Ugo Rondinone, Richard Hamilton (8), et, bien sûr, de quelques chiens de William Wegman.


vue de l’exposition L’exposition rayonnante, Portraits, photographies d’espaces et d’objets après Man Ray, du 19 juin au 7 novembre 2009, FRAC Limousin.

Notes : 1 Rosalind Krauss :« Le Photographique, pour une théorie des écarts », éd. Macula, 1990, p. 110. 2 Philippe Sers « L’avant-garde radicale », Les Belles le�res 2004, pp. 173-174. 3 Ce�e oeuvre, donnée avec d’autres au FRAC Bourgogne en 1999 par Lucien Treillard, secrétaire de Man Ray, sera à l’origine de l’exposi�on « Poussière (Dust memories) » organisée à Dijon par Emmanuel Latreille (cat.). 4 A la longue liste dont nous avions déjà montré quelques beaux spécimens en 2002, on peut rajouter le célébrissime duo Fischli / Weiss qui a acquis une réputa�on mondiale avec son film « Der Lauf der Dinge » (Le cours des choses, 1986-1987). Nous proposions un autre film de ce duo d’ar�stes suisses, « kanal vidéo », voyage « solarisé » dans les égouts de Zürich qui date de 1992. 5 Dans le film « Dreams that money can buy » (Rêves à vendre), la séquence de Man Ray montre des spectateurs de cinéma qui imitent les gestes d’un acteur tandis que le visage de Man Ray (Big Brother ?) est projeté en grand sur scène. Il montre le star-system et ses dérives, an�cipant à la fois les diver�ssements télévisés comme Star Academy et les oeuvres d’un Ma�hieu Laure�e, ou d’une Candice Breitz, par exemple. 6 pour reprendre le titre d’un article paru dans le quotidien londonien Star du 23 nov. 1934 où il présentait dans une galerie des « développements arrêtés de négatifs ». 7 La paternité de l’inven�on de la photographie d’objets sans caméra est revendiquée par Man Ray (rayographies), Chris�an Schad (on parle de schadographie) et aussi par Laszlo Moholy-Nagy. Raoul Haussmann a également fait des photogrammes, puis des mélanographies. 8 Il s’agit, comme pour les oeuvres co-signées avec Duchamp, d’un travail de collabora�on que Hamilton a débuté en 1972 après sa rencontre avec Roy Lichtenstein. Il a décidé de se procurer un appareil Polaroïd et de demander à chaque artiste dont il visite l’atelier de faire son portrait. Ce sera le cas avec Man Ray en 1971.


APPELBOOM / LA POMMERIE 19290 Saint-Sé�ers residence@lapommerie.org / 05 55 95 62 34 www.lapommerie.org

Depuis 15 ans Appelboom s’inscrit dans le paysage de l’art contemporain comme un lieu à part, hors des sen�ers ba�us des ins�tu�ons. C’est tout d’abord sa situa�on géographique, l’isolement d’un hameau appelé la Pommerie au coeur du Plateau de Millevaches où l’austérité du granit côtoie les oranges flamboyants des tourbières automnales, qui lui confère ce statut. Mais c’est aussi un lieu, où depuis toujours la transdisciplinarité, le besoin d’élargissement, faisait se côtoyer les ar�stes post-land art et la peinture géométrique néerlandaise, que Huub Nollen, ancien directeur, avait rapporté dans les bagages de son pays d’origine en venant créer ce projet audacieux. La prise de risque était déjà dans le pari ini�al, et c’est encore aujourd’hui le maître mot d’une programma�on qui ne se refuse rien, qui cherche à accompagner les jeunes ar�stes dans un soucis de qualité, tout en sachant que chaque résidence, chaque nouvelle produc�on se fraye un chemin entre le néant, les broussailles et ce qui doit advenir, mais qui reste un mystère jusqu’au dernier instant. Si les spécificités géographiques ont fait que de nombreux ar�stes ont laissé transpirer le lieu dans leurs oeuvres, et inversement, la programma�on tenait à garder ce�e spécificité a�achée au territoire dans un de ses trois axes de résidence. En même temps que l’originalité de son programme, autour de l’art sonore, peut défendu aujourd’hui encore dans la créa�on contemporaine, l’ouverture est un désir partagé par l’équipe d’Appelboom dont l’axe du 3ème programme de résidence reste accessible à tous les champs de la créa�on, de la recherche. C’est donc ces moments de doute, d’expérimenta�on, de réalisa�on qu’Appelboom-la Pommerie, dans des échanges avec d’autres structures régionales, na�onales, interna�onales, tente d’accompagner et de transme�re au public. Partager le sens de ce que peut être l’art au-delà de l’oeuvre formalisée, par un accueil convivial, des ateliers et des moments de rencontre où les étapes de travail jouent la transparence impudique d’une oeuvre non finalisée.


L’Ins�tut Bancal Sollicité par le Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin pour la programma�on de la soirée d’ouverture de la première édi�on du fes�val Ligne(s) de Partage, Appelboom/La Pommerie a choisi de présenter le travail de L’Ins�tut Bancal, collec�f de plas�ciens transgenres, naviguant entre Paris et Aubusson dont ils sont originaires. A sa créa�on beaucoup plus proche de l’underground que des circuits photo : Benjamin Torres ins�tu�onnels classiques, l’Ins�tut Bancal a bénéficié à ce�e occasion d’une résidence avec un me�eur en scène afin d’affiner sa dernière créa�on Le ball-trap est un sport convivial. Un spectacle foisonnant où l’absurdité et l’humour règnent en maîtres à travers l’univers plas�que séduisant et les personnages déjantés de l’Ins�tut Bancal. Avant d’être accueilli avec succès en septembre dernier au fes�val mondial des théâtres de marionne�es de CharlevilleMézières, le spectacle a donc fait salle comble en juillet à Faux-la-Montagne (23). Au programme de la soirée : expérimenta�on plas�que et sonore, théâtre d’objets, marionne�es et poésie postpunk, accompagné de la musique live du groupe Chantal Morte que le public a pu découvrir plus spécifiquement lors du concert donné à la suite de la représenta�on. Arts sonores Kodama Hitoshi Kojo (Japon) et Michael Northam (USA, Belgique, Inde) ont créé Kodama en 2004, un collec�f d’ar�stes qui usent des phénomènes naturels comme ma�ère première pour la créa�on d’interven�ons sonores et plas�ques. Au cours des cinq semaines de résidence de Kodama, chaque jour, bivouacs, randonnées ou simples errances autour de la Pommerie ont fait l’objet de collectes d’objets, de sons, d’images et d’impressions. Ainsi naît Phytoncide, que le public a découvert le samedi 3 octobre, dans photo : Kodama la grange d’Appelboom. Une installa�on qui a mené les spectateurs tant au cœur de la poésie sonore et plas�que des ar�stes que sur les traces du parcours et des recherches menées (cartographie). Une performance sonore res�tuant les expériences profondes (d’osmoses) qu’Hitoshi et Michael ont vécu « sur le terrain », plaçant l’auditeur parmi une foule d’objets, d’éléments naturels (branches, lichens, champignons…), de


photographies, de cartes…, en quelque sorte l’accumula�on des traces du paysage, vécu par le public comme la représenta�on d’une immersion totale dans notre environnement… Cédric Peyronnet Dans le cadre du Printemps au fil de l’eau, 6e édi�on du fes�val des Printemps de HauteCorrèze ini�é par le Centre d’art contemporain de Meymac, Appelboom/La Pommerie a accueilli Cédric Peyronnet pour la res�tu�on sonore d’un projet mené autour de la rivière Taurion : kdi dctb 146 [e].

photo : Thi Tham Peyronnet-Nguyen

Installé derrière ses écrans, dans le dos des auditeurs tournés face au mur de granit de la grange, Cédric Peyronnet n’a pas offert au public qu’une simple écoute du monde sonore de la vallée de la rivière Taurion. En effet, l’ar�ste, qui a arpenté et cartographié ces lieux, guidé par l’ouïe pendant 3 ans, a proposé une interpréta�on sensible de son explora�on de la rivière à travers l’enregistrement et la res�tu�on des rythmes, des textures de l’eau, et des événements sonores qui en marquent le temps et les étapes.

kdi dctb 146 [e] est avant tout un ou�l de découverte du territoire par le biais d’un sens peu u�lisé habituellement, l’ouïe. Le projet et la composi�on sonore qui en résulte sont aussi une interroga�on sur la réalité du paysage sonore et un ques�onnement des habitants de certaines des zones étudiées dans la vallée sur la représenta�vité des instantanés sonores. My Deer massacres Une autre créa�on soutenue ce�e année et accueillie en résidence sur deux périodes : My Deer massacres, de Vanessa Le Mat et Ka�a Feltrin, projet chorégraphique original coproduit par le musée de la chasse et de la nature de Paris. Présenté une première fois en Corrèze avant une représenta�on au fes�val Desingel d’Anvers, ce projet, déjà fortement ancré dans une recherche plas�que à travers la photo et la vidéo, s’est peu à peu transformé, pour devenir un véritable objet chorégraphique. Taillant dans la ma�ère qui fait habituellement un projet chorégraphique - corps, scène, musique, lumière - Vanessa Le Mat, sous l’influence du contexte par�culier

photo : Ka�a Feltrin & Vanessa Le Mat


de La Pommerie, a peu à peu affiné et épuré la forme de My Deer Massacres. Passant de l’intérieur à l’extérieur, l’espace scénique est devenu une forme tondue au milieu des herbes folles, la lumière naturelle, celle du jour à l’instant de la représenta�on. La musique n’était plus jouée que par les sons de l’environnement immédiat, oiseaux, vent dans les arbres, quelques aboiements lointains, mais surtout par les corps des deux danseuses, craquements de l’herbe, fro�ements, photo : Ka�a Feltrin & Vanessa Le Mat respira�ons, qui conféraient à ce�e nouvelle version une animalité inédite jusque-là, me�ant en exergue les bases du projet des deux ar�stes : le désir mimé�que et le mécanisme de la violence. Dépouillé du superflu, sans fioriture, le projet de Vanessa et Ka�a, lors de sa seconde présenta�on à La Pommerie dans le cadre du colloque écologie : art, philosophie, territoire avait, semble-t-il, trouvé sa forme juste. Écologie : art, philosophie, territoire En 2009, Appelboom a souhaité engager une réflexion sur le thème de l’écologie. Qui�ant les sen�ers ba�us, les 28, 29 et 30 août, l’associa�on a confronté et comparé les points de vues et la façon dont les géographes, ar�stes, philosophes, agriculteurs ou scien�fiques se sont appropriés l’idée d’écologie. Ainsi, conférences, sor�es et observa�ons sur le terrain, marches sonores, concerts et interven�on chorégraphique se sont succédés durant tout le week-end, à Faux-la-Montagne, à La Pommerie et sur l’île de Vassivière. Réappropriée par les médias, l’industrie, le marke�ng et le développement durable, l’écologie présente un visage ambigu jouant sur l’imaginaire collec�f. Cet événement proposait des pistes ouvertes au croisement des disciplines de recherche (science, philosophie, art, etc.) mais également des ques�onnements des acteurs de terrain (agricultures). Ont été abordées les grandes tendances de l’écologie scien�fique, l’écologie sonore, l’écologie humaine et présentées plusieurs créa�on ar�s�ques à la fron�ère de l’art et des ques�onnements de territoire. L’événement s’est déroulé dans une ambiance conviviale, pique-nique et repas avec des produits de producteurs locaux, qui perme�ait au spectateur d’arpenter le territoire du plateau de Millevaches dans une proximité avec les lieux et les intervenants : Nathalie Blanc, Gilles Bruni, Vanessa Le Mat, Ka�a Feltrin, Pierre Redon, Edmond Carrère, Cédric Deguillaume, Frédéric Lagarde, Jean-Bap�ste Decavèle.


MAM SAINT-ETIENNE

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PIERRE COULIBOEUF DÉDOUBLEMENTS par Pierre Couliboeuf, juin 2009

La créa�on contemporaine, sous toutes ses formes (arts visuels, chorégraphie, li�érature, musique et architecture), est le matériau de mon travail cinématographique et plas�que. Mon cinéma «joue» avec ces champs ar�s�ques, en tant que prétextes et opérateurs de créa�ons nouvelles. Des créa�ons cinématographiques définies comme écriture, travail formel, construc�on, - «ce qui par sa force se développe, se forme et se meut». (Kurt Schwi�ers). Des créa�ons plas�ques où le matériau est le vrai protagoniste – matériau visuel, matériau sonore. «L’ar�ste crée par le choix, la disposi�on et la déforma�on des matériaux» (idem). Le cinéma est à considérer ici à l’intérieur d’un projet ar�s�que global. Comme un instrument de transforma�on et ainsi de créa�on de nouvelles réalités dans de mul�ples champs ar�s�ques. En fait, quand je fais une oeuvre, mon problème est toujours le même – c’est celui du passage : passage d’une discipline à une autre, d’un protocole de travail à un autre, d’une vision à une autre, d’une forme à une autre, d’un objet à un autre. Pra�quement, j’interviens dans les inters�ces, dans les intervalles des imagina�ons de l’autre, l’ar�ste qui inspire mon projet, pour produire des rela�ons, des liens, susciter des résonances entre les choses, suggérer de nouvelles probléma�ques, tracer un espace de fic�on. Lors du montage, je construis des segments narra�fs qui structurent et animent l’ensemble des éléments. La fic�on suppose un détour, une distance, où la réalité est d’abord jeu de forces. Ce qui m’intéresse avec les autres arts, c’est la confronta�on, la rencontre. A chaque fois, il s’agit d’inventer une forme cinématographique, de créer un univers inconnu, à par�r d’un autre imaginaire ; de suivre un processus, avec ses bifurca�ons, ses détours et retours, ses hésita�ons, ses reprises... Autrement dit, non pas faire un film «sur» tel ou tel ar�ste, mais «à par�r de» ou «d’après» son univers mental, avec une volonté d’écriture ou de composi�on. Il faut que j’arrive, suivant ce processus, à saisir quelque chose, à toucher ou capter quelque réalité fugace. Rendre visible, et non représenter le visible, disait Klee. En somme, je suis obsédé par l’idée de métamorphose. Au point que l’ar�ste devient acteur dans mes films. Par contagion. Mais d’abord parce que l’ar�ste lui-même fait par�e de son oeuvre, en est l’une des composantes, virtuelle ou réelle, voire la ma�ère même - Marina Abramovic, par exemple, ar�ste de l’art corporel. La fic�on a�re à elle aussi bien l’ar�ste que l’oeuvre. C’est le cas avec Jean-Marc Bustamante, comme ce fut le cas, autrement, avec Michelangelo Pistole�o, Marina Abramovic ou Michel Butor. L’ar�ste, ou


Dédale, 2009. Coll. Fonda�on Iberê Camargo, Porto Alegre, Bresil - © Pierre Couliboeuf.

l’écrivain, devient un personnage du film. Il joue un rôle : son propre rôle, ou plus exactement il joue le rôle du double. Je l’amène à se dédoubler. Et c’est dans ce�e «distance à soi-même», que l’Autre de l’ar�ste ou de l’écrivain apparaît, fugacement. « …Cet autre qui n’est que la distance du Même à lui-même, distance qui le rend dans sa différence pareil au Même, quoique non iden�que… » (Maurice Blanchot). L’écriture audiovisuelle produit de la narra�on, mais le récit de Balkan Baroque (1999) d’après Marina Abramovic, de Lost Paradise (2002) d’après Jean-Marc Bustamante, ou de Somewhere in between (2004) d’après Meg Stuart, est un récit discon�nu, fragmentaire, fait de ruptures et de reprises. Répé��ons et modifica�ons. Ce «récit» répond à une certaine appréhension du monde. Le rapport de l’homme au monde étant ressen� comme probléma�que, le monde lui-même comme une énigme, l’oeuvre filmique, à la suite de l’œuvre prétexte, comme un double à l’infini, essaie de se faire l’écho de l’inquiétante familiarité que l’homme entre�ent avec le monde. Ce�e oeuvre nouvelle que cons�tue le film s’apparente alors à ce que Pierre Klossowski nomme un «simulacre». Le film simulacre transpose les forces qui animent les construc�ons mentales d’un ar�ste. Ce que je ressens devant l’oeuvre d’un ar�ste, les visions ou imagina�ons que ma rencontre avec l’oeuvre – et l’ar�ste - peut susciter, nourrit la réalisa�on du film. Le film matérialise, simule, une rela�on – avec une oeuvre, avec un univers mental. Et ainsi, dans ce passage d’une forme à une autre, il contribue à la métamorphose infinie de la réalité. La créa�on filmique est une expérimenta�on. Je conçois le cinéma avant tout comme une recherche. Travailler avec le cinéma, dans une certaine rela�on avec la créa�on contemporaine. Ouvrir le cinéma à d’autres champs d’explora�on, produire de nouvelles écritures audiovisuelles, inventer de nouvelles réalités. A cet égard, l’espace d’exposi�on m’a permis de prolonger le processus de transforma�on dans de nouvelles direc�ons. Dans l’espace d’exposi�on, le film 35mm devient film installa�on. Une nouvelle forme de discon�nuité narra�ve est ainsi produite à par�r du film 35mm comme matrice ; elle a�re à elle l’espace physique de la galerie ou du


Dédale, 2009. Coll. Fonda�on Iberê Camargo, Porto Alegre, Bresil - © Pierre Couliboeuf.

