IN VIVO #27

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Penser la santĂ© N° 27 – JUILLET 2023

ENFANTS VICTIMES D’AGRESSIONS SEXUELLES

COMMENT SORTIR DU SILENCE ?

Prùs d’un enfant sur cinq est victime d’abus sexuels, selon le Conseil de l’Europe.

INNOVATION De la paralysie Ă  la marche grĂące Ă  la pensĂ©e PANDÉMIES Les prĂ©venir en surveillant les eaux usĂ©es TOC Une pathologie taboue et sous-estimĂ©e

ÉditĂ© par le CHUV www.invivomagazine.com

« Un magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs. »

Swissnex, Brésil

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Isabelle G., Lausanne

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SOMMAIRE

IN SITU

7 / HEALTH VALLEY

Jeux vidéo et sclérose en plaques

11 / SUR LA ROUTE

Un vaccin contre le cancer

FOCUS

17 / DOSSIER

Enfants victimes d’agressions sexuelles

PAR ÉMILIE MATHYS

MENS SANA

30 / INTERVIEW

Dina Bader

« La question de la mutilation gĂ©nitale fĂ©minine est extrĂȘmement taboue »

PAR CAROLE EXTERMANN

34 / DÉCRYPTAGE

L’obsession de manger sainement

PAR CAROLE BERSET IN VIVO / N° 27 / JUILLET 2023

Dans le film « Festen » (1998), le cinĂ©aste danois Thomas Vinterberg raconte l’explosion d’un secret de famille liĂ© Ă  l’inceste. Christian, l’un des personnages principaux de l’histoire, rĂ©vĂšle la vĂ©ritable cause du dĂ©cĂšs de sa sƓur jumelle : elle s’est suicidĂ©e, car elle a Ă©tĂ© victime, comme lui, des abus sexuels de leur pĂšre tout au long de leur enfance. La construction du film balance entre l’identification au personnage de Christian et au pĂšre, parasitant la capacitĂ© de comprendre oĂč se situe la vĂ©ritĂ© et qui croire. Finalement, le pĂšre reconnaĂźt les faits.

Le magazine In Vivo édité par le CHUV est vendu au prix de CHF 5.- en librairie et distribué gratuitement sur les différents sites du CHUV.

MENS SANA

37 / PROSPECTION

Retrouver la marche

PAR STÉPHANIE DE ROGUIN

40 / TENDANCE

Le syndrome du cƓur brisĂ©

PAR YANN BERNARDINELLI

43 / COULISSES

Les mĂ©thodes sophistiquĂ©es de l’antidopage

PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

CORPORE SANO

48 / INNOVATION

Les eaux usĂ©es comme systĂšme d’alerte

PAR ERIK FREUDENREICH

52 / TENDANCE

Aux limites de la vie, les soins palliatifs

PAR AUDREY MAGAT

56 / TABOU

Le TOC ou la maladie du doute

PAR CAROLE EXTERMANN

58 / DÉCRYPTAGE

Les surprenants effets secondaires des médicaments

PAR STÉPHANIE DE ROGUIN

62 / EN IMAGES

En simulation d’urgence

PAR AUDREY MAGAT

CURSUS

71 / ÉCLAIRAGE

Augmentation des violences envers le personnel du CHUV

PAR SIMON FARAUD

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ARNAUD DEMAISON

Responsable éditorial

CHATGPT N’A PAS ÉCRIT CE MESSAGE

L’intelligence artificielle (IA) s’immisce toujours plus dans des activitĂ©s considĂ©rĂ©es jusqu’à prĂ©sent comme exclusivement humaines. En dĂ©but d’annĂ©e, ChatGPT faisait la une des mĂ©dias, Ă  la fois louĂ© et craint pour ses prouesses rĂ©dactionnelles. Le gĂ©nĂ©rateur d’images artificielles DeepFaceLab dĂ©fraye rĂ©guliĂšrement la chronique pour ses montages photographiques hyperrĂ©alistes, les « deep fake ». Le mois dernier, Google prĂ©sentait Med-PaLM 2, un outil d’IA mĂ©dicale de conseils et d’informations pour les patient·e·s, capable d’interprĂ©ter et de rĂ©pondre Ă  des questions mĂ©dicales complexes. Plus la liste s’allonge, plus l’humain se demande quelle plus-value il peut encore apporter au milieu de ce foisonnement technologique.

En mĂ©decine, l’IA est dĂ©jĂ  partie prenante de la recherche et contribue Ă  rĂ©aliser des exploits, comme celui de remettre sur pieds des paraplĂ©giques (p. 37) ou de freiner la progression d’une sclĂ©rose en plaques (p. 7). En intervenant dorĂ©navant au niveau du diagnostic, la machine fait mĂȘme un pas supplĂ©mentaire sur le terrain du·de la spĂ©cialiste. Peut-ĂȘtre est-elle dĂ©jĂ  capable de diffĂ©rencier l’infarctus du myocarde du syndrome du cƓur brisĂ© (p. 40) ? Mais face Ă  un enfant qui montre des signes anormaux d’hyperactivitĂ©, de stress ou d’anxiĂ©tĂ©, saurait-elle se substituer aux yeux et aux oreilles de l’expert·e ?

Un logiciel ne peut fonctionner qu’avec les informations qu’on lui donne. Les mĂ©decins, pour leur part, travaillent aussi avec toute la complexitĂ©, les non-dits et l’imprĂ©visibilitĂ© des interactions humaines. Les agressions sexuelles sur mineur·e·s (p. 17) sont particuliĂšrement difficiles Ă  dĂ©tecter Ă  cause de l’omerta qui les entoure, alors qu’elles entraĂźnent des consĂ©quences Ă  long terme potentiellement mortelles. Un silence des proches et des victimes elles-mĂȘmes, soucieuses de prĂ©server le lien – familial, par exemple, en cas d’inceste – au dĂ©triment de leur santĂ©. Aussi puissante soit la nouvelle intelligence artificielle de Google, elle ne peut rĂ©pondre qu’aux questions qu’on lui pose. Pour le reste, il y a votre mĂ©decin. /

GrĂące Ă  ses hĂŽpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spĂ©cialisent dans le domaine de la santĂ©, la Suisse romande excelle en matiĂšre d’innovation mĂ©dicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de « Health Valley ».

GrĂące Ă  ses hĂŽpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spĂ©cialisent dans le domaine de la santĂ©, la Suisse romande excelle en matiĂšre d’innovation mĂ©dicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de « Health Valley ».

IN SITU

HEALTH VALLEY

GENÈVE P. 11

ActualitĂ© de l’innovation mĂ©dicale en Suisse romande.

ActualitĂ© de l’innovation mĂ©dicale en Suisse romande.

L’histoire du vaccin contre le cancer dĂ©veloppĂ© par l’entreprise Amal Therapeutics.

LAUSANNE P. 7

De nouvelles pistes sont explorées au CHUV pour lutter contre les symptÎmes liés à la sclérose en plaques.

YVERDON-LES-BAINS
LAUSANNE
GENÈVE

NEUCHÂTEL P. 10

Loïc Posta gagne un prix à Taïwan pour son innovation en géothermie.

FRIBOURG P. 6

La start-up Neuria utilise les jeux vidéo pour entraßner les capacités cognitives.

START-UP

UNE MOLÉCULE

EN OR

La start-up genevoise Stalicla, spécialisée dans la médecine de précision pour soigner les troubles du développement neurologique et des troubles neuropsychiatriques, a racheté à Novartis la molécule Mavoglurant pour 270 millions de francs.

Le contrat conclu avec le géant bùlois devrait permettre à la start-up genevoise de développer de nouvelles thérapies contre les troubles neurodéveloppementaux.

CHIRURGIE VIRTUELLE

DĂ©velopper des simulateurs encore plus prĂ©cis pour la formation des jeunes chirurgien·ne·s, c’est l’objectif de Proficiency : un consortium rĂ©unissant des partenaires comme l’HĂŽpital cantonal de Saint-Gall, le CHUV et la biotech genevoise ORamaVR Le projet a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une enveloppe de 12 millions de francs de la part d’Innosuisse et dĂ©veloppe notamment des solutions basĂ©es sur la rĂ©alitĂ© augmentĂ©e.

ENTRAÎNEMENT COGNITIF

Neuria, une start-up active dans le domaine des neurosciences, de la psychologie et l’informatique a remportĂ© le prix de l’innovation 2022/23 pour les start-up du canton de Fribourg. L’entreprise propose des systĂšmes d’entraĂźnements cognitifs sous forme de jeux sur smartphone.

« La santĂ© mentale est trop importante pour qu’on y pense avec une calculette. »

STEPHAN WENGER

COPRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION SUISSE DES PSYCHOLOGUES, À PROPOS DU REFUS DE SANTÉSUISSE DE REMBOURSER LES THÉRAPIES PRODIGUÉES PAR DES PSYCHOLOGUES EN FORMATION, DANS « CQFD » DE LA RTS DU 14 MARS 2023.

C’est le nombre de personnes en attente d’une transplantation d’organe Ă  l’échelle nationale au 31 dĂ©cembre 2022. La mĂȘme annĂ©e, seules 570 transplantations avaient eu lieu et 83 personnes sur liste d’attente sont dĂ©cĂ©dĂ©es. La situation a Ă©tĂ© qualifiĂ©e de « critique » par Franz Immer, le directeur de Swisstransplant, alors que la nouvelle loi sur le consentement prĂ©sumĂ© n’entre en vigueur qu’en 2025.

Un pacemaker pour lutter contre les troubles érectiles

DISPOSITIF Un pacemaker dans le basventre, c’est l’invention de la start-up lausannoise Comphya. Le dispositif permet d’activer le nerf responsable de l’érection, ce qui pourrait contribuer Ă  amĂ©liorer la santĂ© sexuelle de prĂšs de 66 millions d’hommes rien qu’aux États-Unis et en Europe. Le spin-off de l’EPFL a rĂ©ussi Ă  lever 5,1 millions de francs dans le cadre de ce projet et prĂ©voit d’obtenir la validation pour le marchĂ© amĂ©ricain d’ici deux ans. Les autoritĂ©s sanitaires australiennes ont d’ores et dĂ©jĂ  donnĂ© leur aval aux essais cliniques.

UNE

PUCE

CONTRE LES MALADIES

NEUROLOGIQUES

DĂ©veloppĂ© par deux chercheur·euse·s de l’EPFL, la neuro-puce NeuralTree analyse les ondes neuronales pour dĂ©tecter les signes avant-coureurs d’un symptĂŽme liĂ© Ă  des troubles neurologiques, tels que les crises d’épilepsie ou de Parkinson, et peut envoyer une impulsion Ă©lectrique pour les bloquer. EntraĂźnĂ© sur des donnĂ©es Ă©manant de personnes souffrant de Parkinson ou d’épilepsie et disposant d’une meilleure rĂ©solution que les modĂšles de puce neuronale existants, NeuralTree permet des analyses plus prĂ©cises et la dĂ©tection d’un plus grand nombre de troubles et de symptĂŽmes tout en consommant moins d’énergie.

L’OBJET
Le jeu vidéo contre la sclérose en plaques
Des chercheurs du CHUV se penchent sur le potentiel du jeu vidéo pour lutter contre les troubles cognitifs liés à la sclérose en plaques. Les spécialistes développent un nouvel outil thérapeutique.

INNOVATION Lors de la premiĂšre phase de dĂ©veloppement de la sclĂ©rose en plaques –appelĂ©e « phase inflammatoire » – certain·e·s patient·e·s sont parfaitement Ă  mĂȘme de marcher et de se tenir debout mais peuvent ressentir une fatigue rĂ©currente ou des troubles de la concentration. Pour lutter contre ces dĂ©ïŹciences cognitives, le professeur Arseny Sokolov, du Service de neuropsychologie et de neurorĂ©habilitation au CHUV, mise sur une technologie de jeu vidĂ©o, d’abord dĂ©veloppĂ©e par une Ă©quipe acadĂ©mique californienne, dans l’optique d’attĂ©nuer la perte de capacitĂ©s cognitives liĂ©e au vieillissement du cerveau.

La mĂ©thode combine exercices cognitifs et physiques. La personne fait face Ă  un Ă©cran gĂ©ant sur lequel ïŹgurent des cibles Ă  atteindre, parfois au prix d’un effort physique. Le jeu se dĂ©roule sur plusieurs niveaux dans un univers inspirĂ© du monde maya riche et rĂ©aliste. Le dispositif est Ă©quipĂ© d’une camĂ©ra qui suit les mouvements de la personne pour dĂ©terminer si elle atteint la cible. « Nous cherchons Ă  comprendre dans quelle mesure la stimulation de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale par le jeu vidĂ©o permet d’attĂ©nuer les troubles cognitifs chez les personnes souffrant de sclĂ©rose en plaques », rĂ©sume Arseny Sokolov. Le jeu vidĂ©o permet aussi d’entretenir la motivation en s’adaptant en temps rĂ©el aux performances de la personne qui l’utilise.

Maladie auto-immune, la sclĂ©rose en plaques se produit lorsque les cellules de dĂ©fense immunitaire s’attaquent aux neurones. Les premiers symptĂŽmes, qui peuvent aller jusqu’à des troubles de la marche, apparaissent dans la plupart des cas chez des individus entre 20 et 40 ans.

Les progrĂšs de la mĂ©decine permettent aujourd’hui de dĂ©celer la sclĂ©rose en plaques Ă  un stade plus prĂ©coce qu’auparavant.

TEXTE : JULIEN CREVOISIER

« GrĂące Ă  l’IRM, on peut Ă©tablir un diagnostic dĂšs la premiĂšre apparition des symptĂŽmes », explique Renaud Du Pasquier, chef du Service de neurologie du CHUV. « Poser le diagnostic le plus tĂŽt possible est un facteur dĂ©cisif. » La sclĂ©rose en plaques recĂšle malheureusement encore bien des mystĂšres : ses causes n’ont toujours pas Ă©tĂ© clairement Ă©lucidĂ©es et aucun traitement ne permet d’en guĂ©rir. Le seul moyen pour amĂ©liorer la qualitĂ© de vie des patient·e·s reste donc la lutte contre les symptĂŽmes.

Ce traitement comprend le plus souvent des médicaments qui permettent de retarder la progression de la maladie et des symptÎmes les plus handicapants. Pour les patient·e·s qui disposent encore des capacités physiques nécessaires, le recours au jeu vidéo constituerait donc un outil thérapeutique supplémentaire. Il permettrait notamment la réhabilitation de fonctions cognitives essentielles au quotidien.

« La neurorĂ©habilitation des patients atteints de troubles cognitifs liĂ©s Ă  la sclĂ©rose en plaques est un domaine de recherche clinique et scientiïŹque relativement peu dĂ©veloppĂ© », constate Arseny Sokolov. « Son potentiel est pourtant bien rĂ©el : renforcement de la concentration, augmentation de la vitesse de traitement de l’information, amĂ©lioration de la mĂ©moire immĂ©diate et baisse de la fatigue. »

EN HAUT : ARSENY SOKOLOV, RESPONSABLE DE L’UNITÉ DE NEUROPSYCHOLOGIE AU CHUV

EN BAS : REPRÉSENTATION EN 3D DE CELLULES NERVEUSES.

AprĂšs une premiĂšre phase conduite sur 12 patient·e·s au CHUV et des rĂ©sultats encourageants, la deuxiĂšme phase du projet pilote a Ă©tĂ© lancĂ©e en fĂ©vrier 2023 en collaboration avec l’HĂŽpital de l’Île Ă  Berne, la clinique de rĂ©habilitation de Valens (SG) et l’UniversitĂ© de GĂȘnes, en Italie. À terme, l’étude portera sur 192 patients. Le projet a reçu une enveloppe de 2 millions de francs du Fonds national suisse (FNS). /

3 QUESTIONS À

ROMAIN BARBEN ET EDONA BUGACKI

LE DUO SE MOBILISE AVEC L’ANTENNE LAUSANNOISE DE L’ASSOCIATION MARROW POUR SENSIBILISER LE PUBLIC AU DON DE CELLULES SOUCHES.

1 EN SUISSE, SEULE UNE PERSONNE SUR QUATRE PARVIENT À TROUVER

UN·E DONNEUR·EUSE DE CELLULES SOUCHES SANGUINES COMPATIBLES. LE PUBLIC MANQUE-T-IL D’INFORMATIONS À CE SUJET ?

Les donneurs sont rares car les probabilitĂ©s de compatibilitĂ© sont trĂšs faibles. MĂȘme au sein du cercle familial, seuls 25% des demandeurs parviennent Ă  trouver un donneur compatible. On se trouve donc dans une situation oĂč l’écrasante majoritĂ© des gens qui souhaitent faire un don et qui sont enregistrĂ©es ne seront probablement jamais appelĂ©es, alors que d’autres potentiellement compatibles ne ïŹgurent pas dans le registre. Par ailleurs, certaines personnes peuvent s’avĂ©rer rĂ©ticentes face Ă  la perspective d’une intervention assez lourde. Beaucoup ignorent en effet que 80% des dons s’effectuent aujourd’hui par prĂ©lĂšvement sanguin, et plus par ablation de moelle osseuse.

2

POURQUOI LES PROFILS LES PLUS RECHERCHÉS POUR LE DON SONT-ILS

LES HOMMES JEUNES ?

Il y a deux raisons principales Ă  cela : d’abord, les gens de moins de 40 ans sont davantage recherchĂ©s

pour les dons de cellules souches sanguines parce qu’ils sont globalement en meilleure santĂ©. Ensuite, les hommes sont plus recherchĂ©s que les femmes car, lors de l’accouchement, ces derniĂšres dĂ©veloppent souvent des anticorps qui rĂ©duisent considĂ©rablement la compatibilitĂ© de leur sang avec celui des demandeurs potentiels.

3

Une

Ă©tude tente d’évaluer l’incidence de la pollution aux dioxines

POPULATION AprĂšs la dĂ©couverte en 2021 de la prĂ©sence de dioxines dans les sols lausannois, le conseiller d’État vaudois Vassilis Venizelos, chargĂ© de l’environnement, s’était voulu rassurant : les concentrations de dioxines sont trop faibles pour reprĂ©senter un quelconque risque pour la population. Toutefois, le Canton recommande, entre autres, de prĂ©venir l’ingestion de terre

QUELS SONT LES ÉVÉNEMENTS PHARES DE L’ASSOCIATION MARROW CETTE ANNÉE ?

Nous avons organisĂ© une course contre la leucĂ©mie au stade Pierre de Coubertin, en avril dernier, notamment sponsorisĂ©e par les Services industriels de Lausanne et le canton de Vaud, ainsi qu’un concert de bienfaisance au casino de Montbenon qui nous ont permis de rĂ©colter des fonds pour CRS Transfusion. Cet Ă©tĂ©, nous tiendrons un stand au PalĂ©o Festival qui nous permettra de promouvoir le don de cellules souches. Il est capital d’informer le public, car, en cas de maladie sanguine grave, comme la leucĂ©mie, le don de cellules souches du sang peut s’avĂ©rer vital. /

notamment pour les enfants et de bien laver les lĂ©gumes cultivĂ©s sur place. La consommation d’Ɠufs et de poulets Ă©levĂ©s Ă  mĂȘme les sols contaminĂ©s est Ă©galement Ă  proscrire. Dans la foulĂ©e, l’O∞ce du mĂ©decin cantonal a commandĂ© une Ă©tude pour dĂ©terminer le taux de dioxines dans le sang de la population lausannoise comparĂ© au reste du canton. Les rĂ©sultats sont attendus mi-2024. Les dioxines sont des substances toxiques qui, Ă  hautes doses, peuvent entre autres provoquer des cancers, des problĂšmes de reproduction et des dĂ©faillances du systĂšme immunitaire.

TRANSPLANTATION CARDIAQUE

La premiĂšre

greffe

du cƓur au CHUV a Ă©tĂ©

effectuĂ©e en 1987. Aujourd’hui, on fĂȘte sa 400e transplantation, soit une opĂ©ration consistant Ă  remplacer un cƓur malade par un cƓur sain, prĂ©levĂ© sur une personne en mort cĂ©rĂ©brale.

AVANT

Avant de procĂ©der Ă  une transplantation cardiaque, plusieurs options thĂ©rapeutiques, s’offrent aux patient·e·s : d’abord, le suivi mĂ©dicamenteux et dans un second temps, la pose d’un dispositif d’assistance ventriculaire qui permet de conserver l’aptitude du cƓur Ă  pomper. Lorsque celui-ci n’est plus capable d’effectuer correctement le travail de pompe malgrĂ© les solutions temporaires de prĂ©servation de l’organe, la transplantation cardiaque est indiquĂ©e. Actuellement, au CHUV, 18 personnes figurent sur la liste d’attente. Pour qu’un cƓur soit compatible entre donneur et receveur, il est indispensable de respecter la compatibilitĂ© des groupes sanguins et de vĂ©rifier l’absence d’anticorps chez le receveur qui pourraient interagir avec le cƓur du donneur. Une compatibilitĂ© en termes de sexe et de corpulence est Ă©galement souhaitable.

PENDANT

Lorsqu’une personne est dĂ©clarĂ©e en Ă©tat de mort cĂ©rĂ©brale, son cƓur est arrĂȘtĂ©, prĂ©levĂ© et placĂ© dans la glace pour ĂȘtre transportĂ© et transplantĂ©. La greffe est coordonnĂ©e entre le centre hospitalier qui gĂšre le don et le centre qui le reçoit. L’organisation Swisstransplant organise ce dĂ©placement. Pendant une telle intervention, chaque seconde compte. La durĂ©e de conservation du cƓur Ă  greffer est d’environ quatre heures hors du corps.

APRÈS

Lorsqu’il n’y a pas de complications, la durĂ©e de l’hospitalisation est d’environ trois semaines. Un suivi pluridisciplinaire est alors mis en place pour la revalidation des patient·e·s et pour prĂ©venir les risques de rejet. La durĂ©e de vie d’un cƓur greffĂ© est de douze Ă  quatorze ans. Dans certains cas rares, des personnes subiront plusieurs transplantations au cours de leur vie. La famille de la personne qui a donnĂ© son organe a le droit, en tout temps, de demander des nouvelles.

La banque des excréments

MICROBIOTE Collecter des selles venues des quatre coins du monde pour les stocker en Suisse, c’est le projet de Microbiota Vault, auquel participe notamment l’UniversitĂ© de Lausanne. L’objectif est de conserver des Ă©chantillons du microbiote, cette flore intestinale composĂ©e de milliers de milliards de micro-organismes. Le microbiote est en phase d’appauvrissement depuis quelques annĂ©es dans les pays industrialisĂ©s. Les spĂ©cialistes estiment que cette perte de microbiodiversitĂ© pourrait avoir un lien avec la montĂ©e en flĂšche de certaines maladies, comme l’asthme ou le diabĂšte, dans nos sociĂ©tĂ©s. Ce projet de conservation promet donc de constituer une aide prĂ©cieuse pour la recherche ces prochaines annĂ©es.

3 QUESTIONS À

CHANTAL CAVIN

L’ANCIENNE PARANAGEUSE BERNOISE, MÉDAILLE D’OR EN 2006, A TESTÉ LE BONNET DE BAIN EYECAP IMAGINÉ PAR QUATRE ÉTUDIANTS DE LA HEG GENÈVE.

1 COMMENT PRÉVIENT-ON LES RISQUES DE COLLISION LORS DE LA NATATION EN BASSIN ?

En paranatation, les nageurs malvoyants ou non voyants sont guidĂ©s par la prĂ©sence d’un « tapper », sorte de ballon suspendu au-dessus de l’eau Ă  chaque extrĂ©mitĂ© du bassin. Lorsque l’athlĂšte parvient Ă  la ïŹn du bassin, sa tĂȘte ou son Ă©paule viendra toucher le « tapper », lui signalant qu’il faut faire demi-tour ou s’arrĂȘter.

2 COMMENT FONCTIONNE LE BONNET DE BAIN CONNECTÉ EYECAP ?

DĂšs que l’on s’approche trop du bord de la piscine, le bonnet Eyecap Ă©met une vibration. Ce systĂšme peut ĂȘtre utilisĂ© de maniĂšre autonome par chaque nageur et remplace le « tapper » Ă  l’entraĂźnement. Lors des compĂ©titions, le « tapper » est cependant toujours obligatoire et ne peut pas encore ĂȘtre remplacĂ© par les bonnets Eyecap.

3 VOUS SENTEZ-VOUS PLUS À L’AISE AVEC CETTE TECHNOLOGIE ?

Eyecap permet aux personnes atteintes de handicap visuel de s’entraĂźner de maniĂšre autonome et sĂ©curisĂ©e. C’est un grand pas en avant vers l’autonomisation des athlĂštes actifs dans la paranatation, mais aussi pour les personnes malvoyantes ou non voyantes qui pratiquent la natation dans le cadre de leurs loisirs. /

Un jeune NeuchĂątelois

remporte un prix scientiïŹque Ă  TaĂŻwan

CONCOURS À 18 ans, LoĂŻc Posta a reprĂ©sentĂ© la Suisse Ă  la Foire scientiïŹque internationale de TaĂŻwan (TISF) qui s’est tenue du 5 au 10 fĂ©vrier dernier et qui cherche Ă  promouvoir les inventions des moins de 20 ans. LoĂŻc Posta a prĂ©sentĂ© son systĂšme de mesures de la tempĂ©rature par ïŹbre optique qui est utilisĂ© dans le cadre de forages gĂ©othermiques. Le dispositif a notamment dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mis Ă  l’épreuve lors d’une Ă©valuation gĂ©ologique d’un projet de forage aquifĂšre Ă  Concise (VD). À TaĂŻwan, son invention lui a valu le premier prix dans la catĂ©gorie « sciences de la terre et de l’environnement ».

Recherche biomédicale, la relÚve

SOLUTION La fondation lausannoise Leenaards a dĂ©cernĂ© son prix pour la recherche biomĂ©dicale translationnelle 2023 Ă  trois projets menĂ©s par des Ă©quipes lĂ©maniques : le premier entend dĂ©couvrir comment traiter les infections bactĂ©riennes rĂ©fractaires aux antibiotiques grĂące Ă  du sucre, le deuxiĂšme ambitionne de lutter contre les symptĂŽmes de la schizophrĂ©nie en stimulant le cervelet, et le troisiĂšme se penche sur les causes des maladies cardiovasculaires chez les personnes qui ne sont pas considĂ©rĂ©es comme Ă©tant Ă  risque. Le prix Leenaards s’élĂšve Ă  1,5 million de francs rĂ©partis entre les trois laurĂ©ats.

