Sommaire :
centre est ouest......................4 In extenso..............................................................4 La Tôlerie...............................................................6 FRAC Auvergne................................................8 Le Creux de l’Enfer........................................10 Résidence Shakers........................................12 EAC Les Roches..............................................14 Parc Saint-Léger..............................................16 La Box.....................................................................18 La Menuiserie.................................................20 Résidence Chamalot.................................22 Résidence La Pommerie.........................24
chroniques........................26 La Part des Choses #3...............................26 Sensorialités excentriques....................28 Erwin Wurm......................................................30 Fréquences........................................................31 2010.11.18 14h03 > 2010.11.19 22h20.......32
portfolios.......................... 35 Jean Bonichon...............................................36 Hervé Bréhier...................................................38 Anthony Duranthon.....................................40 Anne Sophie Emard.....................................42 Philippe Eydieu...............................................44 Yann Gourdon.................................................46 Sébastien Maloberti...................................48 Frederic Ollereau.........................................50 Eric Provenchère.........................................52 Delphine Rigaud...........................................54 Jean Baptiste Sauvage.............................56 Olivier Soulerin..............................................58
focus..................................60 Jean Bonichon..............................................60 Hervé Bréhier...................................................63 Anthony Duranthon....................................66 Anne Sophie Emard ..................................70 Philippe Eydieu...............................................74 Yann Gourdon .................................................77 Sébastien Maloberti..................................80 Frederic Ollereau..........................................84 Eric Provenchère........................................88 Delphine Rigaud...........................................92 Jean Baptiste Sauvage.............................96 Olivier Soulerin............................................100 3
Editorial - In extenso UN OUTIL DE PARTAGE Sortir le second numéro d’une revue annuelle est un évènement en soi puisqu’en plus d’être l’aboutissement d’une année de travail, cela revient aussi à en souffler la première bougie anniversaire. Dont acte. Une année de travail, donc, durant laquelle nous avons essentiellement essayé de tisser des liens, et commencé à mettre en place ce que nous avons appelé le réseau Centre-Est-Ouest, un axe d’information d’art contemporain en Centre-France. Ainsi, miroir de cette belle revue, le site www.labellerevue.org répertorie chaque mois les informations de plus de trente lieux dédiés à l’art contemporain à travers une carte dynamique actualisée en permanence. Toutes les expositions, dates de vernissages, appels à candidature des FRACS, centres d’art, associations, résidences d’artistes présents sur ce territoire proposent au public et aux professionnels - nous avons d’abord pensé ce site comme un outil de travail une vue panoramique sur l’actualité du centre de la France en matière d’art contemporain. Depuis l’été 2010, une nouvelle rubrique mensuelle associée à une newsletter internet propose une carte blanche à un auteur, pour parler d’une exposition produite par l’une des structures du réseau. Nous souhaitions aussi exprimer par là notre intérêt pour le travail critique, le soutenir, et le conjuguer au travail des artistes qui reste le cœur de nos préoccupations. Car rappelons-le, La Belle Revue est aussi et avant tout un projet expérimental visant à promouvoir le travail des artistes. La revue, le site internet sont des espaces. Des espaces partagés. Aussi, www.labellerevue.org renferme des liens vers les sites web des artistes et la possibilité de télécharger leurs portfolios en portable document format. Lorsque Clermont-Communauté nous confiait, il y a deux ans, le soin de travailler à la valorisation de son dispositif d’aide à la création, nous énoncions une formule simple : mutualiser les infos des artistes et des structures, et permettre ainsi que La Belle Revue devienne un terrain de rencontre en plus d’être un outil de promotion et de diffusion. Le pari était d’ouvrir justement le travail des artistes lauréats de la bourse à un panorama beaucoup plus large de la création. La méthode : le partage des espaces. Si le recul n’est pas encore suffisant à la validation d’une telle expérience, la richesse et la qualité du contenu de La Belle Revue nous incitent en tout cas dès aujourd’hui à poursuivre l’aventure. Nous espérons donc vivement vous faire partager notre enthousiasme à travers cette revue rétrospective, au sommaire de laquelle vous découvrirez une sélection d’expositions ayant eu lieu dans les structures du réseau Centre-Est-Ouest en 2010, une compilation des chroniques parues sur le site www.labellerevue.com, ainsi qu’une large partie consacrée à des portfolios d’artistes dont un cahier central en couleur. L’équipe d’In extenso pour la Belle Revue 4
La Belle Revue - Map http://www.labellerevue.org
POUGUES LES EAUX CAC PARC SAINT-LÉGER BOURGES LA BOX LE TRANSPALETTE BANDITS MAGES
NEVERS GALERIE ARKO
DOMPIERRE SUR BESBRE LA RÉSIDENCE MONTLUÇON SHAKERS ROCHECHOUART MUSÉE DÉPARTEMENTAL D’ART CONTEMPORAIN
THIERS LE CREUX DE L’ENFER
CIAP VASSIVIÈRE
LIMOGES FRAC LIMOUSIN GALERIE DU CAUE LA VITRINE GALERIE L’OEIL ÉCOUTE SAINT-YRIEIX LA PERCHE CENTRE DES LIVRES D’ARTISTE
SAINT-SÉTIER RÉSIDENCE LA POMMERIE MEYMAC CAC ABBAYE SAINT-ANDRE CHAMALOT RÉSIDENCE D’ARTISTE
CLERMONT-FERRAND ESA CLERMONT MÉTROPOLE IN EXTENSO FRAC AUVERGNE LA TOLERIE HOTEL FONTFREYDE VIDÉOFORMES MUSÉE D’ART ROGER QUILLOT
SAINT-ETIENNE MUSÉE D’ART MODERNE 9 BIS L’ASSAUT DE LA MENUISERIE GREENHOUSE
CHAMBON SUR LIGNON EAC LES ROCHES
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CENTRE EST OUEST
In extenso
/////CLERMONT/FERRAND///////////////////PUY/DE/DÔME///////////////////////////// hétéroclite, une table de ping-pong qui côtoie un projecteur et un tabouret par exemple1. Ici, il s’agit de plusieurs projections diapositives et 8mm, dont le résultat est à la fois insignifiant et fascinant, et c’est tout l’enjeu de cette installation. Pour Christoph Meier il s’agit presque de créer une relative dépression dans notre rapport à l’objet d’art en s’évertuant à en faire une chose ambivalente difficile à saisir. Ce qui retient sans doute le plus notre attention chez cet artiste est cette volonté et capacité à scier la branche sur laquelle sa démarche repose sans jamais en voir le bout et de suspendre notre regard à cette possible chute qui ne vient jamais. Nicolas, cette petite sculpture fruit d’une courte collaboration avec Aurélien Porte est à la fois symptomatique du système décrit précédemment et son antidote. Le symptôme c’est l’incrédulité que l’on peut éprouver à la rencontre de ce cube de mousse taché de peinture, l’antidote c’est précisément le détachement de Christoph Meier envers tout système même le sien car Nicolas a été en partie réalisé pour la simple raison que cette sculpture se transportait facilement. Ce qui est à l’évidence une bonne raison.
Nicolas. 2010. Mousse, peinture, bois. © Christoph Meier.
LA PART DES CHOSES #2 CHRISTOPH MEIER - Martial Déflacieux
La Part des Choses #2 - Christoph Meier Exposition présentée du 29 avril au 4 juin 2010
Si les références historiques qui nous permettraient d’éclaircir la pratique de Christoph Meier sont nombreuses (modernisme, minimalisme, abstraction), il est sans doute tout aussi efficace de s’en passer. Christoph Meier est peut être même un des représentants d’une génération qui utilisant sans complexe les outils (théoriques, plastiques) du passé n’en oublie pas pour autant de les décloisonner dans l’objectif de libérer le spectateur du rapport esthétique dans lequel le XX° siècle les avait éventuellement enfermé. Les œuvres de Christoph Meier ont de nombreuses qualités plastiques souvent liées à l’aspect si particulier d’un assemblage très
In extenso, 12 rue de la Coifferie, 63000 Clermont-Ferrand 09 81 84 26 52 / contact@inextensoasso.com www.inextensoasso.com
page de droite : Setting #17. 2010. Projecteurs diapo, et 8mm, trépieds. © Christoph Meier.
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CENTRE EST OUEST
La Tôlerie
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Clearing. Claire Morgan. 2009. Vue de l’exposition Résilience. © Claire Morgan, courtesy Galerie Karsten Greve.
L’Espace municipal d’art contemporain La Tôlerie, ouvert en 2003, s’affirme comme un instrument d’exploration de la création contemporaine. Il invite chaque année un commissaire extérieur de la scène artistique actuelle dans une dynamique de qualité et de diversité pour imaginer et mettre en œuvre une
programmation spécifique sur une saison. Lauranne Germond chargée de la programmation 2009-2010 avait orienté son travail sous la forme d’un diptyque autour de la thématique du développement durable et de la perception des artistes face à ce phénomène de prise de conscience. 8
CENTRE EST OUEST
LE TEMPS DE LA FIN « Gagner le combat qui oppose temps de la fin et fin des temps est la tache qui nous est proposée aujourd’hui » Gunter Anders, 1960, Le temps de la fin. Le débat actuel sur les conséquences de l’action humaine sur le climat s’inscrit dans une perspective de catastrophe imminente culpabilisante nous obligeant par la même à reconsidérer notre rapport a la terre. Dans ce premier volet, les artistes par une approche sensible, esthétique et symbolique, proposaient une redéfinition de l’implication collective et individuelle comme une alternative salutaire possible aux discours moralisateurs. En ce sens, les œuvres présentées dans l’exposition comme un véritable témoignage critique sur les changements de la société devenaient partie prenante dans la définition d’un nouveau rapport à notre environnement. RESILIENCE L’origine du monde, le barrage. Camille Goujon. 2009. © Ville de Clermont-Ferrand et Camille Goujon.
La Résilience écologique est la capacité d’un individu ou d’un écosystème, à se relever d’un traumatisme et à retrouver un fonctionnement normal après avoir subit une importante perturbation. Deuxième volet de ce cycle, Résilience rendait compte du changement qui s’est opéré dans les rapports que l’homme entretient avec la nature. La révolution écologique a engendré une nouvelle perception de la nature non plus comme un paysage constitué d’éléments disparates mais comme un milieu en symbiose. De tous temps l’homme a cherché à représenter la nature, les artistes exposés ici ont tous en commun une fascination pour ce monde insaisissable et leur champ d’exploration s’est porté sur la vision d’un biotope à travers son fonctionnement scientifique et par la perception que l’homme en a aujourd’hui. Ici l’esthétisme et la beauté idéalisée font place au constat et à un nouveau questionnement comme une sensation de retrait et de calme afin d’offrir une pause salvatrice. Un point de départ pour repartir de zéro.
Le temps de la fin exposition présentée du 21 novembre 2009 au 07 février 2010. Avec : Maria Thereza Alves, Pierre Ardouvin, Art Orienté Objet, Lucie Chaumont, Camille Goujon, Tue Greenfort, Renzo Martens, Nicolas Milhé, Abraham Poincheval et Laurent Tixador, Gilad Ratman, Stéphane Thidet, Marie Velardi, Nikola Uzunovski. Résilience exposition présentée du 22 mai au 24 juil. 2010 avec Valère Costes, Julien Discrit, Franziska Furter, Henrik Håkansson, Elin Hansdottir, Claire Morgan, Fréderic Pradeau, Andrea Polli, Evariste Richer, Semiconductor, Superflex Commissariat : Lauranne Germond Espace Municipal d’Art Contemporain La Tôlerie, 10 rue de Bien-Assis 63000 ClermontFerrand. 04 73 42 63 76 - ggibault@ville-clermont-ferrand.fr 9
CENTRE EST OUEST
Frac Auvergne
DÔME///////////////////////////CLERMONT/FERRAND//////////////////////////PUY/DE/ En 25 ans, le FRAC Auvergne a constitué une collection d’oeuvres contemporaines principalement tournée vers les questions de la picturalité et de l’image. A raison d’une vingtaine d’expositions par an en moyenne, le FRAC Auvergne fait rayonner cette collection sur l’ensemble du territoire régional, et bien audelà, afin de permettre à un public très large de découvrir la richesse et la diversité de la création actuelle, accomplissant ainsi une sensibilisation permanente à l’art contemporain. Accompagné par ses partenaires publiques et par un club d’entreprises mécènes très actif, tourné vers une création exigeante rendue accessible au plus grand nombre, le FRAC Auvergne se dote aujourd’hui d’un outil indispensable à la poursuite de ses missions. L’ouverture du nouvel espace du FRAC Auvergne s’est tout naturellement effectuée sous le signe de sa collection, avec deux expositions consécutives, Célébration et Babel qui réunissaient plus de 70 artistes et une centaine d’oeuvres. Le choix des artistes, forcément réducteur en regard des possibilités offertes par les 25 années durant lesquelles la collection s’est constituée, ne pouvait rendre compte de manière exhaustive de la réalité de celle-ci. Le choix s’est donc porté en priorité sur ceux qui ont fait l’histoire du FRAC Auvergne en y réalisant des expositions personnelles et sur les acquisitions les plus récentes de la collection, en essayant de montrer comment des oeuvres, même très distantes en apparence, peuvent entretenir de passionnants dialogues, quitte à provoquer parfois d’inattendues frictions entre des créations que l’on imaginerait a priori peu propices au dialogue. Car, en définitive, il s’agit bien d’avoir cette idée à l’esprit lorsqu’il s’agit d’élaborer une collection publique comme celle du FRAC Auvergne : comment des oeuvres peuventelles cohabiter, historiquement et dans le sens qu’elles produisent, au sein d’un même ensemble ? C’est la principale interrogation qui fut celle des membres qui se sont
A l’occasion de ses 25 ans d’existence, le FRAC Auvergne fait peau neuve ! Une nouvelle identité graphique, un nouveau logo, un site Internet complet sur la collection, une équipe agrandie et, surtout, un nouveau lieu, idéalement situé sur le plateau central, au pied de la Cathédrale de Clermont-Ferrand. Créé à l’initiative du Conseil Régional d’Auvergne et fortement soutenu par le Ministère de la Culture, la DRAC Auvergne et la Ville de Clermont-Ferrand, ce nouvel espace permet dorénavant de concevoir des expositions plus importantes, d’accueillir le public dans de meilleures conditions, de développer de véritables ateliers pour les enfants, d’offrir à la collection des modalités de conservation idéales. Ce lieu, choisi pour sa position centrale dans la ville et son accès aisé, est également une plateforme destinée à permettre au FRAC Auvergne de poursuivre son rayonnement régional et ses actions éducatives. 10
Olafur Eliason, Carla Arocha, Bojan Sarcevic, Eberhard Havekost Célébration. Vue de l’exposition inaugurant les nouveaux locaux du FRAC Auvergne. Janvier-Mai 2010.
succédés bénévolement depuis 1985 au sein des commissions d’achat et des conseils d’administration, imposant de fait une sélection rigoureuse des oeuvres pour faire de cette collection un agencement aussi cohérent que possible tout en lui garantissant une singularité au sein des institutions publiques françaises dédiées à l’art contemporain. A nouveau fermé temporairement d’octobre à décembre pour que des travaux complémentaires y soient réalisés, le FRAC Auvergne réouvrira ses portes le 15 janvier 2011 avec une exposition personnelle de l’artiste britannique Darren Almond, organisée en collaboration avec le FRAC Haute-Normandie. Si son travail, représenté à l’étranger par des galeries de renom, a déjà fait l’objet depuis une dizaine d’années d’importantes monographies dans de grandes institutions comme la Tate Britain de Londres (2001), la Fondation Nicola Trussardi à Milan (2003), le K21 à Düsseldorf (2005), le Museum Folkwang à Essen (2006) ou le SITE Santa Fe au Nouveau Mexique (2007), son œuvre reste encore peu, voire mal connue dans l’hexagone. Cette exposition, en deux
lieux et en deux temps, est donc l’occasion de faire découvrir un artiste dont l’approche obsessionnelle et méditative du temps trouve dans les collections du FRAC Haute-Normandie et du FRAC Auvergne des résonances riches et passionnantes. En avril, le FRAC Auvergne offrira aux Auvergnats une exposition historique qui présentera des oeuvres d’artistes majeurs de la seconde moitié du 20ème siècle autour de la thématique du corps. Conçue par Jean-Louis Prat selon le principe d’une carte blanche, l’exposition Un Corps Inattendu sera l’un des temps forts de l’histoire du FRAC Auvergne, avec des œuvres de Picasso, Miro, Bacon, Basquiat, Giacometti, Ming, Klein, de Kooning, de Staël, Richier, Tapies, Moore, Raysse, Baselitz, Lüpertz et bien d’autres. FRAC Auvergne 6 rue du Terrail, 63000 Clermont-Ferrand 04 73 90 50 00 - contact@fracauvergne.com www.fracauvergne.com 11
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Le creux de l’enfer
//////////////PUY/DE/DÔME///////////////////////////////////THIERS//////////////////////////// mais de tenter, en un retour immédiat, d’abolir l’arrêt fatal du cliché. La photographie est donc ici un Art martial. Comme dans le Kuy-Do, la cible à atteindre est soi-même, le but étant la réalisation au présent de celui qui pratique. Dans d’autres expériences réalisées dans le passé, il détourne et interroge le rapport que nous entretenons à l’image. Dans sa série “Les Conservateurs”, Jean-François Lecourt vieillit artificiellement leurs portraits d’un temps plus ancien que celui de l’apparition des premières photographies. Son travail est rattaché, peut-être à tort, au mouvement de la Photographie Plasticienne Française des années 1980-1990. Dans ces années, il participe en effet à des expositions importantes telles “Fabricated Images ICP New York” ou “La Photographie Française”, “Primavera Fotografica”, et certaines de ses œuvres sont entrées dans des collections publiques de référence telles le FNAC, Fonds national d’art contemporain à Paris ou le Museum of Fine Arts de Houston. Son travail reste cependant relativement confidentiel malgré les importantes questions d’ordre esthétique, philosophique et sociologique que suscite son œuvre dans la création contemporaine. Depuis le début des années 2000, tout en poursuivant un travail d’atelier, Jean-François Lecourt s’est mis à l’écart des expositions pour se consacrer à la création d’un lieu d’accueil recevant des consommateurs de drogues par voie intraveineuse. Cet investissement social n’est pas si loin de sa démarche artistique. Il interpelle le passage d’une suppression symbolique de l’égo, dans la photographie, à celle réelle des toxicomanes injecteurs. Aujourd’hui, Jean-François Lecourt vit et travaille dans le département de la Sarthe, à proximité de sa terre natale en région des Pays de la Loire. En 2008, le Creux de l’enfer propose au photographe une rétrospective de son travail pour l’année 2010, et qui témoigne aussi de ses nouvelles réalisations en film numérique. Cette même année, Jean-François Lecourt est invité
Le tir dans l’appareil photographique, 1980-2010. Jean-François Lecourt. Vue de l’exposition, le Creux de l’enfer - centre d’art contemporain. © H.
JEAN-FRANÇOIS LECOURT par Frédéric Bouglé et Jean-François Lecourt, 2010 Jean-François Lecourt est né dans le Perche le 3 Novembre 1958, au sein d’une famille d’agriculteurs. Il entre à 17 ans à l’école des Beaux-Arts du Mans où enseigne Gina Pane, une des artistes fondatrices du mouvement de l’art corporel. Parallèlement, il suit l’éducation d’un Maître d’Arts Martiaux en Karaté Do (la voie des mains nues) de l’école Shotokan, et s’adonne assidûment aux pratiques du Tir à l’arme à feu et du Tir à l’arc. Sa démarche est basée sur l’analogie et l’identification. Une méthode qui le conduit à la découverte de l’aspect cyclique et symétrique des processus de tir et de photographie ; d’où le concept majeur de son œuvre : Le Tir dans l’appareil photographique. Cet acte artistique est un cérémonial immuable qu’il pratique depuis 1977. Il ne s’agit pas pour lui d’illustrer une névrose autodestructrice 12
par le Centre Pompidou à l’exposition “Shoot”, aux Rencontres d’Arles. Il entre par ailleurs dans la galerie Anne de Villepoix à Paris. L’exposition du Creux de l’enfer condense à la fois un travail commencé à la fin des années 1970 jusqu’à des œuvres récentes de 2010. L’œuvre entière valide des autoportraits entre images figées et images animées, entre séries photographiques et création vidéo. On découvre ici les trois volets essentiels de son travail actuel, certaines œuvres d’une série pouvant se lier à une autre. Toutes les œuvres ou séries d’œuvres relèvent d’un procédé de création portant un intitulé indiqué sur les cartels :
NIHIL OBSTAT OU LA NUIT LA PLUS LONGUE AVANT LE JOUR par Frédéric Bouglé
1) Les Tirs dans l’appareil photographique : la balle détruit l’appareil et empreinte l’image sur un négatif déchiré matériellement par le projectile – puis soit la photo est révélée sur papier argentique noir et blanc ou couleur - soit le négatif est numérisé puis la photo révélée à l’aide d’une imprimante jet d’encre. Parfois ces appareils seront des 6/6, des 24/36, des appareils jetables ou même seront fabriqués artisanalement par l’artiste avec des lentilles. La photo présentée est lisse. Ce fut le procédé de départ avec la première expérience réalisée en 1977.