musée, l’architecture même. L’œuvre est déconstruite pour être reconstruite autrement, me�ant en rela�on une mul�plicité de composantes audiovisuelles ou simplement visuelles – images en mouvement sonores et mue�es (séquences et plans en boucle), et images fixes (photographies encadrées sous verre). Mon projet peut être formulé ainsi : que puis-je produire en confrontant les pra�ques ar�s�ques, quel inconnu peut surgir de telles rencontres entre le cinéma et les autres arts ? J’emploie l’expression devenir film de l’œuvre prétexte... Ce qui m’intéresse, c’est cela : comment passer d’un univers dans un autre, d’un univers plas�que ou li�éraire dans un univers filmique (puis plas�que à par�r de ce dernier) tout à fait original dans sa forme même, de ce fait autonome, ayant sa nécessité propre, mais lié à l’univers qui l’inspire par des résonances mul�ples. Entre la ma�ère visuelle et sonore du film, et l’œuvre prétexte, il s’agit pour moi de créer un espace transversal où les univers respec�fs vont pouvoir entrer en rela�on - un espace autre, une hétérotopie, disait Michel Foucault. Lorsqu’en 1987 et 1988, j’ai réalisé une série de trois courtes fic�ons d’après l’oeuvre plas�que et li�éraire de Pierre Klossowski, les arts visuels et la li�érature m’apparaissaient comme des sujets de premier intérêt pour éprouver mon sens du cinéma. En effet, en tant que réalité mentale figurée, les oeuvres de Klossowski laissaient entrevoir des possibilités insoupçonnées d’u�liser les facultés propres du médium cinématographique. Ce�e approche des choses soulève, une fois de plus, le problème de ce qu’on appelle le sujet, le problème du statut du sujet dans la créa�on filmique. De ce point de vue, il est clair que mon rapport aux autres arts n’est pas guidé par la mimèsis, au sens d’une pure imita�on. En revanche, mes oeuvres imitent un mouvement de pensée, une disposi�on spirituelle, au sens où Adorno dit : «L’art n’est pas imita�on d’une chose créée mais de l’acte créateur même.» Mon projet de cinéma est un projet de créa�on (ou de recréa�on), et non pas de représenta�on. Mes films ne visent pas à reproduire ou à exposer une réalité qui existerait déjà avant eux ; ils produisent une réalité propre, audio-visuelle. Ils «informent», au sens étymologique de «donner une forme». Et c’est la forme par�culière du


film - sa structure même - qui fait par exemple la réalité présentée sous le �tre Balkan Baroque ou Somewhere in between. Le cinéaste français Jean Epstein disait que la valeur d’un sujet dépend d’abord et surtout des possibilités qu’il offre d’être traité cinématographiquement. Mon rapport au sujet s’apparente à l’»adapta�on», dans le sens d’un transfert d’énergie d’un disposi�f vers un autre. L’adapta�on permet d’instaurer une distance, un écart, de produire un lieu de tension et de différence avec la réalité prétexte. Pour ce faire, il faut que l’ar�ste qui par�cipe au processus de créa�on filmique accepte de se dessaisir de son oeuvre pour que je puisse m’en emparer et la fasse exister autrement. La transforma�on, le devenir de l’œuvre prétexte, la métamorphose de certaines réalités, le jeu à la fron�ère (des disciplines aussi bien que des codes ar�s�ques), c’est cela qui définit mon cinéma et mes installa�ons. Le cinéma crée de la réalité avec des formes. Me�re l’accent sur la forme, c’est affirmer le cinéma comme produc�on imaginaire, comme vision. Ce cinéma des simulacres que je tente de faire se situe à l’opposé d’une approche représenta�ve, documentaire, basée sur l’illusion d’une image neutre, transparente. Mes films ne «documentent» le spectateur que sur mes propres visions. J’ajoute que ce cinéma se fait dans une indifférence souveraine aux genres codifiés, comme à tout ce qui veut compar�menter la créa�on. Il est pour moi «poli�que», dans le sens où il opère la cri�que des formes et des langages établis. Son «formalisme» est alors un instrument de résistance aux formes discursives dominantes – à la «langue majeure» du cinéma, et à la mise en ordre que celle-ci contribue à installer. Pra�quement, mon cinéma procède d’une volonté de transversalité qui déplace les fron�ères des arts impliqués dans mon processus de créa�on, «déterritorialise» chacun d’entre eux – mais aussi dissout les genres du cinéma : cinéma de fic�on et cinéma expérimental. Ce�e démarche, loin de conforter un monde figé, clos sur lui-même, où tout porte sens, «plein jour de la vérité» - monde auquel les histoires proposées par le cinéma de l’industrie culturelle voudraient nous faire croire -, sou�ent au contraire que le monde est une énigme, et que l’ar�ste cinéaste ne peut avoir d’autre projet que de faire des œuvres qui l’a�estent. Ce faisant, il invente des mondes sensibles.


GREENHOUSE

Entrepôt Bellevue / 11 rue de l’Egalerie 42000 Saint-E�enne 04 77 81 26 61

PHILIPPE EYDIEU MERCI LA NUIT par Mar�al Déflacieux, Décembre 2009.

Une charge poé�que évidente nous saisit à la rencontre de ce�e masse informe composée de noir où ne subsiste qu’un simple point lumineux étrangement mouvant. Merci la nuit est une installa�on où l’expérience individuelle est prégnante. Le spectateur se rend, s’abandonne, seul dans une obscurité totale. Puis, le processus ré�nien permet une adapta�on lente et progressive. Entre ivresse et angoisse, une sensa�on proche du black-out nous envahit. Pe�t à pe�t la scène se dévoile. A travers une immense pièce vide parsemée de colonnades, un zeppelin miniature semble suivre la trajectoire erra�que de ses pensées. En forme de fade in1, l’œuvre se découvre à l’épreuve d’une durée, celle qui commence dans la nuit pour finir entre chien et loups. Ce�e œuvre de Philippe Eydieu est tout à la fois anxiogène et merveilleuse. En fait, Merci la nuit s’adapte à nos émo�ons, elle nous reflète par quelque chose qui n’est pas de l’ordre du dédoublement (miroir) mais qui serait plutôt proche de l’absorp�on. L’œuvre nous plonge dans une sorte d’introspec�on fur�ve, qui ne dure que le temps du retour à une rela�ve clarté. Si Philippe Eydieu rend hommage en son �tre à ce�e « nuit », c’est sans aucun doute parce qu’elle permet une « expérience intérieure 2 ». Ce�e expérience dont Georges Bataille disait qu’elle consistait à « jouer l’homme ivre, �tubant, qui, de fil en aiguille, prend sa bougie pour lui-même, la souffle, et criant de peur, à la fin, se prend pour la nuit ». Par l’infime lumière circulant autour de nous, Philippe Eydieu nous place à la limite de ce�e frayeur où le sujet se confond avec l’objet de sa peur et fait de ce moment une « expérience tendue entre perte et extase, ténèbres et luminosité3 ».

Notes : 1 Fade in ou fondu d’ouverture, u�lisé en musique, il consiste à passer progressivement du silence au son. 2 L’expérience intérieure de Georges Bataille (1943). 3 In Survivance des lucioles de Georges Didi-Huberman (les édi�ons de Minuit, 2009, pages 126), à propos de Sur Nietzche (1944) de Georges Bataille.


Merci la nuit, dirigeable miniature, moteurs, capteur de proximité, système électronique programmé, ampoule, diodes, divers matériaux, 2009. Système électronique et programma�on réalisés par Fabrice Gallis.


DAZIBAO

(fac similés)

Edito Dazibao #0 - Juin 2008. Deux associa�ons clermontoises, In extenso et A.LF./13bis, ont décidé de conjuguer un regard, l’une sur l’autre, et l’une avec l’autre, dans le but de recouper une informa�on liée à leurs exposi�ons passées et à venir, et d’appuyer une visibilité commune. Ce�e volonté partagée prendra la forme d’une pe�te revue indisciplinée ponctuée d’ar�cles, d’images, d’invita�ons, et d’un calendrier commun, desservant également les différents lieux d’art contemporains régionaux et limitrophes.



























PORTFOLIOS


CĂŠline Ahond Emmanuelle Castellan Eui Suk Cho Jean-Charles Eustache Mathilde Fraysse Marc Geneix Cecile Hesse et GaĂŤl Romier Carole Manaranche Pierre Redon Marion Robin Anne-Marie Rognon Edwige Zarkowski


















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1. Céline Ahond : Entre deux images, 2007-2009. Dimension variable, images extraites de films 8 et super 8 mm. Courtesy de l’ar�ste 2. Emmanuelle Castellan : Page de droite de haut en bas et de droite à gauche : Détraquée, 2008, acrylique sur toile, 180 x 200 cm. Désoeuvrement, installa�on in situ, peinture sur mur creusé et effrité, 200x180 cm, maque�es, carton et débris, la Vigie, Nîmes, 2008.


Détraquée et Réflexion, 2008, peinture sur toile (vue d’exposi�on), maque�es, acrylique sur carton 2008, BBB, centre régional pour la créa�on contemporaine, Toulouse. Documents de travail - reflet (photographie E. Castellan) ; cabane noire (capture internet). Réflexions 2009, peintures sur toile. Page de gauche : et le pire est arrivé, encre sur papier, 150x110 cm, recouvert par une peinture murale, 190x228 cm. Interface, Dijon, 2009. 3. Eui Suk Cho Promenade de cheval dans la cour de la Maison d’arrêt de Clermont-Ferrand, performance, 2008. 4. Jean-Charles Eustache Luxury, peinture acrylique sur toile, 27x19, 2009. Collec�on privée. When we whisper together, peinture acrylique sur toile, 27 x 19 cm. 2009. Court. Galerie Benoît Lecarpen�er 5. Mathilde Fraysse : Femmes-Chambre, 2009, série en cours. Extrait de 3 diptyques-coffrets rétro-éclairés 25x40 cm, prise de vue argen�que, impression sur diffusant. 6. Marc Geneix : Non blank page, papier froissé, travail in-situ, 2010. 7. Cécile Hesse et Gaël Romier Les soupeuses - Duchesse Vanille, 2008 Dim. 110 x 165 cm 8. Carole Manaranche : Sans �tre, matelas, résine, peinture, 170x90x44 cm, 2009. 9. Pierre Redon : Carte servant à réaliser la Marche Sonore “Ves�ges ou les Fondement d’une cyberécologie”, 594 x 420 mm, 2009. 10. Marion Robin : Sans �tre, photographie couleur, �rage numérique contrecollé, 95 x 75 cm, travail réalisé dans le cadre d’une résidence d’ar�ste à Monflanquin, avec l’associa�on Pollen, 2009. Sans �tre, photographie couleur, �rage numérique, 120 x 80 cm flaque d’eau construite d’un point de vue pour le reflet, photographie réalisée lors d’une résidence d’ar�ste, au centre Est Nord Est au Québec, 2008. 11. Anne-Marie Rognon : Le «i» manquant, gouache sur papier, 25 x 35 cm, 2009 12. Edwige Ziarkowski Page de gauche, de haut en bas et de gauche à droite : Il neige, encre et acrylique sur photo sous la mer 14,9 X 10,2 cm, 2009. Quand la mer monte, encre et stylo sur papier 17 x 24 cm, 2003. Il neige, acrylique et crayon sur papier 20,7 x 14,2 cm, 2009. Accords conforma�cs, stylo sur papier 14,3 x 12 cm, 2006. Page de droite de haut en bas : Il neige, collages, encre, stylo, crayon sur papier 20 x 13 cm, 2009. Youyou, gommettes et crayon sur papier 18 x 14 cm, 2006. Rosa ( détail ), cartes à jouer dimensions variables, 2006. Il neige, encre et acrylique sur photo sous la mer 14,9 x 10,2 cm, 2009.


FOCUS


CELINE AHOND

1979, vit et travaille entre Paris et Clermont-Ferrand

ENTRETIEN AVEC CÉLINE AHOND par Isabelle Le Normand, octobre 2009. Ton oeuvre s’inscrit généralement dans un contexte par�culier, comme un lieu de résidence ou dans un espace urbain. Quelle est la part d’influence du contexte sur ton travail ? Il est important pour moi qu’une œuvre possède son propre contexte, c’est ce qui lui procure son autonomie. Ceci n’est pas en contradic�on avec les liens qu’elle génère dans les contextes qui l’accueillent. Ce travail ne se fixe jamais et existe dans le mouvement qu’il suscite. Créer dans un lieu, c’est le faire vivre et accepter une invita�on c’est l’ouvrir ; l’ouvrir dans le sens d’une rencontre. Une œuvre d’art existe parce qu’elle traverse les lieux qui l’accueillent. Ce�e traversée la nourrit et la charge d’une histoire à raconter. Ce processus de créa�on et de diffusion t’oblige à être constamment en mouvement. Oui et ça me place dans un processus proche de ce qu’on appelle la performance. C’est pourquoi j’ai souvent u�lisé de façon presque illustra�ve des pa�ns à roule�es, des bateaux en papier, des pe�tes voitures. La table de camping est apparue en 2005 et elle représente l’idée d’atelier porta�f et pliable, donc en mouvement. C’est l’espace où je pose, déplace et monte ce qui sera dit dans les performances. C’est un carré de couleur qui fait écran. Actuellement, je réfléchis de plus en plus à comment un objet peut générer du performan�el, de la narra�on et de la rencontre. De quels ar�stes te sens-tu proches ? Les démarches de Francis Alÿs, Andre Cadere et plus récemment Jordi Colomer sont de vrais repères pour moi car elles incarnent des œuvres qui existent dans la marche et dans le corps qui porte un objet qui n’est pas à proprement parler l’œuvre d’art. Le fait de porter et marcher crée le travail. Revenons à l’idée de contexte et de performance. Qu’est-ce qui te mo�ve par�culièrement dans ce type de processus ? Qu’un contexte s’ouvre et soit traversé par une performance permet de voir le faire en train de se faire. Le contexte de la performance est le terrain d’écriture d’un jeu qui donne une mise en scène dissimulée de la vie. Ce�e ambiguïté et ce doute provoqués par la vraisemblance d’une conférence, d’une lecture ou d’un discours aident à voir le faire en train de se faire. Cela renvoie à la liberté


du spectateur qui ne doit jamais être dupe. C’est croire que je suis libre. C’est faire croire que je crois que je suis libre. Ce�e liberté est “le jouer à faire semblant pour de vrai”. La performance permet de m’imiter moi-même. Est-ce que cela fonc�onne dans tous les types de contexte ?

Autour de nous, tout écrit. Ars Longa Paris. Interprète en Langue des Signes Française : Antoine Bonnet, auteur du visuel : Maria Spéra - court. Galerie Ars Longa, 12 juin 2009

Disons que si ce mouvement de rencontre et de transmission si essen�el à mes performances existe c’est parce que le contexte pour faire ces projets est clairement défini dans son histoire et son iden�té : c’est un point d’appui. Les allers et venues entre différents contextes sont garants de richesse. Jeremy Deller importe des pra�ques dites populaires dans les musées et la réciproque peut-être tout aussi riche. Dès lors il peut être le square à côté de l’atelier d’Alberto Giacome�, le Flunch en face de Beaubourg (1), une soirée dans une galerie alterna�ve, l’auditorium d’un musée ou un contexte muséal classique. Ce dernier est pour moi un contexte parmi d’autres avec la spécificité d’être dédié à l’art : majoritairement il reste un cadre ins�tu�onnel au format de diffusion tradi�onnel. Cet aspect ins�tu�onnel ne te gêne pas ?

Cela peut représenter un piège dont je me méfie. C’est la tenta�on de vouloir caricaturer ce contexte en faisant une œuvre tautologique qui veuille dénoncer ce qu’elle entre�ent par ailleurs par la bienséance du diver�ssement et de la complaisance. C’est le risque de produire des œuvres décora�ves closes sur elles-mêmes qui n’offrent aucune ouverture au monde. Tu travailles régulièrement avec des documents. D’où proviennent-ils et comment les u�lises-tu ?

Les documents sont les images que je fais et récolte quo�diennement : c’est mon rapport à la réalité. Ces images sont une surface découpée d’un temps arrêté dans le flux de la vie. Elles sont les images du sen�ment de surprise, elles naissent de situa�ons très concrètes de la vie quo�dienne mais ina�endues : de ce�e surprise je bascule dans quelque chose qui me dépasse, non pas dans un rapport de force entre une supériorité et une infériorité mais dans la richesse d’une différence qui va générer du mouvement et une véritable rencontre de culture. Qu’est-ce qui mo�ve ton choix dans ce�e récolte de documents ? Ces rencontres se font de façon empirique : elles sont des coups de hasard qui posent une marque, un repère pour le futur. Ce sen�ment vis –à- vis du document, de la référence, d’une photo me permet depuis toujours d’avancer sans savoir où je vais, pour découvrir ce que je ne sais pas encore. C’est un moteur de construc�on qui, à par�r de cer�tudes non formulées et ins�nc�ves,


m’aide à faire des choix et à tracer le sens d’un chemin. Si je fais ces images c’est en général car je recents le sen�ment d’admira�on et son excès qui me perme�ent de rencontrer dans la fascina�on quelque chose que je ne connais pas et ne comprends pas mais qui me permet de dessiner des trajectoires et un territoire que je peux arpenter. Comment classes-tu les documents récoltés ? Je dépose ces documents sans classement théma�que mais par date dans des disques durs qui se remplissent ou dans des boîtes en cartons qui s’empilent. Ces images deviennent alors des notes éparpillées et une sorte de désordre. Je ne veux pas cons�tuer une collec�on ou une archive : je veux garder l’idée de perte essen�elle dans ma recherche. Je ne veux pas les enfermer dans un système de rangement car cela ferait disparaître la surprise si importante dont elles viennent et leur histoire qui en découle. C’est le mouvement, très inconfortable, pour retrouver les images perdues qui annonce la transmission de mon propos ar�s�que. De quelle manière ces documents refont-ils ensuite surface dans ton travail ? Ces images que j’appelle ici documents sont la récolte d’un voyage et d’un déplacement : elles marquent des passages et sont la mémoire balisée de tout ce qui a disparu et d’une perte inévitable. Ce lien très fort à la réalité, qui se trouve dans ces images, me permet de faire des trous dans les murs et des ouvertures quand je les proje�e à l’occasion de performance. C’est là l’ouverture du contexte dans lequel je suis invitée à travailler. Quand une performance s’annonce je prends cet ensemble d’images je le secoue, le mélange, le je�e en l’air pour voir comment il va retomber. Puis à par�r de ce tas je retrace et reconstruis le chemin d’une pensée. Ce�e pensée serait donc échafaudée plus par associa�on d’images que par des éléments ra�onnels ? Je crois que c’est vraiment avec les images que j’arrive à penser, à ordonner le désordre pour construire du sens, une posi�on, une ques�on à laquelle ce ré-ordonnement va peut-être répondre. Il y a donc encore ce�e part ins�nc�ve qui entre en jeu pour la forma�on d’une connaissance par le montage et l’ac�vité de culture dans la transmission au sein de mon travail. À chaque nouvelle performance, je relance mes images : je ne construis pas sur une ancienne performance, mais sur le souvenir ou les traces de ce�e performance. Faire de la performance, c’est amorcer un ordre pour mieux le subver�r, c’est ranger pour mieux déclasser. Te sens-tu proche d’ar�stes comme Pierre Leguillon, je pense notamment à ses diaporamas ? Absolument et c’est aussi pourquoi je m’intéresse par�culièrement à Hans-Peter Feldmann, à la documenta�on de Céline Duval, à l’atlas de Richter, le livre Sichtbarebare Welt (Monde percep�ble) de Fischli et Weiss, das Dingbat d’Olivier Nourisson et Constan�n Alexandrakis, à l’album d’Hannah Hoch... Ces ar�stes s’inscrivent dans un rapport à l’image directement hérité d’Aby Warburg. Quelle est la place du son dans ton travail ? Mes performances sont des contextes en mouvement dans lesquels des images sont projetées. Le son de ces images ne peut être qu’une voix en direct : une langue parlée. La voix me permet le mouvement d’une parole qui interroge. Parler devant est avec ces images c’est faire le lien entre les images. Le son de la voix est comme une sinusoïde qui avance le long du chemin d’images. Les


