Penser la santé N° 29 – AOÛT 2024
PÉNURIE DE GÉNÉRALISTES
Penser la santé N° 29 – AOÛT 2024
PÉNURIE DE GÉNÉRALISTES
ERRANCES / SURCHARGES / ALTERNATIVES
ENFANTS Face à la puberté précoce HYPERACTIVITÉ Adulte et touché par un TDAH INNOVATION Marcher contre l’arthrose
Édité par le CHUV www.invivomagazine.ch
IN SITU
07 / HEALTH VALLEY
Le délicat passage de la pédiatrie à la médecine adulte
11 / SUR LA ROUTE
Un protège-dents sur mesure
FOCUS
19 / DOSSIER
La pénurie de médecins généralistes en Suisse
PAR CAROLE EXTERMANN
La pièce de théâtre « Knock ou le triomphe de la médecine », imaginée par Jules Romains en 1923, met en scène un docteur obsédé par l’augmentation de son chiffre d’affaires. Pour parvenir à ses fins, il est capable de rendre sa patientèle hypocondriaque. « Tout bien-portant est un malade qui s’ignore », selon le Dr Knock.
Aujourd’hui, un siècle plus tard, la situation de pénurie de médecins généralistes en Suisse pourrait être considérée comme l’extrême
opposé de ce qui est dépeint dans cette comédie. Les médecins de famille n’arrivant plus à faire face aux besoins de la population. Faute de généralistes, de nombreuses personnes se rendent aux urgences, ce qui surcharge le système et entrave le bon fonctionnement du système de soins. Bien loin donc de l’idée de devoir ruser afin de fidéliser une patientèle, aujourd’hui, les médecins sont plutôt à la recherche d’un allégement pour continuer à bien soigner ou simplement pouvoir partir à la retraite sereinement.
Le magazine In Vivo édité par le CHUV est vendu au prix de CHF 5.– en librairie et distribué gratuitement sur les différents sites du CHUV.
MENS SANA
32 / INTERVIEW
Lise Barnéoud : « Nous sommes liés à d’autres personnes dès le départ »
PAR BLANDINE GUIGNIER
36 / DÉCRYPTAGE
La puberté précoce
PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT
39 / PROSPECTION
Limiter les complications postopératoires
PAR JULIEN CREVOISIER
42 / TENDANCE
Adulte et touché par le TDAH
PAR CAROLE BERSET
45 / COULISSES
Le racisme à l’hôpital
PAR ÉMILIE MATHYS
SANO
50 / INNOVATION
Le rôle de la marche pour la prévention
PAR AUDREY MAGAT
54 / TENDANCE
Les défis de la lutte contre l’alcoolisme
PAR STÉPHANIE DE ROGUIN
58 / TABOU
La dépression post-partum
PAR AUDREY MAGAT
60 / DÉCRYPTAGE
Dénouer les traumatismes transgénérationnels
PAR ANNE-MARIE TRABICHET
64 / EN IMAGES
Visite de la centrale de stérilisation du CHUV
PAR AUDREY MAGAT
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ÉMILIE MATHYS
Journaliste, responsable de la publication
Le Dr Doug Ross, de la série Urgences, est pédiatre au Cook County Hospital. Le Dr Sheperd, neurochirurgien dans la célèbre série Grey’s Anatomy, officie à l’hôpital Seattle Grace. Quant au malaimé Dr House, il dirige une équipe d’internistes au sein de l'hôpital fictif de Princeton-Plainsboro. En matière de pop culture, il n’y a guère que la Dre Quinn et son cabinet du fin fond du Colorado pour rendre hommage à la profession de médecin de famille. Une spécialité (oui, c’en est une) en apparence moins « exaltante » que cardiologue ou urgentiste et pourtant pilier de notre système de santé. Sa dévalorisation a aujourd’hui un prix: la Suisse fait face à une pénurie de médecins généralistes. On estime qu’il en manquera 2300 en 2033. Dans certains cantons tels que le Jura ou le Valais, il vous faudra passer jusqu’à 30 appels téléphoniques pour espérer obtenir un rendez-vous avec un généraliste, selon la Fédération romande des consommateurs. Des chiffres peu réjouissants au regard du vieillissement de la population et de l’expansion des troubles mentaux. Conséquences (non exhaustives): surcharge des urgences, renoncement aux soins et, in fine, symptômes qui s’aggravent, perte d’informations sur les patient-es et hausse des coûts de la santé. Si la problématique est connue depuis longtemps, les différentes instances n’ont aujourd’hui plus le choix que de l’empoigner à bras-le-corps. Au niveau de la formation, tout d’abord, en proposant plus de stages en cabinet et en repensant les cours, puis en offrant des modèles de cabinets alternatifs où la collaboration interprofessionnelle déchargerait les médecins de famille, allégerait les coûts d’exploitation et la charge administrative. De quoi motiver les nouvelles générations pour lesquelles l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est, bien souvent, non négociable.
Revaloriser la profession de médecin de famille, c’est revaloriser l’humain. Nous avons évidemment besoin d’innovation et de prouesses techniques pour soigner certaines maladies. Mais nous avons aussi, et surtout, besoin d’une oreille attentive, d’un-e professionnel-le qui suit notre parcours médical au fil des années et nous considère dans notre globalité, nos évolutions, qui fasse les liens nécessaires pour rediriger notre prise en charge vers le ou la spécialiste adapté-e. Vers qui se tourner en premier lorsque l’on souffre de dépression post-partum (p. 58) ou que l’on soupçonne être atteint-e d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) (p. 36), par exemple? La complexification des gestes techniques ne doit pas nous faire oublier la vocation même de la médecine: comprendre et soigner la complexité humaine. /
Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de « Health Valley ».
Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.
JURA P. 6
La start-up Incaptek innove en proposant un dispositif, inspiré du papier bulle, pour améliorer la gestion de l’administration de médicaments dans le corps.
FRIBOURG P. 6
Un microscope portable équipé d’une caméra hautement sensible permettant de faciliter l’identification de maladies infectieuses, lauréat de l’Innovation Challenge.
LAUSANNE P. 11
Le projet Guardomed du laboratoire Martin Broome travaille sur un protège-dents pour les athlètes efficace contre les commotions cérébrales.
GENÈVE P. 7
Le développement d’un anticoagulant réversible pour limiter les hémorragies.
Limula, la start-up résidente du Biopôle d’Épalinges, a récolté 6,2 millions de francs. Cette levée de fonds va servir au développement d’une plateforme de production automatisée de traitements cellulaires et de thérapies géniques. Avec sa technologie alliant un bioréacteur et une centrifugeuse, Limula espère pouvoir réduire le prix de ses thérapies, qui reste, à l’heure actuelle, très élevé.
HemostOD, une entreprise suisse de biotechnologie spécialisée dans la transfusion sanguine, a développé un procédé inédit de production rapide et à grande échelle de plaquettes sanguines via un processus ex vivo. Elle se rapproche des premiers essais cliniques grâce à un partenariat avec le groupe de Transfusion interrégionale Croix-Rouge suisse. Avec près de 90’000 dons par an, soit un tiers de la demande nationale, ce centre suisse est le plus grand du pays. La technologie de l’entreprise située à Saint-Sulpice a également retenu l’attention des armées française et américaine.
Morgane Loretan, doctorante à l’Université de Fribourg, a imaginé un microscope à fluorescence portable qui lui a valu le premier prix de l’Innovation Challenge. L’outil permet de détecter facilement une molécule pour identifier rapidement la présence d’éventuelles maladies infectieuses.
INNOVATION L’Université de Genève a développé un anticoagulant réduisant les risques d’hémorragie, en collaboration avec l’Université de Sydney. La nouveauté de cet anticoagulant réside dans la manière dont il interagit avec la thrombine, la molécule responsable de la coagulation. Ce nouveau principe actif se lie plus fortement à la thrombine, bloquant ainsi plus efficacement son activité. Si la coagulation est à nouveau nécessaire, par exemple à la suite d’une blessure, l’antidote pourra être administré et ira rompre les liaisons avec la thrombine, de manière à la relancer.
« La fin de vie, ce n’est pas juste une question technique, c’est d’abord une question très intime et une question de société. »
FRANÇOIS BRAUN
ANCIEN MINISTRE DE LA SANTÉ EN FRANCE, INTERVIEWÉ DANS « LA MATINALE » DE LA RTS À PROPOS DE L’ASSISTANCE AU SUICIDE. GENÈVE A CONFIRMÉ LE 9 JUIN L’OBLIGATION DES EMS À ACCEPTER LE SUICIDE ASSISTÉ EN LEUR SEIN.
L’OBJET
Mis au point par la start-up suisse Incaptek, cette technologie permet de mieux gérer la libération de substances dans le corps. Composé d’un film contenant plusieurs petits compartiments, la structure est semblable à un papier bulle. Une fois en place, les micro doses sont relâchées grâce à des déclencheurs externes. En libérant les doses une par une, ce système assure un effet sur le long terme, permettant par exemple de mieux prévenir les infections bactériennes associées aux dispositifs médicaux.
Rejoindre la médecine adulte avec sérénité
Entre 15 et 20 ans, les jeunes doivent quitter les soins pédiatriques pour les soins adultes. Des mesures sont mises en place pour atténuer les potentiels effets négatifs de cette transition, surtout dans les cas de maladies chroniques.
TRANSITION « Maintenant, ça va bien. Je n’ai plus de gêne, j’arrive à communiquer. Et je me sens écoutée. » Atteinte de malformation cardiaque, Thalia Michellod est suivie depuis la naissance par le CHUV. Le nouveau programme de transition du Service de cardiologie du CHUV lui a permis de passer de l’Unité de cardiologie pédiatrique au Secteur de cardiologie adulte, avec sérénité, malgré quelques frayeurs au début. « Lorsque j’ai appris, à l’âge de 18 ans, que je changeais de prise en charge, je me suis sentie lâchée, perdue. C’était très stressant. Dans un deuxième temps, j’ai découvert qu’il y avait un programme spécial. Ça m’a rassurée », témoigne la jeune femme de 22 ans.
Habituellement, le passage de la pédiatrie aux soins adultes consiste en un simple transfert des patient-es. Les informations sont transmises d’un système à l’autre, mais sans processus d’accompagnement. Or, cette transition peut provoquer beaucoup d’anxiété tant aux jeunes qu’à leurs parents, qui craignent que la nouvelle prise en charge ne soit pas adaptée.
En outre, le ou la jeune doit apprendre à gérer seul-e ses consultations, et plus largement sa santé, alors qu’il, ou elle traverse de profonds changements psychologiques, physiologiques et sociétaux. Un vrai défi.
« Certains jeunes n’ont pas conscience qu’ils doivent absolument continuer leurs contrôles de suivi. On les perd de vue. Ils reviennent beaucoup plus tard, avec de nombreux problèmes de santé », témoigne Colette Gendre, infirmière spécialisée de l’Unité de cardiologie pédiatrique.
Pour remédier à cette problématique, la médecine de transition se développe depuis plusieurs années, en particulier dans le cadre des maladies chroniques. Elle permet
TEXTE : CAROLINE BRINER
la mise en place d’un processus organisé et coordonné, réparti en trois étapes : la préparation, le passage et le suivi. La thématique du transfert est discutée dès le début de l’adolescence, afin que cette étape soit perçue comme normale. Le moment de la transition est décidé conjointement. Les questions de droits, de responsabilité et de prévention sont abordées.
Lors de la transition, des rencontres réunissent le ou la jeune, les parents, l’ancienne équipe soignante et la nouvelle, idéalement une fois en pédiatrie et une fois en soins adultes sont organisées. Au CHUV, le Service de cardiologie a fait passer en 2017 le nombre de consultations conjointes de un à cinq, si nécessaire. Pour le Service de cardiologie, cela signifie 80 consultations de transition par an. « On leur apprend à connaître leur maladie, à savoir se positionner, à prendre leur place et à poser des questions. Si on voit qu’ils n’ont pas osé aborder certains aspects, on leur demande, à la fin de la séance, s’ils souhaitent en parler », précise Colette Gendre.
EN HAUT : UN ÉLECTROCARDIOGRAMME
EN BAS : LE RÉSULTAT D’UN TEST D’EFFORT CARDIAQUE
Depuis janvier 2023, deux infirmières de l’Unité de cardiologie pédiatrique passent chacune, une journée par semaine en cardiologie adulte. « On peut ainsi s’assurer que le jeune se rend sur place. S’il ne vient pas, on l’appelle, on discute. Souvent, les jeunes expliquent que la prise de rendezvous n’est pas leur priorité, ils préfèrent les convocations », précise Colette Gendre. Désormais, de nombreux services du CHUV, comme la rhumatologie, l’endocrinologie, l’oncologie ou encore la psychiatrie, proposent une médecine de transition. « En réalité, tous les jeunes devraient pouvoir en profiter. Le jeu en vaut vraiment la chandelle », conclut Colette Gendre. /
SANTÉ MENTALE Parler à une IA comme on parlerait à son ou sa psy, c’est possible via de nombreux chatbots, des logiciels pouvant dialoguer avec les individus, ou des applications disponibles en ligne. Accessible à tout moment, gratuitement ou presque, l’IA convainc de plus en plus de personnes, qui déclarent se sentir comprises. Certain-es professionnel-les les voient comme un possible soutien entre les séances, mais craignent des dérives et rappellent que ces intelligences artificielles ne doivent en aucun cas remplacer les thérapeutes des personnes suivies.
ACCESSIBILITÉ Les personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme bénéficient désormais d’un dispositif de prise en charge spécifique au CHUV. Elles peuvent en effet rencontrer des difficultés de communication et ont une sensibilité particulière. Deux infirmières ont été formées pour répondre à leurs besoins et faciliter les interactions avec le reste du personnel hospitalier. Disponible depuis juin 2023, le dispositif a déjà permis de faciliter la prise en charge d’une centaine de patient-es.