Nihil Obstat. Johan Muyle. Vue de l’exposition, le Creux de l’enfer - centre d’art contemporain. Thiers. © H.
Nihil Obstat est une installation inédite réalisée en 2010 spécifiquement pour le Creux de l’enfer. Johan Muyle n’avait pas réalisé d’exposition solo en France depuis 1997. L’artiste a repris une légende qu’il rapporte au lieu, une cérémonie lointaine branchée à un nouveau courant génératif. De jeunes officiant humanoïdes , mannequins d’ados hyper-réalistes, défilent sur des modes vestimentaires reconnaissables. Sur la parabole des aveugles de Bruegel, sur un socle stylisé de scooter caréné, trois modèles processionnent autonomes et motorisés. Deux d’entre eux suivent Lucie, la maîtresse de cérémonie, tous bras tendus en avant, parcourant sur un rail d’inox réfléchissant l’artère des 250 m2 du rezde-chaussé, un univers comme un avenir tracé, baroque et Hip Hop sous les grandes poulies. Grand Cibachrome visualisant de haut le torse christique de l’artiste encadré d’un bois épais, image d’idole de générations sacrifiées, écranportable LCD, dispositif anti-jeunes Mosquito, Kalashnikov documentaire sur les enfantssoldats, clip de Rap meurtrier, refrain musical pour flute de Hamelin, enfantent un véritable oratorio contemporain.
2) La balle crée l’image ou Les Tirs dans la camera obscura : ce sont des chambres noires bricolées, et utilisées en intérieur ou à l’extérieur, telle la série de 1992 appelée Les Tirs à cheval(des percherons). L’image est alors révélée directement sur un support papier ou film sensible. La photo présentée sera soit percée matériellement par la balle, soit imprimée après numérisation du support original. 3) Le tir dans le Miroir : série inédite de films vidéo engagée en 2009-2010, et dont l’exposition du Creux de l’enfer témoigne pour une première. Si on y retrouve de nombreuses analogies avec le travail photographique, la vidéo accuse la fascination qu’exerce l’acte de tirer sur son image comme l’impact sonore de la détonation (qu’il a fallu ici atténuer pour ne pas troubler le repos nécessaire à la lecture des photos). L’effondrement de l’image du tireur entraîne dans les vidéos l’effondrement du paysage reflété sur le miroir, et sa renaissance immédiate dans un autre situé en arrière plan.
Jean-François Lecourt - Johan Muyle exposition présentée du 13 octobre au 30 janvier 2010. Le Creux de l’enfer. 85 Avenue Joseph Claussat, 63300 Thiers 04 73 80 26 56 - info@creuxdelenfer.net www.creuxdelenfer.net 13
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Résidence Shakers
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Mathieu ROUGET, installation. 2006.
L’association SHAKERS « Lieux d’effervescence » résidence d’artistes implantée au cœur de Bien-Assis à MONTLUCON a la volonté d’être au cœur même de la population pour favoriser les échanges et l’accès à l’art contemporain sur l’ensemble du Pays. Cette pépinière d’artistes est une des rares résidences en Auvergne à accueillir plusieurs artistes simultanément. Après avoir répondu à l’appel à candidature qui a lieu tous les ans en mai, trois jeunes artistes diplômés des Beaux-arts sélectionnés par un jury viennent en résidence pour une durée de six mois minimum. Cette durée permet l’amorce d’un ancrage du travail des artistes avec la population locale et dans le territoire. Nous demandons aux artistes en résidence, passionnés d’Art, d’éduquer et d’ouvrir, à travers les classes à P.A.C (Projet artistique et culturel)
ou des ateliers d’arts plastiques, les enfants qui n’ont pas toujours la chance d’évoluer dans un environnement ouvert sur les Arts et la culture en général. Nous attendons de ces pratiques artistiques qu’elles questionnent l’enfant sur son environnement, sur son devenir, qu’elles le poussent à découvrir d’autres « univers ». Nous souhaiterions que le « geste artistique » devienne habituel et nécessaire. La fin de la résidence se concrétise par une exposition individuelle et la publication d’un catalogue d’exposition édité entre 700 à 1000 exemplaires. Nous espérons pouvoir ainsi, pour certains, les « asseoir » dans le monde de l’Art. Elle met également à disposition un espace de création spécialement attribué aux artistes locaux qui n’ont pas la chance de disposer 14
CENTRE EST OUEST
Palimpsestes. Evgenija Wassilew. 2007.
d’un atelier. Elle permet ainsi à ces artistes de travailler en toute liberté et de s’épanouir dans leur Art. Nous faisons connaître par le biais d’expositions individuelles ou collectives, les artistes locaux dans toute la région Auvergne. Depuis 2005 les artistes résidents ainsi que les artistes locaux contribuent et constituent l’histoire de SHAKERS en laissant à celle-ci une oeuvre. Ce fonds d’art contemporain voyage en Auvergne pour faire connaître et valoriser le travail des différents artistes.
SHAKERS – Lieux d’Effervescence
93, rue de l’Abbaye, 03100 Montluçon 04 70 02 49 88 - 06 74 12 91 87 shakers@shakers.fr
www.shakers.fr T4-18. Florent LAMOUROUX. 2007.
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CENTRE EST OUEST
Espace d’art contemporain Les Roches
/SUR/LIGNON///////////////////////////////HAUTE/LOIRE///////////////////CHAMBON
PICNIC À L’ÉTHER - Marc Lenot
céleste. Cécile Hesse et Gaël Romier1 sont photographes, et leurs photographies lisses et parfaites se dédoublent et se matérialisent dans les objets mis en scène dans leurs performances photographiées, objets dont la présence bien réelle ici amène le spectateur à hésiter entre vérité et fiction, entre optique et forme. Ainsi cette coupe de cristal aux contours alambiqués, nappée de bleu, évoque (mais une photographie plus loin souligne le simulacre) le fameux éclatement d’une goutte de lait photographié par Doc’ Edgerton, l’inventeur de la photographie stroboscopique. Présentée dès l’entrée sur cette table basse encadrée de deux fauteuils accueillants, elle contient des brèdes mafane (ou boutons du Sichuan) piquées
Cet été, il fallait faire le voyage du Chambonsur-Lignon, y découvrir l’Espace d’Art Contemporain Les Roches, royaume de la céramique qui accueille régulièrement des expositions d’art contemporain, et escalader la pente derrière la grande maison chargée d’histoire. Dès l’entrée dans la salle d’exposition, notre vision du monde extérieur est d’emblée chamboulée : la salle est baignée d’une lumière bleutée, les vitres ayant été recouvertes de feuilles bleues de la même teinte que le verre des bouteilles d’éther qu’on trouvait autrefois en pharmacie, éther psychotrope et éther ____________________________________________________________________________________________________ 1
Voir leur site www.kephyr.fr
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CENTRE EST OUEST
dans des épingles de sûreté : portant ces baies à sa langue, le visiteur, invité à goûter, décontenancé et méfiant, perçoit un picotement électrique des plus étranges. Sa vision bleuie, sa langue en overdrive, le voilà prêt à affronter les images étranges que le couple diabolique (farceur et pervers) lui a concoctées. Il peut dès lors se laisser emporter, déranger, détourner par ces fabricants de fantasmes et d’improbable, ces perturbateurs à l’air innocent. Ainsi aimablement conviés dans leur (fausse) intimité, on entre dans leur univers avec fascination et complicité. Il est ici question de corps, bien sûr, Vues de l’exposition Picnic à l’éther. d’interdits, mais question non pas tant © Cécile Hesse et Gaël Romier. de sexe que d’humeurs, de sensualité, sinon sale, en tout cas trop intime pour ne pas déranger : le manchon est une boule de nature, exhibitionnisme affirmé (voyez comme cheveux ; le rosbif est ceinturé de cuir ; on croit elle relève sa robe pour mieux nous donner à la balancelle en guimauve et elle se révèle au voir). toucher faite de mousse de matelas, marquée A travers ces narrations improbables, ce couple des odeurs, des sueurs et des empreintes des d’artistes, poursuivant un chemin de l’étrangeté corps qui y ont dormi ou forniqué, ou qui y sont à nul autre pareil, traquant la sexualité latente, morts. Tout ici est lourd de sous-entendus, de révélant ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne veut sens cachés, de corporalité implicite : un vase pas voir, découvrant nos refoulements les en trompes de Fallope, un tambour silencieux plus secrets, sont, à leur manière, de dignes dont les bâtons sont des fémurs humains héritiers des surréalistes, peut-être les seuls recouverts de laine de layette. aujourd’hui.2 Ce panorama faunesque est comme une Outre le Chambon sur Lignon, Cécile Hesse offrande que les deux artistes nous feraient et Gaël Romier exposaient aussi cet été de leur intimité, une invite à entrer dans dans le cadre du Festival Casanova Forever leurs fantaisies, un croc-en-jambe à notre (organisé par le FRAC Languedoc-Roussillon) rationnel, à notre réserve, aux limites de la à l’Ancienne Maison Consulaire de Mende transgression, dans l’au-delà du bienséant. La (‘Le Goût de la Souillon’) et au PPCM à Nîmes Marge, d’André Pieyre de Mandiargues, n’est (L’Amour à la Machine’). pas loin, L’Histoire de l’Œil, de Georges Bataille non plus. Si proches d’ailleurs, que l’image Cet article reprend un billet du blog Lunettes phare de l’exposition est cette photographie Rouges du 24 juin 2010 : http://lunettesrouges. qui semble volée, voyeuriste, d’une femme blog.lemonde.fr/2010/06/24/picnic-a-lether/ (sans visage, toujours) à demi dissimulée entre Marc Lenot est l’auteur du blog Lunettes deux portières de voiture comme pour soulager Rouges : http://lunettesrouges.blog.lemonde sa vessie et qui pond un œuf. Non pas un œuf .fr/ pur, lisse, protégé dans sa coque, mais un œuf déjà brisé, salissant sa culotte : geste interdit, Exposition présentée du 13 juin au 31 aout 2010 menstrues monstrueuses, enfantement contre Espace d’art contemporain Les Roches Arlette et Marc Simon ____________________________________________________________________________________________________ Les Roches, 43400 Le Chambon sur Lignon 2 Lire leur interview par Michel Poivert, dans le Bulletin 04 71 59 26 68 - contact@eaclesroches.com ème de la Société Française de Photographie (7 série, n°14, juillet 2002) : http://www.sfp.photographie.com/ bull/bull-romier.htm
www.eaclesroches.com 17
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Parc Saint-Léger
////////////POUGUES/LES/EAUX///////////////////////////NIÈVRE////////////////////////////
La Source (demi-teinte). Simon Starling, 2009. Vue de l’exposition THEREHERETHENTHERE (la Source). Courtesy neugerriemschneider gallery, Berlin. © Aurélien Mole.
Lieu vivant, expérimental et convivial, le centre d’art est complémentaire du musée par son implication dans la création artistique contemporaine. Depuis plus de 16 ans, le Parc Saint Léger conduit des aventures avec les artistes et le public et développe un dialogue constant entre l’art et le territoire. Les expositions au centre d’art ou hors les murs, le soutien aux artistes, leur accueil en résidence, la production d’œuvres, l’édition et la recherche artistique représentent les grands axes de notre action. Activités de médiation, jardins à l’œuvre, éditions insolites, constituent le quotidien souvent méconnu de notre engagement auprès du public et des artistes. Nous voulons ici mettre en lumière les coulisses d’un centre d’art à travers le travail de longue haleine mené par les artistes et l’équipe
dans la production d’œuvres. Différents processus peuvent opérer : production dans le cadre d’une invitation, d’une résidence, d’un partenariat Hors les murs… Nous dégageons ici trois exemples récents du travail de production mené par le Parc Saint Léger. En 2009, alors qu’il était invité par deux institutions françaises, au MAC/VAL et au Parc Saint Léger, l’artiste britannique Simon Starling a pris le parti d’exposer ses œuvres existantes au musée et d’en produire de nouvelles pour le centre d’art contemporain, en parfaite cohérence avec l’histoire de la station thermale de Pougues-les-Eaux. Une coproduction a ainsi vu le jour avec le Centre international d’art verrier de Meisenthal (CIAV) pour la réalisation de l’œuvre La Source (demi-teinte). Le point de départ de l’œuvre est une 18
la production d’un prototype de moto qui sera à la fois une œuvre d’art, dévoilée lors de l’exposition personnelle d’Alain Bublex au Parc Saint Léger en octobre 2011 et un engin fonctionnel. Il s’agira d’un prototype « Feet Forward » inspiré d’un groupe de passionnés anglosaxons, pour qui la position optimale de conduite d’une moto n’est pas le buste en avant, mais bien les pieds en avant. Les nombreux adeptes de ce courant ont ainsi développé des prototypes aussi loufoques que bricolés. À la croisée des disciplines, ingénieurs auto-mobiles, designers, architectes d’intérieur et graphistes vont constituer une équipe de travail professionnelle où chacun sera investi d’une mission, mais également engagé dans toutes les étapes du processus de recherche et de conception du prototype. Enfin, nous soutenons les artistes en résidence au Parc Saint Léger dans la mise en place de projets avec des acteurs locaux. Par exemple, un travail est engagé depuis septembre 2010 autour du jeune artiste Benoît Billotte pour la réalisation d’un « jardin idéal ». En prenant appui sur l’activité de jardinage très développée dans la Nièvre, Cherche la rose est proche d’un paysage hybride, où les éléments naturels et artificiels coexistent, ce territoire est colonisé et domestiqué par des structures essentiellement végétales. Le jardin du Parc Saint Léger sera ainsi investi des plantes faisant quasi partie intégrante du paysage local (graminées, herbes folles, vivaces et grimpantes...). Pour sa production, un partenariat a été mis en place avec l’Établissement Public Local d’Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole Nevers-Cosne-Plagny (EPLEFPA). Ce projet est un territoire ouvert aux étudiants et à leurs professeurs où se rencontrent les réflexions et se croisent les savoir-faire ; il sera inauguré le 2 juillet 2011.
Ryder Project. Alain Bublex, 1999-2000. Vue de l’exposition AMERICA DESERTA, 2010. © Aurélien Mole.
photo trouvée du XIXème siècle représentant l’intérieur de la salle d’exposition. À cette époque, le centre d’art est encore une usine d’embouteillage d’eau de source, produite sur le site même. La photographie montre des centaines de bouteilles au sol, dans un alignement parfait. On y discerne également des ouvriers, tirant des chariots de bouteilles vides ou simplement assis au sol et vissant des bouchons. Un fragment de l’image a été découpé par Simon Starling, formant un rond. Sa production spécifique consiste en des centaines de boules de verres noires, produites avec le CIAV, de diamètres différents et posées au sol. Les boules d’un noir profond réfléchissent l’architecture du lieu mis à nu, créant une multitude d’images distordues de l’espace et reconstituant le cercle manquant de la photo, comme autant de pixels. Le Parc Saint Léger, par son ancrage territorial, développe aussi de nombreux partenariats avec des structures locales. Ainsi, en 20102011, deux projets sont à l’œuvre. Tout d’abord, le centre d’art contemporain est porteur d’un projet de coopération entre Alain Bublex, l’Institut Supérieur de l’Automobile et des Transports de Nevers (ISAT) et l’École Supérieure d’Arts Appliqués de Bourgogne (ÉSAAB). Nous allons travailler ensemble à
Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain Ouvert du mercredi au dimanche, de 14h à 18h Avenue Conti – 58320 Pougues-les-Eaux 03 86 90 96 60 / contact@parcsaintleger.fr www.parcsaintleger.fr 19
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La box
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Première hypothèse. Vue de l’exposition ©Jenny Mary
LES BELLES IMAGES
obsédante de la validité de nos perceptions et de nos représentations. Elle pose la question de l’effectivité de l’art et de son rapport à l’image. Intitulée Les belles images, cette programmation explore cette problématique en 3 expositions, 1 cycle de performances et de workshops. Chacun de ces projets incarnera un questionnement différent de notre rapport à l’image, tentative non de réponse mais potentiel de positionnement. Dans Les belles images – Première Hypothèse, présentée du 27 novembre au 31 décembre 2009, le postulat de la matérialité de l’image est central. Avec Marc Bembekoff, sont abordés l’impact physique de l’image et la déconstruction de la forme visuelle, notamment cinématographique. Les belles images – Second Scénario, élaboré
Dans Les belles images, ouvrage de Simone de Beauvoir publié en 1966, le personnage central – Laurence – est publicitaire. Son métier lui ayant appris à décoder les images véhiculées par la société, dont la publicité est définie ici comme le vecteur principal, le monde lui apparaît uniquement comme une surface mensongère. Le réel dans lequel elle évolue se décompose sous ses yeux en fragments aussi faux que lointains, lesquels ne provoquent aucun affect ou aucune sensation immédiate. Le personnage de Laurence, dont le comportement constitue un lieu commun critique de notre société, considère que les signes-images n’ont aucun lien avec le réel. Cette conception reflète la question 20
Troisième type. Vue de l’exposition. Travaux de PeggyButh. © Tony Regazzoni.
en collaboration avec Grégory Castéra, propose des œuvres dont le langage constitue la matière, directement ou non. Auto-réflexive, l’exposition met en scène, du 26 février au 20 mars 2010, la place de l’oralité et de l’écrit dans l’œuvre et dans sa monstration, en étroite collaboration avec les étudiants de l’École des beaux-arts de Bourges. Les belles images – Troisième Type, avec l’artiste Tony Regazzoni, accumule des œuvres au pouvoir formel et fictionnel fort, rattachées à la notion d’artifice et de décor. Du 30 avril au 22 mai 2010, l’illusion, les archétypes et les recherches qui y sont liées seront au coeur de l’espace de l’exposition. Les belles images – Séquence(s), construit
avec Julie Pagnier, compose un cycle de performances et de workshops autour de la validité des codes formant nos représentations. Ayant lieu entre les expositions, chaque Séquence(s) sera précédée d’un travail approfondi avec les étudiants, avec Das Dingbat pour la première et Mickaël Phelippeau pour la seconde. Par l’invitation à des personnalités aux profils et aux préoccupations différentes, il s’agit avant tout de multiplier les approches, ne pas questionner d’un seul angle, mais au contraire de se heurter à l’autre et ses représentations propres. Chacun des projets donnera ainsi lieu à des rencontres sur les thèmes de recherches et de réflexion des intervenants invités. L’édition, surtout, prendra la forme d’un site Internet pensé à la fois comme un catalogue du projet, un accès à l’actualité du lieu et à l’évolution des questionnements. Les belles images Une programmation de Céline Poulin, en collaboration avec Marc Bembekoff, Grégory Castéra, Julie Pagnier et Tony Regazzoni. La Box - ensa bourges 9, rue édouard-branly 18000 BOURGES 02 48 69 78 70 / la.box@ensa-bourges.fr
Second scénario. Vue de l’exposition. Travaux d Øystein Aasan/Haris Epaminonda. © Gregory Castera
http://www.lesbellesimages.net 21
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L’assaut de la menuiserie
//////////////////////////////////////////////SAINT/ETIENNE/////////////////////////////LOIRE// et scientifiques, les mutations sociales et culturelles et l’évolution des comportements a rapidement métamorphosé le paysage sociétal. Jeunesse diverse. Fragile jeunesse, tantôt produit commercial, tantôt outil politique, aliénée, dénaturée, oubliant parfois d’être maître de son avenir, de notre avenir. Qu’en est-il de ses priorités, quel regard porte-t-elle aujourd’hui sur sa société et sur son existence? Les informations circulent à toute allure, par mille supports technologiques, des gadgets favorisant la diffusion de tout en temps réel. On se rue pour réagir sur les forums en tous genre, on twitt on poke on sms. On réagit on se livre on s’aime on rit, dans une immédiateté déconcertante, des quatre coins de la planète. Les sujets et les réflexions s’agitent et se transmettent, on échange ses pensées, on s’interroge sur l’emploi, la beauté, le sexe, la religion, l’amour, l’argent, l’éducation, l’humanité, la liberté, la vie, l’avenir ! Des questionnements et des doutes d’une évidente universalité discutés, criés, manifestés par cette jeunesse sans temps - captée sur l’instant - qui évolue dans une société contemporaine complexe entraînant avec elle un mélange aléatoire de préoccupations d’une vie, qui forme de nouveaux êtres, munis de pensées nouvelles. Une force de jeunesse, une beauté sensible.