images deviennent les branches auxquelles la voix peut se ra�raper, si bien qu’aucun texte n’est écrit, ni appris par cœur, ni récité. La voix permet de retrouver une surprise et de l’imprévu : des lapsus, des bégaiements, des répé��ons. La voix devient un funambule qui avance d’image en image. Tu u�lises vraiment ta voix de manière assez par�culière. Le langage dans sa défini�on est la fonc�on d’expression de la pensée et de communica�on mise en œuvre par la parole ou par l’écriture. J’aimerai que les sensa�ons produites par la voix soient ce lien à l’écriture : j’aimerai que la parole soit écriture dans le langage de la performance. L’inflexion et l’inclina�on que prend le ton de la voix, la dic�on, le rythme, la sonorité des mots sont autant d’ou�ls qui manipulent la grammaire en coupant des phrases ou en inventant des mots. C’est un travail proche du théâtre finalement ? Pas vraiment car je ne cherche pas à maîtriser ces ou�ls comme pourrait le faire un comédien, ou à u�liser ces sons en tant que forme comme en poésie sonore. Ce qui m’intéresse c’est que le son devienne image et inversement. C’est pourquoi la dernière performance programmée par Judith Lavagna chez Ars Longa était interprétée en Langue des Signes Française. Alors se pose le problème de la traduc�on si j’avais à faire une performance dans un pays dont je ne connais pas la langue. Le langage est parfois la source d’un travail à venir. Je pense notamment au livre Vernissage. Le langage représente aussi tout ce qui peut se raconte autour d’une œuvre ; les rencontres qu’elle génère. Je le dis souvent “L’art pour moi ce n’est pas la vie, mais ce qui m’intéresse dans l’art c’est ce qui est vivant.” Parfois je me demande si la légi�mité de l’œuvre ne se trouve pas déplacée dans ces paroles échangées. C’est ce que j’ai expérimenté directement avec FrançoisThibaut Pencenat dans la rencontre avec un vigile de musée dont découle ce livre Vernissage. La collabora�on avec François-Thibaut Pencenat a con�nué. Comment s’est déroulée la créa�on de la maison CéFêT ? La maison CéFêT co-créée en octobre 2008 avec François-Thibaut Pencenat con�ent aussi ce�e dimension. Ce�e œuvre existe parce qu’elle est racontée en tant que sculpture, que librairie ambulante, que pe�t théâtre pour parole contenues dans un livre, que musée pour œuvre ayant le forme d’un livre, que siège social de l’associa�on CéFêT, que accessoire de performance, que livre géant qui se déploie en boite, que pe�te maison jaune sur deux tréteaux.

La maison CéFêT est une sculpture qui se plie et se déplie, elle se déplace et voyage. C’est une maison d’édi�on i�nérante. Les habitants de CéFêT-édi�ons sont les livres, les mul�ples, les DVD : les édi�ons d’ar�stes. La maison matérialise la rencontre plas�que de Céline Ahond et François-Thibaut Pencenat entre sculpture et performance. C’est un objet qui interroge par une ac�on vivante l’existence des édi�ons d’ar�stes. CéFêT


Ce qui nous amène à la ques�on du livre. Quel est ton rapport avec ce média ? Au-delà de ce désir paradoxal a exposer les performances, je pense que le livre est une forme qui permet le montage et l’écriture. En ce sens le livre est l’objet qui se rapproche le plus des gestes de la performance. Le livre est aussi ce qui nous reste quand tout est passé. À ce �tre certains catalogues d’exposi�on relèguent au rang de performance les exposi�ons qu’ils relatent : il s’agit là juste d’un changement d’échelle de temps, si une performance dure 1h, le mois d’exposi�on est tout aussi éphémère. Tu as régulièrement travaillé en collabora�on. Est-ce une posi�on que tu recherches ? Je développe depuis 2001 des projets dans la formidable concentra�on d’énergie et les responsabilités au degré d’engagement incroyable qu’engendrent les échanges. Les collabora�ons sont des moments d’alchimie humaine rares et précieux : des priorités auxquelles j’aime consacrer du temps. Pourrais- tu nous parler de cet atelier auquel tu as par�cipé à Strasbourg ? Je m’étais transformée en fausse intervieweuse habillée en pied-de-poule pour générer du lien entre tous les par�cipants à l’atelier “Qu’est-ce-qu’on fabrique ensemble” de Marie de Brugerolle au sein des arts décora�fs de Strasbourg. Mais la véritable et profonde expérience de collabora�on que j’ai vécu demeure dans le contexte de l’enseignement ar�ste de 2003 à 2006 dans le dit “groupe trois” de ce�e même école créé par la rencontre entre Pierre Mercier, Francisco Ruiz de Infante et Eléonore Eliot. Ce cours à ce�e époque était un cours hebdomadaire de 12 heures consécu�ves qui donnait lieu à l’organisa�on de fes�val, d’édi�ons, de présenta�on de travaux d’élèves et de performances. La vie communautaire impensable dans une école avait sa part prévisible de psychodrames, de tensions et de moments durs, mais sur le fond d’une jubila�on qui m’a nourrie et construite par la richesse des échanges humains et intellectuels qui étaient possibles. L’ami�é soudait ce groupe et parfois la divisait. Pour terminer cet entre�en, peux-tu revenir sur une no�on récurrente dans nos conversa�ons, l’admira�on ? Je pense que pour admirer il faut beaucoup d’humilité. Quand on admire, il y a le risque de vouloir s’approprier ou de vouloir dépasser ce qui nous dépasse. Le risque que l’admira�on se retourne contre soi et fasse de moi son sujet. Là ce n’est plus de l’admira�on mais l’aliéna�on de la groupie et les dangers du fana�sme. Être “fan” rend aveugle et intolérant. Pour admirer librement il faut avoir la force de garder une juste distance : je pense que c’est la distance du respect. C’est ce�e distance qui permet de garder une fidélité et une cohérence envers les choses admirées. Admirer pour moi c’est m’impliquer dans ce�e empathie qui me dépasse et “m’explose” puis m’en sor�r pour expliquer et apprendre à connaître ce que j’admire. C’est me tenir en équilibre sur la bascule entre l’art et la vie. Propos recuellis par Isabelle Le Normand, commissaire d’expositon et reponsable arts visuels de Mains d’Œuvres, lieu pluridisciplinaire à Saint-Ouen. Notes : 1 Permanence cafeteria est un projet inventé, pensé et réalisé le 11 juillet 2007 avec Cécile Bicler et Julie Vayssière et qui a consisté à considérer l’espace du Flunch comme une galerie temporaire d’art.


EMMANUELLE CASTELLAN 1976, vit et travaille à Toulouse

FIGURES IN A LANDSCAPE par Béatrice Méline “Figures in a Landscape” (silhoue�e dans un paysage) est un nom commun dans la peinture, mais c’est aussi le �tre d’un film de 1969. Voici ce que Joseph Losey, le réalisateur, déclare à propos de ce surprenant projet : « Ce qui m’intéressait le plus dans le matériel de base de ce film, c’était son �tre. On peut considérer ce film comme un film d’ac�on, une sorte de western, mais j’ai voulu examiner d’autres choses (...). L’idée de base, c’est deux fourmis dans un monde immense, inconnu (…)”. Ces hommes fuient comme dans une sorte de cauchemar, ils ne vont nulle part, on a l’impression qu’ils reviennent tout le temps à leur point de départ. Ils ne font pas de progrès dans leur voyage physique mais dans leur voyage intérieur, dans leur rapport l’un à l’autre. » Si ce film con�ent les ressorts minimums d’un film de genre, son montage et la construc�on de ses plans relèvent eux, d’un travail ver�gineux : travellings, plans serrés et vues d’hélicoptère poursuivent deux silhoue�es dans leur étrange évasion ver�cale les mains a�achées dans le dos. À plus d’un �tre, le travail d’Emmanuelle Castellan me parait proche de ce film, dans son oscillement entre figura�on et abstrac�on, dans son expérience physique du geste et des espaces dans lesquels il s’inscrit, et enfin dans la recherche in�me qui s’y joue sur la mémoire ou, plus justement, l’oubli.” Accessoirement, la ressemblance est frappante entre les pans abrupts des montagnes du film et l’installa�on in�tulée “Black Maria” d’Emmanuelle Castellan à l’ESACC, où des plaques en tension entre sol et plafond supportent une peinture qui les déborde. À sa façon, ce texte tente lui aussi de ménager un espace pour des hors champ, des appari�ons, sur le mode du hallo, de la transpira�on.

........................................ En 1891, Thomas Edison invente le Kinetograph qu’il perfectionna bientôt sous le nom de Kinetoscope. On pouvait y voir des images animées en se penchant sur un oculaire comme pour les boîtes stéréoscopiques. Pas de projection alors. Pour nourrir cette invention, Edison construit en 1893 “la Black Maria”, le premier studio de tournage : un “immeuble photographique rotatif “. Un espace biscornu, hybride en bois couvert de papier goudronné dont le toit s’ouvre permettant l’usage permanent de la lumière solaire grâce à son pivot.

........................................ “J’étais enfant quand mon papa m’a expliqué que le chaud et le froid sont une seule et même chose. On sent au dos du frigo la chaleur qu’on a retirée à l’intérieur. Le froid est de la chaleur ôtée. Au total, c’est toujours kif-kif. J’étais très �ier de savoir ça. Je ne l’ai jamais oublié.” Walter Swennen, extrait d’un entretien avec Hans Theys.


Black Maria, installa�on, peinture, encre, bombe aérosol, plaques de placoplâtre, chaînes, vue d’ensemble et détail, ESACC, Clermont-Ferrand), 2008.

À propos d’une autre exposi�on d’Emmanuelle Castellan — “Il arrive de préférer le désert” à Lyon ce�e fois pour la galerie Françoise Besson — Gwilherm Perthuis, relève assez justement que “l’ensemble de la produc�on d’Emmanuelle Castellan est une remise en cause permanente de l’autonomie de la toile tendue sur le chassis, une contesta�on de l’étanchéité du tableau qui s’inscrirait dans une suite linéaire de produc�ons, et plutôt un développement ramifié d’images qui débordent du cadre, qui se répandent ou s’étalent sur les cimaises, pour se reconstruire sans cesse différemment dans d’autres espaces à par�r d’un fond commun.” Emmanuelle Castellan développe en effet ses expériences “sur” plusieurs supports et parfois même derrière eux. Ce�e porosité est aussi valable dans le traitement que l’ar�ste applique à ses sujets : à plusieurs reprises peints, voilés, effacés, puis repeints. Pourtant loin d’un repen�r, son geste à chaque fois plus automa�que, installe une

........................................ “Léonard de Vinci est l’inventeur de l’image délibérément brouillée, de la forme indécise, du sfumato, ainsi écrit Gombrich “les surfaces indistinctes joueront le rôle d’un écran, à condition que certains traits caractéristqiues se détachent avec une force suf�isante” [E.H. Gombrich, “L’Art et l’Illusion”, Paris, Gallimard, 1995, p. 257]. (...). . Cependant, les constructions savantes et poétiques des artistes de la renaissance ont été instrumentalisées, ossi�iées, considérablement réduites par l’âge technique au sens moderne. Effectivement, nos écrans-télé constituent des surfaces vides sur lesquelles s’inscrivent quelques traits élémentaires (...). Mais ici, le dispositif formel est quelques peu modi�ié par


distance avec le mo�f représenté, qui dys-paraît. Si le rendu de ce processus entre appari�on et dispari�on est souvent fantôma�que, nous sommes pourtant loin des “brumes du nord” de la peinture roman�que : ici, pas de château en ruine, pas de chutes d’eau, mais des impression de voyage de nuit, une Formule 1 démembrée, une maison survivante entre deux immeubles, quelques bribes de forêts, des vues d’intérieurs, des chambres photographiques. Un corpus de mo�fs hétéroclites pour lesquels Emmanuelle Castellan revendique un choix subjec�f. Si certaines images sont récurrentes, elles semblent se développer à différents degrès, comme dans des bains photographiques — il y a des peintures ultraviole�es et des effets de solarisa�on, des séries d’ “écrans” et des phénomènes de projec�on ou d’érosion sur les murs. Insola�on Emmanuelle Castellan pra�que la photographie comme une prise de notes. Elle fait des relevés d’architectures, de points de vues renversées, de reflets, d’intérieurs ou de vitrine... mais ses réelles affinités avec la photographie vont vers les photogrammes de Pierre Sava�er, de Man Ray ou aux expériences d’Hollis Frampton sur le médium même. Comme dans sa peinture, on retrouve un rapport singulier à l’organicité : une prise directe avec un matériaux et des propriétés physiques données, déjà là. La dichotomie tradi�onnelle figure / abstrac�on ne semble pas opérante au regard du mixage que pra�que Emmanuelle Castellan de codes venus aussi bien de la peinture que de la photographie ou du cinéma. On peut aussi plus surement l’envisager à travers les recherches sur l’archive et la mémoire de l’écrivain W. G. Sebald qui écrit, dans “De la destruc�on comme élément de l’histoire naturelle” (trad. Patrick Charbonneau, Paris, actes sud, 2004) : “Si l’on peut se défaire de l’illusion d’une universalité, d’une vérité totale et défini�ve… on ne peut congédier la vérité, ni même la mépriser, on ne doit jamais la dévoyer et l’espace est étroit entre ces deux pôles.” Muriel Pic, qui lui consacre un livre et un ar�cle dans la revue Atopia N°5, note qu’ ”À l’instar de l’insecte nocturne, l’image de notre mémoire est toujours à la fois ce qui papillonne, rapide présent impossible à saisir, et image ralen�e, nimbée d’une rémanence irréelle. Son appari�on est propice à nous faire ressen�r le souffle du temps, l’aura, ce phénomène fac�ce qui produit du

rapport au quatroccento : à l’image indécise, brouillée, autorisant un «écran vide» sur lequel l’imaginaire du sujet contemplant va se projeter et remplir le cadre (peinture), s’est substituée une image hautment dé�inie, une surface vide déclenchant une captation de l’imaginaire du spectateur par des impacts visuels qui désubstantialisent le regard (média).“ Extrait de “La traversée du visible”, Alain Mons, 2002 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . Rémancence : (Physique) Persistance de l’aimantation dans un barreau d’acier qui a été soumis à l’action d’un champ magnétique. | (Physique) Temps mis par un point de l’écran (pixel) pour passer de l’état allumé à l’état totalement éteint (et nversement, mais c’est surtout dans le premier sens qu’on s’en rend compte). Une rémanence trop importante (>40 ms) est gênante pour l’oeil. On parle aussi de temps de réponse. | (Psychologie) Propriété d’une sensation, notamment visuelle, de persister après la disparition du stimulus.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . “Si votre monture de lunettes est presque incassable aujourd’hui, elle le doit peut-être aux matériaux à mémoire de forme. Les alliages à mémoire de forme (AMF) sont des alliages possédant plusieurs propriétés inédites parmi les matériaux métalliques : la capacité de “garder en mémoire” une forme initiale et d’y retourner même après une déformation, la possibilité d’alterner entre deux formes préalablement mémorisées lorsque sa température varie autour d’une température critique, et un comportement superélastique permettant des allongements sans déformation permanente supérieurs à ceux des autres métaux.” Extrait du site de l’Onera - “The French Aerospace Lab”.


Sans �tre, encre surpapier, 160 x 150 cm, sur peinture murale, 252 x 192 cm (détail), Interface, Dijon, 2009.

pathos, révèle une atmosphère : mais il ne s’agit pas là d’une quelconque croyance ésotérique mais bien d’un phénomène de nature, histoire et histoire naturelle se télescopant dans la concep�on de la mémoire chez Sebald (...). En ce lieu, l’archive n’est plus épinglée par les discours de l’histoire, comme ailleurs le sont les papillons par les entomologistes : elle est ce�e trace vivante voletant à l’intérieur de nos têtes et nous conduisant à pas perdus vers une expérience du temps où le passé n’est pas immobile souvenir mais image en perpétuelle métamorphose selon le regard qui, en un instant, en un éclair, la saisit.” Ce�e ques�on du souvenir se manifeste dans le mode opératoire d’Emmanuelle Castellan, et dans les images elles-mêmes : dans l’engourdissement d’une peinture entre chien et loup ; dans le montage fragile d’une encre sur papier, fixée à même un mur aux couleurs détrempés; ou encore dans ses brouillards de par�cules de peinture bombée. Si la mémoire entre en jeu dans le travail d’Emmanuelle Castellan c’est dans son lien à l’imaginaire plus qu’au document : sa peinture est faite d’écarts et de moments fur�fs, de déserts hantés, d’érup�ons abstraites.

.......................... .............. “ Je vous dois la vérité en peinture, et je vous la dirai. Cette phrase a été écrite le 23 octobre 1905 par Cézanne dans une lettre à Emile Bernard. Quelle vérité? La tâche du peintre est de “réaliser” cette partie de la nature qui tombe sous ses yeux. Réaliser, pour un peintre, c’est donner une image (en faire don, une sorte de legs). Pour cela, le peintre doit d’abord oublier ce qu’il a vu. C’est le premier retrait : celui de l’objet vu, sans lequel l’artiste ne pourrait pas donner sa personnalité. Chez Cézanne, les sensations colorantes sont causes d’abstraction. Ce sont des abstractions qui viennent sur la toile et ne la couvrent pas complètement. L’image est incomplète. Les points de contact sont ténus, délicats. Toute la toile n’est pas couverte. Il reste des blancs. C’est le second retrait, celui de l’image sur la toile. Elle laisse place au vide.” Extrait de “Conversations avec Cézanne” Emile Bernard , sous la direction de P. Michael Doran, ed. Macula, 1986.


