Penser la santĂ© N° 27 â JUILLET 2023
ENFANTS VICTIMES DâAGRESSIONS SEXUELLES
COMMENT SORTIR DU SILENCE ?
PrĂšs dâun enfant sur cinq est victime dâabus sexuels, selon le Conseil de lâEurope.
INNOVATION De la paralysie Ă la marche grĂące Ă la pensĂ©e PANDĂMIES Les prĂ©venir en surveillant les eaux usĂ©es TOC Une pathologie taboue et sous-estimĂ©e
ĂditĂ© par le CHUV www.invivomagazine.com










«âUn magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs.â»
Swissnex, Brésil










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«âVos infographies sont gĂ©niales, faciles Ă comprendre et adaptĂ©es au public auquel jâenseigne.â»
Isabelle G., Lausanne








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SOMMAIRE
IN SITU
7 / HEALTH VALLEY
Jeux vidéo et sclérose en plaques
11 / SUR LA ROUTE
Un vaccin contre le cancer
FOCUS
17 / DOSSIER
Enfants victimes dâagressions sexuelles
PAR ĂMILIE MATHYS
MENS SANA
30 / INTERVIEW
Dina Bader
« La question de la mutilation gĂ©nitale fĂ©minine est extrĂȘmement taboue »
PAR CAROLE EXTERMANN
34 / DĂCRYPTAGE
Lâobsession de manger sainement
PAR CAROLE BERSET IN VIVO / N° 27 / JUILLET 2023

Dans le film «âFestenâ» (1998), le cinĂ©aste danois Thomas Vinterberg raconte lâexplosion dâun secret de famille liĂ© Ă lâinceste. Christian, lâun des personnages principaux de lâhistoire, rĂ©vĂšle la vĂ©ritable cause du dĂ©cĂšs de sa sĆur jumelleâ: elle sâest suicidĂ©e, car elle a Ă©tĂ© victime, comme lui, des abus sexuels de leur pĂšre tout au long de leur enfance. La construction du film balance entre lâidentification au personnage de Christian et au pĂšre, parasitant la capacitĂ© de comprendre oĂč se situe la vĂ©ritĂ© et qui croire. Finalement, le pĂšre reconnaĂźt les faits.
Le magazine In Vivo édité par le CHUV est vendu au prix de CHF 5.- en librairie et distribué gratuitement sur les différents sites du CHUV.


MENS SANA
37 / PROSPECTION
Retrouver la marche
PAR STĂPHANIE DE ROGUIN
40 / TENDANCE
Le syndrome du cĆur brisĂ©
PAR YANN BERNARDINELLI
43 / COULISSES
Les mĂ©thodes sophistiquĂ©es de lâantidopage
PAR ANDRĂE-MARIE DUSSAULT
CORPORE SANO
48 / INNOVATION
Les eaux usĂ©es comme systĂšme dâalerte
PAR ERIK FREUDENREICH
52 / TENDANCE
Aux limites de la vie, les soins palliatifs
PAR AUDREY MAGAT
56 / TABOU
Le TOC ou la maladie du doute
PAR CAROLE EXTERMANN
58 / DĂCRYPTAGE
Les surprenants effets secondaires des médicaments
PAR STĂPHANIE DE ROGUIN
62 / EN IMAGES
En simulation dâurgence
PAR AUDREY MAGAT
CURSUS
71 / ĂCLAIRAGE
Augmentation des violences envers le personnel du CHUV
PAR SIMON FARAUD
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ARNAUD DEMAISON
Responsable éditorial
CHATGPT NâA PAS ĂCRIT CE MESSAGE
Lâintelligence artificielle (IA) sâimmisce toujours plus dans des activitĂ©s considĂ©rĂ©es jusquâĂ prĂ©sent comme exclusivement humaines. En dĂ©but dâannĂ©e, ChatGPT faisait la une des mĂ©dias, Ă la fois louĂ© et craint pour ses prouesses rĂ©dactionnelles. Le gĂ©nĂ©rateur dâimages artificielles DeepFaceLab dĂ©fraye rĂ©guliĂšrement la chronique pour ses montages photographiques hyperrĂ©alistes, les «âdeep fakeâ». Le mois dernier, Google prĂ©sentait Med-PaLM 2, un outil dâIA mĂ©dicale de conseils et dâinformations pour les patient·e·s, capable dâinterprĂ©ter et de rĂ©pondre Ă des questions mĂ©dicales complexes. Plus la liste sâallonge, plus lâhumain se demande quelle plus-value il peut encore apporter au milieu de ce foisonnement technologique.
En mĂ©decine, lâIA est dĂ©jĂ partie prenante de la recherche et contribue Ă rĂ©aliser des exploits, comme celui de remettre sur pieds des paraplĂ©giques (p.â37) ou de freiner la progression dâune sclĂ©rose en plaques (p.â7). En intervenant dorĂ©navant au niveau du diagnostic, la machine fait mĂȘme un pas supplĂ©mentaire sur le terrain du·de la spĂ©cialiste. Peut-ĂȘtre est-elle dĂ©jĂ capable de diffĂ©rencier lâinfarctus du myocarde du syndrome du cĆur brisĂ© (p.â40)â? Mais face Ă un enfant qui montre des signes anormaux dâhyperactivitĂ©, de stress ou dâanxiĂ©tĂ©, saurait-elle se substituer aux yeux et aux oreilles de lâexpert·eâ?
Un logiciel ne peut fonctionner quâavec les informations quâon lui donne. Les mĂ©decins, pour leur part, travaillent aussi avec toute la complexitĂ©, les non-dits et lâimprĂ©visibilitĂ© des interactions humaines. Les agressions sexuelles sur mineur·e·s (p.â17) sont particuliĂšrement difficiles Ă dĂ©tecter Ă cause de lâomerta qui les entoure, alors quâelles entraĂźnent des consĂ©quences Ă long terme potentiellement mortelles. Un silence des proches et des victimes elles-mĂȘmes, soucieuses de prĂ©server le lien â familial, par exemple, en cas dâinceste â au dĂ©triment de leur santĂ©. Aussi puissante soit la nouvelle intelligence artificielle de Google, elle ne peut rĂ©pondre quâaux questions quâon lui pose. Pour le reste, il y a votre mĂ©decin. /
GrĂące Ă ses hĂŽpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spĂ©cialisent dans le domaine de la santĂ©, la Suisse romande excelle en matiĂšre dâinnovation mĂ©dicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourdâhui le surnom de «âHealth Valleyâ».
GrĂące Ă ses hĂŽpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spĂ©cialisent dans le domaine de la santĂ©, la Suisse romande excelle en matiĂšre dâinnovation mĂ©dicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourdâhui le surnom de «âHealth Valleyâ».
IN SITU
HEALTH VALLEY
GENĂVE P. 11
ActualitĂ© de lâinnovation mĂ©dicale en Suisse romande.
ActualitĂ© de lâinnovation mĂ©dicale en Suisse romande.
Lâhistoire du vaccin contre le cancer dĂ©veloppĂ© par lâentreprise Amal Therapeutics.
LAUSANNE P. 7
De nouvelles pistes sont explorées au CHUV pour lutter contre les symptÎmes liés à la sclérose en plaques.
NEUCHĂTEL P. 10
Loïc Posta gagne un prix à Taïwan pour son innovation en géothermie.
FRIBOURG P. 6
La start-up Neuria utilise les jeux vidéo pour entraßner les capacités cognitives.
START-UP
UNE MOLĂCULE
EN OR
La start-up genevoise Stalicla, spécialisée dans la médecine de précision pour soigner les troubles du développement neurologique et des troubles neuropsychiatriques, a racheté à Novartis la molécule Mavoglurant pour 270 millions de francs.
Le contrat conclu avec le géant bùlois devrait permettre à la start-up genevoise de développer de nouvelles thérapies contre les troubles neurodéveloppementaux.
CHIRURGIE VIRTUELLE
DĂ©velopper des simulateurs encore plus prĂ©cis pour la formation des jeunes chirurgien·ne·s, câest lâobjectif de Proficiencyâ: un consortium rĂ©unissant des partenaires comme lâHĂŽpital cantonal de Saint-Gall, le CHUV et la biotech genevoise ORamaVR Le projet a bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune enveloppe de 12 millions de francs de la part dâInnosuisse et dĂ©veloppe notamment des solutions basĂ©es sur la rĂ©alitĂ© augmentĂ©e.
ENTRAĂNEMENT COGNITIF
Neuria, une start-up active dans le domaine des neurosciences, de la psychologie et lâinformatique a remportĂ© le prix de lâinnovation 2022/23 pour les start-up du canton de Fribourg. Lâentreprise propose des systĂšmes dâentraĂźnements cognitifs sous forme de jeux sur smartphone.

« La santĂ© mentale est trop importante pour quâon y pense avec une calculette. »
STEPHAN WENGER
COPRĂSIDENT DE LA FĂDĂRATION SUISSE DES PSYCHOLOGUES, Ă PROPOS DU REFUS DE SANTĂSUISSE DE REMBOURSER LES THĂRAPIES PRODIGUĂES PAR DES PSYCHOLOGUES EN FORMATION, DANS «âCQFDâ» DE LA RTS DU 14 MARS 2023.
Câest le nombre de personnes en attente dâune transplantation dâorgane Ă lâĂ©chelle nationale au 31 dĂ©cembre 2022. La mĂȘme annĂ©e, seules 570 transplantations avaient eu lieu et 83 personnes sur liste dâattente sont dĂ©cĂ©dĂ©es. La situation a Ă©tĂ© qualifiĂ©e de «âcritiqueâ» par Franz Immer, le directeur de Swisstransplant, alors que la nouvelle loi sur le consentement prĂ©sumĂ© nâentre en vigueur quâen 2025.
Un pacemaker pour lutter contre les troubles érectiles
DISPOSITIF Un pacemaker dans le basventre, câest lâinvention de la start-up lausannoise Comphya. Le dispositif permet dâactiver le nerf responsable de lâĂ©rection, ce qui pourrait contribuer Ă amĂ©liorer la santĂ© sexuelle de prĂšs de 66 millions dâhommes rien quâaux Ătats-Unis et en Europe. Le spin-off de lâEPFL a rĂ©ussi Ă lever 5,1 millions de francs dans le cadre de ce projet et prĂ©voit dâobtenir la validation pour le marchĂ© amĂ©ricain dâici deux ans. Les autoritĂ©s sanitaires australiennes ont dâores et dĂ©jĂ donnĂ© leur aval aux essais cliniques.
UNE
PUCE
CONTRE LES MALADIES
NEUROLOGIQUES
DĂ©veloppĂ© par deux chercheur·euse·s de lâEPFL, la neuro-puce NeuralTree analyse les ondes neuronales pour dĂ©tecter les signes avant-coureurs dâun symptĂŽme liĂ© Ă des troubles neurologiques, tels que les crises dâĂ©pilepsie ou de Parkinson, et peut envoyer une impulsion Ă©lectrique pour les bloquer. EntraĂźnĂ© sur des donnĂ©es Ă©manant de personnes souffrant de Parkinson ou dâĂ©pilepsie et disposant dâune meilleure rĂ©solution que les modĂšles de puce neuronale existants, NeuralTree permet des analyses plus prĂ©cises et la dĂ©tection dâun plus grand nombre de troubles et de symptĂŽmes tout en consommant moins dâĂ©nergie.
Le jeu vidéo contre la sclérose en plaques
Des chercheurs du CHUV se penchent sur le potentiel du jeu vidéo pour lutter contre les troubles cognitifs liés à la sclérose en plaques. Les spécialistes développent un nouvel outil thérapeutique.
INNOVATION Lors de la premiĂšre phase de dĂ©veloppement de la sclĂ©rose en plaques âappelĂ©e « phase inflammatoire » â certain·e·s patient·e·s sont parfaitement Ă mĂȘme de marcher et de se tenir debout mais peuvent ressentir une fatigue rĂ©currente ou des troubles de la concentration. Pour lutter contre ces dĂ©ïŹciences cognitives, le professeur Arseny Sokolov, du Service de neuropsychologie et de neurorĂ©habilitation au CHUV, mise sur une technologie de jeu vidĂ©o, dâabord dĂ©veloppĂ©e par une Ă©quipe acadĂ©mique californienne, dans lâoptique dâattĂ©nuer la perte de capacitĂ©s cognitives liĂ©e au vieillissement du cerveau.
La mĂ©thode combine exercices cognitifs et physiques. La personne fait face Ă un Ă©cran gĂ©ant sur lequel ïŹgurent des cibles Ă atteindre, parfois au prix dâun effort physique. Le jeu se dĂ©roule sur plusieurs niveaux dans un univers inspirĂ© du monde maya riche et rĂ©aliste. Le dispositif est Ă©quipĂ© dâune camĂ©ra qui suit les mouvements de la personne pour dĂ©terminer si elle atteint la cible. « Nous cherchons Ă comprendre dans quelle mesure la stimulation de lâactivitĂ© cĂ©rĂ©brale par le jeu vidĂ©o permet dâattĂ©nuer les troubles cognitifs chez les personnes souffrant de sclĂ©rose en plaques », rĂ©sume Arseny Sokolov. Le jeu vidĂ©o permet aussi dâentretenir la motivation en sâadaptant en temps rĂ©el aux performances de la personne qui lâutilise.
Maladie auto-immune, la sclĂ©rose en plaques se produit lorsque les cellules de dĂ©fense immunitaire sâattaquent aux neurones. Les premiers symptĂŽmes, qui peuvent aller jusquâĂ des troubles de la marche, apparaissent dans la plupart des cas chez des individus entre 20 et 40 ans.
Les progrĂšs de la mĂ©decine permettent aujourdâhui de dĂ©celer la sclĂ©rose en plaques Ă un stade plus prĂ©coce quâauparavant.
TEXTEâ: JULIEN CREVOISIER


« GrĂące Ă lâIRM, on peut Ă©tablir un diagnostic dĂšs la premiĂšre apparition des symptĂŽmes », explique Renaud Du Pasquier, chef du Service de neurologie du CHUV. « Poser le diagnostic le plus tĂŽt possible est un facteur dĂ©cisif. » La sclĂ©rose en plaques recĂšle malheureusement encore bien des mystĂšres : ses causes nâont toujours pas Ă©tĂ© clairement Ă©lucidĂ©es et aucun traitement ne permet dâen guĂ©rir. Le seul moyen pour amĂ©liorer la qualitĂ© de vie des patient·e·s reste donc la lutte contre les symptĂŽmes.
Ce traitement comprend le plus souvent des médicaments qui permettent de retarder la progression de la maladie et des symptÎmes les plus handicapants. Pour les patient·e·s qui disposent encore des capacités physiques nécessaires, le recours au jeu vidéo constituerait donc un outil thérapeutique supplémentaire. Il permettrait notamment la réhabilitation de fonctions cognitives essentielles au quotidien.
« La neurorĂ©habilitation des patients atteints de troubles cognitifs liĂ©s Ă la sclĂ©rose en plaques est un domaine de recherche clinique et scientiïŹque relativement peu dĂ©veloppĂ© », constate Arseny Sokolov. « Son potentiel est pourtant bien rĂ©el : renforcement de la concentration, augmentation de la vitesse de traitement de lâinformation, amĂ©lioration de la mĂ©moire immĂ©diate et baisse de la fatigue. »
EN HAUTâ: ARSENY SOKOLOV, RESPONSABLE DE LâUNITĂ DE NEUROPSYCHOLOGIE AU CHUV
EN BASâ: REPRĂSENTATION EN 3D DE CELLULES NERVEUSES.
AprĂšs une premiĂšre phase conduite sur 12 patient·e·s au CHUV et des rĂ©sultats encourageants, la deuxiĂšme phase du projet pilote a Ă©tĂ© lancĂ©e en fĂ©vrier 2023 en collaboration avec lâHĂŽpital de lâĂle Ă Berne, la clinique de rĂ©habilitation de Valens (SG) et lâUniversitĂ© de GĂȘnes, en Italie. Ă terme, lâĂ©tude portera sur 192 patients. Le projet a reçu une enveloppe de 2 millions de francs du Fonds national suisse (FNS). /

3 QUESTIONS Ă

ROMAIN BARBEN ET EDONA BUGACKI
LE DUO SE MOBILISE AVEC LâANTENNE LAUSANNOISE DE LâASSOCIATION MARROW POUR SENSIBILISER LE PUBLIC AU DON DE CELLULES SOUCHES.
1 EN SUISSE, SEULE UNE PERSONNE SUR QUATRE PARVIENT Ă TROUVER
UN·E DONNEUR·EUSE DE CELLULES SOUCHES SANGUINES COMPATIBLES. LE PUBLIC MANQUE-T-IL DâINFORMATIONS Ă CE SUJETâ?
Les donneurs sont rares car les probabilitĂ©s de compatibilitĂ© sont trĂšs faibles. MĂȘme au sein du cercle familial, seuls 25% des demandeurs parviennent Ă trouver un donneur compatible. On se trouve donc dans une situation oĂč lâĂ©crasante majoritĂ© des gens qui souhaitent faire un don et qui sont enregistrĂ©es ne seront probablement jamais appelĂ©es, alors que dâautres potentiellement compatibles ne ïŹgurent pas dans le registre. Par ailleurs, certaines personnes peuvent sâavĂ©rer rĂ©ticentes face Ă la perspective dâune intervention assez lourde. Beaucoup ignorent en effet que 80% des dons sâeffectuent aujourdâhui par prĂ©lĂšvement sanguin, et plus par ablation de moelle osseuse.
2
POURQUOI LES PROFILS LES PLUS RECHERCHĂS POUR LE DON SONT-ILS
LES HOMMES JEUNESâ?
Il y a deux raisons principales Ă cela : dâabord, les gens de moins de 40 ans sont davantage recherchĂ©s
pour les dons de cellules souches sanguines parce quâils sont globalement en meilleure santĂ©. Ensuite, les hommes sont plus recherchĂ©s que les femmes car, lors de lâaccouchement, ces derniĂšres dĂ©veloppent souvent des anticorps qui rĂ©duisent considĂ©rablement la compatibilitĂ© de leur sang avec celui des demandeurs potentiels.
3
Une
Ă©tude tente dâĂ©valuer lâincidence de la pollution aux dioxines
POPULATION AprĂšs la dĂ©couverte en 2021 de la prĂ©sence de dioxines dans les sols lausannois, le conseiller dâĂtat vaudois Vassilis Venizelos, chargĂ© de lâenvironnement, sâĂ©tait voulu rassurant : les concentrations de dioxines sont trop faibles pour reprĂ©senter un quelconque risque pour la population. Toutefois, le Canton recommande, entre autres, de prĂ©venir lâingestion de terre
QUELS SONT LES ĂVĂNEMENTS PHARES DE LâASSOCIATION MARROW CETTE ANNĂEâ?
Nous avons organisĂ© une course contre la leucĂ©mie au stade Pierre de Coubertin, en avril dernier, notamment sponsorisĂ©e par les Services industriels de Lausanne et le canton de Vaud, ainsi quâun concert de bienfaisance au casino de Montbenon qui nous ont permis de rĂ©colter des fonds pour CRS Transfusion. Cet Ă©tĂ©, nous tiendrons un stand au PalĂ©o Festival qui nous permettra de promouvoir le don de cellules souches. Il est capital dâinformer le public, car, en cas de maladie sanguine grave, comme la leucĂ©mie, le don de cellules souches du sang peut sâavĂ©rer vital. /
notamment pour les enfants et de bien laver les lĂ©gumes cultivĂ©s sur place. La consommation dâĆufs et de poulets Ă©levĂ©s Ă mĂȘme les sols contaminĂ©s est Ă©galement Ă proscrire. Dans la foulĂ©e, lâOâce du mĂ©decin cantonal a commandĂ© une Ă©tude pour dĂ©terminer le taux de dioxines dans le sang de la population lausannoise comparĂ© au reste du canton. Les rĂ©sultats sont attendus mi-2024. Les dioxines sont des substances toxiques qui, Ă hautes doses, peuvent entre autres provoquer des cancers, des problĂšmes de reproduction et des dĂ©faillances du systĂšme immunitaire.
TRANSPLANTATION CARDIAQUE
La premiĂšre
greffe
du cĆur au CHUV a Ă©tĂ©
effectuĂ©e en 1987. Aujourdâhui, on fĂȘte sa 400e transplantation, soit une opĂ©ration consistant Ă remplacer un cĆur malade par un cĆur sain, prĂ©levĂ© sur une personne en mort cĂ©rĂ©brale.
AVANT
Avant de procĂ©der Ă une transplantation cardiaque, plusieurs options thĂ©rapeutiques, sâoffrent aux patient·e·sâ: dâabord, le suivi mĂ©dicamenteux et dans un second temps, la pose dâun dispositif dâassistance ventriculaire qui permet de conserver lâaptitude du cĆur Ă pomper. Lorsque celui-ci nâest plus capable dâeffectuer correctement le travail de pompe malgrĂ© les solutions temporaires de prĂ©servation de lâorgane, la transplantation cardiaque est indiquĂ©e. Actuellement, au CHUV, 18 personnes figurent sur la liste dâattente. Pour quâun cĆur soit compatible entre donneur et receveur, il est indispensable de respecter la compatibilitĂ© des groupes sanguins et de vĂ©rifier lâabsence dâanticorps chez le receveur qui pourraient interagir avec le cĆur du donneur. Une compatibilitĂ© en termes de sexe et de corpulence est Ă©galement souhaitable.
PENDANT
Lorsquâune personne est dĂ©clarĂ©e en Ă©tat de mort cĂ©rĂ©brale, son cĆur est arrĂȘtĂ©, prĂ©levĂ© et placĂ© dans la glace pour ĂȘtre transportĂ© et transplantĂ©. La greffe est coordonnĂ©e entre le centre hospitalier qui gĂšre le don et le centre qui le reçoit. Lâorganisation Swisstransplant organise ce dĂ©placement. Pendant une telle intervention, chaque seconde compte. La durĂ©e de conservation du cĆur Ă greffer est dâenviron quatre heures hors du corps.
APRĂS
Lorsquâil nây a pas de complications, la durĂ©e de lâhospitalisation est dâenviron trois semaines. Un suivi pluridisciplinaire est alors mis en place pour la revalidation des patient·e·s et pour prĂ©venir les risques de rejet. La durĂ©e de vie dâun cĆur greffĂ© est de douze Ă quatorze ans. Dans certains cas rares, des personnes subiront plusieurs transplantations au cours de leur vie. La famille de la personne qui a donnĂ© son organe a le droit, en tout temps, de demander des nouvelles.

La banque des excréments
MICROBIOTE Collecter des selles venues des quatre coins du monde pour les stocker en Suisse, câest le projet de Microbiota Vault, auquel participe notamment lâUniversitĂ© de Lausanne. Lâobjectif est de conserver des Ă©chantillons du microbiote, cette flore intestinale composĂ©e de milliers de milliards de micro-organismes. Le microbiote est en phase dâappauvrissement depuis quelques annĂ©es dans les pays industrialisĂ©s. Les spĂ©cialistes estiment que cette perte de microbiodiversitĂ© pourrait avoir un lien avec la montĂ©e en flĂšche de certaines maladies, comme lâasthme ou le diabĂšte, dans nos sociĂ©tĂ©s. Ce projet de conservation promet donc de constituer une aide prĂ©cieuse pour la recherche ces prochaines annĂ©es.