ONCOLOGUE AUX HUG, A GAGNÉ UNE BOURSE DE 1 MILLION DE FRANCS POUR SON PROJET DE RECHERCHE VISANT À AMÉLIORER LA DÉTECTION DES LYMPHOMES AU NIVEAU DU SYSTÈME NERVEUX
EN QUOI CONSISTE VOTRE PROJET ?
1
Je m’intéresse à une nouvelle méthode de détection des lymphomes dans le système nerveux. Les lymphomes sont des cancers ciblant les globules blancs et le système lymphatique, mais, dans certains cas, ils peuvent également atteindre le système nerveux. Nous avons actuellement des tests pour détecter des traces de cancer dans le système nerveux, mais ils ne sont pas parfaits et, parfois, nous manquons un diagnostic. Lequel est capital car le traitement ne sera pas le même s’il faut agir au niveau du système nerveux. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour améliorer ça, surtout qu’une fois que le système nerveux est touché, les chances de survie sont moindres.
2 COMMENT SE DISTINGUE-T-IL
DES PRÉCÉDENTES MÉTHODES ?
Le test que nous avons mis en place consiste à faire un séquençage pour détecter des traces d’ADN tumoral dans le liquide qui entoure le cerveau, le liquide céphalo-rachidien. Cette technique n’est pas nouvelle, elle est déjà très utilisée pour analyser le sang. Ce qui est innovant dans notre étude, c’est d’y
recourir pour analyser le liquide céphalo-rachidien. Par rapport aux méthodes actuelles, La manipulation reste la même, c’est une ponction lombaire, seule la méthode d’analyse change.
3 COMMENT CETTE BOURSE VA-T-ELLE VOUS ÊTRE UTILE ?
Le montant que nous avons reçu contribuera à financer les deux ans de l’étude. La bourse correspond à des sommes classiques pour ce genre d’études. En fonction du nombre de patient-es qui s’y impliquent, le montant peut aller jusqu’à plusieurs millions pour une étude de ce type. Pour son bon déroulement, en dehors des membres du laboratoire, une vingtaine de personnes y participent. Il faut beaucoup de main-d’œuvre pour les analyses, les statistiques, l’informatique et pour la coordination. Une bonne partie de la bourse servira aux salaires de ces personnes. L’étude est ouverte dans 13 centres hospitaliers depuis fin février et nous avons déjà pu inclure quelques patients. Le but est de réunir un échantillon de 64 personnes d’ici à deux ans. /
D’après l’OMS, une personne sur quatre pourrait être touchée par une forme de déficience auditive d’ici à 2050. Au-delà du volume, c’est aussi la durée d’exposition qui est problématique. Dans la rue ou chez soi, nos oreilles sont constamment sollicitées. Cette sonorisation permanente peut provoquer des dégâts irréversibles.
L’urbanisation croissante rend notre environnement davantage bruyant. À cela s’ajoute le cercle vicieux des écouteurs : monter de plus en plus le son pour masquer les bruits extérieurs. Ce phénomène peut induire des déficiences auditives précoces. Une étude publiée en novembre 2022 dans le British Medical Journal Global Health estime que 50% des personnes âgées entre 12 et 34 ans dans le monde risquent de perdre leur capacité auditive à cause d’habitudes auditives malsaines.
Quand un son arrive à nos oreilles, il provoque une réaction en chaîne jusqu’à l’oreille interne et l’organe de Corti. Dans ce dernier se trouvent des milliers de cellules sensitives, les cellules ciliées. Ce sont elles qui transmettent l’information auditive au cerveau via les nerfs auditifs. Les cellules ciliées et les nerfs auditifs peuvent s’endommager en cas d’écoute à un volume trop élevé ou sur une période prolongée. Le problème est qu’elles ne se régénèrent pas. C’est la diminution de leur nombre qui induit la perte auditive.
Avec l’âge, les cellules ciliées ont tendance à disparaître naturellement. Il existe différents moyens pour économiser au mieux son potentiel auditif. Pas toujours populaires, les protections d’oreilles comme les casques ou les bouchons permettent pourtant de réduire sensiblement le bruit. Ensuite, il est également conseillé de varier les modes d’écoute ; avec un casque, depuis une enceinte ou depuis son téléphone par exemple. Une bonne habitude à prendre est de faire des pauses, afin de laisser les oreilles se reposer. La règle des 60–60 peut aider à prévenir les problèmes auditifs : 60 minutes d’utilisation à la fois à 60% du volume maximal.
GROSSESSE Souvent recommandés pendant la grossesse pour leurs vertus antispasmodiques, les médicaments et tisanes contenant du fenouil sont désormais déconseillés par Swissmedic aux futures mamans et aux femmes qui allaitent. L’estragole naturellement présent dans ce légume est mis en cause. Selon des études récentes, en grande quantité, l’estragole pourrait être nocif pour la santé. Cette toxicité fait encore l’objet de recherches. En ce qui concerne les enfants de moins de 4 ans, la consultation du corps médical est préférable. Une recommandation suivie par la Maternité du CHUV, par principe de précaution.
RECHERCHE En mars dernier, une étude montrait l’importance de prendre en compte la différence entre le corps des hommes et celui des femmes dans la recherche. Une équipe de recherche du Lichtenstein et de Suisse détaille, dans son étude publiée dans la revue Plos One au sujet du Covid-19, que la température de la peau, le rythme cardiaque et la fréquence respiratoire augmentent plus fortement chez les hommes que chez les femmes infecté-es. Le taux de mortalité lié au Covid-19 est également plus élevé chez les sujets masculins. L’étude conclut que la différence de réactions des deux sexes face à l’infection ne se jouerait pas uniquement au niveau des symptômes, mais reposerait aussi sur une différence biologique.
LÉMAN Le changement climatique et l’absence de prédateurs garantissent prédateurs garantissent au silure, devenu adulte, un développement prospère ces prochaines années, aussi dans le lac Léman. L’animal dévore absolument tout sur son passage: écrevisses, poissons, moules, végétaux, canards, mais il ne s’intéresse pas à l’humain. Et pour cause, sa bouche ne contient aucune dent. Parallèlement, des recherches sont en cours pour évaluer son effet sur la faune.
ÉTUDE Les pathologies psychiques et les maladies de l’appareil locomoteur, comme l’arthrose, sont celles qui coûtent le plus cher. Selon une étude menée par la Haute École zurichoise de sciences appliquées en octobre 2023, elles représentent respectivement 14,3% et 13,8% des coûts totaux du système de santé. Leurs frais élevés s’expliquent par la longue durée des traitements, associés à une faible mortalité. À l’inverse, des maladies comme les tumeurs représentent seulement 6,5% des coûts.
En grammes, c’est la consommation moyenne de sel d’un-e adulte en Suisse, par jour. Cette moyenne dépasse de 75% les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette dernière conseille un peu moins de 5 grammes par jour. Une alimentation trop riche en sel, et donc en sodium, induit une hypertension, ce qui augmente le risque de maladies cardiovasculaires.
ENVIRONNEMENT À cause du réchauffement climatique, de plus en plus de personnes souffrent d’allergies. Pratiquement inconnu il y a 100 ans, le rhume des foins touche aujourd’hui une personne sur cinq, selon l’Académie suisse des sciences naturelles. Le changement climatique rallonge la période du rhume des foins et fait monter les concentrations de pollen. La baisse de la qualité de l’air joue un rôle également. La pollution endommage les voies respiratoires, favorisant le rhume des foins, et les plantes stressées par la mauvaise qualité de l’air semblent produire du pollen qui déclenche des réactions allergiques plus fortes.
SUR LA ROUTE À la rencontre des acteurs et actrices de la Health Valley. Nouvelle étape : Lausanne.
ÉTAPE N° 29
GUARDOMED
LAUSANNE
Un dispositif innovant vise à mieux protéger les athlètes
TEXTE :
contre les chocs.
BATHSHEBA HURUY
Transformer un protège-dents en rempart contre les commotions cérébrales chez les athlètes. C’est le défi relevé par l’équipe de recherche du laboratoire de Martin Broome, médecin-chef au Service de chirurgie orale et maxillo-faciale du CHUV.
Une approche inédite se trouve au cœur de ce projet, baptisé Guardomed : l’emploi de deux résines distinctes, une rigide à l’avant du protège-dents et une plus souple à l’arrière. Cette configuration entraîne une double action. Réalisée sur mesure, la protection préserve efficacement l’athlète qui la porte contre les traumatismes dentaires. Et quand le dispositif est comprimé, par exemple lors d’un choc, il active les muscles du cou. En exploitant le lien entre la morsure et les muscles cervicaux, le protège-dents assure alors un meilleur maintien de la tête, limitant la
rotation du cou lors d’impacts, une action souvent responsable des lésions cérébrales lors de commotions.
L’idée a germé pendant les Jeux olympiques de la jeunesse en 2020, lorsque la Fédération suisse de hockey sur glace a exprimé son intérêt pour un protège-dents personnalisé destiné à ses membres. Et c’est en septembre 2021 que le projet prend véritablement forme, porté par une collaboration entre l’EPFL et le CHUV. Actuellement en phase d’essais cliniques, le protège-dents suscite déjà un vif intérêt, notamment dans le milieu du rugby. Plusieurs équipes ont manifesté leur souhait de participer aux essais. Menés en collaboration avec la Faculté de sport de l’UNIL et l’École des arts et métiers de Paris, ces tests visent à valider l’efficacité préventive du protège-dents dans des conditions réelles de choc. /
Impossible que cela vous ait échappé, le groupe Novo Nordisk est dans tous les médias, que ce soit pour son chiffre d’affaires d’environ 8 milliards de francs en 2022 avec le seul médicament Ozempic (contre l’obésité), pour sa valorisation en Bourse qui a gagné plus de 230% au cours des cinq dernières années, ou pour avoir engagé la rappeuse et actrice américaine Queen Latifah pour sa campagne « It’s bigger than me », qui braque les projecteurs sur l’obésité et vise à aider les personnes à se sentir mieux grâce à des médicaments pour la perte de poids. Ce qui alimente le battage médiatique, la présence incontournable de Novo Nordisk sur les réseaux sociaux et ses ventes.
Heidi.news prépare un livre attendu sur l’émergence des GLP-1, la substance active qui alimente les milliards du business de la perte de poids. Je me réjouis de le lire, mais mon propos est ailleurs : le succès de Novo Nordisk attire l’attention sur la place du Danemark dans le domaine de la santé et du pharma. Petit pays de moins de 6 millions d’habitant·e·s, il se distingue par son dynamisme. En 2022, n’a-t-il pas ravi à la Suisse sa place de numéro un au classement mondial de la compétitivité, place qu’il occupe pour la première fois en trente-quatre ans d’histoire du classement ? Le Danemark obtient d’excellents résultats dans le facteur « efficacité des entreprises » (1re place), une appréciation soulignée par le professeur Arturo Bris, directeur du Centre de la compétitivité mondiale qui relève que « le Danemark est le pays le plus avancé sur le plan numérique dans le monde. Il occupe désormais la première place grâce à de bonnes politiques, aux avantages que lui confère son statut de pays européen, à une orientation claire vers la durabilité et à l’impulsion de son secteur privé agile. » Particularité du Danemark, sa densité de « fondations actionnaires ».
Une fondation actionnaire est une fondation qui détient tout ou partie d’une société commerciale. Elle a de ce fait une double
Ingénieur, entrepreneur, président du BioAlps et directeur du site Campus Biotech
inartis.ch republic-of-innovation.ch healthvalley.ch
mission : philanthropique, en soutenant des projets d’intérêt général (notamment grâce aux dividendes qu’elle perçoit), et économique, en jouant son rôle d’actionnaire. Ce modèle de participation permettant donc de faire converger les intérêts économiques et philanthropiques, bien qu’il soit peu connu, est une typicité bien européenne née de l’essor industriel du début du XXe siècle. Dans les pays nordiques, elle s’est établie comme une véritable philosophie capitaliste. Au Danemark, plus de 50% des entreprises cotées appartiennent à des fondations, soit pas moins de 1300 fondations actionnaires dont, pour les plus connues, Carlsberg, Novo Nordisk, Lundbeck, Velux, Maersk, ou Danfoss. Mais l’Allemagne n’est pas en reste avec près de 1000 fondations détentrices entre autres de Bosch, Bertelsmann, Staedtler, Aldi, Lidl, Zeiss ou Playmobil. Et la Suisse ? Le point commun entre Rolex, Victorinox, Lindt & Sprüngli et Le Temps – ces entreprises qui font la renommée de notre pays à travers le monde – est qu’elles sont détenues, en tout ou partie, par… des fondations.