Fondu enchaîné et Sans fond (vue d’atelier), acrylique sur toile, respec�vement 220x210 cm et 220x240 cm, résidence Chamalot, Corrèze, 2009.

La nuit tombée, peinture murale, 238x318cm. Interface, Dijon, 2009.

Duodenum digitorum Lors du récent colloque organisé par l’école des beaux-arts de Toulouse, la philosophe Antonia Birnbaum évoquait, entre Willem De Kooning et Philip Guston, deux dimensions du geste en peinture : un geste cen�fuge — tourné vers l’extérieur, s’éloignant du mo�f dans une libéra�on du corps — et un geste centripète — reconcentré et plus silencieux. Ces deux dimensions cohabitent chez Emmanuelle Castellan mais, plus près de Philip Guston, on trouve chez elle la revendica�on d’une subjec�vité, d’une présence singulière à la peinture et aux espaces. “Une alliance paradoxale de précision et d’indétermina�on” comme l’écrit Robert Musil dans “L’homme sans qualité” (trome 1, éd. Seuil, 1956, p311).

. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . “À la plus parfaite reproduction il manque toujours quelque chose : l’ici et le maintenant de l’oeuvre d’art — l’unicité de sa présence au lieu où elle se trouve.” Walter Benjamin, “L’oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique” (1936).

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EUI SUK CHO

1969, vit et travaille à Clermont-Ferrand

UNE ARCHÉOLOGIE DU TÉNU par Sophie Biass-Fabiani, 2007. Dans le compte-rendu de son voyage à New York en 2005, où elle a découvert la ville à travers le regard de David Hammons, Eui-Suk Cho évoque la nécessité de raconter ses histoires et de poursuivre un cheminement avec discré�on et ténacité. Son travail témoigne simultanément d’une présence extrêmement forte et d’une énigme jamais résolue. Le regardeur est dérouté, mais il est cap�vé par une sorte de secret. Eui-Suk Cho semble étonnée d’être un humain parmi les Plan de New York, 2005, vue d'atelier Clermont-Ferrand. humains, elle sait que, comme les autres humains, elle n’a pas de pouvoir de décision sur le cours du monde, mais elle poursuit sa route avec une mystérieuse assurance, qui est comme une trace d’une vie antérieure à jamais inaccessible. L’ar�ste associe, comme en se jouant, la présence et l’absence. Dans la galerie Arkos à Clermont-Ferrand qu’elle a inves�e pour son exposi�on Au jour le jour, en 2004, l’espace est saturé de sa présence. Le parcours est cons�tué par des intensités lumineuses mul�ples, que renforce le recours à des pra�ques ar�s�ques très différentes : peinture, sculpture, ready-made, vidéo, installa�on. Elle fait preuve d’une sorte d’appé�t féroce qui traduit une furieuse envie de vivre et de créer. Le disposi�f d’ensemble laisse cependant de nombreux blancs, des marges vides, comme si l’ar�ste s’était re�rée sur la pointe des pieds et nous avait laissé méditer sur son propre mystère. Dans le volume le plus ingrat, elle a installé au mur, en réu�lisant les clous restés au mur de l’exposi�on précédente, des tableaux blancs de polystyrène, octroyant ainsi une seconde vie à des emballages de viande de supermarché. Le vide ressen� par la blancheur de cet espace était contrecarré par un dessin géométrique dessiné au crayon gris au sol. On peut aussi y voir une manière sub�le de se faire désirer. Des jupes sont laissées à terre, comme si la personne s’était déshabillée avec précipita�on. Ce disposi�f reprend son interven�on à Mulhouse, en 2004, où elle avait inves� l’espace qui lui était impar� par une veste et un pantalon qu’elle recousait le premier jour, avant s’effacer ensuite pour laisser seulement une veste orange avec des boutons de


Boule de cheveux - cheveux. Galerie B27, Offenau, Allemangne, 2007.

Eui-suk promène son cheval, Galerie de l’art du temps ClermontFerrand, 2006.

couleurs différentes. Une femme disparaît et le mystère s’épaissit. On trouve un prolongement de ce�e tac�que dans les touffes d’herbes stylisées sur le carrelage de la galerie : on ne les perçoit pas d’emblée ; elles laissent un frêle passage pour le spectateur, qui ne sait qu’a posteriori qu’il a empiété sur un disposi�f ar�s�que. Ces touffes d’herbe sont des�nées à nourrir son pe�t cheval qu’elle a promené, à genoux, comme pour un pèlerinage religieux, jusqu’à la cathédrale de Clermont-Ferrand, puis dans de nombreux autres lieux comme le Pont des Arts à Paris ou même à Izmir. C’est de l’enfance, de son innocence et de sa liberté que nous parle Eui-Suk Cho. La vidéo, in�tulée Mon rêve de Pina, allusion à l’admira�on qu’elle porte à la danseuse Pina Bausch (et en général au monde de la performance théâtrale), montre un corps en posi�on fœtale roulé sur lui-même indéfiniment, indice d’une vie antérieure, d’un état archaïque et sans doute d’une autre culture, sa Corée natale. Le corps est présent à travers diverses manifesta�ons : envois de cheveux par la poste -son art est aussi celui de la correspondance-, pe�tes boules de cheveux parsemées dans les niches de l’ancien bureau à la galerie Arkos qui répondent à la vidéo où l’ar�ste roule en boule ; boules et tapis de cheveux dans son exposi�on à Tours ; rognures d’ongles renfermées dans une boîte de cigares. Les cheveux ou les ongles qui poussent à par�r du corps ont un caractère ambivalent. Ils disent la vie en train de se faire, mais ils sont aussi déjà la mort, ce dont l’ar�ste est tout à fait consciente et qu’elle dissimule ou évite avec soin. La pe�te fille est une femme sans âge. Son art témoigne d’une très longue histoire dont l’archéologie ne nous laisse que les traces énigma�ques. Eui-Suk Cho, à par�r de son parcours transculturel, sait la difficulté d’être dans le vrai quand on porte un témoignage. Une des rares réponses qu’elle a obtenues, et qu’elle a par�culièrement appréciée, est celle de David Hammons qui lui a répondu par une boucle de ses propres cheveux, donnant ainsi naissance à une complicité ar�s�que fructueuse. Son art n’est pas documentaire et ne peut pas consen�r au bavardage ou à la redondance qui caractérise selon elle certaines formes d’art contemporain. Le second escalier de la galerie qu’elle révèle au visiteur habitué de la galerie et met en valeur par une porte composée de pe�ts morceaux de bois, en bas des marches, confère au disposi�f une qualité mu�que et annule ainsi l’usage la découverte. De son expérience du théâtre, l’ar�ste a gardé une a�en�on par�culière à la lumière et à la scénographie. Dans l’exposi�on Au jour le jour, il y a une alternance de lieux sombres et éclairés, et le visiteur a parfois de la difficulté à dis�nguer ce que l’ar�ste cache dans un rayon de lumière.


Sans �tre - terre et boites en polystyrène. Galerie B27, Offenau, Allemangne, 2007.

Peau de Fleur - peau, aiguilles, Galerie B27, Offenau, Allemangne, 2007

Pour donner corps à ce�e absence, l’interven�on de Eui-Suk Cho est aussi cons�tuée de performances au caractère ambigu, car la performance ne s’annonce jamais comme telle. Ce n’est pas l’ar�ste qui promène son cheval, mais son apparence en pe�te fille qui a�re le passant. Quand elle nous invite à visiter son atelier, elle s’installe dans le coin d’un grand tapis, dans une atmosphère de lumière rouge à raccommoder son pantalon longtemps avant de venir nous rejoindre. L’invité ne sait s’il est autorisé à saluer l’ar�ste et le plus souvent n’ose pas l’interrompre et prendre part à la performance. Quand elle nous envoie ces jours derniers des traces de son journal in�me (2006), ce sont des photographies de son verre de whisky devant une grande toile qui tente de rendre compte du temps qui passe. Quand elle narre son voyage à New York, l’interlocuteur ne sait pas où commence et où s’arrête le geste ar�s�que, dans la performance ou dans la narra�on de la performance. La promenade tranquille qu’elle y réalise avec David Hammons en s’encombrant d’une pousse�e qui remplace le bébé par une lourde pierre dit bien à quel point on ne peut pas totalement s’inscrire dans une légèreté du geste, mais à quel point aussi l’on doit envisager le poids de la vie. L’art de Eui-Suk Cho est un art de l’indécidabilité : plusieurs chemins sont possibles, plusieurs histoires s’enchevêtrent. L’ar�ste intrépide poursuit son accumula�on de traces. À nous de recons�tuer ses restes, tout en sachant que les interpréta�ons, comme en archéologie, sont vouées à rester incomplètes.

Arpenteur de Gergovie (site 1 - mois de juillet et août), herbes �ssées, boule de buisson plateau de Gergovie, 2008.


EUI SUK CHO par Stéphane Doré Quatre tableaux au mur de l’atelier, se répondant au sein d’un même propos bien que tout semble les différencier. Une vidéo d’une femme qui joue à une sorte de marelle. La lumière du ma�n qui baigne l’atelier est franche, elle est le centre de ce�e vidéo, où une jeune légèrement habillée commence par tracer un espace au sol que l’on ne peut dis�nguer. Puis, elle lance un galet et sau�lle en comptant. Ce n’est pas tant le jeu qui se déroule que le rituel du temps qui déroule la vie de l’ar�ste. L’œuvre d’Opalka, dans sa grande rigueur, radicalise la rela�on du temps à la Skin talk, Korean cuturel service, New-York, 2007. vie, et comme un miroir à double face, le Prospectus publicitaires, lampe, tabouret en carton temps de la vie répond à la vie du temps. Temps d’une transparence merveilleuse du rituel de l’ar�ste se photographiant dans une blancheur tendant à la pureté du rien. Le monde d’Eui Suk est différent, il ne s’écarte jamais de sa réalité, il s’y confronte. Le journal in�me, sur lequel s’inscrit trois ans de passages quo�diens à l’atelier, comme un rendez-vous avec ellemême, avec elle et ses humeurs, marque une réalité invisible, comme celle du tracé de la marelle que la lumière du soleil annihile. Il apparaît comme un patchwork de vie, qui se rapproche de ses baluchons mul� couleurs de �ssus portant toute la ..., Vidéoformes, 2007 - Lampe, boule à face�e, cables richesse de ses déplacés descendant dans électriques, tente, structure métallique. des camions déglingués de la vidéo de SooJa Kim. Une longue barre noire, jour de colère dont elle dit avoir compris que sa rage ne produit qu’un épuisement stérile. La toile laissée libre parle de ses absences de l’atelier. La force de son travail �ent dans ce�e capacité de planter sa réalité quo�dienne au creux de son œuvre, tout ins�tuant une mise à distance, non pas celle du monde occidental qui sépare, mais celle qui se complexifie en se banalisant, au cœur même des strates de l’univers. Quoi de plus banal qu’une fille jouant à la marelle ? Mais, en culo�e, dans un espace vide mimant un jeu qu’on ne peut déceler. Marelle symptôme de l’univers où se distancient les des�ns par�culiers. Lumière qui résout tout au dérisoire, au banal. Quoi de plus surfait qu’une toile faite de pe�ts carrés colorés ? Mais tous différents, sur toile espace-temps que nous ne pouvons pas mesurer. Couleurs, ma�ères qui marquent les différences. Toile brute apparente qui rapporte au pas grand-chose. Un rien de poids. Un rien qui supporte le poids de nos existences et révèle nos iden�tés. La si fine �ge qui sou�en l’énorme feuille que re�ent le tapis rouge, ne tombe pas. Elle porte le poids de l’hiver, l’a�ente du printemps. C’est ainsi qu’Eui Suk explique le temps de sa réalisa�on. Les couleurs sont denses, elles plombent le tableau qui sombrerait sans le tapis au sol,


dont la couleur rouge standard porte la complexité de cet équilibre. Apparemment, de style éloigné du journal in�me, ce tableau traduit ce même sens de nos humbles inscrip�ons dans un monde que nous modelons selon ses résistances et nos interpréta�ons. Pour Eui Suk, il semble que nous vivons que dans les fractures du quo�dien qui libèrent le peu sens de nos vies. Son chat dessiné en aveugle, dans un seul instant, celui de son tracé, somptueux d’élégance, porte ses moustaches trop bas, dans le vide. Elles ne tombent pas, elles mesurent la distance entre lui et elle. Dans une autre pièce, Eui Suk avait épinglé, dans une vitrine, des centaines de pe�tes é�que�es retenues par un fil, puis avait coupé tous les fils, laissant les é�que�es tomber au sol et les fils pendre dans le vide. Ce�e distance entre le fil resté a�aché et l’é�que�e au sol, les lies dans un même des�n. L’espace entre le nez et les moustaches, entre le fil et l’é�que�e mesure nos singularités d’existence. Le quatrième tableau in�tulé Sansouhwa est le plus complexe pour l’occidental que je suis, il s’inscrit dans un monde coréen de son enfance, même s’il est né d’un rêve suite à une journée de balade dans les Pyrénées. Quatre filles en plas�que, dont la chevelure est si noire que l’on peut penser à l’entrée de tunnel dans la montagne, lui montre un lac. Une ville occidentale apparaît éclairée au creux d’une fracture de la montagne dessinée comme autant de plis et un avion menaçant pointe son nez dans le haut du tableau. Complexité et déséquilibres �ennent lieu d’un récit incomplet, énigma�que et troublant, vision prémonitoire ou cauchemar, ce tableau se présentent autant comme un rêve personnel qu’une vision poli�que liée aux grands déséquilibres de notre monde, à notre ac�on sur la nature, à notre monde occidental capitaliste, sorte de colosse aux pieds fragiles qui, pourtant arase les iden�tés, amalgame la réalité pour la scotcher dans le présent et en réduire la complexité. Ce tableau s’effraie des morts liées à ces déséquilibres, à la puissance menaçante et si extérieure de cet avion, de ce lac noir, mauvais présage où se perd le message de ces quatre filles en plas�que, de notre société occidentale et de son modelage de la nature.L’ensemble de ses quatre peintures mises deux à deux face à face, faiblement éclairées par de pe�tes lampes comme des sculptures de temple, �ent autant du recueillement que de la contempla�on. Ce�e sensa�on d’un rituel, d’une sorte de règle, rythme notre vie, l’inscrit au cœur de notre quo�dienneté et rappelle notre sujé�on aux forces de l’univers. Jamais d’a�tude ostentatoire, toujours humble entre revendica�on de nos iden�tés, leur inscrip�on dans une quo�dienneté et un univers dont les forces nous rapporte à notre si court temps de passage. Dans l’une de ses premières œuvres, la veste rouge, seul un bouton diffère des autres, marque l’iden�té de la veste et de celui qui la porte. La porte qu’elle fabrique avec mille morceaux de bois différents qui tous alignés par devant, crée un face pleine ; par derrière, ils marquent la mul�tude de leur différence. Rien n’est visible devant, tout se révèle dans la complexité du passage. L’une de ses vidéos, nous montre un paysage, pris du train qu’elle emprunte pour venir à Paris. La vidéo en boucle, reprend uniquement ce passage précis du paysage relevé selon les différentes saisons. Le paysage est banal, une plaine et au loin une route bordée d’arbres qui apparaissent comme des sortes de sen�nelles placées là comme par l’aberra�on du sort. Ils subissent soleil, pluie, brume. Ils sont tous différents, se coiffent de feuilles au printemps, les perdent en autonome… Nous retrouvons les éléments cons�tu�fs de son travail, la délimita�on d’un espace temps en lien avec sa vie, l’invisibilité première d’une réalité par une trop grande banalité, puis l’envers de ce�e réalité qui en dévoile la complexité ; toujours dans la proximité d’un espace-temps précis, de ce�e complexité se dégage un respect des iden�tés et des existences par�culières. Comme elle le dit, trois ar�stes comptent pour elle, Chris�an Boltanski, David Culo�e de ma mère, vidéo, 2004. Skin talk Korean cuturel service New York, 2007 Hammons et Richard Tutle. Elle les a rencontrés.


JEAN-CHARLES EUSTACHE 1969, vit et travaille à Clermont-Ferrand

UNE MANIÈRE D’AILLEURS par Florence Ostende, 2009. Jean-Charles Eustache vit à Clermont-Ferrand mais on le croirait presque américain. On l’imagine volon�ers dessiner les décors d’une série télévisée de banlieue californienne, chercher le sapin de Douglas dans les forêts du Montana, réaliser des plans d’études d’une maison de la prairie à Chicago, écumer les zones résiden�elles du Maine, photographier les architectures créoles de la Nouvelle-Orléans, repérer les drive-in abandonnés de l’Ohio. On l’imagine partout, partout sillonner le cœur de ce pays qui transpire dans sa peinture. Et curieusement, s’il est un voyage qui va compter pour lui, c’est la Guadeloupe en 2006, son pays natal. Ce�e année-là, le mo�f de la maison s’installe. Sa tante l’emmène voir des habitats privés à moi�é construits, squa�és par des ouvriers clandes�ns, « des lieux entre deux temps, des peaux mortes déjà envoutées, des vanités » (1). Les maisons abandonnées de Pointe-à-Pitre ne sont pas si différentes de celles désertées par la crise dans la banlieue de Détroit. À son retour, Eustache peint de mémoire ces maisons au style colonial, déstructure leur assise architecturale, propage les coulures et brouille les couleurs. Dans la série « Avril », il dépouille l’habitat jusqu’à ne laisser que l’empreinte d’une fonda�on, une dalle de béton au sol encastrée dans une végéta�on sauvage. Avant son voyage en Guadeloupe, Eustache avait amorcé le mo�f de l’habita�on en peignant des sites industriels désaffectés mêlés à ses propres souvenirs. Mais c’est dans les maisons de séries télévisées américaines ou de films d’épouvante anglais des années 1970 qu’il trouve son modèle de prédilec�on. Il y capture des archétypes de maisons idéales qui finissent par devenir témoins de violence, voire de meurtre. Lorsqu’il regarde une série ou un film, l’ar�ste suit a�en�vement les mouvements de la caméra, surtout au début quand elle zoome sur la maison de famille et ses habitants à l’image de la façade, solides et immaculés. Les peintures d’Eustache sont souvent des vues d’extérieur, elles optent

All Night I Carpenter. Peinture acrylique sur toile, 50 x 50 cm. 2009.