Forte consommation d’e-cigarettes chez les jeunes

FUMÉE Selon une Ă©tude de Promotion santĂ© Valais et UnisantĂ© menĂ©e auprĂšs de quelque 1400 jeunes de 14 Ă  25 ans en aoĂ»t 2022, 12% consomment des e-cigarettes jetables (ou « puffs ») de façon frĂ©quente, c’est-Ă -dire au moins une fois durant plus de 10 jours au cours du dernier mois. Par ailleurs, 59% des personnes interrogĂ©es en auraient consommĂ© au moins une fois. UnisantĂ© et Promotion santĂ© Valais estiment que l’accĂšs Ă  ces produits, gĂ©nĂ©ralement consommĂ©s dans un cadre festif ou Ă  domicile, devrait ĂȘtre davantage contrĂŽlĂ©. Le risque de dĂ©pendance est en effet Ă©levĂ©, d’autant qu’un jeune sur cinq indique avoir consommĂ© des « puffs » dont la teneur en nicotine dĂ©passait la norme lĂ©gale (20 mg/ml).

AMAL THERAPEUTICS

GENÈVE SUR LA ROUTE À la rencontre des acteurs et actrices de la Health Valley. Nouvelle Ă©tape : GenĂšve.

Un vaccin contre le cancer
La biotech Amal Therapeutics développe un vaccin thérapeutique qui agit sur les cellules tumorales.
TEXTE : SAMUEL GOLLY

Les vaccins sont bien connus comme moyen de prĂ©vention, mais ils peuvent aussi ĂȘtre utilisĂ©s pour la guĂ©rison. L’objectif de ces vaccins thĂ©rapeutiques, proches de l’immunothĂ©rapie, est de stimuler le systĂšme immunitaire pour lui apprendre Ă  reconnaĂźtre et Ă  Ă©liminer les cellules responsables de la maladie, ici, les cellules tumorales.

L’innovation de la start-up genevoise Amal Therapeutics : une plateforme vaccinale brevetĂ©e qui a permis Ă  la fondatrice Madiha Derouazi et Ă  l’immunologue Élodie Belnoue de recevoir le Prix de l’inventeur europĂ©en en 2022. Par « plateforme vaccinale », on dĂ©signe une stratĂ©gie vaccinale adaptable Ă  plusieurs maladies, en l’occurrence diffĂ©rents types de cancer. BaptisĂ©e Kisima, cette plateforme se prĂ©sente comme une protĂ©ine composĂ©e de trois Ă©lĂ©ments : un peptide permettant au vaccin de pĂ©nĂ©trer les cellules responsables du dĂ©clenchement des rĂ©ponses immunitaires, un autre qui joue le rĂŽle

d’adjuvant, et enïŹn un module portant plusieurs antigĂšnes similaires Ă  ceux des cellules tumorales Ă  cibler.

La plateforme permet donc de dĂ©velopper des vaccins thĂ©rapeutiques puissants et polyvalents contre le cancer, une nouveautĂ©. Kisima se distingue des gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes par la stimulation de deux types de lymphocytes, actifs dans les rĂ©actions immunitaires. « Les lymphocytes dits â€č aidants â€ș soutiennent les lymphocytes â€č tueurs â€ș dans la reconnaissance et l’élimination des cellules tumorales, explique l’immunologue Élodie Belnoue. Les lymphocytes â€č aidants â€ș jouent aussi un rĂŽle important pour la mĂ©moire immunitaire. » Spin-off de l’UniversitĂ© de GenĂšve et des HUG, Amal Therapeutics, fondĂ©e en 2012, a Ă©tĂ© rachetĂ©e en 2019 par le groupe allemand Boehringer Ingelheim. La start-up conduit actuellement des essais cliniques auprĂšs de personnes atteintes de cancers colorectaux. /

« DOLLY » OU LE RAPPEL AU MONDE SCIENTIFIQUE DE SES RESPONSABILITÉS

TEXTE :

FĂ©vrier 1997, il y a un peu plus de vingt-cinq ans, une Ă©quipe scientiïŹque dirigĂ©e par le professeur Ian Wilmut du Roslin Institute prĂ©sentait au monde Dolly, la brebis clonĂ©e. Un exploit que de nombreux scientiïŹques croyaient impossible et qui agita le monde entier.

Pourtant, Dolly n’était pas la premiĂšre. En rĂ©alitĂ©, les premiers clonages rĂ©ussis, de grenouilles et de poissons, ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s dans les annĂ©es 1950 et 1960. Et Dolly n’était mĂȘme pas le premier mammifĂšre clonĂ©. Alors pourquoi la naissance de Dolly a-t-elle suscitĂ© un tel engouement ?

Comme nous le rappelle le site de l’institut Roslin, elle fut le premier mammifĂšre clonĂ© Ă  partir d’une cellule adulte. Le processus, appelĂ© transfert nuclĂ©aire de cellules somatiques, consiste Ă  retirer le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique d’un ovule, puis Ă  le remplacer par le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique d’un autre animal.

Dolly a Ă©tĂ© clonĂ©e en utilisant le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique d’une cellule de la glande mammaire d’une brebis de la race Finn Dorset ĂągĂ©e de 6 ans, implantĂ© dans un ovule d’une brebis Scottish Blackface.

Lorsqu’elle est nĂ©e le 5 juillet 1996, Dolly avait le visage blanc d’une brebis Finn Dorset, et non le visage noir de sa mĂšre porteuse, ce qui prouve qu’elle Ă©tait bien un clone. Comme l’ADN de Dolly provenait d’une cellule de la glande mammaire, l’équipe de recherche lui a donnĂ© le nom de Dolly Parton.

Parmi les implications largement dĂ©battues, ïŹguraient d’abord le fait qu’il serait possible de prendre une culture cellulaire, par exemple d’une vache, d’un poulet ou d’un mouton, et de produire des dizaines, des centaines, des milliers, voire des millions de copies prĂ©cises, mais aussi, surtout, la perspective effrayante qu’on pourrait utiliser des cellules humaines pour crĂ©er une armĂ©e de clones.

inartis.ch republic-of-innovation.ch healthvalley.ch

Les dĂ©bats pour et contre le clonage se poursuivent aujourd’hui encore, mĂȘme si le type de clonage utilisĂ© pour crĂ©er Dolly a pratiquement disparu. Il s’est avĂ©rĂ© que le transfert nuclĂ©aire de cellules somatiques avait un faible taux de rĂ©ussite. Dolly est le seul animal nĂ© de 277 embryons clonĂ©s, et des annĂ©es de recherche n’ont pas permis d’amĂ©liorer le pourcentage de clones viables. Entre-temps, une meilleure mĂ©thode a Ă©tĂ© mise au point : les cellules souches pluripotentes induites, ou iPSC.

Dolly allait mourir six ans plus tard. C’est environ la moitiĂ© de la durĂ©e de vie habituelle d’un mouton. Lorsque Dolly a eu 1 an, l’équipe de l’Institut a analysĂ© son ADN et dĂ©couvert que ses tĂ©lomĂšres, les « capuchons » situĂ©s Ă  l’extrĂ©mitĂ© des chromosomes, Ă©taient plus courts qu’ils n’auraient dĂ» l’ĂȘtre pour un mouton de cet Ăąge. Lorsque Dolly est morte, il a Ă©tĂ© largement admis que ses tĂ©lomĂšres courts Ă©taient le rĂ©sultat du clonage et au moins partiellement responsables de sa mort prĂ©coce.

Cependant, un rapport du Roslin Institute semble indiquer que « les examens de santĂ© approfondis auxquels Dolly a Ă©tĂ© soumise Ă  l’époque n’ont rĂ©vĂ©lĂ© aucune affection pouvant ĂȘtre directement liĂ©e Ă  un vieillissement prĂ©maturĂ© ou accĂ©lĂ©rĂ© ». Et les Ă©tudes futures sur les animaux clonĂ©s ont rĂ©vĂ©lĂ© des tĂ©lomĂšres plus courts, plus longs et normaux. Il est donc di∞cile de prouver que la mort prĂ©coce de Dolly Ă©tait directement liĂ©e au clonage.

Nul doute que Dolly a marquĂ© les esprits. Elle restera le tĂ©moignage d’une science qui progresse, mais Ă©galement le rappel au monde scientiïŹque de ses responsabilitĂ©s. /

BENOÎT DUBUIS
Ingénieur, entrepreneur, président du BioAlps et directeur du site Campus Biotech

POST-SCRIPTUM

LA SUITE DES ARTICLES D’ IN VIVO

IN VITRO

Infertilité, quand la science crée la vie

Dans le monde, une personne sur six est touchĂ©e par l’infertilitĂ©, a annoncĂ© l’OMS en avril dernier. L’organisation y voit un problĂšme de santĂ© majeur puisque l’incapacitĂ© Ă  procrĂ©er engendre des problĂšmes d’anxiĂ©tĂ©, de la dĂ©pression et augmente le risque de violences conjugales. En Suisse, ce phĂ©nomĂšne se lit aussi par l’augmentation du recours Ă  la fĂ©condation in vitro. En 2021, 6900 personnes ont utilisĂ© Ă  cette mĂ©thode pour concevoir un enfant, ce qui reprĂ©sente 11% de plus que l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, d’aprĂšs l’O∞ce fĂ©dĂ©ral de la statistique. /

VIH

Prévenir le sida comme on le traite

Pour les femmes atteintes du sida, le risque de transmettre la maladie en allaitant son enfant est extrĂȘmement faible, conïŹrme une Ă©tude menĂ©e dans les hĂŽpitaux suisses. Si la mĂšre est suivie et traitĂ©e, elle peut donc allaiter sans exposer son bĂ©bĂ© Ă  la maladie. Un changement de pratique, puisque, jusqu’à prĂ©sent, bien que le risque de contamination du virus durant la grossesse Ă©tait Ă©cartĂ©, l’allaitement Ă©tait dĂ©conseillĂ©. /

CERVEAU

les dĂ©fis du quatriĂšme Ăąge Écouter de la musique ou en pratiquer freine le dĂ©clin du cerveau. C’est la conclusion d’une Ă©tude menĂ©e auprĂšs de 132 seniors, entre 62 et 78 ans, par l’Unige, la Haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e de Suisse occidentale et l’EPFL. Les personnes participantes ont, pour une partie d’entre elles, suivi des cours de piano de façon hebdomadaire, tandis qu’une autre partie a reçu des cours portĂ©s sur la reconnaissance des instruments de musique et l’analyse de la structure d’Ɠuvres. GrĂące Ă  la neuro-imagerie, les spĂ©cialistes ont pu observer une augmentation de la matiĂšre grise dans quatre rĂ©gions du cerveau liĂ©es Ă  la cognition. / IV n° 17 p. 19

HyperlongĂ©vité :

SUPERBACTÉRIES

Les bactĂ©ries, nos meilleures ennemies Un microscope optique et une camĂ©ra de tĂ©lĂ©phone portable, c’est tout ce que nĂ©cessite la nouvelle mĂ©thode d’antibiogramme dĂ©veloppĂ©e par des scientiïŹques de l’EPFL et de la Vrije Universiteit de Bruxelles. Le dispositif permet de mesurer la rĂ©sistance bactĂ©rienne pour pouvoir administrer un antibiotique adaptĂ©. Un enjeu capital puisque la rĂ©sistance aux antibiotiques est une cause de dĂ©cĂšs majeure. En 2019, on comptait par exemple 1,27 million de dĂ©cĂšs dans le monde pour cette raison. /

IV n° 13 p. 19
IV n° 17 p. 48
IV n° 11 p. 21

DES

MICROPLASTIQUES JUSQUE

DANS LE CORPS HUMAIN

À Paris, des nĂ©gociations internationales se sont tenues en mai dernier dans le but d’établir un traitĂ© contre la pollution plastique au niveau mondial. En augmentation constante, la production de plastique a doublĂ© ces vingt derniĂšres annĂ©es. Et en Suisse, ce sont plus de 14’000 tonnes de plastique qui sont rejetĂ©es dans les sols chaque annĂ©e.

ParticuliĂšrement prĂ©occupants, les microplastiques (paillettes d’une taille infĂ©rieure Ă  5 mm provenant de la fragmentation d’emballages ou d’objets en plastique) se retrouvent partout, y compris dans le corps humain. Chaque individu en absorbe environ 5 grammes par semaine, soit l’équivalent d’une carte de crĂ©dit, selon une Ă©tude australienne de 2019. Une absorption dont les consĂ©quences sont encore peu explorĂ©es. Cependant, les scientifiques redoutent les potentiels effets inflammatoires de ces microplastiques qui se retrouvent dans les tissus pulmonaires, les bronches ou mĂȘme le sang.

Ci-contre, des militant·e·s Ă©cologistes prĂ©lĂšvent des Ă©chantillons d’eau dans la rĂ©gion d’Aceh, en IndonĂ©sie, oĂč de nombreuses riviĂšres ont Ă©tĂ© contaminĂ©es par des microplastiques qui se dĂ©tachent des vĂȘtements pendant la lessive.

PHOTO : HOTLI SIMANJUNTAK/EPA/KEYSTONE

ENFANTS VICTIMES D’AGRE SSIONS SEXUELLES

COMMENT SORTIR DU SILENCE ?

Aucune classe sociale, aucun milieu n’est Ă©pargnĂ©. Les violences sexuelles qui frappent les personnes mineures sont omniprĂ©sentes. On estime qu’un enfant sur cinq subit une agression de ce type. L’inceste, quant Ă  lui, concernerait un enfant sur dix. Des chiffres effrayants et pourtant sous-estimĂ©s, selon les spĂ©cialistes. PrĂ©sentation d'un enjeu de santĂ© publique de grande ampleur.

TEXTES :
PHOTOS :

Cousine, petite-fille, meilleur ami, voisine, collĂšgue
 Nous cĂŽtoyons, pour la plupart d’entre nous Ă  notre insu, une personne qui a Ă©tĂ© abusĂ©e sexuellement dans son enfance. Nous avons aussi entendu les histoires d’un pĂšre qui se rend trop souvent dans la chambre Ă  coucher de sa fille lorsque le reste de la famille dort ou d’un adolescent qui harcĂšle sa cousine sous couvert de « jeux d’enfants ». Nous connaissons ces personnes, parfois, sans avoir conscience de leur vĂ©cu, ou en l’occultant : il est souvent plus facile de dĂ©tourner le regard que de se confronter Ă  la rĂ©alitĂ© de ces agressions. Si la parole se libĂšre autour des violences sexuelles depuis le mouvement #MeToo, le tabou qui pĂšse sur les abus sexuels – en particulier les actes incestueux – dont sont victimes les enfants est puissant, paralysant.

PrĂšs d’un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles, selon le Conseil de l’Europe, la principale organisation de dĂ©fense des droits humains en Europe. Attouchements, exhibitionnisme, viol, harcĂšlement et agressions ou encore exploitation sous forme de prostitution, le spectre est large et recouvre toutes les strates de la sociĂ©tĂ©. En Europe et en AmĂ©rique du Nord, l’inceste, soit des relations sexuelles entre personnes partageant un lien de sang, concernerait un enfant sur dix. Pour la Suisse, une Ă©tude de 2019 de la RTS faisait Ă©tat d’environ 350 enfants victimes d’inceste par annĂ©e. Une tendance stable, mais « des chiffres qui ne rĂ©vĂšlent toutefois que la pointe de l’iceberg », prĂ©cise l’article. En effet, il n’existe actuellement en Suisse aucune enquĂȘte institutionnelle sur l’inceste. La proportion de mĂšres abusives serait Ă©galement sous-Ă©valuĂ©e, mĂȘme si, comme pour les autres types de violences sexuelles, 94% des agresseur·e·s sont des hommes, dont environ un quart de mineur·e·s au moment des faits.

« Les abus sexuels sur les mineur·e·s sont une problĂ©matique frĂ©quente et sont vraisemblablement sous-estimĂ©s », confirme Francesca Hoegger, pĂ©diatre et cheffe de clinique au CAN Team, une unitĂ© du CHUV qui offre un soutien aux professionnel·le·s dans la dĂ©tection et l’évaluation des situations de maltraitance chez les mineur·e·s. VulnĂ©rables et influençables, les enfants sont des cibles faciles. « La notion de sexualitĂ© chez les plus jeunes n’a pas la mĂȘme signification que pour un adulte. Et un abus sexuel peut ĂȘtre fait sans violence.

CHIFFRES

Entre

70% et 85%

des enfants connaissent leur agresseur·e /

Environ un tiers

des enfants victimes d’abus n’en parlent à personne

UN ENFANT SUR CINQ VICTIME

D’ABUS SEXUELS

Cette estimation formulĂ©e par le Conseil de l’Europe est issue de la combinaison de plusieurs Ă©tudes et des statistiques publiĂ©es par l’Unicef, l’Organisation internationale du travail ou encore l’Organisation mondiale de la santĂ©. Ce chiffre tient Ă©galement compte du sous-signalement dont les abus sexuels font souvent l’objet.

Source : LibĂ©ration, « D’oĂč vient l’estimation selon laquelle un enfant sur cinq a Ă©tĂ© victime de violences sexuelles ? », 09.11.2021

Nombre de personnes ne se souviennent pas de ce qui leur est arrivĂ© ou le conscientisent tardivement comme tel », poursuit Francesca Hoegger. A fortiori, lorsque des enfants en situation de handicap sont concerné·e·s : une population Ă  risque Ă©levĂ© d’abus, et qui peut Ă©prouver des difficultĂ©s d’expression et de la comprĂ©hension de tel ou tel geste, donnĂ© dans le cadre des soins, par exemple. La parole est d’autant plus prĂ©cieuse qu’un examen clinique de la sphĂšre gĂ©nitale n’apportera pas toujours de preuves, souligne la pĂ©diatre du CHUV. « Nous trouvons des lĂ©sions dans 30% seulement des cas d’abus avec contact physique. C’est la raison pour laquelle les propos spontanĂ©s d’un enfant sont souvent les plus pertinents. »

Le phĂ©nomĂšne de « dissociation », Ă©galement liĂ© Ă  d’autres types de traumas, est l’une des clĂ©s pour comprendre l’« amnĂ©sie traumatique » dont sont frappĂ©es beaucoup de ces victimes d’abus sexuels privĂ©es de parole. Cette rĂ©action physiologique de

survie se produit lorsque la violence est insupportable (pouvant mener jusqu’à une « mort de stress »), paralysant les fonctions mentales supĂ©rieures et rendant complĂštement inaccessible la rĂ©ponse Ă©motionnelle. La personne a l’impression d’ĂȘtre « à cĂŽté » ou « au-dessus de son corps ». Son pendant, appelĂ© mĂ©moire traumatique, peut quant Ă  lui faire ressurgir Ă  tout moment des souvenirs enfouis dans le subconscient. Les agressions reviennent frĂ©quemment sous forme de flash-back, Ă  l’ñge adulte, dĂ©clenchĂ©s par une odeur, un lieu, une couleur, et rĂ©activant les traumas passĂ©s. En plus de ces rĂ©actions physiologiques, il faut Ă©galement prendre en compte le contexte hiĂ©rarchique et relationnel dans lequel s’inscrivent ces abus et qui complique d’autant la libĂ©ration de la parole : entre 70% et 85% des enfants connaissent leur agresseur·e.

INCESTE, SILENCE ET DÉNI

« La famille reprĂ©sente la principale sphĂšre oĂč s’exercent les abus sexuels et les violences. L’inceste s’inscrit souvent dans une relation privilĂ©giĂ©e entre un adulte abuseur et un enfant », rappelle Alessandra Duc Marwood, psychiatre et mĂ©decin adjointe du Centre les BorĂ©ales, une structure créée en 2010 et dĂ©diĂ©e aux violences intrafamiliales. « Les enfants sont victimes de violences par les figures qui reprĂ©sentent la protection et la sĂ©curitĂ©, entraĂźnant une confusion par rapport Ă  la personne censĂ©e protĂ©ger et prodiguer de l’amour, mais qui, dans le mĂȘme temps, devient celle qui fait du mal. On apprend les rĂšgles relationnelles au sein de sa famille, comment savoir ce qui est normal ou non ? » dĂ©taille la psychiatre. Un point Ă©galement soulignĂ© par la journaliste française Charlotte Pudlowski dans son enquĂȘte minutieuse se basant sur un vĂ©cu familial, « Ou peut-ĂȘtre une nuit –Inceste : la guerre du silence1 ». « On ne se rĂ©volte pas contre ceux que l’on aime. C’est ce qui fait de l’inceste une arme de domination si puissante. »

Le silence qui pĂšse sur de jeunes victimes pĂ©tries de honte et de culpabilitĂ© est d’autant plus lourd que rĂ©vĂ©ler au grand jour des abus commis par un·e proche Ă©quivaut Ă  menacer la tranquillitĂ© du « cocon » familial. « Dans les familles oĂč il y a des actes incestueux, la parole est plus punissable que les actes », assure Alessandra Duc Marwood. Toujours dans son essai, Charlotte Pudlowski note : « Plus l’amour est prĂ©sent, le respect, le sentiment d’ĂȘtre redevable et dĂ©pendant, plus le risque est grand

Abus sexuel

Interaction de nature sexuelle inappropriĂ©e Ă  l’ñge et au niveau du dĂ©veloppement psycho-sexuel de l’enfant ainsi qu’à son statut dans la sociĂ©tĂ©.

Agressions sexuelles

Renvoient à une attaque – soudaine et brutale – portant une atteinte physique et/ou psychique à quelqu’un.

Violences sexuelles

Elles s’inscrivent dans le cadre de la maltraitance infantile. Elles incluent les contacts physiques directs et les actes, qui se dĂ©roulent Ă  travers une interaction visuelle, verbale ou psychologique.

Dissociation

PhĂ©nomĂšne de dĂ©connexion involontaire des Ă©motions afin de se dĂ©tacher de la souffrance. Impression d’absence de soi au moment des violences.

ESPT

État de stress post-traumatique.

RĂ©action psychologique rĂ©sultant d’une situation durant laquelle l’intĂ©gritĂ© physique et/ou psychologique de la personne a Ă©tĂ© menacĂ©e et/ou atteinte. Peut s’exprimer par exemple sous la forme d’hypervigilance et de flash-back.

Mémoire traumatique

ConsĂ©quence psychotraumatique des violences. Se traduit par des flash-back, des illusions sensorielles, des cauchemars qui font revivre le traumatisme, avec la mĂȘme dĂ©tresse, les mĂȘmes rĂ©actions physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vĂ©cues lors des violences.

Résilience

La capacitĂ© Ă  rĂ©ussir Ă  vivre et Ă  se dĂ©velopper positivement, de maniĂšre socialement acceptable, en dĂ©pit du stress ou d’une Ă©preuve nĂ©gative.

LEXIQUE

de faire exploser son socle, ses proches, sa famille et plus la rĂ©volte semble impossible, la dĂ©nonciation ingĂ©rable, ou pas tout de suite, ou tard, ou au prix de l’exclusion du foyer ». Ce mur, Marjorie, 34 ans, abusĂ©e par son cousin de ses 4 Ă  10 ans, y a fait face : « Il me faisait taire en me rĂ©pĂ©tant que c’était sale et que si je racontais ce secret, tout le monde penserait que j’étais sale, moi aussi. J’ai, une fois, essayĂ© d’en parler Ă  ma grand-mĂšre, mais celle-ci n’a pas rĂ©agi. » Le dĂ©ni des conjoint·e·s et des proches est monnaie courante dans les affaires d’inceste. Ils ou elles en viennent mĂȘme souvent jusqu’à prendre le parti de l’auteur·e, observe la psychiatre. Un dĂ©saveu qu’a vĂ©cu Heidi avec sa mĂšre, lorsque celle-ci a appris que son mari avait abusĂ© de sa fille pendant des annĂ©es. « Elle s’est d’abord montrĂ©e dĂ©solĂ©e, puis m’en a voulu, m’accusant d’avoir sciemment sĂ©duit mon beau-pĂšre », raconte l’étudiante de 22 ans qui a depuis coupĂ© les liens.

Ce dĂ©ni, on le retrouve aussi frĂ©quemment du cĂŽtĂ© des agresseur·e·s, observe Alessandra Duc Marwood. « Beaucoup d’auteur·e·s de violences avouent les faits mais rejettent toute responsabilitĂ©. Nous devons leur rappeler qu’un·e enfant n’est jamais consentant ou demandeur de faveurs sexuelles. » Tout un travail est alors effectuĂ© avec la personne auteure de violences autour de la reconnaissance des faits, d’un rappel de la loi et, surtout, d’une prise de conscience de l’impact d’un inceste.

UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

Si le nombre de violences sexuelles sur personnes mineures reste sousĂ©valuĂ©, leurs rĂ©percussions sur l’état de santĂ© de la population sont, elles, bien tangibles. Une Ă©tude Ă©tasunienne1 datant de 2018 estime l’impact Ă©conomique annuel des abus sexuels sur les enfants Ă  plus de 9 milliards de dollars pour le pays. Un montant qui comprend les coĂ»ts des soins de santĂ©, de la protection de l’enfance, de l’éducation spĂ©cialisĂ©e, de la violence et de la criminalitĂ©, du suicide et de la perte de productivitĂ© des personnes abusĂ©es. « Nous ne sommes pas Ă©gaux face aux risques ou Ă  la rĂ©silience. Mais on sait qu’avoir vĂ©cu des violences ou des abus prĂ©tĂ©rite l’avenir », relĂšve Alessandra Duc Marwood. D’autant plus si les facteurs de risques se cumulent (isolement social, maladie, prĂ©caritĂ©, etc.).

1 « One Year’s Losses for Child Sexual Abuse in U.S. Top $9 Billion, New Study Suggests » | Johns Hopkins | Bloomberg School of Public Health (jhu.edu)

« JE

NE VOULAIS PAS

dissociation1, mais, avec les annĂ©es, le poids de ce qui m’était arrivĂ© pesait de plus en plus lourd. Puis la crise du Covid-19 a Ă©clatĂ© et moi avec. C’était trop, j’avais une boule de haine en moi, j’en voulais Ă  tout le monde. Mon copain de l’époque – la premiĂšre personne qui a su m’écouter – m’a alors poussĂ©e Ă  en parler Ă  mon frĂšre, dont j’étais trĂšs proche. Il m’a crue, ça a Ă©tĂ© un Ă©norme soulagement.

ÊTRE CELLE QUI DÉTRUIT

LA FAMILLE »

Mais il pouvait aussi se montrer trĂšs manipulateur, pleurait, menaçait de se suicider si je le dĂ©nonçais. Je ressentais beaucoup de pression. Surtout, parce que je ne voulais pas ĂȘtre celle qui dĂ©truit la famille.

La premiĂšre fois que j’ai mentionnĂ© avoir Ă©tĂ© victime d’inceste, c’était le ans, Ă  deux amies. Elles Ă©taient choquĂ©es et n’ont pas su quoi rĂ©pondre. Je ne leur en veux pas, mais je me suis sentie bĂȘte et honteuse. Je me suis alors Ă  nouveau tue. J’ai longtemps Ă©tĂ© en

Avec son aide, j’ai alertĂ© une partie de ma famille. Tout le monde Ă©tait sous le choc. Je me suis sentie soulagĂ©e, mais en mĂȘme temps trĂšs seule : beaucoup d’adultes s’en doutaient mais n’ont rien fait. Aujourd’hui, tout le monde s’en veut. J’ai portĂ© plainte trois jours aprĂšs ces rĂ©vĂ©lations, en mai 2020, sur conseil de mon pĂšre. Ma mĂšre, qui en tant qu’ancienne conjointe Ă©tait suspecte, a appris par la police que mon beau-pĂšre avait abusĂ© de moi. Je suis toujours dans l’attente du procĂšs qui ne cesse d’ĂȘtre repoussĂ©ÂČ et, pendant ce temps, mĂȘme s’il n’a plus le droit de voir mon demi-frĂšre, mon agresseur est en libertĂ©. La justice n’en fait pas assez pour les victimes, on devrait ĂȘtre soutenues davantage.