Stables et durables, les fondations actionnaires protègent les valeurs et les intérêts des entreprises en les inscrivant dans une perspective de long terme. Solidaires, elles soutiennent des causes philanthropiques grâce aux dividendes qu’elles perçoivent. Un modèle vertueux de protection, de gouvernance et de transmission des entreprises choisi par de grands noms, lesquels, espérons-le, sauront inspirer des fondateurs dans leur ambition de construire l’économie de demain, au service du bien commun. /
La maladie NASH gagne la Suisse
En Suisse, une personne sur deux consomme trop de sucres ajoutés. La consommation moyenne de sucre par jour est de 107 grammes, alors que l’OMS et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) recommandent de ne pas dépasser 50 grammes. Une nouvelle campagne de prévention, intitulée « MAYbe Less Sugar », veut sensibiliser la population et fournir des conseils pour diminuer sa consommation. /
ENVIRONNEMENT
Attention, perturbateurs sur la ligne
Quel est l’impact de l’exposition aux pesticides sur les enfants qui vivent à proximité de vignobles et de vergers, notamment concernant leur santé respiratoire ? Depuis quelques mois, des écoliers et écolières du canton du Valais participent à une étude menée par le Swiss Tropical and Public Health Institute. Les premiers résultats de l’étude Parval (Exposition aux Pesticides par l’Air et Santé Respiratoire des Écoliers en Valais) devraient être publiés d’ici à la mi-2025. /
Burn-out et big data
La part des femmes épuisées émotionnellement dans leur travail et présentant un risque accru de burn-out est passée de 20% en 2012 à 25% en 2022, selon l’Office fédéral de la statistique. La part des hommes concernés par ce risque est stable et s’élevait à 19% en 2022. Les personnes stressées sont les plus à risque d’être épuisées dans leur travail : plus d’une personne stressée sur deux (53%) se trouve dans cette situation. L’enquête relève aussi que 27% des personnes épuisées émotionnellement présentent des symptômes de dépression, contre 5% pour celles qui ne le sont pas. /
Précarité : la médecine sociale en première ligne
Les inégalités de santé fondées sur le statut social sont plus importantes dans les lieux économiquement progressistes en Suisse. C’est le constat réalisé par une équipe de recherche franco-suisses. Les personnes dont le statut est bas font état d’une santé subjective et d’une satisfaction de vie nettement inférieures à celles de même statut dans les milieux plus conservateurs. /
PRÉVENTION
Maladies psychiques : mieux comprises, mieux traitées
Comment repérer que la santé psychique d’une collaboratrice ou d’un collaborateur se détériore ? Comment intervenir en tant que collègue ou employeur ? Répondre à ces questions est l’objectif du podcast sur la santé mentale au travail récemment lancé par l’Office de l’assurance-invalidité pour le Canton de Vaud. Les six épisodes du projet présentent des témoignages et des outils, dans un langage accessible et sans tabou. /
UN ESPACE SÉCURISÉ
POUR LES CONSOMMATEURS DE STUPÉFIANTS PRÉCARISÉS
C’est au cœur de Lausanne, à la place de la Riponne, que l’Espace de consommation sécurisé du Vallon a ouvert une nouvelle antenne au mois de mai. Ce projet pilote vise à se rapprocher des personnes précaires et désinsérées qui consomment des produits stupéfiants. Il s’agit notamment de permettre une consommation en urgence, de réduire les risques et méfaits liés à la drogue, d’orienter les usagers vers le réseau social et sanitaire lausannois, et de diminuer la consommation dans l’espace public.
Les locaux de l’antenne offrent 17 places pour l’inhalation, l’injection et le sniff, une zone d’accueil ainsi qu’une salle de repos. L’espace, ouvert du lundi au samedi, est géré par la Fondation ABS avec une équipe d’intervenant-es socio-sanitaires et la présence d’un-e agent-e de sécurité. Le projet fera l’objet d’une évaluation après une année de fonctionnement.
IMAGE : JEAN-CHRISTOPHE BOTT/ KEYSTONE
Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, « In Vivo » présente les dernières bonnes nouvelles liées aux enjeux de santé, dans le monde.
SIDA Sixième cas au monde, un patient suisse est en rémission du VIH, à Genève. Traité contre le sida depuis des années, le patient a parallèlement développé une leucémie sévère. La greffe de moelle qu’il a reçue pour lutter contre son cancer du sang a entraîné une chute drastique des cellules portant le VIH. Les analyses réalisées par la suite ont montré qu’il n’y avait plus de traces du virus dans le corps du patient. Cet exemple offre de nouvelles perspectives dans la lutte pour la guérison du VIH.
MOUSTIQUES Le Cap-Vert vient de rejoindre la liste des 42 pays bénéficiant de la mention : exempt de paludisme. Il est ainsi le troisième pays de la région africaine, après l’île Maurice et l’Algérie, à avoir réussi à éradiquer ce fléau. Pour y parvenir, un accent particulier a été mis sur le diagnostic ainsi que le traitement précoce combinés à un système de surveillance et de signalement des cas de paludisme. Au niveau mondial, le dernier rapport de l’OMS révèle qu’il y a encore de nombreux efforts à fournir, puisque des régions comme le Nigeria, le Pakistan ou l’Éthiopie ont même connu une augmentation de la maladie. L’organisation estime que la moitié de la population mondiale reste exposée au risque de contracter la malaria, insistant ainsi sur l’engagement de la communauté mondiale face à ce problème.
ÉGALITÉ Il aura fallu attendre une cinquantaine d’années pour que le gabarit du mannequin, utilisé dans les crash tests de voitures, soit adapté aux mesures moyennes des femmes. Au-delà de l’inclusivité, cette adaptation joue un rôle majeur dans la protection de cette partie de la population lors des accidents de voiture. En effet, lors d’une collision frontale, les femmes auraient 73% de risques de plus que les hommes d’être blessées, selon une étude américaine de l’Université de Virginie, réalisée en 2019. Conçue par une ingénieure suédoise, SET 50F, le mannequin créé d’après un modèle de femme type, sert d’outil pour aider à concevoir des sièges de voitures qui protégeront mieux les femmes.
Les
Les personnes qui travaillent en pharmacie peuvent jouer un rôle important dans la lutte contre les violences domestiques. Depuis novembre 2022, une formation en ligne est disponible dans le canton de Vaud pour leur permettre de reconnaître un cas de violence domestique quand il se présente au sein de leur officine et d’agir de manière adéquate.
TEXTE :
ESMA BOUDEMAGH
PROTÉGER L’idée est née d’un constat simple : « Les victimes de violences domestiques se rendent souvent en pharmacie pour soigner certaines conséquences, telles que des blessures physiques ou des troubles du sommeil », explique Maribel Rodriguez, cheffe du Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes du Canton de Vaud. En suivant cette formation (sur base volontaire), les pharmacien-nes apprennent à détecter des cas de violences domestiques et à proposer des pistes de prise en charge en suivant le protocole Dotip (Dépister – Offrir un message de soutien – Traiter – Informer –Protéger et Prévenir).
Dans un premier temps, il s’agit de détecter la situation de violence, ce qui constitue souvent le principal défi. Ensuite, il faut offrir un message de soutien, diriger la victime vers une autorité compétente, comme un centre LAVI, puis l’informer de ses droits et proposer un plan pour éviter les récidives si elle ne souhaite pas faire appel à un service d’aide.
Avec plus de 400 pharmacien-nes formé-es dans les 260 officines vaudoises, Maribel Rodriguez considère la formation comme une réussite. « Elle a suscité un vif intérêt et les personnes participantes se montrent satisfaites. » Les pharmacies ont aussi la possibilité d’obtenir un label dès lors que deux collaboratrices ou collaborateurs sont formés. « Il est important qu’une victime sache qu’elle pourra obtenir de l’aide dès qu’elle pousse la porte de la pharmacie affichant ce label. »
La formation est également proposée dans les cantons de Genève, Neuchâtel et Valais, et le sera bientôt au Tessin ainsi que dans certains cantons suisses alémaniques. /
En Suisse, le nombre de médecins de famille disponibles ne suffit pas pour répondre aux besoins de la population. Pour limiter le risque de pénurie, une réorganisation de la formation, l’amélioration des conditions de travail des généralistes et le renforcement de centres de santé hybrides constituent des pistes encourageantes.
Il se pourrait qu’après une dizaine d’appels, la messagerie d’un-e généraliste vous répète qu’il est impossible d’obtenir un rendez-vous si vous n’êtes pas déjà patient-e de ce cabinet. Il se pourrait même que vous en veniez, comme le font déjà certaines personnes, à scruter les nécrologies où le généraliste est souvent remercié. Vous pourriez alors objecter : « Je sais que vous avez une place, puisqu’une de vos patientes est décédée.» En 2021, une enquête de la Fédération romande des consommateurs montre qu’en fonction des régions, il faut parfois s’y prendre jusqu’à 30 fois pour obtenir un rendez-vous. Une situation qui risque d’empirer ces prochaines années face au vieillissement de la population et au déficit de relève. En Suisse, il manquera 2300 médecins de famille en 2033, selon la Société suisse de médecine interne. « Il faut des généralistes, ces médecins de famille proches de la population représentent un maillon essentiel», dit Stéfanie Monod, vice-directrice de l’École de formation postgraduée médicale. Les universités accordent plus de temps à la médecine de premier recours et des réflexions sont menées pour rendre l’environnement de travail des médecins de famille plus agréable. Un renforcement de l’interprofessionnalisation se dessine également. Mais il faut faire vite, car les études de médecine sont longues.
En Suisse, l’inadéquation entre le nombre de médecins formés par rapport aux besoins de la population se creuse. Et même si la statistique médicale 2023 de la FMH constate une légère augmentation (800 équivalents plein temps de plus que l’année précédente), l’organisation précise que cette hausse ne suffira pas à combler l’insuffisance de personnel qualifié. Au manque global de médecins s’ajoute une raréfaction des spécialistes de la médecine de premier recours, qui comprend les pédiatres, les gynécologues, les psychiatres et les médecins de famille.
Ce manque menace directement la vitalité du système de santé. Faute de généraliste, les personnes qui rencontrent un problème de santé se rendent aux urgences. Une habitude particulièrement problématique, parce qu’elle contribue à engorger ce service et à gonfler les coûts de la santé. En plus, ce système n’est pas fait pour répondre de manière
optimale à la majorité des problématiques pour lesquelles les gens consultent. « On croit souvent que le recours facilité aux services des urgences est adéquat, précise Sébastien Jotterand, généraliste à Aubonne et coprésident de l’association Médecins de famille Suisse. Ce n’est pas le cas. La mission des urgences est principalement d’exclure le très grave sans pour autant trouver exactement de quoi souffre la personne. » Aussi, la consultation aux urgences implique un éternel recommencement, puisqu’il faut systématiquement faire part de son historique de santé à un-e interne qu’on voit pour la première fois. Sébastien Jotterand souligne aussi la perte d’informations qu’implique ce fonctionnement. Car, en l’absence d’un médecin traitant, les renseignements obtenus sur l’état de santé de la personne et le détail des traitements administrés seront perdus.
Le nombre de personnes en Suisse qui ressentent une pénurie de médecins au niveau régional, d’après un sondage mené en 2022 par le magazine « DOC » édité par la Société vaudoise de médecine. /
94,3%
Le pourcentage des problèmes de santé que peuvent résoudre les médecins de famille.
Cela, en occasionnant seulement 7,9% des coûts, d’après l’étude Workforce 2020 sur la médecine de base.
Lorsque les urgences se substituent au médecin de famille, l’accès aux soins devient aussi particulièrement compliqué. En effet, les urgences sont organisées d’abord pour la prise en charge de problèmes de santé aigus. Consulter pour des symptômes gênants mais qui n’engagent pas le pronostic vital imposera aux individus concernés une longue attente. «Non seulement cette dynamique a pour effet de surcharger l’hôpital déjà sous tension, mais elle empêche en même temps tout le travail de prévention, capital pour assurer une bonne santé à la population, explique
Occupant une fonction essentielle, les médecins de famille sont indispensables pour assurer une haute qualité de soins à la population. Il existe pourtant un décalage important entre les besoins de la population et le nombre de médecins disponibles. Par conséquent, la Suisse aspire une part importante de médecins étrangers et beaucoup continuent au-delà de l’âge de la retraite.
Accessibilité et régions Trouver un généraliste ne représente pas le même défi en fonction de la zone dans laquelle on réside. Dans les communes urbaines, il faut compter en moyenne 0,6 kilomètre pour trouver un médecin de famille. Tandis que, dans les communes rurales, cette distance s’élève à 2,5 kilomètres.
NOMBRE DE CABINETS
PAR 1000 HABITANT-ES
Source : OFS 2021
1 – 2 2 – 3 4
*Nombre de cabinets médicaux de premier recours
Source : OFS 2021
DE LA MOITIÉ DES MÉDECINS DE PREMIER RECOURS ONT PLUS DE 50 ANS…
Un peu plus de 40% des médecins en Suisse sont d’origine étrangère. Ils viennent de :
…ils ont même plus de 60 ans, pour un quart d’entre eux. Ils exercent donc souvent après l’âge de la retraite.
Dans les séries télévisées à succès, comme ici «Grey's Anatomy», les personnages font rarement face à une surcharge administrative, par exemple.
En revanche, le rôle prépondérant de l’hôpital dans ces fictions reflète la réalité de la formation des médecins qui accorde une place majeure aux expériences dans le cadre hospitalier au détriment de celles en cabinet de médecine de premier recours.
Stéfanie Monod. Par ailleurs, la limitation d’accès à la médecine de famille peut induire un renoncement aux soins. » Effectivement, personne ne pourrait être admis aux urgences pour faire un check-up ou obtenir des explications ou des conseils sur sa santé. En l’absence d’un médecin de famille, ces types d’examens préventifs sont simplement écartés.
Or, la procrastination de la consultation a de lourdes conséquences pour le système de santé. Car souvent, plus on attend, plus les actes médicaux et les interventions pour se faire soigner seront importants et donc coûteux. Se dessine alors une spirale infernale dans laquelle le manque de généralistes entraîne une lacune importante au niveau de la prévention et donc potentiellement plus de personnes malades réclamant alors encore plus de médecins pour être traitées. Il est pourtant prouvé que la médecine de premier recours, en plus de jouer un rôle essentiel en matière de prévention, sait résoudre 94,3% des problèmes de santé tout en représentant seulement 7,9% des coûts de la santé, comme le souligne l’étude Workforce 2020 du Centre universitaire de médecine de premier recours des deux Bâles.