Heroic reverie. Peinture acrylique sur toile, 19 x 24 cm. 2008. Collec�on prvée.

pour un cadrage frontal et pudique, une étude de cas qui ne franchirait pas la clôture. Ce n’est pas l’ac�on qui re�ent l’ar�ste mais le moment de relâche après l’incident. L’intrigue s’apaise et pourtant, le décor respire encore le conflit. Certaines peintures portent parfois le nom des vic�mes qui ont péri dans les lieux, Sarah, Rex, Dolores, Paul. L’architecture est une émo�on qu’Eustache représente à l’état de latence. Il trouve les maisons rurales des peintres régionalistes américains des années 1930 inquiétantes, sans parler du co�age anglais, le choix de la pale�e de couleurs, la géométrie du jardin, la perfec�on de l’aménagement intérieur, une « précision diabolique » selon lui. À l’occasion de la série réalisée pour son exposi�on au Grand Atelier, Eustache travaille pour la première fois sur de grands formats, à la mesure d’un sujet lui aussi américain, le parc d’a�rac�on ou parc à thème. De la maison en pain d’épices de Santa’s village en Californie au chalet du père Noël du parc Storybook Land dans le New Jersey, Eustache introduit (là aussi pour la première fois) des figures humaines aux visages effacés, libres d’incarner la mélancolie des �tres, empruntés aux poèmes d’Emily Dickinson (« And yet, I was a living Child », « Some ghastly fright come up », « The past is such a curious creature »...). L’ar�ste recherchait le type de maison sur laquelle on tombe quand le protagoniste d’un conte est perdu dans les bois, une architecture dite du réconfort (« architecture of reassurance ») qui renvoie aux stratégies de Disney depuis le milieu des années 1950. Là encore, Eustache parvient à capter la charge affec�ve et symbolique des lieux. Gaston Bachelard considérait la maison, en par�culier la maison natale, comme le lieu de concentra�on


Come Home. Peinture acrylique sur toile, 33 x 41 cm. 2008. Courtesy galerie Claire Gastaud.


Let all things pass away. Peinture acrylique sur toile, 19 x 24 cm. 2008. Courtesy galerie Claire Gastaud.

d’un réseau signifiant d’images, de souvenirs, d’onirisme. Selon lui, la maison est un être ver�cal « de la ra�onalité du toit à l’irra�onalité de la cave » (2). Les maisons d’Eustache sont au contraire des êtres horizontaux, encore imprégnées de la mémoire d’un travelling qui passant lentement de la gauche vers la droite de l’écran fait défiler la bordure de la route, la clôture blanche, le jardin, la véranda, l’évier de la cuisine, le téléphone jusqu’au fauteuil de cuir dans le salon. Des êtres horizontaux qui ne se dressent pas vers le ciel (toujours inachevé dans ses tableaux) mais suivent les yeux rivés à terre la ligne de l’horizon.

Notes : 1. Entre�en avec l’ar�ste, septembre 2009 2. Gaston Bachelard, La poé�que de l’espace, Paris : Presses Universitaires de France, 157, P.35


MATHILDE FRAYSSE 1980, vit et travaille à Tulle

QUAND LA VIE PREND LA PAUSE… par Bertrand Naivin, 2009.

La photographie entre�ent un lien ambigu avec la réalité. Témoignage ou réappropria�on, le concret de notre monde reste l’origine de toute image photographique alors que celleci bouleverse notre rapport aux con�ngences du réel. Tel lieu de vie devient un « cliché » doisnesque, telle guerre s’invite à notre pe�t-déjeuner, telle personnalité devient icône planétaire. De sorte que si l’essence même de cet art relève de ce que Roland Barthes qualifiait de « ça-a-été-là », les images qu’il génère modifient depuis plus d’un siècle notre percep�on d’un « là » qui parce qu’il se modélise dans l’image perd, pour reprendre Benjamin, de son « aura », jusqu’à sembler parfois devenir fic�on. C’est ce�e ambiguïté d’une réalité fic�onnelle qui, depuis 2003, est au cœur du travail de Mathilde Fraysse. Et ce par une mise en suspens d’un quo�dien qui, ainsi, tombe dans l’ar�fice. Ce�e suspension du temps humain est par�culièrement prégnante dans les portraits-villes, série de photos prises lors d’un voyage au Portugal en 2003. Dans ces images, l’absence de mouvement des sujets pris au hasard des rues de Lisbonne provoque le doute. Ces personnes posent-elles ? Une interroga�on qui revient à reme�re en cause la réalité des scènes au profit d’apparentes mises en scènes et nous amène vite à nous demander si ces décors urbains sont réels ou de simples artefacts de studio. Ce qui au départ aurait pu n’être qu’un projet de reportage sur la capitale portugaise, cet apparent carnet de voyage se révèle alors vite probléma�que. Car ce déni du mouvement bouleverse tous les codes de la photographie de rue. En photo, le flou est le signe du mouvement, du sujet ou de celui qui appuie sur le déclencheur. Aussi, les clichés pris lors des conflits induisent-ils par ce�e conven�on, volontaire ou non, l’urgence de l’image et les condi�ons extrêmes de sa prise, tout comme les paparazzis congédient parfois volontairement la ne�eté de leurs clichés pour accentuer l’impression d’instant « volé ». Probléma�que que l’on retrouvera chez les journalistes divulguant un prototype inédit à l’insu de son constructeur. De sorte que le flou correspond désormais dans la sémiologie photographique à la no�on de vérité. Et devient un gage du « ça-a-été-là » de Barthes. De ce point de vue, les œuvres de Mathilde Fraysse sont des images paradoxales. Prises sur le vif, elles trahissent pourtant une absence totale de mouvement. Les personnes, photographiées à leur insu, semblent poser, et finissent par évoquer des personnages figés dans une scène de rue recomposée. Une apparence de mise en scène qui amène à un autre paradoxe lui aussi


« On pouvait même avoir l’impression que les gens avaient été mis en scène, qu’ils « jouaient » alors que ce n’était pas le cas » (…) « Il avait un lien inconscient dans mon travail, durant une période, entre l’apparence de « pose » des personnages dans les photographies de rue et la manière que j’avais de photographier les enfants» Mathilde Fraysse 2004

Portraits-ville, extraits de 10 diptyques, photographies couleur contrecollées sur dibond, 30x40cm et 30x30 cm, 2003.


Portraits-maisons, extraits de 17 diptyques, photographies couleur contrecollĂŠes sur dibond, 43x43cm x 2, 2005.


Portraits-jardins, extrait de 18 photographies couleur contrecollées sur dibond, 80x80cm, 2008.

caractéris�que des œuvres de Mathilde Fraysse, l’absence de narra�on. Que signifient ces scènes ? L’aléatoire de ces rassemblements d’individus propre à toutes les villes du monde qu’ar�ficialise la « pause photographique » abou�t ainsi à des scènes silencieuses, comme orphelines d’une histoire perdue. Coupure que vient accentuer l’image d’adolescente posant dans la nature française, et formant avec ces vues urbaines comme un contrepoint à la fois intriguant et vecteur d’ailleurs. A la première ques�on “que font ces deux photos ensemble ? “, ces deux images contraires que sont la foule des villes et la solitude de la nature, l’affairisme citadin et la jeunesse pastorale, se révèlent des portes ouvertes vers des lectures mul�ples et forcément personnelles. De la même manière, les séries plus récentes de l’ar�ste nous confrontent à une semblable narra�on impossible. Malgré l’évidence apparente de ces portraits, notre réflexe de lecture abou�t vite à l’impasse. Ces retraités des « Mémoires ordinaires 1 », ces propriétaires dans leur jardin des « Portraits-Jardins » s’imposent par le cadrage, mais ne nous disent rien. Impassibles et comme momifiés par l’image, ils demeurent muets. Impression renforcée par ces visages qui se cachent, ces inconnus qui nous tournent le dos. Là encore, l’immobilité de ces « retraités » –en hospice ou dans leur jardin- finit par devenir des passerelles à interpréta�on. On se prend ainsi à imaginer leurs vies, passées ou en cours, s’a�ardant sur un regard, un objet. A moins qu’il n’y ait


Femmes-Chambre, extrait d’une série de trois diptyques-coffret, impression couleur sur diffusant rétroéclairé, 25x40 cm, 2009-2010.

aucune différence entre ces êtres et leur décorum tant ces corps semblent chosifiés. Là encore, la pause à laquelle les astreint l’ar�ste fait de ces existences des vies silencieuses et sta�ques. Des maisons de retraite aux jardins bourgeois, ces êtres sont figés dans l’a�ente, prisonniers du temps photographique –la pose, les essais puis la prise finale-, enfermés du cadre comme d’un quo�dien monotone. A moins que ces arrêts forcés ne préparent un envol ? Nous retrouvons ce départ énigma�que dans une autre série de diptyques qui joue quant à elle sur la fragilité de l’adolescence. Deux photos d’une même maison, avec le même cadrage et la même lumière. Iden�ques. Seule différence notable, l’une d’elles est occupée par une jeune fille. Présence/absence des plus mystérieuse puisqu’il s’avère impossible d’y lire un quelconque lien entre l’adolescente et ce décor, et que l’iden�té de l’une et la géographie de l’autre manquent à ce�e lecture. Mais ce�e ellipse révèle vite une dimension générique. Ce n’est pas une fille X dans un lieu Y, X et Y ne sont pas réduits à une quelconque parenté et n’illustrent du coup aucune histoire par�culière qui limiterait la portée de la composi�on. Au contraire, en demeurant indéfinies, ces images paraissent évoquer toutes les adolescences. Et leur vacuité, l’indécision de leur présence, une représenta�on poé�que de cet âge trouble, partagé entre l’enfant et l’adulte. A la stabilité de ces murs, de ce�e nature s’oppose alors cet « être-entre-deux », ce�e impermanence physique et psychologique, cet état fluvial d’une quête de soi. L’oeuvre de Mathilde Fraysse fixe ainsi le flux de nos vies, et par ce�e pause, nous invite à un regard posé sur nous-même. Qu’elle soit poé�que ou cri�que, qu’elle ouvre à l’imaginaire ou se révèle plus sociétale, ce�e « humanité posée » propose l’opéra�on paradoxale d’immobiliser dans l’ar�fice les mouvements incessants des vivants pour mieux en comprendre l’universalité. Tout comme le silence met en valeur le son, l’arrêt momentané qu’impose à ces vies Mathilde Fraysse nous offre de renouveler notre regard sur nous-même et notre monde. Note : 1 Travail réalisé en 2008


MARC GENEIX

1975, vit et travaille à Clermont-Ferrand

L’EXPANSION DES CHOSES INFINIES par Mar�al Déflacieux, hiver 2010 Brèches incisives, cassures séman�ques, creux effrayants et parfois même violents, les yeux évidés de certains personnages du Scénario de l’inéluctable1 plus que l’absence d’un regard me�ent en évidence l’efficience d’une vision. L’acuité visuelle de Marc Geneix est faite d’une mécanique complexe et introspec�ve, elle est le moteur d’une entreprise de reformula�on où des images collectées par l’ar�ste vont être remodelées, transformées, voir effacées. Si l’écriture et le langage ont longtemps été u�les à l’élabora�on de sa démarche2, il semble que les formes que Marc Geneix livrent aujourd’hui au public se simplifient et se déchargent également de leur gravité poli�que pour acquérir un nouveau poids. Quelque chose d’émouvant a progressivement pris le pas, à l’exemple de ce�e Tenta�ve d’effacement d’une page du monde 3 à la fin de laquelle ne subsiste qu’un lambeau de peau. Déjà dans la série des témoins4, les regards cernés d’une surface recouverte de noir semblaient s’extraire du néant dans une entreprise lazarienne5. Il ne faudrait pourtant pas limiter le travail à l’intelligence de ce�e part d’ombre car l’émo�on ressen�e vient également de l’extrême ambivalence de ce qui nous est présenté. L’ambigüité et une certaine confusion semblent être manipulées avec soin pour que le contour de chaque œuvre puisse rester flou et capable de faire basculer leur lecture. Ces possibles basculements sont sans doute une des principales préoccupa�ons de l’ar�ste, ils se fabriquent au bénéfice d’une archéologie du quo�dien : « Des couches innombrables d’idées, d’images, de sen�ments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune n’a péri »6. Au contraire même, elles communiquent entre elles par le biais d’un réseau aux canalisa�ons souterraines qu’exploite habilement Marc Geneix. L’imper�nence des combinaisons formelles où s’associent par exemple l’image d’un verre et celle d’une bouche d’égout n’a d’égale que la qualité poé�que qui s’en dégage. Les œuvres de Marc Geneix sont mul�voques et c’est sans doute pour cela qu’elles semblent nous observer avec des regards si familiers. Notes : 1 Le scénario de l’inéluctable, 2009 2 Je pense notamment à Monde, voir l’illustra�on ci-jointe. 3 Tenta�ve d’effacement d’une page du monde, journal effacé, 2009. 4 Les temoins, série , 2009 5 Pour les chré�ens Lazare fut ressuscité, son image hanta la li�érature de Zola comme une figure d’une resistance face à la mort. 6 Les paradis ar�ficiels, Charles Baudelaire, chap VIII Vision d’oxford, le palimpseste.



Journal noir, marqueur sur papier journal, 2009. page de gauche : Tenta�ve d’effacement d’une page du monde - page de journal effacé, 2009.

BLANK NOTES par Frédéric Emprou, Juin 2009. « Oui / Enchaînons / Montage a�rac�f / Des idées / Sans points de suspension…1 » A travers ses installa�ons, vidéos et dessins, le travail plas�que de Marc Geneix entre�ent des rapports par�culiers avec les figures de la boucle et du fragment. Fic�ons souvent fantasma�ques, développant un temps de l’incer�tude et du doute, les pièces de l’ar�ste rendent compte à bien divers égards de l’état d’une conscience atomique du réel contemporain. Procédant par recompila�ons de références culturelles, Marc Geneix mène une archéologie circonspecte des mythologies en contrepoint des no�ons d’ère du soupçon et de société de contrôle. Enquête au caractère récursif et éclaté, la posi�on cri�que de l’ar�ste fait penser à une radiographie scep�que et parfois lapidaire d’un certain Zeitgeist. Sur arrière-fond de fin possible des idéologies et de mort supposée des grands récits, Marc Geneix aime à orchestrer une déconstruc�on du régime des signes sur le mode de l’inquiétante étrangeté. On pensera notamment à sa pièce en néon in�tulée Monde tel le remake d’un artefact debordien. Si les oeuvres de l’ar�ste dénotent d’une parenté avec celles de Claude Lévêque ou de Pierre Ardouvin, c’est parce elles ont notamment en commun ce postulat de Bill Viola : « capter le réel sur un support qui le rend évanescent ».


Monde, néon, diam. 1,35m, 2008.

La le�re et l’allégorie, éléments récurrents chez Geneix, deviennent des combinatoires et des prétextes à une ac�vité de lecture et déchiffrement du monde. Le masque et les yeux sont autant d’indices et de marqueurs de ces correspondances que l’on retrouve dans les derniers travaux de l’ar�ste. Work in progress témoignant de ce�e manière d’ausculter la masse grise des actualités, l’ar�ste peint ainsi au noir les pages papiers de journaux. Entre le texte, l’image et l’idée de révéla�on, les séries Témoins, Complices ou Journal noir, donnent à voir la représenta�on d’un chaos, au sens propre comme au figuré. La cita�on du Mythe de la caverne renvoie en outre au répertoire platonicien de la connaissance cachée, de la vérité hypothé�que non dévoilée et de l’aveuglement. Objet composite et carnavalesque, Le scénario de l’inéluctable pourrait dès lors s’apparenter au pendant dérisoire et farceur de l’ouvrage récemment réédité des Tiqqun, Contribu�ons à la guerre en cours2. Lieu des renversements et des rapprochements iconoclastes, Le scénario effectue un sabordage railleur et impeccable de la trame de notre environnement immédiat, la sphère média�que. Le diffus du quo�dien devient une matrice délirante, prétexte à des confronta�ons savoureuses et cinglantes, des mixages et une manipula�on jubilatoires des effigies. Par le biais d’une geste distanciée au stylo bille et du jeu de mot fortuit, l’ar�ste pra�que le détachement et un art de la juxtaposi�on décalée qui pourrait rappeler les interven�ons de Claude Closky sous certains aspects.


Interrogeant une « circula�on circulaire » des données, Marc Geneix promène son regard sur les icônes d’un post monde de l’informa�on, où les images y sont réversibles, commutables et manipulables. A l’aune d’une globalisa�on et une accéléra�on des phénomènes, Le scénario �ent de ce palimpseste amusé : « L’hypertexte à son mieux est un mixte indéfinissable et imprévisible dans le détail, de sérieux et de jeu (lucidité et ludicité), d’accomplissement intellectuel et de diver�ssement3. » Mise en réseau fantasque, qui conjugue le cadavre exquis et les illustra�ons archipels, Le scénario s’apparente à un story board oscillant entre un popisme déviant et des aphorismes potaches. Mascarade menée sur une tonalité ironique, on ne s’étonnera pas si celui-ci se termine par ce slogan presque wharolien : « le monde est un musée ». Spectateur du spectaculaire, Marc Geneix devient le scripte interlope de ce langage de segments mêlant dérives séman�ques et emprunts. Bande images sous-�trée et commentée, l’agréga�on de ces coupures de presse par�cipe de ce�e logique rigolarde de l’hétérogène : la non linéarité de ce processus polyphonique déploie l’efficacité d’un vaste et grand détournement. Nouvelle ar�cula�on du film des événements en cours, les pages du scénario cons�tuent autant de séquences produites à par�r de ce jeu de support/surface que Marc Geneix griffonne, appose et réorganise. La simplicité du procédé qui renvoie à la technique du collage pictural et poé�que peut nous faire remémorer ce�e phrase de Jean-Jacques Schuhl : « J’ai recouvert le corps de Silhoue�e avec un numéro de Time et un du Mirror qui traînaient par terre et je suis sor� en pensant à ces deux mots : TEMPS, MIROIR. » Déroulé gigogne des faits à l’oeuvre, Le scénario de l’inéluctable s’élabore comme autant de notes improbables sur un temps présent. A moins que cela ne soit son redoutable et délicieux inverse. Notes : 1 Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, 1998. 2 Tiqqun, Contribu�ons à la guerre en cours, Edi�ons La Fabrique, 2009. 3 Gérard Gene�e, Palimpsestes, la li�érature au second degré, Edi�ons du Seuil, collec�on Essais, Paris, 1982.