We did this and that. Nika Oblak &Primoz Novak. Série de 43 photographies sur aluminium. 75 x 101 cm. 2005-2007.
UNE JEUNESSE - Blandine Gwizdala Je peux interrompre la course de la terre. J’ai fait partir les voitures bleues. Je peux me rendre invisible ou minuscule. Je peux devenir gigantesque et atteindre les choses les plus lointaines. Je peux changer le cours de la nature. Je peux me situer n’importe où dans l’espace et le temps. Je peux appeler les morts. Je peux percevoir ce qui se passe sur d’autres mondes, au plus profond de mon esprit et dans l’esprit des autres. Je peux Je suis James Douglas Morrison in Wilderness La jeunesse, la vie, les rêves. C’est entre les mains de cette jeunesse que se construit le monde, jour après jour, c’est par elle que tout avance - ou régresse, par son comportement, son combat, ses efforts quotidiens pour toucher du doigt ses rêves. La modernité, par l’accélération des avancées technologiques
TRACKS, une jeunesse Exposition thématique collective présentée du 19 mars au 11 avril 2010 Avec Maxime Ballesteros (Berlin), Amélie Bucher (Quimper), Bruno Costantini (Nîmes), Sébastien Legal (Paris), Nika Oblak & Primoz Novak (Ljubljana) 22
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BENJAMIN TRIOULEYRE - Fanny Martin
notre rapport au son en le suggérant plutôt qu’en le diffusant. L’artiste nous invite ainsi à utiliser notre imaginaire et créer notre propre bande son de l’exposition, plutôt que de nous l’imposer. Dans une société où le son (de la télévision, de la radio, du lecteur mp3, du téléphone,…) est omniprésent, et alors même qu’il est l’élément central de ce travail, l’artiste nous offre un temps de pause où l’on choisit ce que l’on a envie d’entendre. Monstration du son, déconstruction des codes de représentation et immersion dans des espaces sensoriels sont autant de procédés conduisant le visiteur à réenvisager sa relation au sonore.
Benjamin Triouleyre, jeune artiste plasticien, manipule les matières visuelle et sonore pour tenter d’en dévoiler les liens souvent imperceptibles. Par des allers-retours continuels entre le dessin, le son, les installations et les performances, son travail se nourrit de l’espace dans lequel il est présenté. Expériences sensorielles où le public est parfois invité à activer les dispositifs, les œuvres s’attachent à mettre en avant le processus comme essence de création. C’est sa pratique de la musique, en parallèle de ses activités plastiques, qui l’a conduit très naturellement à s’interroger sur la relation qu’il entretenait avec ces deux médiums. Benjamin Triouleyre poursuit ses recherches tout à la fois dans une pratique personnelle et collective par sa participation à de nombreux projets à géométrie variable. Le titre de son exposition présentée à l’Assaut de la Menuiserie, Can I kick it ?, au-delà de sa référence au tube hip-hop du groupe A Tribe Called Quest, illustre le combat de l’artiste pour manipuler la matière sonore et l’arracher de son cadre habituel. Il remet en question
Benjamin Triouleyre, Can I Kick it? Exposition présentée du 17 novembre au 11 décembre 2010 L’assaut de la menuiserie, 11, rue Bourgneuf, 42000 Saint-Etienne. lassautdelamenuiserie@gmail.com 06 62 89 65 78 / 06 76 81 91 53 www.lassautdelamenuiserie.blogspot.com
Can I kick it? Benjamin Triouleyre, 2010. vue de l’exposition. © Monsieurtok .
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La pommerie
/////CORRÈZE/////////////////////////////SAINT-SÉTIER////////////////////////////////////////
Improvisation Into a sound flottement. David Fenech. Appelboom / La Pommerie août 2010.
L’art sonore a trouvé cette année une place de choix dans la programmation d’Appelboom. Résidence d’artiste installée sur le Plateau de Millevaches depuis maintenant plus de 15 ans, Appelboom accompagne et soutient à La Pommerie des projets d’expérimentation pluridisciplinaires. Elle y développe depuis trois ans une réflexion autour du matériau sonore, que ce soit à travers la musique à proprement parler, à travers des performances, des installations ou encore des réflexions portées par des artistes en rapport à leur pratique. Qu’il s’agisse de concerts d’improvisation en ouverture de saison (Cyprien Busolini, Özlem Kaya, David Fenech), de projections de films dans le cadre du Mois du documentaire (Plastic and Glass de Tessa Joosse), en passant par les rencontres Art & Ecologie (Pierre Redon, Edmond Carrère, Cédric Peyronnet, Eric La Casa, Bernat Combi, Émilie Maj, David Lebreton, Fernand Deroussen) dédiées chaque année aux questions environnementales, c’est tout naturellement donc que la saison 2010,
s’est articulée quasiment exclusivement autour de propositions consacrées au son. Suite à sa résidence Tony Di Napoli a présenté fin juin un travail méticuleux d’installation sonore autour de fréquences enregistrées aux sources de la Vézère. Evoquant le murmure de la rivière et son cheminement, le dispositif amplifié mettait en vibration deux lames de lithophone et une pierre d’un mètre carré accordées chacune sur les fréquences de la source et faisant sonner de manière presque imperceptible l’extrémité de branches d’arbres. Muriel Rodolosse et David Fenech, invités cet été en résidence ont quant à eux choisis de se concentrer sur un dialogue entre le son et la peinture. Un travail de collaboration sur lequel revient ici Magali Lesauvage.
Association Appelboom La Pommerie 19290 Saint-Setiers 05 55 95 62 34 / residence@lapommerie.org 24
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ré-exécution). En peinture, on choisit le temps que l’on accorde à l’œuvre. En musique, ce temps est imposé. Comment, donc, faire œuvre simultanément ? Où trouver un terrain homogène d’expérience ? La technique spécifique de Muriel Rodolosse consiste à peindre à l’envers, en appliquant des couches de peinture sous une paroi transparente, en plexiglas : l’artiste représente d’abord les détails de l’avant-plan, avant de construire le fond. L’image se fait ainsi par apparitions, par avènements successifs. Lorsqu’il compose, David Fenech affirme quant à lui « cacher des sons derrière un premier plan, comme des secrets ». Il demande à l’auditeur d’avancer progressivement dans l’épaisseur de l’œuvre, tout comme Muriel Rodolosse incite le spectateur à un processus actif : se déplacer dans l’infra-mince de la peinture, comme on évolue dans les méandres du sens. Cependant, dans leur œuvre d’ensemble, David Fenech et Muriel Rodolosse n’imposent pas un ordre forcé, un cheminement tout tracé, ponctué de stations obligées : allier peinture et musique sera plutôt l’affaire d’une combinatoire de rythmes, d’une errance dans l’ambiguïté des sons et des images. C’est pourquoi décrire l’œuvre revient déjà à imposer un parcours, à baliser le chemin de découverte. Dans le désordre, donc, évoquons ce qui nous est donné à voir et à entendre dans Into the sound flottement. Des pas dans la neige. Des fragments de sons concrets qui par assimilation forment des images mentales et deviennent ainsi musique. Un horizon de rochers noirs qui s’estompent dans le lointain. Des crissements cristallins, presque électriques. Des agneaux égarés dans le blizzard. Une femme aux bras aérodynamiques, la gorge ensanglantée et le visage souriant, masqué par une forme géométrique, idéale. Une gueule de bélier surgissant d’un rondin de bois. De lourds battements de cœur qui peu à peu forment un son de basse continu. Un assemblage de formes géométriques trop parfaites pour être naturelles, flottant au-dessus d’un arbre mort dont elles seraient comme le rêve du devenirobjet. Une tension progressive de l’amplitude sonore, une dramaturgie de l’audible. Des mondes connexes, mais autonomes. Des secrets qui ne demandent qu’à être explorés.
Into a sound flottement - Miss. Muriel Rodolosse. 2010. 150 x 100cm (détail), peinture sur plexiglass. Résidence Appelboom / La Pommerie juillet 2010.
DANS LES SECRETS DE LA MATIÈRE-TEMPS par Magali Lesauvage, novembre 2010 Muriel Rodolosse, peintre, et David Fenech, musicien, se sont engagés dans un projet d’œuvre commune. Into a sound flottement, titre de la pièce sonore créée à cette occasion par David Fenech, est aussi celui du projet dans son ensemble. L’indétermination linguistique de ce morceau de phrase — trois mots anglais, un mot français — anticipe l’indéfinition de l’œuvre elle-même, tout en la situant en un lieu impossible, « dans le son ». Flottant entre deux zones sensibles, celle du visible et celle de l’audible, l’œuvre en binôme a pour point de départ l’irrésolue association entre peinture et musique. À cette question qui occupe l’art depuis toujours, Muriel Rodolosse et David Fenech répondent par la tentation d’un espace immersif et suggèrent que le temps sera leur matière commune : le spectateur doit être « devant l’image comme devant du temps », selon Muriel Rodolosse. Mais si en peinture le temps de l’exécution diffère de celui de la contemplation, en musique ils se confondent (l’écoute d’un enregistrement n’étant qu’une 25
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Chamalot -
Résidence d’artistes /////////////////////////////CORRÈZE//////////////////////MOUSTIER/VENTADOUR//////
Piscine. Maude Maris. 2009. Huile sur toile, 73 x 92 cm.
L’association Chamalot-Résidence d’artistes a été créée en 2006 par deux passionnés de l’art contemporain. Elle est reconnue d’intérêt général. Elle s’est donné pour vocation de favoriser les échanges en organisant des actions dans le domaine artistique, notamment l’accueil d’artistes en résidence et l’organisation d’évènements pluridisciplinaires. L’association reçoit le soutien de la Communauté de Communes de Ventadour, du Conseil Général de la Corrèze, du Conseil Régional du Limousin, du Ministère de la Culture-DRAC Limousin, de la Communauté Européenne (Programme Leader) et du Sénat. Les activités de l’association se déploient d’avril à novembre. La résidence permet d’établir un échange entre les œuvres, le public et les artistes, la rencontre étant le point d’ancrage de son existence.
L’association est située dans le hameau de Chamalot, sur la commune de MoustierVentadour, à une douzaine de kilomètres d’Egletons et de Lapleau. Une maison du 17ème siècle entièrement restaurée sert de logement aux artistes en résidence (six par an, deux par deux). Une grange du début du dix-neuvième siècle, avec un plateau de 200 m², sert d’atelier de travail et de lieu d’exposition. Le projet de l’association est de mettre l’accent sur l’ouverture et le partage. Les artistes sont donc reçus par deux afin de favoriser les échanges, sur un projet commun ou sur des projets individuels et sont invités à montrer leurs travaux au public. Il est donc indispensable qu’ils se connaissent et s’apprécient, tant sur le plan humain que professionnel. C’est pourquoi, il est demandé des candidatures doubles. Le but premier de l’association est d’aider les 26
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de se déplacer une voiture est mise à leur disposition. La présentation de leurs travaux au public se fait, d’une part par le biais d’une journée « portes ouvertes » en fin de résidence, un moment privilégié où le public peut échanger avec les artistes et discuter autour du travail en cours, d’autre part lors d’une exposition au printemps suivant la résidence, avec l’édition d’un catalogue. En dehors de l’accueil en résidence, l’association participe à des projets spécifiques : les Printemps de Haute-Corrèze, La Décade du Cinéma, les Circuits avec 5,25-Réseau d’art contemporain en Limousin, ou des projets avec des partenaires locaux (Lycée Pierre Caraminot d’Egletons, associations Léz’arts & Salamandre, Peuple et Culture etc.), tant en proposant des évènements autour de la peinture, que du cinéma, de la musique etc. Cela permet de lier les différentes formes artistiques et d’attirer un public plus large. Ces événements, en lien, si possible avec le thème des expositions en cours, peuvent se dérouler à la résidence ou dans d’autres lieux. Ainsi, en permettant à de jeunes peintres de travailler dans de bonnes conditions pendant un temps donné et en organisant diverses manifestations culturelles, la Résidence d’artistes basée à Chamalot est un véritable atout pour son territoire. Depuis sa création elle est en perpétuel mouvement, cherchant à ouvrir de nouvelles voies et à proposer des évènements artistiques pluridisciplinaires, permettant la découverte des différentes facettes de la création contemporaine.
Spring. Steve Givernaud. 2009-10. Huile sur toile, 162 x 130 cm.
Déplacées. Claire Tabouret. 2010. Acrylique sur toile, 130 x 195 cm.
En 2010, Chamalot-Résidence d’artistes a accueilli les artistes : Frédéric Carpentier, Isabel Duperray, Virginie Dyé, Steve Givernaud, Déborah Julien, Maude Maris, Thilleli Rahmoun, Claire Tabouret.
artistes dans leur démarche professionnelle, mais une autre ambition de ChamalotRésidence d’artistes est de rendre l’art contemporain plus accessible, en l’ancrant dans le territoire et en le diffusant dans d’autres lieux que les lieux convenus : gares, bibliothèques, librairies etc. Les artistes sont sélectionnés par un jury de professionnels de l’art contemporain. Lors de leur résidence d’un mois entre juin et septembre, ils reçoivent une bourse, sont logés et travaillent sur place. Pour leur permettre
Chamalot-Résidence d’artistes 19300 Moustier-Ventadour 05 55 93 05 90 www.chamalot-residart.fr 27
CHRONIQUES
Still Life - Hanna Alkema
La part des choses #3 / Still life à Mains d’oeuvres - Saint-Ouen
La Part des Choses #3 / Still Life. © Marc Domage
Mains d’Oeuvres accueillait à Saint-Ouen au printemps dernier la troisième étape du cycle d’expositions « La Part des Choses », orchestré par l’association clermontoise In Extenso, autour du travail d’une quinzaine d’artistes internationaux. « Still Life » (nature morte), titre de l’étape audonienne, projette d’emblée le visiteur dans une ambiance industrielle. Une structure en placoplâtre de Matt Calderwood (Unfinished Structure, 2007) se dresse à l’entrée, tandis que les sacs de ciments et de farine éventrés de Hervé Bréhier ( Farine/Ciment, 2008) entravent l’espace sur toute la longueur, les étagères métalliques de Ingo Gerken ( Les Éléments d’air, 2008) se déploient suivant un cheminement tortueux et l’odeur d’essence de l’installation de Delphine Reist (Rideau !, 2006) flotte dans l’air. À première vue, plane la sensation d’être arrivé trop tard et de ne saisir que les traces de
l’intervention des artistes, celle notamment de Gerken qui a actionné des bombes de peintures de plusieurs couleurs en différents points de sa structure métallique en direction des murs, formant des taches de peinture plus ou moins régulières. Mais c’est moins le résultat qu’un entre-deux qui est donné à voir, comme la nature morte saisit le périssable à un instant donné. L’inertie de l’exposition sous-tend une tension latente de l’objet qui a été activé ou près à l’être. Soumises à ce rapport au temps particulier, certaines des pièces œuvrent dans l’attente et la suspension. La forme minimale en équerre de la sculpture de Matt Calderwood est lestée de deux bidons d’eau qui la retiennent de s’effondrer vers l’avant. L’installation de Sébastien Maloberti (Sans Titre, 2010), faite de plaques de contreplaqués de récupération, répond formellement à ce jeu d’équilibre où, tel un caméléon, chaque morceau de bois s’assor28
CHRONIQUES
La Part des Choses #3 /Still Life. © Marc Domage
tit à l’eau contenue dans le gobelet qui y est fixé de manière instable. D’autres œuvres fonctionnent sur un temps cyclique et perpétuel. Le rideau de Delphine Reist obstrue l’une des fenêtres. Le long du tissu, s’écoulent régulièrement des filées d’essence, récupérés par des bidons pour s’écouler à nouveau en circuit fermé. Sur un socle, repose un cendrier blanc. Au milieu des cendres, scintille indéfiniment une minuscule braise rouge, farce visuelle, intitulée avec cynisme Forever Young (2005) par l’artiste Ariel Schlesinger. Les œuvres de l’exposition ont finalement de commun qu’elles empruntent au réel des objets et des mots, dont les assemblages minimalistes révèlent un pouvoir de suggestion certain. La phrase « Let us meet inside you » (2010) inscrite par Navid Nuur, apparaissant par transparence à l’arrière de la bonbonne d’un distributeur d’eau, n’est pas sans ambiguïté. Est- il question de la rencontre de l’œuvre avec le spectateur ? De l’invitation faite au visiteur de prendre part active à l’œuvre en se servant un verre d’eau ? Plus directement, les quelques mots tracés dans la Liste non-exhaustive (2009) de Thomas Bernardet - diamant, bagnole, peinture, une
maison à 100 000 euros - évoquent un monde de luxe et de richesse, inversement proportionnel à la simplicité de l’énoncé de l’artiste. Dans un coin, l’installation discrète de David Beattie (Remote Past-Future, 2009), un morceau de contreplaqué en appui contre le mur cachant une diode rouge se réfléchissant sur un bout de papier aluminium froissé, élabore en trois touches un petit paysage énigmatique. C’est avec davantage de mystère encore que Marc Geneix élabore l’œuvre Finite Space (2010), une feuille de papier recouverte de graphite et froissée, évoquant toute la potentialité contenue dans une feuille vierge parcourue par un crayon à papier. Un champ des possibles où réside cette suspension même du sens et des choses. Hanna Alkema est historienne de l’art et commissaire d’exposition. Exposition présentée du 22 mai au 4 juillet 2010 sur une proposition d’In extenso Mains d’Oeuvres 1, rue Charles Garnier 93 400 Saint-Ouen 01 40 11 25 25 - info@mainsdoeuvre.org 29
CHRONIQUES
Sensorialités excentriques
- Estelle Nabeyrat Sensorialités excentriques au musée départemental d’art contemporain de Rochechouart d’une cécité progressive, il entreprend de longues recherches sur l’élaboration d’un nouveau langage visuel. Ses expérimentations sur la convergence des sens aboutissent à la publication d’un ouvrage éponyme : sensorialités excentriques, publié par Henri Chopin en 1969. Hausmann s’intéresse à un art pouvant dépasser les cinq sens, il théorise sa conception d’une œuvre d’art « excentrique », soucieuse de sa réception autant que de sa transmission : « ...cela signifie le dépassement et l’élargissement de toutes les facultés cellulaires, nerveuses, « aperceptionnelles » ». Pour Hausmann, le projet ne se limite pas aux seuls contours de l’art, il revendique des intentions d’ordre politique dont le fondement repose sur une critique profonde de la pensée occidentale. Une pensée « conservatrice et sédentaire » à laquelle la conscience de l’homme se devait d’être éveillée. Les premières expérimentations se manifestent tout d’abord à travers ses dessins mais aussi ses photomontages, à une autre époque ; procédé dont on lui reconnait la paternité. Hausmann cherche une potentielle extension de sa vue et produit croquis, poèmes et autres textes qu’il n’aura de cesse d’explorer. Une pluralité de médiums dont il usera depuis ses premiers pas dans le collectif Dada jusqu’à ses relations plus tardives avec les avant-gardes Fluxus et l’International situationniste. La première salle de l’exposition est une introspection dans un travail foisonnant qui a toujours fait coexister recherches plastiques et écriture, idées et matière. Réclamant « une civilisation nouvelle ! D’urgence ! », les exhortations de Haussman ne prétendent pas être à la source d’une contagion du monde artistique. L’exposition préfère prendre le parti des filiations plus subtiles avec un ensemble de pièces non illustratives mais liées par une forme de survivance de préoccupations conjointes. Du psychédélisme des années 1960 représenté par une série d’affiches au caractère subversif de Sture Johannsson ou encore par l’hypnotique film « T.O.U.C.H.I.N.G » de Paul
Regard dans le miroir. Raoul Hausmann. 1930. Photomontage, 19x13,5 cm, coll. Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart.