Pour tenter de combler le manque, la Suisse engage énormément de médecins formés à l’étranger. La Fédération des médecins suisses indique ainsi que 40% des praticien-ne-s viennent d’un autre pays. Une pratique qui pose des questions éthiques, car en engageant des médecins à l’étranger, la Suisse profite de l’investissement que les autres pays injectent dans la formation. Ces pays ne peuvent pas retirer les bénéfices, puisque leurs jeunes médecins s’échappent une fois professionnalisés.
Pourtant, au niveau de la formation déjà, les places sont limitées. Pour entamer le cursus universitaire de médecine, il faut non seulement réussir son examen, mais aussi se classer parmi les meilleur-es. C’est ce qu’on appelle le numerus clausus, une méthode qui limite le nombre d’individus pouvant suivre les études de médecine par année. Ce qui veut dire qu’il est possible de réussir l’examen, sans pour autant être assuré-e d’avoir une place.
Pour suivre leurs études, un certain nombre d’étudiant-es suisses se rendent à l’étranger, en particulier
Pour devenir médecin de famille, il faut d’abord suivre les six années de médecine de l’université qui débouchent sur le Diplôme fédéral en médecine humaine. Les jeunes médecins suivent ensuite une formation dite postgraduée qui se déroule classiquement en deux étapes (formation postgraduée de base, puis perfectionnement), mais avec un nombre de parcours différents possibles, en fonction de l'intérêt pour l’hospitalier ou l’ambulatoire, ou selon les places de formation disponibles.
Pendant les trois premières années, le passage obligatoire en médecine interne d’hôpital est effectué avec, au minimum, trois mois dans un service d’urgence. Après ce début d’expérience, il est possible de poursuivre sa
formation avec un poste de médecin assistant-e en cabinet médical ou en policlinique, ou bien de rester dans le contexte hospitalier.
Pour terminer leur formation, les futurs médecins internistes généralistes se perfectionnent en choisissant souvent de passer dans des spécialités autres que la médecine interne, s’ils projettent de s’installer, ou plutôt les soins intensifs s’ils comptent rester en milieu hospitalier. À la fin de la formation, les médecins sont reconnus spécialistes ISFM en médecine interne générale. Ils peuvent alors décider de devenir médecins de famille en ouvrant leur propre cabinet ou en rejoignant un cabinet de groupe, ou alors de rester dans un service de médecine interne hospitalière.
aller plus loin, programme complet de la formation :
ORL et/ou dermatologie
Psychiatrie et/ou neurologie
Infectiologie et/ou pneumologie
Cardiologie et/ou
en Roumanie. Cette alternative intéressait seulement 13 personnes en 2004–2005, contre 111 en 2023. Une fois les études terminées, les jeunes médecins reviennent systématiquement en Suisse pour exercer.
La difficulté à trouver un médecin de famille est une réalité à laquelle est confrontée la population. Mais sont concernés aussi les généralistes, qui ne parviennent pas à partir à la retraite, faute de relève. En janvier dernier, l’émission Mise au point se rendait à Hauterive dans le canton de Fribourg. Il y a là André Schaub, un généraliste qui tente de remettre son cabinet et de confier sa patientèle à un autre médecin de famille, sereinement. La mise à disposition d’un local ainsi que le prêt de 300’000 francs sans intérêts n’ont pas suffi à attirer la relève.
André Schaub n’est pas le seul dans cette situation. Le vieillissement des médecins de famille, et donc l’arrêt de leur activité ces prochaines années, inquiète. Plus d’un-e généraliste sur trois a plus de 60 ans, révèle la RTS en se basant sur le registre des autorisations de pratiquer.
Alors comment expliquer que cette spécialité qui allie connaissances scientifiques pointues et importante dimension humaine, et qui joue un rôle aussi capital pour assurer le bon fonctionnement d’un système de santé, désintéresse au point d’entraîner une pénurie ?
EXAMEN D’UN DÉSINTÉRÊT
POUR LA MÉDECINE GÉNÉRALE
Souvent opposée à tort à la médecine spécialisée, la médecine interne générale a mauvaise réputation. Dans l’imaginaire collectif, le médecin de famille serait un médecin non spécialisé, qui aurait arrêté sa formation plus tôt que les autres, renonçant à se spécialiser dans la chirurgie, l’urologie ou encore l’oncologie. C’est faux. Le nombre d’années nécessaires à l’obtention d’un titre de médecin de famille en cabinet est le même que celui nécessaire pour opérer un cœur. « On oublie trop souvent que les généralistes sont des spécialistes de médecine interne générale, rappelle Stéfanie Monod. Cette orientation, souvent considérée, à tort, comme plus accessible est aussi complexe, voire plus, que n’importe quelle autre spécialité. »
Au niveau de la formation, la médecine de premier recours peine à se faire une place. Le cursus est majoritairement articulé à l’hôpital, où les futurs médecins réalisent la majorité de leurs stages. Ensuite, lors de la formation postgrade (c’est-à-dire après l’université), les premières années professionnelles sont aussi effectuées à l’hôpital.
En contact avec la pratique, la réalité de la profession peut s’avérer particulièrement intense. Les jeunes médecins cumulent notamment un nombre important d’heures de travail et sont potentiellement soumis à un stress considérable ou encore à une surcharge administrative. Il peut alors s’opérer un désenchantement participant à s’écarter de la médecine de famille en cabinet, qui réclame, en plus d’être médecin, d’investir dans un lieu pour ses consultations, mais aussi dans une équipe.
UNE CHARGE ADMINISTRATIVE INTENSE
« Ces dernières années, la charge administrative reposant sur les médecins de famille s’est particulièrement intensifiée, développe Vanessa Kraege, vice-directrice et responsable opérationnelle de l’École de formation postgraduée médicale. De plus en plus d’entreprises demandent par exemple un certificat médical à leur personnel, à partir d’un jour d’absence seulement alors que les patient-es iront spontanément mieux en quelques heures. Les prises en charge par les médecins de famille doivent aussi être documentées de façon beaucoup plus bureaucratique que par le passé, et font souvent l’objet de demandes de justifications par les assurances. Cet accroissement des tâches administratives engage à la fois une perte de temps, mais engendre aussi une perte de sens. » L’intensification de la charge administrative, au-delà des médecins de famille, concerne plus largement tout le métier. Une évolution qui participe à l’abandon de la profession, surtout chez les jeunes. Ainsi, parmi les 30% de médecins qui quittent le métier, 35% ont moins de 35 ans et n’ont parfois même pas encore terminé leur formation postgrade.
La pénurie participe aussi à rendre le métier plus rude. Dans le cas des médecins traitants, la réduction de leur nombre implique la prise en charge de plus de personnes et donc une surcharge de travail qui entrave l’attractivité de la profession. Face à ces enjeux, l’écart entre la valorisation salariale de la médecine générale et des autres spécialités joue un rôle majeur. « Il est urgent de trouver des modes de rémunération complémentaires pour financer certaines activités, explique le généraliste Philippe Schaller, cofondateur du Groupe médical d’Onex, à Genève. Dans le financement à l’acte que nous connaissons actuellement, la coordination, la
Simon Golay, 23 ans, est étudiant en 3e année de médecine et président de l’Association des étudiants en médecine de Lausanne. Il raconte son rapport à la formation et ce qu’il observe au sein de la formation autour du métier de médecin de famille.
« En tant qu’étudiant, il est particulièrement difficile de comprendre pourquoi la formation est si exigeante et, en même temps, pourquoi si peu de personnes peuvent y accéder alors que nous manquons de médecins. Pourtant, les études restent attrayantes. J’ai l’impression que le métier est encore valorisé socialement; l’image de la blouse blanche, notamment forgée par les séries télévisées et les réseaux sociaux, reste séduisante. Beaucoup s’orientent vers cette profession, inspiré-es par leurs parents, qui sont médecins. Pour ma part, c’est la chirurgienne et chercheuse suisse Jocelyne Bloch qui m’a donné envie de faire ce métier.
Par contre, c’est vrai que la médecine interne générale dans le but de devenir généraliste n’est pas la spécialisation la plus convoitée. Aujourd’hui, une sorte de hiérarchie (qui n’a pas lieu d’être) s’est établie, où le métier de généraliste n’occupe pas la place la plus prestigieuse et donc la plus populaire, contrairement à d’autres spécialités comme la cardiologie, par exemple. En France, ce rapport est amplifié par le fait que les étudiant-es qui obtiennent les moins bonnes notes doivent se contenter des spécialités qui n’ont pas été choisies par les meilleur-es… sou-
vent la médecine générale, tandis que les autres spécialités sont réservées aux plus brillant-es.
À l’Université, les cours sont majoritairement dispensés par des pointures, des spécialistes souvent passionné-es par leur domaine. Leur dévotion nous inspire et nous invite à choisir leur spécialité, ce qui nous donne très tôt une idée de ce que nous pourrions vouloir faire dans notre parcours. Une réalité qui tranche avec l’examen final qui est un examen de généraliste.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce sont systématiquement
les étudiant-es de l’Université de Fribourg qui obtiennent les meilleurs résultats à l’examen fédéral, alors que leurs cours ne sont pas majoritairement donnés par des spécialistes. Si davantage de cours étaient dispensés par des généralistes dès les premières années, nous serions peut-être encouragé-es à envisager cette spécialité plus tôt dans notre parcours. Je pense que la valorisation de la médecine générale serait plus opérante si on nous offrait plus d’opportunités d’immersion en cabinet de médecins de premier recours plus précocement dans notre cursus.
Ensuite, psychologiquement, l’exigence inhérente à ces études nous oblige à mettre une partie de notre vie entre parenthèses au cours de la formation. Nous sommes plongé-es dans des considérations impressionnantes, je pense par exemple au rapport à la mort, à laquelle nous sommes régulièrement confronté-es. Je pense que la pression subie durant la formation et la charge importante de travail incitent certain-es à s’orienter vers une spécialité promettant un mode de vie plus confortable, financièrement. D’autres favorisent, au contraire une carrière universitaire avec une grande possibilité d’évolution dans telle ou telle spécialité. Ce qui est moins évident lorsqu’on s’oriente vers la médecine générale. »
Réorganiser la formation médicale peut contribuer à lutter contre le manque de généralistes en Suisse. Explications.
Le projet Réformer entend s’attaquer à l’inadéquation entre le nombre de médecins formés et les besoins de la population. Il s’agit, par exemple, de limiter la disparité entre le nombre de médecins de famille et d’autres spécialités. « L’outil que nous développons n’intervient pas sur le contenu des formations, mais sur la manière dont les futurs médecins sont orientés et accompagnés lors du choix de leur formation postgraduée, c’est-à-dire une fois la formation universitaire achevée, spécifique à leur spécialité », explique Nicolas Pétremand, directeur de Réformer.
Pour proposer des réponses efficaces au niveau des ressources médicales et des cantons romands, la première chose est de clarifier les besoins. « Nous souhaitons prioritairement obtenir une meilleure image de la démographie médicale actuelle et des parcours de formation postgraduée. Nous manquons aussi de chiffres cohérents et documentés sur la répartition en différentes spécialités selon les besoins. Ils doivent être estimés en se basant sur la situation actuelle, les tendances démographiques et médicales de la population. »
Concrètement, Réformer souhaite mettre en place un meilleur système d’accompagnement lors de la formation postgraduée. « À la manière d’un coaching, des médecins seniors, au clair avec les enjeux actuels de santé publique, accompagnent les futurs médecins dans l’élaboration d’un projet de carrière correspondant à leurs envies et qui les oriente vers les spécialités dont la population a le plus besoin. » Car, actuellement, ce sont souvent des chef-fes de spécialités dans le cadre hospitalier qui viennent chercher des étudiant-es ou les médecins assistants pour leurs services. Ce schéma peut entraîner une forme d’errance qui empêche de combler les spécialités qui ont besoin de forces et qui prolongent à outrance la période de formation. « Les médecins en formation postgraduée se retrouvent ainsi dans une boucle, enchaînant les postulations. Un fonctionnement dont profite le système en rémunérant mal ces profils, du fait qu’ils n’ont pas encore obtenu leurs titres de spécialistes. »
En plus de renforcer le système de santé en alignant les spécialisations sur les besoins réels de la population, ce fonctionnement permet aussi de lutter contre le découragement des
prévention ou encore l’enseignement thérapeutique ne sont pas pris en compte. Ils constituent pourtant une part essentielle de l’activité des médecins de famille. »
Aussi, dans les échelles de tarification actuelles, un acte réalisé par un généraliste vaut moins que celui effectué par un dermatologue, par exemple. Résultat : la médecine interne est fortement sous-valorisée financièrement par rapport aux autres spécialités et perd encore en attractivité pour les jeunes médecins en formation.
jeunes médecins, en donnant une meilleure image de la médecine de famille, mais aussi de la médecine interne générale. « En mettant à disposition une personne ressource (coach, mentor de carrière, coordinateur de la filière), les futurs spécialistes peuvent plus facilement imaginer de nouvelles pistes si l’orientation initialement convoitée ne leur convient finalement pas ou qu’ils se sentent en difficulté face à la pression que peut représenter l’engagement dans un service. Cela leur permet aussi d’obtenir l’appui neutre d’un pair qui n’est pas celui qui valide l’acquisition des compétences. » Une priorité est mise sur la qualité de l’accompagnement des médecins en formation postgraduée qui hésitent ou qui changent d’orientation ainsi que sur les informations à connaître afin de prendre une décision documentée. Cet outil permettra de produire des données et des indicateurs actuellement manquants pour piloter le système, idéalement au niveau de l’ensemble du pays. «Ces éléments sont utiles pour les médecins en formation, les établissements et les institutions en charge de la formation des médecins et enfin les cantons qui doivent garantir la couverture des besoins de leur population.»