3 QUESTIONS Ă
CHANTAL CAVIN
LâANCIENNE PARANAGEUSE BERNOISE, MĂDAILLE DâOR EN 2006, A TESTĂ LE BONNET DE BAIN EYECAP IMAGINĂ PAR QUATRE ĂTUDIANTS DE LA HEG GENĂVE.
1 COMMENT PRĂVIENT-ON LES RISQUES DE COLLISION LORS DE LA NATATION EN BASSINâ?
En paranatation, les nageurs malvoyants ou non voyants sont guidĂ©s par la prĂ©sence dâun « tapper », sorte de ballon suspendu au-dessus de lâeau Ă chaque extrĂ©mitĂ© du bassin. Lorsque lâathlĂšte parvient Ă la ïŹn du bassin, sa tĂȘte ou son Ă©paule viendra toucher le « tapper », lui signalant quâil faut faire demi-tour ou sâarrĂȘter.
2 COMMENT FONCTIONNE LE BONNET DE BAIN CONNECTĂ EYECAPâ?
DĂšs que lâon sâapproche trop du bord de la piscine, le bonnet Eyecap Ă©met une vibration. Ce systĂšme peut ĂȘtre utilisĂ© de maniĂšre autonome par chaque nageur et remplace le « tapper » Ă lâentraĂźnement. Lors des compĂ©titions, le « tapper » est cependant toujours obligatoire et ne peut pas encore ĂȘtre remplacĂ© par les bonnets Eyecap.
3 VOUS SENTEZ-VOUS PLUS Ă LâAISE AVEC CETTE TECHNOLOGIEâ?
Eyecap permet aux personnes atteintes de handicap visuel de sâentraĂźner de maniĂšre autonome et sĂ©curisĂ©e. Câest un grand pas en avant vers lâautonomisation des athlĂštes actifs dans la paranatation, mais aussi pour les personnes malvoyantes ou non voyantes qui pratiquent la natation dans le cadre de leurs loisirs. /
Un jeune NeuchĂątelois
remporte un prix scientiïŹque Ă TaĂŻwan
CONCOURS Ă 18 ans, LoĂŻc Posta a reprĂ©sentĂ© la Suisse Ă la Foire scientiïŹque internationale de TaĂŻwan (TISF) qui sâest tenue du 5 au 10 fĂ©vrier dernier et qui cherche Ă promouvoir les inventions des moins de 20 ans. LoĂŻc Posta a prĂ©sentĂ© son systĂšme de mesures de la tempĂ©rature par ïŹbre optique qui est utilisĂ© dans le cadre de forages gĂ©othermiques. Le dispositif a notamment dĂ©jĂ Ă©tĂ© mis Ă lâĂ©preuve lors dâune Ă©valuation gĂ©ologique dâun projet de forage aquifĂšre Ă Concise (VD). Ă TaĂŻwan, son invention lui a valu le premier prix dans la catĂ©gorie « sciences de la terre et de lâenvironnement ».
Recherche biomédicale, la relÚve
SOLUTION La fondation lausannoise Leenaards a dĂ©cernĂ© son prix pour la recherche biomĂ©dicale translationnelle 2023 Ă trois projets menĂ©s par des Ă©quipes lĂ©maniques : le premier entend dĂ©couvrir comment traiter les infections bactĂ©riennes rĂ©fractaires aux antibiotiques grĂące Ă du sucre, le deuxiĂšme ambitionne de lutter contre les symptĂŽmes de la schizophrĂ©nie en stimulant le cervelet, et le troisiĂšme se penche sur les causes des maladies cardiovasculaires chez les personnes qui ne sont pas considĂ©rĂ©es comme Ă©tant Ă risque. Le prix Leenaards sâĂ©lĂšve Ă 1,5 million de francs rĂ©partis entre les trois laurĂ©ats.
Forte consommation dâe-cigarettes chez les jeunes
FUMĂE Selon une Ă©tude de Promotion santĂ© Valais et UnisantĂ© menĂ©e auprĂšs de quelque 1400 jeunes de 14 Ă 25 ans en aoĂ»t 2022, 12% consomment des e-cigarettes jetables (ou « puffs ») de façon frĂ©quente, câest-Ă -dire au moins une fois durant plus de 10 jours au cours du dernier mois. Par ailleurs, 59% des personnes interrogĂ©es en auraient consommĂ© au moins une fois. UnisantĂ© et Promotion santĂ© Valais estiment que lâaccĂšs Ă ces produits, gĂ©nĂ©ralement consommĂ©s dans un cadre festif ou Ă domicile, devrait ĂȘtre davantage contrĂŽlĂ©. Le risque de dĂ©pendance est en effet Ă©levĂ©, dâautant quâun jeune sur cinq indique avoir consommĂ© des « puffs » dont la teneur en nicotine dĂ©passait la norme lĂ©gale (20 mg/ml).
AMAL THERAPEUTICS
GENĂVE SUR LA ROUTE Ă la rencontre des acteurs et actrices de la Health Valley. Nouvelle Ă©tapeâ: GenĂšve.
Un vaccin contre le cancer
La biotech Amal Therapeutics développe un vaccin thérapeutique qui agit sur les cellules tumorales.
TEXTEâ: SAMUEL GOLLY
Les vaccins sont bien connus comme moyen de prĂ©vention, mais ils peuvent aussi ĂȘtre utilisĂ©s pour la guĂ©rison. Lâobjectif de ces vaccins thĂ©rapeutiques, proches de lâimmunothĂ©rapie, est de stimuler le systĂšme immunitaire pour lui apprendre Ă reconnaĂźtre et Ă Ă©liminer les cellules responsables de la maladie, ici, les cellules tumorales.
Lâinnovation de la start-up genevoise Amal Therapeutics : une plateforme vaccinale brevetĂ©e qui a permis Ă la fondatrice Madiha Derouazi et Ă lâimmunologue Ălodie Belnoue de recevoir le Prix de lâinventeur europĂ©en en 2022. Par « plateforme vaccinale », on dĂ©signe une stratĂ©gie vaccinale adaptable Ă plusieurs maladies, en lâoccurrence diffĂ©rents types de cancer. BaptisĂ©e Kisima, cette plateforme se prĂ©sente comme une protĂ©ine composĂ©e de trois Ă©lĂ©ments : un peptide permettant au vaccin de pĂ©nĂ©trer les cellules responsables du dĂ©clenchement des rĂ©ponses immunitaires, un autre qui joue le rĂŽle
dâadjuvant, et enïŹn un module portant plusieurs antigĂšnes similaires Ă ceux des cellules tumorales Ă cibler.
La plateforme permet donc de dĂ©velopper des vaccins thĂ©rapeutiques puissants et polyvalents contre le cancer, une nouveautĂ©. Kisima se distingue des gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes par la stimulation de deux types de lymphocytes, actifs dans les rĂ©actions immunitaires. « Les lymphocytes dits âč aidants âș soutiennent les lymphocytes âč tueurs âș dans la reconnaissance et lâĂ©limination des cellules tumorales, explique lâimmunologue Ălodie Belnoue. Les lymphocytes âč aidants âș jouent aussi un rĂŽle important pour la mĂ©moire immunitaire. » Spin-off de lâUniversitĂ© de GenĂšve et des HUG, Amal Therapeutics, fondĂ©e en 2012, a Ă©tĂ© rachetĂ©e en 2019 par le groupe allemand Boehringer Ingelheim. La start-up conduit actuellement des essais cliniques auprĂšs de personnes atteintes de cancers colorectaux. /
«âDOLLYâ» OU LE RAPPEL AU MONDE SCIENTIFIQUE DE SES RESPONSABILITĂS
TEXTEâ:
BENO Ă T DUBUIS
FĂ©vrier 1997, il y a un peu plus de vingt-cinq ans, une Ă©quipe scientiïŹque dirigĂ©e par le professeur Ian Wilmut du Roslin Institute prĂ©sentait au monde Dolly, la brebis clonĂ©e. Un exploit que de nombreux scientiïŹques croyaient impossible et qui agita le monde entier.
Pourtant, Dolly nâĂ©tait pas la premiĂšre. En rĂ©alitĂ©, les premiers clonages rĂ©ussis, de grenouilles et de poissons, ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s dans les annĂ©es 1950 et 1960. Et Dolly nâĂ©tait mĂȘme pas le premier mammifĂšre clonĂ©. Alors pourquoi la naissance de Dolly a-t-elle suscitĂ© un tel engouement ?
Comme nous le rappelle le site de lâinstitut Roslin, elle fut le premier mammifĂšre clonĂ© Ă partir dâune cellule adulte. Le processus, appelĂ© transfert nuclĂ©aire de cellules somatiques, consiste Ă retirer le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique dâun ovule, puis Ă le remplacer par le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique dâun autre animal.
Dolly a Ă©tĂ© clonĂ©e en utilisant le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique dâune cellule de la glande mammaire dâune brebis de la race Finn Dorset ĂągĂ©e de 6 ans, implantĂ© dans un ovule dâune brebis Scottish Blackface.
Lorsquâelle est nĂ©e le 5 juillet 1996, Dolly avait le visage blanc dâune brebis Finn Dorset, et non le visage noir de sa mĂšre porteuse, ce qui prouve quâelle Ă©tait bien un clone. Comme lâADN de Dolly provenait dâune cellule de la glande mammaire, lâĂ©quipe de recherche lui a donnĂ© le nom de Dolly Parton.
Parmi les implications largement dĂ©battues, ïŹguraient dâabord le fait quâil serait possible de prendre une culture cellulaire, par exemple dâune vache, dâun poulet ou dâun mouton, et de produire des dizaines, des centaines, des milliers, voire des millions de copies prĂ©cises, mais aussi, surtout, la perspective effrayante quâon pourrait utiliser des cellules humaines pour crĂ©er une armĂ©e de clones.

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Les dĂ©bats pour et contre le clonage se poursuivent aujourdâhui encore, mĂȘme si le type de clonage utilisĂ© pour crĂ©er Dolly a pratiquement disparu. Il sâest avĂ©rĂ© que le transfert nuclĂ©aire de cellules somatiques avait un faible taux de rĂ©ussite. Dolly est le seul animal nĂ© de 277 embryons clonĂ©s, et des annĂ©es de recherche nâont pas permis dâamĂ©liorer le pourcentage de clones viables. Entre-temps, une meilleure mĂ©thode a Ă©tĂ© mise au point : les cellules souches pluripotentes induites, ou iPSC.
Dolly allait mourir six ans plus tard. Câest environ la moitiĂ© de la durĂ©e de vie habituelle dâun mouton. Lorsque Dolly a eu 1 an, lâĂ©quipe de lâInstitut a analysĂ© son ADN et dĂ©couvert que ses tĂ©lomĂšres, les « capuchons » situĂ©s Ă lâextrĂ©mitĂ© des chromosomes, Ă©taient plus courts quâils nâauraient dĂ» lâĂȘtre pour un mouton de cet Ăąge. Lorsque Dolly est morte, il a Ă©tĂ© largement admis que ses tĂ©lomĂšres courts Ă©taient le rĂ©sultat du clonage et au moins partiellement responsables de sa mort prĂ©coce.
Cependant, un rapport du Roslin Institute semble indiquer que « les examens de santĂ© approfondis auxquels Dolly a Ă©tĂ© soumise Ă lâĂ©poque nâont rĂ©vĂ©lĂ© aucune affection pouvant ĂȘtre directement liĂ©e Ă un vieillissement prĂ©maturĂ© ou accĂ©lĂ©rĂ© ». Et les Ă©tudes futures sur les animaux clonĂ©s ont rĂ©vĂ©lĂ© des tĂ©lomĂšres plus courts, plus longs et normaux. Il est donc diâcile de prouver que la mort prĂ©coce de Dolly Ă©tait directement liĂ©e au clonage.
Nul doute que Dolly a marquĂ© les esprits. Elle restera le tĂ©moignage dâune science qui progresse, mais Ă©galement le rappel au monde scientiïŹque de ses responsabilitĂ©s. /
POST-SCRIPTUM
LA SUITE DES ARTICLES Dâ IN VIVO
IN VITRO
Infertilité, quand la science crée la vie
Dans le monde, une personne sur six est touchĂ©e par lâinfertilitĂ©, a annoncĂ© lâOMS en avril dernier. Lâorganisation y voit un problĂšme de santĂ© majeur puisque lâincapacitĂ© Ă procrĂ©er engendre des problĂšmes dâanxiĂ©tĂ©, de la dĂ©pression et augmente le risque de violences conjugales. En Suisse, ce phĂ©nomĂšne se lit aussi par lâaugmentation du recours Ă la fĂ©condation in vitro. En 2021, 6900 personnes ont utilisĂ© Ă cette mĂ©thode pour concevoir un enfant, ce qui reprĂ©sente 11% de plus que lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, dâaprĂšs lâOâce fĂ©dĂ©ral de la statistique. /
VIH
Prévenir le sida comme on le traite
Pour les femmes atteintes du sida, le risque de transmettre la maladie en allaitant son enfant est extrĂȘmement faible, conïŹrme une Ă©tude menĂ©e dans les hĂŽpitaux suisses. Si la mĂšre est suivie et traitĂ©e, elle peut donc allaiter sans exposer son bĂ©bĂ© Ă la maladie. Un changement de pratique, puisque, jusquâĂ prĂ©sent, bien que le risque de contamination du virus durant la grossesse Ă©tait Ă©cartĂ©, lâallaitement Ă©tait dĂ©conseillĂ©. /

CERVEAU
les dĂ©fis du quatriĂšme Ăąge Ăcouter de la musique ou en pratiquer freine le dĂ©clin du cerveau. Câest la conclusion dâune Ă©tude menĂ©e auprĂšs de 132 seniors, entre 62 et 78 ans, par lâUnige, la Haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e de Suisse occidentale et lâEPFL. Les personnes participantes ont, pour une partie dâentre elles, suivi des cours de piano de façon hebdomadaire, tandis quâune autre partie a reçu des cours portĂ©s sur la reconnaissance des instruments de musique et lâanalyse de la structure dâĆuvres. GrĂące Ă la neuro-imagerie, les spĂ©cialistes ont pu observer une augmentation de la matiĂšre grise dans quatre rĂ©gions du cerveau liĂ©es Ă la cognition. / IV n° 17 p.â19
HyperlongĂ©vitĂ©â:
SUPERBACTĂRIES
Les bactĂ©ries, nos meilleures ennemies Un microscope optique et une camĂ©ra de tĂ©lĂ©phone portable, câest tout ce que nĂ©cessite la nouvelle mĂ©thode dâantibiogramme dĂ©veloppĂ©e par des scientiïŹques de lâEPFL et de la Vrije Universiteit de Bruxelles. Le dispositif permet de mesurer la rĂ©sistance bactĂ©rienne pour pouvoir administrer un antibiotique adaptĂ©. Un enjeu capital puisque la rĂ©sistance aux antibiotiques est une cause de dĂ©cĂšs majeure. En 2019, on comptait par exemple 1,27 million de dĂ©cĂšs dans le monde pour cette raison. /

DES
MICROPLASTIQUES JUSQUE
DANS LE CORPS HUMAIN
Ă Paris, des nĂ©gociations internationales se sont tenues en mai dernier dans le but dâĂ©tablir un traitĂ© contre la pollution plastique au niveau mondial. En augmentation constante, la production de plastique a doublĂ© ces vingt derniĂšres annĂ©es. Et en Suisse, ce sont plus de 14â000 tonnes de plastique qui sont rejetĂ©es dans les sols chaque annĂ©e.
ParticuliĂšrement prĂ©occupants, les microplastiques (paillettes dâune taille infĂ©rieure Ă 5âmm provenant de la fragmentation dâemballages ou dâobjets en plastique) se retrouvent partout, y compris dans le corps humain. Chaque individu en absorbe environ 5 grammes par semaine, soit lâĂ©quivalent dâune carte de crĂ©dit, selon une Ă©tude australienne de 2019. Une absorption dont les consĂ©quences sont encore peu explorĂ©es. Cependant, les scientifiques redoutent les potentiels effets inflammatoires de ces microplastiques qui se retrouvent dans les tissus pulmonaires, les bronches ou mĂȘme le sang.
Ci-contre, des militant·e·s Ă©cologistes prĂ©lĂšvent des Ă©chantillons dâeau dans la rĂ©gion dâAceh, en IndonĂ©sie, oĂč de nombreuses riviĂšres ont Ă©tĂ© contaminĂ©es par des microplastiques qui se dĂ©tachent des vĂȘtements pendant la lessive.
PHOTOâ: HOTLI SIMANJUNTAK/EPA/KEYSTONE


ENFANTS VICTIMES DâAGRE SSIONS SEXUELLES
COMMENT SORTIR DU SILENCEâ?
ĂMILIE MATHYS
JEANNE MARTEL
Aucune classe sociale, aucun milieu nâest Ă©pargnĂ©. Les violences sexuelles qui frappent les personnes mineures sont omniprĂ©sentes. On estime quâun enfant sur cinq subit une agression de ce type. Lâinceste, quant Ă lui, concernerait un enfant sur dix. Des chiffres effrayants et pourtant sous-estimĂ©s, selon les spĂ©cialistes. PrĂ©sentation d'un enjeu de santĂ© publique de grande ampleur.
Cousine, petite-fille, meilleur ami, voisine, collĂšgue⊠Nous cĂŽtoyons, pour la plupart dâentre nous Ă notre insu, une personne qui a Ă©tĂ© abusĂ©e sexuellement dans son enfance. Nous avons aussi entendu les histoires dâun pĂšre qui se rend trop souvent dans la chambre Ă coucher de sa fille lorsque le reste de la famille dort ou dâun adolescent qui harcĂšle sa cousine sous couvert de «âjeux dâenfantsâ». Nous connaissons ces personnes, parfois, sans avoir conscience de leur vĂ©cu, ou en lâoccultantâ: il est souvent plus facile de dĂ©tourner le regard que de se confronter Ă la rĂ©alitĂ© de ces agressions. Si la parole se libĂšre autour des violences sexuelles depuis le mouvement #MeToo, le tabou qui pĂšse sur les abus sexuels â en particulier les actes incestueux â dont sont victimes les enfants est puissant, paralysant.
PrĂšs dâun enfant sur cinq est victime de violences sexuelles, selon le Conseil de lâEurope, la principale organisation de dĂ©fense des droits humains en Europe. Attouchements, exhibitionnisme, viol, harcĂšlement et agressions ou encore exploitation sous forme de prostitution, le spectre est large et recouvre toutes les strates de la sociĂ©tĂ©. En Europe et en AmĂ©rique du Nord, lâinceste, soit des relations sexuelles entre personnes partageant un lien de sang, concernerait un enfant sur dix. Pour la Suisse, une Ă©tude de 2019 de la RTS faisait Ă©tat dâenviron 350 enfants victimes dâinceste par annĂ©e. Une tendance stable, mais «âdes chiffres qui ne rĂ©vĂšlent toutefois que la pointe de lâicebergâ», prĂ©cise lâarticle. En effet, il nâexiste actuellement en Suisse aucune enquĂȘte institutionnelle sur lâinceste. La proportion de mĂšres abusives serait Ă©galement sous-Ă©valuĂ©e, mĂȘme si, comme pour les autres types de violences sexuelles, 94% des agresseur·e·s sont des hommes, dont environ un quart de mineur·e·s au moment des faits.
«âLes abus sexuels sur les mineur·e·s sont une problĂ©matique frĂ©quente et sont vraisemblablement sous-estimĂ©sâ», confirme Francesca Hoegger, pĂ©diatre et cheffe de clinique au CAN Team, une unitĂ© du CHUV qui offre un soutien aux professionnel·le·s dans la dĂ©tection et lâĂ©valuation des situations de maltraitance chez les mineur·e·s. VulnĂ©rables et influençables, les enfants sont des cibles faciles. «âLa notion de sexualitĂ© chez les plus jeunes nâa pas la mĂȘme signification que pour un adulte. Et un abus sexuel peut ĂȘtre fait sans violence.
CHIFFRES
Entre
70% et 85%
des enfants connaissent leur agresseur·e /
Environ un tiers
des enfants victimes dâabus nâen parlent Ă personne
UN ENFANT SUR CINQ VICTIME
DâABUS SEXUELS
Cette estimation formulĂ©e par le Conseil de lâEurope est issue de la combinaison de plusieurs Ă©tudes et des statistiques publiĂ©es par lâUnicef, lâOrganisation internationale du travail ou encore lâOrganisation mondiale de la santĂ©. Ce chiffre tient Ă©galement compte du sous-signalement dont les abus sexuels font souvent lâobjet.
Sourceâ: LibĂ©ration, «âDâoĂč vient lâestimation selon laquelle un enfant sur cinq a Ă©tĂ© victime de violences sexuellesâ?â», 09.11.2021
Nombre de personnes ne se souviennent pas de ce qui leur est arrivĂ© ou le conscientisent tardivement comme telâ», poursuit Francesca Hoegger. A fortiori, lorsque des enfants en situation de handicap sont concerné·e·sâ: une population Ă risque Ă©levĂ© dâabus, et qui peut Ă©prouver des difficultĂ©s dâexpression et de la comprĂ©hension de tel ou tel geste, donnĂ© dans le cadre des soins, par exemple. La parole est dâautant plus prĂ©cieuse quâun examen clinique de la sphĂšre gĂ©nitale nâapportera pas toujours de preuves, souligne la pĂ©diatre du CHUV. «âNous trouvons des lĂ©sions dans 30% seulement des cas dâabus avec contact physique. Câest la raison pour laquelle les propos spontanĂ©s dâun enfant sont souvent les plus pertinents.â»
Le phĂ©nomĂšne de «âdissociationâ», Ă©galement liĂ© Ă dâautres types de traumas, est lâune des clĂ©s pour comprendre lâ«âamnĂ©sie traumatiqueâ» dont sont frappĂ©es beaucoup de ces victimes dâabus sexuels privĂ©es de parole. Cette rĂ©action physiologique de
survie se produit lorsque la violence est insupportable (pouvant mener jusquâĂ une «âmort de stressâ»), paralysant les fonctions mentales supĂ©rieures et rendant complĂštement inaccessible la rĂ©ponse Ă©motionnelle. La personne a lâimpression dâĂȘtre «âĂ cĂŽté⻠ou «âau-dessus de son corpsâ». Son pendant, appelĂ© mĂ©moire traumatique, peut quant Ă lui faire ressurgir Ă tout moment des souvenirs enfouis dans le subconscient. Les agressions reviennent frĂ©quemment sous forme de flash-back, Ă lâĂąge adulte, dĂ©clenchĂ©s par une odeur, un lieu, une couleur, et rĂ©activant les traumas passĂ©s. En plus de ces rĂ©actions physiologiques, il faut Ă©galement prendre en compte le contexte hiĂ©rarchique et relationnel dans lequel sâinscrivent ces abus et qui complique dâautant la libĂ©ration de la paroleâ: entre 70% et 85% des enfants connaissent leur agresseur·e.
INCESTE, SILENCE ET DĂNI
«âLa famille reprĂ©sente la principale sphĂšre oĂč sâexercent les abus sexuels et les violences. Lâinceste sâinscrit souvent dans une relation privilĂ©giĂ©e entre un adulte abuseur et un enfantâ», rappelle Alessandra Duc Marwood, psychiatre et mĂ©decin adjointe du Centre les BorĂ©ales, une structure créée en 2010 et dĂ©diĂ©e aux violences intrafamiliales. «âLes enfants sont victimes de violences par les figures qui reprĂ©sentent la protection et la sĂ©curitĂ©, entraĂźnant une confusion par rapport Ă la personne censĂ©e protĂ©ger et prodiguer de lâamour, mais qui, dans le mĂȘme temps, devient celle qui fait du mal. On apprend les rĂšgles relationnelles au sein de sa famille, comment savoir ce qui est normal ou nonâ?â» dĂ©taille la psychiatre. Un point Ă©galement soulignĂ© par la journaliste française Charlotte Pudlowski dans son enquĂȘte minutieuse se basant sur un vĂ©cu familial, «âOu peut-ĂȘtre une nuit âIncesteâ: la guerre du silence1â». «âOn ne se rĂ©volte pas contre ceux que lâon aime. Câest ce qui fait de lâinceste une arme de domination si puissante.â»
Le silence qui pĂšse sur de jeunes victimes pĂ©tries de honte et de culpabilitĂ© est dâautant plus lourd que rĂ©vĂ©ler au grand jour des abus commis par un·e proche Ă©quivaut Ă menacer la tranquillitĂ© du «âcoconâ» familial. «âDans les familles oĂč il y a des actes incestueux, la parole est plus punissable que les actesâ», assure Alessandra Duc Marwood. Toujours dans son essai, Charlotte Pudlowski noteâ: «âPlus lâamour est prĂ©sent, le respect, le sentiment dâĂȘtre redevable et dĂ©pendant, plus le risque est grand
Abus sexuel
Interaction de nature sexuelle inappropriĂ©e Ă lâĂąge et au niveau du dĂ©veloppement psycho-sexuel de lâenfant ainsi quâĂ son statut dans la sociĂ©tĂ©.
Agressions sexuelles
Renvoient Ă une attaque â soudaine et brutale â portant une atteinte physique et/ou psychique Ă quelquâun.
Violences sexuelles
Elles sâinscrivent dans le cadre de la maltraitance infantile. Elles incluent les contacts physiques directs et les actes, qui se dĂ©roulent Ă travers une interaction visuelle, verbale ou psychologique.
Dissociation
PhĂ©nomĂšne de dĂ©connexion involontaire des Ă©motions afin de se dĂ©tacher de la souffrance. Impression dâabsence de soi au moment des violences.
ESPT
Ătat de stress post-traumatique.
RĂ©action psychologique rĂ©sultant dâune situation durant laquelle lâintĂ©gritĂ© physique et/ou psychologique de la personne a Ă©tĂ© menacĂ©e et/ou atteinte. Peut sâexprimer par exemple sous la forme dâhypervigilance et de flash-back.
Mémoire traumatique
ConsĂ©quence psychotraumatique des violences. Se traduit par des flash-back, des illusions sensorielles, des cauchemars qui font revivre le traumatisme, avec la mĂȘme dĂ©tresse, les mĂȘmes rĂ©actions physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vĂ©cues lors des violences.
Résilience
La capacitĂ© Ă rĂ©ussir Ă vivre et Ă se dĂ©velopper positivement, de maniĂšre socialement acceptable, en dĂ©pit du stress ou dâune Ă©preuve nĂ©gative.
de faire exploser son socle, ses proches, sa famille et plus la rĂ©volte semble impossible, la dĂ©nonciation ingĂ©rable, ou pas tout de suite, ou tard, ou au prix de lâexclusion du foyerâ». Ce mur, Marjorie, 34 ans, abusĂ©e par son cousin de ses 4 Ă 10 ans, y a fait faceâ: «âIl me faisait taire en me rĂ©pĂ©tant que câĂ©tait sale et que si je racontais ce secret, tout le monde penserait que jâĂ©tais sale, moi aussi. Jâai, une fois, essayĂ© dâen parler Ă ma grand-mĂšre, mais celle-ci nâa pas rĂ©agi.â» Le dĂ©ni des conjoint·e·s et des proches est monnaie courante dans les affaires dâinceste. Ils ou elles en viennent mĂȘme souvent jusquâĂ prendre le parti de lâauteur·e, observe la psychiatre. Un dĂ©saveu quâa vĂ©cu Heidi avec sa mĂšre, lorsque celle-ci a appris que son mari avait abusĂ© de sa fille pendant des annĂ©es. «âElle sâest dâabord montrĂ©e dĂ©solĂ©e, puis mâen a voulu, mâaccusant dâavoir sciemment sĂ©duit mon beau-pĂšreâ», raconte lâĂ©tudiante de 22 ans qui a depuis coupĂ© les liens.
Ce dĂ©ni, on le retrouve aussi frĂ©quemment du cĂŽtĂ© des agresseur·e·s, observe Alessandra Duc Marwood. «âBeaucoup dâauteur·e·s de violences avouent les faits mais rejettent toute responsabilitĂ©. Nous devons leur rappeler quâun·e enfant nâest jamais consentant ou demandeur de faveurs sexuelles.â» Tout un travail est alors effectuĂ© avec la personne auteure de violences autour de la reconnaissance des faits, dâun rappel de la loi et, surtout, dâune prise de conscience de lâimpact dâun inceste.
UN ENJEU DE SANTĂ PUBLIQUE
Si le nombre de violences sexuelles sur personnes mineures reste sousĂ©valuĂ©, leurs rĂ©percussions sur lâĂ©tat de santĂ© de la population sont, elles, bien tangibles. Une Ă©tude Ă©tasunienne1 datant de 2018 estime lâimpact Ă©conomique annuel des abus sexuels sur les enfants Ă plus de 9 milliards de dollars pour le pays. Un montant qui comprend les coĂ»ts des soins de santĂ©, de la protection de lâenfance, de lâĂ©ducation spĂ©cialisĂ©e, de la violence et de la criminalitĂ©, du suicide et de la perte de productivitĂ© des personnes abusĂ©es. «âNous ne sommes pas Ă©gaux face aux risques ou Ă la rĂ©silience. Mais on sait quâavoir vĂ©cu des violences ou des abus prĂ©tĂ©rite lâavenirâ», relĂšve Alessandra Duc Marwood. Dâautant plus si les facteurs de risques se cumulent (isolement social, maladie, prĂ©caritĂ©, etc.).
1 «âOne Yearâs Losses for Child Sexual Abuse in U.S. Top $9 Billion, New Study Suggestsâ» | Johns Hopkins | Bloomberg School of Public Health (jhu.edu)