Le Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart présente, depuis cet été, une exposition conçue à partir d’un fonds unique de l’œuvre de Raoul Hausmann qui y est soigneusement conservé. C’est que l’artiste « dadasophe » (comme il aimait à se définir), ce même qui naquit en 1886 à Vienne puis grandit à Berlin, séjourna les dernières années de sa vie dans la région limousine, région qui l’éloigna, vers les années 40, de la montée du nazisme outre-Rhin et qui lui rend à nouveau hommage aujourd’hui. Il fut l’une des figures du mouvement Dada dans l’Allemagne d’après-guerre et, la contestation des valeurs bourgeoises, qui en fut l’un des fondements, sera chez Hausmann un principe de vie toujours revendiqué. Atteint 30
CHRONIQUES
Two Times 4’33. Manon de Boer. 2008, 12 min. 30 sec., 35mm film or video, colour, dolby surround sound. Courtesy: Jan Mot, Bruxelles.
Sharrits - jusqu’à nos jours, le musée offre un parcours subjectif et sensible d’œuvres, contemporaines du travail d’Hausmann. Dans sa vidéo « Two Times 4’33’’ », Manon de Boer nous propose d’écouter le silence d’une partition composée par John Cage en 1951 et nous invite ainsi à une lente introspection sensorielle. Juste à côté, « Line describing a cone » d’Anthony Mc Call plonge le spectateur dans une matière lumineuse pénétrable et fait ainsi écho aux recherches que Hausmann a pu entreprendre sur la synesthésie. Le film d’Ivan Cardoso sur l’œuvre en grande partie disparu, du brésilien Helio Oiticica, est une occasion rare de se frotter au « suprasensoriel », dont le corps sert d’extension. Et Marcel Broodthaers, plus loin, tente d’engager une conversation sur l’art moderne avec un chat. L’absurdité de l’entreprise fait résonance aux balbutiements des poèmes phonétiques de Hausmann et
fait état d’une volonté partagée par beaucoup d’artistes de dépasser le cadre strict de la relation à l’objet, d’une croyance cantonnée au visible. Un questionnement sans cesse réactualisé à une époque où un écart se creuse toujours plus distinctement entre une production directement commercialisable et un art qui, notamment à travers le retour de la performance, s’échappe du cercle conventionné des arts plastiques. Estelle Nabeyrat est commissaire d’exposition et critique d’art exposition présentée du 3 juillet au 18 octobre 2010 au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart, place du Château 87600 Rochechouart. 05 55 03 77 77 - contact.musee@cg87.fr www.musee-rochechouart.com 31
CHRONIQUES
Play it again, Sam - Yann Ricordel Erwin Wurm - One minute more, à La box - Bourges pouvait sembler relever de la gageure. En réalité, une telle démarche va tout à fait dans le sens d’un artiste facétieux cultivant une forme d’humour slapstick, l’œuvre devenant ainsi une sorte de running gag. Et ici la nature processuelle de la série a été respectée : à partir de dessins dont certains datent de 2008, des membres d’associations locales ont été mis à contribution pour activer les procédures proposées par Wurm, et accrocher euxmêmes les tirages photographiques au mur. Se mettre une bassine sur la tête, jouer avec des élastiques avec ses doigts, coincer des bananes entre ses jambes et ses bras : autant d’actions humoristiques, qui ne sont pas sans rappeler les Actions-peu de Boris Achour (1993-1997), immortalisées par des images qui revêtent le caractère anodin de la photo-souvenir. Tout ici indique le refus du sérieux, la désacralisation de l’art, jusqu’à la facture simpliste des dessins qui illustrent les actions à accomplir. Les One Minute Sculptures semblent faire un pied de nez à la fois aux formes les plus violentes et les plus spectaculaires de l’art corporel, au hiératisme photographique des épigones de l’école de Düsseldorf, aux très sérieux protocoles de l’art conceptuel le plus aride et, plus généralement, à une société soumettant l’individu à une obligation de résultat — prendre une minute de son temps pour accomplir un geste aussi improductif que poétique… La « quotidiennetéaidée » que nous donne à voir Erwin Wurm, à l’image du « ready-made aidé » de Duchamp, semble nous poser cette question : l’art est-il vraiment important ? Cela me rappelle cette phrase d’un ami artiste : « les artistes ça n’existe pas, je le sais parce que j’en suis un »…
© Véronique Frémiot
Il fut un temps où la sculpture correspondait à des pratiques académiques très codifiées. Alors qu’on hésitait encore à qualifier de « sculptures » les objets monolithiques du Minimal art, la « sculpture », avec l’explosion des pratiques qui a accompagné les années 1970, a alors pu désigner, dans le mouvement d’une d’émancipation ambiante, à peu près n’importe quoi, et s’hybrider sans complexes avec des attitudes (devenues formes, pour rappeler le titre d’une exposition phare d’Harald Szeemann) telle que la performance : qu’on pense par exemple aux Living et Singing Sculptures (1970) de Gilbert et Georges en Angleterre. Des One Minute Sculptures on a retenu quelques images aujourd’hui familières. De ce fait même, ce que la commissaire de l’exposition Mathilde Hiesse insiste pour nommer une réactivation
Erwin Wurm - One Minute More exposition présentée du 30 Septembre au 23 Octobre 2010 à La Box, école nationale supérieure d’art de Bourges, 9 rue ÉdouardBranly 18006 Bourges cedex 02 48 24 78 70 - la.box@ensa-bourges.fr http://box.ensa-bourges.fr/ 32
CHRONIQUES
Fréquences - Lise Guéhenneux Cycle d’exposition Fréquences au Transpalette - Bourges Durant l’année 2010, le Transpalette s’est mis à l’heure des Fréquences concoctées par Léonor Nuridsany. Comment rendre compte sans image ? Cette immersion dans des dimensions autres commence par une installation de Gérôme Nox conçue pour transfigurer l’espace. Plusieurs nappes de sons réveillant nos sens tout en ménageant un parcours où la musique servait les interférences d’une partition architecturale industrielle, toute de structures, pour nous conduire vers une élévation. Les infra basses révèlent le Transpalette, rampent sur le sol dans un effet de résonances où la froideur électronique se mue en organisme. Les fluides et les stridences, les accélérations et les décélérations répondent aux arcs électriques et aux courts circuits. Le lieu d’exposition devient réceptable du son de cette installation sonore pendant ce premier moment tandis que le reste est déporté dans la salle de concert où Sébastien Lepinasse nous immerge dans les débordements physiques et lyriques de sa poésie sonore. Puis c’est au tour de Urs de rendre la matière au son avec toute sa mémoire jusqu’à l’étendre à la ville qui devient alors un vaste atelier de production du concret rendu sensible et restitué à des auditeurs suspendus à ces captations géographiques. Après le son, la deuxième fréquence abordait le continent de l’écrit avec un feuilleton de Martine Aballéa, la maison au bout de la rue, publié chaque semaine dans le Berry Républicain. Un récit égrenait ses épisodes à partir d’un scénario où le continuum espace-temps était modifié par un phénomène de sciencefiction d’après un programme établi en 840. Là, dans un paysage urbain, les plantes déclenchent alors un glissement et un basculement dans un étrange quotidien. Le rêve et autres états psychiques, les éléments climatiques se conjuguent pour une cérémonie où l’humain cherche sa place. Pour la lecture, le Transpalette se transformait par moments en salon, un fragment d’hôtel ou de salon domestique où le journal est à déguster dans un petit fauteuil profond placé sous la lumière jaune d’un
lampadaire stylé années cinquante, à l’étage ce sont de vastes canapés ou des chaises. Des vidéos et des ouvrages sont disponibles pour une lecture individuelle tandis qu’au rez-dechaussée des écrans déplacent encore ailleurs l’écrit. Mélanie Poinsignon se sert d’un logiciel de transcription vocale afin d’introduire des fautes dans un texte écrit qui apparaît au fur et à mesure d’un entretien qu’elle mène avec Jacques Derrida. Cette performance à partir d’un outil opérant montre les limites de cet outil très hight tech dans une épreuve qui se solde par un fiasco absurde. Elle fait également l’expérience de la communication orale, celle du discours dont elle nous montre l’envers du décor avec ses ratés, son montage et ses variations finales. Autre façon de faire advenir l’image par le texte que celle d’Armelle Caron dont les vidéos de mots blancs sur fond noir défilent selon une lecture structurée par la vidéo, son espace et son déroulement. Les évocations descriptives font apparaître l’objet suivant des strates sans cesse en mouvement où l’esprit vagabonde, retouchant et rebouchant les trous comme dans ceux de Loreto Martinez Troncoso où deux langues viennent se télescoper et se perturber dans une sarabande poétique. La dernière Fréquence considère des œuvres olfactives, celle de Bertrand Lavier N°5 sur Shalimar, issue de sa série d’objets superposés et celle du collectif RYBn. Tandis que le premier utilise des objets ready-made qu’il mixe et mélange dans une salle isolée à l’étage, les deuxièmes distillent dans le reste du bâtiment un sérum bénéfique actionné grâce à un programme informatique connecté via Internet aux pics de pollution. Comment conclure cette suite d’interventions et d’invitations ? Quelles traces donner à voir ? Comme les cartons d’invitations ont donné lieu à des actions particulières, invitation sonore, visuelle, via l’Internet, olfactive, avec l’envoi d’un testeur de parfumerie, la forme du catalogue est pensée en conséquence, pour le format numérique. Défini comme un espace-temps décalé propice à une autre respiration, il nous réserve forcément des surprises. 33
CHRONIQUES
2010.11.18 14h03 > 2010.11.19 22h20 - Joël Riff
Parc Saint-Léger - Chapelle Sainte-Marie - 5e Biennale d’art contemporain de Bourges Paris Bercy n’est donc pas qu’un terminus pour marchandises. A quelques kilomètres de cette idée reçue, j’arrive dans l’humidité du Parc Saint Léger. L’île de Xavier Veilhan flotte toujours dans le cresson. 2010.11.18 17h08. Des prismes de bois m’indiquent la présence de Benoît Billotte. L’autre résident affine l’installation de la Maison CéFêT : François-Thibaut Pencenat et sa complice ouvriront bientôt ici leur maison jaune. Dans le centre d’art, des ronronnements mécaniques rompent le silence de Pougues-les-Eaux. Keren Brätsch projette dans des recoins des dizaines d’images militantes alors que de grandes peintures trônent dans le volume principal. 2010.11.18 20h56. Le soir même, dans la Chapelle Sainte Marie à Nevers, 2010.11.18 17h08. (Benoit Billote auParc Saint Léger à Pougues les Eaux). Claude Cattelain répète des © Joel Riff. tentatives d’érection. Atteignant pourtant d’impressionnants sommets, ses efforts sont voués à l’effondrement, magistral. Dans une esthétique similaire de bâtisseurs, Marcel Hiller et ses potes reconfigurent la façade et le contenu de la Galerie Arko. Après une nuit dans les brumes pouguoises, un train me reconduit au cœur de la préfecture de la Nièvre pour une escale par sa cathédrale, probablement l’édifice religieux flanqué de la plus grande hétérogénéité de vitraux contemporains. C’est à Bourges que la journée continue avec sa 5e Biennale d’Art Contemporain déployée dans la cité en treize stations. 2010.11.19 11h03. J’embarque dans un convoi pour la Friche Culturelle afin de ressentir les vidéos du Haïdouc, les effluves du Transpalette, puis les températures de Stephen Dean dans une superbe construction cylindrique où l’on tourne jusqu’au vertige. L’Ecole des Beaux-Arts recueille un film de Salma Chaddadi. Trois artistes en résidence 2010.11.18 20h56 (Claude Cattelain à la Chapelle Sainte Marie à Nevers). @ Joel Riff nous ouvrent leur atelier. Et Stéphanie Nava 34
CHRONIQUES
2010.11.19 11h03. (Bertrand Lavier au Transpalette à Bourges). © Joel Riff
2010.11.19 14h56. (Guillaume Linard Osorio d’Auron à Bourges). © Joel Riff
dissémine des pièces récentes à La Box. Ses grandes surfaces graphitées restent ici ce qui me séduit le plus. Françoise Vanneraud présente au Musée Estève des feuillets éphémérides : il faudrait venir ici chaque jour pour en voir la totalité. Dépassons maintenant les remparts pour atteindre le Pavillon d’Auron que l’on pénètre par une rampe dont nous découvrirons ultérieurement les fantaisies. Une large halle permet là de réunir très confortablement trente artistes qui forment Panorama. Beaucoup d’heureuses retrouvailles et quelques découvertes rythmèrent ma visite. Un troublant sentiment se cristallise cependant, voisinant celui qui se dessine généralement dans ce type de manifestation consacrée à la jeune création : perturbante est la proximité formelle que beaucoup de nouveaux partagent avec leurs ainés, même de quelques années. Intelligence ? Déférence ? Ignorance ? 2010.11.19 14h56. S’il ne me faut retenir qu’un trentième de la manifestation, j’évoquerai la proposition de Guillaume Linard Osorio frisant à la fois ce constat tout en excitant ma propre sensibilité. Ailleurs, le Palais Jacques-Cœur est une réelle punition à visiter par sa cinquantaine de portes étroites qui fragmentent l’itinéraire de Sabine Massenet en un satané labyrinthe.
Eui-Suk Cho assemble des briques textiles près de la grandiose cathédrale. Et sur la pente qui reconduit au Pavillon, je croise une jeune femme en fauteuil roulant qui négocie dangereusement la topographie accidentée du trottoir. Malgré ma complicité, la descente est sportive, et la fascination de Raphaël Zarka pour la glisse urbaine prend un sens nouveau. Plus bas, le Muséum d’Histoire Naturelle accueille Laurent Duthion dont l’œuvre est désactivée. J’interroge un agent pour m’assurer qu’il s’agissait bien d’un film, et on me répond avec assurance que non, ce n’était qu’une petite projection. Ce joli commentaire me satisfait. A la Médiathèque, une autre petite projection, de Jérôme Fino, donne à voir un piano se faisant tendrement martyriser les cordes. Et dehors, sur le parking, je retrouve la fille en VHP, victime cette fois d’un obstacle. L’œuvre du collectif Raum était trop loin pour amortir son choc, et son visage ensanglanté témoigne de l’agressivité latente de notre environnement. 2010.11.19 17h22. Les manifestants de Mircea Cantor et leurs pancartes inquisitrices nous avaient pourtant mis en garde.
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au Pavillon
AIDE A LA CREATION
Aide à la création
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Pulse. Installation sonore. 2010. Verre, mica, ampoule électrique, laser, électronique, amplificateur, transducteurs basse fréquence. Dimensions variables.
Chaque année, In extenso attribue à un jeune artiste, une des bourses d’aide à la création Clermont-Communauté. Nous avons choisi pour l’année 2010 de soutenir le travail de Pierre Laurent Cassière. Un certain nombre d’artistes présent dans cette édition de La Belle Revue ont également été les lauréats de ce dispositif cette année et les années précédentes*.
néma élargi interrogeant le potentiel poétique et abstrait de systèmes audiovisuels mis en espace. Après des études à la Villa Arson, à Nice, et un séjour au studio son de l’Icelandic Academy of the Arts à Reykjavik, Islande, il obtient son DNSEP en 2005. Auditeur au Klanglabor de la Kunstochschule für Medien (KHM) à Cologne l’année suivante, il obtient en parralèle un DEA en Art actuel entre les universités de Liège et Bruxelles, Belgique. Son mémoire de recherche porte alors sur le potentiel social des pratiques relevant de l’installation sonore. Ses œuvres ont depuis été exposées dans différentes institutions telles que le SMAK, Gand, Belgique, le TENT, Rotterdam, Pays-Bas, le Palais Thurn & Taxis de Bregenz, Autriche, le Palais de Tokyo et le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, le Kunstverein de Stuttgart, Allemagne ou encore le Paco das Artes, São Paulo, Brésil. Il a également participé à différents festivals de film ou d’art médiatique comme la biennale WRO, Wroclaw, Pologne, le Darklight Filmfestival, Dublin, Irlande, l’IFFR Rotterdam, Pays-Bas ou plus récement au Microvawe à Hong-Kong. Il est représenté par la galerie Frédéric Giroux, Paris.
Pierre-Laurent Cassière aborde le son et les champs vibratoires comme un médium liant les corps et l’espace par des relations dynamiques. Jouant avec les limites de la perception, ses dispositifs, instruments et performances proposent souvent des modes d’écoute spécifiques et invitent les auditeurs à aiguiser leur attention, hors de toute considération musicale. Mêlant l’archéologie des média à l’histoire de l’Art, les techniques des machines sonores représentent, dans son jeu créatif, autant de matières à comprendre, réorganiser et réinterpréter. En parallèle de ses recherches acoustiques, il développe des installations de ci______________________________________________________________________
*Hervé Bréhier, Anthony Duranthon, Anne-Sophie Emard, Philippe Eydieu, Sébastien Maloberti, Delphine Rigaud, Olivier Soulerin.
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PORTFOLIOS
Portfolios
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Samso geyzer. 2008. Impression numérique couleur sur papier mat, 33x40 cm.
Hervé Bréhier
Dessin. 2002. Crayon bic. Photographie d’atelier. 2010.
Anthony Duranthon
La kermesse. 2009. 182 x 243 cm, encres, dorure et acrylique sur toile © S. Camboulive
Anne Sophie Emard
Paul (le mépris). 2009. 133cm x 100cm, diasec.
Philippe Eydieu
Arthropode. 2010.
Yann Gourdon
A Plat. Elodie Ortega & Yann Gourdon, 2010.
Sébastien Maloberti
La vieille revue. 2010.
Frédéric Ollereau
Sédimentations. Vue de l’exposition « Horizon », Massif du Sancy, 2009.
Eric Provenchère
Détail de Sans titre. acryl/bois. 23 x 80 x 5 cm. 2010. Détail de Sans titre. acryl/bois. 23 x 80 x 5 cm. 2010.
Delphine Rigaud
Out out, 2010. Caisson lumineux pvc, impressions sur vinyl, 50 x 50 x 50cm. Small world (plan de poche). Impression numérique sur papier, 17 x 24cm.
Jean Baptiste Sauvage
Two-in, two-out. Guillaume Louot et Jean-Baptiste Sauvage. Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne, exposition Local Line n°3, 2010. © Yves Bresson.
Olivier Soulerin
Prise de vue (extrait). 2010. Supports et dimensions variables.
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FOCUS
Jean Bonichon
//////////////jeanbonichon@yahoo.fr//////////////////////////////////////////////////////////////
Champagne. 2009. Installation diptyque vidéo en boucle. Crous de Dolet, Festival Vidéoformes 2010.
TROMPE LE MONDE 1 - Frédéric Emprou
tions de l’artiste rappellent des leurres irrévérencieux et parfois grinçants, prétextes à des combinatoires avec la surface des choses. Répliques en bronze d’un cornet de glace écrasé sur le sol, bouche d’égout improbable échappée d’un cartoon mimant la forme simplifiée d’une éclipse, les narrations développées par les pièces de Jean Bonichon consistent en la mise en dérèglement des points de vue et des attentes du spectateur, ainsi que des registres formels. Entre ready-made mutant et clins d’œil à l’art minimal, objets célibataires et dérives poétiques allusives, le répertoire prolixe de l’artiste tient de l’inventaire fantasque. Story board distillant une esthétique de la platitude et du non sens, ces images qui déraillent et génèrent des renversements constituent autant de pastilles, fruits d’une idée ou d’un dessin tout droit échappé d’un carnet de notes. Cultivant les incongruités, l’artiste décline les matériaux et les contextes avec application,
« Je suis un humoriste, un plaisantin, je suis un acrobate… » 2
Parler du travail plastique de Jean Bonichon en citant Gombrowicz pourrait tenir du grand écart, s’il n’était pas question de décrire une tentative narquoise et iconoclaste d’interprétation du monde : l’évocation d’un regard facétieux exercé à l’égard d’un certain dérisoire de l’existence. Déraisonnable et pléthorique, Jean Bonichon n’a de cesse d’explorer une mythologie de la banalité au travers de performances, d’actions filmées ou de sculptures, sous le mode du décalé et de l’angle irrésistiblement éclaté. Douces et savantes divagations, les produc__________________________________________________________ 1 titre de l’album éponyme, Trompe le monde, Pixies, 4AD, 1991. 2 Witold Gombrowicz, Testament, entretiens avec Dominique de Roux, éd. Gallimard, 1996.
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FOCUS
La grande piscine. 2009. Impression numérique couleur sur papier semi-gloss. 80x80cm. Installation: contre plaqué, tube cuivre, peinture glycéro, 65x70x60cm.