Si j’ai acceptĂ© de tĂ©moigner, c’est pour montrer que les victimes n’ont pas de visage particulier. Personne n’est Ă  l’abri, on connaĂźt toutes et tous quelqu’un dans son entourage qui a subi des abus. Et c’est important de sentir qu’on n’est pas seul·e. J’ai fondĂ© l’annĂ©e derniĂšre l’association Amor Fati, qui propose notamment un groupe de parole Ă  Fribourg pour les victimes d’abus sexuels. Je suis Ă©galement Ă©tudiante en psychologie. J’espĂšre ainsi pouvoir aider d’autres personnes dans le futur. »

1 Épisodes au cours desquels, Ă  la suite d’un trauma, la personne perd le contact avec un ou plusieurs aspects de la rĂ©alité : son corps, ses pensĂ©es, son environnement, et/ou ses actions lui deviennent Ă©trangers.

ÂČ Entre-temps, la premiĂšre partie du procĂšs a eu lieu, la procureure a requis 12 ans ferme contre le prĂ©venu qui a fait recours.

Heidi Duperrex, 22 ans, fondatrice de l’association Amor Fati

Les sĂ©quelles chez l’enfant sont multiples et diffĂšrent selon l’individu et son genre. Elles peuvent prendre la forme d’un Ă©tat de choc, d’anxiĂ©tĂ©, d’agressivitĂ©, de retards dĂ©veloppementaux ou de manifestations neurobiologiques. Les consĂ©quences, d’autant plus si les abus se rĂ©pĂštent dans le temps, perdurent souvent Ă  l’ñge adulte et Ă  travers les gĂ©nĂ©rations. ProblĂšmes d’attachement, TOC, agressivitĂ©, addictions, comportements sexuels Ă  risque, maladies chroniques, isolement : la liste est longue. Pour Marjorie, les abus perpĂ©trĂ©s par son cousin se sont traduits par des problĂšmes d’anorexie et de boulimie, de consommation problĂ©matique d’alcool et de difficultĂ©s dans son intimitĂ©. « J’emploie aujourd’hui encore des expressions un peu enfantines pour parler de sexe, ou j’essaie simplement d’éviter d’en parler. J’ai toujours l’impression que je fais quelque chose de mal ou de sale », raconte la jeune femme, dont les blocages ont notamment prĂ©tĂ©ritĂ© nombre de ses histoires sentimentales. De son cĂŽtĂ©, Heidi se souvient avoir eu ses rĂšgles trĂšs tĂŽt, Ă  l’ñge de 9 ans. « Enfant, je m’habillais dĂ©jĂ  comme une grande, je portais du rouge Ă  lĂšvres. Mon beau-pĂšre m’achetait des habits d’adulte. » Elle aussi vit des blocages au niveau de sa sexualitĂ©, sous forme de flash-back.

Moins connus, les problĂšmes cardiovasculaires Ă  l’ñge adulte peuvent Ă©galement ĂȘtre une rĂ©sultante de traumas, dont les abus sexuels. « Quel que soit le type de maltraitance, une victime d’abus a plus de probabilitĂ©s d’ĂȘtre en hyper-vigilance constante en raison d’un syndrome de stress post-traumatique et, ainsi, d’ĂȘtre constamment sous adrĂ©naline et cortisol », souligne Marco Tuberoso, psychologue Ă  l’association Espas, qui s’engage auprĂšs des enfants et des adultes concerné·e·s par les abus sexuels. L’essai Ou peut-ĂȘtre une nuit dĂ©peint le cas de Lydia, 48 ans, qui, Ă  la suite de chocs psychologiques liĂ©s Ă  des abus sexuels par son pĂšre, a dĂ©veloppĂ© une maladie neurovĂ©gĂ©tative dĂ©gĂ©nĂ©rative. Elle est dĂ©sormais en chaise roulante.

« Avoir subi des violences sexuelles ne signifie pas toujours un mauvais pronostic pour le futur dĂ©veloppement de l’enfant, prĂ©cise la Dre Francesca Hoegger. Mais trouver le soutien nĂ©cessaire aide Ă  aller bien. Plus l’enfant est pris en charge tĂŽt, plus les chances sont grandes que les consĂ©quences sur sa santĂ© soient moindres. » Plus nuancĂ©e, Alessandra Duc Marwood reconnaĂźt que « beaucoup d’anciennes victimes construisent leur vie et font des choses merveilleuses. Mais au prix d’une souffrance intĂ©rieure Ă©norme. »

AIDER LES ADULTES PRÉOCCUPÉ E S PAR LEURS FANTASMES

Il est parfois plus confortable pour une sociĂ©tĂ© de panser des blessures que de les prĂ©venir. De prendre en charge les victimes plutĂŽt que de se demander qui sont les agresseur·euse·s, pourquoi ils ou elles agissent et comment de telles violences, dĂ©cennie aprĂšs dĂ©cennie, gangrĂšnent nos sociĂ©tĂ©s en toute impunitĂ©. D’éviter de regarder en face des visages connus et qui, pourtant, ont commis l’indicible. Certaines structures ont, toutefois, le courage de prendre le problĂšme Ă  la racine : c’est le cas de l’association Dis No, installĂ©e discrĂštement au premier Ă©tage d’un immeuble rĂ©sidentiel du centre de Lausanne.

La mission de cette organisation unique en Suisse romande : apporter son aide Ă  des adolescent·e·s ou des adultes prĂ©occupé·e·s par des fantasmes sexuels envers des enfants (communĂ©ment appelĂ©s « pĂ©dophilie ») et Ă  risque de passage Ă  l’acte. Une problĂ©matique qui concernerait environ 1% de la population masculine (soit environ 66’000 personnes en Suisse) et sur laquelle pĂšse « un stigmate et un tabou considĂ©rables », selon Hakim Gonthier, le directeur de l’association. « Nous travaillons avec des personnes en grande souffrance qui ne savent pas vers qui se tourner. Comment en parler Ă  ses proches ? Nous sommes souvent les seules personnes Ă  ĂȘtre au courant de ce qui se passe dans leur tĂȘte. »

TYPES DE VIOLENCES SEXUELLES

SANS CONTACT CORPOREL

‱ Exhibitionnisme

‱ Voyeurisme

‱ Confrontation Ă  du matĂ©riel pornographique

‱ Agressions verbales

AVEC CONTACT CORPOREL

‱ Sans pĂ©nĂ©tration : attouchements, masturbation de l’auteur·e sur la victime ou de la victime sur l’auteur·e.

‱ Avec pĂ©nĂ©tration : pĂ©nĂ©tration orale, vaginale, anale de l’auteur·e sur la victime ou de la victime sur l’auteur·e qui le demande.

Sources : LAVI CentreLAVI-Abus-sur-mineurs-pdf, memoiretraumatique.org

REPÉRER LES SIGNAUX D’ALERTE

Les signes qui peuvent alerter chez les enfants et les adolescent·e·s varient en fonction de l’ñge et du genre. Il existe diffĂ©rents types de manifestations de violences sur un individu.

Physiques

‱ ProblĂšmes somatiques (ex. : Ă©nurĂ©sie, eczĂ©ma
)

‱ Fatigue chronique

‱ Infections urinaires ou vaginales Ă  rĂ©pĂ©tition, constipation

‱ Maux de tĂȘte

‱ Maux de ventre

‱ Douleur et/ou difficultĂ© Ă  marcher ou Ă  s’asseoir

L’association leur offre ainsi une Ă©coute attentive, ainsi qu’à leurs proches, et les accompagne dans une dĂ©marche de changement qui peut parfois prendre du temps : « Nous observons frĂ©quemment une minimisation des faits, des mĂ©canismes de dĂ©ni ou de distorsions cognitives, soit l’interprĂ©tation des gestes d’enfants comme une invitation. Nous les aidons Ă  conscientiser ces fantasmes, Ă  les recadrer et nous leur rappelons la loi », relate Hakim Gonthier. Le directeur se montre toutefois rassurant : « Faire le pas de nous contacter est un facteur protecteur de passage Ă  l’acte. »

L’association n’offre pas de soutien thĂ©rapeutique mais rĂ©oriente les personnes vers des spĂ©cialistes, lorsqu’ils ou elles acceptent. Elle rencontre en effet des difficultĂ©s Ă  trouver des thĂ©rapeutes, souvent peu formé·e·s ou enclin·e·s Ă  travailler avec ce type de patient·e.

Psychiques

‱ Retards dĂ©veloppementaux

‱ Symptîmes de stress post-traumatique

‱ SymptĂŽmes dĂ©pressifs

‱ Symptîmes de dissociation

‱ État de choc

Comportementaux

‱ Changements de comportements soudains et inexpliquĂ©s

‱ ColĂšre, agressivitĂ©

‱ Comportements sexuels problĂ©matiques

‱ AnxiĂ©tĂ©, peur, mĂ©fiance

‱ Problùmes scolaires

‱ Scarification

‱ Troubles alimentaires, du sommeil

‱ Problùmes d’hygiùne

À l’instar des auteur·trice·s d’abus sexuels, les personnes faisant appel Ă  l’association sont en majoritĂ© des hommes. Les femmes qui recherchent de l’aide Ă  Dis No souffrent plus gĂ©nĂ©ralement de TOC pĂ©dophilique, soit « la peur d’ĂȘtre pĂ©dophile », qui diffĂšre de l’attirance pour les enfants. L’association a Ă  cƓur sa lutte contre les mythes entourant ce trouble et prĂ©cise que pĂ©dophilie n’équivaut pas Ă  agression sexuelle. « On estime que seules 30 Ă  40% des personnes ayant commis une agression sexuelle sur les enfants prĂ©sentent une attirance sexuelle primaire ou exclusive pour les enfants, ce qui les classerait dans la catĂ©gorie des pĂ©dophiles, prĂ©cise Hakim Gonthier. Les 60% restants sont le fait de personnes qui ne rĂ©pondent pas Ă  un diagnostic de pĂ©dophilie mais sont des agresseurs dits opportunistes avec un profil

« ON PEUT TRANSFORMER

SON TRAUMA EN QUELQUE

CHOSE DE POSITIF »

« Oui, l’inceste concerne aussi les hommes. Et en parler ne rend pas moins â€č viril â€ș. C’est important qu’on nous entende sur ce sujet.

J’ai Ă©tĂ© abusĂ© par deux personnes diffĂ©rentes, ce qui signifie aussi deux expĂ©riences distinctes. J’étais trĂšs jeune la premiĂšre fois, autour de 3 ans. On avait l’habitude de jouer Ă  papamaman avec mes ami·e·s. Une fille plus ĂągĂ©e, la cousine de ma cousine,

insistait toujours pour que je fasse le papa et elle la maman. Elle m’a une fois emmenĂ© dans un bĂątiment isolĂ©, c’est lĂ  qu’elle en a profitĂ© pour m’attoucher. Ça s’est rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois. Je sentais que c’était inhabituel, bizarre, mais je n’ai pas le souvenir de quelque chose de violent.

Contrairement Ă  la deuxiĂšme personne qui m’a agressĂ©. Je vivais Ă  l’époque chez ma tante, dans un

Prosper Gabriel 24 ans

environnement trĂšs violent, trĂšs stressant. Ma cousine, alors ĂągĂ©e de 16 ans, en a profitĂ©. Étant donnĂ© que je ne faisais pas directement partie de la famille, elle savait qu’on ne prendrait jamais mon parti. Avec elle, il y a tout eu, des attouchements Ă  la pĂ©nĂ©tration. Des menaces et du chantage. J’avais tellement peur de me faire bannir de chez ma tante que j’en Ă©tais au point oĂč c’était Ă  moi de tout faire pour qu’on ne nous attrape pas. Cette situation a durĂ© un an, puis j’ai dĂ©mĂ©nagĂ© et, en 2014, j’ai rejoint mon oncle en Suisse.

Par instinct de survie, je n’ai jamais rien dit. J’ai mis cette affaire dans une boĂźte, je me suis en quelque sorte coupĂ© de mes Ă©motions. Mais peutĂȘtre se sont-elles exprimĂ©es autrement. J’ai, par exemple, pu ressentir du dĂ©goĂ»t pour les femmes, je ne croyais pas en l’amour. À l’inverse, je recherchais constamment leur attention. J’ai toujours Ă©tĂ© sensible aux violences, notamment aux violences sexuelles envers les femmes. Lorsqu’elles se confiaient Ă  moi, j’avais envie de leur dire â€č je sais ce que vous vivez â€ș. Je me suis longtemps senti impuissant. J’avais cette envie de montrer que j’étais le plus fort, le plus massif, en Ă©tant Ă  fond dans le sport. J’avais la sensation d’ĂȘtre le petit Prosper qui doit se taire et que ma cousine avait toujours une emprise sur moi. Je suis parvenu Ă  transformer ce dĂ©sir de â€č masculinité â€ș en quelque chose de positif. J’ai mĂȘme Ă©tĂ© champion suisse de boxe amateur. Si je devais aujourd’hui croiser cette femme, je voudrais lui montrer que, malgrĂ© ce qu’elle m’a fait subir, je vais bien. Je suis une personne Ă  part entiĂšre. »

psychopathique ou antisocial. » Le spĂ©cialiste recommande de ne pas stigmatiser cette attirance, tant que cette derniĂšre, encadrĂ©e par des limites claires et des stratĂ©gies de non-passage Ă  l’acte, reste circonscrite Ă  des pensĂ©es. « Prenez contact avant que la situation ne devienne hors de contrĂŽle. L’onde de choc est telle pour la victime, comme pour la personne et ses proches, qu’une fois la limite franchie, il est impossible de revenir en arriĂšre », insiste-t-il.

Marco Tuberoso d’Espas travaille avec des auteur·e·s d’agressions sexuelles de moins de 18 ans envoyé·e·s par le Tribunal des mineurs. Ce sont majoritairement des garçons qui ont, pour la plupart, Ă©galement subi des maltraitances, et pour un tiers d’entre eux·elles des violences sexuelles. « Attention : cela ne signifie pas que toutes les personnes abusĂ©es deviennent des abuseurs, insiste Marco Tuberoso. Pour les adolescents auteurs, la sexualitĂ© est souvent un moyen d’entrer dans une forme de dĂ©linquance, de montrer Ă  quel point ils vont mal. » Dans une sociĂ©tĂ© genrĂ©e oĂč l’expression des Ă©motions reste exclue de la construction de la masculinitĂ© (les filles, elles, auront davantage des tendances autodestructrices), le psychologue s’attache Ă  faire parler ces jeunes garçons de leur souffrance, tout en leur rappelant que le fait d’avoir Ă©tĂ© victime d’abus ne leur donne pas le droit d’agresser un tiers Ă  leur tour.

RÉÉDUQUER LA SOCIÉTÉ

EnracinĂ©es dans toutes les strates d’une sociĂ©tĂ© patriarcale, n’épargnant personne, que l’on soit victime ou proche, et rejaillissant sur les gĂ©nĂ©rations d’aprĂšs, les violences sexuelles reprĂ©sentent un enjeu de santĂ© publique, dont chacun et chacune doit se saisir. DĂ©tourner le regard ou se murer dans le silence pour prĂ©server des semblants de liens familiaux et sociaux peut ĂȘtre condamnable par la justice. Il en va de mĂȘme pour les professionnel·le·s de la santĂ© qui, de l’avis des personnes interrogĂ©es, sont encore trop peu formé·e·s Ă  ces problĂ©matiques, au contact malgrĂ© eux de situations tragiques. « Nous devons oser poser la question, ouvrir la porte et leur laisser la place », insiste Francesca Hoegger. Et Alessandra Duc Marwood de conclure : « Il faut une rééducation de la sociĂ©tĂ©. Nous avons un devoir d’entendre et de protĂ©ger les plus vulnĂ©rables. » /

CENTRES LAVI

- aide et conseils pour les victimes de violences physiques, sexuelles ou psychiques

- soutien psychologique et juridique

- conseil pour les aides financiĂšres profa.ch/lavi

ASSOCIATION ESPAS

- suivis thérapeutiques pour les victimes de violences sexuelles

- prise en charge pour adolescent·e·s qui ont commis des violences sexuelles

- cours de sensibilisation pour les professionnel·le·s espas.info

BRIGADE DES MƒURS

- s’occupe de ce qui concerne l’intĂ©gritĂ© corporelle

- reçoit les plaintes pour maltraitance physique ou sexuelle

- reçoit les personnes 24h/24 vd.ch

ASSOCIATION DIS NO

- active dans la prévention de la maltraitance et des abus sexuels

- accueille les adultes ou adolescent·e·s qui ressentent une attirance envers les enfants

- uniquement destinĂ© aux personnes qui n’ont pas commis d’actes d’ordre sexuel

disno.ch

CAN TEAM

- forme les professionnel·le·s Ă  la dĂ©tection de la maltraitance et Ă  l’orientation vers des mesures de protection de l’enfant et l’adolescent·e

- rattaché au Service de pédiatrie du CHUV

chuv.ch

CONSULTATION LES BORÉALES

- destinĂ©e aux familles et couples concernĂ©s par des situations de violences ou d’abus sexuels

- propose des thérapies individuelles de couple ou de famille

- organise des visites Ă  domicile et des groupes de parole chuv.ch

VERS

RECUEILLIS

« LA PAROLE SE LIBÈRE, MAIS LA JUSTICE AVANCE LENTEMENT »

La reconnaissance par la justice est, pour beaucoup de victimes d’abus sexuels, une Ă©tape indispensable vers la reconstruction de soi. L’avocate lausannoise Coralie Devaud dĂ©plore une lĂ©gislation suisse archaĂŻque en matiĂšre de viol et d’inceste. PROPOS

in vivo Que se passe-t-il au niveau juridique lorsqu’un abus sexuel est commis sur un·e mineur·e ?

coralie devaud Les abus sexuels commis sur des enfants sont des infractions qui se poursuivent d’office. Cela signifie qu’une plainte n’est pas nĂ©cessaire pour l’ouverture de la procĂ©dure pĂ©nale. Il est toutefois conseillĂ© de dĂ©poser plainte en vue de faire valoir ses droits. La majoritĂ© des signalements de mise en danger d’un mineur Ă©manent du milieu mĂ©dical, scolaire ou familial. Toutefois, si l’enfant est capable de discernement, autour de l’ñge de 15 ans, il peut aussi lui-mĂȘme dĂ©poser plainte. La machine judiciaire se met en marche et une procĂ©dure est rapidement lancĂ©e. Selon l’ñge de l’auteur la procĂ©dure s’engage soit devant le Tribunal des mineurs, soit devant le MinistĂšre public si la personne est majeure.

Biographie

NĂ©e Ă  Lausanne et aprĂšs avoir obtenu une licence en droit, Me Coralie Devaud poursuit son parcours acadĂ©mique en rĂ©digeant une thĂšse de doctorat sur le consentement Ă©clairĂ© du·de la patient·e. Depuis plus de dix ans, elle pratique en qualitĂ© d’avocate pĂ©naliste et dĂ©fend notamment les intĂ©rĂȘts des enfants ayant subi des violences physiques, psychiques ou sexuelles. Me Coralie Devaud conseille et assiste Ă©galement les professionnel·le·s de la santĂ© lors de procĂ©dures pĂ©nales et disciplinaires.

iv Les enfants sont des ĂȘtres vulnĂ©rables, qui n’ont pas forcĂ©ment accĂšs Ă  la parole. Des prĂ©cautions sont-elles prises au moment de l’audition ?

cd Le processus d’audition des enfants, des plus jeunes particuliĂšrement, est trĂšs prĂ©cis. L’enfant, en fonction de ses facultĂ©s, soit Ă  partir de 5 ou 6 ans, est entendu et filmĂ© dans un local adaptĂ©, en prĂ©sence d’un psychologue LAVI, et selon un protocole qui a notamment pour but d’éviter toute influence ou contamination des dĂ©clarations de la victime. Des inspecteurs – disposant d’une formation spĂ©cifique en la matiĂšre – suivent l’audition, retransmise sur un Ă©cran, dans une autre piĂšce. Nous sommes trĂšs attentifs aux dires spontanĂ©s de l’enfant. Tout est fait pour ne pas polluer son discours et Ă©viter un risque de victimisation secondaire1

iv Dans le cas oĂč l’accusé·e prĂ©sumé·e est l’un des parents, que se passe-t-il ?

cd Le procureur interpelle la Justice de paix –l’autoritĂ© de protection de l’enfant – pour qu’un curateur de reprĂ©sentation soit attribuĂ© Ă  l’enfant en vue de dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts dans la procĂ©dure. En d’autres termes, cela signifie qu’on ĂŽte aux parents le pouvoir lĂ©gal de reprĂ©senter leur enfant Ă  ce titre. La Direction gĂ©nĂ©rale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) peut Ă©galement intervenir pour le volet civil. Elle peut, par exemple, demander un placement de l’enfant si l’on estime que ce dernier n’est pas en sĂ©curitĂ© avec ses parents ou ses reprĂ©sentants devant la loi.

1 La victimisation secondaire est le mĂ©canisme qui fait souffrir une seconde fois la victime de violence ou d’agression quand on ne la croit pas, qu’on minimise les faits ou encore qu’on la considĂšre comme coupable de ce qui lui arrive.

iv L’inceste reprĂ©sente l’ultime tabou social. Pourtant, dans la loi suisse, il n’est pas considĂ©rĂ© comme un crime.

cd En effet, l’inceste est, selon le Code pĂ©nal, un dĂ©lit qui relĂšve du droit de la famille. Cette disposition avait pour but, Ă  l’origine, d’éviter la consanguinitĂ© et de prĂ©server le lien familial. L’inceste doit ĂȘtre accompagnĂ© de contrainte ou de violence pour ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un crime. À l’image de la dĂ©finition du viol en Suisse, la disposition qui concerne l’inceste est archaĂŻque : pour qu’il y ait inceste, il doit y avoir un acte sexuel entre ascendants et descendants ou entre frĂšre et sƓur. L’auteur d’inceste peut uniquement ĂȘtre de sexe masculin et la victime de sexe fĂ©minin. Les liens incestueux d’une mĂšre avec son fils ou d’un pĂšre avec son fils n’entrent pas dans la dĂ©finition de l’inceste, tout comme les abus qui seraient commis par un frĂšre adoptif ou un beau-pĂšre, puisque le Code pĂ©nal ne reconnaĂźt que les liens du sang.

iv Vous citiez une loi suisse dĂ©suĂšte en matiĂšre de viol. Qu’en est-il exactement ?

cd À l’heure actuelle, la dĂ©finition du viol est trĂšs restrictive : elle se fonde sur la notion de contrainte physique ou psychologique. Un « non » exprimĂ© oralement en l’absence d’un moyen de contrainte n’entre pas dans ce cadre, aux yeux de la loi. L’infĂ©rioritĂ© cognitive ainsi que la dĂ©pendance Ă©motionnelle et sociale peuvent, particuliĂšrement chez les enfants et les adolescent·e·s, induire une Ă©norme pression qui les rend incapables de s’opposer Ă  des abus sexuels. Il est souvent nĂ©cessaire de rappeler qu’un enfant n’est jamais consentant, et qu’une agression sexuelle peut ĂȘtre faite sans contrainte. En outre, un viol, Ă  l’instar de l’inceste, est seulement reconnu dans le cadre de la pĂ©nĂ©tration d’un pĂ©nis dans un vagin, excluant la fellation et la sodomie et, de facto, les agressions sexuelles entre personnes de mĂȘme sexe.

iv Les affaires d’abus sexuels, d’autant plus quand elles concernent des enfants, ont ceci de complexe qu’elles manquent souvent de preuves.

cd Oui, c’est toute la difficultĂ© de ce genre de procĂ©dure : les victimes ont le sentiment de devoir dĂ©montrer qu’elles disent la vĂ©ritĂ©. Il est rare qu’un auteur reconnaisse les faits, sauf s’il existe des preuves Ă©videntes, comme, des traces scientifiques

ou un grand-pĂšre qui aurait fait des photographies des parties intimes de sa petite-fille. Et mĂȘme dans ce cas, il arrive que des agresseurs, ainsi que leurs conjointes, se murent dans le dĂ©ni. Les instances juridiques collaborent Ă©troitement avec le corps mĂ©dical qui pourra, par exemple, attester d’un Ă©tat post-traumatique. Un Ă©lĂ©ment supplĂ©mentaire pour le tribunal, sachant que le doute joue toujours en faveur de l’accusĂ©. Le dossier d’une victime d’abus sexuels est un vĂ©ritable chĂąteau de cartes et parvenir jusqu’au tribunal est un parcours du combattant.

iv Du point de vue des victimes, que peut leur apporter la justice suisse ?

cd On entend frĂ©quemment que les victimes se sentent abandonnĂ©es, que tout le processus judiciaire tourne autour du prĂ©venu. Mais tous les survivants ne font pas appel Ă  la justice dans le mĂȘme but : certains ont besoin d’obtenir une reconnaissance des faits pour se reconstruire, d’autres une condamnation. D’autres encore entament un processus judiciaire pour Ă©viter que l’histoire ne se rĂ©pĂšte. /

Dans chaque numĂ©ro d’In Vivo, le Focus se clĂŽt sur une sĂ©lection d’ouvrages en « libres Ă©chos ». Ces suggestions de lectures sont prĂ©parĂ©es en collaboration avec Payot Libraire et sont signĂ©es JoĂ«lle Brack, libraire et responsable Ă©ditoriale de www.payot.ch.

EMBRASSE-MOI

Embrasse-moi

LIDIA MATHEZ

LA JOIE DE LIRE, 2023

CHF 24.90

Lidia Mathez, jeune diplĂŽmĂ©e de l’École supĂ©rieure de bande dessinĂ©e et d’illustration de GenĂšve, frappe par la maĂźtrise d’« Embrassemoi », son premier roman graphique –et autobiographique.

Fragile et dĂ©primĂ©e, la jeune Lidia du livre vit mal son entrĂ©e dans sa vie de femme. Peu Ă  peu, les souvenirs occultĂ©s d’abus subis dans l’enfance prennent forme. Mais savoir donne-t-il le moyen de gĂ©rer la vĂ©ritĂ© ? Pour s’en sortir, l’hĂ©roĂŻne devra faire preuve de courage et de luciditĂ©, tout comme son alter ego l’illustratrice.