COMMENT RENFORCER
LA MÉDECINE DE PREMIER RECOURS
« La société doit se demander quelle médecine elle souhaite, questionne Vanessa Kraege. Une médecine self-service, disponible sept jours sur sept et 24 heures sur 24 de laquelle on peut obtenir tout ce qu’on veut, ou une médecine de
qualité, basée sur le bon sens et gardant une certaine humanité ? » Pour que le métier de généraliste regagne en attractivité, il est important d’agir sur la formation. En proposant notamment davantage de stages au sein des cabinets, pour donner un aperçu plus juste de la spécialité. Il faudrait aussi agir sur le contenu des cours. « Durant le cursus universitaire, trop de professeur-es très spécialisé-es interviennent, estime Stéfanie Monod. Aujourd’hui, la formation est encore trop axée sur des maladies que les futurs médecins verront finalement assez peu au cours de leur carrière. » Repenser la formation s’avère ainsi essentiel. Vanessa Kraege le confirme. « Il faut trouver des solutions pour former non-stop les médecins aux avancements continus de la science, alors que celle-ci se complexifie et que les médecins ont de moins en moins de temps. Les médecins ont besoin de s’approprier de nouveaux outils ; des connaissances en matière de cybersécurité pour protéger les dossiers de leur patientèle ou de bons usages de l’intelligence artificielle, par exemple. Ou encore, savoir utiliser toutes les fonctionnalités d’un nouveau logiciel ou être renseigné-es sur les questions d’éthique ou de durabilité. »
DE NOUVELLES STRUCTURES
Après la formation, il convient aussi de repenser la manière de collaborer. « Les médecins de premier recours travaillent de moins en moins seuls, précise Philippe Schaller. Ils cherchent à se regrouper et optent donc pour des organisations interprofessionnelles. Cela leur permet également de travailler à temps partiel et d’éviter les charges financières trop élevées. » C’est ce vers quoi tendent des lieux tels que la maison de santé Cité générations à Genève. L’établissement a été inauguré en 2012, sous l’impulsion de Philippe Schaller. C’est un lieu hybride, entre le cabinet médical et l’hôpital, qui permet de décharger les urgences ambulatoires. Cette maison de santé héberge également dix lits d’hospitalisation, une première en Suisse. « Pour la population, ces maisons de santé présentent aussi de nombreux avantages : un accueil médical élargi tous les jours, un dossier médical partagé entre les différent-es professionnel-les ainsi que des consultations spécialisées si nécessaire. Les patient-es présentant des maladies chroniques ont des suivis mieux coordonnés. » Ce modèle permet aussi de réduire la charge administrative qui pèse sur l’emploi du temps des médecins. Surtout, ces espaces facilitent l’interprofessionnalité, un élément clé pour lutter contre la pénurie de personnel qualifié dans les soins, en réunissant une équipe infirmière et de pharmacie qui peuvent s’occuper de certains gestes médicaux. « Les maisons de santé offrent une solution bien réelle pour faire face à
l’augmentation du nombre de personnes qui souffrent de maladies chroniques de plus en plus complexes. Pour les médecins de famille qui désirent partir à la retraite, il est aussi particulièrement confortable de pouvoir facilement confier sa patientèle qui a déjà ses repères pour être soignée. »
Finalement, à une époque où la population est plongée dans un climat particulièrement anxiogène, où les guerres se doublent d’une dégradation de la situation économique et environnementale, un système de santé opérant est vital. Récemment, une équipe de recherche de l’Université de Copenhague a évalué que 82,6% des femmes et 76,7% des hommes seront concernés par des troubles psychiques ces prochaines années. Les médecins de famille étant souvent les premiers interlocuteurs des individus manifestant un trouble psychique, leur rôle dans le soutien précoce de cette population s’avère essentiel. /
En tant que médecin de famille et formateur, Sébastien Jotterand est confronté aux conséquences de la raréfaction des généralistes. Il revient sur les enjeux de ce manque et évoque des pistes pour améliorer la situation.
in vivo Comment le décalage entre le nombre de médecins et les besoins de la population se ressent-il ?
sj Comme il y a de nouveaux cabinets qui ouvrent, il peut être difficile de se rendre compte de la problématique. Mais en réalité, la Suisse n’arrive pas à suivre et comme il faut au moins douze ans pour former un médecin, le risque de se retrouver dans un désert médical est fort. Concrètement, les difficultés que les personnes peuvent rencontrer dépendent beaucoup de si elles ont déjà un généraliste ou non. Et lorsque ce n’est pas le cas, il peut être très dur d’entendre que tel ou tel médecin ne prend plus de patientes dans une situation où le besoin de consultation est urgent. Le temps que les gens doivent investir pour obtenir un rendez-vous parfois simplement pour un avis ou un contrôle est totalement démesuré. Plus largement, les cantons ont le
Biographie
Sébastien Jotterand obtient son diplôme de médecine interne générale en 1990 à Genève. Il exerce actuellement au Centre médical d’Aubonne. Depuis 2011, il collabore avec le Département de médecine de famille de Lausanne où il a aussi été chargé de cours. Il accueille régulièrement dans son cabinet des étudiant-es pour des stages et des médecins assistant-es en formation. Il copréside actuellement l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse qui représente les intérêts professionnels politiques et économiques du métier de généraliste.
devoir de garantir l’accès aux soins, or dans ces conditions, la population est entravée dans l’accès à des soins primaires.
Le décalage entre le nombre de spécialistes de médecine interne et les besoins de la population se creuse aussi face aux nouveaux défis qui s’imposent. Ces dernières années, nous assistons par exemple à une demande croissante de consultations chez les jeunes de moins de 30 ans. Une augmentation évaluée à 22,7% et principalement pour des problèmes psychiques. Le renforcement de la médecine de premier recours est donc indispensable pour offrir du soutien à une jeune population de plus en plus en désarroi face à la situation climatique, au monde du travail ou encore à l’instabilité de la paix mondiale.
iv Par quoi faudrait-il commencer pour renforcer la médecine de famille ?
sj En tant que coprésident de l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse, cette question me traverse constamment l’esprit. Pour garantir des soins de base complets et de haute qualité, il faut d’abord agir au niveau de la formation. À mon avis, l’un des enjeux majeurs est de ramener du concret dans la formation. Rien n’est plus motivant que le contact direct avec les patient-es. Au niveau suisse, 1200 médecins sont formé-es par année. Nous voudrions opérer une augmentation de 50% et parvenir à 1800 diplômées par an. Pour encourager la relève, il est aussi important de défendre l’image professionnelle de cette spécialité. Mais la tendance à dévaloriser tout ce qui est humain et relationnel est forte. Les gens aiment le pain artisanal, mais seront en même temps fascinés par un boulanger qui parvient à tripler sa production en peu de temps. La médecine de famille en pâtit directement, puisque dans le système de rémunération actuel, les actes techniques valent plus que les actes intellectuels.
iv Pensez-vous que la population se fait une fausse idée du métier de généraliste ?
sj Beaucoup s’imaginent en effet que le médecin de famille est consulté au début du processus et qu’il ne sait pas résoudre les problèmes, mais s’occupe simplement de trier les patient-es, les recommandant à d’autres spécialistes en fonction de leurs symptômes. Or, statistiquement, sur 20 cas, le généraliste sait en résoudre 19 par du conseil, des médicaments ou des bons de physiothérapie. C’est un véritable levier pour simplifier le système et limiter les coûts en évitant des examens superflus. Ce fonctionnement est avantageux pour tout le monde, car personne ne va aller subir une biopsie pour se changer les idées durant son temps libre. Aussi, si le ou la généraliste est bien un-e spécialiste de premier recours, il est également un médecin de dernier recours, suivant les personnes jusqu’au bout de leur vie, dans le cadre des soins palliatifs, par exemple. Et entre les deux, le médecin de famille est un partenaire de dialogue pour soutenir les patient-es dans le système de soins tout en les orientant en ayant une connaissance approfondie de leur état de santé.
iv Quelles sont les mesures à mettre en place pour améliorer les conditions de travail des médecins ?
sj En plus de la revalorisation salariale par rapport aux autres spécialités, il est important de renforcer la collaboration avec les assistant-es médicaux et
médicales en cabinet, les équipes infirmières et les pharmacienpharmacien-nes. Il existe notamment un brevet pour mieux reconnaître le travail des assistant-es médicaux et médicales et qui leur permet ensuite de faire une partie du suivi clinique pour des maladies comme le diabète ou l’hypertension et autres maladies chroniques. Cette option peut participer à décharger les généralistes d’une partie de leurs consultations. Et il est urgent de trouver des solutions, car la pénurie de généralistes les place sous pression. Beaucoup de médecins de famille se retrouvent dans une situation où ils ne font que répondre aux urgences, ce qui les menace à la fois de burn-out, mais peut aussi les démotiver. Ainsi, on se retrouve dans une logique contreproductive où la rareté des médecins de famille risque d’amplifier la pénurie.
iv Existe-t-il aussi des pistes dans la relation à la patientèle pour agir contre cette surcharge ? sj Une approche encourageante est la promotion de l’auto-gestion. Il s’agit, lorsque c’est possible, de partager avec les personnes atteintes de maladies de longue durée et leurs proches des outils pour gagner de l’expérience dans la maîtrise du traitement. Cette manière de faire permet d’avoir des patient-es expert-es et des médecins de famille qui sont juste là pour les accompagner. Il se tisse alors une relation de collaboration où la personne malade devient une véritable partenaire dans le parcours de soins. /
Dans chaque numéro d’In Vivo, le Focus se clôt sur une sélection d’ouvrages en « libres échos ». Ces suggestions de lectures sont préparées en collaboration avec Payot Libraire et sont signées Joëlle Brack, libraire et responsable éditoriale de www.payot.ch.
PROPOS RECUEILLIS
2041 : L’Odyssée de la médecine
PR JEAN-EMMANUEL BIBAULT
LES ÉQUATEURS, 2023
203 PAGES
CHF 28.70
Médecin cancérologue chercheur spécialisé en intelligence artificielle et ancien geek fidèle à sa passion, le professeur Jean-Emmanuel Bibault propose dans 2041 : L’Odyssée de la médecine une passionnante synthèse, à la fois fouillée et accessible, des avancées de l’intelligence artificielle dans le domaine médical.
L’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui partout, le plus souvent pour des raisons futiles ou peu concluantes. Alors qu’en médecine, les espoirs et les avancées sont aussi vastes qu’encourageants, et loin de la « science-fiction » que l’on imagine, comme le démontre ce médecin chercheur qui en vit l’évolution au quotidien !
IN VIVO D’où vous est venue l’envie d’écrire ce livre ? jean-emmanuel bibault Du constat qu’il y a un réel besoin de démystifier l’intelligence artificielle. Ce qui semble puissant génère des peurs, parfois irrationnelles : il est donc essentiel de remettre du réel dans ce sujet !
IV Quels sont les développements d’IA les plus prometteurs ?
jeb L’IA permet d’envisager d’énormes progrès, dans tous les domaines, comme les vaccins anticancereux, les nanotechnologies ou l’imagerie médicale. Mais c’est la médecine préventive – dépistage, prédiction, orientation – qui est à favoriser, car c’est là que l’on en voit aujourd’hui les espoirs les plus pertinents.
IV Sera-t-on alors soigné-es par des robots ?
jeb Mais non, et il faut être clair à ce sujet : c’est toujours l’humain qui décide, qui valide ! L’IA s’adresse le plus souvent au praticien. En apportant son aide, par exemple dans l’intégration des diagnostics et des soins, l’IA accélère les processus, réduit la part de la technique et les délais, donc libère du temps au médecin, qui peut ainsi se consacrer davantage au contact avec son patient.
IV Est-ce pour bientôt ?
jeb Certains outils sont déjà à l’œuvre, et appréciés, dans l’analyse d’image par exemple, ou le contourage des zones à irradier sur un scanner préalable à une radiothérapie ! Et bien sûr dans la recherche, notamment pour la prédiction des risques, ou du potentiel de guérison. Ils sont utilisés (ce qui ne signifie pas forcément validés) pour mieux comprendre, et plus vite.
IV Et qui oriente ces avancées ?
jeb Pour ce qui est de l’innovation, ce sont les chercheurs et les entreprises. Quant aux choix de soutenir tel ou tel progrès, ils sont politiques, c’est-à-dire assez empiriques, et globalement assez peu favorisés. Le problème est complexe, car très peu de solutions d’IA sont utiles de manière non équivoque : il y a un fossé entre les outils vantés et leur utilité réelle, rigoureusement validée. Lesquels alors admettre, c’est-à-dire rembourser, sans faire exploser les budgets ? Mais sans financement, on ne les exploite pas de manière à en avoir une réelle connaissance, c’est un cercle vicieux…
IV Qu’en sera-t-il alors du médecin de 2041, selon vous ?
jeb 2041 est évidemment un clin d’œil à L’Odyssée de l’espace, mais c’est aussi un jalon crédible dans notre futur proche. Je pense que, d’abord, il y aura des médecins, partout, grâce à l’IA qui pourra combler les « déserts médicaux » en assurant le premier recours ! Je crois aussi que l’IA aura acquis les compétences nécessaires pour poser le diagnostic et traiter les cas simples, délestant le programme du médecin qui, lui, prendra en charge les cas complexes, mais surtout la relation avec le patient. On ne le répétera jamais assez : plus il y a d’IA, plus il y a d’humain ! /
CHRONIQUE
Santé et intelligence artificielle
CÉDRIC VILLANI, BERNARD NORDLINGER, OLIVIER DE FRESNOY
CNRS, 2022
416 PAGES
CHF 42.50
De manière intéressante, l’équipe rédactionnelle prestigieuse réunie par le mathématicien Cédric Villani et le chirurgien-chercheur Bernard Nordlinger aborda en 2018 la grande question de l’intelligence artificielle non dans l’optique de la médecine, mais dans celle de la santé. Ne sont-elles pas indissolublement liées ? Certes. Mais elles sont surtout les deux bouts d’une lorgnette que tout le monde – les malades, les médecins, les équipes de recherche, les laboratoires – ne manipulent pas tous dans le même sens. Aux spécialistes de multiples domaines, de la médecine clinique à la gestion hospitalière en passant par la bioéthique et la recherche, s’est adjoint dans la version de 2022 un entrepreneur actif dans l’innovation en échographie, Olivier de Fresnoy, qui ouvre à d’autres perspectives encore les apports de l’IA. Un peu pointues mais pas du tout hermétiques, leurs diverses contributions rendent sensibles la complexité de ces approches interdépendantes et leur souci de défier la maladie – mais aussi leur relatif éloignement d’avec les patient-es, plus préoccupé-es par la santé que la médecine.