The preacher of pumpkins. 2008. Performance, Samso (DK). Photographie trace, extrait du triptyque, impression numérique couleur sur papier mate, 35x87cm.
vainement périlleuses. Au-delà du running gag plaisant et de la blague potache, ces mini séquences se distinguent par le classicisme des ressorts utilisés, l’économie de moyen et la simplicité de l’intrigue. Instantanés énigmatiques en forme d’interrogation face à une certaine l’inanité, les photographies de Jean Bonichon rappellent des moments suspendus qui oscilleraient entre mise en abyme interlope et rêverie contemplative. Dans ces tableaux magrittiens d’un nouveau type, celui-ci en devient le scrutateur impassible, le héros et figurant allégorique d’une possible lecture du réel. Auteur et personnage improbable d’une trame généralisée, Jean Bonichon module et expérimente des fictions à la manière de l’errance loufoque. Comme un remake élargi et savoureux de La vie de Brian, la pratique de l’artiste se présente sous la forme d’une vaste entreprise qui consiste à recenser le quotidien des jours, une façon intrépide d’en reproduire ses absurdes séances : « ce qui se passe ici d’affreusement significatif ne se laissait cependant pas comprendre, déchiffrer jusqu’au bout. Le monde tournoyait dans un sens imprévu, étrange… » 3
Sans titre (tas de sable). 2010. Tôle 2 mm épaisseur, pelle, peintures acrylique et glycéro, 120x115 cm
en témoigne un bouchon de champagne aux dimensions extravagantes placé dans la nature en écho au passé du lieu. Si l’esprit de Tati ou de Buster Keaton semble planer dans les vidéos de Jean Bonichon, c’est notamment parce que l’artiste éprouve les mises en scène équivoques dans des postures
__________________________________________________________ 3 ibid.
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FOCUS
de manière quasi-schizophrénique, le rôle de l’anti-héros. Cet antihéros questionne simultanément les mœurs contemporaines et l’identité irréductible d’un créateur s’offrant en tant que modèle risible de l’espèce humaine. Dans Dimanche 9 décembre (2007), Jean Bonichon nage tout habillé dans une fontaine pour rejouer une coutume de fontainier après les mises en eau. Mais, en tant qu’artiste, il n’interroge ni la tradition, ni sa contemporanéité; il vide seulement l’acte de sens. En visitant son époque à travers différents métiers, Jean Bonichon crée une figure marginale qui, comme les personnages du cinéma burlesque – de Buster Keaton par exemple-- et à l‘inverse des héros réalistes se projetant dans l’avenir, s’ouvrent aux objets et au monde dans un rapport à l’ordinaire et dans la jouissance de l’instant1. Dans Eau de là (2009), la relation entre le performeur et le paysage évince le récit au profit d’une invitation à rencontrer une vision poétique du monde. L’artiste, traversant divers no man’s lands pour déverser l’eau de la mer dans un lac à l’aide de deux sceaux, fait de l’absurde un outil révélateur de beauté. Dans son œuvre, le langage, autre création conventionnelle, échoue constamment. Dans le pavillon des sources du centre d’art de Pougues-les-eaux, l’artiste et quelques spectateurs volontaires, la bouche pleine d’eau, brouillaient, défonctionnalisaient et réduisaient la parole à un trop plein de mots en lisant un texte expliquant l’histoire et les possibilités offertes par les gargarismes (Lecture gargarythmique, 2008). Dans The preacher of pumpkins (2008), l’artiste photographié poing levé sur un container lance un appel à la migration face à un champ de plusieurs centaines de citrouilles au Danemark «...one day all the world will be cover of your orange color...» Les légumes, bien que personnifiés, ne manifesteront aucune réaction ; cette parodie des utopies révolutionnaires montre que même compréhensible, le langage reste vain.
Ice scream (one ball). 2009. Bronze, 17x15x8cm.
MAUDITE GRAVITÉ - Mélina Bourki Jean Bonichon s’attache à détruire les certitudes acquises au moyen d’un univers plus régi par les lois du burlesque et de l’absurde que par celles de la physique. […] L’objectivité scientifique rejette particulièrement l’imprévu. Jean Bonichon, lui, provoque de petits accidents. Il fait tenir en équilibre un verre à pied renversé sur son liquide figé en pâte de verre (Côte de Grave, 2010) ou coule dans le bronze deux glaces écrasées par terre (Ice scream, one ball, 2009 ; Ice scream, two balls, 2009), créant une analogie entre la particularité physique du matériau sculptural et celle de l’objet représenté. Tandis que notre société, souvent victimisante, cherche à éliminer le concept d’accident, c’est celui-ci même, en interrompant une logique prévisible, qui permet à l’artiste de fissurer ce qui a été scientifiquement théorisé. Si Jean Bonichon engage son corps dans sa pratique, ces mises en scène ne sont pas autofictionnelles ; il ne s’infiltre par exemple dans la peau du scientifique que pour mieux le parodier. Une série de dessins représente celui ou celle qui échappe ses clés dans le caniveau (Les clefs, 2009) ou qui, au mauvais endroit au mauvais moment, se fait éclabousser par une voiture roulant dans une flaque d’eau (La vague, 2009)... Ces maladroits et/ou malchanceux croqués dissimulent le performeur et au-delà, le personnage d’artiste de Jean Bonichon. Créer serait endosser un costume ; jouer,
Extrait d’un texte de Méline Bourki pour le catalogue de l’exposition XXV (Clermont-Ferrand, commissariat Pierre Béchon) __________________________________________________________ 1 Favre, Frédéric, «Modernité du brulesque»,L’art du cinéma, n°08
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Hervé Bréhier
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Cartons évidés. 2008. Cartons, cire rouges. © Sébastien Camboulive
AVEC PERTES ET FRACAS - Audrey Illouz
crochet que les débris de sacs ayant résisté à la chute. Lorsque le visiteur découvre la scène, le saccage a déjà eu lieu, les lambeaux de papiers suspendus et arrêtés en vol en sont l’indice. Le fracas n’est donc pas audible mais se laisse deviner. L’artiste emprunte d’ailleurs un autre élément à l’habitat : la porte. Mais lorsqu’il s’en saisit, il en détourne totalement la fonction initiale et la transforme en sculpture aux accents minimalistes. Dans l’installation Porte découpée en sept (2005), l’objet de départ est sectionné, fragmenté pour recomposer une forme. Néanmoins, outre son titre, la sculpture est parsemée de détails qui demeurent comme des traces lointaines de sa fonction initiale : l’épaisseur, les traces de charnières, les éclats de peinture sont autant de détails qui rappellent cet objet à taille humaine qui matérialise le
Si les objets contondants (bris de verre, lames de couteaux, fils de barbelés) affleurent à la surface des œuvres d’Hervé Bréhier, la menace physique qu’ils contiennent est souvent étouffée par d’autres matériaux tels de la laine mohair ou de la cire qui viennent partiellement calfeutrer un danger latent. Un équilibre précaire revient comme un leitmotiv et renforce la tension ambiante. Dans sa récente installation farine/ciment (2010), deux sacs du même poids (35 kg) contiennent chacun ces deux matériaux à la texture assez proche. Ils sont liés physiquement et symboliquement au foyer. Suspendus au bout d’un crochet, par un effet de contrepoids, ils éclatent dans un chaos maîtrisé où les deux matériaux se mêlent et où ne restent au bout du 65
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Sans titre. pièce sonore, 2008. Circuit d’eau fermé percé, tuyau en cuivre, pompe à eau, bouteille de gaz, torchon.© Stéphane Bellanger.
cette vidéo où se rencontrent l’échelle 1 et la maquette, l’effondrement imminent retient le spectateur en haleine. Dans l’installation, cette précarité de la construction, très physique, se double d’un corollaire métaphorique: la cire, tout aussi plastique que liant, est une matière instable. La tension trouve une autre forme dans l’installation Sans titre (2008) : un circuit d’eau a priori fermé dans lequel une bonbonne de gaz usée sert de simple réceptacle laisse apparaître une fuite. Si le chiffon ligoté au tuyau en est la trace visible, l’eau qui goutte dans la bonbonne métallique en est la contrepartie audible. L’installation vire au cauchemar dès lors que le circuit fermé déraille et que le bruit de la fuite devient entêtant. Dans une variation de l’installation Sans titre (2006) où le circuit d’eau fermé réapparaît, la laine de verre vient cette fois-ci étouffer le son. Si elle rappelle la feutrine dans ses propriétés acoustiques, elle joue aussi sur une ambivalence avec le matériau de chantier et sur une agression physique de la peau. Elle contient cette violence sourde qui rôde dans les œuvres d’Hervé Bréhier.
Porte découpée en sept, 2005. Porte.
passage. D’ailleurs, le passage est également mis en abyme dans la sculpture à travers un enchevêtrement que rend possible un évidement. Or évidement et soustraction sont récurrents dans les œuvres d’Hervé Bréhier. L’installation Cartons évidés (2008) joue à son tour sur un équilibre précaire. Cet évidement vertical rappelle la vidéo Les Grues (2003), où se déroule une partie de kapla qui consiste à retirer progressivement les pièces constitutives d’une tour avec en arrière-plan un ciel rempli de grues diffusé sur un écran vidéo. Dans 66
Farine,, ciment. 2008. Sacs de farine, sacs de ciment, crochets, cordes. Š Marc Domage.
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Anthony Duranthon
//////////////////////////////////////////anthonyduranthon.daportfolio.com/////////////////
Bonne maman. 2009. 100 x 100 cm, techniques mixtes sur tissu vichy. © S. Camboulive.
LA COMPLETUDE DU BANAL - Nathalie Roux
Dans ses premières séries Les camouflages (2007) puis Les tissus (2009) il s’appuie sur l’habit pré-conditionné de son support : il achète des textiles au mètre, déjà imprimés, qu’il sélectionne comme marqueurs de valeurs symboliques dans notre inconscient collectif. Il les traite comme surface du châssis et utilise ces fonds de toile en réserve. Le fonds induit le sujet : un jeune homme, en sage chemise à carreaux, fraiche et fruitée, et Lavallière, docilement vante, dans un geste de monstration ostentatoire, la confiture Bonne Maman sur un fond en tissu Vichy blanc et
Glaneur d’images, piochées dans l’intimité des albums de famille, les archives de l’Histoire, les extraits cinéphiliques, les réseaux gordiens des technologies de la communication mondialisée, Anthony Duranthon, revisite l’art de la narration sociologique en construisant, à travers différentes séries, une « galerie de portraits », avatars ultimes de la dépersonnalisation, au profit d’un catalogue social, comme autant de secrets à (dé)voiler jalousement. 68
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rouge; le fils de pub sur-joue, donc annihile par groupe et montrent ostensiblement, comment, un effet boomerang, le célèbre couvercle de la selon le dicton populaire : « l’habit fait le marque et ses références nostalgiques. Dans moine ». Dans Les filles - des jeunes femmes Sous le kilt, le spectateur est -enfin- invité, par en bodys noir, polos vert fluo à impression une vue en contre-plongée radicale, à voir ce camouflage, jambes nues, musclées et roses - la qui se passe sous le Tartan du Mâle écossais… seule représentation vraiment reconnaissable Ce traitement en ironie tendre de l’image est est celui d’une grosse peluche rose, mascotte une constante dans ce travail où la tension infantile du groupe d’adultes. Fatuité trompeuse balance constamment entre dit et non dit. À de l’image de groupe, c’est au contraire la vertu travers les âges, l’homme est, très souvent, de la banalité qui est révélée dans une ultime grégaire. Avec ses portraits de groupes, usurpation d’identité ! Anthony Duranthon remet à l’honneur les Parfois l’humain n’est présent dans la surface scènes de genre qui firent florès au XVII° siècle, de la toile, qu’apparemment pour s’y dissoudre, au moment de l’émergence en Europe d’une mais au final, mieux se montrer : des corps bourgeoisie marchande, qui elle aussi, après les Grands du Monde, aspirait à la vanité de la reconnaissance, et recherchait confusément une immortalité couchée sur la toile. La Ronde de Nuit de Rembrandt en demeure l’archétype. Voici, avec les œuvres d’Anthony Duranthon, un nouveau catalogue sociétal, où l’espace de la toile devient le tissu social. En choisissant des sujets comme des phototypes issus de la société : souvenir d’un jour de mariage (La famille) cliché annuel rituel de condisciples d’une année de référence pour l’artiste (L’ESACC), l’être humain est un être social, qui s’inscrit et se construit, se positionne, dans la composition du tableau, mais aussi dans sa lecture interprétative, dans son rapport aux autres. Le plus souvent, ce n’est pas la véracité du portrait qui importe, mais bien la mise en tension de la masse du groupe qui habite, solidairement et quasitotalement l’espace de la toile. Les typologies des corps de sportifs, les justaucorps siglés, survêtements flashy sont Le président. 2010. 130 x 90 cm, encres acrylique sur toile. vraiment les identifiants du 69
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des nageurs, vus de dos, deviennent autant d’obstacles pour le regard de ce qui se passe en dessous, sous l’eau, dans la fluidité bleue d’un bassin aquatique. Ailleurs, les garçons baraqués sur-impriment -comme un vernis sélectif noir- leurs corps dévoilés, encagés dans l’obscurité anonyme, dense et oppressante d’une backroom. L’impression, sensitive, de voyeurisme est accentuée encore dans le double wall painting (L’entonnoir) installé en février 2010 au Centre d’art du Creux de l’Enfer. Par son principe de couloir en entonnoir, introduit celui qui s’engage dans le goulot, en regardeur éhonté. La peinture est passée en couches fluides. Les couleurs sont franches mais leur gaieté peut vite virer à l’acide ! Souvent les gammes chromatiques s’interpénètrent, dans un effet de glissando, obtenu par une technique parfaitement maitrisée des juxtapositions judicieuses entre encres et acrylique, qui confère une sensualité sensible aux peintures de grands formats, et un style déjà affirmé. Récemment, à l’occasion de l’exposition « Tropismes », une toile récente intitulée Le président a mis dans l’expectative les élus de la ville. Anthony Duranthon a proposé, dans ses techniques habituelles une transcription, à première vue, très littérale de la photographie officielle du Président de la République Française: l’homme, ramassé, en costume sobre, pose en pied, statique, devant une bibliothèque d’ouvrages aux reliures identiques
Entonnoir. 2010. Wall painting, acrylique, gouache, pigment, cimaise droite: 3 x 8,75 m, cimaise gauche: 3 x 6,45 m. Les enfants du Sabbat XI, CAC le creux de l’enfer. © S. Camboulive.
Intérieurs, 2009 diptyque 130 x 160 cm (chacun), encres acrylique sur toile de store.
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Le PACS. 2010. 90 x 130 cm, encres acrylique sur toile.
et précieuses; à sa droite, les étendards symboliques des drapeaux français et européen. La figure du Président - donc littéralement son portrait - est traitée de manière floue mais indubitablement identifiable. Qu’est ce qui gène alors? Cette bouche aux lèvres serrées, noires, comme un coup de rasoir ? Le même rictus de composition est sur la photographiemodèle. En France, en 2010, un artiste n’aurait plus le droit d’interpréter l’image officielle du Premier représentant de l’Etat, dans un lieu de pouvoir citoyen, sans que cela soit un possible crime de lèse-Majesté ? Rien, dans l’œuvre, ne balance, objectivement, techniquement, dans une lecture ou dans une autre… Flagornerie ou lazzi, à chacun son libre commentaire. L’artiste a assumé son interprétation, non pas un accrochage classique de son tableau, mais en le posant, en happening, sur la cheminée de la salle du conseil, entre la photographie protocolaire de Philippe Warrin et le buste en plâtre de la Marianne, figure tutélaire de la République ! Et par ce geste d’accumulation,
le cocasse des symboles alignés, s’imposait. Le plus surprenant, est que dans cette même salle, l’artiste a présenté des peintures de grands formats, iconographiquement clairement connotées, telles qu’un couple d’hommes pareillement vêtus (Les jumeaux), des chariots de supermarchés s’emboitant allégrement comme dans un acte sexuel affiché (Le PACS), l’autodérision d’une noce de village, etc. Tous ces thèmes, à priori, auraient pu déranger plus, dans cette salle de conseil municipal, en milieu rural… Puissance doucereuse du tableau, subjectivité de l’image, l’ennemi est à présent l’âme cachée dans la toile, et le peintre trouve ses alliés théoriques dans la sémiologie barthésienne, lui qui s’astreint à débusquer les nouvelles mythologies de nos sociétés contemporaines.
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Anne-Sophie Emard
/////////////////////////////////////////////////annesophieemard.com////////////////////////////
La mémoire d’Anna. Installation multimedia. Collège Anna Garcin Mayade.
LA MÉMOIRE D’ANNA - Samy da Silva Dédiée à l’artiste déportée Anna Garcin Mayade, l’installation «La mémoire d’Anna» de Anne-Sophie Emard est une trame, une articulation de dispositifs visuels qui appellent en nous d’autres images, mais aussi des mots, des lectures, des pensées et des silences qui font monde, qui incitent à un recueillement dans le voir et le lire, qui nous rapprochent d’une intime résonance, vers là où demeurent à la fois le continuum et les disjonctions de la matière-mémoire humaine. Dans ce tissage il s’agit aussi de restitution, comme «un signe d’insistance qui touche à des expériences élémentaires»1, de celles qui portent vers cette condition humaine dont les causes et les effets sont le produit de la grande et des «petites» histoires. Pour Anna Garcin Mayade et une multitude d’autres, l’Histoire
Le collège Anna Garcin Mayade, rue du Colonel Gaspard 63230 Pontgibaud. Réalisation de l’atelier d’architecture Panthéon
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Walter Benjamin, in «Walter Benjamin: symbolique du Mémorial «Passages» de Karavan à Port-Bou», par Jean-Pierre Bonnel 1
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effondré sur la terre», de «l’éclipse de Dieu,» de «l’horizon indépassable», pregnance de cet évènement qui fait autant patrimoine, référence, «paradigme éthique», qu’oubli, fuite et déni. Anna Garcin Mayade a aussi été une enfant, une femme, une artiste, une enseignante, elle aussi a vécu dans le monde d’avant et d’après la Shoah, saisie par la douceur et les rugosités des creux et reliefs de la chose étendue, perpétuée et diminuée par d’autres êtres, son regard et ses gestes d’artiste l’éloignant et la rapprochant d’elle-même et des choses, du visage et des corps des autres, dans un maintenant saturé d’hiers et d’ailleurs. Faisant acte d’être, y compris dans le renoncement, y compris dans l’impuissance, y compris dans la peine de vivre et du souvenir, y compris dans l’étrangeté à soi-même, acte d’être aussi fragile qu’une fiction, aussi puissant qu’un don de soi, qu’un dessin «avec des bouts de bois brûlé». Anna Garcin Mayade à été et cette existence ne saurait se précipiter qu’en cet univers concentrationnaire, qu’en son numéro «39.119». Elle est revenue, femme, artiste, témoin, énigme et intensité, silence et récit, rêve et action. Une mémoire qui contient tout et qui ne scelle rien si ce n’est de manière oblique, décalée, où le passé, le présent et les avenirs, circulent dans toutes les directions à la fois, élaborant des mythologies et des gestes, capturant dans la vie ses architectures et ses silences, constituant de l’intime dans ces moments suspendus où un reflet dans l’eau contient tout l’univers, où les souterrains sont la signature de l’âme, où le visage d’autrui ouvre son quant-à-soi... «La mémoire d’Anna» ne résoud rien, si ce n’est qu’elle ouvre un espace strié, infiniment déployable, proche du songe ou de la méditation du sage, où regardeurs et lecteurs sont invités, à l’intérieur du temps des images de Anne-Sophie Emard, à suivre les plis et replis d’une mémoire, de notre matière-mémoire. «… Le pire cauchemar (.../...), nous serions donc déçus d’en être réveillés, car il nous aura donné à penser l’irremplaçable, une vérité ou un sens
Montage de la mémoire d’Anna, juin 2010.
s’est écrite sur son corps et ceux d’autres enfants, femmes et hommes raflés, convoyés et pour la plupart anéantis. C’est toute la subtilité et la force du travail de Anne-Sophie Emard, pour cette installation, que de nous restituer une part de cette mémoire, sans pour autant en faire «l’explication», en donner «le sens»: de résister à la tentation de la téléologie. Ce qui en soi est admirable, élégance de l’artiste qui constitue son intervention dans l’immanence alors que les registres dans ce domaine sont d’ordre quasimétaphysiques, il s’agit souvent de «théologie négative», de « ténèbres dans le jour», de «ciel
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Jacques Derrida, in «La Langue de l’étranger», discours pour le prix Adorno, 2001 2
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La mémoire d’Anna. (détail de l’installation). 3 écrans plasmas, cadres bois. 1,30m x 2,50m et caisson photographique lumineux, duratrans 0,80m x 1,30m.