«âJE
NE VOULAIS PAS

dissociation1, mais, avec les annĂ©es, le poids de ce qui mâĂ©tait arrivĂ© pesait de plus en plus lourd. Puis la crise du Covid-19 a Ă©clatĂ© et moi avec. CâĂ©tait trop, jâavais une boule de haine en moi, jâen voulais Ă tout le monde. Mon copain de lâĂ©poque â la premiĂšre personne qui a su mâĂ©couter â mâa alors poussĂ©e Ă en parler Ă mon frĂšre, dont jâĂ©tais trĂšs proche. Il mâa crue, ça a Ă©tĂ© un Ă©norme soulagement.
ĂTRE CELLE QUI DĂTRUIT
LA FAMILLEâ»
Mais il pouvait aussi se montrer trĂšs manipulateur, pleurait, menaçait de se suicider si je le dĂ©nonçais. Je ressentais beaucoup de pression. Surtout, parce que je ne voulais pas ĂȘtre celle qui dĂ©truit la famille.
La premiĂšre fois que jâai mentionnĂ© avoir Ă©tĂ© victime dâinceste, câĂ©tait le ans, Ă deux amies. Elles Ă©taient choquĂ©es et nâont pas su quoi rĂ©pondre. Je ne leur en veux pas, mais je me suis sentie bĂȘte et honteuse. Je me suis alors Ă nouveau tue. Jâai longtemps Ă©tĂ© en
Avec son aide, jâai alertĂ© une partie de ma famille. Tout le monde Ă©tait sous le choc. Je me suis sentie soulagĂ©e, mais en mĂȘme temps trĂšs seuleâ: beaucoup dâadultes sâen doutaient mais nâont rien fait. Aujourdâhui, tout le monde sâen veut. Jâai portĂ© plainte trois jours aprĂšs ces rĂ©vĂ©lations, en mai 2020, sur conseil de mon pĂšre. Ma mĂšre, qui en tant quâancienne conjointe Ă©tait suspecte, a appris par la police que mon beau-pĂšre avait abusĂ© de moi. Je suis toujours dans lâattente du procĂšs qui ne cesse dâĂȘtre repoussĂ©ÂČ et, pendant ce temps, mĂȘme sâil nâa plus le droit de voir mon demi-frĂšre, mon agresseur est en libertĂ©. La justice nâen fait pas assez pour les victimes, on devrait ĂȘtre soutenues davantage.
Si jâai acceptĂ© de tĂ©moigner, câest pour montrer que les victimes nâont pas de visage particulier. Personne nâest Ă lâabri, on connaĂźt toutes et tous quelquâun dans son entourage qui a subi des abus. Et câest important de sentir quâon nâest pas seul·e. Jâai fondĂ© lâannĂ©e derniĂšre lâassociation Amor Fati, qui propose notamment un groupe de parole Ă Fribourg pour les victimes dâabus sexuels. Je suis Ă©galement Ă©tudiante en psychologie. JâespĂšre ainsi pouvoir aider dâautres personnes dans le futur.â»
1 Ăpisodes au cours desquels, Ă la suite dâun trauma, la personne perd le contact avec un ou plusieurs aspects de la rĂ©alitĂ©â: son corps, ses pensĂ©es, son environnement, et/ou ses actions lui deviennent Ă©trangers.
ÂČ Entre-temps, la premiĂšre partie du procĂšs a eu lieu, la procureure a requis 12 ans ferme contre le prĂ©venu qui a fait recours.
Les sĂ©quelles chez lâenfant sont multiples et diffĂšrent selon lâindividu et son genre. Elles peuvent prendre la forme dâun Ă©tat de choc, dâanxiĂ©tĂ©, dâagressivitĂ©, de retards dĂ©veloppementaux ou de manifestations neurobiologiques. Les consĂ©quences, dâautant plus si les abus se rĂ©pĂštent dans le temps, perdurent souvent Ă lâĂąge adulte et Ă travers les gĂ©nĂ©rations. ProblĂšmes dâattachement, TOC, agressivitĂ©, addictions, comportements sexuels Ă risque, maladies chroniques, isolementâ: la liste est longue. Pour Marjorie, les abus perpĂ©trĂ©s par son cousin se sont traduits par des problĂšmes dâanorexie et de boulimie, de consommation problĂ©matique dâalcool et de difficultĂ©s dans son intimitĂ©. «âJâemploie aujourdâhui encore des expressions un peu enfantines pour parler de sexe, ou jâessaie simplement dâĂ©viter dâen parler. Jâai toujours lâimpression que je fais quelque chose de mal ou de saleâ», raconte la jeune femme, dont les blocages ont notamment prĂ©tĂ©ritĂ© nombre de ses histoires sentimentales. De son cĂŽtĂ©, Heidi se souvient avoir eu ses rĂšgles trĂšs tĂŽt, Ă lâĂąge de 9 ans. «âEnfant, je mâhabillais dĂ©jĂ comme une grande, je portais du rouge Ă lĂšvres. Mon beau-pĂšre mâachetait des habits dâadulte.â» Elle aussi vit des blocages au niveau de sa sexualitĂ©, sous forme de flash-back.
Moins connus, les problĂšmes cardiovasculaires Ă lâĂąge adulte peuvent Ă©galement ĂȘtre une rĂ©sultante de traumas, dont les abus sexuels. «âQuel que soit le type de maltraitance, une victime dâabus a plus de probabilitĂ©s dâĂȘtre en hyper-vigilance constante en raison dâun syndrome de stress post-traumatique et, ainsi, dâĂȘtre constamment sous adrĂ©naline et cortisolâ», souligne Marco Tuberoso, psychologue Ă lâassociation Espas, qui sâengage auprĂšs des enfants et des adultes concerné·e·s par les abus sexuels. Lâessai Ou peut-ĂȘtre une nuit dĂ©peint le cas de Lydia, 48 ans, qui, Ă la suite de chocs psychologiques liĂ©s Ă des abus sexuels par son pĂšre, a dĂ©veloppĂ© une maladie neurovĂ©gĂ©tative dĂ©gĂ©nĂ©rative. Elle est dĂ©sormais en chaise roulante.
«âAvoir subi des violences sexuelles ne signifie pas toujours un mauvais pronostic pour le futur dĂ©veloppement de lâenfant, prĂ©cise la Dre Francesca Hoegger. Mais trouver le soutien nĂ©cessaire aide Ă aller bien. Plus lâenfant est pris en charge tĂŽt, plus les chances sont grandes que les consĂ©quences sur sa santĂ© soient moindres.â» Plus nuancĂ©e, Alessandra Duc Marwood reconnaĂźt que «âbeaucoup dâanciennes victimes construisent leur vie et font des choses merveilleuses. Mais au prix dâune souffrance intĂ©rieure Ă©norme.â»
AIDER LES ADULTES PRĂOCCUPĂ E S PAR LEURS FANTASMES
Il est parfois plus confortable pour une sociĂ©tĂ© de panser des blessures que de les prĂ©venir. De prendre en charge les victimes plutĂŽt que de se demander qui sont les agresseur·euse·s, pourquoi ils ou elles agissent et comment de telles violences, dĂ©cennie aprĂšs dĂ©cennie, gangrĂšnent nos sociĂ©tĂ©s en toute impunitĂ©. DâĂ©viter de regarder en face des visages connus et qui, pourtant, ont commis lâindicible. Certaines structures ont, toutefois, le courage de prendre le problĂšme Ă la racineâ: câest le cas de lâassociation Dis No, installĂ©e discrĂštement au premier Ă©tage dâun immeuble rĂ©sidentiel du centre de Lausanne.
La mission de cette organisation unique en Suisse romandeâ: apporter son aide Ă des adolescent·e·s ou des adultes prĂ©occupé·e·s par des fantasmes sexuels envers des enfants (communĂ©ment appelĂ©s «âpĂ©dophilieâ») et Ă risque de passage Ă lâacte. Une problĂ©matique qui concernerait environ 1% de la population masculine (soit environ 66â000 personnes en Suisse) et sur laquelle pĂšse «âun stigmate et un tabou considĂ©rablesâ», selon Hakim Gonthier, le directeur de lâassociation. «âNous travaillons avec des personnes en grande souffrance qui ne savent pas vers qui se tourner. Comment en parler Ă ses prochesâ? Nous sommes souvent les seules personnes Ă ĂȘtre au courant de ce qui se passe dans leur tĂȘte.â»
TYPES DE VIOLENCES SEXUELLES
SANS CONTACT CORPOREL
âą Exhibitionnisme
âą Voyeurisme
⹠Confrontation à du matériel pornographique
âą Agressions verbales
AVEC CONTACT CORPOREL
âą Sans pĂ©nĂ©trationâ: attouchements, masturbation de lâauteur·e sur la victime ou de la victime sur lâauteur·e.
âą Avec pĂ©nĂ©trationâ: pĂ©nĂ©tration orale, vaginale, anale de lâauteur·e sur la victime ou de la victime sur lâauteur·e qui le demande.
Sourcesâ: LAVI CentreLAVI-Abus-sur-mineurs-pdf, memoiretraumatique.org
REPĂRER LES SIGNAUX DâALERTE
Les signes qui peuvent alerter chez les enfants et les adolescent·e·s varient en fonction de lâĂąge et du genre. Il existe diffĂ©rents types de manifestations de violences sur un individu.
Physiques
âą ProblĂšmes somatiques (ex.â: Ă©nurĂ©sie, eczĂ©maâŠ)
âą Fatigue chronique
⹠Infections urinaires ou vaginales à répétition, constipation
âą Maux de tĂȘte
âą Maux de ventre
âą Douleur et/ou difficultĂ© Ă marcher ou Ă sâasseoir
Lâassociation leur offre ainsi une Ă©coute attentive, ainsi quâĂ leurs proches, et les accompagne dans une dĂ©marche de changement qui peut parfois prendre du tempsâ: «âNous observons frĂ©quemment une minimisation des faits, des mĂ©canismes de dĂ©ni ou de distorsions cognitives, soit lâinterprĂ©tation des gestes dâenfants comme une invitation. Nous les aidons Ă conscientiser ces fantasmes, Ă les recadrer et nous leur rappelons la loiâ», relate Hakim Gonthier. Le directeur se montre toutefois rassurantâ: «âFaire le pas de nous contacter est un facteur protecteur de passage Ă lâacte.â»
Lâassociation nâoffre pas de soutien thĂ©rapeutique mais rĂ©oriente les personnes vers des spĂ©cialistes, lorsquâils ou elles acceptent. Elle rencontre en effet des difficultĂ©s Ă trouver des thĂ©rapeutes, souvent peu formé·e·s ou enclin·e·s Ă travailler avec ce type de patient·e.
Psychiques
⹠Retards développementaux
âą SymptĂŽmes de stress post-traumatique
⹠SymptÎmes dépressifs
âą SymptĂŽmes de dissociation
âą Ătat de choc
Comportementaux
⹠Changements de comportements soudains et inexpliqués
⹠ColÚre, agressivité
⹠Comportements sexuels problématiques
⹠Anxiété, peur, méfiance
âą ProblĂšmes scolaires
âą Scarification
âą Troubles alimentaires, du sommeil
âą ProblĂšmes dâhygiĂšne
Ă lâinstar des auteur·trice·s dâabus sexuels, les personnes faisant appel Ă lâassociation sont en majoritĂ© des hommes. Les femmes qui recherchent de lâaide Ă Dis No souffrent plus gĂ©nĂ©ralement de TOC pĂ©dophilique, soit «âla peur dâĂȘtre pĂ©dophileâ», qui diffĂšre de lâattirance pour les enfants. Lâassociation a Ă cĆur sa lutte contre les mythes entourant ce trouble et prĂ©cise que pĂ©dophilie nâĂ©quivaut pas Ă agression sexuelle. «âOn estime que seules 30 Ă 40% des personnes ayant commis une agression sexuelle sur les enfants prĂ©sentent une attirance sexuelle primaire ou exclusive pour les enfants, ce qui les classerait dans la catĂ©gorie des pĂ©dophiles, prĂ©cise Hakim Gonthier. Les 60% restants sont le fait de personnes qui ne rĂ©pondent pas Ă un diagnostic de pĂ©dophilie mais sont des agresseurs dits opportunistes avec un profil

«âON PEUT TRANSFORMER
SON TRAUMA EN QUELQUE
CHOSE DE POSITIFâ»
«âOui, lâinceste concerne aussi les hommes. Et en parler ne rend pas moins âčâvirilââș. Câest important quâon nous entende sur ce sujet.
Jâai Ă©tĂ© abusĂ© par deux personnes diffĂ©rentes, ce qui signifie aussi deux expĂ©riences distinctes. JâĂ©tais trĂšs jeune la premiĂšre fois, autour de 3 ans. On avait lâhabitude de jouer Ă papamaman avec mes ami·e·s. Une fille plus ĂągĂ©e, la cousine de ma cousine,
insistait toujours pour que je fasse le papa et elle la maman. Elle mâa une fois emmenĂ© dans un bĂątiment isolĂ©, câest lĂ quâelle en a profitĂ© pour mâattoucher. Ăa sâest rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois. Je sentais que câĂ©tait inhabituel, bizarre, mais je nâai pas le souvenir de quelque chose de violent.
Contrairement Ă la deuxiĂšme personne qui mâa agressĂ©. Je vivais Ă lâĂ©poque chez ma tante, dans un
Prosper Gabriel 24 ans
environnement trĂšs violent, trĂšs stressant. Ma cousine, alors ĂągĂ©e de 16 ans, en a profitĂ©. Ătant donnĂ© que je ne faisais pas directement partie de la famille, elle savait quâon ne prendrait jamais mon parti. Avec elle, il y a tout eu, des attouchements Ă la pĂ©nĂ©tration. Des menaces et du chantage. Jâavais tellement peur de me faire bannir de chez ma tante que jâen Ă©tais au point oĂč câĂ©tait Ă moi de tout faire pour quâon ne nous attrape pas. Cette situation a durĂ© un an, puis jâai dĂ©mĂ©nagĂ© et, en 2014, jâai rejoint mon oncle en Suisse.
Par instinct de survie, je nâai jamais rien dit. Jâai mis cette affaire dans une boĂźte, je me suis en quelque sorte coupĂ© de mes Ă©motions. Mais peutĂȘtre se sont-elles exprimĂ©es autrement. Jâai, par exemple, pu ressentir du dĂ©goĂ»t pour les femmes, je ne croyais pas en lâamour. Ă lâinverse, je recherchais constamment leur attention. Jâai toujours Ă©tĂ© sensible aux violences, notamment aux violences sexuelles envers les femmes. Lorsquâelles se confiaient Ă moi, jâavais envie de leur dire âčâje sais ce que vous vivezââș. Je me suis longtemps senti impuissant. Jâavais cette envie de montrer que jâĂ©tais le plus fort, le plus massif, en Ă©tant Ă fond dans le sport. Jâavais la sensation dâĂȘtre le petit Prosper qui doit se taire et que ma cousine avait toujours une emprise sur moi. Je suis parvenu Ă transformer ce dĂ©sir de âčâmasculinitĂ©ââș en quelque chose de positif. Jâai mĂȘme Ă©tĂ© champion suisse de boxe amateur. Si je devais aujourdâhui croiser cette femme, je voudrais lui montrer que, malgrĂ© ce quâelle mâa fait subir, je vais bien. Je suis une personne Ă part entiĂšre.â»
psychopathique ou antisocial.â» Le spĂ©cialiste recommande de ne pas stigmatiser cette attirance, tant que cette derniĂšre, encadrĂ©e par des limites claires et des stratĂ©gies de non-passage Ă lâacte, reste circonscrite Ă des pensĂ©es. «âPrenez contact avant que la situation ne devienne hors de contrĂŽle. Lâonde de choc est telle pour la victime, comme pour la personne et ses proches, quâune fois la limite franchie, il est impossible de revenir en arriĂšreâ», insiste-t-il.
Marco Tuberoso dâEspas travaille avec des auteur·e·s dâagressions sexuelles de moins de 18 ans envoyé·e·s par le Tribunal des mineurs. Ce sont majoritairement des garçons qui ont, pour la plupart, Ă©galement subi des maltraitances, et pour un tiers dâentre eux·elles des violences sexuelles. «âAttentionâ: cela ne signifie pas que toutes les personnes abusĂ©es deviennent des abuseurs, insiste Marco Tuberoso. Pour les adolescents auteurs, la sexualitĂ© est souvent un moyen dâentrer dans une forme de dĂ©linquance, de montrer Ă quel point ils vont mal.â» Dans une sociĂ©tĂ© genrĂ©e oĂč lâexpression des Ă©motions reste exclue de la construction de la masculinitĂ© (les filles, elles, auront davantage des tendances autodestructrices), le psychologue sâattache Ă faire parler ces jeunes garçons de leur souffrance, tout en leur rappelant que le fait dâavoir Ă©tĂ© victime dâabus ne leur donne pas le droit dâagresser un tiers Ă leur tour.
RĂĂDUQUER LA SOCIĂTĂ
EnracinĂ©es dans toutes les strates dâune sociĂ©tĂ© patriarcale, nâĂ©pargnant personne, que lâon soit victime ou proche, et rejaillissant sur les gĂ©nĂ©rations dâaprĂšs, les violences sexuelles reprĂ©sentent un enjeu de santĂ© publique, dont chacun et chacune doit se saisir. DĂ©tourner le regard ou se murer dans le silence pour prĂ©server des semblants de liens familiaux et sociaux peut ĂȘtre condamnable par la justice. Il en va de mĂȘme pour les professionnel·le·s de la santĂ© qui, de lâavis des personnes interrogĂ©es, sont encore trop peu formé·e·s Ă ces problĂ©matiques, au contact malgrĂ© eux de situations tragiques. «âNous devons oser poser la question, ouvrir la porte et leur laisser la placeâ», insiste Francesca Hoegger. Et Alessandra Duc Marwood de conclureâ: «âIl faut une rééducation de la sociĂ©tĂ©. Nous avons un devoir dâentendre et de protĂ©ger les plus vulnĂ©rables.â» /
CENTRES LAVI
- aide et conseils pour les victimes de violences physiques, sexuelles ou psychiques
- soutien psychologique et juridique
- conseil pour les aides financiĂšres profa.ch/lavi
ASSOCIATION ESPAS
- suivis thérapeutiques pour les victimes de violences sexuelles
- prise en charge pour adolescent·e·s qui ont commis des violences sexuelles
- cours de sensibilisation pour les professionnel·le·s espas.info
BRIGADE DES MĆURS
- sâoccupe de ce qui concerne lâintĂ©gritĂ© corporelle
- reçoit les plaintes pour maltraitance physique ou sexuelle
- reçoit les personnes 24h/24 vd.ch
ASSOCIATION DIS NO
- active dans la prévention de la maltraitance et des abus sexuels
- accueille les adultes ou adolescent·e·s qui ressentent une attirance envers les enfants
- uniquement destinĂ© aux personnes qui nâont pas commis dâactes dâordre sexuel
disno.ch
CAN TEAM
- forme les professionnel·le·s Ă la dĂ©tection de la maltraitance et Ă lâorientation vers des mesures de protection de lâenfant et lâadolescent·e
- rattaché au Service de pédiatrie du CHUV
chuv.ch
CONSULTATION LES BORĂALES
- destinĂ©e aux familles et couples concernĂ©s par des situations de violences ou dâabus sexuels
- propose des thérapies individuelles de couple ou de famille
- organise des visites Ă domicile et des groupes de parole chuv.ch
RECUEILLIS
«âLA PAROLE SE LIBĂRE, MAIS LA JUSTICE AVANCE LENTEMENTâ»
La reconnaissance par la justice est, pour beaucoup de victimes dâabus sexuels, une Ă©tape indispensable vers la reconstruction de soi. Lâavocate lausannoise Coralie Devaud dĂ©plore une lĂ©gislation suisse archaĂŻque en matiĂšre de viol et dâinceste. PROPOS
in vivo Que se passe-t-il au niveau juridique lorsquâun abus sexuel est commis sur un·e mineur·eâ?
coralie devaud Les abus sexuels commis sur des enfants sont des infractions qui se poursuivent dâoffice. Cela signifie quâune plainte nâest pas nĂ©cessaire pour lâouverture de la procĂ©dure pĂ©nale. Il est toutefois conseillĂ© de dĂ©poser plainte en vue de faire valoir ses droits. La majoritĂ© des signalements de mise en danger dâun mineur Ă©manent du milieu mĂ©dical, scolaire ou familial. Toutefois, si lâenfant est capable de discernement, autour de lâĂąge de 15 ans, il peut aussi lui-mĂȘme dĂ©poser plainte. La machine judiciaire se met en marche et une procĂ©dure est rapidement lancĂ©e. Selon lâĂąge de lâauteur la procĂ©dure sâengage soit devant le Tribunal des mineurs, soit devant le MinistĂšre public si la personne est majeure.
Biographie
NĂ©e Ă Lausanne et aprĂšs avoir obtenu une licence en droit, Me Coralie Devaud poursuit son parcours acadĂ©mique en rĂ©digeant une thĂšse de doctorat sur le consentement Ă©clairĂ© du·de la patient·e. Depuis plus de dix ans, elle pratique en qualitĂ© dâavocate pĂ©naliste et dĂ©fend notamment les intĂ©rĂȘts des enfants ayant subi des violences physiques, psychiques ou sexuelles. Me Coralie Devaud conseille et assiste Ă©galement les professionnel·le·s de la santĂ© lors de procĂ©dures pĂ©nales et disciplinaires.
iv Les enfants sont des ĂȘtres vulnĂ©rables, qui nâont pas forcĂ©ment accĂšs Ă la parole. Des prĂ©cautions sont-elles prises au moment de lâauditionâ?
cd Le processus dâaudition des enfants, des plus jeunes particuliĂšrement, est trĂšs prĂ©cis. Lâenfant, en fonction de ses facultĂ©s, soit Ă partir de 5 ou 6 ans, est entendu et filmĂ© dans un local adaptĂ©, en prĂ©sence dâun psychologue LAVI, et selon un protocole qui a notamment pour but dâĂ©viter toute influence ou contamination des dĂ©clarations de la victime. Des inspecteurs â disposant dâune formation spĂ©cifique en la matiĂšre â suivent lâaudition, retransmise sur un Ă©cran, dans une autre piĂšce. Nous sommes trĂšs attentifs aux dires spontanĂ©s de lâenfant. Tout est fait pour ne pas polluer son discours et Ă©viter un risque de victimisation secondaire1
iv Dans le cas oĂč lâaccusé·e prĂ©sumé·e est lâun des parents, que se passe-t-ilâ?
cd Le procureur interpelle la Justice de paix âlâautoritĂ© de protection de lâenfant â pour quâun curateur de reprĂ©sentation soit attribuĂ© Ă lâenfant en vue de dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts dans la procĂ©dure. En dâautres termes, cela signifie quâon ĂŽte aux parents le pouvoir lĂ©gal de reprĂ©senter leur enfant Ă ce titre. La Direction gĂ©nĂ©rale de lâenfance et de la jeunesse (DGEJ) peut Ă©galement intervenir pour le volet civil. Elle peut, par exemple, demander un placement de lâenfant si lâon estime que ce dernier nâest pas en sĂ©curitĂ© avec ses parents ou ses reprĂ©sentants devant la loi.
1 La victimisation secondaire est le mĂ©canisme qui fait souffrir une seconde fois la victime de violence ou dâagression quand on ne la croit pas, quâon minimise les faits ou encore quâon la considĂšre comme coupable de ce qui lui arrive.
iv Lâinceste reprĂ©sente lâultime tabou social. Pourtant, dans la loi suisse, il nâest pas considĂ©rĂ© comme un crime.
cd En effet, lâinceste est, selon le Code pĂ©nal, un dĂ©lit qui relĂšve du droit de la famille. Cette disposition avait pour but, Ă lâorigine, dâĂ©viter la consanguinitĂ© et de prĂ©server le lien familial. Lâinceste doit ĂȘtre accompagnĂ© de contrainte ou de violence pour ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un crime. Ă lâimage de la dĂ©finition du viol en Suisse, la disposition qui concerne lâinceste est archaĂŻqueâ: pour quâil y ait inceste, il doit y avoir un acte sexuel entre ascendants et descendants ou entre frĂšre et sĆur. Lâauteur dâinceste peut uniquement ĂȘtre de sexe masculin et la victime de sexe fĂ©minin. Les liens incestueux dâune mĂšre avec son fils ou dâun pĂšre avec son fils nâentrent pas dans la dĂ©finition de lâinceste, tout comme les abus qui seraient commis par un frĂšre adoptif ou un beau-pĂšre, puisque le Code pĂ©nal ne reconnaĂźt que les liens du sang.

iv Vous citiez une loi suisse dĂ©suĂšte en matiĂšre de viol. Quâen est-il exactementâ?
cd Ă lâheure actuelle, la dĂ©finition du viol est trĂšs restrictiveâ: elle se fonde sur la notion de contrainte physique ou psychologique. Un «ânonâ» exprimĂ© oralement en lâabsence dâun moyen de contrainte nâentre pas dans ce cadre, aux yeux de la loi. LâinfĂ©rioritĂ© cognitive ainsi que la dĂ©pendance Ă©motionnelle et sociale peuvent, particuliĂšrement chez les enfants et les adolescent·e·s, induire une Ă©norme pression qui les rend incapables de sâopposer Ă des abus sexuels. Il est souvent nĂ©cessaire de rappeler quâun enfant nâest jamais consentant, et quâune agression sexuelle peut ĂȘtre faite sans contrainte. En outre, un viol, Ă lâinstar de lâinceste, est seulement reconnu dans le cadre de la pĂ©nĂ©tration dâun pĂ©nis dans un vagin, excluant la fellation et la sodomie et, de facto, les agressions sexuelles entre personnes de mĂȘme sexe.
iv Les affaires dâabus sexuels, dâautant plus quand elles concernent des enfants, ont ceci de complexe quâelles manquent souvent de preuves.
cd Oui, câest toute la difficultĂ© de ce genre de procĂ©dureâ: les victimes ont le sentiment de devoir dĂ©montrer quâelles disent la vĂ©ritĂ©. Il est rare quâun auteur reconnaisse les faits, sauf sâil existe des preuves Ă©videntes, comme, des traces scientifiques
ou un grand-pĂšre qui aurait fait des photographies des parties intimes de sa petite-fille. Et mĂȘme dans ce cas, il arrive que des agresseurs, ainsi que leurs conjointes, se murent dans le dĂ©ni. Les instances juridiques collaborent Ă©troitement avec le corps mĂ©dical qui pourra, par exemple, attester dâun Ă©tat post-traumatique. Un Ă©lĂ©ment supplĂ©mentaire pour le tribunal, sachant que le doute joue toujours en faveur de lâaccusĂ©. Le dossier dâune victime dâabus sexuels est un vĂ©ritable chĂąteau de cartes et parvenir jusquâau tribunal est un parcours du combattant.
iv Du point de vue des victimes, que peut leur apporter la justice suisseâ?
cd On entend frĂ©quemment que les victimes se sentent abandonnĂ©es, que tout le processus judiciaire tourne autour du prĂ©venu. Mais tous les survivants ne font pas appel Ă la justice dans le mĂȘme butâ: certains ont besoin dâobtenir une reconnaissance des faits pour se reconstruire, dâautres une condamnation. Dâautres encore entament un processus judiciaire pour Ă©viter que lâhistoire ne se rĂ©pĂšte. /
Dans chaque numĂ©ro dâIn Vivo, le Focus se clĂŽt sur une sĂ©lection dâouvrages en «âlibres Ă©chosâ». Ces suggestions de lectures sont prĂ©parĂ©es en collaboration avec Payot Libraire et sont signĂ©es JoĂ«lle Brack, libraire et responsable Ă©ditoriale de www.payot.ch.
EMBRASSE-MOI