Quatre cercles et deux trous, collage, 30x40cm, 2010.


CECILE HESSE ET GAEL ROMIER 1977 et 1974, vivent et travaillent à Saint Julien du Pinet

KALÉIDOSCOPE DE FAUX-SEMBLANTS par Nassim Daghighian En plus de dix ans, le couple et duo d’ar�stes français a principalement réalisé trois vastes corpus d’images, souvent accompagnés d’objets, voire de sons, selon les projets liés aux lieux d’exposi�on : Miroir sans tain, Pour le meilleur et pour le pire et Duchesse Vanille. Les œuvres récentes révèlent clairement le goût du jeu qui fait par�e prenante de la complicité du duo et du processus créa�f. Sous une apparence formelle extrêmement maîtrisée, les photographies expriment un plaisir ludique indéniable à imaginer des situa�ons où il suffit parfois d’un pe�t élément pour introduire de l’insolite. Une tension existe ainsi entre le 10 000 ans, photographie couleur, 290 x 360 cm, 2008. contrôle technique et esthé�que perme�ant une totale construc�on de l’image par la mise en scène et l’explosion visuelle de l’irra�onnel comme une (ré)jouissance dégagée par la représenta�on. Les flocons de duvet qui virevoltent poé�quement dans Les Soupeuses, 2008, et les objets en lévita�on de Ball-trap, 2008, en sont deux parfaits exemples. Les cri�ques ont relevé le ton pince-sans-rire ou loufoque très présent dans Miroir sans tain, dont les sujets souvent sérieux sont abordés dans des images asep�sées qui combinent distancia�on et ambiguïté des situa�ons faisant, notamment, référence à la sexualité. L’ambivalence de la représenta�on provoque en effet le trouble dans l’esprit du spectateur et privilégie une interpréta�on ouverte, polysémique, de l’œuvre. Dans les photographies récentes, la théma�que du couple présente en filigrane dans Pour le meilleur et pour le pire et le personnage fic�f de Duchesse Vanille, nous plongent à chaque fois dans un univers spécifique, l’un évoquant des intérieurs années 1970 aux tons pastels démodés (ou hors temps ?) et une vie bourgeoise poussée dans ses retranchements absurdes, l’autre des scènes nocturnes prises en extérieur et une fête aux rituels étranges. Les visages encore présents dans Miroir sans tain ont disparu, seul un profil d’homme est visible aux côtés d’un soupière qui perd ses plumes... On s’aperçoit alors de l’importante fragmenta�on subie par les figures humaines dont seuls des détails corporels sont représentés. La matérialité du corps est mise en avant, les êtres sont réifiés et parfois réduits à un geste mécanique. Il se produit une saisissante interchangeabilité des corps et des choses, les objets étant dotés quant à eux d’une sensualité propre aux formes organiques.


Ball-trap, photographie couleur, 100 x 155 cm, 2008.

Les effets de ma�ères liés aux textures et aux densités, la manière dont le personnage perd de son importance et se fond dans l’environnement qui l’entoure, voire même se réduit à une ac�on ina�endue, incitent le spectateur aux ques�onnements les plus divers. Ce dernier ne dispose en effet que de fragments narra�fs et doit construire sa propre histoire sur la base d’une «presque normalité» proposée par Cécile Hesse et Gaël Romier. Dans 10 000 ans, un objet-fé�che de l’art contemporain, la boule miroir, transposée dans une sorte de gro�e ar�ficielle, vient nous rappeler l’éclatement de chaque instant vécu et la fugacité de toute cer�tude basée sur les habitudes.

Toujours impeccable, photographie couleur, 290 x 260 cm, 2008.

Esthé�que du fé�che ? plusieurs objets renvoient aux stéréotypes de la féminité : sous-vêtements couleur chair, mul�ples hauts talons, paire de collants nacrés, boule de cheveux à la forme sugges�ve, napperon évoquant la perte de la virginité… L’agressivité est latente dans certains gestes effectués par les personnages et la menace devient plus explicite encore dans les photographies de Duchesse Vanille où des phares de voitures surgissent de la nuit. L’ac�on qui produit les images de Ball-trap n’est d’ailleurs pas dépourvue d’un plaisir destructeur ! Les épluchures de chaussures nous amusent un instant mais ressemblent à des plaies ouvertes. Même la nappe couverte de mie�es peut cacher quelque chose d’inquiétant. Dans les sujets représentés par le duo d’ar�stes, les jeux ont perdu leur innocence. Alors que les récréa�ons scien�fiques visaient l’instruc�on par le jeu, les fic�ons photographiques de Cécile Hesse et Gaël Romier cherchent-elles a créer l’effet d’un kaléidoscope de faux-semblant ?


INVITATION «...POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE» par Virginie O�h

L’éplucheuse, photographie couleur, 110 x 150 cm, 2008.

L’invita�on: J’y suis invitée comme témoin, j’y vais avec une appréhension, celle de ma naïveté, mes hôtes sont des extrémistes in�midants, fascinants. Je sais que la fête a été minu�eusement préparée, que le mariage sera à la hauteur des mes fantasmes latents. Le choix des invités s’est fait à coups de �rs dans un bo�n de téléphone. Les pe�tes déchirures de papier tombées à terre, contenaient les noms des élus de ce soir. Dans chacune des ces enveloppe se trouvait une balle, pe�te preuve photographique de ce choix volontairement arbitraire.

Le lieu de noce: Voyeuse, la porte est fermée, les deux oeilletons me regardent, les len�lles sont impénétrables. Le cyclope de Personne s’est transformée en porte lubrique. J’ouvre la porte brutalement. Je me trouve à l’entrée d’une gro�e, d’un trou, dans la caverne de Platon, celle de Personne. Il y a là, l’austérité des ombres conceptuelles et l’éclat des paille�es. Je ne vois pas la La bocca della verità, photographie couleur, source de la lumière, je suis la lumière, 110 x 150 cm, 2008. frac�onnée, mobile, comme le feu des grecs. C’est la promesse d’une image, les pixels surexposés de mon imaginaire, la bombe à fragmenta�on de mon idée roman�que. Je n’a�end personne, la mobilité est une illusion, il fait peut-être déjà nuit, le flash dure longtemps. Je n’ai pas pu entrer, seulement regarder. C’est l’espace de leur rencontre, absurde et belle, elle a déjà eu lieu, ils sont repar�s, je veux les suivre. La dentelle: Le prochain indice m’indique que je n’ai peut-être pas loupé la nuit de noce, l’objet est immaculé, les dentelles des�nées à une femme juive orthodoxe sont posées dans la nuit, comme une censure équivoque. J’imagine l’origine du monde et l’image de la caverne se superpose à ce�e dentelle à une autre échelle, encore un trou. L’épluchure: Une des étapes, pour un couple, c’est de choisir le papier peint; sauf que dans ce couple-là, les enfants sont encore loin et le papier peint est un tableau d’épluchures domes�ques d’un type mystérieux. Ce pourrait être un test psychologique, un herbier de nos forêts in�mes. Il y a des coutures, comme si les souvenirs avaient été rapiécés, comme si la symétrie/l’égalité avaient été testées. Dans une lecture perverse, j’y vois aussi un trou recousu; j’ai loupé la nuit de noce, place à la domes�cité. Elle épluche ses chaussures dans une gaine couleur chair, l’acte matrimonial est une performance. La tapisserie est perverse et beige comme la peau.


La tonte: Ce�e fois, c’est elle qui lui a coupé la tête, à moins que ce ne soit pas vraiment lui sur l’image, je ne reconnais pas sa finesse, ni son ambiguïté, je ne l’imagine pas poilu. Le balai-brosse usuellement fabriqué avec du Chiendent (mauvaise herbe tenace et rebelle) se fait tondre dans une délicate lumière. La tonte, l’humilia�on, il est vrai que la femme n’est pas un balai-brosse, pourtant j’imagine ce rituel comme un exutoire très maîtrisé. le repas: Comme souvent, en photographie, j’arrive trop tard, le repas a déjà eu lieu, il ne reste que des mie�es. Je suis sûre que le repas était délicieux. Nappe blanche et verres en cristal, un vrai banquet de noces. La table a été débarrassée, mon oeil tombe sur un oeilleton de porte, celui qui se trouve de l’autre côté de la porte de la première image, sauf qu’il y en a qu’un. L’oeilleton est un pe�t disposi�f de visée que l’on retrouve sur certaines armes et sur les appareils photo ainsi que sur les portes. Je ne vois pas bien les bords de la table, car elle est immense, mais j’imagine bien que ce trou a été bien placé, comme les trous dans les portes des toile�es, pour voir l’entre-jambe des filles. Je ne vois que le disposi�f de mes fantasmes, parce qu’il n’y a plus rien à voir. C’est ainsi dans ce�e histoire, je dois toujours m’imaginer voir quelque-chose. Donc, pour l’instant: pas un poil. Entre les images, il y a une odeur de fumée, de peau brûlée à la vanille. Les coulisses: Dans les coulisses de la noce, il y a ceux qui travaillent, ceux qui préparent la mise en scène, le dîner, le pain. Tout est bleu clair, couleur laye�e pourtant elle a la main dans le pain, comme la main dans le sac, sauf que ça doit être chaud, ça doit être bon, ça doit être doux. Elle est restée là, la main dans le pain et ne s’est plus réveillée de son bien-être, elle n’a pas fini son travail elle a fait durer son extase. Je cherche aux alentours la boule de mie, pour savoir si elle a consciencieusement sor� les entrailles, ou alors si c’était avec un empressement passionné, qu’elle a éparpillé les pe�tes boules de mie déchiquetées dans la cuisine, avide de ce pain qu’elle connaissais peut-être déjà. Je ne trouve rien que son immobilisme. La suspicion: Enfin une robe de mariée, sobre délicatement ivoire et déjà la suspicion. «La bocca della verità» est un masque en marbre à Rome, il possède une bouche dans laquelle on glisse la main. Selon la légende, la bouche de ce�e ancienne plaque d’égout mangerait la main de tous ceux qui en la plaçant à l’intérieur prononcerait un mensonge. Me�re la main dans le trou de ce�e boule de cheveux est un rituel dangereux pour ce�e fiancée. Serait-il possible d’échapper au mensonge en photographie? Toute no�on de vérité me semble aussi absurde que le mariage. Confier ses trahisons à une boule d’altérité, au monde en�er mélangé et anonyme plutôt qu’à un curé boutonneux, me paraît judicieux. L’autre: A la sor�e de l’église, je rencontre La Poilue, un conglomérat de cheveux dans lequel je peux m’introduire. La transcendance est indécente. L’autre existe, il est poilu comme une image. Dans ce cocon d’altérité, je pense à toutes les choses que je n’ai pas osé faire... « pour le meilleur et pour le pire». Je rougis, je suis allergique à l’autre, j’étouffe, et pourtant, je tarde à sor�r. En sortant, j’emporte comme une relique, une pe�te boule de poil protégée dans une bulle de plas�que. Comme le musc ou l’ambre, j’emporte une pe�t peu de ce�e ma�ère immonde qui, mélangé aux parfums quo�diens donne l’odeur merveilleuse des paradoxes.


TRIBUTE TO DUCHESSE VANILLE par Michel Poivert Un signal d’alarme accompagne la sor�e des reliques du désir. Pièces à convic�on Un lieu, des objets et des corps, une situa�on se détachent dans la nuit. Le nocturne est l’unité de temps des drames du désir. Les a�ributs de la féminité apparaissent dans l’affolement - course, chasse, �r, jambes dévoilées, mystère d’une demeure bourgeoise, phares menaçant d’une automobile. On est venu célébrer là un rituel. Avec l’assurance que les choses allaient mal tourner. Les cérémonies con�ennent leur tragédie et ne doivent leur existence qu’à l’accomplissement de ce�e dérive. Sur le noir profond des campagnes basculent les valeurs morales. La condi�on sociale se mesure dans les écarts. Le serviteur porte avec la dignité due à son rang la châsse improbable d’une soupière rocaille d’où le duvet d’une volaille s’échappe. Et voilà que la déesse englou�t ce repas léger en s’inondant. Et s’écroule sous le poids inexistant du plumage.

Duchesse vanille, photographie couleur, 260 x 400 cm, 2008.

L’urgence commande d’emporter les reliques de l’orgie. Colonne sans fin d’assie�es ornées que des dessous féminins protègent à intervalle réguliers des chaos. Le poids de la pile écrase un peu plus à chaque pas le sa�n, et mêle jusqu’à les confondre la parure du sexe et la pompe des tables dressées. Les phares prennent dans leurs rayons la croupe transie et célèbrent une extase. Le prix à payer est celui de l’exécu�on des accessoires féminins. Le sac à main éclabousse la nuit de ses trésors sous la violence des balles et les escarpins vernis se désintègrent en vol. Nul ne vous avait obligé de venir. Libido et prototypes Avez-vous déjà été confronté à une forme sophis�quée qui révèle au fond de vous des pensées inavouables ? A moins d’écumer les réserves des muséums d’histoire naturelle, ou bien les malles abandonnées d’accessoiristes de cinéma surréaliste, nulle part ne se trouve d’objets aussi intrigants que ceux réalisés par Cécile Hesse et Gaël Romier. Rien, donc, qui ne puisse avoir été transposé devant l’objec�f photographique, mais au contraire des objets fabriqués des mains de l’ar�ste : du home-made comme figure inversée du ready-made.


Pour autant que les produc�ons soient ar�sanales, elles n’empruntent jamais à l’esthé�que vernaculaire. La facture des produc�ons – image, installa�on, objets et choses – est sophis�quée comme ces objets misant sur une perfec�on dont l’avenir risque d’être compromis : une esthé�que de prototype. Entre les deux grandes catégories modernes du standard et du vernaculaire, le prototype est le propre d’une élabora�on mentale qui vient se projeter dans le réel. Le prototype a la beauté des comètes. Insomnie, co�llons, photographie couleur, triptyque, 290 x 330 x 3 cm, 2008.

Le caractère unique des œuvres impose la gravité de leur des�n célibataire.

Moderne Léda Sophis�ca�on et régression : couple contre-nature. Comme la Loi qui unit dans un pacte les époux, faisant appel au juste droit pour autoriser l’acte primaire des unions. Seules les pensées élaborées perme�ent d’accéder sans barbarie aux états originels. Léda forme la figure an�que de la vic�me des forces de la séduc�on. Le cygne dont le pouvoir divin a pris la forme se retrouve ici réduit à son plumage. Mais il conserve son pouvoir sur la vertu et inonde Léda, alliant la magie décora�ve des ramages aux puissances phobiques. Comme Léda désormais, le Dieu est nu. Ce�e version renouvelée d’un thème classique est le récit irra�onnel de l’union rituelle qui enfante les héros. Mais il se peut que le désir reste infer�le. Rôde alors à nouveau le véhicule qui met en fuite la déesse. Les rescapés Deux trophées désormais témoignent de la réalité des faits. Une suite d’escarpins rescapés et la pile d’assie�es pressées sous les sexes absents. Disposées à équidistance, les chaussures retournées exhibent des talons mu�lés. Les escarpins qui n’ont pas subi l’orage des balles ont fait l’objet d’un curieux sacrifice. Le cuir scalpé des talons est une castra�on féminine. Et le monument ménager des assie�es digère les linceuls souillés. Les coups de flash soustraient à la nuit les images du désordre et les cons�tuent en un nouvel ensemble à la beauté maniaque. Il en va ainsi lors de la sor�e des reliques du désir. Le noir qui vous entoure alors n’est en fait pas la nuit. Il est le bruit étouffé du plaisir célébré.


CAROLE MANARANCHE 1973, vit et travaille à Clermont-Ferrand

PAROLES MANARANCHE par Pierre Mabille, 2009. Carole sa vie son œuvre sa parole sa vie chorale son œuvre toutcollage assemblable disjointée collésérrée déflippante sa vie autoallumante autopensée redépensée fourieuse son œuvre couleur colère couleur primale chromochimique déglinquante chromoclaquée sa vie son œuvre performelle dépaysanne mysterrienne Molinerobrock transmobilière encombranque morphogène Mertzbaroque Stockholdée son œuvre

et sa vie affec�viste affectueuse en série sa vie domys�que FrantzWestern spaghe� son œuvre et sa vie sen�vandale englamourée recyclassieuse Gainsbarrée son œuvre et sa vie vannéopop conduc�le ins�nc�viste mélimé�sse agnostalgique Lezhouleuse décoffrante Polnarêveuse sa vie à l’ouvrage dans son œuvre sa pe�te entrecrise corageuse furiante désirante délirieuse délisible déloosable sa vie à l’ouvrage périsauvage incorrec�ve

néologique géométrouble sa vie son œuvre glycéro�que décoraturée psychoplatrée designorante placoflaquée comme sa vie cash son œuvre en kit brus�que et bruitale brulesque et pulsive polyvaillante freestyle polysismique accumulac�ve spa�ovore désordonancée euphorisable sa vie son œuvre sa parole morganique romanichelle Rabelaisée désirebelle dénouante mul�médusée Carole sa vie son œuvre sa parole Do it yourself


LES ENCOMBRANTS* par Lili Reynaud Dewar, 2006. La série photographique des Encombrants de Carole Manaranche ressemble à ses sculptures éponymes, dénuée de tout pathos, de toute préciosité ( elle est l’objet d’un slide show pléthorique plutôt qu’une sélec�on de �rages sophis�qués). Ici, un tas d’ordinateurs empilés, là, une chaise de bureau à cheval sur le tro�oir et la voie, ailleurs, un canapé en équilibre…c’est l’aspect formel de ces situa�ons trouvées qui intéresse Carole Manaranche, pas leur poten�el narra�f. Mais si le constat est neutre, c’est surtout parce qu’il est le témoignage d’une méthodologie qui dépasse le désir de faire de «belles images». C’est une ques�on de nécessité, pas une ques�on d’esthé�que, qui en est le préambule. Les sculptures corroborent ce�e idée, et viennent tout à la fois compléter et transfigurer le réel cru de la série photographique. Imbriqués, agencés, emboîtés, redoublés, les Encombrants sculpturaux sont défigurés, méconnaissables, afonc�onnels, et rappellent plus d’étranges combinaisons anthropomorphiques que des éléments de mobilier. Cloqués, englués, empâtés, ils n’en affirment pas moins leur évidence claire et aguicheuse de monochromes fluo et leur provenance du domaine de la consomma�on courante. Pour Carole Manaranche, il serait impensable de les présenter isolés, il faut qu’ils soient un certain nombre, qu’ils dénigrent en se regroupant le fé�chisme de l’oeuvre d’art et son formalisme. Surtout, ils témoignent du caractère exponen�el du projet des Encombrants, de son enracinement dans une durée qui dépasse à elle seule toute réussite formelle, et ramène ces sculptures au plus prés d’une dynamique vivante et délestée. * Catalogue de l’exposi�on « Les enfants du Sabbat 7 «, Ed. Creux de L’enfer, coédité avec l’Ecole des Beaux Arts de Clermont Communauté et l’Ecole Na�onale de Lyon.