Médecine du futur. L’intelligence artificielle au chevet du patient
DR PHILIPPE COUCKE
MARDAGA, 2020
217 PAGES, CHF 51.20
La Promesse d’une île
SOPHIE TAL MEN
LIVRE DE POCHE, 2024
336 PAGES, CHF 14.70
Le Dr Coucke ne cache pas son intérêt pour les appuis que certaines innovations apporteront, ou permettent déjà, notamment en termes de fiabilité des synthèses en vue de diagnostic et de traitement. C’est aussi un praticien de terrain, qui voit que sa façon d’exercer se trouvera bouleversée, et que cette adaptation de grande ampleur ne semble pas prise en compte à sa véritable mesure. Enthousiaste sur les possibilités qui s’ouvrent, mais sceptique sur les processus en cours et surtout sur les acteurs en jeu, il craint que, par souci d’efficacité mais aussi en réponse aux pressions économiques, tous deux ne finissent asservis au big data, grand consommateur de données en tous genres – les données médicales en particulier. Une voix qui mérite d’être entendue.
Être soigné demain, c’est parfois savoir si l’on sera soigné tout court. Et à Groix la question est devenue réalité, la superbe île au large de Lorient étant ce qu’on appelle avec résignation un désert médical. Il faudra qu’un médecin soit désespéré pour accepter de venir s’y installer – « Qui voit Groix voit sa croix » dit un adage breton. Mais, dans ce paysage sauvage à l’ébouriffante beauté, parmi des insulaires à l’attitude d’autant plus chaleureuse car soulagé-es de leur problème, la santé et l’avenir des habitant-es pourraient être aussi le salut de leur nouveau docteur… Car le retour à la vie de l’île et d’Alexis semble passer le même chemin : le dicton ne dit-il pas également « Qui voit Groix voit sa joie » ?
Peste & choléra
PATRICK DEVILLE
POINTS, 2020
253 PAGES, CHF 14.40
La médecine d’hier fut la « médecine de demain » avant-hier, et, loin des clichés, la manière dont elle s’imposa est une leçon toujours renouvelée. Sans égard pour les images d’Épinal, Patrick Deville s’est penché sur le destin d’Alexandre Yersin, qui, en 1894, identifia le bacille de la peste. Cette aventure et les sacrifices qu’elle exigea, le bienfait pour l’humanité qu’elle signifia, semblaient s’inscrire dans une atmosphère de saine émulation. Point : le médecin vaudois n’était ni modeste ni commode, quant à la coopération pour le bien commun, elle se calqua sur le conflit qui opposait la France à la Prusse. Toute ressemblance avec la création de vaccins anti-covid est historiquement fortuite mais perceptible, le talent du romancier faisant le reste pour parfaire ce moment de lecture.
« Avec le microchimérisme, nous apprenons que les cellules humaines qui nous composent ne proviennent pas toutes de la première cellule-œuf »
consacre un ouvrage au phénomène fascinant du microchimérisme. L’autrice française met notamment en lumière les échanges de cellules entre nos mères et nous, in utero, et leurs effets.
INTERVIEW : BLANDINE GUIGNIER
«
cellules voyageuses sont une grande fenêtre ouverte sur l’imaginaire »
La découverte bouscule la conception que nous avions de nousmême. Nous ne sommes plus cet être constitué de milliards de cellules au patrimoine génétique unique, provenant toutes d’un même œuf originel, mais nous portons aussi des cellules issues d’autres individus. Passionnée par ce bouleversement de perspective, la journaliste scientifique Lise Barnéoud retrace l’histoire de ce nouveau concept médical dans son livre1 Les cellules buissonnières – L’enfant dont la mère n’était pas née et autres folles histoires du microchimérisme.
in vivo Une nouvelle révolution serait en marche, 20 ans après celle du microbiote, expliquez-nous. lise barnéoud Des scientifiques ont démontré dans les années 2000 que des cellules d’origine non humaine étaient présentes dans notre organisme et qu’elles jouaient un rôle crucial sur notre santé. Avec le microchimérisme, nous apprenons que les cellules humaines qui nous composent ne proviennent pas toutes de la première cellule-œuf, mais sont le fruit d’échanges avec d’autres individus. Il s’agit d’une révolution sur le plan de la médecine, car ces nouveaux savoirs pourraient aider les médecins à mieux appréhender certaines pathologies.
1 L’ouvrage est publié par la maison d’édition Premier Parallèle.
Sur le plan philosophique, cela change la manière dont nous nous appréhendons, puisque nous prenons conscience que nous sommes liés à d’autres personnes dès le départ.
iv Vous qualifiez ces cellules de « voyageuses ». Quel est leur principal trajet ?
lb La migration qui va tous nous concerner démarre au tout début de la vie in utero. Le fœtus envoie des cellules vers l’organisme maternel et des cellules de la mère traversent le placenta pour atteindre le fœtus. Dans les deux cas, ce sont des cellules dites souches, qui peuvent s’autorenouveler et donc se retrouver dans l’organisme des individus des décennies après l’accouchement.
iv Existe-t-il d’autres sources possibles de microchimérisme ?
lb Les cellules voyageant de la mère vers le fœtus sont aussi parfois le fruit de la propre vie in utero de la maman. Elles peuvent avoir été léguées par la grand-mère du fœtus, ce qui a été prouvé en 2021 par la chercheuse française Nathalie Lambert. Elles peuvent aussi provenir de tous
les fœtus que la génitrice a porté dans sa vie. Ces cellules, après avoir voyagé vers le corps de la mère durant la précédente grossesse, vont à nouveau migrer vers l’utérus. Nous pouvons ainsi hériter de cellules de frères et de sœurs aînés vivants, mais aussi d’embryons qui ont disparu lors d’une fausse couche.
«
iv Qu’est-ce que le microchimérisme gémellaire ?
lb Cette forme ne concerne pas seulement le pourcentage de la population ayant un jumeau, mais toutes les personnes qui ont commencé leur vie in utero avec d’autres embryons, soit environ 12% des grossesses. Les embryons qui disparaissent vont directement léguer des cellules à ceux qui restent. On ne parle d’ailleurs alors plus de micro- mais de macrochimérisme, car la concentration n’est plus d’une cellule d’un autre individu sur 1000, 10’000 ou 100’000 cellules propres. Un organe entier peut se trouver composé des cellules du jumeau évanescent. Cela passe généralement inaperçu, sauf dans quelques rares situations. Une personne s’est par exemple rendu compte, lors d’un don du sang, qu’elle appartenait à deux groupes sanguins. Dans mon livre, je cite aussi le cas d’une femme qui, selon des tests génétiques, n’était pas la mère de ses enfants. Or, il s’est avéré que ses ovules étaient en réalité faits de cellules de sa sœur jumelle évanescente et que cela avait faussé les résultats du test de maternité.
iv Des cellules peuvent également migrer à la suite d’une transplantation ?
lb Oui, on parle alors de microchimérisme iatrogénique: les cellules sont issues de greffes ou de transfusions sanguines. En cas de transplantation d’un rein par exemple, les cellules du donneur ne restent pas dans cet organe, mais, comme avec un embryon, s’échappent et vont dans la peau, le sang, probablement la moelle osseuse aussi. Réciproquement, celles du receveur vont pénétrer et coloniser le greffon.
iv Les cellules microchimériques ont d’abord été découvertes car elles étaient porteuses de chromosomes Y dans des corps de femmes. Qu’en est-il aujourd’hui ?
lb La technique basée sur les chromosomes sexuels n’a pas disparu, car elle reste la plus rapide. Toutefois, une nouvelle technologie permet d’en savoir plus sur l’identité des cellules recherchées. Par exemple, si je souhaite retrouver les cellules de ma fille à l’intérieur de mon corps, je commence par effectuer une analyse de nos marqueurs HLA2 respectifs. Ceux spécifiques à ma fille peuvent ensuite être retrouvés dans mon sang à l’aide d’une sonde spéciale. C’est cette technique qui a été utilisée par Nathalie Lambert pour retrouver des cellules de grands-mères dans le sang du cordon de nouveau-nés.
iv Pourquoi ce trafic bidirectionnel constitue-t-il, selon vous, « une fenêtre grande ouverte sur l’imaginaire » ?
lb C’est une chose que j’ai vite comprise en commençant mon enquête. Lorsque je parlais de ce sujet autour de moi, les questions fusaient, et il se manifestait un fort intérêt que j’avais encore très peu rencontré avec d’autres thématiques scientifiques par le passé. J’ai discuté avec plusieurs personnes qui étaient heureuses de se dire qu’elles portaient des cellules de leur mère décédée ou de leur enfant disparu. Comme c’est un sujet qui touche à l’intime, certaines personnes instrumentalisent aussi cette connaissance scientifique pour asseoir une certaine vision du monde. J’ai découvert qu’aux États-Unis, le mouvement conservateur et anti-avortement se servait du microchimérisme pour justifier que, comme les mères conservent des cellules de leurs enfants toute leur existence, leur place est d’être toujours à leurs côtés. Ou encore que si
1 Les marqueurs HLA distinguent les cellules appartenant à un organisme et celles qui lui sont étrangères.
une personne pratique un avortement, son fœtus va venir la hanter toute sa vie au travers de ses cellules.
iv On sait que ces cellules existent bel et bien dans notre corps, mais que sait-on de leurs effets ?
qui a développé une tumeur. Or, il est apparu que les cellules de son cancer étaient masculines et provenaient de son donneur. Ses médecins ont décidé d’arrêter les immunodépresseurs, elle a ainsi fini par rejeter sa greffe et les cellules cancéreuses du donneur. Toutefois, dans la majorité des autres cas, le microchimérisme aide au succès de l’implantation du greffon.
lb La vision d’un système immunitaire combattant tout ce qui est étranger dans le corps a longtemps prévalu en biologie. Par conséquent, la découverte de la présence de cellules avec des marqueurs HLA différents a d’abord inquiété. Cela a été considéré comme une source d’inflammations possibles pour l’organisme. Plusieurs chercheurs ont formulé l’hypothèse que les maladies auto-immunes découlaient de la présence des cellules microchimériques dans nos organes. Et cette hypothèse n’a d’ailleurs pas encore été complètement enterrée.
« DES CHERCHEURS SE SONT RENDU
COMPTE QUE DES CELLULES D’ORIGINE
FŒTALE POUVAIENT RÉGÉNÉRER UN ORGANE LÉSÉ. »
Toutefois, il y a eu dans les années 2000 un basculement. Auparavant, les scientifiques cherchaient ces cellules uniquement là où il y avait du grabuge et les trouvaient. Puis, il a été découvert que, quand ces cellules étaient intégrées à des organes de différents types, elles se spécialisaient et travaillaient comme les autres cellules de l’organe en question. Certains ont mis en lumière, dans le pancréas d’une enfant diabétique, que seules des cellules d’origine maternelle produisaient encore de l’insuline. Des chercheurs se sont rendu compte que des cellules d’origine fœtale pouvaient au contraire régénérer un organe lésé. Il a ensuite été démontré que des cellules issues du fœtus avaient un effet cicatrisant rapide sur la peau. Aujourd’hui, les chercheurs penchent donc plutôt du côté bénéfique du microchimérisme. Toutefois, en fonction de sa provenance, de sa concentration, mais aussi de caractéristiques génétiques, cela peut aussi basculer du mauvais côté.
iv Vous évoquez justement le cas d’un donneur malade dans votre ouvrage.
lb Oui, il s’agit de ce cas hallucinant d’une femme qui avait reçu une greffe de rein et
BIOGRAPHIE
iv Des applications concrètes des recherches sur le microchimérisme ont-elles déjà vu le jour ?
lb Il y a le fait d’injecter des cellules du donneur dans le corps du receveur pour engager un processus de tolérance de la greffe en amont de l’opération. Sinon, le type d’application le plus abouti, qui pourrait faire l’objet d’un essai clinique prochainement, est l’utilisation chez les mères de cellules d’origine fœtale. On pourrait imaginer l’exemple d’une femme qui aurait une plaie ou aurait souffert d’un accident cardiaque. Il serait sans doute possible d’utiliser une molécule agissant comme un aimant pour attirer en un lieu les cellules microchimériques d’origine fœtale. Plus nombreuses, ces dernières pourraient ensuite accélérer le processus de cicatrisation naturelle, de régénération des tissus, dans la zone lésée. /
Membre depuis près de vingt ans de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information, Lise Barnéoud collabore régulièrement avec le journal en ligne français Médiapart. L’autrice et réalisatrice de documentaires a publié diverses enquêtes dans le domaine de la médecine et de la biologie, dont « Immunisés ? –Un nouveau regard sur les vaccins » (2017) ou « Les cellules buissonnières » (2023).