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La mémoire d’Anna. (détail de l’installation). 3 écrans plasmas, cadres bois - 1,30m x 2,50m
La mémoire d’Anna. (détail de l’installation). Projection 3m x 2m et caisson photographique double face, duratrans 0,80m x 1,30m
que la conscience risque de nous dissimuler au réveil, voire d’ensommeiller de nouveau. Comme si le rêve était plus vigilant que la veille, l’inconscient plus pensant que la conscience, la littérature ou les arts, plus philosophiques, plus critiques, en tout cas, que la philosophie. …» 2 Comme souvent dans sa pratique l’artiste a choisi de s’accompagner d’un livre pendant ce projet: «W ou le souvenir d’enfance» de Georges Perec, oeuvre texturée s’il en est, Perec à la mémoire difficile, Perec plasticien du langage, Perec autre survivant pour qui : «... les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide. Nulle amarre. Rien ne les ancre, rien ne les fixe ...»3. Anne-Sophie Emard plasticienne, vidéaste, lectrice, enquêtrice, amie du voir et du lire, relève les indices d’un réel impensable et se garde de les interpréter à notre place, pour nous signaler un mieux lire, un mieux voir comme exigence et restitution: «... Que demande «lire» ? Ce dont tout dépend, ce qui décide de tout quand il s’agit de lire, c’est le recueillement. Sur quoi le recueillement rassemble-t-il ? Sur ce qui est écrit, sur ce qui est dit par écrit.
Lire, dans l’acception propre du terme, c’est se recueillir sur ce qui a déjà fait, un jour, à notre insu, entrer notre être au sein du partage que nous adresse la parole – que nous ayons à cœur d’y répondre, ou bien, n’y répondant pas, que nous lui fassions faux bond. En l’absence de cette lecture, nous sommes du même coup hors d’état de pouvoir seulement voir ce qui nous regarde, c’est-àdire d’envisager ce qui fait apparition en son éclat propre....»4 La mémoire d’Anna Installation multimédia d’Anne-Sophie Emard réalisée dans le cadre d’une commande 1 % au collège Anna Garcin Mayade de Pontgibaud . 3 écrans plasmas (encadrement bois), un caisson photographique double face (idem), une projection vidéo sur un mur. ____________________________________________________
Georges Perec, «W ou le souvenir d’enfance», p. 98, Gallimard - coll. L’Imaginaire, 1993. 4 Martin Heidegger, in «Que demande «lire»?, 1954, cité par François Fédier. 3
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Philippe Eydieu
//////////////////////////////////////////////////////////////philippe.eydieu@laposte.net///////
Blowin’ in the wind. 2007. Guitare électrique, mât, ampli, dimensions variables.
instant d’immobilité totale pendant lequel un personnage est en train de prendre une photographie dans un paysage. Il enferme un néon dans un bloc de paraffine et le pose au sol ; la lumière produite étant très faible, c’est le spectateur qui vient se pencher sur l’objet pour voir de quoi il s’agit. Il installe une guitare en haut d’un bâtiment, telle une girouette, et
PHILIPPE EYDIEU - Elisabeth Wetterwald Une grande partie des œuvres de Philippe Eydieu repose sur des distorsions, sur des détournements et sur des jeux qui perturbent les fonctions habituelles des médiums ou des matériaux qu’il utilise. Il se sert par exemple d’une caméra pour filmer le bref 76
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Beith-Lehem. 2010. Baguette de pain évidée, réglette lumineuse, 38 x 10 x 7 cm.
Dans cet univers, « les choses ne vont pas de soi ». Il n’y a pourtant pas de révolte à proprement parler dans cette attitude. Philippe Eydieu n’est pas un contestataire, encore moins un « pirate ». Ce qui l’anime est le plaisir de l’expérimentation, la création de phénomènes dont les résultats sont incertains ou aléatoires ; un goût certain pour les « petits miracles ». On peut citer à ce propos In Search of the Miraculous too, pièce réalisée en hommage à l’artiste hollandais Bas Jan Ader dont la dernière œuvre, inachevée, s’intitule In Search of the Miraculous (1973 - 1975). Dans l’obscurité la plus complète, Philippe Eydieu utilise un pinceau trempé dans de l’acide acétique pour écrire « In search of the miraculous too » sur une feuille de papier photosensible. Il place ensuite la feuille au soleil, qui se charge de la suite des opérations. En l’absence de fixateur, le papier brunit. L’acide acétique réagit de façon plus vive à la lumière et noircit complètement de sorte qu’à la fin du processus, l’inscription se détache nettement sur le fond. Autre exemple de petit miracle :
In search of the miraculous too. 2007. Papier photo sensible solarisé, 24x18 cm.
compte sur le vent pour produire le son qui est retransmis sur un ampli à l’intérieur de l’espace d’exposition. Il réalise un buste de lui-même en chocolat blanc, qu’il expose comme un plâtre dans une niche d’une réplique du Petit Trianon du château de Versailles, faisant, on s’en doute, le régal des insectes qui peu à peu le dégradent. 77
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Paris-Venise. 2008. Vidéo, 27 secondes en boucle, dimensions variables.
pendant un vol Paris-Venise, l’artiste filme quelques minutes par un hublot. Le résultat est pour le moins surprenant : on assiste a un très beau défilement d’images abstraites composées de lignes verticales de différentes couleurs. Il s’agit en fait de la traduction des interférences électromagnétiques produites entre la caméra et les instruments de bord. Du détournement et de l’inattendu encore avec Forever Young : Philippe Eydieu choisit un catalogue consacré au cinéaste Jonas Mekas
dans lequel sont reproduits de nombreux tronçons de pellicule. Il photographie chacune des 200 images, dans l’ordre de leur apparition, puis les remonte et les réanime en séquence vidéo pour réaliser un court film diffusé en boucle. En quelques minutes on découvre donc une multitude de tout petits extraits de films de Mekas. L’effet produit est très étrange en raison du caractère indécidable de ce qu’on voit. Images fixes ou animées ? Photographie ou cinéma ?
Autoportrait. 2007. Chocolat blanc, buste réalisé à l’échelle 1.
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Yann Gourdon
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Crossing. 2010.
DU DISPOSITIF Elodie Ortega pour Yann Gourdon
narratif, il lui faut déplacer son attention vers les champs vibratoires. Le dispositif n'est pas un prétexte visuel légitimant la plasticité de la pièce mais est choisi pour ses qualités à émettre des sons. Je considère les volumes et les surfaces produits comme nouveau lieu possible.
Je n'envisage le travail du son qu'en corrélation à un environnement - un paysage ou une architecture. Mes pièces s'inscrivent dans une durée établie et prennent la forme de dispositifs autonomes en ce qu'elles ne nécessitent pas l'intervention d'un interprète. Le processus engagé révèle des phénomènes acoustiques latents induits par les spécificités physiques de l'espace de propagation du son. Je travaille essentiellement à partir de sons purs générés électroniquement, de feedback ou de sons continus enregistrés et diffusés au moyen de système amplifiés ; néanmoins il n'est pas question du son comme objet - un haut-parleur, un son, un auditeur. Il ne suffit pas à l'auditeur de traverser un espace si son écoute reste orienté sur l'objet
J’entendais le tic-tac de la montre de Saint-Loup, laquelle ne devait pas être bien loin de moi. Ce tic-tac changeait de place à tout moment, car je ne voyais pas la montre ; il me semblait venir de derrière moi, de devant, d’à droite, d’à gauche, parfois s’éteindre comme s’il était très loin. Tout d’un coup je découvris la montre sur la table. Alors j’entendis le tic-tac en un lieu fixe d’où il ne bougea plus. Je croyais l’entendre à cet endroit-là ; je ne l’y entendais pas, je l’y voyais, les sons n’ont pas de lieu. Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Le Côté de Guermantes I, Gallimard, coll. Quarto, 1999, page 803
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Eglise des Arques (46). © Héloïse Bariol
Tour métallique de la Cité du Design. Saint Etienne.
Ancien Hôpital Sabourin. Clermont-Ferrand.
ÉNONCÉS Projection - ZEITSPIELRAUM 23 & 24 octobre 2009, Cité du Design, St-Etienne. Un haut parleur, pendu dans la tour métallique de la cité du design tourne sur lui-même grâce à un système de moteur. Le son projeté, est un son continu accordé à l'environnement sonore direct, le bourdonnement de la chaufferie de l'école d'art. Il est ici question du son reflété sur les façades des bâtiments proches.
circulation, diffuse un son différent constitué d'une fréquence fondamentale et de ses harmoniques. Les auditeurs perçoivent les sons à travers l'architecture en parcourant les sept étages et le jardin de l'hôpital. La déambulation révèle les variations de la composition sonore. Glocke - ZEITSPIELRAUM 5 juillet 2008, Les Arques. Le volume architectural de l'église du village est mise en résonance au moyen d'un feedback très lent. Des capteurs piézo-électriques sont fixés à la grande cloche et reliés via un délai de 45 secondes à deux haut-parleurs amplifiés. Le son est projeté depuis le clocher à travers le village et se dissipe dans la campagne environnante.
Musique pour Architecture 21 septembre 2008, Ancien Hôpital Sabourin, Clermont-Ferrand. Vingt-deux hauts-parleurs amplifiés sont disposés de manière à mettre en vibration le volume architectural de l'ancien sanatorium qui a été préalablement vidé de tout objet. Chaque haut parleur, placés hors espace de 80
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Gliss 20Hz-20kHz. 2006.
À PROPOS DE GLISS, OU LA VOLONTÉ DE CRÉER DES ZONES ET DE SE SOUMMETTRE AU PROCESSUS - Elodie Ortega, 2008
causale progressive et mécanique dépendant ni de l'interprète ni du compositeur. Si le compositeur décide du processus et que l'interprète le déclenche, le processus lui ne considère que l'environnement dans son ensemble. Le processus crée la zone. Ou serait-ce l'inverse ? La zone est un terrain de jeu temporaire dans laquelle les rapports entre auditeur et espace sont altérés, comme le passeur qui doit d'abord jeter un caillou pour traverser le champ. Un paysage ceinturé.
Gliss pour vielle à roue électroacoustique L'instrument étant accordé, les enceintes sont placées en dispositif, faces au mur, privilégiant les propriétés sonnantes de l'environnement. Via son archet circulaire et la possibilité de jouer un son continu, le désaccordage de la vielle produit un continuum de fréquences. Chaque élément de structure a une vie acoustique latente et possède ses propres fréquences de résonance, pouvant ainsi devenir réflecteur et amplificateur du son. Le processus déclenché, les différents éléments se mettent en vibration, remplissant le volume architectural et faisant apparaître les harmoniques.
De se soumettre au processus Je me souviens d'un gliss joué au transpalette où Jérémie me voyant fumer, m'a dit une fois le concert terminé qu'il avait eu envie de se rouler une cigarette mais qu'il en avait été incapable. L'expérience commencée, le son n'engage pas un simple rapport à l'ouïe, le son dépasse l'oreille, il devient plastique et de se fait, il questionne tous les modes de perception. Il n'est pas question d'une interactivité entre auditeur et son mais d'un bégaiement de la perception.
De la volonté de créer des zones Il n'est pas ici question d'un événement entre des spectateurs et un musicien, il s'agit de soumettre un espace à un processus, loi 81
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Sébastien Maloberti
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Missing shelf. 2010. Bois, aluminium, acier, plastique, eau, encre.
Notes - Sébastien Maloberti
récupère au comptoir d’un snack de Thiers. Marque non identifiée : introuvables dans le commerce. Une fois remplis, leur fragilité, leur aspect instable (physiquement et temporellement), et la lumière qu’ils émettent contrastent avec la densité molaire du bois. Ils sont les molécules potentiellement nomades du système.
J’écris sur quelques pièces récentes sous la forme de notes afin de rester dans un rapport momentané et de ne rien fixer de façon définitive, cette série n’étant ni «raisonnée », ni même achevée. Ces pièces forment un groupe de plusieurs sculptures/constructions réalisées à partir de Janvier 2010. Cette série compte une dizaine d’éléments, assez différents par leurs dimensions et leurs formes, mais qui restent très proches par l’utilisation répétée d’un même objet: le gobelet en plastique.
// L’atelier 2010 : Vie au grand air… pas d’atelier. Tout espace prêté ou occupé devient momentanément espace de travail. A la Tôlerie (deux séjours de dix jours puis deux semaines), je récupère les chutes générées par le démontage d’une exposition. La notion de choix s’estompe devant certaines évidences de couleurs, de dimensions, de disponibilité. Les « échantillons » sont d’origine diverse :
// Gobelets Depuis plusieurs années, je m’en sers pour mélanger encre ou peinture. Les gobelets utilisés ici, sont de marques et de provenance différente, mais depuis quelques mois, j’ai une préférence pour ceux que je 82
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Vestige d’oeuvres éphémères, cimaises, socles, écrans… C’est de là que vient l’aspect générique et anonyme de ces pièces, qui semblent ne pas posséder d’histoire. Je conserve leur aspect précaire de chutes… Elles tiennent plus de la mise en place ou de la maquette préparatoire que d’une construction définitive. //Architecture La plus grande construction (réalisée pour La part des choses#3 à Mains d’œuvre) est aussi la plus « architecturale », par ses dimensions et l’organisation des échantillons. L’échelle (qui ébauche un début de monumentalité) crée un rapport intéressant entre les plaques de bois et les gobelets, qui sont finalement les seuls repères de l’échelle 1. Les gobelets, placés comme souvent sur des équerres, à plus de trois mètres de haut, apparaissent comme des têtes de gondole inaccessibles. Pourtant, même là-haut, ils restent étrangement liés à une impression de possible distribution.
Sans-titre. 2010. © Marc Domage.
Sans-titre. 2010. Bois, acier, plastique, encre, eau, whisky, Vodka. 500 x 260 cm. © Marc Domage.
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Sans-titre. 2010. Bois, plastique, rĂŠsine, colorant. 80 x 40 x 60 cm (sans socle).
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Les jus sont constitués d’encre, d’eau, parfois d’alcool (Whisky/Vodka). Si je le verse sur une feuille blanche, la teinte du matériau apparaît. Une nature morte à colorier dans un magasine. Trouver la bonne teinte est un geste de peintre. La représentation picturale est un acte empreint de magie.
//Distributeurs La réalité se donne à voir et à entendre. Elle se distribue d’abord physiquement, par l’œil, l’oreille, puis chimiquement, par la réflexion, l’émotion. (Source égarée. Mes excuses à l’auteur…) Les pièces sont des distributeurs. Ils en ont un peu la forme. Je pose ou juxtapose les éléments sans souci de formalisme, parce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils n’ont rien d’autre à offrir que leur propre matérialité, sous la forme d’une interface liquide : un jus. Vers une matérialité liquide, donc fluide (déf.Wikipédia : milieu matériel parfaitement déformable).
//Fin de vernissage Un soir, il y a quelques années, je retrouve deux gobelets de kir laissés sur une maquette que j’expose. Par habitude, les spectateurs se promènent devant les pièces, un verre à la main. Etrange glissement de la pièce vers l’activité du vernissage. On ne sait plus si ces gobelets font partie de la pièce, ou s’ils ont été laissés là par un spectateur oublieux.
//Peinture Les liquides contenus par les gobelets sont exactement de la même teinte que les matériaux sur lesquels ils sont présentés.
Dark sign (to go). 2010. Bois, peinture, plastique, résine, colorant.
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Frédéric Ollereau
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La veste aiguilles. 2006. Parc Saint-Léger, Pougues-les-eaux.
RÉSEAUX DE LAINE POUR UNE POÉTIQUE DE L’ESPACE - Marie Gachen Depuis 1995, Frédéric Ollereau nous fait suivre sa perception du monde par la laine qu’il manipule ou fait manipuler. L’œuvre donne lieu ainsi à un texte plastique puisant son vocabulaire à la source du social, à son environnement : « J’ai décidé d’utiliser des fibres textiles en regardant les immeubles. Les antennes paraboliques se multiplient. Elles sont reliées aux satellites par des ondes se croisant, tricotant un cocon virtuel. Elles recouvrent petit à petit les constructions, telle une accumulation de boucliers, une carapace,
une peau ajoutée. Leurs formes circulaires s’opposent à la verticalité urbaine. Une architecture rajoutée façonne l’environnement collectif (…) Certaines obstruent les fenêtres. L’espace du corps se réduit… » 1 Ce corps qu’il voit plié, soumis au quadrillage de la cité, écrasé par ses verticales n’est pas dénoncé ici comme miroir. Il préfère donner un visage à cette forme d’enfermement par des propositions métaphoriques où sacs, maisons et voitures viennent troubler nos repères, déranger subrepticement notre espace mental, et convoquer en même temps, la source vive de l’homme pour s’en échapper. Sa vidéo performance/danse Ensaché (1998, collection Fiacre, Heure Exquise et Frac Limousin) montre de grands sacs cabas (en nylon tissé, ce qui n’est pas un hasard, nous verrons pourquoi, que l’on trouve dans les grandes surfaces et les bazars) « habités » par des corps qui semblent bouger, pousser les parois du sac, le déformer, le dilater. Ce moment nous fait vivre la tension d’un corps malmené, se démenant dans ce réduit plastique. Le sac, « sculpture vivante » en ronde-bosse, résiste mollement à la poussée et l’être arrive peu à peu à la sortie, à la lumière. Outre la relation du sac plastifié, avec la boîte de l’habitat urbain, la scénographie offre donc une vision positive du corps qui par la danse se débat pour respirer et se sauver. La danse en son mouvement se fait véritable figuration de la forme humaine victorieuse de l’informe, du repliement, du fixé. Parallèlement, poursuivant cette dialectique contenant contenu, signes implicites de l’ouvert et du fermé, du dedans et du dehors, _____________________________________________________________________________ 1
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Catalogue Métissages, 1998
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remplace le tricot et couvre un bloc de granit blanc. Cette peau luxueuse, soyeuse, sombre fait apparaître sur chaque face du volume les motifs d’un squelette blanc (fémur, os du bras, boîte crânienne), telle une radiographie et une Vanité. La sculpture prend place à Vassivière sur les bords du lac se reflétant sur le textile, au cœur de la nature et les motifs des os se mêlent aux branches fragiles qui l’entourent. Il est question d’un processus ici. Défiant l’usage de la tapisserie, ornement d’intérieurs prestigieux, le tissu pensé par l’artiste, passe à l’extérieur d’une modeste maison de laine bravant le temps et l’espace, signe d’une nouvelle entropie, petite chapelle à l’allure de reliquaire. Vouée aux vents et marées de la vie, cette peau raffinée, tissée par des mains précieuses, des gestes « en voie de disparition » d’un métier presque sacré, fait briller le germe de l’Idée. Le travail incarne l’esprit de main de maître. L’œuvre réalise une alliance dépassant les frontières ouvrage d’art / œuvre car la technique se fait oublier. Cette maison est le lieu d’une alchimie, celle de la rencontre artiste artisan, de la tradition et de la modernité, du présent et du passé, du proche et du lointain … La laine s’oppose encore à l’architecture dure et raide ; ici façade « chic » elle emmêle les signifiants, provoque une collision douce, une errance du sens et se jouant de l’espace, invite à une déterritorialisation. Frédéric Ollereau va puiser jusqu’aux fibres profondes du métier de lissier et travaille lui aussi avec le temps : la tapisserie va devenir éphémère, épaisse elle s’amincit comme une pellicule ; la nature, l’aléatoire domestiqueront la culture, l’unité partira en lambeaux, le tout sous le regard narquois du crâne souriant de l’une des faces de la maison. Ne restera que le bloc de granit blanc. Chaque année les photographies fixent l’étape de cette dégradation. Cette démarche soumise au temps est en écho avec la lente élaboration du geste du tissage. L’artiste a évité pour l’exposition, la transposition de son geste en démonstration technique. Œuvre conçue avec le métier, comme la vidéo Ensaché a utilisé la danse, l’artiste exploite la teneur métaphorique et poétique de ce geste. Il n’a pas fait faire, il a fait avec. Cette différence laisse entendre l’infini
Ensaché. Performance danse. Musée d’art, Grenoble.