Embrasse-moi
LIDIA MATHEZ
LA JOIE DE LIRE, 2023
CHF 24.90

Lidia Mathez, jeune diplĂŽmĂ©e de lâĂcole supĂ©rieure de bande dessinĂ©e et dâillustration de GenĂšve, frappe par la maĂźtrise dâ«âEmbrassemoiâ», son premier roman graphique âet autobiographique.
Fragile et dĂ©primĂ©e, la jeune Lidia du livre vit mal son entrĂ©e dans sa vie de femme. Peu Ă peu, les souvenirs occultĂ©s dâabus subis dans lâenfance prennent forme. Mais savoir donne-t-il le moyen de gĂ©rer la vĂ©ritĂ© ? Pour sâen sortir, lâhĂ©roĂŻne devra faire preuve de courage et de luciditĂ©, tout comme son alter ego lâillustratrice.
IN VIVO Comment cet album est-il né ?
lidia mathez Ă la ïŹn de lâannĂ©e 2020, notre professeur nous a orientĂ©s vers les sujets pour lâexamen ïŹnal. CâĂ©tait sur le thĂšme de lâanxiĂ©tĂ©, jâai dĂ» faire un travail sur moi-mĂȘme, et Ă travers ce processus, les souvenirs ont commencĂ© Ă remonter. Jâen ai parlĂ© Ă mes parents, jâai pu comprendre ce qui mâĂ©tait arrivĂ©, et jâai dĂ©cidĂ© dâen faire mon portfolio dâexamen. Mon but Ă©tait de briser un tabou dâune maniĂšre plus accessible que dans les livres.
IV Vos enseignant·e·s lâont acceptĂ© ?
lm Leurs rĂ©ticences visaient moins le sujet que mon style, proche du manga, et la technique digitale que jâavais choisi dâutiliser pour ce projet. Mais câest dâabord Ă moi que ça devait plaire, puisque câest moi qui devais aller mieux. Ăa a cependant Ă©tĂ© trĂšs diâcile, les images et les souvenirs revenaient et, parfois, je me suis Ă©croulĂ©e. Heureusement, ma classe et mes professeurs mâont soutenue. Et puis câĂ©tait pour mon diplĂŽme, je ne pouvais plus mâarrĂȘter. Dans ce roman graphique, le noir est omniprĂ©sent : aprĂšs le trauma, ce bain de liquide noir, opaque, dont surgissent des mains et des yeux, habitait mes rĂȘves. Par contre, je ne voulais rien dâagressif dans le dessin, pas mĂȘme pour lâabuseur. Câest une chose sur laquelle je voulais mettre le doigt : les mĂ©chants ne sont pas typĂ©s, nâimporte qui peut ĂȘtre un abuseur. Ce style appartient dâailleurs uniquement Ă cet album.
IV Comment sâest dĂ©roulĂ©e la publication de lâalbum ?
lm Cette offre mâa troublĂ©e, car si jâĂ©tais bien sĂ»r heureuse de cette occasion, rare pour les jeunes artistes, câĂ©tait mon histoire qui allait ĂȘtre publiĂ©e. Fallait-il changer les noms, modiïŹer certaines choses ? Finalement, jâai uniquement aânĂ© quelques dĂ©tails, et je me suis dit quâon verrait bien. DĂšs la parution, jâai reçu de nombreux messages sur Instagram, de victimes qui nâosaient pas parler. Cela arrive Ă beaucoup de gens, malheureusement leur silence protĂšge les abus. Au dĂ©but, je rĂ©pondais, mais jâai dĂ» simpliïŹer pour ne pas ĂȘtre submergĂ©e, ça a Ă©tĂ© un grand dĂ©ïŹ.
IV Quel est votre conseil pour les personnes victimes ? lm Je recommande de parler aux parents, aux amis, aux spĂ©cialistes, pour prendre du recul, mĂȘme si câest diâcile, car la surprise puis la gĂȘne paralysent dâabord les rĂ©actions. On nâa jamais de « chance » en cas dâabus, mais, pour ma part, jâapprĂ©cie dâavoir un entourage sain qui, passĂ© le choc, mâa soutenue et encouragĂ©e. Si on est seul (ou quâil est la source de lâabus), il faut vraiment sâadresser Ă quelquâun dâautre. Jâai aussi eu des retours sur lâalbum de la part de mĂ©decins, qui lâutilisent pour lâaccompagnement des personnes victimes dâabus : câest chouette quâil puisse aider. /
CHRONIQUE

La petite menteuse
PASCALE ROBERT-DIARD
LâICONOCLASTE, 2022
220 PAGES
CHF 31.10
Lisa a eu « de la chance dans son malheur » : ses enseignant·e·s ont compris que lâadolescente allait mal, elle a Ă©tĂ© entendue et a pu dĂ©noncer son violeur, qui a Ă©tĂ© jugĂ© et sĂ©vĂšrement condamnĂ©. Lorsquâelle dĂ©barque dans le bureau de Me Alice Keridreux, lâaffaire semble donc close. Mais elle sâouvre, au contraire, et rĂ©vĂšle ses chaussetrapes. Bretonne amateure de bains de mer glacĂ©s, Alice va devoir plonger au cĆur dâun dossier troublant. Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde, romance Ă peine un cas rĂ©el rĂ©cemment mĂ©diatisĂ©. Et il fallait sa solide connaissance des procĂ©dures pour actionner les ressorts du doute et du rĂ©examen sans nuire au besoin croissant de conïŹance dans la parole des victimes. Dosant parfaitement le suspense de lâinstruction et la tension des esprits, elle offre un regard diffĂ©rent, lucide mais empathique, sur une affaire sans doute unique en son genre. Ou peut-ĂȘtre pas ?
EN BREF

Ils ne savaient pas
BRUNO CLAVIER
PAYOT, 2022
192 PAGES, CHF 28.50
Pourquoi les psys, spĂ©cialistes du dĂ©cryptage de rĂ©vĂ©lations occultĂ©es, sont-ils ·elles si aveugles et sourd·e·s aux signaux des victimes dâabus sexuels ? Psychanalyste et psychologue clinicien (et ancienne victime dâabus), Bruno Clavier remonte aux sources dâun dĂ©ni â thĂ©orisĂ© par Freud et Lacan â qui rend le·la psy incapable dâaccepter les indices pourtant clairs de violences sexuelles. Ă la fois rĂ©quisitoire et plaidoyer, cet essai nourri dâexpĂ©riences prĂ©fĂšre Ă la critique dure des rĂ©cits de rĂ©ussites thĂ©rapeutiques permises par le discernement du·de la praticien·ne.

Ou peut-ĂȘtre une nuit
CHARLOTTE PUDLOWSKI
LIVRE DE POCHE, 2023
256 PAGES, CHF 14.20
TirĂ© dâun podcast retentissant, Ou peut-ĂȘtre une nuit dĂ©cortique lâaccumulation de silences qui bĂąillonne les victimes dâinceste. TĂ©moignages Ă lâappui (dont celui de sa mĂšre), la journaliste dĂ©busque les complicitĂ©s du crime. En cause : le modĂšle de domination patriarcal, qui dresse femmes et enfants Ă y souscrire. Parler fait courir le risque de nâĂȘtre pas cru·e, brise la cellule familiale, dĂ©voile les mensonges et lâhypocrisie sociale, le silence arrange donc tout le monde. Et en convainc les victimes, les poussant avec perversitĂ© Ă ĂȘtre leur meilleur bourreau.

Te laisse pas faire
JOCELYNE ROBERT
ĂDITIONS DE LâHOMME, 2019
128 PAGES, CHF 20.60
Un format gĂ©nĂ©reux, un style BD, un ton vif, des encarts colorĂ©s : cet ouvrage de la sexologue quĂ©bĂ©coise est destinĂ© aux enfants. Cet excellent matĂ©riau semble cependant plus pertinent dans les mains des adultes, qui trouvent lĂ un canal Ă la fois attrayant et complet pour aborder avec les 5 â 12 ans le sujet des abus sexuels, sans simpliïŹer ni dramatiser. Les histoires dessinĂ©es et les jeux de rĂ©flexion, Ă dĂ©velopper en fonction de lâĂąge et de lâintĂ©rĂȘt, sont calibrĂ©s pour cerner le problĂšme, favoriser le dialogue, et rassurer par des explications constructives.

«âLe but de mon travail nâest pas de remettre en question la condamnation de lâexcision.â»
Dina Bader
DINA BADER Juridiquement, rien ne permet de distinguer les pratiques dâexcision et les opĂ©rations gĂ©nitales comme la nymphoplastie. La chercheuse montre comment lâĂ©thnocentrisme biaise la perception de ces pratiques.
INTERVIEW : CAROLE EXTERMANN
PHOTO : JEANNE MARTEL
« Il y a dix ans, personne ne serait
venu mâinterviewer Ă ce sujet »
Dina Bader a travaillĂ© sur la diffĂ©rence entre lâexcision et les opĂ©rations des parties gĂ©nitales fĂ©minines Ă visĂ©e esthĂ©tique (nymphoplasties). In Vivo lui consacre une grande interview. Lâoccasion de mieux comprendre comment la rĂ©glementation des pratiques dâexcision et des chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales se mĂȘle Ă des enjeux politiques, mais aussi comment le questionnement autour de leur comparaison est nĂ©cessaire pour ne pas entraver le travail de prĂ©vention contre les pratiques dâexcision sur le terrain.
in vivo Votre recherche sâest concentrĂ©e sur le concept de mutilation gĂ©nitale fĂ©minine en confrontant les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales et les pratiques dâexcisions. Comment ce projet sâest-il construitâ?
DinA BADER Je mâintĂ©ressais Ă lâexcision sur le plan sociologique et en lien avec des questions liĂ©es Ă la migration et au genre. Cependant, au cours de mon travail, il nâĂ©tait pas rare que mes recherches en ligne sur les interventions de modiïŹcation gĂ©nitale mĂšnent Ă des informations concernant la chirurgie esthĂ©tique. Je me suis alors rendu compte
dâun paradoxe frappant. Alors que depuis trente ans, lâexcision est fermement condamnĂ©e en Suisse, le recours Ă la chirurgie esthĂ©tique gĂ©nitale est au contraire en pleine effervescence. Explorer ces deux pistes en parallĂšle me permettait ainsi de tenter de mieux cerner le concept de mutilation gĂ©nitale fĂ©minine. Et ce qui diffĂ©rencie les pratiques dâexcisions et les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales comme la nymphoplastie.
iv Ătait-il facile dâobtenir des informations Ă ce sujetâ?
DB La question de la comparaison entre les pratiques dâexcisions et les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales est extrĂȘmement taboue. Il y a dix ans, personne ne serait venu mâinterviewer Ă ce sujet. La complexitĂ© du sujet est aussi liĂ©e aux stĂ©rĂ©otypes qui sont associĂ©s Ă ces pratiques. Dans les discours publics, les excisions sont volontiers reprĂ©sentĂ©es comme des gestes barbares commis au rasoir rouillĂ© sur un sol poussiĂ©reux. Et les nymphoplasties, des opĂ©rations maĂźtrisĂ©es rĂ©alisĂ©es dans un milieu mĂ©dical. Ces interventions sont aussi
communĂ©ment distinguĂ©es par la catĂ©gorie de personnes quâelles concernent : ce sont des femmes adultes qui auraient recours Ă la nymphoplastie, tandis que lâexcision toucherait uniquement des mineures. Or, de plus en plus dâadolescentes et prĂ©adolescentes ont recours Ă la nymphoplastie, alors que lâexcision est aussi interdite aux femmes adultes et consentantes. Puis, contrairement aux idĂ©es reçues, de nombreuses excisions sont pratiquĂ©es dans un cadre mĂ©dical. Câest le cas en Ăgypte, par exemple, oĂč 84% de ces interventions sont rĂ©alisĂ©es Ă lâhĂŽpital.
«
LA LĂGALITĂ DES OPĂRATIONS GĂNITALES ESTHĂTIQUES EST SURTOUT LIĂE Ă DES ARGUMENTS ĂCONOMIQUES. »
iv Pourquoi la chirurgie esthĂ©tique doit-elle englober la rĂ©flexion sur les mutilations gĂ©nitalesâ?
DB Depuis 2012, une loi punissant la mutilation des organes gĂ©nitaux fĂ©minins est entrĂ©e en vigueur. Mais juridiquement, rien ne permet de distinguer les deux pratiques. La loi ne fait nulle mention du consentement ou de lâĂąge, ou mĂȘme des conditions dans lesquelles elles seraient effectuĂ©es. Elle condamne toute atteinte faite aux organes gĂ©nitaux fĂ©minins et en cela, les chirurgies esthĂ©tiques sont concernĂ©es. Dans les forums de discussions en ligne, des femmes qui ont eu recours Ă des opĂ©rations gĂ©nitales parlent dâun sentiment de mutilation quand lâopĂ©ration sâest mal dĂ©roulĂ©e ou que le rĂ©sultat nâest pas celui imaginĂ©. Dâailleurs,
certaines vont consulter des mĂ©decins spĂ©cialisĂ©s dans la reconstruction vulvaire, alors que ce service Ă©tait pensĂ© Ă lâorigine pour les femmes touchĂ©es par lâexcision. La frontiĂšre entre excisions et chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales est poreuse, et la distinction repose sur une interprĂ©tation et traduit une forme dâethnocentrisme. Certains chirurgiens craignent de pratiquer une nymphoplastie sur une jeune ïŹlle noire de peur dâĂȘtre poursuivis pour excision. Par ailleurs, la consommation de pornographie occidentale induit un regain dâintĂ©rĂȘt, auprĂšs des hommes dâorigine africaine, pour lâexcision. Pour le lĂ©gislateur suisse, le type dâexcision qui consiste en lâablation des petites lĂšvres est interdit, mais la nymphoplastie qui rĂ©duit partiellement ou complĂštement les petites lĂšvres est autorisĂ©e. La lĂ©galitĂ© dâune pratique ne devrait pas reposer sur le seul critĂšre du nom quâon lui donne.
iv Comment ces stĂ©rĂ©otypes liĂ©s Ă lâexcision sont-ils forgĂ©s, dâaprĂšs vousâ?
BIOGRAPHIE
En tant que sociologue, Dina Bader sâest spĂ©cialisĂ©e dans les questions liĂ©es Ă la migration et au genre. Sa thĂšse de doctorat sur la problĂ©matique des mutilations gĂ©nitales et des opĂ©rations esthĂ©tiques gĂ©nitales a obtenu le prix
DB Pour nourrir mes recherches, jâai analysĂ© les discours mĂ©diatiques et les dĂ©bats parlementaires et jâai constatĂ© que le renforcement de ces stĂ©rĂ©otypes et la catĂ©gorisation de la pratique de lâexcision perçue comme un geste barbare servent Ă la stigmatisation des personnes migrantes, majoritairement noires et issues de lâasile. Cette thĂ©matique devient alors lâopportunitĂ© pour les partis politiques conservateurs dâalimenter un argumentaire contre lâimmigration, sans pour autant assumer un discours directement xĂ©nophobe. Les stĂ©rĂ©otypes sont Ă©galement ampliïŹĂ©s par les reprĂ©sentations sociales qui imaginent une moralitĂ© sociale et une Ă©thique mĂ©dicale moins dĂ©veloppĂ©es dans les pays non occidentaux.
iv Faudrait-il alors assouplir la loi en termes de mutilation gĂ©nitaleâ?
« Genre â ĂgalitĂ© femme-homme » en 2019 de lâUniversitĂ© de Lausanne. Elle est actuellement cheffe de projet et chargĂ©e dâenseignement Ă lâUniversitĂ© de NeuchĂątel.
DB Non. Le but de mon travail nâest absolument pas de remettre en question la condamnation de lâexcision, mais de questionner les diffĂ©rences de postures. Est-il possible de soutenir lâintervention chirurgicale sur le sexe des femmes, parfois trĂšs jeunes tout en condamnant les pratiques dâexcision ? En
Suisse, lâexcision est dâailleurs punissable mĂȘme lorsquâelle est rĂ©alisĂ©e Ă lâĂ©tranger alors que la famille vivait encore dans son pays dâorigine. Par contre, les opĂ©rations gĂ©nitales ne bĂ©nĂ©ïŹcient dâaucune rĂ©glementation explicite. Il semble ainsi important de se questionner sur la cohĂ©rence de ce double standard et des messages contradictoires que cela peut induire.
iv En 2022, la SociĂ©tĂ© suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthĂ©tique estime lâaugmentation du recours Ă ce type dâopĂ©rations Ă 50% au cours des cinq derniĂšres annĂ©es. Comment expliquer cette effervescenceâ?
sujet, particuliĂšrement lorsque lâopĂ©ration est un Ă©chec. Cela se mesure notamment en sâintĂ©ressant au dĂ©calage entre les tĂ©moignages dâopĂ©rations ratĂ©es sur les forums en ligne ou lors de consultations et le nombre de plaintes dĂ©posĂ©es. Un expert que jâai interrogĂ© mâexpliquait ainsi que les mĂ©decins qui rĂ©alisent des nymphoplasties prennent peu de risques. Car porter plainte pour une opĂ©ration vulvaire ratĂ©e comporte encore une dimension gĂȘnante qui dissuade sans doute les personnes concernĂ©es.
iv Le consentement pourrait-il ĂȘtre un critĂšre distinctif entre la nymphoplastie et lâexcisionâ?
DB Câest un argument qui est souvent utilisĂ©. Se faire opĂ©rer pour des raisons esthĂ©tiques serait un choix, tandis que les femmes subiraient, contre leur grĂ©, les pratiques dâexcision. Malheureusement, il semble diâcile dâaccepter la nymphoplastie comme un choix pris en dehors dâun contexte socioculturel prĂ©cis. Les normes de beautĂ©, particuliĂšrement dans ce domaine, exercent en effet une forte pression sur les femmes dont lâacceptation sociale dĂ©pend de standards prĂ©cis. Le consentement est donc, dans ce cadre-lĂ , particuliĂšrement biaisĂ©. De plus, les pratiques dâexcision demandĂ©es par des femmes adultes ne sont pas jugĂ©es acceptables. Ce qui montre bien que le consentement ne dĂ©ïŹnit pas ce qui constitue une mutilation gĂ©nitale fĂ©minine.
DB La volontĂ© de vouloir corriger son sexe repose en grande partie sur de la mĂ©connaissance. Une part importante des femmes ne savent pas Ă quoi ressemble vĂ©ritablement lâĂ©tat naturel de la vulve et ses diversitĂ©s dâapparence. Beaucoup sont ainsi orientĂ©es par des images issues de la pornographie qui prĂ©sentent des organes lisses, opĂ©rĂ©s ou retouchĂ©s, mais qui ne correspondent pas Ă la rĂ©alitĂ©. Il y a ensuite, parallĂšlement, une forme de capitalisation qui sâopĂšre Ă partir de ce potentiel complexe. On constate ainsi lâĂ©mergence de produits cosmĂ©tiques destinĂ©s Ă soigner et embellir le sexe fĂ©minin qui contribuent Ă entretenir lâidĂ©e quâil y a un standard de beautĂ© prĂ©cis auquel il faut correspondre. Parfois, des bĂ©nĂ©ïŹces sur la qualitĂ© de la vie sexuelle de la patiente sont aussi Ă©voquĂ©s. Les Ă©tudes scientiïŹques qui prouvent cette amĂ©lioration comportent souvent des biais importants et lâamĂ©lioration constatĂ©e nâest souvent due quâau fait de sâĂȘtre dĂ©barrassĂ©e dâun complexe. Toutefois, en ayant recours Ă la nymphoplastie, la patiente sâexpose aussi Ă des douleurs potentielles, des complications lors de lâaccouchement ou encore Ă une perte de la sensibilitĂ©. Mon analyse des dĂ©bats parlementaires montre que le lĂ©gislateur suisse voulait exempter les chirurgies esthĂ©tiques gĂ©nitales car elles reprĂ©sentent justement un marchĂ© trĂšs lucratif ; leur tolĂ©rance est donc surtout liĂ©e Ă des arguments Ă©conomiques.
iv La raison de cette augmentation est parfois aussi rattachĂ©e Ă une libĂ©ration de la parole autour de ce sujet, quâen pensez-vousâ?
iv Quelles solutions peuvent ĂȘtre mises en place pour sensibiliser la population Ă ces questionsâ?
DB Il est important de reconsidĂ©rer la façon dont les enfants sont socialisĂ©s et comment les normes liĂ©es au genre leur sont transmises. Dans le cadre de lâĂ©ducation sexuelle, plus prĂ©cisĂ©ment, il est capital dâexposer la diversitĂ© et la fonction des organes gĂ©nitaux fĂ©minins. Il faut aussi donner aux plus jeunes les outils pour comprendre les enjeux liĂ©s Ă lâapparence des sexes. Il me paraĂźt Ă©galement central de leur transmettre des clĂ©s pour dĂ©velopper un regard critique vis-Ă -vis des standards de beautĂ© souvent arbitraires et Ă©volutifs selon les Ă©poques et les cultures. /
DB Durant les entretiens menĂ©s dans le cadre de mon projet, jâai au contraire pu constater le tabou qui peut sâĂ©tablir autour de ce
Lâobsession de manger sainement
Une attention excessive portĂ©e Ă la qualitĂ© de lâalimentation peut avoir des consĂ©quences nĂ©fastes sur la santĂ©. Ce comportement, lâorthorexie, touche notamment les jeunes. Un phĂ©nomĂšne accentuĂ© par les rĂ©seaux sociaux.
«Ma valeur Ă©tait exclusivement dĂ©ïŹnie par ce que je mangeais. »
Mathilde Blancal, auteure du livre
ConïŹdences dâune ex-accro des rĂ©gimes1, revient avec humour sur son long combat contre les troubles du comportement alimentaire (TCA), et les comportements orthorexiques. « Faire attention Ă la qualitĂ© de sa nourriture est extrĂȘmement valorisĂ© dans nos sociĂ©tĂ©s occidentales. Sans le savoir, certaines personnes en me complimentant encourageaient mon comportement. Il y a aussi une certaine ïŹertĂ© Ă rĂ©ussir Ă se plier Ă un tel rĂ©gime alimentaire. Jâavais lâimpression dâĂȘtre dans le juste et parfois mĂȘme, un peu au-dessus des autres. »
* Ăd. Jouvence, 2022
HISTOIRE
Lâorthorexie a Ă©tĂ© dĂ©crite pour la premiĂšre fois en 1997 par le mĂ©decin amĂ©ricain Steve Bratman. Loin de vouloir en faire une pathologie, le but consistait Ă ouvrir le dĂ©bat sur une tendance quâil avait de plus en plus observĂ©e chez ses patient·e·s.
Du grec « orthos » (correct) et « orexie » (appĂ©tit), lâorthorexie renvoie Ă une volontĂ© excessive dâingĂ©rer exclusivement des aliments considĂ©rĂ©s comme sains. Une personne orthorexique aura tendance Ă porter une attention dĂ©mesurĂ©e Ă la qualitĂ© de sa nourriture, quâelle classera de façon binaire : bonne ou mauvaise. « Je passais des heures au supermarchĂ© Ă choisir mes aliments et cuisinais Ă©galement tout moi-mĂȘme aïŹn de ne rien ingĂ©rer de mauvais pour mon corps », rĂ©sume Mathilde Blancal. Cette division peut amener la personne orthorexique Ă Ă©tablir des rĂšgles strictes concernant son alimentation. « Cette catĂ©gorisation se base toutefois
sur une pensĂ©e dichotomique subjective, qui ne correspond pas Ă la rĂ©alitĂ©, aucun aliment nâĂ©tant intrinsĂšquement sain ou malsain », explique Maaike Kruseman, diĂ©tĂ©ticienne en cabinet privĂ© et chargĂ©e de cours Ă lâUniversitĂ© de Lausanne.
La limite Ă partir de laquelle une personne bascule dâune simple envie de privilĂ©gier une nourriture saine vers une prĂ©occupation excessive reste diâcile Ă dĂ©terminer.
ORIGINE
Les normes sociales telles que lâautodiscipline ou la valorisation dâune alimentation saine semblent jouer un rĂŽle dans le dĂ©veloppement dâune orthorexie. Celle-ci restant encore peu explorĂ©e, seules de futures recherches permettront de confirmer ces liens.
Lâorthorexie nâest en effet pas encore reconnue comme un trouble mental et ne ïŹgure pas dans les classiïŹcations oâcielles.
« Câest un phĂ©nomĂšne nouveau, pour lequel il nâexiste pas encore de dĂ©ïŹnition oâcielle, ni de critĂšres standardisĂ©s pour son diagnostic. Ce qui rend la recherche des causes diâcile.
Lâorthorexie peut servir, entre autres, Ă exercer un contrĂŽle sur lâanxiĂ©tĂ© ou Ă augmenter lâestime de soi. Les spĂ©cialistes supposent aussi quâil existe des liens entre lâorthorexie, le perfectionnisme, la rigiditĂ© et la compulsion », dĂ©taille Carolin Janetschek, cheffe de clinique au sein de lâunitĂ© spĂ©cialisĂ©e dans les troubles du comportement alimentaire du CHUV.
LES ADOS ET LES RĂSEAUX SOCIAUX
En Suisse, prĂšs de trois quarts des ïŹlles ĂągĂ©es de 16 Ă 20 ans souhaitent maigrir, selon le Swiss multicenter adolescent survey on health (Smash). Alors que lâanorexie mentale survient en gĂ©nĂ©ral au dĂ©but et Ă la ïŹn de lâadolescence, la boulimie se dĂ©clare souvent plus tard, entre 18 et 21 ans, selon lâOâce fĂ©dĂ©ral de la statistique (OFS). Les rĂ©seaux sociaux
sont par ailleurs omniprĂ©sents dans leur vie : 98% des jeunes Suisse·esse·s disposent dâun proïŹl sur au moins un rĂ©seau social, et plus de la moitiĂ© dâentre euxs·elles utilisent Instagram plusieurs fois par jour, selon lâĂ©tude suisse James 2022. « Durant lâadolescence, les jeunes sâorientent naturellement vers des modĂšles extĂ©rieurs Ă la famille. Aujourdâhui, Internet joue un rĂŽle de plus en plus important Ă cet Ă©gard. Ainsi, les conseils nutritionnels non fondĂ©s scientiïŹquement peuvent reprĂ©senter un danger pour les jeunes », souligne Christin Hornung, pĂ©dopsychiatre au CHUV.
Sous couvert de dĂ©nominations promouvant un mode de vie healthy, certains comptes vĂ©hiculent des injonctions dĂ©lĂ©tĂšres si elles sont consultĂ©es de façon excessive et sans recul. « Les contenus avec le hashtag âč What I eat in a day âș, oĂč des ïŹlles incroyablement belles ingĂšrent 1000 calories par jour en buvant des smoothies et en mangeant des Ă©pinards, peuvent paraĂźtre trĂšs sĂ©duisants. Je me souviens mâĂȘtre abonnĂ©e et dĂ©sabonnĂ©e rĂ©guliĂšrement de comptes qui mâintĂ©ressaient mais me faisaient paradoxalement Ă©normĂ©ment de mal », raconte Mathilde Blancal. Pour la diĂ©tĂ©ticienne Maaike Kruseman, il sâagit dâun vrai problĂšme de santĂ© publique. « Le manque de chiffres et de donnĂ©es ne nous permet nĂ©anmoins pas encore dâĂ©valuer le phĂ©nomĂšne. »
CHIFFRES
En Suisse, 3,5% de la population souffre dâun TCA au cours de sa vie, selon lâOffice fĂ©dĂ©ral de la statistique. Les femmes sont quatre fois plus touchĂ©es que les hommes (5,3% contre 1,5% de la population).
inégalité
Aggravés par la pandémie, les TCA restent plus difficiles à diagnostiquer chez les hommes que chez les femmes. Une récente étude britannique a toutefois révélé une augmentation de 128% des cas entre 2016 et 2021.
PRISE EN CHARGE DĂLICATE
Lâabsence de critĂšres scientiïŹques permettant dâidentiïŹer une orthorexie empĂȘche la pose dâun diagnostic Ă proprement parler. Des questionnaires, disponibles en ligne, sont parfois utilisĂ©s comme outils de dĂ©pistage de lâorthorexie. Leur pertinence reste cependant vivement critiquĂ©e. « La prĂ©valence varie dâun pays Ă lâautre, dâune population Ă lâautre, ainsi quâen fonction de lâoutil utilisĂ© pour lâĂ©valuation. Les rĂ©sultats peuvent aller de 6,9% Ă 75,5% », rapporte Christin Hornung. La question de la nĂ©cessitĂ© dâun traitement peut se poser dans certains cas. « Si le comportement
alimentaire entrave le dĂ©veloppement physique et mental normal dâun adolescent â que cela se manifeste par des carences ou un retrait social â ou si lâadolescent et ses proches sont en souffrance, il peut valoir la peine de consulter », explique Carolin Janetschek. Certaines catĂ©gories de la population comme les sportif·ve·s sont par ailleurs plus Ă risque de dĂ©velopper un tel trouble (voir aussi encadrĂ©).
Lâenjeu rĂ©side enïŹn dans la prise en charge des patient·e·s par une Ă©quipe professionnelle. « Il existe une appropriation de la thĂ©matique nutritionnelle alimentaire par des personnes qui ne sont pas formĂ©es dans le domaine, explique Maaike Kruseman. Les conseils souvent trop rĂ©ducteurs de certain·e·s nutritionnistes â dont le titre nâest pas protĂ©gĂ© en Suisse â peuvent parfois faire de nombreux dĂ©gĂąts. Mieux vaut donc sâadresser Ă un diĂ©tĂ©ticien diplĂŽmĂ©, par exemple, qui Ă©tablira un suivi et un rééquilibrage alimentaire sur mesure. » /
CARENCES
Lâorthorexie peut entraĂźner des symptĂŽmes somatiques tels quâun manque de certaines substances dans le sang, de vitamines, de fer ou de calcium, un dĂ©ficit de croissance, voire une amĂ©norrhĂ©e â une absence de rĂšgles.
Déficit énergétique relatif dans le sport
Le contrĂŽle de lâalimentation peut amĂ©liorer les performances sportives et Ă©viter les blessures. Mais, les apports caloriques doivent aussi permettre de couvrir les dĂ©penses dâĂ©nergie et de bien rĂ©cupĂ©rer. «âDans des sports esthĂ©tiques ou gravitationnels, la minceur peut parfois amĂ©liorer les performances. Or, elle peut aussi menacer le bon fonctionnement de lâorganisme si lâathlĂšte est en dĂ©ficit Ă©nergĂ©tiqueâ», prĂ©cise Nathalie Wenger, mĂ©decin du sport, cheffe de clinique au sein du Centre SportAdo du CHUV.
Anciennement appelĂ© «âTriade de lâathlĂšte fĂ©minineâ», le syndrome du RED-S (Relative Energy Deficiency in Sports) touche de nombreuses personnes. Le sujet reste toutefois mĂ©connu en Suisse, Ă la fois
par les mĂ©decins du sport, les coachs sportifs et les athlĂštes, et certains symptĂŽmes comme une absence de menstruations demeurent tabous. «âLa prĂ©vention est essentielle en raison des consĂ©quences potentiellement irrĂ©versibles sur les corps, les os ou le psychisme. Nous recommandons un bilan mĂ©dicosportif annuel pour les jeunes effectuant plus de trois entraĂźnements sportifs par semaine.â»
Lâassociation faĂźtiĂšre du sport suisse (Swiss Olympic) souhaite rĂ©pondre Ă cet enjeu avec le lancement fin 2019 du projet «âFemme et sport dâĂ©liteâ», qui vise notamment Ă dĂ©mystifier certains sujets «âtabousâ» comme le RED-S.
JE PENSE DONC JE MARCHE
AppliquĂ©e Ă la santĂ©, lâintelligence artificielle permet des avancĂ©es fascinantes. GrĂące Ă cette technologie, un patient paraplĂ©gique a retrouvĂ© le contrĂŽle de ses jambes par la pensĂ©e.
Ce nâest ni la premiĂšre ni la derniĂšre fois
quâElon Musk fait parler de lui. En dĂ©cembre dernier, lâentrepreneur sudafricain annonçait que sa start-up Neuralink saurait implanter son premier appareil connectĂ© dans le cerveau dâun ĂȘtre humain dans les six mois Ă venir. Lâobjectif ?
Booster le cerveau dâun individu en parfaite santĂ©, pour le rendre encore plus efficient. Le milliardaire avait annoncĂ© en juillet 2019 que Neuralink rĂ©aliserait ses premiers essais sur des humains lâannĂ©e dâaprĂšs. Il aura finalement fallu attendre
mai 2023 pour que les autoritĂ©s sanitaires amĂ©ricaines autorisent des tests dâimplants sur des humains par Neuralink.
UNE INNOVATION SPECTACULAIRE
AU CHUV-EPFL
Plus prĂšs de chez nous, la recherche autour de lâintelligence artificielle appliquĂ©e Ă des fins thĂ©rapeutiques avance Ă©galement. Une Ă©quipe du centre NeuroRestore, Ă Lausanne, vient de dĂ©velopper un implant cĂ©rĂ©bral permettant de faire remarcher une personne paralysĂ©e grĂące Ă la pensĂ©e, câest-Ă -dire en lui faisant imaginer et visualiser les mouvements souhaitĂ©s. Une nouvelle Ă©tape spectaculaire menĂ©e par la neurochirurgienne
Jocelyne Bloch, au CHUV, et le neuroscientifique GrĂ©goire Courtine de lâEPFL, un duo bien connu dans le milieu.
En 2018, lâĂ©quipe pluridisciplinaire parvenait dĂ©jĂ Ă redonner la possibilitĂ© de marcher Ă des personnes paraplĂ©giques grĂące Ă des Ă©lectrostimulations diffusĂ©es sous la lĂ©sion de la moelle Ă©piniĂšre. Ce projet, câĂ©tait Stimo (cf. dossier dans IV n°â24). Depuis, un palier supplĂ©mentaire a Ă©tĂ© franchi, en impliquant cette fois le cerveau. Avec ce nouveau systĂšme, la personne est toujours Ă©quipĂ©e dâun implant au niveau de la moelle Ă©piniĂšre au-dessus de la blessure, mais aussi dâun deuxiĂšme implant insĂ©rĂ© dans le cortex cĂ©rĂ©bral.
« Cet implant permet de dĂ©coder lâintention motrice du patient au niveau cĂ©rĂ©bral, explique Henri Lorach, chef du projet. Lâintention dĂ©tectĂ©e est convertie en impulsions Ă©lectriques sur la moelle Ă©piniĂšre qui va engendrer le mouvement voulu. Il sâagit donc de restaurer la connexion entre le cerveau et la moelle Ă©piniĂšre, par un pont digital. » (Voir encadrĂ©).
Ă ce jour, le nouveau dispositif âBSI, pour Brain-Spine-Interface â, dĂ©veloppĂ© en collaboration avec lâĂ©quipe de recherche Clinatec du CEA de Grenoble, a fait lâobjet dâun seul essai clinique sur un patient qui avait dĂ©jĂ participĂ© Ă lâĂ©tude Stimo. « Cette Ă©tude pilote devrait se faire sur deux patients, mais pour lâinstant nous nâen nâavons inclus quâun seul »,
prĂ©cise Jocelyne Bloch. Dâautres essais sont prĂ©vus pour la rĂ©activation des membres supĂ©rieurs. LâĂ©quipe vient en effet dâobtenir les autorisations de SwissMedic et de SwissEthics qui valident lâessai pour les bras.
DES RĂSULTATS SATISFAISANTS
APRĂS UNE SEMAINE
Dans le futur, lâintĂ©gration des deux implants pourrait se faire en une seule intervention chirurgicale. Avec le patient concernĂ©, qui portait dĂ©jĂ le capteur au niveau de la moelle Ă©piniĂšre, lâĂ©quipe a pu dĂ©coder les signaux de la marche trĂšs rapidement, puis lâentraĂźner Ă ressentir et Ă imaginer ses mouvements. AprĂšs une semaine environ, et en moins de dix sĂ©ances, il a pu faire ses premiers pas.
COMMENT ĂA FONCTIONNE
Lâimplant cĂ©rĂ©bral testĂ© par le centre NeuroRestore sâinsĂšre Ă la surface du cerveau au niveau de lâos du crĂąne. DotĂ© de 64 Ă©lectrodes, il fait 5 centimĂštres de diamĂštre. Son rĂŽle est de recueillir des signaux Ă©lectriques provenant du cortex moteur, permettant ainsi Ă un programme informatique de dĂ©tecter les signaux en lien avec la marche, de dĂ©coder les mouvements des diffĂ©rentes articulations dâun membre.
Un petit ordinateur est placĂ© sur le dos du·de la patient·e. Lâintention de ce·tte dernier·Úre, par exemple lever le pied gauche pour faire un pas, est transmise Ă lâordinateur par un programme spĂ©cifique, puis au stimulateur situĂ© sur lâendroit lĂ©sĂ© de la moelle Ă©piniĂšre, qui diffuse une Ă©lectrostimulation et gĂ©nĂšre lâaction en question.
La grande avancĂ©e par rapport Ă Stimo, câest que lâimplant cĂ©rĂ©bral permet une marche plus fluide, mĂȘme si elle reste plus lente que celle dâun individu valide et quâelle nĂ©cessite une aide telle que des bĂ©quilles ou un dĂ©ambulateur. « Câest le cerveau du patient qui dĂ©clenche le mouvement, et non un programme externe, expose Jocelyne Bloch. Il sâagit donc exactement du mĂȘme mĂ©canisme que celui prĂ©sent chez une personne valide, mĂȘme si pour cette derniĂšre, le mouvement se fait automatiquement. »
UNE COMPĂTITION
QUI NâEN EST PAS UNE
Quant à la course aux implants cérébraux, la neurochirurgienne Jocelyne Bloch ne se formalise
Visualiser clairement les actions Ă effectuer demande un entraĂźnement, qui se fait dâabord devant un Ă©cran, par le contrĂŽle dâun avatar virtuel. On procĂšde ainsi pour une articulation aprĂšs lâautre. Une sĂ©ance permet dĂ©jĂ de dĂ©celer les signaux identifiables pour quatre articulations, le genou gauche, le genou droit, la hanche gauche et la hanche droite, par exemple.
AprĂšs une annĂ©e dâutilisation rĂ©guliĂšre du Brain-SpineInterface (BSI), le patient ayant participĂ© Ă lâessai clinique marche aujourdâhui en sâaidant dâun dĂ©ambulateurâ: «âJe peux lancer le mouvement avec mon cerveau, je peux mĂȘme parler en effectuant le mouvement. Si je le veux, je peux maintenir un pied en lâair avant de le reposer. Je peux dĂ©cider de lâendroit oĂč je mâarrĂȘte, faire un pas plus grand que lâautre, et je peux continuer ainsi tant que je veux.â»