Souvent masqué par d’autres pathologies psychiatriques ou des dépendances, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité reste difficile à diagnostiquer chez l’adulte. Il émerge fréquemment à la suite d’une crise qui en a amplifié les symptômes.
«Il m’arrivait de partir au milieu d’une conversation car des pensées intrusives m’avaient fait oublier que quelqu’un me parlait. » Surnommé « nuage » à cause de son côté « tête en l’air », Éric, 33 ans, se souvient avoir été un jeune adulte qui oscillait entre difficultés à gérer son quotidien et comportements excessifs. « Je n’étais jamais le premier à rentrer de soirée, et me mettais parfois en danger dans ma pratique sportive. Professionnellement, je pouvais me disperser en faisant six tâches à la fois, ou travailler jusqu’à l’épuisement lorsqu’un projet m’intéressait. »
Impulsivité, problèmes de concentration, tendance à procrastiner ou, au contraire, hyperactivité : présentes à un degré léger, ces difficultés concernent tout le monde. Mais elles peuvent relever d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) lorsqu’elles ont un impact trop important sur le fonctionnement à la fois social, scolaire ou professionnel d’une personne.
En Suisse, entre 3 et 7% des enfants et adolescent-es souffrent de TDAH, selon la Revue médicale suisse. Dans 60% des cas, les symptômes persistent à l’âge adulte. « Jusqu’à ce jour, le TDAH de l’adulte restait encore trop rarement diagnostiqué », indique Caroline Menache Starobinski, neuropédiatre au centre de consultation TDAH de la clinique des Grangettes, à Genève. « L’amélioration des connaissances sur les différentes formes du TDAH et sur son évolution après l’adolescence permet désormais de le détecter plus précocement. »
MÉTHODES COMPENSATOIRES
S’il n’est pas identifié durant l’enfance, un TDAH est d’autant plus difficile à déceler à l’âge adulte. Afin de respecter les normes et
règles sociales et professionnelles, de nombreuses personnes vont tenter de réfréner leurs symptômes, optant même parfois pour un métier peu répétitif, où leur trouble les gênera moins. « Vers 20 ans, j’ai voulu rentrer dans le moule, ‘devenir normal’, confirme Éric. J’ai essayé de me contenir, notamment au travail, par crainte d’émotions ou de réactions trop vives ou déplacées. »
Endiguer ses symptômes exige cependant des efforts constants, qui peuvent entraîner d’importantes répercussions sur la santé mentale des personnes concernées. « À terme, ces méthodes compensatoires entraînent un épuisement psychique », explique François Candaux, responsable de la Consultation spécialisée TDAH adulte et médecin associé au CHUV.
La fluctuation hormonale des œstrogènes et de la progestérone durant le cycle menstruel et la ménopause est à l’origine d’une augmentation de la sévérité des symptômes du TDAH. Les liens entre la variation du taux de ces hormones dans le sang et la variation des symptômes du trouble font aujourd’hui l’objet de diverses études.
Cet aspect devra aussi être pris en compte lors du suivi des patientes. « Il faut parfois adapter le traitement dans les périodes où les symptômes se manifestent de façon plus intense », souligne Caroline Menache Starobinski, neuropédiatre au centre de consultation TDAH de la clinique des Grangettes, à Genève.
Dans 80% des cas, les patient-es atteint-es de TDAH présentent d’autres pathologies psychiatriques au cours de leur vie telles que dépression, trouble bipolaire, anxiété, et trouble de la personnalité borderline. Ces individus sont aussi plus à risque de développer un burn-out ou des addictions. « Des prédispositions génétiques augmentent probablement la prévalence de ces troubles chez ces patient-es, précise Caroline Menache Starobinski. Cependant, en raison de ces comorbidités, les symptômes du TDAH sont souvent mis sur le compte d’une autre pathologie, ce qui peut entraîner un retard de diagnostic de plusieurs années. »
Des facteurs génétiques jouent en outre un rôle très important dans l’apparition du
TDAH. Il est rare de n’avoir qu’une personne atteinte dans une même famille. « Je pensais que mon côté hyperactif venait de mes origines familiales, qu’il était normal d’avoir 30’000 idées dans la tête et de tout faire au dernier moment, sous la pression d’une échéance imminente », raconte Clara*, qui a reçu le diagnostic à 34 ans, à la suite d’un burn-out. La neuropédiatre Caroline Menache Starobinski constate que le diagnostic du TDAH chez leur enfant conduit de nombreux parents à prendre conscience qu’ils souffrent du même trouble. « Les grilles de lecture concernant certains comportements ne sont pas les mêmes dans une famille dont des membres souffrent d’un TDAH que dans une autre où ce n’est pas le cas », dit François Candaux.
Depuis deux ans, le Service de psychiatrie générale du CHUV dispose d’une Consultation spécialisée TDAH pour les adultes. «Cela a permis d’officialiser les investigations réalisées à l’Unité d’accueil et d’interventions brèves », se réjouit son responsable. Les patient-es sont envoyé-es par leur psychiatrepsychothérapeute. La plupart arrivent en situation de crise car un événement –l’entrée à l’université, un premier travail, le fait de devenir parent, un divorce, etc. – a exacerbé leurs symptômes. Les spécialistes du CHUV peuvent alors poser un diagnostic et commencer un traitement approprié.
Les psychostimulants comme le méthylphénidate peuvent atténuer les troubles de l’attention et d’hyperactivité-impulsivité.
« La détermination du schéma de prise peut prendre du temps, mais ces médicaments fonctionnent bien dans 75% des cas », précise François Candaux. Ayant reçu le diagnostic il y a deux ans, Éric a pu suivre une discussion de A à Z pour la première fois grâce à la Ritaline et « en a eu les larmes aux yeux ».
La finalité du traitement ne consiste cependant pas à prendre ces médicaments à vie. « Il s’agit en parallèle de développer de nouveaux réflexes avec l’aide d’une prise en charge psychothérapeutique », souligne François Candaux. La thérapie cognitivo-comportementale permet par exemple de mettre de nouvelles stratégies en place. « Cette thérapie m’a donné des solutions concrètes pour gérer mon déficit de l’attention, confirme Clara. En divisant par exemple une tâche comme le rangement d’une pièce en plusieurs petits objectifs, je réduis le risque de me déconcentrer. » /
*Prénom d’emprunt
Le TDAH est diagnostiqué 3 fois plus souvent chez les garçons que les filles. « Les garçons auront plus fréquemment des comportements hyperactifs et impulsifs, par définition plus visibles, et les filles des comportements plus intériorisés, sous forme de troubles de l’attention », explique François Candaux, responsable de la Consultation spécialisée TDAH adulte et médecin associé au CHUV.
Ces différences entre les genres peuvent être expliquées par plusieurs phénomènes. Les attentes de la société, notamment, ne sont pas les mêmes envers les garçons et les filles. « La littérature scientifique indique que les femmes auraient plus tendance à intérioriser leur trouble que les hommes, pris à tort pour des problèmes d’anxiété ou de dépression. De plus, les femmes présentent davantage de troubles comorbides de type anxieux ou dépressif, qui peuvent masquer le TDAH. »
En repensant les pratiques autour des interventions, il est possible de limiter les complications et d’améliorer significativement le bien-être des individus opérés. Le CHUV a réussi à intégrer ces méthodes à la chirurgie cardiaque, une première mondiale.
Élaborés pour la première fois en 1997 par les équipes du professeur Henrik Kehlet, un chirurgien danois, les protocoles ERAS (Enhanced Recovery After Surgery, comprenez « récupération postopératoire optimisée ») visent à revoir certaines pratiques de soins chirurgicaux et péri-opératoires afin de permettre aux personnes opérées de retrouver leurs fonctions motrices au plus vite. Il s’agit par exemple d’inciter les patient-es à manger plus tôt, les aider à développer une meilleure gestion de la
douleur, mais aussi à opter pour une préparation avant l’opération. Ces techniques mobilisent différentes disciplines comme la chirurgie, l’anesthésiologie, la physiothérapie ou encore les soins infirmiers.
« Les recherches conduites dès 2008 au CHUV sur des patientes en phase postopératoire ont permis d’établir que le manque de mouvements augmentait le risque de complications, notamment de thrombose et de fonte musculaire. D’où l’objectif de favoriser la mobilisation précoce », résume Valérie Addor, infirmière clinicienne responsable ERAS au CHUV.
Dans l’hôpital vaudois, le Service de chirurgie viscérale a été le premier en Suisse à déployer ce type de protocoles il y a une quinzaine d’années.
Chirurgien spécialisé en intervention hépatique et pancréatique, et coresponsable du programme ERAS pour la chirurgie viscérale, le Dr Emmanuel Melloul se réjouit de l’efficacité de la méthode.
« Les cas de complications médicales péri-opératoires, comme les insuffisances du foie, les hémorragies ou les embolies pulmonaires, ont nettement diminué, de 24% pour le pancréas et de 40% pour le foie. »
Aujourd’hui, huit services de chirurgie et d’anesthésie appliquent ces protocoles au sein du CHUV. Le Service de chirurgie cardiaque les a adoptés en mai 2023. Cinq mois plus tard, le Service a obtenu l’accréditation de l’ERAS Society, l’organe compétent en la matière au niveau international. C’est une première mondiale, car jamais l’accréditation n’avait été délivrée à un service de chirurgie cardiaque. Les personnes qui ont subi une opération du cœur admises en soins intensifs sont souvent équipées de dispositifs médicaux comme des drains ou des cathéters, qui rendent la mobilisation précoce bien plus délicate.
En plus de la coopération interdisciplinaire, la méthode repose également sur la participation active de la personne. « Pendant les trois semaines précédant l’intervention, j’ai dû maintenir une activité physique régulière, et m’entraîner à me redresser et sortir du lit sans risques. Cette préparation allait me permettre de me lever plus facilement après l’opération », relate Marie-Christine Jung, sexagénaire lausannoise ayant subi une opération du cœur en mars dernier. « La première étape consiste à renforcer, en amont, la forme physique des patient-es afin de maximiser leur résilience à l’opération », indique Valentine Melly, infirmière coordinatrice
Réduire la durée du séjour à l’hôpital permet aussi de diminuer les coûts liés aux interventions chirurgicales, souvent lourdes et onéreuses. Selon une première étude de 2013 menée sur les patient-es en chirurgie colorectale, les frais globaux d’une opération étaient réduits de plus de 6% pour les participant-es au protocole ERAS.
En 2020, une étude de cas conduite sur six services de chirurgie a permis de prendre la mesure de l’efficacité des protocoles de rétablissement précoce dans différents services : en chirurgie colorectale, la durée de convalescence diminue de quatre jours en chirurgie pancréatique. Les économies ont été estimées entre 4000 et 7500 francs par personne opérée.
ERAS en chirurgie cardiaque. Il s’agit notamment de marcher au moins trente minutes chaque jour.
D’EFFETS SECONDAIRES
Élément central pour toute chirurgie, l’anesthésie a aussi revu ses méthodes pour accélérer le rétablissement. Afin de minimiser le risque de sédation excessive et d’effets secondaires dus aux opioïdes, qui peuvent nuire à la circulation sanguine et aux fonctions cérébrales, les anesthésistes utilisent désormais une approche qui permet de faciliter le réveil et la récupération postopératoires du patient ou de la patiente.
Une équipe de recherche canadienne a également analysé le potentiel des protocoles ERAS en matière de réduction des coûts. Selon les résultats, obtenus dans un service de chirurgie colorectale, pour chaque dollar investi dans les protocoles, le retour sur investissement s’élevait à 3,60 dollars.
En chirurgie cardiaque, où les protocoles ont été introduits il y a peu, les premiers résultats font état d’une durée de séjour à l’hôpital écourtée d’un jour en moyenne. « L’objectif est surtout d’améliorer au maximum le confort des patiente-es pendant leur convalescence », indique Zied Ltaief. « Le retrait précoce des équipements lourds et la mobilisation anticipée participent à rendre le séjour moins pénible. »
Il est, en effet, possible de recourir à des alternatives moins puissantes, comme la kétamine, et à des techniques d’administration localisée. « Plus une anesthésie est profonde, plus elle affectera la capacité de l’organisme à retrouver toutes ses fonctions après l’opération », explique Valentina Rancati, médecin anesthésiste en chirurgie cardiaque.
En amont de l’intervention, les anesthésistes procèdent également au dépistage et au traitement de l’anémie, considérée comme une source majeure de complications. « Sans traitement préalable à la chirurgie, le remède à l’anémie consiste souvent à procéder à une transfusion sanguine, mais cette pratique augmente le risque de complications postopératoires, comme les infections et l’insuffisance rénale », indique la spécialiste.
Autre enjeu crucial : la gestion de la douleur post-intervention. Après une opération du cœur, un drain thoracique est posé pour prévenir les infections. « Suivant les protocoles, le drain est retiré plus tôt, généralement après trois jours, précise Zied Ltaief, médecin aux soins intensifs. Ce retrait n’implique aucun risque de complications majeur, et permet de réduire la durée des traitements anti-douleur par opioïdes. » Les effets secondaires indésirables, comme les nausées et les troubles du transit, sont ainsi diminués de près de 30%.
Valentine Melly, infirmière en chirurgie cardiaque, aide les personnes opérées à se rétablir plus rapidement, notamment en renforçant leur forme physique en amont.