IN VIVO Comment cet album est-il né ?

lidia mathez À la ïŹn de l’annĂ©e 2020, notre professeur nous a orientĂ©s vers les sujets pour l’examen ïŹnal. C’était sur le thĂšme de l’anxiĂ©tĂ©, j’ai dĂ» faire un travail sur moi-mĂȘme, et Ă  travers ce processus, les souvenirs ont commencĂ© Ă  remonter. J’en ai parlĂ© Ă  mes parents, j’ai pu comprendre ce qui m’était arrivĂ©, et j’ai dĂ©cidĂ© d’en faire mon portfolio d’examen. Mon but Ă©tait de briser un tabou d’une maniĂšre plus accessible que dans les livres.

IV Vos enseignant·e·s l’ont acceptĂ© ?

lm Leurs rĂ©ticences visaient moins le sujet que mon style, proche du manga, et la technique digitale que j’avais choisi d’utiliser pour ce projet. Mais c’est d’abord Ă  moi que ça devait plaire, puisque c’est moi qui devais aller mieux. Ça a cependant Ă©tĂ© trĂšs di∞cile, les images et les souvenirs revenaient et, parfois, je me suis Ă©croulĂ©e. Heureusement, ma classe et mes professeurs m’ont soutenue. Et puis c’était pour mon diplĂŽme, je ne pouvais plus m’arrĂȘter. Dans ce roman graphique, le noir est omniprĂ©sent : aprĂšs le trauma, ce bain de liquide noir, opaque, dont surgissent des mains et des yeux, habitait mes rĂȘves. Par contre, je ne voulais rien d’agressif dans le dessin, pas mĂȘme pour l’abuseur. C’est une chose sur laquelle je voulais mettre le doigt : les mĂ©chants ne sont pas typĂ©s, n’importe qui peut ĂȘtre un abuseur. Ce style appartient d’ailleurs uniquement Ă  cet album.

IV Comment s’est dĂ©roulĂ©e la publication de l’album ?

lm Cette offre m’a troublĂ©e, car si j’étais bien sĂ»r heureuse de cette occasion, rare pour les jeunes artistes, c’était mon histoire qui allait ĂȘtre publiĂ©e. Fallait-il changer les noms, modiïŹer certaines choses ? Finalement, j’ai uniquement a∞nĂ© quelques dĂ©tails, et je me suis dit qu’on verrait bien. DĂšs la parution, j’ai reçu de nombreux messages sur Instagram, de victimes qui n’osaient pas parler. Cela arrive Ă  beaucoup de gens, malheureusement leur silence protĂšge les abus. Au dĂ©but, je rĂ©pondais, mais j’ai dĂ» simpliïŹer pour ne pas ĂȘtre submergĂ©e, ça a Ă©tĂ© un grand dĂ©ïŹ.

IV Quel est votre conseil pour les personnes victimes ? lm Je recommande de parler aux parents, aux amis, aux spĂ©cialistes, pour prendre du recul, mĂȘme si c’est di∞cile, car la surprise puis la gĂȘne paralysent d’abord les rĂ©actions. On n’a jamais de « chance » en cas d’abus, mais, pour ma part, j’apprĂ©cie d’avoir un entourage sain qui, passĂ© le choc, m’a soutenue et encouragĂ©e. Si on est seul (ou qu’il est la source de l’abus), il faut vraiment s’adresser Ă  quelqu’un d’autre. J’ai aussi eu des retours sur l’album de la part de mĂ©decins, qui l’utilisent pour l’accompagnement des personnes victimes d’abus : c’est chouette qu’il puisse aider. /

PROPOS RECUEILLIS
PAR JOËLLE BRACK

CHRONIQUE

La petite menteuse

PASCALE ROBERT-DIARD

L’ICONOCLASTE, 2022

220 PAGES

CHF 31.10

Lisa a eu « de la chance dans son malheur » : ses enseignant·e·s ont compris que l’adolescente allait mal, elle a Ă©tĂ© entendue et a pu dĂ©noncer son violeur, qui a Ă©tĂ© jugĂ© et sĂ©vĂšrement condamnĂ©. Lorsqu’elle dĂ©barque dans le bureau de Me Alice Keridreux, l’affaire semble donc close. Mais elle s’ouvre, au contraire, et rĂ©vĂšle ses chaussetrapes. Bretonne amateure de bains de mer glacĂ©s, Alice va devoir plonger au cƓur d’un dossier troublant. Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde, romance Ă  peine un cas rĂ©el rĂ©cemment mĂ©diatisĂ©. Et il fallait sa solide connaissance des procĂ©dures pour actionner les ressorts du doute et du rĂ©examen sans nuire au besoin croissant de conïŹance dans la parole des victimes. Dosant parfaitement le suspense de l’instruction et la tension des esprits, elle offre un regard diffĂ©rent, lucide mais empathique, sur une affaire sans doute unique en son genre. Ou peut-ĂȘtre pas ?

EN BREF

Ils ne savaient pas

BRUNO CLAVIER

PAYOT, 2022

192 PAGES, CHF 28.50

Pourquoi les psys, spĂ©cialistes du dĂ©cryptage de rĂ©vĂ©lations occultĂ©es, sont-ils ·elles si aveugles et sourd·e·s aux signaux des victimes d’abus sexuels ? Psychanalyste et psychologue clinicien (et ancienne victime d’abus), Bruno Clavier remonte aux sources d’un dĂ©ni – thĂ©orisĂ© par Freud et Lacan – qui rend le·la psy incapable d’accepter les indices pourtant clairs de violences sexuelles. À la fois rĂ©quisitoire et plaidoyer, cet essai nourri d’expĂ©riences prĂ©fĂšre Ă  la critique dure des rĂ©cits de rĂ©ussites thĂ©rapeutiques permises par le discernement du·de la praticien·ne.

Ou peut-ĂȘtre une nuit

CHARLOTTE PUDLOWSKI

LIVRE DE POCHE, 2023

256 PAGES, CHF 14.20

TirĂ© d’un podcast retentissant, Ou peut-ĂȘtre une nuit dĂ©cortique l’accumulation de silences qui bĂąillonne les victimes d’inceste. TĂ©moignages Ă  l’appui (dont celui de sa mĂšre), la journaliste dĂ©busque les complicitĂ©s du crime. En cause : le modĂšle de domination patriarcal, qui dresse femmes et enfants Ă  y souscrire. Parler fait courir le risque de n’ĂȘtre pas cru·e, brise la cellule familiale, dĂ©voile les mensonges et l’hypocrisie sociale, le silence arrange donc tout le monde. Et en convainc les victimes, les poussant avec perversitĂ© Ă  ĂȘtre leur meilleur bourreau.

Te laisse pas faire

JOCELYNE ROBERT

ÉDITIONS DE L’HOMME, 2019

128 PAGES, CHF 20.60

Un format gĂ©nĂ©reux, un style BD, un ton vif, des encarts colorĂ©s : cet ouvrage de la sexologue quĂ©bĂ©coise est destinĂ© aux enfants. Cet excellent matĂ©riau semble cependant plus pertinent dans les mains des adultes, qui trouvent lĂ  un canal Ă  la fois attrayant et complet pour aborder avec les 5 – 12 ans le sujet des abus sexuels, sans simpliïŹer ni dramatiser. Les histoires dessinĂ©es et les jeux de rĂ©flexion, Ă  dĂ©velopper en fonction de l’ñge et de l’intĂ©rĂȘt, sont calibrĂ©s pour cerner le problĂšme, favoriser le dialogue, et rassurer par des explications constructives.

« Le but de mon travail n’est pas de remettre en question la condamnation de l’excision. »

DINA BADER Juridiquement, rien ne permet de distinguer les pratiques d’excision et les opĂ©rations gĂ©nitales comme la nymphoplastie. La chercheuse montre comment l’éthnocentrisme biaise la perception de ces pratiques.

INTERVIEW : CAROLE EXTERMANN
PHOTO : JEANNE MARTEL
« Il y a dix ans, personne ne serait
venu m’interviewer Ă  ce sujet »

Dina Bader a travaillĂ© sur la diffĂ©rence entre l’excision et les opĂ©rations des parties gĂ©nitales fĂ©minines Ă  visĂ©e esthĂ©tique (nymphoplasties). In Vivo lui consacre une grande interview. L’occasion de mieux comprendre comment la rĂ©glementation des pratiques d’excision et des chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales se mĂȘle Ă  des enjeux politiques, mais aussi comment le questionnement autour de leur comparaison est nĂ©cessaire pour ne pas entraver le travail de prĂ©vention contre les pratiques d’excision sur le terrain.

in vivo Votre recherche s’est concentrĂ©e sur le concept de mutilation gĂ©nitale fĂ©minine en confrontant les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales et les pratiques d’excisions. Comment ce projet s’est-il construit ?

DinA BADER Je m’intĂ©ressais Ă  l’excision sur le plan sociologique et en lien avec des questions liĂ©es Ă  la migration et au genre. Cependant, au cours de mon travail, il n’était pas rare que mes recherches en ligne sur les interventions de modiïŹcation gĂ©nitale mĂšnent Ă  des informations concernant la chirurgie esthĂ©tique. Je me suis alors rendu compte

d’un paradoxe frappant. Alors que depuis trente ans, l’excision est fermement condamnĂ©e en Suisse, le recours Ă  la chirurgie esthĂ©tique gĂ©nitale est au contraire en pleine effervescence. Explorer ces deux pistes en parallĂšle me permettait ainsi de tenter de mieux cerner le concept de mutilation gĂ©nitale fĂ©minine. Et ce qui diffĂ©rencie les pratiques d’excisions et les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales comme la nymphoplastie.

iv Était-il facile d’obtenir des informations à ce sujet ?

DB La question de la comparaison entre les pratiques d’excisions et les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales est extrĂȘmement taboue. Il y a dix ans, personne ne serait venu m’interviewer Ă  ce sujet. La complexitĂ© du sujet est aussi liĂ©e aux stĂ©rĂ©otypes qui sont associĂ©s Ă  ces pratiques. Dans les discours publics, les excisions sont volontiers reprĂ©sentĂ©es comme des gestes barbares commis au rasoir rouillĂ© sur un sol poussiĂ©reux. Et les nymphoplasties, des opĂ©rations maĂźtrisĂ©es rĂ©alisĂ©es dans un milieu mĂ©dical. Ces interventions sont aussi

communĂ©ment distinguĂ©es par la catĂ©gorie de personnes qu’elles concernent : ce sont des femmes adultes qui auraient recours Ă  la nymphoplastie, tandis que l’excision toucherait uniquement des mineures. Or, de plus en plus d’adolescentes et prĂ©adolescentes ont recours Ă  la nymphoplastie, alors que l’excision est aussi interdite aux femmes adultes et consentantes. Puis, contrairement aux idĂ©es reçues, de nombreuses excisions sont pratiquĂ©es dans un cadre mĂ©dical. C’est le cas en Égypte, par exemple, oĂč 84% de ces interventions sont rĂ©alisĂ©es Ă  l’hĂŽpital.

«

LA LÉGALITÉ DES OPÉRATIONS GÉNITALES ESTHÉTIQUES EST SURTOUT LIÉE À DES ARGUMENTS ÉCONOMIQUES. »

iv Pourquoi la chirurgie esthĂ©tique doit-elle englober la rĂ©flexion sur les mutilations gĂ©nitales ?

DB Depuis 2012, une loi punissant la mutilation des organes gĂ©nitaux fĂ©minins est entrĂ©e en vigueur. Mais juridiquement, rien ne permet de distinguer les deux pratiques. La loi ne fait nulle mention du consentement ou de l’ñge, ou mĂȘme des conditions dans lesquelles elles seraient effectuĂ©es. Elle condamne toute atteinte faite aux organes gĂ©nitaux fĂ©minins et en cela, les chirurgies esthĂ©tiques sont concernĂ©es. Dans les forums de discussions en ligne, des femmes qui ont eu recours Ă  des opĂ©rations gĂ©nitales parlent d’un sentiment de mutilation quand l’opĂ©ration s’est mal dĂ©roulĂ©e ou que le rĂ©sultat n’est pas celui imaginĂ©. D’ailleurs,

certaines vont consulter des mĂ©decins spĂ©cialisĂ©s dans la reconstruction vulvaire, alors que ce service Ă©tait pensĂ© Ă  l’origine pour les femmes touchĂ©es par l’excision. La frontiĂšre entre excisions et chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales est poreuse, et la distinction repose sur une interprĂ©tation et traduit une forme d’ethnocentrisme. Certains chirurgiens craignent de pratiquer une nymphoplastie sur une jeune ïŹlle noire de peur d’ĂȘtre poursuivis pour excision. Par ailleurs, la consommation de pornographie occidentale induit un regain d’intĂ©rĂȘt, auprĂšs des hommes d’origine africaine, pour l’excision. Pour le lĂ©gislateur suisse, le type d’excision qui consiste en l’ablation des petites lĂšvres est interdit, mais la nymphoplastie qui rĂ©duit partiellement ou complĂštement les petites lĂšvres est autorisĂ©e. La lĂ©galitĂ© d’une pratique ne devrait pas reposer sur le seul critĂšre du nom qu’on lui donne.

iv Comment ces stĂ©rĂ©otypes liĂ©s Ă  l’excision sont-ils forgĂ©s, d’aprĂšs vous ?

BIOGRAPHIE

En tant que sociologue, Dina Bader s’est spĂ©cialisĂ©e dans les questions liĂ©es Ă  la migration et au genre. Sa thĂšse de doctorat sur la problĂ©matique des mutilations gĂ©nitales et des opĂ©rations esthĂ©tiques gĂ©nitales a obtenu le prix

DB Pour nourrir mes recherches, j’ai analysĂ© les discours mĂ©diatiques et les dĂ©bats parlementaires et j’ai constatĂ© que le renforcement de ces stĂ©rĂ©otypes et la catĂ©gorisation de la pratique de l’excision perçue comme un geste barbare servent Ă  la stigmatisation des personnes migrantes, majoritairement noires et issues de l’asile. Cette thĂ©matique devient alors l’opportunitĂ© pour les partis politiques conservateurs d’alimenter un argumentaire contre l’immigration, sans pour autant assumer un discours directement xĂ©nophobe. Les stĂ©rĂ©otypes sont Ă©galement ampliïŹĂ©s par les reprĂ©sentations sociales qui imaginent une moralitĂ© sociale et une Ă©thique mĂ©dicale moins dĂ©veloppĂ©es dans les pays non occidentaux.

iv Faudrait-il alors assouplir la loi en termes de mutilation gĂ©nitale ?

« Genre – ÉgalitĂ© femme-homme » en 2019 de l’UniversitĂ© de Lausanne. Elle est actuellement cheffe de projet et chargĂ©e d’enseignement Ă  l’UniversitĂ© de NeuchĂątel.

DB Non. Le but de mon travail n’est absolument pas de remettre en question la condamnation de l’excision, mais de questionner les diffĂ©rences de postures. Est-il possible de soutenir l’intervention chirurgicale sur le sexe des femmes, parfois trĂšs jeunes tout en condamnant les pratiques d’excision ? En

Suisse, l’excision est d’ailleurs punissable mĂȘme lorsqu’elle est rĂ©alisĂ©e Ă  l’étranger alors que la famille vivait encore dans son pays d’origine. Par contre, les opĂ©rations gĂ©nitales ne bĂ©nĂ©ïŹcient d’aucune rĂ©glementation explicite. Il semble ainsi important de se questionner sur la cohĂ©rence de ce double standard et des messages contradictoires que cela peut induire.

iv En 2022, la SociĂ©tĂ© suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthĂ©tique estime l’augmentation du recours Ă  ce type d’opĂ©rations Ă  50% au cours des cinq derniĂšres annĂ©es. Comment expliquer cette effervescence ?

sujet, particuliĂšrement lorsque l’opĂ©ration est un Ă©chec. Cela se mesure notamment en s’intĂ©ressant au dĂ©calage entre les tĂ©moignages d’opĂ©rations ratĂ©es sur les forums en ligne ou lors de consultations et le nombre de plaintes dĂ©posĂ©es. Un expert que j’ai interrogĂ© m’expliquait ainsi que les mĂ©decins qui rĂ©alisent des nymphoplasties prennent peu de risques. Car porter plainte pour une opĂ©ration vulvaire ratĂ©e comporte encore une dimension gĂȘnante qui dissuade sans doute les personnes concernĂ©es.

iv Le consentement pourrait-il ĂȘtre un critĂšre distinctif entre la nymphoplastie et l’excision ?

DB C’est un argument qui est souvent utilisĂ©. Se faire opĂ©rer pour des raisons esthĂ©tiques serait un choix, tandis que les femmes subiraient, contre leur grĂ©, les pratiques d’excision. Malheureusement, il semble di∞cile d’accepter la nymphoplastie comme un choix pris en dehors d’un contexte socioculturel prĂ©cis. Les normes de beautĂ©, particuliĂšrement dans ce domaine, exercent en effet une forte pression sur les femmes dont l’acceptation sociale dĂ©pend de standards prĂ©cis. Le consentement est donc, dans ce cadre-lĂ , particuliĂšrement biaisĂ©. De plus, les pratiques d’excision demandĂ©es par des femmes adultes ne sont pas jugĂ©es acceptables. Ce qui montre bien que le consentement ne dĂ©ïŹnit pas ce qui constitue une mutilation gĂ©nitale fĂ©minine.

DB La volontĂ© de vouloir corriger son sexe repose en grande partie sur de la mĂ©connaissance. Une part importante des femmes ne savent pas Ă  quoi ressemble vĂ©ritablement l’état naturel de la vulve et ses diversitĂ©s d’apparence. Beaucoup sont ainsi orientĂ©es par des images issues de la pornographie qui prĂ©sentent des organes lisses, opĂ©rĂ©s ou retouchĂ©s, mais qui ne correspondent pas Ă  la rĂ©alitĂ©. Il y a ensuite, parallĂšlement, une forme de capitalisation qui s’opĂšre Ă  partir de ce potentiel complexe. On constate ainsi l’émergence de produits cosmĂ©tiques destinĂ©s Ă  soigner et embellir le sexe fĂ©minin qui contribuent Ă  entretenir l’idĂ©e qu’il y a un standard de beautĂ© prĂ©cis auquel il faut correspondre. Parfois, des bĂ©nĂ©ïŹces sur la qualitĂ© de la vie sexuelle de la patiente sont aussi Ă©voquĂ©s. Les Ă©tudes scientiïŹques qui prouvent cette amĂ©lioration comportent souvent des biais importants et l’amĂ©lioration constatĂ©e n’est souvent due qu’au fait de s’ĂȘtre dĂ©barrassĂ©e d’un complexe. Toutefois, en ayant recours Ă  la nymphoplastie, la patiente s’expose aussi Ă  des douleurs potentielles, des complications lors de l’accouchement ou encore Ă  une perte de la sensibilitĂ©. Mon analyse des dĂ©bats parlementaires montre que le lĂ©gislateur suisse voulait exempter les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales car elles reprĂ©sentent justement un marchĂ© trĂšs lucratif ; leur tolĂ©rance est donc surtout liĂ©e Ă  des arguments Ă©conomiques.

iv La raison de cette augmentation est parfois aussi rattachĂ©e Ă  une libĂ©ration de la parole autour de ce sujet, qu’en pensez-vous ?

iv Quelles solutions peuvent ĂȘtre mises en place pour sensibiliser la population Ă  ces questions ?

DB Il est important de reconsidĂ©rer la façon dont les enfants sont socialisĂ©s et comment les normes liĂ©es au genre leur sont transmises. Dans le cadre de l’éducation sexuelle, plus prĂ©cisĂ©ment, il est capital d’exposer la diversitĂ© et la fonction des organes gĂ©nitaux fĂ©minins. Il faut aussi donner aux plus jeunes les outils pour comprendre les enjeux liĂ©s Ă  l’apparence des sexes. Il me paraĂźt Ă©galement central de leur transmettre des clĂ©s pour dĂ©velopper un regard critique vis-Ă -vis des standards de beautĂ© souvent arbitraires et Ă©volutifs selon les Ă©poques et les cultures. /

DB Durant les entretiens menĂ©s dans le cadre de mon projet, j’ai au contraire pu constater le tabou qui peut s’établir autour de ce

L’obsession de manger sainement

Une attention excessive portĂ©e Ă  la qualitĂ© de l’alimentation peut avoir des consĂ©quences nĂ©fastes sur la santĂ©. Ce comportement, l’orthorexie, touche notamment les jeunes. Un phĂ©nomĂšne accentuĂ© par les rĂ©seaux sociaux.

«Ma valeur Ă©tait exclusivement dĂ©ïŹnie par ce que je mangeais. »

Mathilde Blancal, auteure du livre

ConïŹdences d’une ex-accro des rĂ©gimes1, revient avec humour sur son long combat contre les troubles du comportement alimentaire (TCA), et les comportements orthorexiques. « Faire attention Ă  la qualitĂ© de sa nourriture est extrĂȘmement valorisĂ© dans nos sociĂ©tĂ©s occidentales. Sans le savoir, certaines personnes en me complimentant encourageaient mon comportement. Il y a aussi une certaine ïŹertĂ© Ă  rĂ©ussir Ă  se plier Ă  un tel rĂ©gime alimentaire. J’avais l’impression d’ĂȘtre dans le juste et parfois mĂȘme, un peu au-dessus des autres. »

* Éd. Jouvence, 2022

HISTOIRE

L’orthorexie a Ă©tĂ© dĂ©crite pour la premiĂšre fois en 1997 par le mĂ©decin amĂ©ricain Steve Bratman. Loin de vouloir en faire une pathologie, le but consistait Ă  ouvrir le dĂ©bat sur une tendance qu’il avait de plus en plus observĂ©e chez ses patient·e·s.

Du grec « orthos » (correct) et « orexie » (appĂ©tit), l’orthorexie renvoie Ă  une volontĂ© excessive d’ingĂ©rer exclusivement des aliments considĂ©rĂ©s comme sains. Une personne orthorexique aura tendance Ă  porter une attention dĂ©mesurĂ©e Ă  la qualitĂ© de sa nourriture, qu’elle classera de façon binaire : bonne ou mauvaise. « Je passais des heures au supermarchĂ© Ă  choisir mes aliments et cuisinais Ă©galement tout moi-mĂȘme aïŹn de ne rien ingĂ©rer de mauvais pour mon corps », rĂ©sume Mathilde Blancal. Cette division peut amener la personne orthorexique Ă  Ă©tablir des rĂšgles strictes concernant son alimentation. « Cette catĂ©gorisation se base toutefois

TEXTE : CAROLE BERSET

sur une pensĂ©e dichotomique subjective, qui ne correspond pas Ă  la rĂ©alitĂ©, aucun aliment n’étant intrinsĂšquement sain ou malsain », explique Maaike Kruseman, diĂ©tĂ©ticienne en cabinet privĂ© et chargĂ©e de cours Ă  l’UniversitĂ© de Lausanne.

La limite Ă  partir de laquelle une personne bascule d’une simple envie de privilĂ©gier une nourriture saine vers une prĂ©occupation excessive reste di∞cile Ă  dĂ©terminer.

ORIGINE

Les normes sociales telles que l’autodiscipline ou la valorisation d’une alimentation saine semblent jouer un rĂŽle dans le dĂ©veloppement d’une orthorexie. Celle-ci restant encore peu explorĂ©e, seules de futures recherches permettront de confirmer ces liens.

L’orthorexie n’est en effet pas encore reconnue comme un trouble mental et ne ïŹgure pas dans les classiïŹcations o∞cielles.

« C’est un phĂ©nomĂšne nouveau, pour lequel il n’existe pas encore de dĂ©ïŹnition o∞cielle, ni de critĂšres standardisĂ©s pour son diagnostic. Ce qui rend la recherche des causes di∞cile.

L’orthorexie peut servir, entre autres, Ă  exercer un contrĂŽle sur l’anxiĂ©tĂ© ou Ă  augmenter l’estime de soi. Les spĂ©cialistes supposent aussi qu’il existe des liens entre l’orthorexie, le perfectionnisme, la rigiditĂ© et la compulsion », dĂ©taille Carolin Janetschek, cheffe de clinique au sein de l’unitĂ© spĂ©cialisĂ©e dans les troubles du comportement alimentaire du CHUV.

LES ADOS ET LES RÉSEAUX SOCIAUX

En Suisse, prĂšs de trois quarts des ïŹlles ĂągĂ©es de 16 Ă  20 ans souhaitent maigrir, selon le Swiss multicenter adolescent survey on health (Smash). Alors que l’anorexie mentale survient en gĂ©nĂ©ral au dĂ©but et Ă  la ïŹn de l’adolescence, la boulimie se dĂ©clare souvent plus tard, entre 18 et 21 ans, selon l’O∞ce fĂ©dĂ©ral de la statistique (OFS). Les rĂ©seaux sociaux

sont par ailleurs omniprĂ©sents dans leur vie : 98% des jeunes Suisse·esse·s disposent d’un proïŹl sur au moins un rĂ©seau social, et plus de la moitiĂ© d’entre euxs·elles utilisent Instagram plusieurs fois par jour, selon l’étude suisse James 2022. « Durant l’adolescence, les jeunes s’orientent naturellement vers des modĂšles extĂ©rieurs Ă  la famille. Aujourd’hui, Internet joue un rĂŽle de plus en plus important Ă  cet Ă©gard. Ainsi, les conseils nutritionnels non fondĂ©s scientiïŹquement peuvent reprĂ©senter un danger pour les jeunes », souligne Christin Hornung, pĂ©dopsychiatre au CHUV.

Sous couvert de dĂ©nominations promouvant un mode de vie healthy, certains comptes vĂ©hiculent des injonctions dĂ©lĂ©tĂšres si elles sont consultĂ©es de façon excessive et sans recul. « Les contenus avec le hashtag â€č What I eat in a day â€ș, oĂč des ïŹlles incroyablement belles ingĂšrent 1000 calories par jour en buvant des smoothies et en mangeant des Ă©pinards, peuvent paraĂźtre trĂšs sĂ©duisants. Je me souviens m’ĂȘtre abonnĂ©e et dĂ©sabonnĂ©e rĂ©guliĂšrement de comptes qui m’intĂ©ressaient mais me faisaient paradoxalement Ă©normĂ©ment de mal », raconte Mathilde Blancal. Pour la diĂ©tĂ©ticienne Maaike Kruseman, il s’agit d’un vrai problĂšme de santĂ© publique. « Le manque de chiffres et de donnĂ©es ne nous permet nĂ©anmoins pas encore d’évaluer le phĂ©nomĂšne. »

CHIFFRES

En Suisse, 3,5% de la population souffre d’un TCA au cours de sa vie, selon l’Office fĂ©dĂ©ral de la statistique. Les femmes sont quatre fois plus touchĂ©es que les hommes (5,3% contre 1,5% de la population).

inégalité

Aggravés par la pandémie, les TCA restent plus difficiles à diagnostiquer chez les hommes que chez les femmes. Une récente étude britannique a toutefois révélé une augmentation de 128% des cas entre 2016 et 2021.