«âJe peux lancer le mouvement avec mon cerveauâ», explique le patient qui a retrouvĂ© la marche grĂące Ă un implant cĂ©rĂ©bral.
pas. « Cette compĂ©tition dĂ©clarĂ©e est plus un amusement quâautre chose. Câest positif que plusieurs personnes travaillent dans le domaine, cela fait avancer les choses. » Dâautres institutions dans le monde participent Ă ce type de recherches. Le centre Clinatec, Ă Grenoble, a dĂ©veloppĂ© et utilise le mĂȘme dispositif cortical que lâĂ©quipe du CHUVEPFL, « Ă la diffĂ©rence prĂšs que les intentions du patient
contrÎlent un exosquelette qui assiste les mouvements, alors que notre projet vise à ce que le patient retrouve le contrÎle de ses propres muscles », explique Henri Lorach.
Pour lâinstant, la technologie dĂ©veloppĂ©e est surtout prĂ©vue pour rĂ©parer les lĂ©sions de la moelle Ă©piniĂšre. « Dans lâabsolu, il serait possible de rĂ©tablir le circuit dans dâautres types de pathologies,
par exemple dans le cas dâun AVC, si le cortex est toujours enregistrable », avance Jocelyne Bloch. Potentiellement, le systĂšme pourrait aussi sâappliquer Ă des individus atteints de la maladie de Parkinson, pour rectifier des troubles de la marche. /
QUAND LES ĂMOTIONS DĂTRAQUENT LE CĆUR
Les Ă©motions intenses peuvent provoquer une pathologie cardiaque grave qui touche principalement les femmes et imite lâinfarctusâ: le syndrome du cĆur brisĂ©.
Le culte dominical ne sâest pas dĂ©roulĂ© comme prĂ©vu pour Simone Vaucher, une enseignante vaudoise retraitĂ©e de 78 ans. Ă cĂŽtĂ© dâelle sur le banc, une femme vacille Ă plusieurs reprises puis sâeffondre. ChoquĂ©e, lâex-enseignante la croit morte. Finalement, la personne semble se remettre de son malaise, mais Simone Vaucher, pour sa part, demeure angoissĂ©e. «âUne fois chez moi, jâai mis trois heures Ă me reprendre. Mon cĆur tapait et ma respiration brĂ»lait, je ne savais pas si câĂ©taient les
poumons ou le cĆurâ», dĂ©crit-elle. Incapable de sâen remettre, elle consulte son gĂ©nĂ©raliste qui lâenvoie aux urgences du CHUV suspectant un infarctus du myocarde. Mais les investigations mĂšnent Ă une autre pisteâ: elle a Ă©tĂ© victime du syndrome de takotsubo, ou syndrome du cĆur brisĂ©.
UN CĆUR EN FORME DâAMPHORE
Le syndrome de takotsubo est une atteinte cardiaque qui survient souvent Ă la suite dâune situation de stress intense. Les cardiologues ne savent pas comment le
COMME UNE AMPHORE DANS LE CĆUR
Ă la suite dâune situation de stress, il arrive que le muscle cardiaque ne se contracte pas suffisamment. Une forme dâamphore apparaĂźt. Câest le syndrome de takotsubo.
Ventricule gauche sain
CĆUR «âNORMALâ»
prĂ©venir, car il nâest pas encore entiĂšrement compris. Cependant, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que les niveaux de catĂ©cholamines, les hormones du stress, sont en augmentation massive lors de lâapparition de ce syndrome. En consĂ©quence, le muscle cardiaque ne se contracte pas suffisamment au niveau de la pointe du cĆur, ce qui lâempĂȘche de fonctionner correctement. Une partie du cĆur prend alors une forme caractĂ©ristique dâamphore.
«âLâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur peut ĂȘtre un stress Ă©motionnel ou physiqueâ», prĂ©cise
Sarah Hugelshofer, cardiologue au Service de cardiologie du CHUV. La majoritĂ© des cas Ă©motionnels surviennent lors dâun choc, par exemple Ă lâannonce dâun dĂ©cĂšs, mĂȘme sâils peuvent Ă©galement survenir lors de situations heureuses comme lâannonce dâun gain Ă la loterie. Les stress physiques concernent la moitiĂ© des cas et sont dĂ©clenchĂ©s par une activitĂ© physique intense pour laquelle les personnes ne sont pas prĂ©parĂ©es, une douleur sĂ©vĂšre ou des affections neurologiques comme les AVC ou les crises dâĂ©pilepsie. Des antĂ©cĂ©dents psychiatriques tels que lâangoisse et la dĂ©pression augmentent la prĂ©disposition au syndrome. De plus,
une composante héréditaire existe probablement, car on trouve des familles présentant plusieurs cas.
Le syndrome touche neuf femmes pour un homme. Les femmes sont principalement concernĂ©es dĂšs lâapproche de la mĂ©nopause, ce qui suggĂšre un lien avec la baisse dâĆstrogĂšnes. «âCes hormones sont connues pour leur effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires, mais leur association au syndrome du cĆur brisĂ© nâest pas clairement comprise, tout comme les facteurs qui dĂ©terminent lâĂ©volution de la maladieâ», reconnaĂźt la cardiologue.
ĂCARTER LâINFARCTUS
LES FEMMES, OUBLIĂES DE LA CARDIOLOGIE
Le syndrome de takotsubo, parce quâil touche principalement les femmes, est encore peu compris, dans une mĂ©decine des hommes faite pour les hommes. Aujourdâhui encore, les femmes meurent deux fois plus que les hommes des suites dâune maladie cardiovasculaire, takotsubo compris, notamment parce que les femmes sont sousreprĂ©sentĂ©es dans les Ă©tudes cliniques sur lesquelles sont dĂ©ïŹnis les protocoles de prise en charge ou les tests de traitements. Il sâensuit une cardiologie genrĂ©e, dans laquelle les femmes sont encore trop souvent moins bien traitĂ©es que les hommes.
Les symptĂŽmes, quant Ă eux, sont mieux connus. Ils sont similaires Ă ceux de lâinfarctus du myocardeâ: douleur thoracique, essoufflement et perte de connaissance. Malheureusement, ils ne peuvent ĂȘtre immĂ©diatement diffĂ©renciĂ©s, car «âles Ă©lectrocardiogrammes initiaux
Le ventricule hypertrophié pompe le sang moins efficacement
Il prend la forme dâune amphore, un piĂšge Ă pieuvre japonais nommĂ© «âtakotsuboâ»
sont les mĂȘmes, tout comme les marqueurs sanguinsâ», indique Sarah Hugelshofer. Cependant, une coronarographie â une technique dâimagerie invasive basĂ©e sur les rayons X utilisĂ©e pour visualiser les artĂšres menant au cĆur â peut prĂ©cisĂ©ment aider Ă diagnostiquer lâinfarctus du myocarde, car il est causĂ© par une artĂšre partiellement ou entiĂšrement bouchĂ©e visible avec cette mĂ©thode. «âSâil nây a pas dâocclusion visible, on cherche autre chose comme une inflammation du myocarde ou un takotsubo. Une Ă©chographie et souvent une IRM du cĆur sont alors rĂ©alisĂ©es pour Ă©tablir le diagnostic final.â»
Comme lâocclusion artĂ©rielle responsable de lâinfarctus entraĂźne la mort des cellules cardiaques et mĂšne au dĂ©cĂšs dans les cas graves, il est important dâintervenir rapidement pour rĂ©tablir le flux sanguin. Alors que pour le syndrome du cĆur
DEUX JOURS CRITIQUES
Le syndrome de takotsubo touchait une personne sur 36â000 en 2018, selon le European Heart Journal, et reprĂ©sentait 1 Ă 3% des patient·e·s avec une suspicion dâinfarctus du myocarde. Les statistiques grimpent Ă 6% pour les patientes et seraient sous-estimĂ©es. Le risque dâarrĂȘt cardiaque ou dâarythmie pouvant entraĂźner la mort est similaire pendant les premiĂšres quarantehuit heures pour le syndrome de takotsubo et pour lâinfarctus du myocarde. PassĂ© ce dĂ©lai, le pronostic Ă long terme est excellent pour le syndrome de takotsubo. Le cĆur se rĂ©tablit complĂštement dans les deux mois suivant le diagnostic. Le taux de rĂ©cidive est de 1 Ă 5% au cours des cinq annĂ©es suivant lâattaque.
brisĂ©, une hospitalisation avec surveillance cardiaque et un traitement mĂ©dicamenteux sont nĂ©cessaires. «âIl est donc crucial de diffĂ©rencier les deux pathologies par une imagerie des coronairesâ», dĂ©taille la cardiologue.
LâINTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN SOUTIEN RĂ©cemment, une Ă©quipe de recherche de lâEPFZ et de lâUniversitĂ© de Zurich a conçu un outil basĂ© sur lâintelligence artificielle pour tenter de faciliter la diffĂ©renciation du takotsubo avec lâinfarctus. «âHabituellement, elle se fait par coronarographie, mais nous voulions tester le potentiel de lâĂ©chographie pour le diagnostic. Nous avons dâabord entraĂźnĂ© notre intelligence artificielle Ă partir de donnĂ©es dâĂ©chocardiographie dâindividus dont le diagnostic Ă©tait connu afin quâelle apprenne automatiquement Ă identifier et extraire des informations pertinentes pour le diagnostic. Nous lâavons ensuite testĂ©e sur dâautres donnĂ©es et comparĂ©e Ă lâhumainâ», indique Fabian Laumer doctorant au Department of Computer Science de lâEPFZ et premier auteur de cette Ă©tude. ComparĂ© aux cardiologues, lâoutil sâest avĂ©rĂ© lĂ©gĂšrement plus efficace et plus rapide. «âMais il est encore loin dâatteindre la prĂ©cision obtenue avec la coronarographieâ», prĂ©cise le chercheur.
Lâintelligence artificielle est dĂ©jĂ utilisĂ©e en cardiologie pour mesurer la fonction cardiaque en complĂ©ment des analyses manuelles, notamment pour les images dâIRM. «âBien quâelle ne puisse pas remplacer les personnes, dans certains cas elle peut ĂȘtre plus fiable, car un ordinateur applique une analyse qui est parfaitement reproductible contrairement aux diffĂ©rents opĂ©rateurs humainsâ», ajoute Sarah Hugelshofer. /
DES MĂTHODES TOUJOURS PLUS SOPHISTIQUĂES CONTRE LE DOPAGE
ANDRĂE-MARIE DUSSAULT
Ă partir de lâurine et du sang des athlĂštes, diffĂ©rentes techniques sont utilisĂ©es pour identifier la potentielle prĂ©sence de produits dopants. Sans cesse plus sensibles, celles-ci rendent la tricherie plus difficile. Trajectoire dâun Ă©chantillon au sein du Laboratoire suisse dâanalyse du dopage.
Bienvenue au Laboratoire suisse dâanalyse du dopage du Centre universitaire romand de mĂ©decine lĂ©gale. Ici travaillent des expert·e·s en chimie, biologie, pharmacie et sciences forensiques, comme Nicolas Jan. Dans le monde, une trentaine de laboratoires de ce type sont accrĂ©ditĂ©s par lâAgence mondiale antidopage pour faire un travail bien particulier. « Sur les 11 infractions Ă©tablies par cette structure, nous nous concentrons principalement sur la premiĂšre : dĂ©tecter les substances interdites destinĂ©es Ă augmenter les capacitĂ©s physiques ou mentales dâun athlĂšte dans un Ă©chantillon de sang ou dâurine fourni par un sportif », explique le chercheur.
Les échantillons analysés sont fournis par une fédération sportive internationale ou nationale, ou
une agence antidopage et sont anonymes, relĂšve-t-il. Ă partir du moment oĂč il reçoit un kit dâurine ou de sang, le laboratoire a vingt jours pour rendre les rĂ©sultats au partenaire. Les kits reçus sont composĂ©s de deux conteneurs. Le premier Ă©chantillon est utilisĂ© pour lâanalyse, le second est conservĂ© intact, en cas de contestation par lâathlĂšte.
500 substances interdites dans 100 microlitres
Dans un premier temps, lâintĂ©gritĂ© de lâĂ©chantillon est contrĂŽlĂ©e, pour sâassurer quâil nâa pas Ă©tĂ© manipulĂ©. Ensuite, lâĂ©chantillon est sĂ©parĂ© en sous-Ă©chantillons, aïŹn de subir plusieurs types dâanalyses chimiques ou biologiques. Pour ce faire, les Ă©chantillons doivent dâabord passer par une phase de puriïŹcation, oĂč ils sont dĂ©barrassĂ©s de tout ce qui pourrait interfĂ©rer dans le processus dâanalyse. « Lors de cette Ă©tape, on part dâun volume relativement grand, pouvant aller jusquâĂ 15 ml, pour se retrouver ïŹnalement avec moins de 100 microlitres », dĂ©taille Nicolas Jan. Ces opĂ©rations peuvent prendre jusquâĂ une semaine. Une sĂ©rie de tests standards de dĂ©pistage est appliquĂ©e Ă tous les Ă©chantillons. Ce contrĂŽle permet de dĂ©tecter quelque 500 substances interdites.
« Selon le sport et les demandes de nos clients,
ou sâil y a des suspicions envers un athlĂšte, nous pouvons rĂ©aliser des tests supplĂ©mentaires. »
Comme le nombre de substances qui doivent ĂȘtre recherchĂ©es est substantiel, une premiĂšre phase dâanalyses dites « rapides » permet dâexclure tous les Ă©chantillons nĂ©gatifs, câest-Ă -dire ceux qui ne contiennent aucune trace de substance prohibĂ©e. « Tandis que pour ceux qui prĂ©sentent une suspicion, on repart de lâĂ©chantillon initial et on fait une analyse de conïŹrmation en utilisant une mĂ©thode analytique dĂ©diĂ©e spĂ©ciïŹquement Ă la substance que nous suspectons. » Si tout va bien, ce dĂ©pistage prend environ une semaine. Les instruments dâanalyse fonctionnent 24 heures sur 24, avec une cinquantaine dâĂ©chantillons testĂ©s Ă la fois.
Ensuite, les rĂ©sultats sont lus et interprĂ©tĂ©s par deux personnes indĂ©pendantes. Puis le rĂ©sultat ïŹnal est validĂ© par la direction du laboratoire avant dâĂȘtre rendu au·à la client·e qui en notiïŹera lâathlĂšte. « Si le rĂ©sultat est positif, soit celui-ci lâacceptera et sera sanctionnĂ© : quatre ans de suspension pour une premiĂšre infraction ou exclusion Ă vie pour une seconde, soit il contestera et pourra demander lâanalyse du deuxiĂšme Ă©chantillon », signale-t-il, spĂ©ciïŹant que dans le monde, entre 1 et 2% des Ă©chantillons testĂ©s contiennent des substances interdites.
En plus des analyses chimiques, le Laboratoire suisse dâanalyse du dopage effectue des recherches aïŹn de suivre certaines variables biologiques chez les athlĂštes. « Ces suivis permettent de mettre en Ă©vidence dâĂ©ventuelles variations, notamment au niveau sanguin au cours du temps. » Ces valeurs sont inscrites dans le passeport biologique de lâathlĂšte.
Ce systĂšme, dĂ©veloppĂ© au Laboratoire suisse dans les annĂ©es 2000 et introduit par lâAgence mondiale antidopage en 2009, permet de rĂ©vĂ©ler indirectement des pratiques de dopage. « Certaines substances ou mĂ©thodes de dopage ne peuvent pas ĂȘtre dĂ©tectĂ©es directement ; par exemple la transfusion sanguine autologue (un athlĂšte qui se rĂ©injecte son propre sang), mais des marqueurs indirects peuvent le mettre en Ă©vidence. »
Au niveau mondial, les sports les plus touchĂ©s par le dopage sont le culturisme (22% des infractions en 2019), lâathlĂ©tisme (18%) et le cyclisme (14%).
Dopage ou contamination ?
La complexitĂ© du contrĂŽle du dopage repose principalement sur les « micro-dosages », diâcilement dĂ©tectables ou des substances qui ne circulent pas encore sur le marchĂ© et pour lesquelles aucune mĂ©thode nâest encore implĂ©mentĂ©e dans les laboratoires. Nicolas Jan rappelle le scandale qui a secouĂ© lâentreprise Balco, au dĂ©but des annĂ©es 2000, aux ĂtatsUnis, qui produisait une substance dopante indĂ©tectable aux contrĂŽles, consommĂ©e par des athlĂštes de trĂšs haut niveau.
Ă lâinverse, la sophistication des mĂ©thodes de dĂ©tection complique le processus. « Les techniques pour repĂ©rer les substances interdites sont devenues si sensibles quâil devient parfois diâcile de distinguer sâil sâagit de produits dopants ou dâune contamination, explique Patrik Noack, mĂ©decinchef de Swiss Cycling et de Swiss Athletics et Health Performance Oâcer de lâĂ©quipe olympique suisse. Si lâathlĂšte consomme de la viande dâanimaux dâĂ©levage ou des produits vĂ©gĂ©taux traitĂ©s avec des mĂ©dicaments ou des produits chimiques, ces substances peuvent apparaĂźtre lors des tests. » Le spĂ©cialiste Ă©voque aussi les contraintes liĂ©es Ă cette pratique. « Les athlĂštes du pool de contrĂŽle international doivent se rendre disponibles pour un test une heure par jour, souvent trĂšs tĂŽt le matin. Ceci peut ĂȘtre contraignant quand on est en phase dâentraĂźnement intensif. »
En 2021, quelque 2200 tests ont Ă©tĂ© commanditĂ©s par la Swiss Sport Integrity, le centre de compĂ©tences suisse de lutte contre le dopage, indique son directeur, Ernst König. Il prĂ©cise quâun contrĂŽle coĂ»te en moyenne 1000 francs. Le nombre de tests dans chaque sport est ïŹxĂ© selon une analyse des risques. « Puis une Ă©quipe de scientiïŹques sportifs dĂ©termine quels athlĂštes tester Ă lâaide de diffĂ©rents critĂšres comme les performances, les rĂ©sultats ou les analyses prĂ©cĂ©dentes. » Les stratĂ©gies scientiïŹques antidopages
ont beaucoup Ă©voluĂ©, conïŹrme-t-il. « Le clivage entre les mĂ©thodes pour tricher et celles pour dĂ©tecter les substances interdites a diminuĂ© de façon notoire. » Il relĂšve par ailleurs que mĂȘme sâil y a toujours de nouvelles substances sur le marchĂ©, celles utilisĂ©es il y a vingt ans â notamment les stĂ©roĂŻdes â le sont encore aujourdâhui.
Contrairement aux pays voisins comme la France, lâAllemagne ou lâItalie, lâautodopage nâest pas punissable en Suisse, note-t-il. Un postulat parlementaire a mandatĂ© le Conseil fĂ©dĂ©ral pour quâil se penche sur la question. « Le statut de Swiss Olympic concernant le dopage, fondĂ© sur le Code mondial antidopage de lâAMA, relĂšve du droit privĂ© ; il faudrait Ă©valuer, entre autres choses, sâil serait juste que lâathlĂšte soit puni deux fois. » /
Les substances dopantes les plus fréquemment dépistées dans le monde sont les stéroïdes anabolisants, stimulants, diurétiques et agents masquants.
RECHERCHE
Dans ce «âLabo des humanitĂ©sâ», In Vivo vous fait dĂ©couvrir un projet de recherche de lâInstitut des humanitĂ©s en mĂ©decine (IHM) du CHUV et de la FacultĂ© de biologie et de mĂ©decine de lâUNIL.
Les traumatismes familiaux silencieux de la migration
SALVATORE BEVILACQUA & ELENA MARTINEZ / IHM