Les Enfants du Sabbat 7 - CAC Le creux de l’enfer - 2007


Diaporama «Les Encombrants» (détails 84/156)

Diaporama «Les Encombrants» (détail 91/156)

P.T.P.B., 2006 Parasol, table, pare-brise, mousse polyuréthane, peinture aérosol. Dimensions variables


EST-CE QUE J’AI UNE GUEULE D’ATMOSPHÈRE ? par Elisabeth We�erwald A la base de l’oeuvre de Carole Manaranche : un hiatus, un heurt temporel, un changement de dimensions ; un saut soudain et ver�gineux. Dans un premier temps, une démarche qui pourrait s’apparenter à une recherche/déambula�on d’ordre conceptuel, consistant à photographier de façon systéma�que et sans esthé�que par�culière des «encombrants», soit des objets abandonnés sur les tro�oirs, R’YOU TALKING TO ME? module - Palais de Tokyo - 2008 en a�ente de récupéra�on ou bien d’englou�ssage défini�f par les camions poubelles ; des images sans qualités par�culières, donc, et parfois montrées dans les exposi�ons sous forme de diaporama. Dans un second temps, la prise en charge de ces objets : avant même de savoir à quoi ils pourront bien servir, l’ar�ste les emmène dans l’atelier. Et là, on ne sait pas très bien ce qu’il se passe, on n’a d’ailleurs pas forcément envie ou besoin de le savoir… «Je détruis, je combine, je construis, je ré agence, je recouvre, je peins, je colle», se contente-t-elle de dire. Deux opéra�ons, donc, deux esthé�ques qui en apparence n’ont rien à voir entre elles. Et pourtant, rien là de gratuit. Carole Manaranche réinvente une histoire de l’objet, et du design en par�culier, puisque les objets qu’elle choisit ont tous été fonc�onnels : chaises, matelas, planches à repasser, parasols, oreillers… En fin de vie, ayant perdu leur raison d’être, ils sont abandonnés, voués en principe à la dispari�on. Or l’ar�ste les photographie, les transforme en images donc, les «apla�t» (comme s’il fallait d’abord passer par ce constat avant de les dé.gurer complètement), puis s’empare des objets, qui ne sont plus dès lors que des choses du passé, des souvenirs, des fantômes. Le travail consiste ensuite à leur donner un nouveau statut : ils sont désossés, désaxés, manipulés puis re-designés, recomposés selon des formes non fonc�onnelles, parfois enduits de plâtre ou de mousse polyuréthane, peints, et enfin exposés. Accès à un nouveau statut, et non pas à une nouvelle vie. Car in fine ces étranges sculptures évoquent tout sauf la vie et l’anima�on. Si nombre d’entre elles sont délibérément voyantes, «fun», pop, aux formes plus ou moins délirantes, aux couleurs vives et fluos, elles apparaissent néanmoins défini�vement figées, formant des blocs compacts impénétrables, hiéra�ques, presque de l’ordre de la statuaire. Mais malgré les allures absurdes et souvent burlesques de ces sculptures colorées, on est encore dans l’objet, dans une certaine familiarité. D’autres, en revanche, plus récentes dans la produc�on de l’ar�ste, sont plus austères (malgré un traitement plas�que similaire). Souvent peintes d’un noir mat indéchiffrable, elles peuvent paraître inquiétantes, emmenant dès lors le spectateur dans un univers sinon sombre, en tout cas réflexif. Avec ces oeuvres, on qui�e la sculpture autonome, et on entre dans un effet atmosphérique. On reconnaît bien là toujours quelque chose, mais ces «choses»ne font dé.ni�vement plus par�e de notre monde… A suivre.


FLY TO THE MOON par Thomas David, avril 2009. (extrait) “...car Carole Manaranche voulait d’abord et avant tout réaliser une oeuvre in situ, rapprocher la voûte gothique de la galerie de la voûte céleste, de proposer un espace poé�que, franc et direct comme l’est toujours le travail de Carole Manaranche, mais médita�f, léger mais réflec�f. Ainsi, la volonté d’accumula�on et de répé��on du mo�f n’est pas une volonté de réac�ver un procédé propre à l’art op�que, ou de se rapprocher du mo�f bien connu “pied de poule”, mais bien un appel au rêve, à la contempla�on , et même si ce vol d’étourneaux nous étourdis, il ne nous conduit pas au ver�ge, mais bel et bien au geste ar�s�que, celui qui nous rappelle le plaisir de faire, le plaisir de magnifier notre environnement, de modifier le réel qui�e à ce que ce soit inu�le, mais parce qu’il mérite assurément que l’on croit en lui. Aller sur la lune, en faire une affaire d’état, voir une affaire de civilisa�on, qui�e à ce que cela ne serve à rien.”

Fly to the moon, Galerie 13BIS, 2009.

C.C, 2006 Deux chaisess, bois, mouuse expansive, peinture. 205x73x75 cm.


PIERRE REDON Vit sur le plateau de Millevaches

D’ÉCOUTE EN MARCHE (sur le travail de Pierre Redon) par Christophe Domino, novembre 2009. L’univers de Pierre Redon est ainsi fait, entre musique des sphères et réalité ethno-sociologique, entre mémoire et présent instantané. Et c’est cet entre-deux qui a donné les formes actuelles de son travail. Image, son, musique, topographie, ethnographie, marche, écoute, observa�on, écologie, économie, poli�que et poésie, tradi�ons culturelles et ra�onalité u�litaire, localisme et empathie naturaliste, ruralité et modernité, ces enjeux se nouent dans des formes variées, empruntées aux choses et aux gens rencontrés in situ. Pierre Redon construit ses proposi�ons sans a priori formel, à par�r d’une pra�que ancrée dans la musique et le sonore, et, avant ou autant que celle de l’art, d’une expérience du monde. Une expérience qui commence certes dans le paysage de son enfance, du plateau des Millevaches qu’il a couru, gamin. S’il est capable aujourd’hui d’emprunter à l’occasion le rôle du sauvageon rus�que, c’est par manière aussi de déjouer une posture trop iden�fiée de l’ar�ste, qu’il est assurément mais sans en endosser les obliga�ons —celle d’une iden�té stable, d’une constance dans les modes de produc�ons, de formes—, sans se draper dans

Marche Sonore [EAU] #1 - Faux-la-Montagne - Marcheur - photo : Edmond Carrère


Marche Sonore [EAU] #1 - Faux-la-Montagne - Point d’écoute & marcheurs - photo : Edmond Carrère

un étendard théorique : c’est bien plus une rhétorique du vécu qu’il entend nourrir. Et si le local fait la ma�ère de plusieurs de ses parcours sonores récents, c’est non tant comme une posi�on de repli sur une préoccupa�on iden�taire, mais comme l’échelle de percep�on où le spectacle du monde s’impose à chacun dans sa complexité, sa densité. À l’heure où s’écrivent ces lignes, il est loin des sous-bois de l’hiver limousin, par� se mesurer à d’autres ici, au Yemen et en Turquie, sans avoir forgé d’a�ente ou d’objec�f en termes de forme ou de format d’œuvre ; mais avec une vigilance d’arpenteur concerné par les enjeux des condi�ons de vie humaines et naturelles, et une a�en�on visuelle et sonore ; a�en�on paysagère, marquée par la conscience environnementale fondée sur une percep�on personnelle bien plus que militante ou poli�que des préoccupa�ons écologiques. Une percep�on par l’écoute. L’i�néraire de Pierre Redon est d’abord celui d’un musicien, du rock à la musique électronique et improvisée. En parallèle, le travail en collec�f, en par�culier l’Oreille électronique entre 1999 et 2004, est une ouverture transdisciplinaire, dont il garde l’esprit aujourd’hui dans ses pra�ques. Ar�ste sonore, il touche aussi à l’image, par le dessin, par�cipe à la réalisa�on de films, con�nue à composer et conçoit, depuis 2007, des marches sonores. Celles-ci �ennent à la fois de l’abou�ssement et du commencement : abou�ssement dans la manière de travailler la ma�ère sonore à par�r de la voix et de la parole, de l’atmosphère sonore en plus que de la composi�on musicale. Ainsi croise-t-il (ou les mixe-t-il ?) une démarche documentaire et les matériaux enregistrés, cons�tués tant de voix, de capta�ons que de créa�ons sonores. L’écriture des marches mêle ainsi travail de repérage, d’entre�ens, de prélèvements, de montage, de composi�on, mais aussi de mise en place de disposi�f d’écoute. Il y a à cela une dimension pra�que, de reconnaissance et de balisage des parcours eux-mêmes, mais aussi un travail de convic�on et de par�cipa�on des habitants et des acteurs, ins�tu�onnels, poli�ques… Comme toute forme publique d’art, les marches demandent en effet une inscrip�on sociale, part intégrante de la démarche. La mise en œuvre comme la mise à disposi�on publique demande que les marches soient inscrites dans le territoire, topographiquement comme humainement. Dans les Vosges, sur le plateau de Millevaches, à Saint Ouen l’Aumône, le rendez-vous est donné ici à la Maison d’accueil, là à l’Office du tourisme, ou dans un centre d’art, pour se me�re en marche.


Marche Sonore [EAU] #1 - Faux-la-Montagne Entre�en avec Andrée Peyratout photo : Edmond Carrère

La marche a acquis sa place au nombre des pra�ques non spécifiques de l’art, a�tude-forme qui de dérive en trajet, en milieu urbain ou « naturel », impose sa temporalité, sa disponibilité. Pour deux, trois ou quatre heures, Pierre Redon propose un i�néraire sur une carte qu’il conçoit de manière à marquer étapes et rendez-vous, selon une cartographie dynamique et symbolique. Des rendez-vous avec soi-même, puisqu’équipé d’un lecteur portable, la dizaine, la douzaine de moments enregistrés sont à disposi�on, au gré de points de rendez-vous balisés, à écouter selon les cas à l’arrêt ou en mouvement. Dès lors, jouant de ce�e subjec�va�on banale du sonore qu’ont produit les baladeurs, l’environnement sonore du marcheur se dédouble. Aux sensa�ons directes, au mouvement de la marche, à l’a�en�on portée à l’i�néraire, à l’assurance de ses pas, à l’observa�on des signes et éléments environnants comme à ceux du corps en marche, —souffle, rythme, échauffement, effort (même s’il n’est jamais spor�f), fa�gue, à l’énergie de l’allant— s’ajoute la présence sonore parfois indis�ncte de la situa�on présente, parfois venue de l’enregistrement. Les voix, les nappes électroniques aux couleurs à la fois atmosphériques et musicales produisent une percep�on aiguisée de l’instant, faite de la superposi�on de la présence à soi-même et de partage d’un ailleurs immédiat et distant à la fois. Les voix-off des témoins, habitants, acteurs et ac�fs, apportent l’épaisseur de l’histoire —leur mémoire, parfois nostalgique— autant que des informa�ons sur les pra�ques locales, en ma�ère d’élevage, de cueille�e, de flore, de tradi�ons ou d’expérimenta�ons, ou encore de mémoire sociale, industrielle et urbaine. Se mêlant au présent du marcheur, pendant environ un �ers de la durée des parcours, chacune des pièces sonores de Pierre Redon produit une manière de réalité augmentée, de démul�plica�on de percep�on sans


Marche Sonore [EAU] #2 Nemini Parco - Felle�n - Marcheuse - photo : Edmond Carrère

démonstra�on technologique, au plus près d’un état de conscience densifié, d’une expérience personnelle, sans l’autorité du précepte ou du mot d’ordre. La no�on de paysage sonore, telle qu’elle a pu être dessinée par un Murray Shafer et telle surtout qu’elle est aujourd’hui portée au travers entre autres, de penseurs, d’écrivains, d’ar�stes (mais aussi rajouterait Pierre Redon de citoyens ordinaires dans leurs modes de vie, leurs pra�ques) se dessine ici au gré de ces marches sous une forme directe : les dimensions esthé�ques, didac�ques, cri�ques se mêlent à celles patrimoniales et parfois tradi�onnelles des discours croisés, parlés, musicaux, dans une forme ouverte, qui n’a pas fini de s’élargir puisque les parcours sont en passe de prendre d’autres dimensions, avec par exemple un projet à l’échelle du cours de la Loire.

Marche Sonore [EAU] #2 Nemini Parco - Felle�n Pierre Redon - photo : Edmond Carrère


Marche Sonore “Ves�ges ou les Fondements d’une Cyberécologie” - Saint-Oeun l’Aumône - Entre�en avec JeanPierre Bourden - photo : Catherine Brossais / Conseil général du Val d’Oise

à faire, à voir : Marche Sonore « Ves�ges ou les fondements cyberécologie » - 2009 Prod : Abbaye de Maubuisson (95), musée départemental de l’Éduca�on du Val-d’Oise Infos : T 00 33 (0)1 34 64 36 10 / F 00 33 (0)1 30 37 16 69 - abbaye.maubuisson@valdoise.fr Miage - Film 2009 en collabora�on avec Edmond Carrère Produc�on : Pyramide produc�on, TV8 mont-Blanc, Images Plus, Les Sœurs Grées DVD disponible en mars 2010 sur h�p://www.filmsduparadoxe.com/doc.html Informa�ons diffusion : Pyramide Produc�on 05 55 69 24 47 - pyramideproduc�on@wanadoo.fr Marche Sonore [EAU] #1, #2 – 2009 en collabora�on avec Edmond Carrère Faux-la-Montagne / Felle�n (23) Produc�on : Quar�er Rouge, Pays’Sage, Les Sœurs Grées Informa�ons : Quar�er Rouge - 06 61 23 03 65 - quar�er.rouge@gmail.com Marche Sonore au Markstein (68) – 2007 Produc�on : P.N.R. des ballons de Vosges, Syndicat Mixte du Markstein, fes�val Plein les sens Informa�ons : Maison d’accueil du Markstein - 03 89 82 74 98 CD / livres / DVD disponibles sur www.metamkine.com


MARION ROBIN

1981, vit et travaille à Clermont-Ferrand

UNE RÉALITÉ PEUT EN CACHER UNE AUTRE par Léonor Nuridsany, 2009. «[...] et la morale de ceci, c’est : soyez ce que vous voudriez avoir l’air d’être ; ou, pour parler plus simplement : ne vous imaginez pas être différente de ce qu’il eût pu sembler à autrui que vous fussiez ou eussiez pu être en restant iden�que à ce que vous fûtes sans jamais paraître autre que vous n’é�ez avant d’être devenue ce que vous êtes.» Absurde... et tellement logique ! C’est tout le génie de Lewis Carroll dans Les aventures d’Alice au pays des merveilles. L’apparence trompeuse et l’illusion, la déforma�on de la réalité et l’émergence de mondes inters��els, voilà ce que partage Marion Robin avec Lewis Carroll. Comment inventer la réalité ? Quelle part donner aux interpréta�ons et aux correc�ons que produit constamment notre cerveau sur ce qu’il perçoit ? La première exposi�on de Marion Robin (au Creux de l’enfer à Thiers en 2005) aborde déjà tout cela. Avec trois fois rien, elle crée de nouveaux espaces, entre la “réalité” et notre façon de la saisir. Parce que dans cet entre deux, tout est possible. Dans une des salles, deux boîtes collées à une fenêtre et percées d’un trou chacune transforment le paysage. L’ar�ste filtre la réalité avec de pe�tes formes découpées dans du plas�que coloré qui se juxtaposent à des éléments du paysage, le cernant et le recouvrant à la fois. Un ou�l bricolé, des jeux op�ques et de légères digressions dans le paysage : voilà toute la magie de cet art là ! Aujourd’hui l’oeuvre se déploie dans le lieu d’exposi�on-même mêlant avec humour la précision de l’illusion op�que et la maladresse de la peinture en trompe-l’oeil. Et si Marion Robin se définit d’abord comme un peintre, c’est pour me�re en avant une technique qui, mieux qu’aucune autres, ne trompe pas tout à fait. Un procédé idéal pour ouvrir des brèches. Et nous mener ailleurs : entre l’imaginaire et la connaissance, entre l’illusion et la ma�ère. Voyez “Sans �tre”, (2008) et ces cimaises — invraisemblables espaces d’exposi�on, qui défigurent le lieu où elles s’installent comme le travail qu’elles présentent — posées contre les fresques d’une chapelle. Marion Robin déplace ici avec force la prééminence des panneaux immaculés en y peignant en trompe l’oeil, le mo�f de la fresque qu’ils cachent. Un geste, un seul, mais quel geste ! Ici tout est dit sur la peinture, sur la posi�on de l’ar�ste et sur la représenta�on. Et plus encore que cela, l’ar�ste matérialise ce�e zone, impalpable et ina�eignable qui se situe entre la forme et sa représenta�on. Alors pourquoi Marion Robin u�lise-t-elle davantage la photographie aujourd’hui ? Pour emprunter d’autres chemins, affiner, grâce à ce nouveau medium, une reflexion qu’elle mène depuis longtemps. Sur la réalité et la copie bien entendu. Mais surtout sur les espaces possibles que la photographie peut créer grâce à des effets visuels qui lui sont propres : la profondeur de champ et l’illusion op�que. Effets augmentés et troublés par la planéité du support. Troubles recherchés. Déséquilibre nécessaire.


sans �tre, 2007 peintures murales in situ recto verso, acrylique. vue de l’exposi�on rencontre 29, à La Vigie, Nîmes.


le coin, 2009. photographie couleur contrecollée et adossée au mur, �rage numérique - 43x30 cm. vues de l’exposi�on à Monflanquin, Associa�on Pollen


sans �tre, 2009 9 photographies appliquées sur les vitres remplacent les possibilités sur l’extérieur par une vue unique photographies couleur, �rages numériques, lumière naturelle, 3x(180x130 cm) ; 3x(130x80 cm) ; 1x(80x110 cm) ; 1x(80x80 cm) ; 1x(80x50 cm) vue de l’exposi�on à Monflanquin, associa�on Pollen


Alice, 2009 Installa�on in situ Linoléum, adhésif noir, judas op�que Vue de l’exposi�on le mai de la photographie Au Musée de Gajac, Villeneuve sur lot.