PRISE EN CHARGE DÉLICATE

L’absence de critĂšres scientiïŹques permettant d’identiïŹer une orthorexie empĂȘche la pose d’un diagnostic Ă  proprement parler. Des questionnaires, disponibles en ligne, sont parfois utilisĂ©s comme outils de dĂ©pistage de l’orthorexie. Leur pertinence reste cependant vivement critiquĂ©e. « La prĂ©valence varie d’un pays Ă  l’autre, d’une population Ă  l’autre, ainsi qu’en fonction de l’outil utilisĂ© pour l’évaluation. Les rĂ©sultats peuvent aller de 6,9% Ă  75,5% », rapporte Christin Hornung. La question de la nĂ©cessitĂ© d’un traitement peut se poser dans certains cas. « Si le comportement

alimentaire entrave le dĂ©veloppement physique et mental normal d’un adolescent – que cela se manifeste par des carences ou un retrait social – ou si l’adolescent et ses proches sont en souffrance, il peut valoir la peine de consulter », explique Carolin Janetschek. Certaines catĂ©gories de la population comme les sportif·ve·s sont par ailleurs plus Ă  risque de dĂ©velopper un tel trouble (voir aussi encadrĂ©).

L’enjeu rĂ©side enïŹn dans la prise en charge des patient·e·s par une Ă©quipe professionnelle. « Il existe une appropriation de la thĂ©matique nutritionnelle alimentaire par des personnes qui ne sont pas formĂ©es dans le domaine, explique Maaike Kruseman. Les conseils souvent trop rĂ©ducteurs de certain·e·s nutritionnistes – dont le titre n’est pas protĂ©gĂ© en Suisse – peuvent parfois faire de nombreux dĂ©gĂąts. Mieux vaut donc s’adresser Ă  un diĂ©tĂ©ticien diplĂŽmĂ©, par exemple, qui Ă©tablira un suivi et un rééquilibrage alimentaire sur mesure. » /

CARENCES

L’orthorexie peut entraĂźner des symptĂŽmes somatiques tels qu’un manque de certaines substances dans le sang, de vitamines, de fer ou de calcium, un dĂ©ficit de croissance, voire une amĂ©norrhĂ©e – une absence de rĂšgles.

Déficit énergétique relatif dans le sport

Le contrĂŽle de l’alimentation peut amĂ©liorer les performances sportives et Ă©viter les blessures. Mais, les apports caloriques doivent aussi permettre de couvrir les dĂ©penses d’énergie et de bien rĂ©cupĂ©rer. « Dans des sports esthĂ©tiques ou gravitationnels, la minceur peut parfois amĂ©liorer les performances. Or, elle peut aussi menacer le bon fonctionnement de l’organisme si l’athlĂšte est en dĂ©ficit Ă©nergĂ©tique », prĂ©cise Nathalie Wenger, mĂ©decin du sport, cheffe de clinique au sein du Centre SportAdo du CHUV.

Anciennement appelĂ© « Triade de l’athlĂšte fĂ©minine », le syndrome du RED-S (Relative Energy Deficiency in Sports) touche de nombreuses personnes. Le sujet reste toutefois mĂ©connu en Suisse, Ă  la fois

par les mĂ©decins du sport, les coachs sportifs et les athlĂštes, et certains symptĂŽmes comme une absence de menstruations demeurent tabous. « La prĂ©vention est essentielle en raison des consĂ©quences potentiellement irrĂ©versibles sur les corps, les os ou le psychisme. Nous recommandons un bilan mĂ©dicosportif annuel pour les jeunes effectuant plus de trois entraĂźnements sportifs par semaine. »

L’association faĂźtiĂšre du sport suisse (Swiss Olympic) souhaite rĂ©pondre Ă  cet enjeu avec le lancement fin 2019 du projet « Femme et sport d’élite », qui vise notamment Ă  dĂ©mystifier certains sujets « tabous » comme le RED-S.

JE PENSE DONC JE MARCHE

AppliquĂ©e Ă  la santĂ©, l’intelligence artificielle permet des avancĂ©es fascinantes. GrĂące Ă  cette technologie, un patient paraplĂ©gique a retrouvĂ© le contrĂŽle de ses jambes par la pensĂ©e.

Ce n’est ni la premiùre ni la derniùre fois

qu’Elon Musk fait parler de lui. En dĂ©cembre dernier, l’entrepreneur sudafricain annonçait que sa start-up Neuralink saurait implanter son premier appareil connectĂ© dans le cerveau d’un ĂȘtre humain dans les six mois Ă  venir. L’objectif ?

Booster le cerveau d’un individu en parfaite santĂ©, pour le rendre encore plus efficient. Le milliardaire avait annoncĂ© en juillet 2019 que Neuralink rĂ©aliserait ses premiers essais sur des humains l’annĂ©e d’aprĂšs. Il aura finalement fallu attendre

mai 2023 pour que les autoritĂ©s sanitaires amĂ©ricaines autorisent des tests d’implants sur des humains par Neuralink.

UNE INNOVATION SPECTACULAIRE

AU CHUV-EPFL

Plus prĂšs de chez nous, la recherche autour de l’intelligence artificielle appliquĂ©e Ă  des fins thĂ©rapeutiques avance Ă©galement. Une Ă©quipe du centre NeuroRestore, Ă  Lausanne, vient de dĂ©velopper un implant cĂ©rĂ©bral permettant de faire remarcher une personne paralysĂ©e grĂące Ă  la pensĂ©e, c’est-Ă -dire en lui faisant imaginer et visualiser les mouvements souhaitĂ©s. Une nouvelle Ă©tape spectaculaire menĂ©e par la neurochirurgienne

Jocelyne Bloch, au CHUV, et le neuroscientifique GrĂ©goire Courtine de l’EPFL, un duo bien connu dans le milieu.

En 2018, l’équipe pluridisciplinaire parvenait dĂ©jĂ  Ă  redonner la possibilitĂ© de marcher Ă  des personnes paraplĂ©giques grĂące Ă  des Ă©lectrostimulations diffusĂ©es sous la lĂ©sion de la moelle Ă©piniĂšre. Ce projet, c’était Stimo (cf. dossier dans IV n° 24). Depuis, un palier supplĂ©mentaire a Ă©tĂ© franchi, en impliquant cette fois le cerveau. Avec ce nouveau systĂšme, la personne est toujours Ă©quipĂ©e d’un implant au niveau de la moelle Ă©piniĂšre au-dessus de la blessure, mais aussi d’un deuxiĂšme implant insĂ©rĂ© dans le cortex cĂ©rĂ©bral.

« Cet implant permet de dĂ©coder l’intention motrice du patient au niveau cĂ©rĂ©bral, explique Henri Lorach, chef du projet. L’intention dĂ©tectĂ©e est convertie en impulsions Ă©lectriques sur la moelle Ă©piniĂšre qui va engendrer le mouvement voulu. Il s’agit donc de restaurer la connexion entre le cerveau et la moelle Ă©piniĂšre, par un pont digital. » (Voir encadrĂ©).

À ce jour, le nouveau dispositif –BSI, pour Brain-Spine-Interface –, dĂ©veloppĂ© en collaboration avec l’équipe de recherche Clinatec du CEA de Grenoble, a fait l’objet d’un seul essai clinique sur un patient qui avait dĂ©jĂ  participĂ© Ă  l’étude Stimo. « Cette Ă©tude pilote devrait se faire sur deux patients, mais pour l’instant nous n’en n’avons inclus qu’un seul »,

prĂ©cise Jocelyne Bloch. D’autres essais sont prĂ©vus pour la rĂ©activation des membres supĂ©rieurs. L’équipe vient en effet d’obtenir les autorisations de SwissMedic et de SwissEthics qui valident l’essai pour les bras.

DES RÉSULTATS SATISFAISANTS

APRÈS UNE SEMAINE

Dans le futur, l’intĂ©gration des deux implants pourrait se faire en une seule intervention chirurgicale. Avec le patient concernĂ©, qui portait dĂ©jĂ  le capteur au niveau de la moelle Ă©piniĂšre, l’équipe a pu dĂ©coder les signaux de la marche trĂšs rapidement, puis l’entraĂźner Ă  ressentir et Ă  imaginer ses mouvements. AprĂšs une semaine environ, et en moins de dix sĂ©ances, il a pu faire ses premiers pas.

COMMENT ÇA FONCTIONNE

L’implant cĂ©rĂ©bral testĂ© par le centre NeuroRestore s’insĂšre Ă  la surface du cerveau au niveau de l’os du crĂąne. DotĂ© de 64 Ă©lectrodes, il fait 5 centimĂštres de diamĂštre. Son rĂŽle est de recueillir des signaux Ă©lectriques provenant du cortex moteur, permettant ainsi Ă  un programme informatique de dĂ©tecter les signaux en lien avec la marche, de dĂ©coder les mouvements des diffĂ©rentes articulations d’un membre.

Un petit ordinateur est placĂ© sur le dos du·de la patient·e. L’intention de ce·tte dernier·Úre, par exemple lever le pied gauche pour faire un pas, est transmise Ă  l’ordinateur par un programme spĂ©cifique, puis au stimulateur situĂ© sur l’endroit lĂ©sĂ© de la moelle Ă©piniĂšre, qui diffuse une Ă©lectrostimulation et gĂ©nĂšre l’action en question.

La grande avancĂ©e par rapport Ă  Stimo, c’est que l’implant cĂ©rĂ©bral permet une marche plus fluide, mĂȘme si elle reste plus lente que celle d’un individu valide et qu’elle nĂ©cessite une aide telle que des bĂ©quilles ou un dĂ©ambulateur. « C’est le cerveau du patient qui dĂ©clenche le mouvement, et non un programme externe, expose Jocelyne Bloch. Il s’agit donc exactement du mĂȘme mĂ©canisme que celui prĂ©sent chez une personne valide, mĂȘme si pour cette derniĂšre, le mouvement se fait automatiquement. »

UNE COMPÉTITION

QUI N’EN EST PAS UNE

Quant à la course aux implants cérébraux, la neurochirurgienne Jocelyne Bloch ne se formalise

Visualiser clairement les actions Ă  effectuer demande un entraĂźnement, qui se fait d’abord devant un Ă©cran, par le contrĂŽle d’un avatar virtuel. On procĂšde ainsi pour une articulation aprĂšs l’autre. Une sĂ©ance permet dĂ©jĂ  de dĂ©celer les signaux identifiables pour quatre articulations, le genou gauche, le genou droit, la hanche gauche et la hanche droite, par exemple.

AprĂšs une annĂ©e d’utilisation rĂ©guliĂšre du Brain-SpineInterface (BSI), le patient ayant participĂ© Ă  l’essai clinique marche aujourd’hui en s’aidant d’un dĂ©ambulateur : « Je peux lancer le mouvement avec mon cerveau, je peux mĂȘme parler en effectuant le mouvement. Si je le veux, je peux maintenir un pied en l’air avant de le reposer. Je peux dĂ©cider de l’endroit oĂč je m’arrĂȘte, faire un pas plus grand que l’autre, et je peux continuer ainsi tant que je veux. »

« Je peux lancer le mouvement avec mon cerveau », explique le patient qui a retrouvĂ© la marche grĂące Ă  un implant cĂ©rĂ©bral.

pas. « Cette compĂ©tition dĂ©clarĂ©e est plus un amusement qu’autre chose. C’est positif que plusieurs personnes travaillent dans le domaine, cela fait avancer les choses. » D’autres institutions dans le monde participent Ă  ce type de recherches. Le centre Clinatec, Ă  Grenoble, a dĂ©veloppĂ© et utilise le mĂȘme dispositif cortical que l’équipe du CHUVEPFL, « Ă  la diffĂ©rence prĂšs que les intentions du patient

contrÎlent un exosquelette qui assiste les mouvements, alors que notre projet vise à ce que le patient retrouve le contrÎle de ses propres muscles », explique Henri Lorach.

Pour l’instant, la technologie dĂ©veloppĂ©e est surtout prĂ©vue pour rĂ©parer les lĂ©sions de la moelle Ă©piniĂšre. « Dans l’absolu, il serait possible de rĂ©tablir le circuit dans d’autres types de pathologies,

par exemple dans le cas d’un AVC, si le cortex est toujours enregistrable », avance Jocelyne Bloch. Potentiellement, le systĂšme pourrait aussi s’appliquer Ă  des individus atteints de la maladie de Parkinson, pour rectifier des troubles de la marche. /

QUAND LES ÉMOTIONS DÉTRAQUENT LE CƒUR

Les Ă©motions intenses peuvent provoquer une pathologie cardiaque grave qui touche principalement les femmes et imite l’infarctus : le syndrome du cƓur brisĂ©.

Le culte dominical ne s’est pas dĂ©roulĂ© comme prĂ©vu pour Simone Vaucher, une enseignante vaudoise retraitĂ©e de 78 ans. À cĂŽtĂ© d’elle sur le banc, une femme vacille Ă  plusieurs reprises puis s’effondre. ChoquĂ©e, l’ex-enseignante la croit morte. Finalement, la personne semble se remettre de son malaise, mais Simone Vaucher, pour sa part, demeure angoissĂ©e. « Une fois chez moi, j’ai mis trois heures Ă  me reprendre. Mon cƓur tapait et ma respiration brĂ»lait, je ne savais pas si c’étaient les

poumons ou le cƓur », dĂ©crit-elle. Incapable de s’en remettre, elle consulte son gĂ©nĂ©raliste qui l’envoie aux urgences du CHUV suspectant un infarctus du myocarde. Mais les investigations mĂšnent Ă  une autre piste : elle a Ă©tĂ© victime du syndrome de takotsubo, ou syndrome du cƓur brisĂ©.

UN CƒUR EN FORME D’AMPHORE

Le syndrome de takotsubo est une atteinte cardiaque qui survient souvent à la suite d’une situation de stress intense. Les cardiologues ne savent pas comment le

COMME UNE AMPHORE DANS LE CƒUR

À la suite d’une situation de stress, il arrive que le muscle cardiaque ne se contracte pas suffisamment. Une forme d’amphore apparaüt. C’est le syndrome de takotsubo.

Ventricule gauche sain

CƒUR « NORMAL »

prĂ©venir, car il n’est pas encore entiĂšrement compris. Cependant, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que les niveaux de catĂ©cholamines, les hormones du stress, sont en augmentation massive lors de l’apparition de ce syndrome. En consĂ©quence, le muscle cardiaque ne se contracte pas suffisamment au niveau de la pointe du cƓur, ce qui l’empĂȘche de fonctionner correctement. Une partie du cƓur prend alors une forme caractĂ©ristique d’amphore.

« L’élĂ©ment dĂ©clencheur peut ĂȘtre un stress Ă©motionnel ou physique », prĂ©cise

Sarah Hugelshofer, cardiologue au Service de cardiologie du CHUV. La majoritĂ© des cas Ă©motionnels surviennent lors d’un choc, par exemple Ă  l’annonce d’un dĂ©cĂšs, mĂȘme s’ils peuvent Ă©galement survenir lors de situations heureuses comme l’annonce d’un gain Ă  la loterie. Les stress physiques concernent la moitiĂ© des cas et sont dĂ©clenchĂ©s par une activitĂ© physique intense pour laquelle les personnes ne sont pas prĂ©parĂ©es, une douleur sĂ©vĂšre ou des affections neurologiques comme les AVC ou les crises d’épilepsie. Des antĂ©cĂ©dents psychiatriques tels que l’angoisse et la dĂ©pression augmentent la prĂ©disposition au syndrome. De plus,

une composante héréditaire existe probablement, car on trouve des familles présentant plusieurs cas.

Le syndrome touche neuf femmes pour un homme. Les femmes sont principalement concernĂ©es dĂšs l’approche de la mĂ©nopause, ce qui suggĂšre un lien avec la baisse d’ƓstrogĂšnes. « Ces hormones sont connues pour leur effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires, mais leur association au syndrome du cƓur brisĂ© n’est pas clairement comprise, tout comme les facteurs qui dĂ©terminent l’évolution de la maladie », reconnaĂźt la cardiologue.

ÉCARTER L’INFARCTUS

LES FEMMES, OUBLIÉES DE LA CARDIOLOGIE

Le syndrome de takotsubo, parce qu’il touche principalement les femmes, est encore peu compris, dans une mĂ©decine des hommes faite pour les hommes. Aujourd’hui encore, les femmes meurent deux fois plus que les hommes des suites d’une maladie cardiovasculaire, takotsubo compris, notamment parce que les femmes sont sousreprĂ©sentĂ©es dans les Ă©tudes cliniques sur lesquelles sont dĂ©ïŹnis les protocoles de prise en charge ou les tests de traitements. Il s’ensuit une cardiologie genrĂ©e, dans laquelle les femmes sont encore trop souvent moins bien traitĂ©es que les hommes.

Les symptĂŽmes, quant Ă  eux, sont mieux connus. Ils sont similaires Ă  ceux de l’infarctus du myocarde : douleur thoracique, essoufflement et perte de connaissance. Malheureusement, ils ne peuvent ĂȘtre immĂ©diatement diffĂ©renciĂ©s, car « les Ă©lectrocardiogrammes initiaux

Le ventricule hypertrophié pompe le sang moins efficacement

Il prend la forme d’une amphore, un piĂšge Ă  pieuvre japonais nommĂ© « takotsubo »

sont les mĂȘmes, tout comme les marqueurs sanguins », indique Sarah Hugelshofer. Cependant, une coronarographie – une technique d’imagerie invasive basĂ©e sur les rayons X utilisĂ©e pour visualiser les artĂšres menant au cƓur – peut prĂ©cisĂ©ment aider Ă  diagnostiquer l’infarctus du myocarde, car il est causĂ© par une artĂšre partiellement ou entiĂšrement bouchĂ©e visible avec cette mĂ©thode. « S’il n’y a pas d’occlusion visible, on cherche autre chose comme une inflammation du myocarde ou un takotsubo. Une Ă©chographie et souvent une IRM du cƓur sont alors rĂ©alisĂ©es pour Ă©tablir le diagnostic final. »

Comme l’occlusion artĂ©rielle responsable de l’infarctus entraĂźne la mort des cellules cardiaques et mĂšne au dĂ©cĂšs dans les cas graves, il est important d’intervenir rapidement pour rĂ©tablir le flux sanguin. Alors que pour le syndrome du cƓur

DEUX JOURS CRITIQUES

Le syndrome de takotsubo touchait une personne sur 36’000 en 2018, selon le European Heart Journal, et reprĂ©sentait 1 Ă  3% des patient·e·s avec une suspicion d’infarctus du myocarde. Les statistiques grimpent Ă  6% pour les patientes et seraient sous-estimĂ©es. Le risque d’arrĂȘt cardiaque ou d’arythmie pouvant entraĂźner la mort est similaire pendant les premiĂšres quarantehuit heures pour le syndrome de takotsubo et pour l’infarctus du myocarde. PassĂ© ce dĂ©lai, le pronostic Ă  long terme est excellent pour le syndrome de takotsubo. Le cƓur se rĂ©tablit complĂštement dans les deux mois suivant le diagnostic. Le taux de rĂ©cidive est de 1 Ă  5% au cours des cinq annĂ©es suivant l’attaque.

brisĂ©, une hospitalisation avec surveillance cardiaque et un traitement mĂ©dicamenteux sont nĂ©cessaires. « Il est donc crucial de diffĂ©rencier les deux pathologies par une imagerie des coronaires », dĂ©taille la cardiologue.

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN SOUTIEN RĂ©cemment, une Ă©quipe de recherche de l’EPFZ et de l’UniversitĂ© de Zurich a conçu un outil basĂ© sur l’intelligence artificielle pour tenter de faciliter la diffĂ©renciation du takotsubo avec l’infarctus. « Habituellement, elle se fait par coronarographie, mais nous voulions tester le potentiel de l’échographie pour le diagnostic. Nous avons d’abord entraĂźnĂ© notre intelligence artificielle Ă  partir de donnĂ©es d’échocardiographie d’individus dont le diagnostic Ă©tait connu afin qu’elle apprenne automatiquement Ă  identifier et extraire des informations pertinentes pour le diagnostic. Nous l’avons ensuite testĂ©e sur d’autres donnĂ©es et comparĂ©e Ă  l’humain », indique Fabian Laumer doctorant au Department of Computer Science de l’EPFZ et premier auteur de cette Ă©tude. ComparĂ© aux cardiologues, l’outil s’est avĂ©rĂ© lĂ©gĂšrement plus efficace et plus rapide. « Mais il est encore loin d’atteindre la prĂ©cision obtenue avec la coronarographie », prĂ©cise le chercheur.

L’intelligence artificielle est dĂ©jĂ  utilisĂ©e en cardiologie pour mesurer la fonction cardiaque en complĂ©ment des analyses manuelles, notamment pour les images d’IRM. « Bien qu’elle ne puisse pas remplacer les personnes, dans certains cas elle peut ĂȘtre plus fiable, car un ordinateur applique une analyse qui est parfaitement reproductible contrairement aux diffĂ©rents opĂ©rateurs humains », ajoute Sarah Hugelshofer. /

DES MÉTHODES TOUJOURS PLUS SOPHISTIQUÉES CONTRE LE DOPAGE

À partir de l’urine et du sang des athlĂštes, diffĂ©rentes techniques sont utilisĂ©es pour identifier la potentielle prĂ©sence de produits dopants. Sans cesse plus sensibles, celles-ci rendent la tricherie plus difficile. Trajectoire d’un Ă©chantillon au sein du Laboratoire suisse d’analyse du dopage.

Bienvenue au Laboratoire suisse d’analyse du dopage du Centre universitaire romand de mĂ©decine lĂ©gale. Ici travaillent des expert·e·s en chimie, biologie, pharmacie et sciences forensiques, comme Nicolas Jan. Dans le monde, une trentaine de laboratoires de ce type sont accrĂ©ditĂ©s par l’Agence mondiale antidopage pour faire un travail bien particulier. « Sur les 11 infractions Ă©tablies par cette structure, nous nous concentrons principalement sur la premiĂšre : dĂ©tecter les substances interdites destinĂ©es Ă  augmenter les capacitĂ©s physiques ou mentales d’un athlĂšte dans un Ă©chantillon de sang ou d’urine fourni par un sportif », explique le chercheur.

Les échantillons analysés sont fournis par une fédération sportive internationale ou nationale, ou

une agence antidopage et sont anonymes, relĂšve-t-il. À partir du moment oĂč il reçoit un kit d’urine ou de sang, le laboratoire a vingt jours pour rendre les rĂ©sultats au partenaire. Les kits reçus sont composĂ©s de deux conteneurs. Le premier Ă©chantillon est utilisĂ© pour l’analyse, le second est conservĂ© intact, en cas de contestation par l’athlĂšte.

500 substances interdites dans 100 microlitres

Dans un premier temps, l’intĂ©gritĂ© de l’échantillon est contrĂŽlĂ©e, pour s’assurer qu’il n’a pas Ă©tĂ© manipulĂ©. Ensuite, l’échantillon est sĂ©parĂ© en sous-Ă©chantillons, aïŹn de subir plusieurs types d’analyses chimiques ou biologiques. Pour ce faire, les Ă©chantillons doivent d’abord passer par une phase de puriïŹcation, oĂč ils sont dĂ©barrassĂ©s de tout ce qui pourrait interfĂ©rer dans le processus d’analyse. « Lors de cette Ă©tape, on part d’un volume relativement grand, pouvant aller jusqu’à 15 ml, pour se retrouver ïŹnalement avec moins de 100 microlitres », dĂ©taille Nicolas Jan. Ces opĂ©rations peuvent prendre jusqu’à une semaine. Une sĂ©rie de tests standards de dĂ©pistage est appliquĂ©e Ă  tous les Ă©chantillons. Ce contrĂŽle permet de dĂ©tecter quelque 500 substances interdites.

« Selon le sport et les demandes de nos clients,

TEXTE :

ou s’il y a des suspicions envers un athlĂšte, nous pouvons rĂ©aliser des tests supplĂ©mentaires. »

Comme le nombre de substances qui doivent ĂȘtre recherchĂ©es est substantiel, une premiĂšre phase d’analyses dites « rapides » permet d’exclure tous les Ă©chantillons nĂ©gatifs, c’est-Ă -dire ceux qui ne contiennent aucune trace de substance prohibĂ©e. « Tandis que pour ceux qui prĂ©sentent une suspicion, on repart de l’échantillon initial et on fait une analyse de conïŹrmation en utilisant une mĂ©thode analytique dĂ©diĂ©e spĂ©ciïŹquement Ă  la substance que nous suspectons. » Si tout va bien, ce dĂ©pistage prend environ une semaine. Les instruments d’analyse fonctionnent 24 heures sur 24, avec une cinquantaine d’échantillons testĂ©s Ă  la fois.

Ensuite, les rĂ©sultats sont lus et interprĂ©tĂ©s par deux personnes indĂ©pendantes. Puis le rĂ©sultat ïŹnal est validĂ© par la direction du laboratoire avant d’ĂȘtre rendu au·à la client·e qui en notiïŹera l’athlĂšte. « Si le rĂ©sultat est positif, soit celui-ci l’acceptera et sera sanctionnĂ© : quatre ans de suspension pour une premiĂšre infraction ou exclusion Ă  vie pour une seconde, soit il contestera et pourra demander l’analyse du deuxiĂšme Ă©chantillon », signale-t-il, spĂ©ciïŹant que dans le monde, entre 1 et 2% des Ă©chantillons testĂ©s contiennent des substances interdites.

En plus des analyses chimiques, le Laboratoire suisse d’analyse du dopage effectue des recherches aïŹn de suivre certaines variables biologiques chez les athlĂštes. « Ces suivis permettent de mettre en Ă©vidence d’éventuelles variations, notamment au niveau sanguin au cours du temps. » Ces valeurs sont inscrites dans le passeport biologique de l’athlĂšte.

Ce systĂšme, dĂ©veloppĂ© au Laboratoire suisse dans les annĂ©es 2000 et introduit par l’Agence mondiale antidopage en 2009, permet de rĂ©vĂ©ler indirectement des pratiques de dopage. « Certaines substances ou mĂ©thodes de dopage ne peuvent pas ĂȘtre dĂ©tectĂ©es directement ; par exemple la transfusion sanguine autologue (un athlĂšte qui se rĂ©injecte son propre sang), mais des marqueurs indirects peuvent le mettre en Ă©vidence. »

Au niveau mondial, les sports les plus touchĂ©s par le dopage sont le culturisme (22% des infractions en 2019), l’athlĂ©tisme (18%) et le cyclisme (14%).

Dopage ou contamination ?

La complexitĂ© du contrĂŽle du dopage repose principalement sur les « micro-dosages », di∞cilement dĂ©tectables ou des substances qui ne circulent pas encore sur le marchĂ© et pour lesquelles aucune mĂ©thode n’est encore implĂ©mentĂ©e dans les laboratoires. Nicolas Jan rappelle le scandale qui a secouĂ© l’entreprise Balco, au dĂ©but des annĂ©es 2000, aux ÉtatsUnis, qui produisait une substance dopante indĂ©tectable aux contrĂŽles, consommĂ©e par des athlĂštes de trĂšs haut niveau.