Selon Toni Ricciardi (2022), la Suisse aurait abritĂ© entre 1949 et 1975 prĂšs de 50â000 «âenfants du placardâ», pour ne parler que des Italiens. Ce chiffre est dĂ©cuplĂ© si on considĂšre les autres formes de sĂ©paration induites par lâimpossibilitĂ© du regroupement familial. Voirâ: bit.ly/43q59WQ
«âJâai Ă©tĂ© dĂ©racinĂ©e sans avoir la possibilitĂ© de mâenraciner Ă nouveau. Je me suis retrouvĂ©e du jour au lendemain avec mes parents, ces inconnus⊠qui le sont toujours un peu aujourdâhui.â» Ces propos sont ceux de Mme E.B., dont les premiĂšres annĂ©es ont Ă©tĂ© marquĂ©es par un long sĂ©jour de huit ans au Portugal, pays dâorigine de ses parents qui travaillaient Ă Luins (VD) en tant que saisonnier·Úre·s. Ă lâinstar de nombre dâenfants dâimmigré·e·s portugais·es, italien·ne·s, espagnol·e·s et ex-yougoslaves arrivĂ©s en Suisse entre 1950 et 1980, E.B. a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e au Portugal par ses grandsparents, puis par une tante, avant dâĂȘtre rapatriĂ©e en Suisse en 1985 par ses parents et «ârĂ©gularisĂ©eâ», câest-Ă -dire autorisĂ©e Ă les rejoindre dans le cadre dâun regroupement familial finalement admis sur le plan lĂ©gal par lâobtention dâun permis de sĂ©jour annuel.
«âUne personne ne naĂźt pas irrĂ©guliĂšre ou clandestine, une personne naĂźt en tant que personneâ», rappelle Toni Ricciardi, historien de lâĂ©migration Ă lâUniversitĂ© de GenĂšve, dans le film documentaire Non far rumore («âNe fais pas de bruitâ!â») rĂ©alisĂ© par RAI 3 en 2019.
«âRĂ©gularisĂ©eâ»â? DerriĂšre son apparente innocuitĂ©, le terme abrite en rĂ©alitĂ© une redoutable violence institutionnelle, dont les effets se font sentir aujourdâhui encore chez Mme E.B. et beaucoup dâautres
enfants clandestins, dont lesdits «âenfants du placardâ», que certains parents, ne pouvant se rĂ©soudre Ă une sĂ©paration, prirent le risque de garder, la peur au ventre, auprĂšs dâeux·elles en Suisse. Ces dernier·Úre·s ne se doutaient pas quâune telle dĂ©cision «âpar dĂ©fautâ», permettant de contourner une loi particuliĂšrement dure, pouvait grever, longtemps aprĂšs, lâestime de soi ou la santĂ© de leurs enfants, au mĂȘme titre que ces autres «âsolutionsâ» consistant Ă les confier Ă de la famille restĂ©e dans le pays dâorigine, ou Ă les placer dans des institutions dâaccueil.
Salvatore Bevilacqua, anthropologue de la santĂ©, interdit de sĂ©jour jusquâĂ lâĂąge de 4 ans bien que nĂ© en Suisse, Ă©tudie la question des sĂ©quelles des sĂ©parations affectives familiales â mais aussi, comme dans le cas de Mme E.B., de retrouvailles traumatisantes â sur la construction identitaire de ces enfants «âfantĂŽmesâ» et de leurs parents. RĂ©alisĂ©e dans le cadre de lâInstitut des humanitĂ©s en mĂ©decine, avec le soutien de la Fondation Leenaards, sa recherche recueille les tĂ©moignages de personnes directement concernĂ©es et analyse les interactions entre ces Ă©pisodes marquants de leur vie, leurs trajectoires de santĂ© et les liens familiaux intergĂ©nĂ©rationnels. Le projet propose ainsi une comprĂ©hension originale de cette thĂ©matique, en dĂ©veloppant une perspective de santĂ© publique, croisant histoire de la migration en Suisse et anthropologie de la santĂ©. /
CAROLE CLAIR
CORESPONSABLE DE LâUNITĂ SANTĂ ET GENRE UNISANTĂ, FACULTĂ DE BIOLOGIE ET MĂDECINE, LAUSANNE
« Et si le patient était une patiente »
La sensibilisation Ă la question de lâinfluence du genre en mĂ©decine est abordĂ©e, avec les Ă©tudiant·e·s, par la reprise de situations concrĂštes. On se demande alors ce qui aurait Ă©tĂ© diffĂ©rent si le patient avait Ă©tĂ© une patiente ou inversement. Aujourdâhui encore, on observe effectivement la puissance de lâancrage des stĂ©rĂ©otypes et leur impact sur les choix de prise en charge. Situation classique : lorsquâune personne se prĂ©sente aux urgences avec une dĂ©gradation de sa santĂ© mentale, lâinvestigation sera davantage orientĂ©e vers la sphĂšre professionnelle pour les hommes, tandis que pour les femmes le personnel mĂ©dical aura tendance Ă davantage se concentrer sur la sphĂšre familiale. Ces disparitĂ©s ont pourtant un enjeu vital, le fait que le diagnostic de dĂ©pression est plus diâcile Ă poser chez les hommes se reflĂšte ensuite dans un taux de suicide quatre fois plus Ă©levĂ© que chez les femmes.
Ces biais se dessinent dĂ©jĂ au niveau de la construction du savoir. La recherche autour des maladies cardiovasculaires sâest particuliĂšrement concentrĂ©e sur un proïŹl type dâhomme blanc
PROFIL
Carole Clair est coresponsable de lâUnitĂ© santĂ© et genre Ă UnisantĂ©, Ă Lausanne, avec la sociologue JoĂ«lle Schwarz depuis 2019. Elle mĂšne actuellement plusieurs projets de recherche sur le sujet du genre et de son influence en santĂ© et collabore avec les autres universitĂ©s suisses pour lâamĂ©lioration de lâenseignement du genre en mĂ©decine.

pour ensuite extrapoler les connaissances aux autres groupes. Une mĂ©thode remise en question face Ă la surmortalitĂ© des femmes victimes dâinfarctus, par exemple. Ce constat a gĂ©nĂ©rĂ© une inversion de la tendance et les Ă©tudes en cardiologie sont les premiĂšres Ă avoir intĂ©grĂ© davantage de femmes.
Pour tenter de cerner les diffĂ©rences entre les genres, il faut observer les variations biologiques telles que la rĂ©partition des graisses ou encore les hormones, mais il est aussi nĂ©cessaire de tenir compte du contexte social. Il est par exemple dĂ©montrĂ© que les femmes prĂ©sentent plus de sensibilitĂ© Ă la douleur. Lors des expĂ©riences menĂ©es pour Ă©tudier ce phĂ©nomĂšne, des hommes et des femmes ont Ă©tĂ© exposĂ©s Ă des stimuli douloureux. Effectivement, il est particuliĂšrement complexe de savoir si lâĂ©cart repose sur un aspect biologique ou social et si les femmes ressentent effectivement plus fort la douleur ou sâautorisent plus facilement Ă dire « jâai mal ».
Heureusement, des changements sâopĂšrent. Au niveau europĂ©en, par exemple, il est exigĂ© pour toute recherche de travailler avec un Ă©chantillon mixte intĂ©grant des femmes, des hommes et des personnes non blanches, lorsque cela est pertinent. On observe aussi que lâaugmentation de femmes mĂ©decins permet de sâintĂ©resser Ă des maladies jusquâalors nĂ©gligĂ©es.
SURVEILLER LES EAUX USĂES POUR PRĂVENIR LES PANDĂMIES
Lâanalyse dâĂ©chantillons provenant de stations dâĂ©puration devient toujours plus prĂ©cise. Plusieurs initiatives ont Ă©tĂ© lancĂ©es en Suisse pour mettre en place un systĂšme dâalerte en cas de pandĂ©mie basĂ© sur cette approche.
TEXTEâ: ERIK FREUDENREICH
Traquer le Covid-19 en Ă©tudiant les eaux usĂ©es des toilettes des avions. Câest lâune des mesures recommandĂ©es par lâUnion europĂ©enne en dĂ©but dâannĂ©e, Ă la suite de la flambĂ©e de cas enregistrĂ©s en Chine. Les autoritĂ©s de plusieurs pays, dont la Belgique et le Canada, ont dĂ©cidĂ© dâimplĂ©menter cette mĂ©thode dâanalyse. ConcrĂštement, les eaux usĂ©es sont extraites dĂšs lâatterrissage de lâappareil et transmises Ă un laboratoire. Celui-ci procĂšde alors Ă un sĂ©quençage qui permet dâidentifier les variants prĂ©sents et dâĂ©valuer le degrĂ© de circulation du virus.
Les aĂ©roports de GenĂšve et de Zurich nâont pas adoptĂ© cette mesure pour lâinstant. Mais elle fait lâobjet dâun projet de recherche amorcĂ© au moment de la crise sanitaire
par des Ă©quipes de recherche suisses, en collaboration avec lâEawag, lâInstitut fĂ©dĂ©ral pour lâamĂ©nagement, lâĂ©puration et la protection des eaux (voir encadrĂ©). Les scientifiques ont notamment rĂ©ussi Ă dĂ©tecter la prĂ©sence du Covid-19 dans les eaux usĂ©es Ă travers des Ă©chantillons prĂ©levĂ©s lors de la premiĂšre phase de la pandĂ©mie. Ă terme, lâobjectif vise Ă constituer un systĂšme dâalerte prĂ©coce. Plusieurs initiatives sont dâailleurs en cours au niveau suisse pour instaurer un tel dispositif de maniĂšre pĂ©renne.
COMPRENDRE LâIMPACT
«âLâanalyse des eaux usĂ©es est une approche intĂ©ressante, qui peut donner beaucoup de renseignements sur lâactivitĂ© humaine et lâimpact sur lâenvironnement, y compris lâapparition de pathologiesâ», explique Marc Augsburger, responsable
de lâUnitĂ© de toxicologie et de chimie forensiques (UTCF), qui fait partie du Centre universitaire romand de mĂ©decine lĂ©gale. Câest un sujet qui suscite un fort intĂ©rĂȘt auprĂšs des scientifiques depuis une vingtaine dâannĂ©es, et ce, pour plusieurs raisons. «âLa premiĂšre, câest que les eaux usĂ©es sont le reflet dâune activitĂ© humaine dâun bassin de population donnĂ© et que leur analyse permet dâĂ©viter de faire des prĂ©lĂšvements biologiques sur un nombre important de personnes.â»
Elle permet aussi de mieux comprendre et de prĂ©venir lâimpact de certaines industries ou infrastructures. «âUn hĂŽpital, par exemple, dĂ©livre beaucoup de mĂ©dicaments, dont certains prĂ©sentent une certaine toxicitĂ© pour lâenvironnement ou les humains. Comme ces molĂ©cules ne peuvent souvent pas ĂȘtre filtrĂ©es par les stations dâĂ©puration,

Dans le laboratoire de DĂŒbendorf, en Suisse, une collaboratrice place des Ă©chantillons dâeaux usĂ©es dans un congĂ©lateur, Ă -60 degrĂ©s. Le dĂ©partement de microbiologie environnementale de lâInstitut fĂ©dĂ©ral des sciences et technologies aquatiques sâintĂ©resse Ă la surveillance des coronavirus dans les eaux usĂ©es.
UN PROJET DE RECHERCHE DU FONDS NATIONAL SUISSE
Quels sont les moteurs de propagation des virusâ? Ă quelle vitesse peut-on identifier les variants responsables dâune vagueâ? Comment un virus pandĂ©mique devient-il endĂ©miqueâ? Voici quelques-unes des questions soulevĂ©es par le projet «âWISEâ» (Wastewater-based Infectious Disease Surveillance) du Fonds national suisse. Celui-ci rĂ©unit des chercheur·euse·s de lâInstitut fĂ©dĂ©ral pour lâamĂ©nagement, lâĂ©puration et la protection des eaux et des Ă©coles polytechniques fĂ©dĂ©rales de Zurich et de Lausanne.
LâĂ©tude a commencĂ© au mois de novembre 2022 et vise Ă dĂ©velopper les mĂ©thodes et les analyses de la surveillance des maladies infectieuses basĂ©e sur les eaux usĂ©es Ă©tablies au moment de la pandĂ©mie de Covid-19. Des Ă©chantillons sont analysĂ©s chaque semaine Ă partir de six stations dâĂ©puration rĂ©parties en Suisse.
disposer dâinformations provenant des eaux usĂ©es permet de procĂ©der Ă une meilleure analyse de risques et dâimplĂ©menter des mesures plus en amont.â»
Lâexpert souligne cependant les dĂ©fis techniques qui restent Ă relever en la matiĂšre. «âCela demeure une mĂ©thode dâanalyse qui est davantage qualitative
que quantitative. Ainsi, les concentrations mesurĂ©es ne seront pas les mĂȘmes Ă la suite dâun orage ou pendant une pĂ©riode de sĂ©cheresse.â»
Aussi, les molĂ©cules rejetĂ©es dans lâurine ont Ă©tĂ© transformĂ©es par le corps, ce qui lĂ encore complique le calcul des concentrations. Dâautant plus quâil faut avoir auparavant identifiĂ© les marqueurs pertinents des substances recherchĂ©es. «âUn tel monitoring se montre particuliĂšrement intĂ©ressant sâil est effectuĂ© dans le temps. Par exemple, on peut observer une augmentation de la prĂ©sence de substances illicites dans un endroit donnĂ© au moment de lâorganisation dâun Ă©vĂ©nement de grande ampleur comme un festival de musique.â»
ACCĂLĂRER LA PRISE DE DĂCISION
Le think tank suisse Pour Demain vient de publier une Ă©tude sur les avantages dâun systĂšme dâalerte prĂ©coce institutionnalisĂ© basĂ© sur lâanalyse continue des eaux usĂ©es. RĂ©alisĂ© en collaboration avec le cabinet de conseil Eraneos et le bureau dâĂ©tudes Infras, le rapport souligne quâun tel dispositif permettrait dâĂ©conomiser jusquâĂ 30 milliards de francs en cas de pandĂ©mie en Suisse.
LâĂ©tude suggĂšre dâinstaurer une surveillance permanente de cinq agents pathogĂšnes prĂ©sentant le plus grand potentiel pandĂ©mique dans 50 Ă 100 stations dâĂ©puration
en Suisse, soit le Covid-19, les autres coronavirus, les virus de la grippe, la variole et la rougeole. Une mesure complĂ©tĂ©e par le sĂ©quençage gĂ©nomique de ces agents pathogĂšnes Ă partir dâĂ©chantillons provenant des hĂŽpitaux, des cabinets mĂ©dicaux et des eaux usĂ©es, ainsi quâune meilleure gestion des donnĂ©es rĂ©coltĂ©es pour permettre une prise de dĂ©cision plus rapide en cas de crise sanitaire.
«âUn systĂšme dâalerte prĂ©coce agit comme un dĂ©tecteur Ă incendie ou un bulletin dâavalanchesâ», illustre Laurent BĂ€chler, chargĂ© de programme biosĂ©curitĂ© du think tank Pour Demain. «âLa surveillance des agents pathogĂšnes peut Ă©viter des coĂ»ts humains et Ă©conomiques importants, non seulement en pĂ©riode de pandĂ©mie, mais aussi en temps normal, par exemple grĂące Ă une meilleure connaissance des bactĂ©ries rĂ©sistantes aux antibiotiques.â»
UN
FORT RETOUR
SUR INVESTISSEMENT
LâĂ©tude a pris en compte trois scĂ©nariosâ: une pandĂ©mie similaire au Covid-19, une pandĂ©mie forte et une situation pandĂ©mique extrĂȘme. Elle estime les pertes humaines et Ă©conomiques Ă©vitĂ©es lors de la premiĂšre apparition dâun agent pathogĂšne dangereux, grĂące Ă lâavance gagnĂ©e par le systĂšme dâalerte, permettant par exemple de dĂ©crĂ©ter un confinement cinq ou dix jours plus tĂŽt.
FONCTIONNEMENT D,UN SYSTĂME
D,ALERTE PRĂCOCE EN CAS DE PANDĂMIE
1 2
RĂ©colte dâĂ©chantillons dâeaux usĂ©es auprĂšs de stations dâĂ©puration, dâhĂŽpitaux et de cabinets mĂ©dicaux.
3
Recherche dâagents pathogĂšnes dans les Ă©chantillons par sĂ©quençage gĂ©nomique.
4
Analyse et interprĂ©tation des donnĂ©es au sein dâune plateforme centralisĂ©e.
«âLa prochaine pandĂ©mie nâest quâune question de temps et la probabilitĂ© quâelle soit plus grave que le Covid-19 est Ă©levĂ©e, soulignent les auteurs de lâĂ©tude. Avec des dĂ©penses annuelles dâenviron 5 millions de francs en cas de situation normale, non pandĂ©mique, les coĂ»ts dâinvestissement sont faibles par rapport aux avantages positifs Ă©tendus â plus dâun milliard de francs dans un cas de pandĂ©mie similaire Ă celle
Prise de décision accélérée pour les autorités concernant les mesures à mettre en place pour réduire la propagation des agents pathogÚnes détectés.
du Covid-19, et jusquâĂ 15 Ă 30 milliards dans les scĂ©narios forts et extrĂȘmes. Des Ă©tudes de lâImperial College London et de McKinsey montrent que les investissements dans la prĂ©paration et la lutte contre les pandĂ©mies sont rentables.â»
Des dĂ©bats sur lâadoption dâun tel systĂšme sont Ă©galement en cours au niveau politique. Ainsi, la Commission de la sĂ©curitĂ© sociale et de la santĂ© publique
du Conseil national a dĂ©posĂ© en fin dâannĂ©e derniĂšre un postulat pour que le Conseil fĂ©dĂ©ral Ă©tudie lâextension du monitoring des eaux usĂ©es du Covid-19 Ă dâautres pathogĂšnes. Le gouvernement sâest montrĂ© favorable Ă ce postulat, qui devrait ĂȘtre traitĂ© par le Parlement ces prochains mois. /
AUX LIMITES DE LA VIE
Les soins palliatifs prennent en charge les patient·e·s dans la derniĂšre phase de leur vie. Entre directives anticipĂ©es, changement de lâobjectif thĂ©rapeutique et soulagement des souffrances, cette spĂ©cialitĂ© Ă©volue avec la sociĂ©tĂ© vieillissante.
«La mort nous attend tous. Nous avons tendance Ă lâocculter dans nos sociĂ©tĂ©s mais la reconnaĂźtre permet aussi de lâapprĂ©hender avec plus de sĂ©rĂ©nitĂ©.â» Gian Domenico Borasio, chef de service aux soins palliatifs du CHUV, en appelle Ă une meilleure sensibilisation quant aux questions de fin de vie. Ces situations sont multiples, souvent liĂ©es Ă lâĂąge et aux maladies comme la dĂ©mence, mais aussi aux maladies chroniques et aux cancers. «âCes patients touchent aux limites de la mĂ©decine, explique le professeur. Les organes sont trop fatiguĂ©s, la maladie profondĂ©ment installĂ©e. Les soins palliatifs ne visent pas forcĂ©ment Ă allonger la vie mais surtout Ă en amĂ©liorer la qualitĂ©.â»
AppelĂ©e «âchangement dâorientation thĂ©rapeutiqueâ», cette dĂ©cision signifie que les traitements ne vont dĂ©sormais
COMPASSION
Philip Larkin, professeur et directeur des soins palliatifs inïŹrmiers au CHUV, sâintĂ©resse au concept de compassion en soins palliatifs. « Les soins de ïŹn de vie requiĂšrent lâempathie du soignant. La compassion reprĂ©sente la concrĂ©tisation par lâaction de ce sentiment. » Selon lui, cette capacitĂ© se concrĂ©tise par lâaptitude Ă soutenir les dĂ©cisions des patient·e·s tout en respectant son autonomie. « Cette bienveillance ne peut opĂ©rer que si le personnel soignant et les institutions appliquent aussi une forme dâautocompassion. »
plus viser la guĂ©rison ou le rallongement de la vie â sans pour autant opter pour un arrĂȘt total des soins. «âCe nâest pas un Ă©chec de la mĂ©decine si un patient meurt, câest la maniĂšre qui est essentielleâ», prĂ©cise Gian Domenico Borasio, auteur du livre de sensibilisation Mourir et directeur de la premiĂšre chaire de mĂ©decine palliative de Suisse créée en 2006 Ă lâUniversitĂ© de Lausanne. «âIl faut absolument Ă©viter de persĂ©vĂ©rer dans lâadministration de traitements, parfois invasifs, Ă un patient qui nâen veut pas, ou pour qui ils nâont plus de sens.
Lâobjectif est de soulager les souffrances physiques, psychosociales et existentielles du patient, en lâaccompagnant correctement pour lui permettre dâexprimer tout son potentiel humain dans la derniĂšre phase de sa vie.â»
ĂLARGIR LA PRISE EN CHARGE
PrĂšs de 70% de la population suisse manifeste le souhait de mourir Ă domicile mais dans les faits, moins de 20%