de l’isolement, l’artiste conçoit les maisons de laine, de 1995 à 2003. Structure cubique en carton, la première, recouverte d’une enveloppe tricotée main, grise, ajustée, évoque les maison d’enfant par sa simplicité. Correspondant aux dimensions d’un corps recroquevillé, l’archétype ainsi habillé, ressemble à un jeu de construction (forme élémentaire, toit rouge à deux pentes) et un bloc fermé. Le vêtement de tricot renvoie à notre propre corps, au geste d’une sollicitude maternelle, à une approche sensible ; l’ensemble vient convoquer les rêveries d’enfance2, de la maison au nid, signes de sécurité. Mais ici son entrée impossible bloque le refuge, et, sous le volume de carton, l’enveloppe semble vulnérable. Sa peau souple, tissée du geste féminin permettra-t-elle ce passage hors de la claustration ? Il sera, peutêtre, possible de se libérer de cette peau, pour aller hors de soi vers le social. La deuxième maison de laine (1997), en relation avec le Ministère de la culture pour l’exposition Métissages, enrichit le propos. Sur le même modèle (forme, dimensions), une tapisserie en laine et soie, réalisée par des maîtres lissiers3, _____________________________________________________________________________ 2
Bachelard G, La poétique de l’espace, puf, 1972
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Parti d’un fil, le jeu réunit les bouts, travaille la discontinuité, rembobine le lien, défi par sa rondeur le graphisme environnant. Ces enroulements condensent et retiennent des moments de vie, expression plastique de ce qui existe mais ne se voit pas et que les mots ne suffisent pas à dire. Cette laine distribue encore ces fils sur le réseau urbain avec cette fois, un pull pour la voiture de laine (2001) : enveloppe (tricotée par une entreprise spécialiste de la confection de pull-over) au mesure d’une « Citroën Saxo » qui « ne paie pas de mine ». Cette housse grise, à la régularité parfaite, habille joyeusement la voiture comme doublure. Elle laisse apparaître pare-brise et essuie-glaces, vitres et rétroviseurs, phares, motifs réalisés en Jacquard. Par la simplicité et l’économie de ses lignes, l’automobile évoque un jouet géant ou un dessin de bande dessinée. En réalité, c’est à dire habillée, déguisée en fausse voiture, garée et déplacée çà et là dans les rues5, elle provoque plusieurs déroutes : celle de la voiture, métamorphosée, du tricot moulant une carrosserie, d’un espace urbain rendu humanisé. Pièce unique, elle laisse sa « condition » au vestiaire de la banalité. Les passants soudainement éveillés par cette légère perturbation s’arrêtent, sourient, palpent, pincent la laine vérifiant sa réalité, cherchent du regard l’heureux propriétaire ou son ironique créateur. L’intervention à la Citée Universitaire de Paris6 (septembre 2002) s’est déroulée au rythme du déplacement, celui de la ballade et de l’impromptu. A telle heure, stationnée au bas des marches du bâtiment d’accueil, la voiture disparaît ensuite on ne sait où dans le parc. Le lendemain, on la retrouve (légèrement de travers) au même endroit pour se faire remarquer et circulant, s’éclipse à nouveau. Dans ce jeu d’apparition, elle surgit là où on ne l’attend pas, à un moment imprévu et nous fait vivre le temps d’une surprise, temps rare et précieux dans une période d’essoufflement et de fatigue visuelle. L’œuvre fait événement. Non pas celui fabriqué par l’espace médiatique, mais celui
Maison de laine. 2003. Centre d’art de Vassivière.
des accords possibles et encore avec l’espace infini du réel, son flottement, son invincibilité. Démarche que l’artiste relie à Malévitch, à la trans-réalité, hors-cadre vacillant. Cette coordination prend concrètement sens avec la boule de laine (1999, collection Frac Limousin) : 0,50 cm de diamètre de laine, réalisée en résidence dans une école4. Résultat d’échanges collectifs, l’œuvre a mis en jeu une dynamique étonnante dans laquelle des enfants se sont engagés sans compter. Il y a les mots pour dire qu’ils enroulaient la laine, régulant leurs mouvements, organisés pour coordonner leurs actions, le tout sans perdre le fil de la parole (pensons à O. Boldyreff). Ce volume a pris du poids grâce aux dons, aux réseaux relationnels des enfants pour la collecte de la laine (des restes de tricots) donnant ainsi la forme et la densité d’une sphère au rayonnement humain.
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Atelier de G. Crinière à Aubusson
Résidence au Credac Ivry sur Seine, 1999
À Rennes 2001, Tours 2002 Invité par Paris 1 lors des journées du patrimoine en septembre 2002 6
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Voiture de laine. 2002. 40m3 / Le triangle, Rennes.
de l’événemential, figure que le philosophe C. Romano7 développe pour faire luire cette expérience de l’advenue, temps d’un décrochement, de l’ouverture à une « chose » qui nous dépasse et nous entraîne au delà de nous même. La voiture de laine nous fait prendre de la distance, ainsi couverte, elle évoque une peluche ou une miniature démesurée regardée à la loupe8 et livrée au monde par un poète. L’artiste se gare parfois près d’une voiture rutilante, questionne ainsi le pouvoir et la puissance, inverse le luxe. Le luxe est dans les mailles du tricot qui fait flamber le rêve et l’affectif, déplace l’objet dans un espace indéfini. Sa « fausse modestie » fait aussi miroiter la sensualité d’un objet qui parfois fait corps avec l’homme. Outil du temps, de la vitesse, le véhicule exhibe ici une pratique traditionnelle, un textile désuet dans un espace pétri de signes modernes, cette confrontation n’est pas sans relation à l’œuvre de A. Laura Alaez, F. Viollet et O. Boldyreff. De plus, la laine tendue fait apparaître l’analogie de sa plasticité avec celle du réseau routier : la voiture recouvre le paysage, roule dessus, le sillonne, le couvre. Elle représente alors la couverture du territoire, moteur en fuite et en recherche d’un horizon dégagé de la frontalité urbaine, mais l’homme toujours assis, replié.
Contenants clos, doux et durs émaillent donc un art touchant nos replis intimes. Ils entrelacent les espaces (corporel, familier, social, mental, conceptuel), les ouvrant l’un à l’autre, matérialisant et sublimant leurs rencontres par le jeu de ces symboles revêtus de tricot. Celuici devient, on le voit, contrepoint matériel et métaphorique des réseaux de communications visibles et invisibles, d’un système symbolique. L’œuvre enveloppe l’espace social de sa texture poétique par les fibres chaleureuses de la laine et nous renvoie bien à un « art contextuel » élaboré par P. Ardenne, « art se projetant dans le maillage du monde »9. Texte de Marie Gachen, enseignante en arts plastiques, docteur en arts et sociétés actuels, université Bordeaux 3. Marie nous a quitté en Remerciements à ses proches.
avril
2010.
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Romano C., l’événement et le monde, Puf, 1998 On pense également à son intervention : Les miniatures de nos rêves, 2000, projection d’un jouet camion de pompier, la veille du 14 juillet, sur les jets d’eau (plus de 6 mètres) transformés en écran géant face au champ de tir, collection ville de Rennes 9 Ardenne P., un art contextuel, Flammarion, 2002. 8
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Eric Provenchère
////////////////////////////www.ericprovenchere.com////////////////////////////////////////////
Margelle 2. acrylique sur médium. Env 25 x 40 x 6 cm. 2010.
Eric Provenchère
des années 80 de Jules Olitski, m’ont beaucoup aidé dans le choix et la direction de mon travail; la question de la couleur, de son traitement par le geste et de la qualité émotionnelle quelle peut amener, seule. Dans les artistes plus récents, il y a les «abstracts bilds» de Gerhard Richter, les peintures de Sean Scully ou de Pierre Soulages. Cette mémoire est aussi constituée de tout ce que je vois, lis, écoute et ressens de mon époque.
Pour répondre de façon plus spécifique sur mon travail, je me suis aidé du questionnaire utilisé dans le livre intitulé : Peindre ? Enquête & entretiens sur la peinture abstraite ; Claude Briand-picard, Christophe Cuzin, Antoine Perrot. Galerie Bernard Jordan. 1 - Pouvez-vous dire sur quelle configuration géographique, historique et technique votre travail est-il fondé ? La mémoire de ma peinture est celle des peintres qui m’ont accompagné: Matisse, Fautrier, certaines peintures de Pierre Tal-Coat. Puis aussi mon intérêt pour l’abstraction plus radicale, Malevitch, Mondrian. Des peintres américains comme Mark Rothko, Clyfford Still, Morris Louis, Barnett Newman, les peintures
2 - Autour de quels paramètres votre travail s’organise-t-il ? Ces paramètres énoncent-ils une conception précise de la peinture ? Une certaine matériologie, la pâte. La couleur dans cette pâte. Son altération progressive (suivant les tableaux), une épaisseur translucide. 90
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rien n’est perdu 1. Acrylique sur contreplaqué. 19 x 24 cm. 2006
store. Acrylique sur contreplaqué. 40 x 28 cm. 2004.
La stratification. Le travail par «arêtes» qui est une manière de capter la lumière. Sortir de la couleur type «beaux-arts». Mon intérêt se porte depuis peu vers des couleurs de types fluorescentes ou métalliques. Ce n’est pas nouveau-Franck Stella les a largement utilisées dans les années 60. Ce qui m’intéresse c’est leur potentiel lumineux, à donner de la lumière de manière parfois éblouissante. Et par conséquent mon intérêt se porte aussi sur ce qui touche à l’accrochage et à l’éclairage dans un système de monstration. Sur cet aspect de lumière en peinture, je redécouvre l’intérêt de questions techniques liées à la relation entre brillance et matité. La déclinaison de mes peintures en série qui me permet d’embrasser toutes mes préoccupations en fonction de ma sensibilité du moment, ce qui n’empêche pas les risques de contamination entre les peintures. Le désir, la vibration.
un corps auquel je tiens pour l’instant, car cela lui donne un poids, un volume qui est confronté à l’aspect plus immatériel de la couleur. C’est également une image de l’aventure picturale. Avec les «touchs» ou les «légendes», la peinture existe presque seule en amenuisant la présence du support. Mes «tablettes» rendent compte d’une peinture qui se lit à l’horizontale et suivant l’installation, vues sous le regard ou vue à une certaine hauteur qui ne permet de voir la peinture que comme une lisière. Dernièrement avec les «margelles», j’ai souhaité aussi montrer des excès ou des bribes de peintures sur des arêtes de support orthogonaux, en angle qui mettent en scène peut-être davantage la peinture. 4 - Considérez-vous que votre peinture, ou la peinture, puisse être verbalisée et à plus forte raison théorisée ? Plus il y a de mots dans la peinture, plus on exprime son caractère insaisissable.
3 - Quels rapports vos travaux entretiennent-ils avec une problématique de l’espace (espace interne à la toile, externe, respect du plan, nécessité d’un retour à une certaine forme d’illusionnisme ? Mon travail «s’appuie» sur le plan du support pour «aller vers». L’accumulation de couches de peinture donne une épaisseur, un rythme,
5 - Quelle place réservez-vous au spectateur ? Une place active, je l’espère.
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Touch. Environ 15cm.
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Sans titre. Acrylique sur bois. 29x29x4 cm. 2009.
IMPRESSION - Eric Provenchère, 2006.
Je serais bien ennuyé si on me répondait par une forme d’indifférence. Ce champ de colza m’apparaît comme une aveuglante évidence. Cette impression s’impose à moi de sorte que lorsque je reprends le chemin du train, Je suis comme en attente de ce moment-là.
Je prends le train en partance pour Paris. Le paysage défile à toute vitesse sous mes yeux. Nous sommes au printemps. Quand tout d’un coup un champ de colza vient rompre une certaine monotonie visuelle. L’impact est tel et de courte durée que je suis impressionné. Par ce jaune et ce petit peu de vert suffisamment sombre pour le mettre en valeur.
Étant peintre je me demande parfois comment retrouver cet état de «soumission» à l’image que j’élabore. Une image plus forte que moi et qui n’en finit pas, où l’usure du regard n’a pas prise. Ce serait très excitant d’y arriver. Je me dis également que la vitesse à laquelle je perçois ce champ est importante. Je n’ai pas le temps d’être blasé par cette vision. Et l’intensité renforcée qui m’accompagne et qui fait que j’en parle encore.
Ce champ est beau, «férocement» beau. Je me dis qu’il ne peut en être autrement. Il faudrait que je demande à mon voisin ou ma voisine, pour savoir ce qu’il ou elle en pense. Histoire de me rassurer 1) sur ma vue 2) sur mon sentiment 3) sur la faculté de s’émerveiller devant ce spectacle 93
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Delphine Rigaud
/////////////////////////////////////////////////////////delphinerigaud.net////////////////////////// PRÊTONS-NOUS AU JEU DE DELPHINE RIGAUD - Marion Wagner
Une tâche titanesque à laquelle elle s’attelle avec humour et courage. Comme quand elle dessine l’arbre généalogique des personnages de La Cantatrice chauve, d’Eugène Ionesco ( Ionesco Piece, 2008). Le pompier y a un beau-frère qui avait du côté paternel, un cousin germain dont un oncle maternel avait un beaupère dont le grand-père paternel avait épousé en secondes noces une jeune indigène dont le frère avait rencontré dans un de ses voyages... Dans Plaques tournantes, 2008-2011, cartographie, après enquête, du réseau de l’art contemporain français, graphisme tentaculaire et kafkaïen, elle ne dénonce pas un système mais met à jour son fonctionnement. Et le détourne, avec méticulosité. Pas de cynisme dans ce questionnement permanent et ces infinies variations. Dans Génériques, 2006, elle compile et diffuse sur deux grands écrans suspendus le nom des contributeurs à l’exposition Les enfants du Sabbat 7 montée à Thiers, en 2006. Des artistes à ceux qui constituent l’exposition, sans en faire partie : les stagiaires, le producteur d’adhésif isolant, l’installateur de moquette... Derrière ces propositions formelles c’est tout un pan de la réalité que dévoile Delphine Rigaud. Internet et la vidéo, à leur tour médiums et supports installent sa démarche dans l’art des nouveaux médias. Ses créations répondent aux influx de la réalité, sans la modifier. Elle s’y approprie le réel et le transforme, plutôt que de créer ex nihilo. Et Marcel Duchamp, inspirateur du courant des nouveaux médias, en renierait d’autant moins la paternité qu’il est le sujet du site www.déplacements1914-2005. Un hommage amusé au père du dadaïsme où toutes les reproductions de son fameux porte-bouteille sont recensées et localisées à travers le monde.
Tracer vient du latin populaire tractore, de tractus, trait, substantif formé sur le participe passé de trahere, tirer. Trait vient du verbe traire. Traire est un mot de base d’origine populaire, directement issu du latin par évolution continue. Attesté pour la première fois en 1080 dans la chanson de Roland, traire est tirer jusqu’au XVI siècle. Tirer (le lait) apparaît à la fin du XIII siècle et se substitue à l’ancien français moudre, issu du latin molĕre, broyer. Il élimine les autres emplois de traire au XVIe siècle et demeure concurrencé par tirer, au sens de traire (une vache) dans les parlers du Centre [...]*. En lançant une recherche sur Google on découvre que la chanson de Roland -chanson de geste- a été reprise par le poète Matteo Maria Boiardo qui composa Roland amoureux au XV siècle. Puis Aristote en créa une suite, Roland furieux. Elle inspira notamment l’opéra Roland, de Jean-Baptiste Lully, en 1685. On pourrait en conclure, en suivant sa méthode, que Delphine Rigaud, lorsqu’elle crée Carbone, 2008-2011, tracé au graphite -une des formes, justement, du carbone- réalise une action dont l’origine étymologique est attestée pour la première fois au XI siècle. Toujours utilisée par les paysans la racine du verbe a voyagé jusqu’au Château de Versailles, où l’opéra de Lully fût mis en scène par Jean Berain (4 juin 1640-24 janvier 1711) le 18 janvier 1685**. A l’image d’un étymologiste Delphine Rigaud exhume. Ressort de l’oubli. Trace des liens. Cherche la source. Inlassablement, elle poursuit ce qui s’est effacé, ce qui ne s’entend plus, ce qui est ignoré. Et défie, du même coup, le visible, bavard et imposteur, modifié et tronqué.
___________________________ * Dictionnaire étymologique de poche de la langue française, Larousse, volume appartenant à la dernière édition (revue et corrigée) de l’ouvrage, copyright (de la première édition) déposé à Washington en 1971. ** César, Calendrier électronique des arts et spectacles sous l’Ancien régime et sous la Révolution, http://www.cesar.org.uk/cesar2/
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Plaques tournantes. 2008. Dessin au graphite sur papier, site internet image vectorielle pour projection ou impression.
Mais alors, derrière ces stratagèmes pour identifier un mouvement, un flux, un courant, le modifier légèrement, quel est le sens de ces cartes et graphiques ? C’est une entreprise laborieuse pour écarter la perte qui semble se dessiner en creux. La perte, sujet et objet de Halfalogue, 2010-2011, « une histoire d’absence physique ou mentale, à la quête de mes origines ». Aux spectateurs à qui elle a laissé un petit mot, Delphine Rigaud demande, elle
aussi un petit message : « Gone to my memory. Back in a bit. Please leave a message ». Un mode de communication « rapide et volatile » qui suggère une disparition annoncée des ces petites traces écrites. Comme ses œuvres finalement, que les amateurs de détails devraient contempler sachant qu’une fois l’exposition finie, elles seront rangées, détruites, échappant, peut-être, à toute possibilité de traçage. 95
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l’histoire du premier ready made - le porte bouteille de Marcel Duchamp - là ou elle avait commencée, avec une démarche généalogique et topographique elle en trace tous les itinéraires empruntés sur un planisphère qu’elle développe ensuite sur un site internet. Autre exemple, pour parler de télévision, elle se filme en train de démanteler patiemment et scrupuleusement un téléviseur jusqu’au dernier composant. Elle organise ensuite chaque élément sur un étal où tout est méticuleusement archivé. Dans les sujets qu’elle aborde, elle n’hésite pas à remettre en question certains fondements acquis scientifiquement ou passés au crible d’une justification dans l’usage courant. Elle installe une zone franche où il est permis de douter des faits les plus avérés, comme ici, les fuseaux horaires. Ils représentent 24 divisions imaginaires de la surface de la terre, dont tous les points ont «en principe» la même heure légale. C’est sur ce «en principe» que Delphine intervient et tente de remettre «les pendules à l’heure». En effet elle va multiplier le nombre de divisions pour transformer les fuseaux horaires en «fuseaux minutes», et obtenir ainsi une nouvelle donnée temporelle, mettant en évidence des variations de temps sur des distances extrèmement courtes. Elle boulverse ainsi mais très légèrement notre rapport au temps en effectuant un réajustement minuté. C’est ce réajustement permanent dans l’oeuvre de Delphine qui force l’admiration. Comme une quête de vérité, armée d’une méthodologie sans faille, elle s’enferme dans la tache qu’elle s’est inventée, dans le temps propre de l’oeuvre, pour ne relever la tête qu’une fois cette tache accomplie. Sans chichi et sans un mot de trop, avec la discrétion et l’humilité qui la caractérise, elle remplit des missions à fortes charges poètiques et conceptuelles, en décorticant patiemment et avec méfiance certains codes culturels de nos sociétés.
UTC+1. Série d’horloges (entre 20 et 24 selon la saison). Cartels : impressions contrecollées sur carton plume, 28x9,5 chaque. Cartes : impressions numériques quadri sur papier photo plastifié, 90x290cm.
LE DÉ DU SYSTÈME - Philippe Eydieu En mécanique le «traçage» consiste à inscrire sur une pièce brute, les axes et les contours permettant par la suite de l’usiner. Chez Delphine Rigaud, il y a un peu cette même volonté, elle pénètre l’engrenage d’un système donné puis l’extirpe pour lui conférer, en quelque sorte un usinage autonome. C’est pourquoi la plupart de ses oeuvres sont le plus souvent impliquées dans une forme tautologique, envisagées par elles-même et pour elles-même. Exemple : Delphine reprend 96
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JVC/HP. Tirage photo numérique, vidéoprojection. 2009.
DELPHINE RIGAUD - Martial Déflacieux
d’un coté une photographie, de l’autre un film. Lorsque l’on réalise que le film peut provenir de la camera JVC et la photographie avoir été prise par le scanner on commence alors à entrer au coeur du système tautologique mis en place par Delphine Rigaud. Plus que la représentation d’une mise en abime (une camera filmant un numériseur en train de le scanner et ainsi de suite), c’est la stabilité de ce système d’équivalence qui peut nous fasciner. Toutefois L’absurdité du dispositif, une caméra face à un scanner, devrait aussi nous éloigner d’une lecture purement objectiviste. Il y a beaucoup de malice et de plaisir dans le travail de Delphine Rigaud et ce qui l’intéresse, c’est avant tout de cheminer dans un système plutôt que d’en atteindre la conclusion.