À l’inverse, la sophistication des mĂ©thodes de dĂ©tection complique le processus. « Les techniques pour repĂ©rer les substances interdites sont devenues si sensibles qu’il devient parfois di∞cile de distinguer s’il s’agit de produits dopants ou d’une contamination, explique Patrik Noack, mĂ©decinchef de Swiss Cycling et de Swiss Athletics et Health Performance O∞cer de l’équipe olympique suisse. Si l’athlĂšte consomme de la viande d’animaux d’élevage ou des produits vĂ©gĂ©taux traitĂ©s avec des mĂ©dicaments ou des produits chimiques, ces substances peuvent apparaĂźtre lors des tests. » Le spĂ©cialiste Ă©voque aussi les contraintes liĂ©es Ă  cette pratique. « Les athlĂštes du pool de contrĂŽle international doivent se rendre disponibles pour un test une heure par jour, souvent trĂšs tĂŽt le matin. Ceci peut ĂȘtre contraignant quand on est en phase d’entraĂźnement intensif. »

En 2021, quelque 2200 tests ont Ă©tĂ© commanditĂ©s par la Swiss Sport Integrity, le centre de compĂ©tences suisse de lutte contre le dopage, indique son directeur, Ernst König. Il prĂ©cise qu’un contrĂŽle coĂ»te en moyenne 1000 francs. Le nombre de tests dans chaque sport est ïŹxĂ© selon une analyse des risques. « Puis une Ă©quipe de scientiïŹques sportifs dĂ©termine quels athlĂštes tester Ă  l’aide de diffĂ©rents critĂšres comme les performances, les rĂ©sultats ou les analyses prĂ©cĂ©dentes. » Les stratĂ©gies scientiïŹques antidopages

ont beaucoup Ă©voluĂ©, conïŹrme-t-il. « Le clivage entre les mĂ©thodes pour tricher et celles pour dĂ©tecter les substances interdites a diminuĂ© de façon notoire. » Il relĂšve par ailleurs que mĂȘme s’il y a toujours de nouvelles substances sur le marchĂ©, celles utilisĂ©es il y a vingt ans – notamment les stĂ©roĂŻdes – le sont encore aujourd’hui.

Contrairement aux pays voisins comme la France, l’Allemagne ou l’Italie, l’autodopage n’est pas punissable en Suisse, note-t-il. Un postulat parlementaire a mandatĂ© le Conseil fĂ©dĂ©ral pour qu’il se penche sur la question. « Le statut de Swiss Olympic concernant le dopage, fondĂ© sur le Code mondial antidopage de l’AMA, relĂšve du droit privĂ© ; il faudrait Ă©valuer, entre autres choses, s’il serait juste que l’athlĂšte soit puni deux fois. » /

Les substances dopantes les plus fréquemment dépistées dans le monde sont les stéroïdes anabolisants, stimulants, diurétiques et agents masquants.

RECHERCHE

Dans ce « Labo des humanitĂ©s », In Vivo vous fait dĂ©couvrir un projet de recherche de l’Institut des humanitĂ©s en mĂ©decine (IHM) du CHUV et de la FacultĂ© de biologie et de mĂ©decine de l’UNIL.

Les traumatismes familiaux silencieux de la migration

Selon Toni Ricciardi (2022), la Suisse aurait abritĂ© entre 1949 et 1975 prĂšs de 50’000 « enfants du placard », pour ne parler que des Italiens. Ce chiffre est dĂ©cuplĂ© si on considĂšre les autres formes de sĂ©paration induites par l’impossibilitĂ© du regroupement familial. Voir : bit.ly/43q59WQ

« J’ai Ă©tĂ© dĂ©racinĂ©e sans avoir la possibilitĂ© de m’enraciner Ă  nouveau. Je me suis retrouvĂ©e du jour au lendemain avec mes parents, ces inconnus
 qui le sont toujours un peu aujourd’hui. » Ces propos sont ceux de Mme E.B., dont les premiĂšres annĂ©es ont Ă©tĂ© marquĂ©es par un long sĂ©jour de huit ans au Portugal, pays d’origine de ses parents qui travaillaient Ă  Luins (VD) en tant que saisonnier·Úre·s. À l’instar de nombre d’enfants d’immigré·e·s portugais·es, italien·ne·s, espagnol·e·s et ex-yougoslaves arrivĂ©s en Suisse entre 1950 et 1980, E.B. a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e au Portugal par ses grandsparents, puis par une tante, avant d’ĂȘtre rapatriĂ©e en Suisse en 1985 par ses parents et « rĂ©gularisĂ©e », c’est-Ă -dire autorisĂ©e Ă  les rejoindre dans le cadre d’un regroupement familial finalement admis sur le plan lĂ©gal par l’obtention d’un permis de sĂ©jour annuel.

« Une personne ne naĂźt pas irrĂ©guliĂšre ou clandestine, une personne naĂźt en tant que personne », rappelle Toni Ricciardi, historien de l’émigration Ă  l’UniversitĂ© de GenĂšve, dans le film documentaire Non far rumore (« Ne fais pas de bruit ! ») rĂ©alisĂ© par RAI 3 en 2019.

« RĂ©gularisĂ©e » ? DerriĂšre son apparente innocuitĂ©, le terme abrite en rĂ©alitĂ© une redoutable violence institutionnelle, dont les effets se font sentir aujourd’hui encore chez Mme E.B. et beaucoup d’autres

enfants clandestins, dont lesdits « enfants du placard », que certains parents, ne pouvant se rĂ©soudre Ă  une sĂ©paration, prirent le risque de garder, la peur au ventre, auprĂšs d’eux·elles en Suisse. Ces dernier·Úre·s ne se doutaient pas qu’une telle dĂ©cision « par dĂ©faut », permettant de contourner une loi particuliĂšrement dure, pouvait grever, longtemps aprĂšs, l’estime de soi ou la santĂ© de leurs enfants, au mĂȘme titre que ces autres « solutions » consistant Ă  les confier Ă  de la famille restĂ©e dans le pays d’origine, ou Ă  les placer dans des institutions d’accueil.

Salvatore Bevilacqua, anthropologue de la santĂ©, interdit de sĂ©jour jusqu’à l’ñge de 4 ans bien que nĂ© en Suisse, Ă©tudie la question des sĂ©quelles des sĂ©parations affectives familiales – mais aussi, comme dans le cas de Mme E.B., de retrouvailles traumatisantes – sur la construction identitaire de ces enfants « fantĂŽmes » et de leurs parents. RĂ©alisĂ©e dans le cadre de l’Institut des humanitĂ©s en mĂ©decine, avec le soutien de la Fondation Leenaards, sa recherche recueille les tĂ©moignages de personnes directement concernĂ©es et analyse les interactions entre ces Ă©pisodes marquants de leur vie, leurs trajectoires de santĂ© et les liens familiaux intergĂ©nĂ©rationnels. Le projet propose ainsi une comprĂ©hension originale de cette thĂ©matique, en dĂ©veloppant une perspective de santĂ© publique, croisant histoire de la migration en Suisse et anthropologie de la santĂ©. /

CAROLE CLAIR

CORESPONSABLE DE L’UNITÉ SANTÉ ET GENRE UNISANTÉ, FACULTÉ DE BIOLOGIE ET MÉDECINE, LAUSANNE

« Et si le patient était une patiente »

La sensibilisation Ă  la question de l’influence du genre en mĂ©decine est abordĂ©e, avec les Ă©tudiant·e·s, par la reprise de situations concrĂštes. On se demande alors ce qui aurait Ă©tĂ© diffĂ©rent si le patient avait Ă©tĂ© une patiente ou inversement. Aujourd’hui encore, on observe effectivement la puissance de l’ancrage des stĂ©rĂ©otypes et leur impact sur les choix de prise en charge. Situation classique : lorsqu’une personne se prĂ©sente aux urgences avec une dĂ©gradation de sa santĂ© mentale, l’investigation sera davantage orientĂ©e vers la sphĂšre professionnelle pour les hommes, tandis que pour les femmes le personnel mĂ©dical aura tendance Ă  davantage se concentrer sur la sphĂšre familiale. Ces disparitĂ©s ont pourtant un enjeu vital, le fait que le diagnostic de dĂ©pression est plus di∞cile Ă  poser chez les hommes se reflĂšte ensuite dans un taux de suicide quatre fois plus Ă©levĂ© que chez les femmes.

Ces biais se dessinent dĂ©jĂ  au niveau de la construction du savoir. La recherche autour des maladies cardiovasculaires s’est particuliĂšrement concentrĂ©e sur un proïŹl type d’homme blanc

PROFIL

Carole Clair est coresponsable de l’UnitĂ© santĂ© et genre Ă  UnisantĂ©, Ă  Lausanne, avec la sociologue JoĂ«lle Schwarz depuis 2019. Elle mĂšne actuellement plusieurs projets de recherche sur le sujet du genre et de son influence en santĂ© et collabore avec les autres universitĂ©s suisses pour l’amĂ©lioration de l’enseignement du genre en mĂ©decine.

pour ensuite extrapoler les connaissances aux autres groupes. Une mĂ©thode remise en question face Ă  la surmortalitĂ© des femmes victimes d’infarctus, par exemple. Ce constat a gĂ©nĂ©rĂ© une inversion de la tendance et les Ă©tudes en cardiologie sont les premiĂšres Ă  avoir intĂ©grĂ© davantage de femmes.

Pour tenter de cerner les diffĂ©rences entre les genres, il faut observer les variations biologiques telles que la rĂ©partition des graisses ou encore les hormones, mais il est aussi nĂ©cessaire de tenir compte du contexte social. Il est par exemple dĂ©montrĂ© que les femmes prĂ©sentent plus de sensibilitĂ© Ă  la douleur. Lors des expĂ©riences menĂ©es pour Ă©tudier ce phĂ©nomĂšne, des hommes et des femmes ont Ă©tĂ© exposĂ©s Ă  des stimuli douloureux. Effectivement, il est particuliĂšrement complexe de savoir si l’écart repose sur un aspect biologique ou social et si les femmes ressentent effectivement plus fort la douleur ou s’autorisent plus facilement Ă  dire « j’ai mal ».

Heureusement, des changements s’opĂšrent. Au niveau europĂ©en, par exemple, il est exigĂ© pour toute recherche de travailler avec un Ă©chantillon mixte intĂ©grant des femmes, des hommes et des personnes non blanches, lorsque cela est pertinent. On observe aussi que l’augmentation de femmes mĂ©decins permet de s’intĂ©resser Ă  des maladies jusqu’alors nĂ©gligĂ©es.

SURVEILLER LES EAUX USÉES POUR PRÉVENIR LES PANDÉMIES

L’analyse d’échantillons provenant de stations d’épuration devient toujours plus prĂ©cise. Plusieurs initiatives ont Ă©tĂ© lancĂ©es en Suisse pour mettre en place un systĂšme d’alerte en cas de pandĂ©mie basĂ© sur cette approche.

TEXTE : ERIK FREUDENREICH

Traquer le Covid-19 en Ă©tudiant les eaux usĂ©es des toilettes des avions. C’est l’une des mesures recommandĂ©es par l’Union europĂ©enne en dĂ©but d’annĂ©e, Ă  la suite de la flambĂ©e de cas enregistrĂ©s en Chine. Les autoritĂ©s de plusieurs pays, dont la Belgique et le Canada, ont dĂ©cidĂ© d’implĂ©menter cette mĂ©thode d’analyse. ConcrĂštement, les eaux usĂ©es sont extraites dĂšs l’atterrissage de l’appareil et transmises Ă  un laboratoire. Celui-ci procĂšde alors Ă  un sĂ©quençage qui permet d’identifier les variants prĂ©sents et d’évaluer le degrĂ© de circulation du virus.

Les aĂ©roports de GenĂšve et de Zurich n’ont pas adoptĂ© cette mesure pour l’instant. Mais elle fait l’objet d’un projet de recherche amorcĂ© au moment de la crise sanitaire

par des Ă©quipes de recherche suisses, en collaboration avec l’Eawag, l’Institut fĂ©dĂ©ral pour l’amĂ©nagement, l’épuration et la protection des eaux (voir encadrĂ©). Les scientifiques ont notamment rĂ©ussi Ă  dĂ©tecter la prĂ©sence du Covid-19 dans les eaux usĂ©es Ă  travers des Ă©chantillons prĂ©levĂ©s lors de la premiĂšre phase de la pandĂ©mie. À terme, l’objectif vise Ă  constituer un systĂšme d’alerte prĂ©coce. Plusieurs initiatives sont d’ailleurs en cours au niveau suisse pour instaurer un tel dispositif de maniĂšre pĂ©renne.

COMPRENDRE L’IMPACT

« L’analyse des eaux usĂ©es est une approche intĂ©ressante, qui peut donner beaucoup de renseignements sur l’activitĂ© humaine et l’impact sur l’environnement, y compris l’apparition de pathologies », explique Marc Augsburger, responsable

de l’UnitĂ© de toxicologie et de chimie forensiques (UTCF), qui fait partie du Centre universitaire romand de mĂ©decine lĂ©gale. C’est un sujet qui suscite un fort intĂ©rĂȘt auprĂšs des scientifiques depuis une vingtaine d’annĂ©es, et ce, pour plusieurs raisons. « La premiĂšre, c’est que les eaux usĂ©es sont le reflet d’une activitĂ© humaine d’un bassin de population donnĂ© et que leur analyse permet d’éviter de faire des prĂ©lĂšvements biologiques sur un nombre important de personnes. »

Elle permet aussi de mieux comprendre et de prĂ©venir l’impact de certaines industries ou infrastructures. « Un hĂŽpital, par exemple, dĂ©livre beaucoup de mĂ©dicaments, dont certains prĂ©sentent une certaine toxicitĂ© pour l’environnement ou les humains. Comme ces molĂ©cules ne peuvent souvent pas ĂȘtre filtrĂ©es par les stations d’épuration,

Dans le laboratoire de DĂŒbendorf, en Suisse, une collaboratrice place des Ă©chantillons d’eaux usĂ©es dans un congĂ©lateur, Ă  -60 degrĂ©s. Le dĂ©partement de microbiologie environnementale de l’Institut fĂ©dĂ©ral des sciences et technologies aquatiques s’intĂ©resse Ă  la surveillance des coronavirus dans les eaux usĂ©es.

UN PROJET DE RECHERCHE DU FONDS NATIONAL SUISSE

Quels sont les moteurs de propagation des virus ? À quelle vitesse peut-on identifier les variants responsables d’une vague ? Comment un virus pandĂ©mique devient-il endĂ©mique ? Voici quelques-unes des questions soulevĂ©es par le projet « WISE » (Wastewater-based Infectious Disease Surveillance) du Fonds national suisse. Celui-ci rĂ©unit des chercheur·euse·s de l’Institut fĂ©dĂ©ral pour l’amĂ©nagement, l’épuration et la protection des eaux et des Ă©coles polytechniques fĂ©dĂ©rales de Zurich et de Lausanne.

L’étude a commencĂ© au mois de novembre 2022 et vise Ă  dĂ©velopper les mĂ©thodes et les analyses de la surveillance des maladies infectieuses basĂ©e sur les eaux usĂ©es Ă©tablies au moment de la pandĂ©mie de Covid-19. Des Ă©chantillons sont analysĂ©s chaque semaine Ă  partir de six stations d’épuration rĂ©parties en Suisse.

disposer d’informations provenant des eaux usĂ©es permet de procĂ©der Ă  une meilleure analyse de risques et d’implĂ©menter des mesures plus en amont. »

L’expert souligne cependant les dĂ©fis techniques qui restent Ă  relever en la matiĂšre. « Cela demeure une mĂ©thode d’analyse qui est davantage qualitative

que quantitative. Ainsi, les concentrations mesurĂ©es ne seront pas les mĂȘmes Ă  la suite d’un orage ou pendant une pĂ©riode de sĂ©cheresse. »

Aussi, les molĂ©cules rejetĂ©es dans l’urine ont Ă©tĂ© transformĂ©es par le corps, ce qui lĂ  encore complique le calcul des concentrations. D’autant plus qu’il faut avoir auparavant identifiĂ© les marqueurs pertinents des substances recherchĂ©es. « Un tel monitoring se montre particuliĂšrement intĂ©ressant s’il est effectuĂ© dans le temps. Par exemple, on peut observer une augmentation de la prĂ©sence de substances illicites dans un endroit donnĂ© au moment de l’organisation d’un Ă©vĂ©nement de grande ampleur comme un festival de musique. »

ACCÉLÉRER LA PRISE DE DÉCISION

Le think tank suisse Pour Demain vient de publier une Ă©tude sur les avantages d’un systĂšme d’alerte prĂ©coce institutionnalisĂ© basĂ© sur l’analyse continue des eaux usĂ©es. RĂ©alisĂ© en collaboration avec le cabinet de conseil Eraneos et le bureau d’études Infras, le rapport souligne qu’un tel dispositif permettrait d’économiser jusqu’à 30 milliards de francs en cas de pandĂ©mie en Suisse.

L’étude suggĂšre d’instaurer une surveillance permanente de cinq agents pathogĂšnes prĂ©sentant le plus grand potentiel pandĂ©mique dans 50 Ă  100 stations d’épuration

en Suisse, soit le Covid-19, les autres coronavirus, les virus de la grippe, la variole et la rougeole. Une mesure complĂ©tĂ©e par le sĂ©quençage gĂ©nomique de ces agents pathogĂšnes Ă  partir d’échantillons provenant des hĂŽpitaux, des cabinets mĂ©dicaux et des eaux usĂ©es, ainsi qu’une meilleure gestion des donnĂ©es rĂ©coltĂ©es pour permettre une prise de dĂ©cision plus rapide en cas de crise sanitaire.

« Un systĂšme d’alerte prĂ©coce agit comme un dĂ©tecteur Ă  incendie ou un bulletin d’avalanches », illustre Laurent BĂ€chler, chargĂ© de programme biosĂ©curitĂ© du think tank Pour Demain. « La surveillance des agents pathogĂšnes peut Ă©viter des coĂ»ts humains et Ă©conomiques importants, non seulement en pĂ©riode de pandĂ©mie, mais aussi en temps normal, par exemple grĂące Ă  une meilleure connaissance des bactĂ©ries rĂ©sistantes aux antibiotiques. »

UN

FORT RETOUR

SUR INVESTISSEMENT

L’étude a pris en compte trois scĂ©narios : une pandĂ©mie similaire au Covid-19, une pandĂ©mie forte et une situation pandĂ©mique extrĂȘme. Elle estime les pertes humaines et Ă©conomiques Ă©vitĂ©es lors de la premiĂšre apparition d’un agent pathogĂšne dangereux, grĂące Ă  l’avance gagnĂ©e par le systĂšme d’alerte, permettant par exemple de dĂ©crĂ©ter un confinement cinq ou dix jours plus tĂŽt.

FONCTIONNEMENT D,UN SYSTÈME

D,ALERTE PRÉCOCE EN CAS DE PANDÉMIE

1 2

RĂ©colte d’échantillons d’eaux usĂ©es auprĂšs de stations d’épuration, d’hĂŽpitaux et de cabinets mĂ©dicaux.

3

Recherche d’agents pathogĂšnes dans les Ă©chantillons par sĂ©quençage gĂ©nomique.

4

Analyse et interprĂ©tation des donnĂ©es au sein d’une plateforme centralisĂ©e.

« La prochaine pandĂ©mie n’est qu’une question de temps et la probabilitĂ© qu’elle soit plus grave que le Covid-19 est Ă©levĂ©e, soulignent les auteurs de l’étude. Avec des dĂ©penses annuelles d’environ 5 millions de francs en cas de situation normale, non pandĂ©mique, les coĂ»ts d’investissement sont faibles par rapport aux avantages positifs Ă©tendus – plus d’un milliard de francs dans un cas de pandĂ©mie similaire Ă  celle

Prise de décision accélérée pour les autorités concernant les mesures à mettre en place pour réduire la propagation des agents pathogÚnes détectés.

du Covid-19, et jusqu’à 15 Ă  30 milliards dans les scĂ©narios forts et extrĂȘmes. Des Ă©tudes de l’Imperial College London et de McKinsey montrent que les investissements dans la prĂ©paration et la lutte contre les pandĂ©mies sont rentables. »

Des dĂ©bats sur l’adoption d’un tel systĂšme sont Ă©galement en cours au niveau politique. Ainsi, la Commission de la sĂ©curitĂ© sociale et de la santĂ© publique

du Conseil national a dĂ©posĂ© en fin d’annĂ©e derniĂšre un postulat pour que le Conseil fĂ©dĂ©ral Ă©tudie l’extension du monitoring des eaux usĂ©es du Covid-19 Ă  d’autres pathogĂšnes. Le gouvernement s’est montrĂ© favorable Ă  ce postulat, qui devrait ĂȘtre traitĂ© par le Parlement ces prochains mois. /

AUX LIMITES DE LA VIE

Les soins palliatifs prennent en charge les patient·e·s dans la derniĂšre phase de leur vie. Entre directives anticipĂ©es, changement de l’objectif thĂ©rapeutique et soulagement des souffrances, cette spĂ©cialitĂ© Ă©volue avec la sociĂ©tĂ© vieillissante.

«La mort nous attend tous. Nous avons tendance Ă  l’occulter dans nos sociĂ©tĂ©s mais la reconnaĂźtre permet aussi de l’apprĂ©hender avec plus de sĂ©rĂ©nitĂ©. » Gian Domenico Borasio, chef de service aux soins palliatifs du CHUV, en appelle Ă  une meilleure sensibilisation quant aux questions de fin de vie. Ces situations sont multiples, souvent liĂ©es Ă  l’ñge et aux maladies comme la dĂ©mence, mais aussi aux maladies chroniques et aux cancers. « Ces patients touchent aux limites de la mĂ©decine, explique le professeur. Les organes sont trop fatiguĂ©s, la maladie profondĂ©ment installĂ©e. Les soins palliatifs ne visent pas forcĂ©ment Ă  allonger la vie mais surtout Ă  en amĂ©liorer la qualitĂ©. »

AppelĂ©e « changement d’orientation thĂ©rapeutique », cette dĂ©cision signifie que les traitements ne vont dĂ©sormais

COMPASSION

Philip Larkin, professeur et directeur des soins palliatifs inïŹrmiers au CHUV, s’intĂ©resse au concept de compassion en soins palliatifs. « Les soins de ïŹn de vie requiĂšrent l’empathie du soignant. La compassion reprĂ©sente la concrĂ©tisation par l’action de ce sentiment. » Selon lui, cette capacitĂ© se concrĂ©tise par l’aptitude Ă  soutenir les dĂ©cisions des patient·e·s tout en respectant son autonomie. « Cette bienveillance ne peut opĂ©rer que si le personnel soignant et les institutions appliquent aussi une forme d’autocompassion. »

plus viser la guĂ©rison ou le rallongement de la vie – sans pour autant opter pour un arrĂȘt total des soins. « Ce n’est pas un Ă©chec de la mĂ©decine si un patient meurt, c’est la maniĂšre qui est essentielle », prĂ©cise Gian Domenico Borasio, auteur du livre de sensibilisation Mourir et directeur de la premiĂšre chaire de mĂ©decine palliative de Suisse créée en 2006 Ă  l’UniversitĂ© de Lausanne. « Il faut absolument Ă©viter de persĂ©vĂ©rer dans l’administration de traitements, parfois invasifs, Ă  un patient qui n’en veut pas, ou pour qui ils n’ont plus de sens.

L’objectif est de soulager les souffrances physiques, psychosociales et existentielles du patient, en l’accompagnant correctement pour lui permettre d’exprimer tout son potentiel humain dans la derniĂšre phase de sa vie. »

ÉLARGIR LA PRISE EN CHARGE

PrĂšs de 70% de la population suisse manifeste le souhait de mourir Ă  domicile mais dans les faits, moins de 20%

y parviennent : 40% dĂ©cĂšdent Ă  l’hĂŽpital et 40% en EMS, selon un rapport fĂ©dĂ©ral. Pour Ralf Jox, responsable de l’unitĂ© d’éthique clinique et cotitulaire de la chaire des soins palliatifs gĂ©riatriques du CHUV, les soins palliatifs sont aujourd’hui confrontĂ©s Ă  deux problĂ©matiques : « Ils sont encore trop limitĂ©s aux patients atteints de cancer en phase terminale, alors qu’ils devraient ĂȘtre envisagĂ©s pour de nombreuses autres pathologies et, surtout, bien plus tĂŽt. » En effet, au CHUV, en moyenne 75% des patient·e·s en soins palliatifs sont atteint·e·s d’un cancer, 25% d’une autre pathologie.

« Les soins devraient en outre commencer sur les derniers mois, voire annĂ©es de la vie, et pas seulement les derniers jours, pour davantage de confort. C’est une idĂ©e prĂ©conçue d’imaginer le palliatif comme la mĂ©decine des derniers instants seulement. »

La gestion des douleurs est en effet primordiale : quelle que soit sa pathologie de base, une personne en soins palliatifs souffre en moyenne de plus de dix symptĂŽmes physiques et psychologiques simultanĂ©ment, selon un article du Swiss Medical Forum.

En Suisse, 62% des dĂ©cĂšs concernent des personnes ĂągĂ©es de plus de 80 ans. Le vieillissement de la population en appelle ainsi Ă  une considĂ©ration plus prĂ©coce des soins palliatifs pour les malades. Une stratĂ©gie Ă©galement intĂ©ressante sur le plan financier : 25 Ă  30% des coĂ»ts de la santĂ© sont liĂ©s aux soins effectuĂ©s dans les derniĂšres annĂ©es de l’existence, surtout en raison des hospitalisations.

Les soins palliatifs visent ainsi Ă  ĂȘtre davantage menĂ©s au domicile des personnes ou en EMS. Une bonne idĂ©e, selon le professeur Borasio, Ă  condition de ne pas reporter la charge sur les proches aidant·e·s. « Les familles ne peuvent pas

« À VOS SOUHAITS »

Comment aborder le sujet des volontĂ©s de ïŹn de vie avec ses proches ? Les 44 cartes du jeu À vos souhaits –traduit de la version originale amĂ©ricaine Go Wish – permettent de s’interroger sur ces grandes questions. L’outil, qui se commande sur Internet, invite Ă  l’échange et permet au·à la joueur·euse de s’exprimer sur ses valeurs, ses doutes et ses volontĂ©s.