y parviennentâ: 40% dĂ©cĂšdent Ă lâhĂŽpital et 40% en EMS, selon un rapport fĂ©dĂ©ral. Pour Ralf Jox, responsable de lâunitĂ© dâĂ©thique clinique et cotitulaire de la chaire des soins palliatifs gĂ©riatriques du CHUV, les soins palliatifs sont aujourdâhui confrontĂ©s Ă deux problĂ©matiquesâ: «âIls sont encore trop limitĂ©s aux patients atteints de cancer en phase terminale, alors quâils devraient ĂȘtre envisagĂ©s pour de nombreuses autres pathologies et, surtout, bien plus tĂŽt.â» En effet, au CHUV, en moyenne 75% des patient·e·s en soins palliatifs sont atteint·e·s dâun cancer, 25% dâune autre pathologie.
«âLes soins devraient en outre commencer sur les derniers mois, voire annĂ©es de la vie, et pas seulement les derniers jours, pour davantage de confort. Câest une idĂ©e prĂ©conçue dâimaginer le palliatif comme la mĂ©decine des derniers instants seulement.â»
La gestion des douleurs est en effet primordialeâ: quelle que soit sa pathologie de base, une personne en soins palliatifs souffre en moyenne de plus de dix symptĂŽmes physiques et psychologiques simultanĂ©ment, selon un article du Swiss Medical Forum.
En Suisse, 62% des dĂ©cĂšs concernent des personnes ĂągĂ©es de plus de 80 ans. Le vieillissement de la population en appelle ainsi Ă une considĂ©ration plus prĂ©coce des soins palliatifs pour les malades. Une stratĂ©gie Ă©galement intĂ©ressante sur le plan financierâ: 25 Ă 30% des coĂ»ts de la santĂ© sont liĂ©s aux soins effectuĂ©s dans les derniĂšres annĂ©es de lâexistence, surtout en raison des hospitalisations.
Les soins palliatifs visent ainsi Ă ĂȘtre davantage menĂ©s au domicile des personnes ou en EMS. Une bonne idĂ©e, selon le professeur Borasio, Ă condition de ne pas reporter la charge sur les proches aidant·e·s. «âLes familles ne peuvent pas
«âĂ VOS SOUHAITSâ»
Comment aborder le sujet des volontĂ©s de ïŹn de vie avec ses proches ? Les 44 cartes du jeu Ă vos souhaits âtraduit de la version originale amĂ©ricaine Go Wish â permettent de sâinterroger sur ces grandes questions. Lâoutil, qui se commande sur Internet, invite Ă lâĂ©change et permet au·à la joueur·euse de sâexprimer sur ses valeurs, ses doutes et ses volontĂ©s.
« Ce jeu apporte une approche ludique qui peut encourager et faciliter la rĂ©flexion autour des valeurs et des prĂ©fĂ©rences de ïŹn de vie, commente Ralf Jox, responsable de lâunitĂ© dâĂ©thique clinique et cotitulaire de la chaire des soins palliatifs gĂ©riatriques du CHUV. Mais ce nâest pas suâsant pour rĂ©diger des directives anticipĂ©es de maniĂšre claire et applicable. Le projet de soins anticipĂ©s (advance care planning) est un modĂšle beaucoup plus complet qui consiste Ă accompagner la personne tout au long du processus, de la rĂ©flexion Ă la signature des documents de prĂ©voyance. »
prodiguer les soins seules. Les fins de vie peuvent ĂȘtre compliquĂ©es et exigeantes. Reporter ces soins Ă la maison sans un soutien Ă©tatique et financier suffisant dĂ©place la responsabilitĂ© sur les proches, qui se retrouvent souvent surchargĂ©s.â» Les personnels dâEMS sont souvent insuffisamment formĂ©s aux soins palliatifs. Dans le canton de Vaud, quatre Ă©quipes mobiles de soins palliatifs existent pour aider les patient·e·s et leurs familles dans leur lieu de vie, que ce soit Ă la maison ou Ă lâEMS.
LâIMPORTANCE DES DIRECTIVES ANTICIPĂES
«âCe nâest pas possible de penser constamment Ă la mort mais ce nâest pas sain de totalement lâocculter non plus, souligne lâĂ©thicien Ralf Jox. Penser Ă sa finitude aide Ă rĂ©aliser lâimportance de vivre sa vie pleinement. Anticiper ses dĂ©cisions permet aussi de soulager les proches. Les moments de maladie ou de deuil dans lâentourage sont propices Ă aborder ces sujets malheureusement encore trop tabous.â»
Selon lâOffice fĂ©dĂ©ral de la statistique (OFS), 70% des personnes ĂągĂ©es (de plus de 65 ans) pour qui des dĂ©cisions importantes doivent ĂȘtre prises nâont pas leur pleine capacitĂ© de discernement. Le «âprojet de soins anticipĂ©sâ» (advance care planning) vise Ă pallier les limites actuelles des directives anticipĂ©es. Objectifâ: inciter les individus Ă rĂ©flĂ©chir en amont Ă leurs valeurs ainsi quâau niveau de soins quâils souhaitent ou non et Ă mettre leurs volontĂ©s par Ă©crit, de maniĂšre claire et sans contradictions. «âLes directives anticipĂ©es aident grandement les familles Ă dĂ©cider de lâampleur des soins Ă entreprendre, explique Ralf Jox. Dans ces situations, les dĂ©cisions doivent se baser sur la volontĂ© prĂ©sumĂ©e du patient et non pas sur ses propres valeurs. Ces choix peuvent ĂȘtre difficiles sans guide.â»
Il nâexiste aujourdâhui pas un seul formulaire Ă©tatique, mais une diversitĂ© de documents. Le plus utilisĂ© est celui de la FĂ©dĂ©ration des mĂ©decins suisses (FMH) mais ses terminologies complexes le rendent difficile Ă apprĂ©hender. «âCes directives doivent ĂȘtre remplies avec lâaide du mĂ©decin traitant, par exemple. Malheureusement, ces dĂ©marches ne sont pas spĂ©cifiquement remboursĂ©es par lâassurance maladie.â»
Selon les sondages, prĂšs de 30% des Suisse·sse·s ont rempli des directives anticipĂ©es, moitiĂ© moins en Suisse romande. Or Ă lâhĂŽpital, seulement 5% des patient·e·s prĂ©sentent leurs directives.
«âIl nâexiste pas de registre national et de nombreuses personnes nâont pas informĂ© leurs proches du lieu oĂč elles ont rangĂ© leurs directives anticipĂ©es. Ces informations restent donc introuvables. Câest dommage, il faudrait les intĂ©grer au dossier Ă©lectronique du patient.â»
LE RĂLE PRĂPONDĂRANT DES PROCHES
«âLa famille, les amis, lâentourage sont dĂ©terminants dans lâaccompagnement dâune personne en soins palliatifs, prĂ©cise Mathieu Bernard, directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV (créée en 2021, câest la premiĂšre en Suisse). Ce sont ces personnes qui amĂ©liorent la qualitĂ© de vie et participent Ă donner un sens Ă lâexistence vĂ©cue. Mais elles peuvent aussi reprĂ©senter une source de stress pour le patient, qui sâinquiĂšte de leur devenir, voire mĂȘme culpabilise dâĂȘtre un fardeau, dâimposer ces situations difficiles.â» Souvent dĂ©muni·e·s, les proches ont Ă©galement besoin de soutien. «âIls peuvent sâĂ©puiser Ă©motionnellement et physiquement, ce qui peut ĂȘtre dangereuxâ», avertit Mathieu Bernard.
Les patient·e·s en soins palliatifs bĂ©nĂ©ficient dâun accompagnement social, psychologique
EN QUĂTE DE SPIRITUALITĂ
Face à la mort, la spiritualité peut devenir une ressource importante.
« Dans les soins palliatifs, la spiritualitĂ© englobe la question du sens de la vie et/ ou un sentiment de transcendance, de connexion avec quelque chose qui dĂ©passe sa propre condition dâĂȘtre humain, explique Mathieu Bernard, directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV. Elle ne se rĂ©duit donc pas Ă la religion uniquement. Lâobjectif est dâaccompagner chaque patient dans sa propre croyance. » Les accompagnant·e·s spirituel·le·s âanciennement appelé·e·s aumĂŽniers â sont prĂ©sent·e·s dans lâhĂŽpital Ă cette ïŹn. Les rĂ©flexions sur le sens de sa propre existence ou de sa maladie peuvent aussi ĂȘtre encadrĂ©es par les psychologues.
« Mais si la spiritualitĂ© peut reprĂ©senter une aide en ïŹn de vie, pour dâautres, lâĂ©mergence de la maladie peut ĂȘtre vĂ©cue comme un abandon ou une trahison. Dans tous les cas, la spiritualitĂ© doit ĂȘtre Ă©valuĂ©e et au besoin intĂ©grĂ©e dans la prise en charge. »
et spirituel. Lâacceptation de la mort est diffĂ©rente en fonction de la vitesse de progression de la maladie et de lâĂąge des patient·e·s. «âLes personnes ĂągĂ©es peuvent accepter plus facilement la fin de leur vie, alors que câest beaucoup plus difficile chez les plus jeunes, pour qui cette rĂ©alitĂ© nâest pas compatible avec les enjeux qui devraient ĂȘtre les leurs. IndĂ©pendamment de lâĂąge, pour certains patients, la fin de vie nâest pas concevable, ils peuvent alors manifester du dĂ©ni face Ă la rĂ©alitĂ©. Câest un mĂ©canisme de dĂ©fense qui permet de refrĂ©ner les angoisses de mort. Il faut alors les accompagner en partant de leur rĂ©alitĂ© subjective, ce qui nĂ©cessite de sâadapter avec dĂ©licatesse Ă leur situation. Vouloir les confronter coĂ»te que coĂ»te Ă la rĂ©alitĂ© mĂ©dicale objective peut ĂȘtre trĂšs dommageable pour les patientsâ», soulignent les deux spĂ©cialistes. Des recherches ont Ă©galement montrĂ© que la notion dâaltruisme pouvait gagner en importance dans cette phase de vieâ: «âLes patients cherchent alors Ă donner, Ă transmettre quelque chose pour la postĂ©ritĂ©.â» /

Mathieu Bernard Directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV, le spĂ©cialiste dĂ©taille lâimportance de lâentourage dans lâaccompagnement dâune personne en soins palliatifs.
LE TOC OU LA MALADIE DU DOUTE
TEXTE: CAROLE EXTERMANN
Pathologie trop souvent sous-estimĂ©e, le trouble obsessionnel compulsif concerne pourtant de nombreuses personnes qui ne peuvent pas bĂ©nĂ©ficier dâune prise en charge adaptĂ©e.
On ne sâimagine pas que, pour certaines personnes, il est impossible de quitter un appartement sans prendre une photo des lampes Ă©teintes. Et dây retourner malgrĂ© tout pour vĂ©rifier que rien nâest restĂ© allumĂ©. En partir, puis y retourner, encore une fois, parfois pendant des heures. On ne sâimagine pas que certaines personnes peuvent passer sept heures par jour sous la douche, huit heures Ă nettoyer un logement, jusquâĂ en dĂ©visser les plinthes, craignant quâil reste de la poussiĂšre dessous. Alors quâil touche 2 Ă 3% de la population, le trouble obsessionnel compulsif (TOC) reste une affection peu connue. «âLa population concernĂ©e est pourtant considĂ©rable, dit Julien Elowe, mĂ©decin-chef au Service de psychiatrie du CHUV. En comparaison, le nombre de personnes atteintes de schizophrĂ©nie reprĂ©sente 1 Ă 2% de la population. Pourtant, on en parle davantage.â» Le TOC se divise en deux parties. Il y a lâobsession, une
pensĂ©e souvent intrusive et persistante, et la compulsion, un comportement mis en place par la personne pour dĂ©samorcer lâanxiĂ©tĂ© liĂ©e Ă la pensĂ©e obsĂ©dante. «âJe dis souvent Ă mes patientsâ: ce que vous vivez, tout le monde le vit, mais chez vous, câest devenu incontrĂŽlable.â»
DE LA ROUTINE Ă LA MALADIE
Mais comment savoir quand un rituel, une habitude ou une routine devient un TOCâ? Pour Margaux*, 40 ans, il a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce dont elle souffrait. «âDĂ©jĂ enfant, je rĂ©alisais des petits rituels, notamment en lien avec la superstition et les pensĂ©es magiques. Je faisais frĂ©quemment le signe de croix pour quâil nâarrive pas de malheur.â» LâexcĂšs dâanxiĂ©tĂ© dont elle souffre amĂšne la famille Ă consulter un pĂ©dopsychiatre qui ne relĂšvera rien de particulier. Plus tard, Ă lâĂąge de 19 ans, elle fait face Ă une augmentation importante de son TOC en lien avec le stress des examens de maturitĂ©. «âJe passais plusieurs heures par jour Ă faire le mĂ©nage. Jâai alors consultĂ© un autre psychiatre qui a posĂ© un diagnostic, mais comme il nâĂ©tait pas spĂ©cialisĂ© dans le traitement des TOC, il mâa juste prescrit une forte dose dâantidĂ©presseurs. Je nâavais plus de TOC, mais je souffrais terriblement des effets secondaires des mĂ©dicaments.â»
MalgrĂ© son trouble, la jeune femme parvient Ă suivre des Ă©tudes et Ă se former en tant quâenseignante. LâarrivĂ©e du Covid-19, et les contraintes liĂ©es Ă la limitation de la propagation du virus, marquera un tournant. «âLe fait dâĂȘtre confinĂ©e Ă la maison, oĂč mon TOC se manifeste le plus, a Ă©tĂ© particuliĂšrement complexe. Et je nâavais plus accĂšs aux thĂ©rapies que je suivais.â»
PRISE EN CHARGE LACUNAIRE
Pathologie des jeunes â puisque lâĂąge mĂ©dian des personnes concernĂ©es est de 19 ans et que, dans 25% des cas, les TOC commencent avant lâĂąge de 10 ans â, ce trouble est pourtant souvent repĂ©rĂ© trop tard. Une situation vĂ©cue par Agathe Gumy, fondatrice de lâassociation Tocs passerelles, dont la fille a souffert de TOC. «âAu moment oĂč le trouble a Ă©tĂ© identifiĂ©, je ne connaissais absolument pas cette maladie. Et Ă lâĂ©poque, on ne trouvait sur internet aucune information liĂ©e aux TOC en Suisse. Aujourdâhui encore, il nâexiste en Suisse romande aucun centre ou service hospitalier spĂ©cialisĂ©.â»
Souvent, les personnes concernĂ©es ne savent donc pas vers qui se tourner et Ă©prouvent de la honte Ă en parler. Câest Ă©galement le cas de Margaux*, qui passe aujourdâhui encore entre huit et dix heures par jour Ă faire le mĂ©nage et divers rituels. «âMa plus grande phobie Ă©tait dâĂȘtre internĂ©e, quâon me considĂšre comme folle. En plus de consacrer Ă©normĂ©ment de temps au nettoyage, je passe quotidiennement deux Ă trois heures Ă faire des listes mentales, et si je suis interrompue, je dois tout recommencer Ă plusieurs reprises pour vĂ©rifier que tout est en ordre dans ma vie.â»
Le caractĂšre chronophage du TOC gĂ©nĂšre une souffrance Ă©norme et peut rendre la vie sociale et professionnelle impossible. «âAu travail, je nâen ai jamais parlĂ©. Jâai dĂ» rĂ©duire mon taux dâemploi Ă 60%, et jâavais constamment honte dâavoir lâair aussi Ă©puisĂ©e alors que jâenseignais seulement Ă temps partiel. Puis ma fatigue a pris une telle ampleur que je nâavais pas dâautre solution que de me mettre en arrĂȘt.â»
Pour Julien Elowe aussi, les structures spĂ©cialisĂ©es manquent. «âLa prise en charge ambulatoire est largement insuffisante. LâidĂ©al serait de pouvoir proposer des traitements intensifs.â» Une solution pour laquelle avait optĂ© Agathe Gumy au moment oĂč le mal-ĂȘtre de sa fille lâavait poussĂ©e Ă la tentative de suicide. «âNous nous
sommes rendues en France Ă la Clinique Lyon LumiĂšre, Ă©quipĂ©e dâun service spĂ©cialisĂ© dans le traitement du TOC. Mais Ă ce moment-lĂ , nous ne savions pas quâil Ă©tait recommandĂ© de continuer la thĂ©rapie par un suivi psychothĂ©rapeutique.â»
Actuellement, ce qui fonctionne le mieux pour accompagner les personnes souffrant dâun TOC est dâappliquer la technique dâexposition avec prĂ©vention de rĂ©ponse. Une mĂ©thode psychothĂ©rapeutique comportementale qui consiste Ă confronter les patient·e·s Ă la situation qui gĂ©nĂšre le TOC, en les encourageant Ă limiter le rituel gĂ©nĂ©ralement rĂ©alisĂ©. Dans le cadre de son travail pour lâassociation Tocs Passerelles, Agathe Gumy reçoit une Ă quatre demandes par jour. La structure propose des pistes pour mieux comprendre la maladie et orienter les personnes concernĂ©es vers les thĂ©rapeutes spĂ©cialisé·e·s.
Des tables rondes sont Ă©galement mises en place. «âQuand jâai entendu un autre participant raconter son expĂ©rience, je nâai pas pu retenir mes larmes, raconte Margaux. Pour la premiĂšre fois, jâai pris conscience que le TOC est une maladie.â» Pour Agathe Gumy, il est urgent dâinformer et de former les professionnel·le·s de la santĂ© au sujet de cette pathologie et notamment les pĂ©diatres. «âLe diagnostic du TOC nâest pas difficile Ă poser et il est capital de prendre en charge le trouble avant quâil prenne trop dâampleur.â» Pour Ă©largir les possibilitĂ©s thĂ©rapeutiques, Margaux souhaite suivre une psychothĂ©rapie assistĂ©e par psychĂ©dĂ©liques. «âJâai eu mon premier rendez-vous aux HUG en octobre dernier, mais mon dossier est toujours en attente.â» Une latence difficile face Ă lâurgence de pouvoir retrouver des conditions de vie supportables, et reprendre le travail. /
* prĂ©nom dâemprunt
En Suisse, prĂšs de 10% des hospitalisations sont liĂ©es Ă la prise dâun mĂ©dicament et Ă ses Ă©ventuels effets indĂ©sirables. Beaucoup de ces situations pourraient ĂȘtre Ă©vitĂ©es, grĂące Ă des gestes simples.
TEXTEâ: STĂPHANIE DE ROGUIN
Parcours dâune nouvelle substance jusquâĂ sa mise sur le marchĂ©â:
ui ne sâest jamais retrouvĂ©, Ă la suite de la prise dâun mĂ©dicament, dans un Ă©tat plus dĂ©sagrĂ©able encore que le mal initialâ? Cette situation est loin dâĂȘtre rare. Elle reprĂ©sente mĂȘme prĂšs de 10% des cas dâhospitalisation en Suisse, selon la Fondation SĂ©curitĂ© des patients. Quelles explications se cachent derriĂšre ce chiffreâ? Comment Ă©viter ces effets indĂ©sirables et comment rattraper la situation une fois quâils se manifestentâ?
Lorsquâun malaise ou une Ă©ruption cutanĂ©e inattendue surviennent aprĂšs la prise dâun mĂ©dicament, il serait plus juste de parler «âdâĂ©vĂ©nement indĂ©sirableâ», souligne Thierry Buclin, mĂ©decin-chef au Service
de pharmacologie clinique du CHUV.
«âLâĂ©vĂ©nement, câest quelque chose que lâon observe. Une fois le problĂšme dĂ©tectĂ©, nous menons une investigation pour comprendre sâil est liĂ© ou non Ă la prise du mĂ©dicament. Si le problĂšme concerne uniquement un individu, nous appliquons une dĂ©marche diagnostique clinique en procĂ©dant par Ă©limination. En cas de problĂšme plus largement rĂ©pandu, une sĂ©rie dâĂ©tudes sera faite pour dĂ©terminer sâil y a causalitĂ© ou non. On parle alors dâeffet indĂ©sirable quand on conclut quâil existe vĂ©ritablement un lien de cause Ă effet.â»
1âââĂTUDE PRĂ-CLINIQUE
Les principes actifs candidats sont soumis Ă des simulations en laboratoire et Ă des essais sur des animaux.
DIFFĂRENTS TYPES DâEFFETS
INDĂSIRABLES
Le personnel mĂ©dical peut anticiper lâapparition de ces effets indĂ©sirables selon le type auquel ils appartiennentâ: on parle dâeffets indĂ©sirables de type A pour des effets essentiellement pharmacologiques. Les effets secondaires directement liĂ©s Ă un traitement donnĂ© en font partie, Ă lâimage dâun anticoagulant administrĂ© Ă un·e patient·e pour le·la soulager dâune thrombose, par exemple, et qui va parfois provoquer des hĂ©matomes.
2âââESSAIS
la premiĂšre fois. Dans ce cas, lâorganisme dĂ©clenche une rĂ©action inflammatoire pour se dĂ©fendre. Cette rĂ©action peut provoquer une sĂ©rie dâĂ©vĂ©nements indĂ©sirables tels que des hĂ©patites, des attaques artĂ©rielles ou cĂ©rĂ©brales.
DES ĂVĂNEMENTS RARES Ă CONSIDĂRER AVEC SĂRIEUX
CLINIQUES
PHASE I
La prĂ©paration est dâabord testĂ©e sur un petit nombre de volontaires en bonne santĂ© afin dâĂ©tudier les rĂ©actions de lâorganisme, celles sur le mĂ©tabolisme et la tolĂ©rance Ă la substance.
Il existe aussi des effets pharmacologiques que lâon appelle off-target, de type B, comme ceux dĂ©clenchĂ©s par certains antibiotiques contenant des molĂ©cules prĂ©vues pour attaquer des bactĂ©ries, mais qui peuvent aussi se fixer sur dâautres structures de lâorganisme, par exemple les neurorĂ©cepteurs. Le journal Le Temps avait rapportĂ© au printemps 2022 lâhistoire dâun patient, qui, traitĂ© par antibiotiques pour une pneumonie, a connu un Ă©pisode maniaque avec un dĂ©lire mystique. Câest trĂšs probablement ce qui sâest passĂ© dans ce cas-lĂ .
Les événements indésirables de type B sont moins fréquents et donc plus difficiles à prévoir. En effet, les allergies ou les intolérances à une substance se révÚlent imprévisibles si le ou la patient·e rencontre la molécule en question pour
Il peut paraĂźtre Ă©tonnant que des Ă©vĂ©nements indĂ©sirables se manifestent frĂ©quemment, alors que la procĂ©dure dâessai et de validation de toute nouvelle substance jusquâĂ sa mise sur le marchĂ© est si lourde. «âCertains effets indĂ©sirables rares ou trĂšs rares, des interactions avec dâautres mĂ©dicaments ou dâautres risques liĂ©s Ă lâemploi dâun mĂ©dicament ne sont observĂ©s quâaprĂšs lâautorisation, une fois que le produit est largement utilisĂ©â», rapporte Lukas Jaggi, porte-parole chez Swissmedic. Des risques quâil ne faut en aucun cas nĂ©gliger, puisquâils peuvent avoir des consĂ©quences mortelles. «âCette marge dâerreur sâexplique en partie parce que les candidats qui participent aux essais cliniques sont gĂ©nĂ©ralement plus jeunes et en meilleure santĂ© que les malades qui vont effectivement prendre le mĂ©dicament une fois celui-ci commercialisĂ©â», ajoute le spĂ©cialiste du CHUV Thierry Buclin. En outre, les malades reçoivent plusieurs mĂ©dicaments, ce qui favorise les interactions mĂ©dicamenteuses.
3âââESSAIS CLINIQUES
PHASE II
Elle concerne quelques dizaines Ă quelques centaines de patient·e·s et fournit de plus amples informations sur la sĂ©curitĂ©, lâefficacitĂ© et le dosage optimal du futur mĂ©dicament.
LâIMPORTANCE DE LA PHARMACOVIGILANCE
Pour amĂ©liorer lâinformation aux patient·e·s, notamment dans les notices qui accompagnent tout mĂ©dicament, il est primordial de relayer les Ă©vĂ©nements indĂ©sirables rencontrĂ©s. Tout·e mĂ©decin ou pharmacien·ne qui en est informé·e a lâobligation, depuis 2003, de transmettre lâĂ©vĂ©nement au rĂ©seau suisse de pharmacovigilance. Au CHUV par exemple, lâun des relais de ce rĂ©seau est le Service de pharmacologie clinique qui rĂ©pond aux demandes des mĂ©decins. Le dossier de la personne est alors rigoureusement analysĂ© pour pouvoir fournir des recommandations individualisĂ©es, par exemple une Ă©viction dĂ©finitive du mĂ©dicament. Ensuite, ces spĂ©cialistes dĂ©crivent le cas sous forme
anonyme dans une base de donnĂ©es de pharmacovigilance coordonnĂ©e par Swissmedic. Ces donnĂ©es rejoignent celles de trĂšs nombreux pays de lâOMS, dont le centre de pharmacovigilance situĂ© Ă Uppsala, en SuĂšde. En Suisse, on dĂ©nombre environ 3000 signalements par an.
«âLes spĂ©cialistes parviennent ainsi Ă identifier des signaux dâeffets indĂ©sirables. Ces derniers pourront justifier soit de nouvelles Ă©tudes, soit des ajouts sur les notices de mĂ©dicaments, voire des contre-indications Ă certains profils de patientsâ», explique Thierry Buclin. Lâissue de dernier recours consiste Ă retirer le mĂ©dicament du marchĂ©, ce qui arrive plusieurs fois par an, Ă©tant donnĂ© que plusieurs dizaines de nouvelles substances entrent sur le marchĂ© chaque annĂ©e.
CONSEILS EN MATIĂRE DE MĂDICAMENTS
4âââESSAIS CLINIQUES
PHASE III
Quelques centaines Ă quelques milliers de personnes y participent. Cette Ă©tape vise Ă dĂ©terminer le profil dâeffets secondaires du produit ainsi que les groupes de personnes et de patient·e·s chez lesquels le bĂ©nĂ©fice attendu dĂ©passe les risques potentiels.
Des gestes simples peuvent cependant contribuer Ă Ă©viter une partie des Ă©vĂ©nements indĂ©sirables, prĂ©cise SĂ©bastien Marti, propriĂ©taire et directeur de trois pharmacies dans le canton de NeuchĂątel et vice-prĂ©sident de PharmaSuisse. «âCela peut sembler Ă©vident, mais le fait de bien lire la notice dâun mĂ©dicament et de respecter les consignes qui sont donnĂ©es, par exemple de prendre une capsule pendant ou avant le repas, est
primordial et souvent nĂ©gligĂ©.â» Des mĂ©dicaments courants contenant de lâibuprofen, comme lâAlgifor, ont pour effet de crĂ©er de lâaciditĂ© gastrique. Le fait de les prendre pendant le repas diminue cette tendance. Certains traitements voient aussi leur effet perturbĂ© lorsquâils sont pris avec de lâalcool ou avec du tabac. La notice signale ce type dâincompatibilitĂ©s.
Pour sa part, Thierry Buclin recommande le principe dâune sobriĂ©tĂ© mĂ©dicamenteuse. Le spĂ©cialiste Ă©voque Ă©galement le cas de la prise rĂ©guliĂšre dâanti-inflammatoires, qui ont souvent pour effet dâaugmenter la tension artĂ©rielle, dĂ©bouchant sur la prescription dâanti-hypertenseurs. «âIl faut Ă©viter au maximum ces cascades mĂ©dicamenteuses. Il est parfois plus bĂ©nĂ©fique dâenlever un mĂ©dicament que dâen ajouter unâ», insiste le mĂ©decin-chef au Service de pharmacologie clinique du CHUV.
5âââSURVEILLANCE
AprĂšs lâautorisation de mise sur le marchĂ©, le profil de sĂ©curitĂ© dâun mĂ©dicament est surveillĂ© en continu pour minimiser les risques potentiels pour les patient·e·s.
Dans la mĂȘme veine, respecter la posologie est tout aussi important. «âSi le patient Ă©prouve le besoin de modifier la quantitĂ© prescrite, parce que lâeffet est trop ou pas assez fort, il doit en parler Ă son mĂ©decin traitant ou pharmacien.â» De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, ĂȘtre transparent avec les professionnel·le·s de la santĂ© et leur donner un maximum dâinformations empĂȘchent bien des problĂšmes. Enfin, lâutilisation dâun pilulier ou dâun semainier peut sâavĂ©rer utile pour sâassurer dâavoir bien pris son ou ses mĂ©dicaments.
Le dĂ©veloppement du dossier Ă©lectronique du patient (DEP) se profile Ă©galement comme une solution prometteuse pour amĂ©liorer lâinformation aux diffĂ©rent·e·s professionnel·le·s de la santĂ© qui auront dĂ©sormais Ă disposition lâhistorique et une vision globale de la situation de chacun·e de leurs patient·e·s. Dans les Ă©tablissements oĂč un tel systĂšme existe dĂ©jĂ Ă lâinterne, le dispositif informatisĂ© signale automatiquement lorsquâune incompatibilitĂ© mĂ©dicamenteuse apparaĂźt. /
* noms dâemprunt

«âIl faut Ă©viter au maximum les cascades mĂ©dicamenteuses. Il est parfois plus bĂ©nĂ©fique dâenlever un mĂ©dicament que dâen ajouter unâ», explique Thierry Buclin, mĂ©decin-chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV.