Contrairement aux apparences (l’image d’une camera qui fixe la rue) qui pourraient évoquer une critique des sociétés panoptiques livrées aux systèmes de surveillance, le travail de Delphine Rigaud n’est absolument pas politique. La démarche de cette artiste confère même plutôt au désengagement, non pas au sens idéologique mais par l’absence d’une expression subjective. C’est même un certain nombre d’éléments assez objectifs qui peuvent nous permettre d’appréhender l’oeuvre présentée, à commencer par le titre JVC / HP. JVC qui représente simplement le fabricant de camera et HP pour celui des scanners. Les techniques utilisées nous mettent un peu plus sur la voie, 97
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Jean-Baptiste Sauvage
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Speedy. Jean-Baptiste Sauvage. Enseigne Speedy, plastique thermoformé. 620 x 90 cm. © Jean-Baptiste Sauvage
EMBRAYAGE FORMEL - François Pierre-Jean
sise au quatrième me fait de l’œil ; son lettrage est lui-même rouge sur blanc. Ce n’est pas forcément agréable, ni même engageant… Pour cause, l’éclairage est, en accord avec l’ensemble, tout juste trop cru. D’emblée je songe « centre commercial » et, plus précisément « rayon boucherie », « bidoche sous vide », tel un secteur où le sang jaillit à l’état de symbole, où la lumière neutralise les rendus, où l’appétit revient en poche, tel l’écœurement, propre. Etal clinique, super surface ou cas de l’havre qui, à remuer les tripes, pourrait au final s’avérer exquis. L’on trouve ici ce que l’on cherche : mille et une manières d’accommoder les restes comme de commettre les choses à plat. Premier prix à payer, ce n’est pas du tout-cuit et la viande n’est pas fraîche : promesses. Un petit fascicule est offert à l’entrée de la salle. Comme à consulter avant d’y pénétrer, sait-on jamais. Un regard averti vaut et je suis désormais prévenu : ça peut plaire, amuser la galerie et le contraire. Dans un musée, quoi de plus normal… Paf ! Deux mâles, ça cause
Two-in, two-out est un projet réalisé par Guillaume Louot et Jean-Baptiste Sauvage dans le cadre de Local Line 3, actuelle édition d’un cycle d’expositions initié par le Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne Métropole et consacré à l’art contemporain. Je connais bien le travail de Jean-Baptiste Sauvage mais découvre à peine celui de Guillaume Louot, par conséquent je ne saurai les mettre en dialogue qu’au ressortir de cette proposition commune. Je dis « proposition commune » car il s’agit moins d’un accrochage concerté que d’une attention conjointement portée par les deux plasticiens sur l’espace qui leur est alloué pour l’occasion. Au demeurant, ce texte n’aura pas pour prétention de traduire leurs intentions mais de rendre ce que cette proposition m’aura offert d’épreuve. Dès l’embrasure, un sentiment de déjà vu. Une série de rectangles rouges réglée sur trois murs blancs m’assaille, tandis qu’une enseigne 98
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évidemment bagnole. Clinquant topique et surmontable. Cliché vingtième : du Manifeste du futurisme jusqu’à La Fureur de vivre, de La Fureur de vivre jusqu’à Fast and furious… J’entends d’ici « royaume du carénage et des bourrins sous le capot », « domaine du cylindre en V comme signe de victoire »… Je m’élance et mire : à première vue, ça n’est pas du tout le cas. Pas tout à fait. La forme, ici, fait peau morte et pot mort. Et s’il y a puissance, haras Citroën rebattu en rectangles, échappée Speedy molle, elle ne tient que de la ligne et de la couleur. De la forme donc, ramenée au possible, et non à quelque accomplissement moule-burnes et séducteur : c’est elle le moteur. Entendons ainsi une clé et tournons la pièce. Contact. Vroum. Vroum vroum. Vroum vroum vroum. L’embouteillage à toute vitesse, mais sans l’ombre d’un carrosse, ou presque : mensurations zaza et nom de garage partiel ; les allusions automobiles touchent au précaire. De la couleur, de la couleur, de la couleur, au pied de la lettre… Rouge, qui prend, m’enveloppe et s’épanche… A supposer qu’il soit question de s’encastrer dans le décor ou de couler une bielle, autant dire qu’on ne l’a pas volée, cette caisse. White cube. On l’incendie. De fait : où le dessin brûle d’en découdre, la peinture fuit ; où la raideur pousse à l’outrance, la rigueur triche aux encoignures ; où la rondeur claque son brillant, le mot dégouline… La proposition de Guillaume Louot et JeanBaptiste Sauvage tient à ses détails comme de peu. En suspens. Reste à attendre les secours…
Les « pères » ne tardent pas, siffleurs. Ils font de l’huile et sur le feu… Lawrence Weiner : « Moi la pratique, vous savez… » ; Olivier Mosset : « A déconstruire le système pictural, vous savez… » ; Pascal Pinaud : « Mais si, vous savez, faire un geste en mémoire du tableau… » ; Robert Morris « Comme c’est pesant… » ; Marcel Duchamp : « L’indifférence est reine… » ; Filippo Marinetti : « Vroum, la voiture aussi ». Clash ! Deuxième prix, à gagner sans doute : respecter, respecter, respecter. Le problème, c’est que la forme radicale demeure toujours radicale, lorsqu’elle l’est. Et le geste, si c’en est un. Monochrome. Respecter, répéter, répéter. Au rouleau. Le pan cramoisi se réitère et, comme il est rectangle sur le mur, il implique manifestement une certaine régularité, en l’occurrence une grille. Aussi, le reconnaître et la consacrer : aligner les arêtes et reconduire à franges égales, sinon quasi. Parking frontal. Car le souci revient au mur, support de peinture certes, mais d’abord de scories : interrupteur, vanne, boitier d’alarme, câble électrique. D’où l’on joue sur les marges : puisqu’elles sont moins grandes entre les air(e)s de tableau qu’à longer les arêtes du cube, on intervertit ; ça produit du décalage bien sûr, mais si peu visible, lors même que chaque recouvrement évite ainsi la moindre altération, lors même que chaque recouvrement ainsi fait plan. Plan de peinture. Culturellement, borné au tableau. Idéalement, érigé en Beauté. Esthétiquement, voué au Rideau. Matériellement, dressé au Musée. De ci de là, il se pourrait qu’on en déduise un Temple… Salon de l’autosuffisance, voire de l’autotélie. Concessionnaire Ad Reinhardt : l’art, c’est l’art, et n’est pas autre chose. Forme Raide. Red Painting. Troisième prix, à estimer : selon quelles règles concevoir l’autonomie du langage pictural ? Celles du rectangle, celles du tableau, celles du musée, celles de la langue… Peut-être, mais de là à entendre « matière brute » ou « idée pure », abstraction en un sens ou dans l’autre, telle l’assurance au tiers recouverte par la critique tout le long du vingtième siècle, son moyen de survie… L’artiste, lui, n’omet pas que la peinture (couleur et dessin, rouge et rectangle reportés
Zaza. Guillaume Louot. Les Peintures Reportées Muraux de peinture acrylique, 156 x 350 cm (x10). © Jean-Baptiste Sauvage
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en série) puisse produire de l’espace, de l’effet, de l’image et du sens. Non qu’il soit ici question de (dé)confiture gourmande, ni de colère furieuse, two-in, two-out m’invite à reconnaitre sa puissance expansive et, paradoxalement, ses propensions à l’intensité, pour exemple. Il y aurait un mot apte à signifier cela, s’il n’était à craindre qu’il soit compris en un sens réducteur et péjoratif, plutôt qu’à désigner une qualité générative et formellement irréductible : décoratif. Mais passons. Quatrième prix/vitesse, desserrer le cordon : le discours est en solde. Je parlais de Temple et, pourtant, pas d’autel. Culte du regard, mes fesses. Je veux dire : pas le début du début d’un siège. Rien n’est épargné, ni la fin de l’art, ni les fins de l’art, entre autres poncifs généralement servis : difficile dans ses conditions de maintenir le volant ou de dire une messe. On se raccrochera à ce qu’on peut, c’est éprouvant et c’est ça l’épreuve. A la limite et comme à force, viennent à jaillir quelques colonnes, si tant est que tout le champ chromatique se fonde en paysage dans les entre-deux. Pour ma part, ça se produit. Dans les cadres, pas de perspective et, néanmoins, une certaine profondeur, de l’atmosphère : résonnance classique, puisque le tableau albertien était déjà rectangulaire, et/ou résurgence impressionniste, puisque du rouge irise chaque fois son vert… Tout à la fois : lorsque le marbre de Carrare devient marbre de Prato sous l’effet d’un soleil couchant. L’accident vient avec le temps et dans l’instant : je fonce dans le panneau. Crash ! Cinquième prix, à crédit : s’habituer d’abord, plaquer ses repères ensuite. Le rouge se retrouve à la ligne et file droit l’horizon, parallèle aux limites supérieures/ inférieures des tableaux. Prolongement rituel. Suit un sens de lecture où le trait s’arrondit, se divise et fait lettres, préservant sa raideur dans l’alignement d’un mot... Ce, avant de gonfler, de crever, d’éclater et de s’affaisser avec lui d’un coup de chaud. Le Temple marque encore son commerce, ceci reste une enseigne, tout en relief : d’un côté, reliquat, sinon ruine, et de l’autre, morceau choisi d’anthropologue, saisi à froid, puis passé sous la brosse à reluire : objet verni dans son malheur, bienvenu au monde de la culture, et si c’est œuvre, de la sculpture.
Soit, ça n’est pas de marbre et ce n’est pas un bronze, mais l’on sent tout de même sa plasticité, c’est du joli. Rappel : l’institution dans laquelle je me trouve se doit d’afficher des valeurs résolument modernes. Gloups ! Les tableaux rigolent et les « pères » m’incendient… Filippo Marinetti : « Moi, je suis né des égouts, Monsieur » ; Marcel Duchamp : « Voyez les pièces qui sont en jeu… » ; Robert Morris « Et c’est lourd… » ; Pascal Pinaud : « Penser le geste… » ; Olivier Mosset : « Rigoureusement, faire… » ; Lawrence Weiner : « A défaut d’énoncer… » . Flash ! Sixième prix, à briguer/briquer : policer, policer, policer. Civilité farouche. Ruptures historiées. Je songe au verbe graphein (écrire) d’où dérive grapikos : qui concerne l’art d’écrire et la peinture. Je pense au verbe graphein que l’on rattache à la racine indoeuropéenne gerbh : couper, entailler. Ca pourrait faire ceinture, pneumatique, airbag… A condition de gonfler souple, de tourner rond, vitesse à cran : première, seconde, troisième, qu… Crac ! On ne fait pas césure sans coquille un peu. Couenne. Pelure. La forme n’est pas indifférente ; elle est datée, douteuse : typo seventies, boursoufflure éventée… Des airs d’art-acné : souvenir d’années folles, d’araignées au plafonds spéculatifs, made in Plastic, mad in Petroleum, vives, fougueuses, ardentes, de boulimie impétueuse, de surenchère dans l’anémie, d’anorexie volontaire et couveuse, résidu de panse ou de cocon : bibendum creux, suriné, dépecé, sans os… Ronger son frein. Une fois la lettre déculottée prise pour l’initiale explosée d’un « euh » d’hésitation, la série prend virage et la peinture crache son rouleau, compresseur d’histoires et de légendes. Comme qui dirait ça « Frize » et ça « Kosuth ». Le mot s’écrase comme il peut. Septième prix, rien n’est gratuit : évaluer, évaluer, évaluer. En premier lieu, la distance. En second, les maîtres. Machinerie fin de siècle. Le suivant ramasse les oripeaux et se cale une brèche. Vingtunième reprise : la critique rabâche « c’est mort » et, de ce fait, « c’était écrit ». Oraison des plus morgues, orgueil mal placé du cadavre embarrassant toujours. Mais peu importe, two-
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Zaza. Guillaume Louot. Les Peintures Reportées. Muraux de peinture acrylique. 156 x 350 cm (x10). © Jean-Baptiste Sauvage
in, two-out n’en retient que l’allure et, de fait, (ne) tient (qu’à) la forme. Guillaume Louot et Jean-Baptiste Sauvage ne sont pas critiques d’art et tant mieux. Huitième prix, parfaitement déplacé et donc digne d’intérêt : créer, créer, créer. La formule peut paraître pompeuse, mais que dire d’autre : penser, susciter, former… La langue sait elle-même se trahir et reconduire l’inverse de ce qu’elle pourrait ; elle se tire la boudeuse ; elle tire au flan. Les plasticiens bossent : « On sait lire, voire écrire. Mis à part ça : compter, pied au plancher, battre la mesure, tracer, relooker, reluquer, zieuter, courir, concourir, subir, salir, racheter, vendre, informer. Tout ce qui a un prix. Et, plus subtil, ce qui n’en a pas. ». Neuvième, celui de l’or dans les doigts et des trésors dans la tête : trébucher. Le mord dans l’âme, pousser la forme jusqu’à l’écueil, l’offrir aux sens, à périr. La couleur inonde et la ligne s’impose ; le verbe s’effondre et l’abruti glose ; l’impression qu’il se donne lui-même l’indispose … Peinture englobante : jouissance. Economie du geste : justesse. Retour sculptural : finesse. Exposition : test. Ex positions : taste. Proposition : dedans-dehors. Expérience sulfureuse : ravalement. Splach ! Avec le temps, c’est l’emprise à liquider. La forme est en train de mourir : parce qu’on lui prête des intentions ; parce qu’on la dit condamnée ; parce qu’on la juge finie ; parce que le rythme s’accélère ; parce qu’on la produit
en série ; parce que le processus est engagé ; parce qu’on ne se fait plus de confusion ; parce qu’on y a cru ; parce qu’on croit qu’on y a cru ; parce que la désillusion est au programme ; parce que l’art est résolu, appliqué ; parce qu’on s’applique au lieu d’œuvrer ; parce que le dépit fait illusion. two-in, two-out tend au contraire, fait tête-à-queue. Mieux, two-in, two-out met sous tension tout autre chose. Je ne dis pas que l’insinuation est opérante, je ne dis pas que l’atteinte est certaine, je dis que la forme dépourvue d’ambition innerve les corps et les neurones. Miam ! Appétit. two-in, two-out est une réalisation temporaire de Guillaume Louot et Jean-Baptiste Sauvage injectée dans le cadre de Local Line 3, actualité du M. A. M. de Saint-E qui, tenons-le pour subit, s’inquiète aussi de l’art contemporain. Je méconnais bien le travail de Jean-Baptiste et recouvre celui de Guillaume, par conséquent cette interprétation est elle-même temporaire. Mon attention fait texte, au demeurant, il n’en reste pas moins qu’un lot d’intuitions et de prétextes. Qui prétend qu’un rendu, même au plus juste de l’épreuve, fait preuve ? Clap ! Critique à l’œuvre sans autre dérapage que témoigner d’un attrait certain pour une installation tant transitoire que profonde. Premier cri : du dernier prix Dès l’embrasure, un sentiment de déjà vu. Quelques éclairages à cru… Vlan ! Sur toute la couleur, et sur toute la ligne… 101
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Olivier Soulerin
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Prise de vue. (re)prise pour LaBelleRevue (2010).
Olivier Soulerin – 2010
outil, le cliché un support de mémoire visuelle. Je prends des notes, comme des croquis que l’on emprunte sur le vif. Si œuvres il y a, elles ne sont que in situ et passagères. Ce que je photographie, c’est un potentiel, non un résultat. Je regarde, j’observe, j’enregistre. Je «réalise» des prises de vues.
Extrait d’un texte écrit à l’occasion de l’exposition collective Les autres œuvres (la peinture et ses images) organisée à la Galerie Villa des Tourelles à Nanterre sur un projet de Miguel Angel Molina.
Un mu(r)et Devant Une vue imprenable,
La construction d’un chantier de construction, Un avion de ligne blanche dans le ciel,
Dans la hauteur d’une palissade Une découpe vers le hors champ Rabattant Le rappel d’un arrière plan
Chacune relève d’intuitions qui touchent de près ou de loin au domaine pictural. Chacune révèle une intention, une expérience, un positionnement élargissant le champ des références.
Je ne suis pas photographe : La photographie est un moyen, l’appareil est un 102
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Prise de vue (re)prise pour LaBelleRevue (2010)
Prise de vue. (re)prise pour LaBelleRevue (2010).
En photographiant la zone d’activité « des copistes » à Herblay, je pose un acte de peinture. L’attention que je porte au rouge flambant neuf d’une bouche à incendie, est un geste de peintre. Le regard que je pose sur l’alternance chromatique du trottoir d’en face, est un geste de peintre. Je dépeins et je peins le lieu sur le lieu que je regarde. Je vois les qualités qui s’en dégagent en réalisant celles qui s’y trouvent.
Une glissière, gris continu de suie,
Un monochrome phare dans le paysage,
Un parterre d’ombres portées, Comme des bandes de marquage au soleil
Je ne produis pas de tirage qui en figerait l’essence dans un objet photographique fini. Je leur préfère une instabilité tangible plus en adéquation avec les sujets qu’elles montrent. En dehors de l’atelier, cette partie du travail est visible dans des carnets «fait-maison d’éditions» présentés pendant les expositions, dans des espaces dédiés à la documentation.
Une fois recadrées et retouchées pour certaines, les prises de vues sont triées et stockées sur disque dur. Elles existent comme base de données, dans la mémoire vive de l’atelier.
Depuis peu, je réalise des diaporamas par projection vidéo. Ce dispositif est intéressant parce qu’il préserve le caractère immatériel des prises de vues, parce que le montage n’est pas 103
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immuable dans sa configuration et peut être rejoué différemment à chaque occasion.
la mesure de l’espace dans lequel elles s’inscrivent. Les images passent ; et demeurent passagères.
Un jaune éclatant marque un arrêt au sol,
Un point d’ancrage, Une articulation
Sur l’écran, les prises de vues défilent, prennent
Prise de vue. (re)prise pour LaBelleRevue (2010).
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APPEL À CANDIDATURE
La Belle Revue 2011 La Belle Revue lance dès maintenant son appel à candidature pour l’édi�on 2011 Ar�stes : Pour figurer dans l’édi�on 2011 de La Belle Revue et présenter votre travail à travers un por�olio couleur de deux pages ainsi que quatre pages noir et blanc. Envoyer à info@labellerevue.org, un dossier comprenant : - un CV (avec l’ensemble de vos coordonnées) - un dossier de travaux récents (pdf) Date limite des envois : jusqu’au 17 septembre 2011 les résultats seront envoyés le 3 octobre condi�on exigée : avoir un lien avec le territoire Centre-Est-Ouest Structures : Vous pouvez présenter une ou plusieurs exposi�ons organisées par votre structure en 2011. Ce�e présenta�on doit être composée de textes cri�ques et d’illustra�ons. Envoyer à info@labellerevue.org un dossier comprenant : - les références de la structure - un dossier comprenant images et textes concernant les exposi�ons choisies. Date limite des envois : jusqu’au 17 septembre 2011.
La Source (demi-teinte). Simon Starling. 2009 Vue de l’exposition THEREHERETHENTHERE (la Source). Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain, Pougues-les-Eaux. Courtesy neugerriemschneider gallery, Berlin. © Aurélien Mole.
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La Belle Revue 2010 Revue rétrospective d’art contemporain en Centre-France www.labellerevue.org La Belle Revue est réalisée et éditée par In extenso 12, rue de la Coifferie 63000 Clermont-Ferrand 0981842652 / contact@inextensoasso.com www.inextensoasso.com Rédaction : Coordination du projet / Direction éditorial / Graphisme : Marc Geneix. Rédacteurs : Hanna Alkema, Frédéric Bouglé, Mélina Bourki, Samy Da silva, Martial Déflacieux, Philippe Eydieu, Frédéric Emprou, Marie Gachen, Lise Guéhenneux, Blandine Gwizdala, Audrey Illouz, Marc Lenot, Magali Lesauvage, Fanny Martin, Estelle Nabeyrat, Elodie Ortega, François Pierre-Jean, Yann Ricordel, Joël Riff, Nathalie Roux, Jean-Charles Vergne, Marion Wagner, Elisabeth Wetterwald. Artistes présentés : Jean Bonichon, Hervé Bréhier, Anthony Duranthon, Anne Sophie Emard, Philippe Eydieu, Yann Gourdon, Sébastien Maloberti, Frederic Ollereau, Eric Provenchère, Delphine Rigaud, Jean Baptiste Sauvage, Olivier Soulerin. Remerciements à Martial Déflacieux, directeur d’In extenso de 2008 à 2010. Partenaire public :
In extenso tient à remercier, Serge Godart, Président de Clermont-Communauté, Olivier Bianchi, vice-président de Clermont-Communauté, chargé de la culture. Partenaire privé :
ISBN : 978-2-9532338-5-8 Imprimerie Chirat N° Imprimé en France 106