« Ce jeu apporte une approche ludique qui peut encourager et faciliter la rĂ©flexion autour des valeurs et des prĂ©fĂ©rences de ïŹn de vie, commente Ralf Jox, responsable de l’unitĂ© d’éthique clinique et cotitulaire de la chaire des soins palliatifs gĂ©riatriques du CHUV. Mais ce n’est pas su∞sant pour rĂ©diger des directives anticipĂ©es de maniĂšre claire et applicable. Le projet de soins anticipĂ©s (advance care planning) est un modĂšle beaucoup plus complet qui consiste Ă  accompagner la personne tout au long du processus, de la rĂ©flexion Ă  la signature des documents de prĂ©voyance. »

prodiguer les soins seules. Les fins de vie peuvent ĂȘtre compliquĂ©es et exigeantes. Reporter ces soins Ă  la maison sans un soutien Ă©tatique et financier suffisant dĂ©place la responsabilitĂ© sur les proches, qui se retrouvent souvent surchargĂ©s. » Les personnels d’EMS sont souvent insuffisamment formĂ©s aux soins palliatifs. Dans le canton de Vaud, quatre Ă©quipes mobiles de soins palliatifs existent pour aider les patient·e·s et leurs familles dans leur lieu de vie, que ce soit Ă  la maison ou Ă  l’EMS.

L’IMPORTANCE DES DIRECTIVES ANTICIPÉES

« Ce n’est pas possible de penser constamment Ă  la mort mais ce n’est pas sain de totalement l’occulter non plus, souligne l’éthicien Ralf Jox. Penser Ă  sa finitude aide Ă  rĂ©aliser l’importance de vivre sa vie pleinement. Anticiper ses dĂ©cisions permet aussi de soulager les proches. Les moments de maladie ou de deuil dans l’entourage sont propices Ă  aborder ces sujets malheureusement encore trop tabous. »

Selon l’Office fĂ©dĂ©ral de la statistique (OFS), 70% des personnes ĂągĂ©es (de plus de 65 ans) pour qui des dĂ©cisions importantes doivent ĂȘtre prises n’ont pas leur pleine capacitĂ© de discernement. Le « projet de soins anticipĂ©s » (advance care planning) vise Ă  pallier les limites actuelles des directives anticipĂ©es. Objectif : inciter les individus Ă  rĂ©flĂ©chir en amont Ă  leurs valeurs ainsi qu’au niveau de soins qu’ils souhaitent ou non et Ă  mettre leurs volontĂ©s par Ă©crit, de maniĂšre claire et sans contradictions. « Les directives anticipĂ©es aident grandement les familles Ă  dĂ©cider de l’ampleur des soins Ă  entreprendre, explique Ralf Jox. Dans ces situations, les dĂ©cisions doivent se baser sur la volontĂ© prĂ©sumĂ©e du patient et non pas sur ses propres valeurs. Ces choix peuvent ĂȘtre difficiles sans guide. »

Il n’existe aujourd’hui pas un seul formulaire Ă©tatique, mais une diversitĂ© de documents. Le plus utilisĂ© est celui de la FĂ©dĂ©ration des mĂ©decins suisses (FMH) mais ses terminologies complexes le rendent difficile Ă  apprĂ©hender. « Ces directives doivent ĂȘtre remplies avec l’aide du mĂ©decin traitant, par exemple. Malheureusement, ces dĂ©marches ne sont pas spĂ©cifiquement remboursĂ©es par l’assurance maladie. »

Selon les sondages, prĂšs de 30% des Suisse·sse·s ont rempli des directives anticipĂ©es, moitiĂ© moins en Suisse romande. Or Ă  l’hĂŽpital, seulement 5% des patient·e·s prĂ©sentent leurs directives.

« Il n’existe pas de registre national et de nombreuses personnes n’ont pas informĂ© leurs proches du lieu oĂč elles ont rangĂ© leurs directives anticipĂ©es. Ces informations restent donc introuvables. C’est dommage, il faudrait les intĂ©grer au dossier Ă©lectronique du patient. »

LE RÔLE PRÉPONDÉRANT DES PROCHES

« La famille, les amis, l’entourage sont dĂ©terminants dans l’accompagnement d’une personne en soins palliatifs, prĂ©cise Mathieu Bernard, directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV (créée en 2021, c’est la premiĂšre en Suisse). Ce sont ces personnes qui amĂ©liorent la qualitĂ© de vie et participent Ă  donner un sens Ă  l’existence vĂ©cue. Mais elles peuvent aussi reprĂ©senter une source de stress pour le patient, qui s’inquiĂšte de leur devenir, voire mĂȘme culpabilise d’ĂȘtre un fardeau, d’imposer ces situations difficiles. » Souvent dĂ©muni·e·s, les proches ont Ă©galement besoin de soutien. « Ils peuvent s’épuiser Ă©motionnellement et physiquement, ce qui peut ĂȘtre dangereux », avertit Mathieu Bernard.

Les patient·e·s en soins palliatifs bĂ©nĂ©ficient d’un accompagnement social, psychologique

EN QUÊTE DE SPIRITUALITÉ

Face à la mort, la spiritualité peut devenir une ressource importante.

« Dans les soins palliatifs, la spiritualitĂ© englobe la question du sens de la vie et/ ou un sentiment de transcendance, de connexion avec quelque chose qui dĂ©passe sa propre condition d’ĂȘtre humain, explique Mathieu Bernard, directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV. Elle ne se rĂ©duit donc pas Ă  la religion uniquement. L’objectif est d’accompagner chaque patient dans sa propre croyance. » Les accompagnant·e·s spirituel·le·s –anciennement appelé·e·s aumĂŽniers – sont prĂ©sent·e·s dans l’hĂŽpital Ă  cette ïŹn. Les rĂ©flexions sur le sens de sa propre existence ou de sa maladie peuvent aussi ĂȘtre encadrĂ©es par les psychologues.

« Mais si la spiritualitĂ© peut reprĂ©senter une aide en ïŹn de vie, pour d’autres, l’émergence de la maladie peut ĂȘtre vĂ©cue comme un abandon ou une trahison. Dans tous les cas, la spiritualitĂ© doit ĂȘtre Ă©valuĂ©e et au besoin intĂ©grĂ©e dans la prise en charge. »

et spirituel. L’acceptation de la mort est diffĂ©rente en fonction de la vitesse de progression de la maladie et de l’ñge des patient·e·s. « Les personnes ĂągĂ©es peuvent accepter plus facilement la fin de leur vie, alors que c’est beaucoup plus difficile chez les plus jeunes, pour qui cette rĂ©alitĂ© n’est pas compatible avec les enjeux qui devraient ĂȘtre les leurs. IndĂ©pendamment de l’ñge, pour certains patients, la fin de vie n’est pas concevable, ils peuvent alors manifester du dĂ©ni face Ă  la rĂ©alitĂ©. C’est un mĂ©canisme de dĂ©fense qui permet de refrĂ©ner les angoisses de mort. Il faut alors les accompagner en partant de leur rĂ©alitĂ© subjective, ce qui nĂ©cessite de s’adapter avec dĂ©licatesse Ă  leur situation. Vouloir les confronter coĂ»te que coĂ»te Ă  la rĂ©alitĂ© mĂ©dicale objective peut ĂȘtre trĂšs dommageable pour les patients », soulignent les deux spĂ©cialistes. Des recherches ont Ă©galement montrĂ© que la notion d’altruisme pouvait gagner en importance dans cette phase de vie : « Les patients cherchent alors Ă  donner, Ă  transmettre quelque chose pour la postĂ©ritĂ©. » /

Mathieu Bernard Directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV, le spĂ©cialiste dĂ©taille l’importance de l’entourage dans l’accompagnement d’une personne en soins palliatifs.

LE TOC OU LA MALADIE DU DOUTE

TEXTE: CAROLE EXTERMANN

Pathologie trop souvent sous-estimĂ©e, le trouble obsessionnel compulsif concerne pourtant de nombreuses personnes qui ne peuvent pas bĂ©nĂ©ficier d’une prise en charge adaptĂ©e.

On ne s’imagine pas que, pour certaines personnes, il est impossible de quitter un appartement sans prendre une photo des lampes Ă©teintes. Et d’y retourner malgrĂ© tout pour vĂ©rifier que rien n’est restĂ© allumĂ©. En partir, puis y retourner, encore une fois, parfois pendant des heures. On ne s’imagine pas que certaines personnes peuvent passer sept heures par jour sous la douche, huit heures Ă  nettoyer un logement, jusqu’à en dĂ©visser les plinthes, craignant qu’il reste de la poussiĂšre dessous. Alors qu’il touche 2 Ă  3% de la population, le trouble obsessionnel compulsif (TOC) reste une affection peu connue. « La population concernĂ©e est pourtant considĂ©rable, dit Julien Elowe, mĂ©decin-chef au Service de psychiatrie du CHUV. En comparaison, le nombre de personnes atteintes de schizophrĂ©nie reprĂ©sente 1 Ă  2% de la population. Pourtant, on en parle davantage. » Le TOC se divise en deux parties. Il y a l’obsession, une

pensĂ©e souvent intrusive et persistante, et la compulsion, un comportement mis en place par la personne pour dĂ©samorcer l’anxiĂ©tĂ© liĂ©e Ă  la pensĂ©e obsĂ©dante. « Je dis souvent Ă  mes patients : ce que vous vivez, tout le monde le vit, mais chez vous, c’est devenu incontrĂŽlable. »

DE LA ROUTINE À LA MALADIE

Mais comment savoir quand un rituel, une habitude ou une routine devient un TOC ? Pour Margaux*, 40 ans, il a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce dont elle souffrait. « DĂ©jĂ  enfant, je rĂ©alisais des petits rituels, notamment en lien avec la superstition et les pensĂ©es magiques. Je faisais frĂ©quemment le signe de croix pour qu’il n’arrive pas de malheur. » L’excĂšs d’anxiĂ©tĂ© dont elle souffre amĂšne la famille Ă  consulter un pĂ©dopsychiatre qui ne relĂšvera rien de particulier. Plus tard, Ă  l’ñge de 19 ans, elle fait face Ă  une augmentation importante de son TOC en lien avec le stress des examens de maturitĂ©. « Je passais plusieurs heures par jour Ă  faire le mĂ©nage. J’ai alors consultĂ© un autre psychiatre qui a posĂ© un diagnostic, mais comme il n’était pas spĂ©cialisĂ© dans le traitement des TOC, il m’a juste prescrit une forte dose d’antidĂ©presseurs. Je n’avais plus de TOC, mais je souffrais terriblement des effets secondaires des mĂ©dicaments. »

MalgrĂ© son trouble, la jeune femme parvient Ă  suivre des Ă©tudes et Ă  se former en tant qu’enseignante. L’arrivĂ©e du Covid-19, et les contraintes liĂ©es Ă  la limitation de la propagation du virus, marquera un tournant. « Le fait d’ĂȘtre confinĂ©e Ă  la maison, oĂč mon TOC se manifeste le plus, a Ă©tĂ© particuliĂšrement complexe. Et je n’avais plus accĂšs aux thĂ©rapies que je suivais. »

PRISE EN CHARGE LACUNAIRE

Pathologie des jeunes – puisque l’ñge mĂ©dian des personnes concernĂ©es est de 19 ans et que, dans 25% des cas, les TOC commencent avant l’ñge de 10 ans –, ce trouble est pourtant souvent repĂ©rĂ© trop tard. Une situation vĂ©cue par Agathe Gumy, fondatrice de l’association Tocs passerelles, dont la fille a souffert de TOC. « Au moment oĂč le trouble a Ă©tĂ© identifiĂ©, je ne connaissais absolument pas cette maladie. Et Ă  l’époque, on ne trouvait sur internet aucune information liĂ©e aux TOC en Suisse. Aujourd’hui encore, il n’existe en Suisse romande aucun centre ou service hospitalier spĂ©cialisĂ©. »

Souvent, les personnes concernĂ©es ne savent donc pas vers qui se tourner et Ă©prouvent de la honte Ă  en parler. C’est Ă©galement le cas de Margaux*, qui passe aujourd’hui encore entre huit et dix heures par jour Ă  faire le mĂ©nage et divers rituels. « Ma plus grande phobie Ă©tait d’ĂȘtre internĂ©e, qu’on me considĂšre comme folle. En plus de consacrer Ă©normĂ©ment de temps au nettoyage, je passe quotidiennement deux Ă  trois heures Ă  faire des listes mentales, et si je suis interrompue, je dois tout recommencer Ă  plusieurs reprises pour vĂ©rifier que tout est en ordre dans ma vie. »

Le caractĂšre chronophage du TOC gĂ©nĂšre une souffrance Ă©norme et peut rendre la vie sociale et professionnelle impossible. « Au travail, je n’en ai jamais parlĂ©. J’ai dĂ» rĂ©duire mon taux d’emploi Ă  60%, et j’avais constamment honte d’avoir l’air aussi Ă©puisĂ©e alors que j’enseignais seulement Ă  temps partiel. Puis ma fatigue a pris une telle ampleur que je n’avais pas d’autre solution que de me mettre en arrĂȘt. »

Pour Julien Elowe aussi, les structures spĂ©cialisĂ©es manquent. « La prise en charge ambulatoire est largement insuffisante. L’idĂ©al serait de pouvoir proposer des traitements intensifs. » Une solution pour laquelle avait optĂ© Agathe Gumy au moment oĂč le mal-ĂȘtre de sa fille l’avait poussĂ©e Ă  la tentative de suicide. « Nous nous

sommes rendues en France Ă  la Clinique Lyon LumiĂšre, Ă©quipĂ©e d’un service spĂ©cialisĂ© dans le traitement du TOC. Mais Ă  ce moment-lĂ , nous ne savions pas qu’il Ă©tait recommandĂ© de continuer la thĂ©rapie par un suivi psychothĂ©rapeutique. »

Actuellement, ce qui fonctionne le mieux pour accompagner les personnes souffrant d’un TOC est d’appliquer la technique d’exposition avec prĂ©vention de rĂ©ponse. Une mĂ©thode psychothĂ©rapeutique comportementale qui consiste Ă  confronter les patient·e·s Ă  la situation qui gĂ©nĂšre le TOC, en les encourageant Ă  limiter le rituel gĂ©nĂ©ralement rĂ©alisĂ©. Dans le cadre de son travail pour l’association Tocs Passerelles, Agathe Gumy reçoit une Ă  quatre demandes par jour. La structure propose des pistes pour mieux comprendre la maladie et orienter les personnes concernĂ©es vers les thĂ©rapeutes spĂ©cialisé·e·s.

Des tables rondes sont Ă©galement mises en place. « Quand j’ai entendu un autre participant raconter son expĂ©rience, je n’ai pas pu retenir mes larmes, raconte Margaux. Pour la premiĂšre fois, j’ai pris conscience que le TOC est une maladie. » Pour Agathe Gumy, il est urgent d’informer et de former les professionnel·le·s de la santĂ© au sujet de cette pathologie et notamment les pĂ©diatres. « Le diagnostic du TOC n’est pas difficile Ă  poser et il est capital de prendre en charge le trouble avant qu’il prenne trop d’ampleur. » Pour Ă©largir les possibilitĂ©s thĂ©rapeutiques, Margaux souhaite suivre une psychothĂ©rapie assistĂ©e par psychĂ©dĂ©liques. « J’ai eu mon premier rendez-vous aux HUG en octobre dernier, mais mon dossier est toujours en attente. » Une latence difficile face Ă  l’urgence de pouvoir retrouver des conditions de vie supportables, et reprendre le travail. /

* prĂ©nom d’emprunt

En Suisse, prĂšs de 10% des hospitalisations sont liĂ©es Ă  la prise d’un mĂ©dicament et Ă  ses Ă©ventuels effets indĂ©sirables. Beaucoup de ces situations pourraient ĂȘtre Ă©vitĂ©es, grĂące Ă  des gestes simples.

TEXTE : STÉPHANIE DE ROGUIN

Parcours d’une nouvelle substance jusqu’à sa mise sur le marché :

ui ne s’est jamais retrouvĂ©, Ă  la suite de la prise d’un mĂ©dicament, dans un Ă©tat plus dĂ©sagrĂ©able encore que le mal initial ? Cette situation est loin d’ĂȘtre rare. Elle reprĂ©sente mĂȘme prĂšs de 10% des cas d’hospitalisation en Suisse, selon la Fondation SĂ©curitĂ© des patients. Quelles explications se cachent derriĂšre ce chiffre ? Comment Ă©viter ces effets indĂ©sirables et comment rattraper la situation une fois qu’ils se manifestent ?

Lorsqu’un malaise ou une Ă©ruption cutanĂ©e inattendue surviennent aprĂšs la prise d’un mĂ©dicament, il serait plus juste de parler « d’évĂ©nement indĂ©sirable », souligne Thierry Buclin, mĂ©decin-chef au Service

de pharmacologie clinique du CHUV.

« L’évĂ©nement, c’est quelque chose que l’on observe. Une fois le problĂšme dĂ©tectĂ©, nous menons une investigation pour comprendre s’il est liĂ© ou non Ă  la prise du mĂ©dicament. Si le problĂšme concerne uniquement un individu, nous appliquons une dĂ©marche diagnostique clinique en procĂ©dant par Ă©limination. En cas de problĂšme plus largement rĂ©pandu, une sĂ©rie d’études sera faite pour dĂ©terminer s’il y a causalitĂ© ou non. On parle alors d’effet indĂ©sirable quand on conclut qu’il existe vĂ©ritablement un lien de cause Ă  effet. »

1 – ÉTUDE PRÉ-CLINIQUE

Les principes actifs candidats sont soumis Ă  des simulations en laboratoire et Ă  des essais sur des animaux.

DIFFÉRENTS TYPES D’EFFETS

INDÉSIRABLES

Le personnel mĂ©dical peut anticiper l’apparition de ces effets indĂ©sirables selon le type auquel ils appartiennent : on parle d’effets indĂ©sirables de type A pour des effets essentiellement pharmacologiques. Les effets secondaires directement liĂ©s Ă  un traitement donnĂ© en font partie, Ă  l’image d’un anticoagulant administrĂ© Ă  un·e patient·e pour le·la soulager d’une thrombose, par exemple, et qui va parfois provoquer des hĂ©matomes.

2 – ESSAIS

la premiĂšre fois. Dans ce cas, l’organisme dĂ©clenche une rĂ©action inflammatoire pour se dĂ©fendre. Cette rĂ©action peut provoquer une sĂ©rie d’évĂ©nements indĂ©sirables tels que des hĂ©patites, des attaques artĂ©rielles ou cĂ©rĂ©brales.

DES ÉVÉNEMENTS RARES À CONSIDÉRER AVEC SÉRIEUX

CLINIQUES

PHASE I

La prĂ©paration est d’abord testĂ©e sur un petit nombre de volontaires en bonne santĂ© afin d’étudier les rĂ©actions de l’organisme, celles sur le mĂ©tabolisme et la tolĂ©rance Ă  la substance.

Il existe aussi des effets pharmacologiques que l’on appelle off-target, de type B, comme ceux dĂ©clenchĂ©s par certains antibiotiques contenant des molĂ©cules prĂ©vues pour attaquer des bactĂ©ries, mais qui peuvent aussi se fixer sur d’autres structures de l’organisme, par exemple les neurorĂ©cepteurs. Le journal Le Temps avait rapportĂ© au printemps 2022 l’histoire d’un patient, qui, traitĂ© par antibiotiques pour une pneumonie, a connu un Ă©pisode maniaque avec un dĂ©lire mystique. C’est trĂšs probablement ce qui s’est passĂ© dans ce cas-lĂ .

Les événements indésirables de type B sont moins fréquents et donc plus difficiles à prévoir. En effet, les allergies ou les intolérances à une substance se révÚlent imprévisibles si le ou la patient·e rencontre la molécule en question pour

Il peut paraĂźtre Ă©tonnant que des Ă©vĂ©nements indĂ©sirables se manifestent frĂ©quemment, alors que la procĂ©dure d’essai et de validation de toute nouvelle substance jusqu’à sa mise sur le marchĂ© est si lourde. « Certains effets indĂ©sirables rares ou trĂšs rares, des interactions avec d’autres mĂ©dicaments ou d’autres risques liĂ©s Ă  l’emploi d’un mĂ©dicament ne sont observĂ©s qu’aprĂšs l’autorisation, une fois que le produit est largement utilisé », rapporte Lukas Jaggi, porte-parole chez Swissmedic. Des risques qu’il ne faut en aucun cas nĂ©gliger, puisqu’ils peuvent avoir des consĂ©quences mortelles. « Cette marge d’erreur s’explique en partie parce que les candidats qui participent aux essais cliniques sont gĂ©nĂ©ralement plus jeunes et en meilleure santĂ© que les malades qui vont effectivement prendre le mĂ©dicament une fois celui-ci commercialisé », ajoute le spĂ©cialiste du CHUV Thierry Buclin. En outre, les malades reçoivent plusieurs mĂ©dicaments, ce qui favorise les interactions mĂ©dicamenteuses.

3 – ESSAIS CLINIQUES

PHASE II

Elle concerne quelques dizaines Ă  quelques centaines de patient·e·s et fournit de plus amples informations sur la sĂ©curitĂ©, l’efficacitĂ© et le dosage optimal du futur mĂ©dicament.

L’IMPORTANCE DE LA PHARMACOVIGILANCE

Pour amĂ©liorer l’information aux patient·e·s, notamment dans les notices qui accompagnent tout mĂ©dicament, il est primordial de relayer les Ă©vĂ©nements indĂ©sirables rencontrĂ©s. Tout·e mĂ©decin ou pharmacien·ne qui en est informé·e a l’obligation, depuis 2003, de transmettre l’évĂ©nement au rĂ©seau suisse de pharmacovigilance. Au CHUV par exemple, l’un des relais de ce rĂ©seau est le Service de pharmacologie clinique qui rĂ©pond aux demandes des mĂ©decins. Le dossier de la personne est alors rigoureusement analysĂ© pour pouvoir fournir des recommandations individualisĂ©es, par exemple une Ă©viction dĂ©finitive du mĂ©dicament. Ensuite, ces spĂ©cialistes dĂ©crivent le cas sous forme

anonyme dans une base de donnĂ©es de pharmacovigilance coordonnĂ©e par Swissmedic. Ces donnĂ©es rejoignent celles de trĂšs nombreux pays de l’OMS, dont le centre de pharmacovigilance situĂ© Ă  Uppsala, en SuĂšde. En Suisse, on dĂ©nombre environ 3000 signalements par an.

« Les spĂ©cialistes parviennent ainsi Ă  identifier des signaux d’effets indĂ©sirables. Ces derniers pourront justifier soit de nouvelles Ă©tudes, soit des ajouts sur les notices de mĂ©dicaments, voire des contre-indications Ă  certains profils de patients », explique Thierry Buclin. L’issue de dernier recours consiste Ă  retirer le mĂ©dicament du marchĂ©, ce qui arrive plusieurs fois par an, Ă©tant donnĂ© que plusieurs dizaines de nouvelles substances entrent sur le marchĂ© chaque annĂ©e.

CONSEILS EN MATIÈRE DE MÉDICAMENTS

4 – ESSAIS CLINIQUES

PHASE III

Quelques centaines Ă  quelques milliers de personnes y participent. Cette Ă©tape vise Ă  dĂ©terminer le profil d’effets secondaires du produit ainsi que les groupes de personnes et de patient·e·s chez lesquels le bĂ©nĂ©fice attendu dĂ©passe les risques potentiels.

Des gestes simples peuvent cependant contribuer Ă  Ă©viter une partie des Ă©vĂ©nements indĂ©sirables, prĂ©cise SĂ©bastien Marti, propriĂ©taire et directeur de trois pharmacies dans le canton de NeuchĂątel et vice-prĂ©sident de PharmaSuisse. « Cela peut sembler Ă©vident, mais le fait de bien lire la notice d’un mĂ©dicament et de respecter les consignes qui sont donnĂ©es, par exemple de prendre une capsule pendant ou avant le repas, est

primordial et souvent nĂ©gligĂ©. » Des mĂ©dicaments courants contenant de l’ibuprofen, comme l’Algifor, ont pour effet de crĂ©er de l’aciditĂ© gastrique. Le fait de les prendre pendant le repas diminue cette tendance. Certains traitements voient aussi leur effet perturbĂ© lorsqu’ils sont pris avec de l’alcool ou avec du tabac. La notice signale ce type d’incompatibilitĂ©s.

Pour sa part, Thierry Buclin recommande le principe d’une sobriĂ©tĂ© mĂ©dicamenteuse. Le spĂ©cialiste Ă©voque Ă©galement le cas de la prise rĂ©guliĂšre d’anti-inflammatoires, qui ont souvent pour effet d’augmenter la tension artĂ©rielle, dĂ©bouchant sur la prescription d’anti-hypertenseurs. « Il faut Ă©viter au maximum ces cascades mĂ©dicamenteuses. Il est parfois plus bĂ©nĂ©fique d’enlever un mĂ©dicament que d’en ajouter un », insiste le mĂ©decin-chef au Service de pharmacologie clinique du CHUV.

5 – SURVEILLANCE

AprĂšs l’autorisation de mise sur le marchĂ©, le profil de sĂ©curitĂ© d’un mĂ©dicament est surveillĂ© en continu pour minimiser les risques potentiels pour les patient·e·s.

Dans la mĂȘme veine, respecter la posologie est tout aussi important. « Si le patient Ă©prouve le besoin de modifier la quantitĂ© prescrite, parce que l’effet est trop ou pas assez fort, il doit en parler Ă  son mĂ©decin traitant ou pharmacien. » De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, ĂȘtre transparent avec les professionnel·le·s de la santĂ© et leur donner un maximum d’informations empĂȘchent bien des problĂšmes. Enfin, l’utilisation d’un pilulier ou d’un semainier peut s’avĂ©rer utile pour s’assurer d’avoir bien pris son ou ses mĂ©dicaments.

Le dĂ©veloppement du dossier Ă©lectronique du patient (DEP) se profile Ă©galement comme une solution prometteuse pour amĂ©liorer l’information aux diffĂ©rent·e·s professionnel·le·s de la santĂ© qui auront dĂ©sormais Ă  disposition l’historique et une vision globale de la situation de chacun·e de leurs patient·e·s. Dans les Ă©tablissements oĂč un tel systĂšme existe dĂ©jĂ  Ă  l’interne, le dispositif informatisĂ© signale automatiquement lorsqu’une incompatibilitĂ© mĂ©dicamenteuse apparaĂźt. /

* noms d’emprunt

« Il faut Ă©viter au maximum les cascades mĂ©dicamenteuses. Il est parfois plus bĂ©nĂ©fique d’enlever un mĂ©dicament que d’en ajouter un », explique Thierry Buclin, mĂ©decin-chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV.

EN SIMULATION D’URGENCE

LE SERVICE DES URGENCES ORGANISE DEPUIS 2012 DES FORMATIONS SUR MANNEQUIN DURANT LESQUELLES LES ÉQUIPES REPRODUISENT DES SITUATIONS RÉELLES. OBJECTIF : RENFORCER LA

COHÉSION

DANS UN CONTEXTE OÙ CHAQUE MINUTE COMPTE.