EN SIMULATION DâURGENCE
LE SERVICE DES URGENCES ORGANISE DEPUIS 2012 DES FORMATIONS SUR MANNEQUIN DURANT LESQUELLES LES ĂQUIPES REPRODUISENT DES SITUATIONS RĂELLES. OBJECTIFâ: RENFORCER LA
COHĂSION
DANS UN CONTEXTE OĂ CHAQUE MINUTE COMPTE.
TEXTEâ: AUDREY MAGAT
PHOTOSâ: GILLES WEBER
Un homme de 65 ans arrive aux urgences. Il a perdu connaissance dans son appartement, et se plaint de douleurs thoraciques. Ă son arrivĂ©e aux urgences, son rythme cardiaque sâest dĂ©jĂ emballĂ©, sa tension chute, puis son cĆur sâarrĂȘte. Un massage cardiaque est entamĂ©, lâadrĂ©naline injectĂ©e, les voies aĂ©riennes sĂ©curisĂ©es. Il va survivre. Ce patient est en rĂ©alitĂ© un mannequinsimulateur ultra-sophistiquĂ©. Depuis 2012, le Service des urgences propose des journĂ©es de formation au dĂ©choquage, câest-Ă -dire des situations nĂ©cessitant une prise en charge immĂ©diate, comme dans le cas dâun arrĂȘt cardiaque, de traumatismes graves ou encore de dĂ©tresse respiratoire sĂ©vĂšre.
AppelĂ©es formation «âadvanced life supportâ» (ALS), ces simulations â issues Ă lâorigine du monde de lâaviation â confrontent des mĂ©decins et des infirmier·Úre·s Ă des scĂ©narios dâurgence vitale. «âEn prenant le temps dâanalyser leur comportement dans des situations critiques, les Ă©quipes sâamĂ©liorent sur le plan mĂ©dical et infirmier mais entraĂźnent aussi des aspects essentiels, comme la communication, le leadership et la gestion dâĂ©quipeâ», explique Nicolas Beysard, mĂ©decin associĂ© aux urgences du CHUV et formateur. Au total, prĂšs de 1000 personnes ont participĂ© Ă une simulation depuis la crĂ©ation de cette formation.

1/
SE RAPPROCHER DE LA RĂALITĂ
Les formateurs et formatrices prĂ©parent diffĂ©rents scĂ©narios dâurgence. Les mannequins sont habillĂ©s, coiffĂ©s, maquillĂ©s de sang ou de vomi selon la situation. «âLe problĂšme est que nous ne disposons dans notre service que de mannequins dâhommes caucasiens dâĂąge moyen, nous devons donc nous organiser pour les adapterâ», prĂ©cise Nicolas Beysard. Ultratechnologique, le mannequin a un pouls qui Ă©volue et peut exprimer des sons, Ă lâaide dâun micro contrĂŽlĂ© par le·la technicien·ne.

2/ MISE EN SITUATION
Quatre scĂ©narios de vingt minutes, suivis chacun dâun dĂ©briefing de quarante-cinq minutes sont rĂ©partis sur la journĂ©e. Ces formations ont lieu deux fois par mois sur dix mois. Dans la salle, les masques Ă oxygĂšne cĂŽtoient les diverses sondes, le dĂ©fibrillateur et de rĂ©elles armoires Ă pharmacie. La prise en charge ne doit pas excĂ©der trente minutes.

3/ SUIVRE LE RYTHME
LâĂ©quipe, de sept personnes au minimum, se compose de mĂ©decins des urgences et des soins intensifs, dâinfirmiers et dâinfirmiĂšres. Dâautres spĂ©cialistes, par exemple venus de lâorthopĂ©die ou de lâanesthĂ©sie, peuvent se rajouter au besoin. Chaque situation est menĂ©e sous la direction dâun «âleaderâ», gĂ©nĂ©ralement le ou la mĂ©decin. VĂ©ritable chef·fe dâorchestre, son rĂŽle est dâindiquer quels gestes appliquer, ou quels mĂ©dicaments donner.



4/ TRAVAIL DâĂQUIPE
Chaque membre de lâĂ©quipe doit coller une Ă©tiquette indiquant son prĂ©nom et sa fonction.
«âNous sommes trop nombreux pour tous nous connaĂźtre, explique Yves Lemaire, infirmier
5/ COMPLICATIONS EN DIRECT
Depuis la salle de pilotage, lâĂ©quipe qui sâoccupe de lâĂ©valuation observe la prise en charge. Ils peuvent modifier les paramĂštres vitaux du mannequin, en provoquant par exemple un arrĂȘt cardiaque ou un retour Ă un rythme stable, selon les dĂ©cisions prises par lâĂ©quipe soignante.
responsable des simulations mĂ©dicales. Sâadresser Ă quelquâun par son prĂ©nom crĂ©e une proximitĂ© favorable Ă la cohĂ©sion dâĂ©quipe.â»



6/ CONCENTRATION PALPABLE
La tension et la concentration sont Ă leur comble. Hormis les sons des machines, les Ă©quipes travaillent dans le calme. Leurs gestes sont prĂ©cis. Elles sont rapidement immergĂ©es dans la simulation. Oubliant le mannequin, lâĂ©quipe identifie les organes vitaux menacĂ©s, entame un massage cardiaque. Lâenjeu de survie, mĂȘme simulĂ©, est omniprĂ©sent.

7/ MAINTENIR LES ĂCHANGES
La communication est essentielle dans les situations dâurgence. Il faut donc sâassurer dâĂȘtre entendu·e, «âde fermer les bouclesâ», prĂ©cise le mĂ©decin cadre. «âAutrement dit, de rĂ©pĂ©ter
8/ RETOUR DâEXPĂRIENCE
Au dĂ©briefing, toutes les personnes livrent leurs impressions. LâĂ©quipe de formation les aiguille afin quâelles posent un regard critique sur leur propre expĂ©rience.
«âCâest plus instructif de constater soi-mĂȘme ses faiblessesâ», prĂ©cise la formatrice Marie Guinat, cheffe de clinique aux soins intensifs.
Les journées de simulation ne sont pas des évaluations.
«âLes participant·e·s doivent agir comme Ă leur habitude pour repĂ©rer les mauvais rĂ©flexes, les soucis de communication.â»
LâinterdisciplinaritĂ© de cette simulation permet aussi de poser un autre regard sur les mĂ©tiers et responsabilitĂ©s de chacun·e.
lâordre donnĂ© afin de confirmer quâil a Ă©tĂ© compris.â» Durant lâintervention, le leader rĂ©sume ainsi plusieurs fois la situation et fait le point sur les donnĂ©es vitales.

On marche dessus tous les jours, mais pas question de les ramasser. PrĂ©sents partout, les champignons mycorhiziens sont un cas dâĂ©cole de symbiose. «âGrĂące aux filaments qui se fixent au niveau des racines, ils fournissent des Ă©lĂ©ments nutritifs aux plantes, comme des minĂ©raux ou du phosphate. En Ă©change, ils reçoivent notamment du sucreâ», rĂ©sume Ian Sanders, gĂ©nĂ©ticien au DĂ©partement dâĂ©cologie et dâĂ©volution de lâUNIL.
Une autre espĂšce pourrait tirer parti de ce bĂ©nĂ©fice mutuelâ: lâĂȘtre humain, confrontĂ© Ă des crises alimentaires que les effets du rĂ©chauffement climatique viennent encore renforcer. «âOn sait depuis les annĂ©es 1970 que les rĂ©seaux mycorhiziens permettent dâaugmenter les rendements de cultures comme le riz, le maĂŻs, les pommes de terre ou le maniocâ», explique le chercheur. En laboratoire, ses travaux ont permis de multiplier la croissance du riz par cinq en 2010. Sur le terrain, des expĂ©riences Ă grande Ă©chelle dâune variĂ©tĂ© particuliĂšre, le Rhizophagus irregularis, ont Ă©tĂ© menĂ©es avec succĂšs sur le manioc en Colombie,
NOM
CHAMPIGNONS MYCORHIZIENS
TAILLE (TĂTE + CORPS)
30 Ă 500 MICROMĂTRES
CARACTĂRISTIQUE
LEURS RĂSEAUX ALIMENTENT LE MONDE VĂGĂTAL EN EAU ET EN NUTRIMENTS.
Des champignons qui font rĂȘver
En favorisant la croissance des plantes, les champignons mycorhiziens permettent dâamĂ©liorer les rendements agricoles.
La fin de la faimâ?
TEXTEâ: JEAN-CHRISTOPHE PIOT

en Tanzanie et au Kenya. Ă la clĂ©, de meilleurs rendements et une rĂ©duction de lâusage des intrants agricoles, phosphates en tĂȘte.
Reste Ă mieux comprendre un phĂ©nomĂšne que la diversitĂ© des champignons et des sols rend complexe, chaque parcelle exigeant des apports diffĂ©rents qui ne donneront pas les mĂȘmes rĂ©sultats quelques kilomĂštres plus loin. «âDes champignons identiques produisent des descendants gĂ©nĂ©tiquement variables, avec des effets diffĂ©rents sur les plantes. Ils modifient Ă©galement le microbiome (soit lâensemble des micro-organismes et leurs gĂšnes vivant dans un environnement particulier) et la structure de chaque solâ», explique Ian Sanders.
Aujourdâhui, Ian Sanders concentre son travail sur le manioc, plante tropicale cultivĂ©e dans les zones les plus arides de la planĂšte, lĂ oĂč le risque de malnutrition voire de famine est le plus Ă©levĂ©. Dâici deux ou trois ans, le programme dĂ©ployĂ© avec des exploitant·e·s colombien·ne·s devrait permettre de faire avancer une recherche appliquĂ©e novatrice, utile et respectueuse des Ă©cosystĂšmes. /
ANJA PATTSCHULL
InïŹrmiĂšre clinicienne spĂ©cialisĂ©e, Service de gĂ©riatrie et rĂ©adaptation gĂ©riatrique, CHUV
«âCela en vaut-il encore la peineâ?â»
InfirmiĂšre en gĂ©riatrie, jâai dĂ» entendre cette question plusieurs centaines de fois. Et la prononcer aussi. Elle survient lorsquâil nâest plus certain que les traitements administrĂ©s Ă lâhĂŽpital apportent davantage au·à la patient·e quâils ne lui occasionnent de souffrance ou dâinconfort. Obligatoirement, quelquâun la posera en premier. Peut-ĂȘtre un peu maladroitement, peut-ĂȘtre pas au bon moment.

nâest pas prĂȘte Ă envisager la fin de soins Ă but curatif. De ces diffĂ©rents points de vue dĂ©couleront des discussions Ă©thiques, puis des dĂ©cisions qui tĂ©moigneront de la capacitĂ© de lâensemble des acteur·trice·s Ă adopter ou non une attitude cohĂ©rente et concertĂ©e.
Souvent, ce sera le dĂ©but dâune longue sĂ©rie de discussions au sein de lâĂ©quipe interprofessionnelle. Une infirmiĂšre prĂ©conise de dispenser uniquement des soins de confort. Selon elle, le cap de lâacharnement thĂ©rapeutique est dĂ©jĂ franchi. Un autre soignant questionne la pertinence de prendre les paramĂštres vitaux, de mettre de lâoxygĂšne. Ne devrait-on pas simplement accompagner et soulager les symptĂŽmesâ? Un soignant nâa pas voulu rĂ©veiller le ou la patient·e car il pense quâil est prĂ©fĂ©rable de privilĂ©gier son repos Ă la prise du repas. Mais dâautres membres de lâĂ©quipe estiment quâinterrompre certains traitements serait trop brutal, que des investigations supplĂ©mentaires pourraient profiter au patient, ou que sa famille
Câest tout sauf simple. Dâabord, parce quâil nâexiste pas dâinstant «âTâ» oĂč lâon conclurait que les traitements et les soins dispensĂ©s pour maintenir ou amĂ©liorer la santĂ© de la personne nâont pas les effets escomptĂ©s. Câest un processus progressif, une situation changeante, avec des signes contradictoires. Ensuite, parce que chaque professionnel·le a comme grille de lecture les savoirs spĂ©cifiques de sa discipline et les compĂ©tences en lien avec son expĂ©rience. Par dĂ©finition, chacun·e aura donc une vision diffĂ©rente. Et sâil est pertinent de renoncer Ă une visĂ©e curative ou aux traitements invasifs lorsque lâespoir dâune guĂ©rison sâĂ©loigne, le bon moment nâest pas le mĂȘme pour tout le monde. Enfin, câest Ă la lumiĂšre des besoins et souhaits de la patiente ou du patient lui-mĂȘme que les dĂ©cisions doivent ĂȘtre prises, avec elle, lui ou les membres de sa famille selon les circonstances.
Il nây a pas de rĂšgle universelle permettant de dire ce qui est juste ou faux. Soigner est un art, qui se pratique en Ă©quipe. Et la meilleure des Ă©quipes est celle qui cultive le doute, qui accueille les points de vue dissonants, qui reconnaĂźt le caractĂšre unique de chaque situation et se montre capable de cheminer. Dans ce contexte, «âcela en vaut-il encore la peineâ?â» est une saine question. /
C
H
17
21
NO

COCAĂNE
C 17h 21NO 4
4 UNE MOLĂCULE, UNE HISTOIRE
TEXTEâ: JEAN-CHRISTOPHE
PIOT
Connue des peuples des Andes depuis des siĂšcles, la molĂ©cule de la cocaĂŻne a dâabord Ă©tĂ© utilisĂ©e comme mĂ©dicament en Europe avant de devenir un problĂšme de santĂ© publique majeur.
En AmĂ©rique du Sud, dâoĂč elle est originaire, la feuille de coca est apprĂ©ciĂ©e pour son effet stimulantâ: mĂąchĂ©e ou prĂ©parĂ©e en infusion, elle aide Ă lutter contre la fatigue ou les effets de lâaltitude. Au milieu du XIXe siĂšcle, diffĂ©rents chimistes allemands et autrichiens parviennent Ă extraire et Ă concentrer la molĂ©cule, un alcaloĂŻde comme la morphine, la cafĂ©ine ou la nicotine. «âCe nâest pourtant pas pour ses propriĂ©tĂ©s excitantes que lâester mĂ©thylique de la benzoylecgonine âle nom scientifique de la cocaĂŻne â intĂšgre la pharmacopĂ©e occidentaleâ», explique Thierry Buclin,
La cocaïne, du médicament à la drogue
chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. «âLa cocaĂŻne a Ă©tĂ© le premier anesthĂ©sique local. AppliquĂ©e sur une muqueuse, elle permet alors dâendormir la surface concernĂ©e, ce qui facilite le travail des chirurgiens tout en rĂ©duisant la souffrance des patients.â» Petit Ă petit, la cocaĂŻne se banalise au point quâon la retrouve souvent dans les armoires Ă pharmacie des particuliers qui lâutilisent notamment comme analgĂ©sique, anxiolytique et antidĂ©presseur.
Au tournant du XXe siĂšcle, les mĂ©decins et les pharmacien·ne·s sonnent lâalarme. Encore prĂ©sente
dans le paquetage des soldats de la Grande Guerre avec des produits comme le vin Mariani, une boisson tonique rĂ©alisĂ©e Ă partir de feuilles de coca macĂ©rĂ©es dans du vin, la cocaĂŻne fait les frais des premiĂšres lĂ©gislations antistupĂ©fiants qui se mettent en place au lendemain du conflit. «âSon interdiction progressive, comme celle des opiacĂ©s, avait pour but dâĂ©viter une Ă©pidĂ©mie de dĂ©pendance qui touchait dâailleurs dâabord les soignants.â»
En cause, les propriĂ©tĂ©s particuliĂšres de la molĂ©cule. «âLa cocaĂŻne mime les effets de la dopamine, un neurotransmetteur sĂ©crĂ©tĂ©
par lâorganisme quand nous sommes excitĂ©s par une bonne nouvelle, un repas agrĂ©able, une sĂ©ance de sport⊠Câest la molĂ©cule de la rĂ©compense.â» Tout le problĂšme de la cĂ©lĂšbre poudre blanche tient au fait quâune fois son effet passĂ©, la descente pousse les individus Ă vouloir retrouver cette sensation dâeuphorie. Ce phĂ©nomĂšne engendre un effet de craving et de dĂ©pendance aux effets souvent catastrophiques pour les cocaĂŻnomanesâ: problĂšmes financiers, dĂ©socialisation et isolement. «âCâest la drogue de lâaddiction par excellence, explique Thierry Buclin. Comme le manque se traduit par un Ă©tat dĂ©pressif et des idĂ©es noires, reprendre une dose est particuliĂšrement tentant. Sur le plan physique, en revanche, il nây a pas de danger majeur dâoverdose avec la cocaĂŻne en dehors du risque dâaccidents cardiaques.â» /
CURSUS ĂCLAIRAGE
Texteâ:
Simon Faraud
Quand les mots et les coups pleuvent
Le nombre dâincidents liĂ©s Ă des situations de conflit ou de violence envers le personnel du CHUV a connu une nette augmentation en 2021. Si la charge Ă©motionnelle est gĂ©nĂ©ralement exacerbĂ©e dans le contexte hospitalier, la nervositĂ© semble ampliïŹĂ©e par la pandĂ©mie de Covid-19. Que ce soit pour prĂ©venir ou pour guĂ©rir, des solutions existent.
On ressent au CHUV les mĂȘmes tensions que dans la sociĂ©tĂ©. »
Cela fait plus de quinze ans que Fabrice Dupuis est agent de sĂ©curitĂ© au CHUV. Depuis le retour au libre accĂšs de lâhĂŽpital aprĂšs la pandĂ©mie de Covid-19, lui et ses collĂšgues constatent une augmentation des conflits et de la violence dans lâinstitution.
Au bĂ©nĂ©ïŹce dâune formation spĂ©ciïŹque au secteur hospitalier, les agent·e·s sâattachent avant tout Ă apaiser les tensions, comme lâindique celui qui est aussi chef du Secteur opĂ©rations pour Securitas : « Nous cherchons toujours Ă apporter la rĂ©ponse appropriĂ©e Ă chaque situation. Souvent, la prĂ©sence
dâun·e agent·e de sĂ©curitĂ© suât Ă calmer les esprits. La dĂ©sescalade verbale est lâoutil que nous utilisons en prioritĂ©. Dans la plupart des cas, cela suât Ă ramener le calme. »
UNE OFFRE DE FORMATION ADAPTĂE
Les collaboratrices et les collaborateurs sont en premiĂšre ligne et ont un rĂŽle important Ă jouer dans la prĂ©vention de la violence hospitaliĂšre. Pour leur donner les clĂ©s, le Centre des formations a mis sur pied le cours « PrĂ©vention et gestion des conflits et de la violence » en 2015. Depuis, 43 sessions ont Ă©tĂ© organisĂ©es et plus de 500 professionnel·le·s formé·e·s. Quelque 94% dâentre elles et dâentre eux la recommandent, preuve que lâenseignement a atteint sa cible.

Muriel Gasser, responsable du domaine Relation patients & proches au Centre des formations, explique que « le but est que les professionnels aient les bons outils pour anticiper, car il y a sans doute des situations dans lesquelles il est possible dâĂ©viter lâescalade. »
DÚs cet automne, une offre révisée permettra de mieux répondre aux besoins des collaborateur·trice·s tout en optimisant la durée de formation. Par ailleurs, un e-learning réalisé par les HUG est à disposition de tout le personnel sur eformation.chuv.ch.
GĂRER LâAPRĂS
Dans le cas oĂč des violences surviendraient malgrĂ© tout, lâinstitution soutient et appuie les collaborateur·trice·s en suivant une procĂ©dure Ă©tablie qui peut, selon la gravitĂ© du cas, faire intervenir la SĂ©curitĂ©, la MĂ©decine du personnel, lâUnitĂ© de mĂ©decine des violences, la Psychiatrie de liaison, voire lâUnitĂ© des affaires juridiques.
LâEspace de mĂ©diation entre patient·e·s, proches et professionnel·le·s (EMP) est Ă©galement Ă disposition de toute personne souffrant dâun rapport problĂ©matique avec un·e patient·e ou son entourage.
Ouvert il y a dix ans pour offrir un espace dâĂ©coute aux soigné·e·s, lâEMP est de plus en plus sollicitĂ© par les professionnel·le·s, qui reprĂ©sentent aujourdâhui 14% des cas, contre 3% en 2012.
MIEUX VAUT PRĂVENIR
QUE GUĂRIR
Pour Pierre Merminod, adjoint du chef de la SĂ©curitĂ© du CHUV, il est important dâanticiper les tensions et, au moindre doute, de ne pas hĂ©siter Ă recourir Ă un point de vue externe : « Lâempathie fait partie des mĂ©tiers de lâhĂŽpital. Mais, du fait de notre expĂ©rience, nous pouvons apporter un autre regard et alerter les collaborateurs lorsquâune situation nâest pas normale. Quand vous pensez que vous devriez faire appel Ă la sĂ©curitĂ©, la rĂ©ponse nâest jamais âč non âș. On nous appelle rarement assez tĂŽt. »

Pour plus dâinformations sur ce sujet, voir aussi lâarticle «âAugmentation de la violence envers le personnel soignantâ» paru dans le n° 25 dâIn Vivo.
ĂVOLUTION DES VIOLENCES AU CHUV
ENTRE 2020 ET 2021 dans les autres sites du CHUV
Dossiers dâannonces du personnel pour agression ces plaintes sont gĂ©rĂ©es par la SĂ©curitĂ© et lâUnitĂ© des affaires juridiques
16% Sollicitations de la police par lâhĂŽpital
dans la Cité hospitaliÚre
Texteâ:
Simon Faraud
Hervé Henry, chef du Secteur jardins et voirie
«âJe nâai plus enïŹlĂ© la salopette depuis 2015â!â» EntrĂ© au CHUV comme jardinier en 2001, HervĂ© Henry est aujourdâhui chef du Secteur jardins et voirie. Sâil endosse dĂ©sormais un rĂŽle organisationnel, lâhorticulteur de formation ne sâest jamais Ă©loignĂ© de sa premiĂšre passion, la nature.
Lors dâune visite de la ville de Brisbane, en Australie, HervĂ© Henry tombe en admiration devant un arbre dont la base est entiĂšrement recouverte de fleurs. Une anecdote qui en dit long sur notre collĂšgue : « Jâadore dĂ©couvrir la maniĂšre dont les autres entretiennent leurs espaces extĂ©rieurs. MĂȘme quand je suis en vacances, je ne peux pas mâempĂȘcher de glaner des idĂ©es ! » Des inspirations qui, sous son impulsion, se muent en de nombreux projets tels que les ruches sur le bĂątiment de liaison, les zones de pique-nique et, bientĂŽt, des hĂŽtels Ă insectes.
UNE QUĂTE DâĂQUILIBRE
« Mon but est de trouver un juste Ă©quilibre entre la beautĂ© du site et le maintien de zones de nature qui favorisent la biodiversitĂ©, et ce, tout en assurant la sĂ©curitĂ© des passants », prĂ©cise le Vaudois dâorigine. Ainsi, les jardinier·Úre·s nâutilisent plus de produits phytosanitaires depuis une dizaine dâannĂ©es et adaptent lâentretien aux besoins de chaque surface. « Certaines zones sont tondues rĂ©guliĂšrement et agrĂ©mentĂ©es de fleurs tandis
que sur dâautres, nous favorisons la prairie. Nous laissons Ă©galement des zones refuges non fauchĂ©es durant une annĂ©e aïŹn de permettre Ă la petite faune de se protĂ©ger en hiver. »
Dans la fonction quâil occupe depuis 2015, les nouvelles technologies jouent un rĂŽle clĂ©.

GrĂące Ă ces derniĂšres, HervĂ© Henry a créé un plan de gestion des arbres, qui sont dĂ©sormais rĂ©pertoriĂ©s sur des cartes interactives et disposent dâun Ă©quivalent du « dossier patient » dans des bases de donnĂ©es. Une digitalisation qui se nourrit de sa ïŹne connaissance du terrain : « Je connais chacun des 2000 arbres qui se trouvent sur nos surfaces ! » /

â Champ dâaction
Organiser les activités (entretien des espaces verts, balayage, vidange des poubelles, déneigement, etc.) des 11 collaborateurs·trices du Secteur jardins et voirie dans la Cité hospitaliÚre, Cery, Prangins, le CLE et Sylvana.
â Signes distinctifs
En dehors du CHUV, HervĂ© Henry aime passer du temps avec son Ă©pouse et ses deux filles. Et sâil ne jardine plus Ă lâhĂŽpital, il se rattrape Ă la maisonâ: «âMon mĂ©tier reste jardinier, câest ma passion.â»
BACKSTAGE

AFFICHAGE
Une Ă©tape importante de la conception dâIn Vivo consiste Ă afficher toutes les pages du numĂ©ro au mur. LâĂ©quipe de Large Network est ici accompagnĂ©e dâĂmilie Mathys, journaliste au sein du Service de communication et

ILLUSTRATION

de crĂ©ation audiovisuelle du CHUV, qui sâest occupĂ©e pour cette Ă©dition de la rĂ©daction du dossier sur les abus sexuels envers les enfants.


Pour accompagner lâarticle sur la prise en charge des patient·e·s dans leur derniĂšre phase de vie (p. 52), lâillustratrice Ana Yael a explorĂ© plusieurs pistes.

JEANNE MARTEL
Photographe au Service de communication et de crĂ©ation audiovisuelle du CHUV, elle collabore rĂ©guliĂšrement avec Large Network pour In Vivo. Pour ce numĂ©ro, elle sâest rendue Ă Fribourg et NeuchĂątel afin dây rĂ©aliser trois portraits.

JEAN-CHRISTOPHE PIOT

CAROLE BERSET
En parallĂšle de ses Ă©tudes de philosophie, Carole Berset a Ă©tĂ© responsable de tous les contenus publiĂ©s sur le site francophone de lâassociation Philosophie.ch. Elle a rejoint lâĂ©quipe de Large Network en aoĂ»t 2022 en tant que journaliste et coordinatrice du portail PME du SECO. Pour In Vivo elle sâest intĂ©ressĂ©e au phĂ©nomĂšne de lâorthorexie.
DiplĂŽmĂ© en sciences politiques, Jean-Christophe Piot travaille comme journaliste pour plusieurs mĂ©dias en France et Suisse. Il aborde pour des sujets qui touchent souvent Ă la mĂ©decine, Ă lâĂ©conomie et Ă lâenvironnement. Pour ce numĂ©ro, il sâest intĂ©ressĂ© Ă la molĂ©cule de la cocaĂŻne et aux champignons mycorhiziens.
IN VIVO
Une publication Ă©ditĂ©e par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et lâagence de presse Large Network
www.invivomagazine.com
ĂDITION
CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse
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DIRECTION DE PROJET ET ĂDITION ONLINE
Arnaud Demaison
REMERCIEMENTS
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PARTENAIRE DE DISTRIBUTION
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RĂALISATION ĂDITORIALE ET GRAPHIQUE
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DIRECTION DE PROJET
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DESIGN
Large Network (Aurélien Barrelet, Sabrine Elias, Lena Erard)
RĂDACTION
Large Network (Yann Bernardinelli, Carole Berset, Julien Crevoisier, AndrĂ©e-Marie Dussault, Carole Extermann, Erik Freudenreich, Samuel Golly, Audrey Magat, Jean-Christophe Piot, StĂ©phanie de Roguin), Arnaud Demaison, Ămilie Mathys
RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE
Sabrine Elias
COUVERTURE
Large Network, Aurélien Barrelet
IMAGES
CHUV (HeĂŻdi Diaz, Apichat Ganguillet, Jeanne Martel, Gilles Weber), Ana Yael
IMPRESSION
PCL Presses Centrales SA
TIRAGE
15â000 exemplaires en français
Les propos tenus par les intervenant·e·s dans In Vivo et In Extenso nâengagent que les intĂ©ressé·e·s et en aucune maniĂšre lâĂ©diteur.
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