ANNE MARIE ROGNON 1969, vit et travaille à Clermont-Ferrand

DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D’ELLE par Lise Guéhenneux, septembre 2009

- Tu t’appelles comment ? - Anne Marie. -Anne Marie comment ? -Anne Marie Rognon. - « C’est pas un nom d’ar�ste ». - C’est quoi un nom d’ar�ste ? - C’est comme un nom d’oiseau ? Et naît alors une vidéo où l’ar�ste se met en scène et développe tout un monologue partant de l’étymologie de son nom. - C’est comme qu’est-ce qui fait Art ? - Faire art de tout bois. Au gré des rencontres. Un objet qui a�re l’œil tel ce paquet de lessive de la marque « PAX » échoué des années soixante, offrant à l’intérieur des surprises pour la plus value, la réclame puis la publicité. C’est à mi-chemin. C’était avant « Bonux », mais dans le même esprit. Et l’ar�ste s’en saisit dans une œuvre où elle met en exergue « le i manquant » parce que « PAX » cela veut paix en la�n mais dans « PAX » il peut manquer également le i. Et cela donne, pour peu que l’on trouve, selon la formule marke�ng, un jouet offert à l’intérieur qui a la forme d’un tank miniature. Et ce met en place une sorte de télescopage où « PAX » est annulé par le bonus caché dans l’emballage. Toute une histoire se construit qui se prend et se comprend par plusieurs entrées. L’emballage lui-même est très graphique et rappelle celui des chocs iden�fiés par des signes codés à force d’être u�lisés, tels ceux de la Bande dessinée, mieux, ceux des comics, plus cheaps et plus efficaces. Une grosse étoile, un big splash aux couleurs flashy. Et se dessine sous nos yeux une scène de bataille où le crash éclate en splash, une sorte d’image entre le jeu vidéo qui visualise ce genre de choc de façon très a�rac�ve pour les u�lisateurs et le film où les effets spéciaux reprennent à la puissance mille les images des photo – reporters. Si la peinture s’immisce sur ce terrain et flirte avec, ce n’est pas pour le servir mais pour figer une lecture, un entre- deux, afin d’opérer un flo�ement réflexif.


Léger décalage 2, acrylique sur papier, miniatures sur balsa, 21x29,7x5cm, 2009.

L’ar�ste part ainsi souvent d’images en mouvement qu’elle filme elle- même ou d’images autres, celles qu’elle croise dans son ordinaire, comme tout un chacun. Elle capte, par exemple, le défilé du 14 juillet, et à par�r du film non monté comme modèle, elle choisit de peindre la démarche. « Alarmé » appar�ent à ce�e pra�que du décalage verbal et visuel qui enclenche des ensembles de pièces. Ainsi, la pra�que d’Anne Marie Rognon s’empare du quo�dien afin de l’inscrire dans un cadre qui permet de l’interroger. Elle s’empare du vocabulaire, des noms propres comme des noms singuliers. Cela a commencé avec son propre nom qu’elle présente avec détachement pour l’analyser et dans le même temps se ques�onner sur son statut d’ar�ste. Il en va de même lorsqu’elle est face à tout événement qu’elle rencontre, soit dans son entourage immédiat et sans filtre, soit par le biais des médias. Alors, s’entrouvre une route prête à toute une réflexion sur ce qu’implique l’objet, les mots et les différents médiums à la portée de l’ar�ste. Anne Marie Rognon s’immerge dans le flux des sensa�ons de toutes sortes et l’u�lise avec de légers décalages qui perme�ent d’essuyer un peu le flou qui peut noyer toutes les données qui nous sont offertes tous les jours dès que nous ouvrons les yeux, les oreilles. Elle choisit ses


Beurre d’où? polystyrène, couteaux miniatures, 13x5,5cm une mo�e, 2008.

Alarmé, acrylique sur toile, 40x50 cm, 2008



Trouver une aiguille en dehors d’une bo�e de foin - foin, bo�es en plas�que, aiguille - dimensions variables, taille d’une bo�e : 8 cm - 2008. page de gauche : Vous trouvez pas que je ressemble à Molière? Poupée, perruque, papier, carton - 120x35 cm - 2008.

médiums en fonc�ons d’une pente qui se négocie au cours de l’expérience. Ainsi, les images peuvent s’ar�culer en vidéos, jamais fas�dieuses, toujours glissantes sur un plan tragi-comique où le poids du quo�dien et de la situa�on sociopoli�que s’allège grâce à des piroue�es où les langages –aussi bien visuel qu’oral- désamorcent un contexte qui pourrait devenir lourd et moralisateur. Les images d’objets trouvés, de situa�ons ad hoc, deviennent sous ses doigts de pe�tes aventures, telles de pe�tes fables qui pénètrent, sans en avoir l’air, des probléma�ques apparemment impénétrables et sans solu�on. L’absurdité recouvre alors l’origine de la gravité sans la masquer totalement. Les changements d’échelles constants, lorsqu’elle u�lise des objets miniatures, des jouets, nous parachutent dans des mondes où la dimension humaine existe sous plusieurs formes. Où sommes-nous ? Où en sommes-nous ? C’est pour cela qu’Anne Marie Rognon u�lise la peinture en la mêlant à des objets et des mots qui s’imbriquent à des images en mouvement afin d’échapper au formalisme trop lourd que prend souvent ce�e « cosa mentale » tout en la prenant au sérieux, tels des Malcolm Morley ou des Gérard Gasiorowski dont elle est peut-être l’infernale pe�te fille. Chez elle le discours de la pureté du médium vole en éclat, elle n’en a cure et cherche surtout à dépasser des limites sans


Léger décalage 1, gouache sur contreplaqué, miniatures. 13x14cm, 2009.

en faire un geste héroïque. C’est par le biais du comique que s’exprime ce�e histoire car si l’on ne la prend pas au sérieux, souvent c’est en contrebande que fonc�onne ce�e recherche où chaque élément vient prendre sa place sans manifeste, sans bruit et sans s’annoncer à grands renforts communica�onnels. Anne Marie Rognon ne travaille pas le packaging, non plus qu’elle n’étudie « l’objet image » facile à faire circuler sur l’Internet, mais elle invente tout hiatus possible à saisir, retardant un temps soit peu le flux ininterrompu des clichés glamours, lisses et sans bavure qui�e à le regarder, tel dans la vidéo « Iden�tés remarquables », prise elle – même dans le flot - Immersion complète et « Ver�ge de l’amour ».


EDWIGE ZIARKOWSKI 1981, vit et travaille à Mon�errand

EDWIGE ZIARKOWSKI par Clemenh Voici le résultat d’un combat. Mais point de machines de guerres ni de troupes suréquipées déferlant au devant d'un impact explosif : la violence est, ici, insidieuse, fruit d'une bataille de pe�tes mains. Car, plutôt que de vaincre, il s'agit de vivre. A l'ins�nct. Sans ra�onaliser le propos plas�que. Edwige se bat. Ses armes sont standards : pauvres armes, pauvre matériel. Elle assemble, les objets, les images, de registres variés (scien�fique, quo�dien, dessins naïfs) et de formes différentes (abstrac�on, figura�on, couleur, noir, blanc), aussi les mots et leurs écritures. Sa technique de combat relève de la guérilla. C'est une guerre de coups de mains, menée de front, sans détour ni merci. Sans stratégie d'envergure, sans pompe ni esprit de conquête, Edwige brasse, �sse des liens et des passerelles qu'elle harcèle jusqu'à l'usure et ainsi détoure des territoires plas�ques et émo�onnels aux milieux desquels sont ménagés de vastes océans de rêves réservés. Car son travail, s'il est fait d'une mul�tude de pe�ts trésors divers, s'exécute intui�vement avec minu�e, parcimonie. Et puis il y a les mots. Donnés à voir autant qu'à lire. C'est qu'ils sont fa�gués, usés, comme échoués, déposés là sur la page par des marées incessantes. C'est le travail qui, les reme�ant constamment sur le mé�er, permet leurs formes empiriques (typographie, mise en page, lien avec le dessin) et à Edwige, qui parle d'écrits/poème, de se dédouaner de certaines lois de l'écriture qu'il est convenu de reconnaître à la poésie. Il en ressort alors un dépouillement et une simplicité qui amènent ces vers à l'essen�el, comme si le superflu reposait dans quelques fonds marins. C'est une poésie qui �ent autant de l'air du temps, par son côté descrip�f, qu'au fil du temps avec ses listes d'usage journalier et l'évoca�on d'un présent appelant le souvenir, la nostalgie. D'apparence légers comme des bois flo�és mais en réalité profonds et lourds de sens parce qu'abîmés par une histoire précise, les écrits d'Edwige, pour peu que l'on vienne se promener en solitaire sur ce li�oral, résonnent d'un écho, lointain mais dis�nct, qui invite à prendre du recul sur notre quo�dien. Il semble possible alors d' "apprendre à compter les jours, voir se passer les jours, comprendre..." et enfin "vaincre (nos) ennuis de passage". Pas de démonstra�on esthé�sante. Juste une poésie, violente et calme, comme un coup de poing suivi d'une longue caresse, légère et vaporeuse. Juste une harmonie nécessaire entre l'impéra�f d'une urgence et un temps qui fuit les points d'accroche. Juste un langage, personnel mais commun, comme l'usure d'un dic�onnaire auquel manque quelques "A", quelques "Z", mais qui garde , entre ses pages cornées et sans podium, colère, rêverie et un éventail de mots de rien, des mots avec derrière des idées, des émo�ons, des pensées et, en filigrane, la suite qui, défini�vement, nous appar�ent.


EDWIGE ZIARKOWSKI : WESTERN ÉLECTRIQUE par Guillaume Desanges Calligraphie sauvage sur les murs entre slogans revendicateurs et amorces de poèmes, collages, moulages en plâtre, dessins sur papier millimétré, assemblage d’objets récupérés : d’emblée c’est l’instabilité et l’indéterminisme stylis�que qui marquent. L’affirma�on ne�e d’une économie de travail basée sur l’intui�on, l’énergie et la liberté plus que la virtuosité technique. Des images ou des mots souvent taillés dans le vif et rendus avec une applica�on pressée, une efficience sans complaisance. Privilège de l’impact immédiat sur le raffinement et la maîtrise, sans prudence, ni précau�on. Epuisement de la voie Suzanne, détail, 2007. diploma�que, maintenant on �re. Cahier, papier collé dimensions variables Le travail d’Edwige Ziarkowski prolifère librement dans l’espace, mais touche immédiatement et précisément, légi�mé par l’urgence et la nécessité d’un message à délivrer qui�e à u�liser les moyens du bord, comme les rescapés d’un naufrage composent à la hâte et avec des matériaux disparates un SOS visible du ciel. Ce mélange volontaire de formes, mo�fs populaires et thèmes d’actualités enchevêtrés à des références poé�ques ou roman�ques, relève d’une sorte d’économie alterna�ve de l’art opérant par recyclage, et qui déborde l’espace qui lui est légi�mement réservé. Mais ne vous y trompez Chercher enfin nos ciels, 2008, fauteuil en pas, ce�e facture spontanée, brute, voire presque cuir planté d’allume�es, moulages de mains en naïve n’est en rien signe de désinvolture ou de plâtre, bougies d’anniversaire, scotch. Crédit désengagement plas�que. Edwige parle des mots photo : Sébas�en Camboulive et des images comme des armes et pra�que un art à l’impéra�f. Jouant sur la confronta�on, le fro�ement, l’affrontement des formes, elle reflète un certain chaos du monde contemporain. Un chaos aussi bien poli�que qu’émo�onnel. Ce mode opératoire proche de certaines expressions populaires comme le slam basées sur l’improvisa�on et l’analogie est aussi une façon de libérer l’imaginaire. Ses cadavres exquis visuels et textuels, faits de rapprochements intui�fs, évoquent tout aussi bien la guerre, la peine de mort, qu’un ciel étoilé, les fleurs, le soleil ou la lune. Une non hiérarchie des valeurs qui évoque un processus mental parfois fiévreux : choc des idées, brûlures par fro�ements de pensées et de ma�ères hétérogènes, alliances précaires, fugaces, fulgurantes. Il est à cet égard intéressant que le projet de l’ar�ste pour l’exposi�on des «Enfants du Sabbat 9» au Creux de l’Enfer ait pris pour mo�f principal la chaise électrique aux Etats-Unis, tant son travail néral pourrait bien relever de la métaphore électrique, mais alors dans l’idée du faux contact permanent, volontaire et déterminé. Branchements hasardeux qui produisent une énergie parfois incontrôlable, et peuvent aussi électrocuter, disjoncter. Si ses œuvres clignotent parfois, font du bruit, de la lumière et du son, c’est moins dans une visée féerique que sous le mode de l’alerte. Non réconciliée avec le monde, la poésie visuelle d’Edwige Ziarkowski main�ent la pression et aiguillonne notre vigilance.


Que tu soignes dans tes yeux, 2006, crayon sur Que tu soignes dans tes yeux 2006 crayon sur papier 18,4 x 11,8 cm papier, 18,4 x 11,8 cm.

Il neige, 2009, encre, crayon, scotch sur papier, 20,5x13,7 cm. Il neige 2009 encre, crayon, scotch sur papier 20,5 x 13,7 cm

Accords conformatics 2007 encre sur papier 18,7 x encre 9,2 cm Accords conforma�cs, 2007, sur papier, 18,7x9,2 cm.

Bes�aire blanc, 2006, stylo sur papier, Bestiaire blanc 2006 stylo sur papier 12 x 14,5 cm 12x14,5 cm.

Monocotylédone, 2006, crayon sur papier 2006 crayon sur papier 15 x 21 cm 15x21 Monocotylédone cm.


“ A la et rien ” 2006 encre, crayon sur papier 29,7 x 21 cm papier, 29,7x21 cm. A lavievie etd’autre rien d’autre, 2006, encre sur

Conserve mes sen�ments, 2005, le�res Conserve mes sentiments 2005 lettres dcalcolables sur papier 17 x 8 cmdécalcolables sur papier, 17x8 cm.

Sans �tre, titre 20052005, sérigraphie sur papier 15,5 x 11sur cm papier, 15,5x11 cm. Sans sérigraphie


Il neige (détails), série de dessins noir et blanc, stylo, encre, crayon, scotch sur papier, 2009

EDWIGE ZIARKOWSKI par Michel Nuridsany* Elle termine sa 5ème année à l’école des beaux-arts de Clermont - Ferrand de façon encore plus poé�que que brillante avec des installa�ons qui s'accordent à son goût de l'objet et des " mondes en pe�ts "proches des jardins japonais et des jardins en bassin chinois. Voici un caisson en plas�que transparent reposant sur une ligne de morceaux de sucres formant un rectangle régulier, dans lequel elle installe un " microcosme des bois dormants " dans lequel se trouve enclôt un avion au nez rouge relié à un fil électrique, un cadre doré reposant à plat sur des gommes, des crayons servant de barrière (de cadre...) et l'empêchant de sor�r, de s'égarer, les cotons-�ges alignés figurant une piste d'a�errissage. A côté, une boule enfan�ne qui, lorsqu'on la renverse, produit de la neige. Et, dans tout le caisson, par giclées, de la brume qui dérobe, parfois, la scène à nos regards. Comme un secret. Comme un songe. Les cartes à jouer, au mur, forment, elles, une combinatoire qui se construit peu à peu, jour après jour, à la manière de défis minuscules. * Michel Nuridsany,, Commissaire de l’exposi�on Première Vue au Passage de Retz, 6ème édi�on. Octobre 2007.

Le microcosme des bois dormants, 2007 caisson en plexiglas, muraille de 358 sucres, avion relié à une mane�e télécommandée, objets divers, 286 coton �ges, machine à fumée 100 x 135 x 120 cm

Le microcosme des bois dormants, détail.


Informations Céline Ahond celineahond@gmail.com Emmanuelle Castellan emmanuelle.castellan@gmail.com emmanuellecastellan.blogspot.com 0677144417 Eui Suk Cho eoneui@yahoo.fr Jean-Charles Eustache www.jeancharleseustache.com Jean-Charles Eustache travaille en collabora�on avec la galerie Claire Gastaud, Clermont-Ferrand et la Galerie Benoît Lecarpen�er, Paris.

Mathilde Fraysse mathildefraysse@free.fr www.mathildefraysse.fr 0698819735 Marc Geneix marc.geneix@gmail.com www.marcgeneix.fr Cecile Hesse et Gaël Romier kephyr@kephyr.fr www.kephyr.fr Carole Manaranche cmanaranche@yahoo.fr carolemanaranche.host56.com Pierre Redon pr@pierreredon.com www.pierreredon.com Marion Robin marion.robin@hotmail.fr 0621965089 Anne-Marie Rognon annemarie.rognon@gmail.com www.annemarierognon.com annemarierognon.blogspot.com 0665740352 Edwige Ziarkowski yadviga@hotmail.fr 0615667577


Cet ouvrage a été réalisé grâce au sou�en de Clermont-Communauté dans le cadre d’un projet de concep�on et de réalisa�on d’une ac�on excep�onnelle de valorisa�on des ar�stes ayant bénéficié de l’aide à la créa�on de Clermont-Communauté. In extenso �ent à remercier Serge Godart, Président de Clermont-Communauté, Olivier Bianchi, vice-président de Clermont-Communauté, chargé de la culture, La direc�on du développement culturel de Clermont-Communauté.

www.labellerevue.org www.inextensoasso.com www.revuedazibao.fr


ISBN : 978-2-9532338-2-7 Imprimerie Chirat N° 201001.0117 Imprimé en France




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