TEXTE : AUDREY MAGAT

PHOTOS : GILLES WEBER

Un homme de 65 ans arrive aux urgences. Il a perdu connaissance dans son appartement, et se plaint de douleurs thoraciques. À son arrivĂ©e aux urgences, son rythme cardiaque s’est dĂ©jĂ  emballĂ©, sa tension chute, puis son cƓur s’arrĂȘte. Un massage cardiaque est entamĂ©, l’adrĂ©naline injectĂ©e, les voies aĂ©riennes sĂ©curisĂ©es. Il va survivre. Ce patient est en rĂ©alitĂ© un mannequinsimulateur ultra-sophistiquĂ©. Depuis 2012, le Service des urgences propose des journĂ©es de formation au dĂ©choquage, c’est-Ă -dire des situations nĂ©cessitant une prise en charge immĂ©diate, comme dans le cas d’un arrĂȘt cardiaque, de traumatismes graves ou encore de dĂ©tresse respiratoire sĂ©vĂšre.

AppelĂ©es formation « advanced life support » (ALS), ces simulations – issues Ă  l’origine du monde de l’aviation – confrontent des mĂ©decins et des infirmier·Úre·s Ă  des scĂ©narios d’urgence vitale. « En prenant le temps d’analyser leur comportement dans des situations critiques, les Ă©quipes s’amĂ©liorent sur le plan mĂ©dical et infirmier mais entraĂźnent aussi des aspects essentiels, comme la communication, le leadership et la gestion d’équipe », explique Nicolas Beysard, mĂ©decin associĂ© aux urgences du CHUV et formateur. Au total, prĂšs de 1000 personnes ont participĂ© Ă  une simulation depuis la crĂ©ation de cette formation.

1/

SE RAPPROCHER DE LA RÉALITÉ

Les formateurs et formatrices prĂ©parent diffĂ©rents scĂ©narios d’urgence. Les mannequins sont habillĂ©s, coiffĂ©s, maquillĂ©s de sang ou de vomi selon la situation. « Le problĂšme est que nous ne disposons dans notre service que de mannequins d’hommes caucasiens d’ñge moyen, nous devons donc nous organiser pour les adapter », prĂ©cise Nicolas Beysard. Ultratechnologique, le mannequin a un pouls qui Ă©volue et peut exprimer des sons, Ă  l’aide d’un micro contrĂŽlĂ© par le·la technicien·ne.

2/ MISE EN SITUATION

Quatre scĂ©narios de vingt minutes, suivis chacun d’un dĂ©briefing de quarante-cinq minutes sont rĂ©partis sur la journĂ©e. Ces formations ont lieu deux fois par mois sur dix mois. Dans la salle, les masques Ă  oxygĂšne cĂŽtoient les diverses sondes, le dĂ©fibrillateur et de rĂ©elles armoires Ă  pharmacie. La prise en charge ne doit pas excĂ©der trente minutes.

3/ SUIVRE LE RYTHME

L’équipe, de sept personnes au minimum, se compose de mĂ©decins des urgences et des soins intensifs, d’infirmiers et d’infirmiĂšres. D’autres spĂ©cialistes, par exemple venus de l’orthopĂ©die ou de l’anesthĂ©sie, peuvent se rajouter au besoin. Chaque situation est menĂ©e sous la direction d’un « leader », gĂ©nĂ©ralement le ou la mĂ©decin. VĂ©ritable chef·fe d’orchestre, son rĂŽle est d’indiquer quels gestes appliquer, ou quels mĂ©dicaments donner.

4/ TRAVAIL D’ÉQUIPE

Chaque membre de l’équipe doit coller une Ă©tiquette indiquant son prĂ©nom et sa fonction.

« Nous sommes trop nombreux pour tous nous connaĂźtre, explique Yves Lemaire, infirmier

5/ COMPLICATIONS EN DIRECT

Depuis la salle de pilotage, l’équipe qui s’occupe de l’évaluation observe la prise en charge. Ils peuvent modifier les paramĂštres vitaux du mannequin, en provoquant par exemple un arrĂȘt cardiaque ou un retour Ă  un rythme stable, selon les dĂ©cisions prises par l’équipe soignante.

responsable des simulations mĂ©dicales. S’adresser Ă  quelqu’un par son prĂ©nom crĂ©e une proximitĂ© favorable Ă  la cohĂ©sion d’équipe. »

6/ CONCENTRATION PALPABLE

La tension et la concentration sont Ă  leur comble. Hormis les sons des machines, les Ă©quipes travaillent dans le calme. Leurs gestes sont prĂ©cis. Elles sont rapidement immergĂ©es dans la simulation. Oubliant le mannequin, l’équipe identifie les organes vitaux menacĂ©s, entame un massage cardiaque. L’enjeu de survie, mĂȘme simulĂ©, est omniprĂ©sent.

7/ MAINTENIR LES ÉCHANGES

La communication est essentielle dans les situations d’urgence. Il faut donc s’assurer d’ĂȘtre entendu·e, « de fermer les boucles », prĂ©cise le mĂ©decin cadre. « Autrement dit, de rĂ©pĂ©ter

8/ RETOUR D’EXPÉRIENCE

Au dĂ©briefing, toutes les personnes livrent leurs impressions. L’équipe de formation les aiguille afin qu’elles posent un regard critique sur leur propre expĂ©rience.

« C’est plus instructif de constater soi-mĂȘme ses faiblesses », prĂ©cise la formatrice Marie Guinat, cheffe de clinique aux soins intensifs.

Les journées de simulation ne sont pas des évaluations.

« Les participant·e·s doivent agir comme Ă  leur habitude pour repĂ©rer les mauvais rĂ©flexes, les soucis de communication. »

L’interdisciplinaritĂ© de cette simulation permet aussi de poser un autre regard sur les mĂ©tiers et responsabilitĂ©s de chacun·e.

l’ordre donnĂ© afin de confirmer qu’il a Ă©tĂ© compris. » Durant l’intervention, le leader rĂ©sume ainsi plusieurs fois la situation et fait le point sur les donnĂ©es vitales.

On marche dessus tous les jours, mais pas question de les ramasser. PrĂ©sents partout, les champignons mycorhiziens sont un cas d’école de symbiose. « GrĂące aux filaments qui se fixent au niveau des racines, ils fournissent des Ă©lĂ©ments nutritifs aux plantes, comme des minĂ©raux ou du phosphate. En Ă©change, ils reçoivent notamment du sucre », rĂ©sume Ian Sanders, gĂ©nĂ©ticien au DĂ©partement d’écologie et d’évolution de l’UNIL.

Une autre espĂšce pourrait tirer parti de ce bĂ©nĂ©fice mutuel : l’ĂȘtre humain, confrontĂ© Ă  des crises alimentaires que les effets du rĂ©chauffement climatique viennent encore renforcer. « On sait depuis les annĂ©es 1970 que les rĂ©seaux mycorhiziens permettent d’augmenter les rendements de cultures comme le riz, le maĂŻs, les pommes de terre ou le manioc », explique le chercheur. En laboratoire, ses travaux ont permis de multiplier la croissance du riz par cinq en 2010. Sur le terrain, des expĂ©riences Ă  grande Ă©chelle d’une variĂ©tĂ© particuliĂšre, le Rhizophagus irregularis, ont Ă©tĂ© menĂ©es avec succĂšs sur le manioc en Colombie,

NOM

CHAMPIGNONS MYCORHIZIENS

TAILLE (TÊTE + CORPS)

30 À 500 MICROMÈTRES

CARACTÉRISTIQUE

LEURS RÉSEAUX ALIMENTENT LE MONDE VÉGÉTAL EN EAU ET EN NUTRIMENTS.

Des champignons qui font rĂȘver

En favorisant la croissance des plantes, les champignons mycorhiziens permettent d’amĂ©liorer les rendements agricoles.

La fin de la faim ?

TEXTE : JEAN-CHRISTOPHE PIOT

en Tanzanie et au Kenya. À la clĂ©, de meilleurs rendements et une rĂ©duction de l’usage des intrants agricoles, phosphates en tĂȘte.

Reste Ă  mieux comprendre un phĂ©nomĂšne que la diversitĂ© des champignons et des sols rend complexe, chaque parcelle exigeant des apports diffĂ©rents qui ne donneront pas les mĂȘmes rĂ©sultats quelques kilomĂštres plus loin. « Des champignons identiques produisent des descendants gĂ©nĂ©tiquement variables, avec des effets diffĂ©rents sur les plantes. Ils modifient Ă©galement le microbiome (soit l’ensemble des micro-organismes et leurs gĂšnes vivant dans un environnement particulier) et la structure de chaque sol », explique Ian Sanders.

Aujourd’hui, Ian Sanders concentre son travail sur le manioc, plante tropicale cultivĂ©e dans les zones les plus arides de la planĂšte, lĂ  oĂč le risque de malnutrition voire de famine est le plus Ă©levĂ©. D’ici deux ou trois ans, le programme dĂ©ployĂ© avec des exploitant·e·s colombien·ne·s devrait permettre de faire avancer une recherche appliquĂ©e novatrice, utile et respectueuse des Ă©cosystĂšmes. /

ANJA PATTSCHULL

InïŹrmiĂšre clinicienne spĂ©cialisĂ©e, Service de gĂ©riatrie et rĂ©adaptation gĂ©riatrique, CHUV

« Cela en vaut-il encore la peine ? »

InfirmiĂšre en gĂ©riatrie, j’ai dĂ» entendre cette question plusieurs centaines de fois. Et la prononcer aussi. Elle survient lorsqu’il n’est plus certain que les traitements administrĂ©s Ă  l’hĂŽpital apportent davantage au·à la patient·e qu’ils ne lui occasionnent de souffrance ou d’inconfort. Obligatoirement, quelqu’un la posera en premier. Peut-ĂȘtre un peu maladroitement, peut-ĂȘtre pas au bon moment.

n’est pas prĂȘte Ă  envisager la fin de soins Ă  but curatif. De ces diffĂ©rents points de vue dĂ©couleront des discussions Ă©thiques, puis des dĂ©cisions qui tĂ©moigneront de la capacitĂ© de l’ensemble des acteur·trice·s Ă  adopter ou non une attitude cohĂ©rente et concertĂ©e.

Souvent, ce sera le dĂ©but d’une longue sĂ©rie de discussions au sein de l’équipe interprofessionnelle. Une infirmiĂšre prĂ©conise de dispenser uniquement des soins de confort. Selon elle, le cap de l’acharnement thĂ©rapeutique est dĂ©jĂ  franchi. Un autre soignant questionne la pertinence de prendre les paramĂštres vitaux, de mettre de l’oxygĂšne. Ne devrait-on pas simplement accompagner et soulager les symptĂŽmes ? Un soignant n’a pas voulu rĂ©veiller le ou la patient·e car il pense qu’il est prĂ©fĂ©rable de privilĂ©gier son repos Ă  la prise du repas. Mais d’autres membres de l’équipe estiment qu’interrompre certains traitements serait trop brutal, que des investigations supplĂ©mentaires pourraient profiter au patient, ou que sa famille

C’est tout sauf simple. D’abord, parce qu’il n’existe pas d’instant « T » oĂč l’on conclurait que les traitements et les soins dispensĂ©s pour maintenir ou amĂ©liorer la santĂ© de la personne n’ont pas les effets escomptĂ©s. C’est un processus progressif, une situation changeante, avec des signes contradictoires. Ensuite, parce que chaque professionnel·le a comme grille de lecture les savoirs spĂ©cifiques de sa discipline et les compĂ©tences en lien avec son expĂ©rience. Par dĂ©finition, chacun·e aura donc une vision diffĂ©rente. Et s’il est pertinent de renoncer Ă  une visĂ©e curative ou aux traitements invasifs lorsque l’espoir d’une guĂ©rison s’éloigne, le bon moment n’est pas le mĂȘme pour tout le monde. Enfin, c’est Ă  la lumiĂšre des besoins et souhaits de la patiente ou du patient lui-mĂȘme que les dĂ©cisions doivent ĂȘtre prises, avec elle, lui ou les membres de sa famille selon les circonstances.

Il n’y a pas de rĂšgle universelle permettant de dire ce qui est juste ou faux. Soigner est un art, qui se pratique en Ă©quipe. Et la meilleure des Ă©quipes est celle qui cultive le doute, qui accueille les points de vue dissonants, qui reconnaĂźt le caractĂšre unique de chaque situation et se montre capable de cheminer. Dans ce contexte, « cela en vaut-il encore la peine ? » est une saine question. /

C

H

17

21

NO

COCAÏNE

C 17h 21NO 4

4 UNE MOLÉCULE, UNE HISTOIRE

TEXTE : JEAN-CHRISTOPHE

PIOT

Connue des peuples des Andes depuis des siĂšcles, la molĂ©cule de la cocaĂŻne a d’abord Ă©tĂ© utilisĂ©e comme mĂ©dicament en Europe avant de devenir un problĂšme de santĂ© publique majeur.

En AmĂ©rique du Sud, d’oĂč elle est originaire, la feuille de coca est apprĂ©ciĂ©e pour son effet stimulant : mĂąchĂ©e ou prĂ©parĂ©e en infusion, elle aide Ă  lutter contre la fatigue ou les effets de l’altitude. Au milieu du XIXe siĂšcle, diffĂ©rents chimistes allemands et autrichiens parviennent Ă  extraire et Ă  concentrer la molĂ©cule, un alcaloĂŻde comme la morphine, la cafĂ©ine ou la nicotine. « Ce n’est pourtant pas pour ses propriĂ©tĂ©s excitantes que l’ester mĂ©thylique de la benzoylecgonine –le nom scientifique de la cocaĂŻne – intĂšgre la pharmacopĂ©e occidentale », explique Thierry Buclin,

La cocaïne, du médicament à la drogue

chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. « La cocaĂŻne a Ă©tĂ© le premier anesthĂ©sique local. AppliquĂ©e sur une muqueuse, elle permet alors d’endormir la surface concernĂ©e, ce qui facilite le travail des chirurgiens tout en rĂ©duisant la souffrance des patients. » Petit Ă  petit, la cocaĂŻne se banalise au point qu’on la retrouve souvent dans les armoires Ă  pharmacie des particuliers qui l’utilisent notamment comme analgĂ©sique, anxiolytique et antidĂ©presseur.

Au tournant du XXe siĂšcle, les mĂ©decins et les pharmacien·ne·s sonnent l’alarme. Encore prĂ©sente

dans le paquetage des soldats de la Grande Guerre avec des produits comme le vin Mariani, une boisson tonique rĂ©alisĂ©e Ă  partir de feuilles de coca macĂ©rĂ©es dans du vin, la cocaĂŻne fait les frais des premiĂšres lĂ©gislations antistupĂ©fiants qui se mettent en place au lendemain du conflit. « Son interdiction progressive, comme celle des opiacĂ©s, avait pour but d’éviter une Ă©pidĂ©mie de dĂ©pendance qui touchait d’ailleurs d’abord les soignants. »

En cause, les propriĂ©tĂ©s particuliĂšres de la molĂ©cule. « La cocaĂŻne mime les effets de la dopamine, un neurotransmetteur sĂ©crĂ©tĂ©

par l’organisme quand nous sommes excitĂ©s par une bonne nouvelle, un repas agrĂ©able, une sĂ©ance de sport
 C’est la molĂ©cule de la rĂ©compense. » Tout le problĂšme de la cĂ©lĂšbre poudre blanche tient au fait qu’une fois son effet passĂ©, la descente pousse les individus Ă  vouloir retrouver cette sensation d’euphorie. Ce phĂ©nomĂšne engendre un effet de craving et de dĂ©pendance aux effets souvent catastrophiques pour les cocaĂŻnomanes : problĂšmes financiers, dĂ©socialisation et isolement. « C’est la drogue de l’addiction par excellence, explique Thierry Buclin. Comme le manque se traduit par un Ă©tat dĂ©pressif et des idĂ©es noires, reprendre une dose est particuliĂšrement tentant. Sur le plan physique, en revanche, il n’y a pas de danger majeur d’overdose avec la cocaĂŻne en dehors du risque d’accidents cardiaques. » /

CURSUS ÉCLAIRAGE

Texte :

Quand les mots et les coups pleuvent

Le nombre d’incidents liĂ©s Ă  des situations de conflit ou de violence envers le personnel du CHUV a connu une nette augmentation en 2021. Si la charge Ă©motionnelle est gĂ©nĂ©ralement exacerbĂ©e dans le contexte hospitalier, la nervositĂ© semble ampliïŹĂ©e par la pandĂ©mie de Covid-19. Que ce soit pour prĂ©venir ou pour guĂ©rir, des solutions existent.

On ressent au CHUV les mĂȘmes tensions que dans la sociĂ©tĂ©. »

Cela fait plus de quinze ans que Fabrice Dupuis est agent de sĂ©curitĂ© au CHUV. Depuis le retour au libre accĂšs de l’hĂŽpital aprĂšs la pandĂ©mie de Covid-19, lui et ses collĂšgues constatent une augmentation des conflits et de la violence dans l’institution.

Au bĂ©nĂ©ïŹce d’une formation spĂ©ciïŹque au secteur hospitalier, les agent·e·s s’attachent avant tout Ă  apaiser les tensions, comme l’indique celui qui est aussi chef du Secteur opĂ©rations pour Securitas : « Nous cherchons toujours Ă  apporter la rĂ©ponse appropriĂ©e Ă  chaque situation. Souvent, la prĂ©sence

d’un·e agent·e de sĂ©curitĂ© su∞t Ă  calmer les esprits. La dĂ©sescalade verbale est l’outil que nous utilisons en prioritĂ©. Dans la plupart des cas, cela su∞t Ă  ramener le calme. »

UNE OFFRE DE FORMATION ADAPTÉE

Les collaboratrices et les collaborateurs sont en premiĂšre ligne et ont un rĂŽle important Ă  jouer dans la prĂ©vention de la violence hospitaliĂšre. Pour leur donner les clĂ©s, le Centre des formations a mis sur pied le cours « PrĂ©vention et gestion des conflits et de la violence » en 2015. Depuis, 43 sessions ont Ă©tĂ© organisĂ©es et plus de 500 professionnel·le·s formé·e·s. Quelque 94% d’entre elles et d’entre eux la recommandent, preuve que l’enseignement a atteint sa cible.

Muriel Gasser, responsable du domaine Relation patients & proches au Centre des formations, explique que « le but est que les professionnels aient les bons outils pour anticiper, car il y a sans doute des situations dans lesquelles il est possible d’éviter l’escalade. »

DÚs cet automne, une offre révisée permettra de mieux répondre aux besoins des collaborateur·trice·s tout en optimisant la durée de formation. Par ailleurs, un e-learning réalisé par les HUG est à disposition de tout le personnel sur eformation.chuv.ch.

GÉRER L’APRÈS

Dans le cas oĂč des violences surviendraient malgrĂ© tout, l’institution soutient et appuie les collaborateur·trice·s en suivant une procĂ©dure Ă©tablie qui peut, selon la gravitĂ© du cas, faire intervenir la SĂ©curitĂ©, la MĂ©decine du personnel, l’UnitĂ© de mĂ©decine des violences, la Psychiatrie de liaison, voire l’UnitĂ© des affaires juridiques.

L’Espace de mĂ©diation entre patient·e·s, proches et professionnel·le·s (EMP) est Ă©galement Ă  disposition de toute personne souffrant d’un rapport problĂ©matique avec un·e patient·e ou son entourage.

Ouvert il y a dix ans pour offrir un espace d’écoute aux soigné·e·s, l’EMP est de plus en plus sollicitĂ© par les professionnel·le·s, qui reprĂ©sentent aujourd’hui 14% des cas, contre 3% en 2012.

MIEUX VAUT PRÉVENIR

QUE GUÉRIR

Pour Pierre Merminod, adjoint du chef de la SĂ©curitĂ© du CHUV, il est important d’anticiper les tensions et, au moindre doute, de ne pas hĂ©siter Ă  recourir Ă  un point de vue externe : « L’empathie fait partie des mĂ©tiers de l’hĂŽpital. Mais, du fait de notre expĂ©rience, nous pouvons apporter un autre regard et alerter les collaborateurs lorsqu’une situation n’est pas normale. Quand vous pensez que vous devriez faire appel Ă  la sĂ©curitĂ©, la rĂ©ponse n’est jamais â€č non â€ș. On nous appelle rarement assez tĂŽt. »

Pour plus d’informations sur ce sujet, voir aussi l’article « Augmentation de la violence envers le personnel soignant » paru dans le n° 25 d’In Vivo.

ÉVOLUTION DES VIOLENCES AU CHUV

ENTRE 2020 ET 2021 dans les autres sites du CHUV

Dossiers d’annonces du personnel pour agression ces plaintes sont gĂ©rĂ©es par la SĂ©curitĂ© et l’UnitĂ© des affaires juridiques

16% Sollicitations de la police par l’hîpital

dans la Cité hospitaliÚre

Texte :

Hervé Henry, chef du Secteur jardins et voirie

« Je n’ai plus enïŹlĂ© la salopette depuis 2015 ! » EntrĂ© au CHUV comme jardinier en 2001, HervĂ© Henry est aujourd’hui chef du Secteur jardins et voirie. S’il endosse dĂ©sormais un rĂŽle organisationnel, l’horticulteur de formation ne s’est jamais Ă©loignĂ© de sa premiĂšre passion, la nature.

Lors d’une visite de la ville de Brisbane, en Australie, HervĂ© Henry tombe en admiration devant un arbre dont la base est entiĂšrement recouverte de fleurs. Une anecdote qui en dit long sur notre collĂšgue : « J’adore dĂ©couvrir la maniĂšre dont les autres entretiennent leurs espaces extĂ©rieurs. MĂȘme quand je suis en vacances, je ne peux pas m’empĂȘcher de glaner des idĂ©es ! » Des inspirations qui, sous son impulsion, se muent en de nombreux projets tels que les ruches sur le bĂątiment de liaison, les zones de pique-nique et, bientĂŽt, des hĂŽtels Ă  insectes.

UNE QUÊTE D’ÉQUILIBRE

« Mon but est de trouver un juste Ă©quilibre entre la beautĂ© du site et le maintien de zones de nature qui favorisent la biodiversitĂ©, et ce, tout en assurant la sĂ©curitĂ© des passants », prĂ©cise le Vaudois d’origine. Ainsi, les jardinier·Úre·s n’utilisent plus de produits phytosanitaires depuis une dizaine d’annĂ©es et adaptent l’entretien aux besoins de chaque surface. « Certaines zones sont tondues rĂ©guliĂšrement et agrĂ©mentĂ©es de fleurs tandis

que sur d’autres, nous favorisons la prairie. Nous laissons Ă©galement des zones refuges non fauchĂ©es durant une annĂ©e aïŹn de permettre Ă  la petite faune de se protĂ©ger en hiver. »

Dans la fonction qu’il occupe depuis 2015, les nouvelles technologies jouent un rĂŽle clĂ©.

GrĂące Ă  ces derniĂšres, HervĂ© Henry a créé un plan de gestion des arbres, qui sont dĂ©sormais rĂ©pertoriĂ©s sur des cartes interactives et disposent d’un Ă©quivalent du « dossier patient » dans des bases de donnĂ©es. Une digitalisation qui se nourrit de sa ïŹne connaissance du terrain : « Je connais chacun des 2000 arbres qui se trouvent sur nos surfaces ! » /

→ Champ d’action

Organiser les activités (entretien des espaces verts, balayage, vidange des poubelles, déneigement, etc.) des 11 collaborateurs·trices du Secteur jardins et voirie dans la Cité hospitaliÚre, Cery, Prangins, le CLE et Sylvana.

→ Signes distinctifs

En dehors du CHUV, HervĂ© Henry aime passer du temps avec son Ă©pouse et ses deux filles. Et s’il ne jardine plus Ă  l’hĂŽpital, il se rattrape Ă  la maison : « Mon mĂ©tier reste jardinier, c’est ma passion. »

BACKSTAGE

AFFICHAGE

Une Ă©tape importante de la conception d’In Vivo consiste Ă  afficher toutes les pages du numĂ©ro au mur. L’équipe de Large Network est ici accompagnĂ©e d’Émilie Mathys, journaliste au sein du Service de communication et

ILLUSTRATION

de crĂ©ation audiovisuelle du CHUV, qui s’est occupĂ©e pour cette Ă©dition de la rĂ©daction du dossier sur les abus sexuels envers les enfants.

Pour accompagner l’article sur la prise en charge des patient·e·s dans leur derniĂšre phase de vie (p. 52), l’illustratrice Ana Yael a explorĂ© plusieurs pistes.

JEANNE MARTEL

Photographe au Service de communication et de crĂ©ation audiovisuelle du CHUV, elle collabore rĂ©guliĂšrement avec Large Network pour In Vivo. Pour ce numĂ©ro, elle s’est rendue Ă  Fribourg et NeuchĂątel afin d’y rĂ©aliser trois portraits.

JEAN-CHRISTOPHE PIOT

CAROLE BERSET

En parallĂšle de ses Ă©tudes de philosophie, Carole Berset a Ă©tĂ© responsable de tous les contenus publiĂ©s sur le site francophone de l’association Philosophie.ch. Elle a rejoint l’équipe de Large Network en aoĂ»t 2022 en tant que journaliste et coordinatrice du portail PME du SECO. Pour In Vivo elle s’est intĂ©ressĂ©e au phĂ©nomĂšne de l’orthorexie.

DiplĂŽmĂ© en sciences politiques, Jean-Christophe Piot travaille comme journaliste pour plusieurs mĂ©dias en France et Suisse. Il aborde pour des sujets qui touchent souvent Ă  la mĂ©decine, Ă  l’économie et Ă  l’environnement. Pour ce numĂ©ro, il s’est intĂ©ressĂ© Ă  la molĂ©cule de la cocaĂŻne et aux champignons mycorhiziens.

IN VIVO

Une publication Ă©ditĂ©e par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse Large Network

www.invivomagazine.com

ÉDITION

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse

T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch redaction@invivomagazine.com

ÉDITEURS RESPONSABLES

Béatrice Schaad et Nicolas Demartines

DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE

Arnaud Demaison

REMERCIEMENTS

Service de communication et création audiovisuelle du CHUV

PARTENAIRE DE DISTRIBUTION

BioAlps

RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE

Large Network, www.largenetwork.com

T. + 41 22 919 19 19

RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean

DIRECTION DE PROJET

Carole Extermann

DESIGN

Large Network (Aurélien Barrelet, Sabrine Elias, Lena Erard)

RÉDACTION

Large Network (Yann Bernardinelli, Carole Berset, Julien Crevoisier, AndrĂ©e-Marie Dussault, Carole Extermann, Erik Freudenreich, Samuel Golly, Audrey Magat, Jean-Christophe Piot, StĂ©phanie de Roguin), Arnaud Demaison, Émilie Mathys

RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE

Sabrine Elias

COUVERTURE

Large Network, Aurélien Barrelet

IMAGES

CHUV (HeĂŻdi Diaz, Apichat Ganguillet, Jeanne Martel, Gilles Weber), Ana Yael

IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA

TIRAGE

15’000 exemplaires en français

Les propos tenus par les intervenant·e·s dans In Vivo et In Extenso n’engagent que les intĂ©ressé·e·s et en aucune maniĂšre l’éditeur.

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