SE RELEVER QUELQUES
APRÈS L’OPÉRATION
Marie-Christine Jung s’est mobilisée dès les premières heures suivant son réveil. « J’ai trouvé la force de me lever pour prendre un repas à table. » Comme elle, près de 35% des personnes admises en chirurgie cardiaque se remettent à bouger le jour même de l’intervention, alors que ce taux ne s’élevait qu’à 8% avant l’introduction des protocoles ERAS. La Vaudoise reconnaît avoir été « agréablement surprise » par son état général après l’opération. « J’appréhendais
beaucoup la douleur, mais je ne l’ai jamais ressentie de façon significative. Les jours suivants, j’ai pu marcher pendant plusieurs minutes avec l’aide des physiothérapeutes. »
Selon Valentine Melly, inciter les patient-es à retrouver une certaine autonomie motrice participe aussi à alléger la charge psychologique. « Le simple fait de se déplacer régulièrement fait prendre conscience que le rétablissement se déroule bien, et que la convalescence n’est pas forcément synonyme de souffrance et de vulnérabilité. » /
Pour
des raisons qui demeurent
mystérieuses, la puberté se manifeste toujours plus tôt.
Lorsqu’elle est problématique pour l’enfant ou pathologique, il est possible de la freiner. Explications.
TEXTE : ANDRÉE-MARIE DUSSAULT
Quelques mois avant de fêter ses 8 ans, Caterina* constate que des poils pubiens commencent à faire leur apparition et que le volume de ses seins augmente. La jeune fille est très mal à l’aise parce qu’à l’école, après la piscine, elle se douche, nue, en compagnie d’autres filles de sa classe qui ne présentent alors pas ces caractéristiques. Inquiète, sa mère consulte une pédiatre. Après un contrôle, il s’avère que du point de vue médical, il n’y a aucune anomalie. Mais étant donné le malaise vécu par l’enfant, la possibilité de freiner le processus de sa puberté est envisagée. En fin de compte, la famille décide de laisser Caterina évoluer naturellement sans intervenir et demande à l’école qu’après la piscine, elle puisse prendre sa douche en costume de bain.
La situation de Caterina est de plus en plus fréquente. Ces dernières années, Michael Hauschild, responsable de l’Unité de pédiatrie, endocrino-diabétologie et obésité pédiatrique au CHUV a observé une « augmentation significative » des cas de puberté précoce et en traite dans son centre spécialisé entre 25 et 40 par an.
On parle de précocité lorsque les premiers signes de la puberté comme l’augmentation de la taille des seins ou des testicules, la pilosité, les menstruations, l’allongement du pénis, ou encore une forte croissance apparaissent avant 8 ans chez les filles et avant 9 ans chez les garçons. Il est question de puberté « très précoce » lorsque ces caractéristiques se révèlent avant 6 et 7 ans respectivement.
Comment la puberté précoce est traitée
Stopper la production d’hormones sexuelles Une thérapie hormonale pour freiner la puberté précoce consiste en un produit de synthèse qui retarde la sécrétion des hormones de la puberté, injecté dans le muscle tous les 3 mois.
En 2020, une méta-analyse incluant 20 pays de tous les continents montre que la baisse de l’âge de l’apparition des règles serait un phénomène universel. On mesure effectivement un recul de près de 3 mois par décennie entre 1977 et 2013 1. « L’âge moyen de la puberté a diminué ces décennies, l’apparition des premiers signes passant de 14–15 ans à 10–11 ans. Néanmoins, il demeure tout à fait normal. Il y a certes plus de consultations, mais nous ne pouvons pas parler d’épidémie de puberté précoce », affirme Michael Hauschild. Ce phénomène a toujours existé, tempère-t-il. De tout temps, il y a eu des personnes s’écartant de la norme, sans pour autant que l’on puisse considérer cela comme une pathologie.
La puberté est un événement physique naturel qui prépare le corps à être fertile, rappelle le pédiatre. « Au cours des décennies et des siècles précédents, elle a été étroitement liée à l’environnement. Elle se manifeste si les conditions externes sont favorables. On sait, que lorsqu’il y a un excès pondéral, la puberté peut être plus précoce. » Le spécialiste souligne aussi le lien entre la précocité de la puberté, un indice de masse corporelle plus élevé et la nutrition. « Il est connu que chez les enfants qui ne
1 « JAMA Pediatrics », avril 2020.
mangent pas suffisamment, la puberté se déclenche plus tard. »
« Pour l’instant, outre l’amélioration des conditions sanitaires et alimentaires, nous n’avons pas de réponses pour comprendre ce qui provoque l’avancement de la puberté », soutient Michael Hauschild. Ces troubles hormonaux découlent-ils de la présence d’œstrogènes dans la production animale, de l’usage des pesticides ou encore de la présence des perturbateurs endocriniens dans les produits cosmétiques et alimentaires ? « Ce sont des théories plausibles, mais difficiles à prouver chez l’humain. Tout comme il est impossible de dire, à ce stade, si les conditions socio-économiques ou l’ethnie peuvent influencer le phénomène », avance-t-il, indiquant qu’une autre hypothèse est que le bouleversement de nos rythmes biologiques, lié à la lumière des écrans, modifierait la sécrétion hormonale.
Une durée moyenne de deux ans
En Suisse, le traitement s’élève à environ 430 francs par trois mois. Il dure en moyenne deux ans.
Le plus souvent, il est prescrit jusqu’à 10–11 ans, l’âge moyen de la puberté, lorsqu’elle repartira naturellement.
L’essentiel, souligne le médecin, est d’identifier une puberté précoce qui serait rattachée à un trouble ou une maladie.
L’avancement de l’âge moyen de la puberté est un phénomène qui s’observe aussi bien chez les filles que chez les garçons. Mais ces derniers seraient environ 10 fois moins concernés par une puberté précoce idiopathique (indépendante d’une pathologie). En effet, ces cas de puberté précoce sont plus fréquemment signalés chez les filles – plus de 80% des cas. Cela s’expliquerait en partie parce que les parents sont plus attentifs, dans un monde très sexualisé, aux implications psychosociales que des signes précoces de puberté peuvent impliquer pour une fille.
Il existe aussi moins d’études sur la puberté précoce chez les garçons parce qu’ils consultent moins. Et en consultation, ceuxci seraient davantage préoccupés par une puberté tardive. On sait cependant qu’en ce qui les concerne, s’ils vivent une puberté précoce, il y a plus de risques – dans 70 à 80% des cas – de trouver une pathologie ; une lésion tumorale au cerveau, ou un trouble des glandes surrénales ou de l’hypophyse, avec des signes évoluant souvent rapidement.
« La puberté précoce idiopathique, c’està-dire indépendante d’une pathologie, peut être une variante de la norme, sans problèmes; elle survient juste plus tôt que l’indique la norme. Tandis que l’autre forme peut être la conséquence d’une lésion tumorale ou d’un trouble génétique ou enzymatique et nécessitera forcément une prise en charge. »
Parfois, repérer la pathologie n’est pas évident et requiert des investigations. « Si un enfant de 4 ans développe des poils pubiens et des seins, tout le monde sera d’accord pour dire que quelque chose ne tourne pas rond. En revanche, chez un enfant de 7–8 ans, ce n’est pas clair. Il y a une zone grise. » Pour déterminer si la puberté précoce est pathologique, les niveaux d’hormones pourront être contrôlés, ainsi que la maturation osseuse de l’enfant, de façon à voir si son âge biologique et son âge chronologique sont concordants.
D’UN TRAITEMENT
Après avoir fait un bilan, si tout est normal, un traitement pour freiner la puberté peut éventuellement être envisagé. «Même si, probablement, sans traitement, cette précocité n’aura pas d’influence sur la taille adulte de l’enfant, ni d’autres conséquences physiques négatives. » Elle peut toutefois perturber son développement psychologique, créant éventuellement une dissociation psychosomatique. Un phénomène qui se manifeste lorsqu’on mesure un décalage entre le développement du corps et le niveau de maturité émotionnelle, précise
Michael Hauschild. Si l’enfant a moins de 6 ou 7 ans, la puberté très précoce peut engendrer qu’il soit moins grand adulte, puisque la croissance cesse quelques années après la puberté.
Le médecin spécifie qu’il existe des cas atypiques de puberté précoce, dite hétérosexuelle, où les filles présentent des signes de virilisation (une forte acné ou beaucoup de poils) et les garçons, des signes de féminisation (développement des seins). Cela peut concerner les personnes intersexes – dont les caractéristiques sexuelles ne correspondent pas aux définitions traditionnelles du sexe masculin ou féminin –, qui représentent quelque 130’000 personnes en Suisse. Lorsque les signes caractéristiques du propre sexe se développent, la puberté précoce est iso-sexuelle. « Ces situations peuvent être un signal d’alerte pour le pédiatre. » Il faut bien sûr s’assurer d’avoir déterminé la cause de la puberté précoce avant de proposer un traitement, souligne l’expert. « Outre une investigation médicale, on demande au pédiatre, aux parents, aux enseignants et à l’entourage d’évaluer la souffrance liée à la puberté précoce ou très précoce affectant l’enfant ; une large place est donnée à son vécu.» /
La thérapie n’influence pas la croissance et la taille définitive de l’enfant, sauf si elle est commencée avant 6–7 ans. Elle a peu d’effets secondaires et peut être menée sans risque avec la prise d’autres médicaments.
« On sait que lorsqu’il y a un excès pondéral, la puberté peut être plus précoce », explique Michael Hauschild, responsable de l’Unité de pédiatrie, endocrinodiabétologie et obésité pédiatrique au CHUV.
TEXTE : ÉMILIE MATHYS
Encore taboues, les discriminations raciales dont est victime le personnel médical ont des conséquences importantes, aussi pour les patient-es. Or, l’hôpital peut agir pour garantir un environnement de travail sain.
C’est un regard méfiant, voire apeuré, qui se pose sur la médecin quand elle entre dans la chambre d’hôpital et qu’elle ne ressemble pas à ce que l’on s’était imaginé. Concrètement, on assiste par exemple à une remise en question des compétences de la personne chargée de prodiguer des soins, des remarques de sa hiérarchie sur sa maîtrise de la langue française, ou, plus grave, un refus net de se faire soigner de la part de patient-es. Les équipes médicales ne sont pas épargnées par les discriminations raciales, qu’elles émanent de patient-es, de visiteur-euses ou même de collègues. « Lorsque l’on dénonce des discriminations raciales dans les soins, notre premier réflexe est de penser aux patient-es. On a beaucoup parlé du syndrome méditerranéen récemment, soit un biais qui consiste à penser que certaines populations exagèrent la douleur », confirme Patrick Bodenmann, chef du Département vulnérabilités et médecine sociale à
Unisanté, et cocréateur d’un enseignement sur le racisme dans la pratique médicale. « Malheureusement, le personnel médical est lui aussi confronté au racisme. Des collègues ont, par exemple, vu leur statut de médecin remis en question du simple fait qu’ils étaient racisés », poursuit le médecin, évoquant un « tabou » autour de ces discriminations. Dans un environnement surchargé comme l’est un hôpital, avec des urgences quotidiennes, un personnel sous tension et manquant de temps pour se lancer dans des démarches administratives, il est facile de ne pas s’attarder sur une remarque ou un comportement irrespectueux. Pourtant, les répercussions sur le long terme de ce « racisme ordinaire » sont, elles, bien réelles.
Kevin Dzi est doctorant à l’Institut des humanités en médecine (IHM) et travaille depuis 2022 sur les discriminations au sein du système de santé, dont le racisme vécu par le personnel médico-soignant qui regroupe les équipes infirmières, aidessoignantes et les médecins. Une étude encore pauvre en Suisse. « Les statistiques dont nous disposons sur le sujet proviennent majoritairement de recherches américaines et anglaises.
Les études en Europe sont quasi inexistantes. En Suisse, par exemple, il n’est pas autorisé de collecter des informations ethno-raciales, contrairement aux États-Unis, ce qui complique les recherches sur ce sujet », pointe le doctorant qui déplore la croyance, encore tenace dans la société, d’un racisme inexistant dans nos contrées. Une enquête1 menée par 800 médecins américain-es nous apprend ainsi qu’au cours des cinq dernières années, 59% des médecins ont entendu des déclarations irrespectueuses concernant un trait de caractère, principalement la couleur de peau, le sexe, la jeunesse ou l’origine ethnique et près de la moitié (47%) ont demandé à consulter un autre médecin pour les raisons susmentionnées. Les infirmier-ères, davantage en contact avec les patient-es, sont en première ligne (violences, insultes, humiliations, agressions sexuelles), puis viennent les médecins (genre, nationalité, couleur de peau).
Arrivée en Suisse en 1982 de République démocratique du Congo pour suivre des études d’infirmière au CHUV, Chantal Ngarambe Buffat se souvient de remarques lancées à la volée par sa hiérarchie : «Tu as l’air lente, mais tu finis toujours à l’heure », des rapports examinés avec plus d’attention que ceux rendus par ses collègues, ou d’un patient affirmant « qu’elle n’est pas comme les autres Noirs ». « Notre différence est visible; nous sommes, dès lors, plus scrutés que les autres. Nous devons faire preuve de plus d’énergie pour montrer que nous avons notre place », témoigne l’infirmière, qui officie aujourd’hui au Département santé, travail et environnement (DSTE) d’Unisanté.
sont des outrages quotidiens, banals, verbaux, non verbaux ou comportementaux, ou des outrages environnementaux, intentionnels ou non, qui communiquent des affronts hostiles, désobligeants, négatifs ou des insultes envers les membres de groupes opprimés4.
Les conséquences de ces agressions quotidiennes sur la santé mentale du personnel médical sont importantes : perte de motivation, faible estime de soi, manque de concentration, absentéisme, burn-out, incidence sur la relation de soins. Sur le plan physique, Yaotcha d’Almeida, psychologue et autrice du livre Impact des microagressions et de la discrimination raciale sur la santé mentale des personnes racisées2 , rappelle que le stress engendré par le racisme a également des conséquences sur le plan physique, sous la forme de maladies cardiovasculaires, d’ulcères, d’hypertension ou de maladies inflammatoires. « À la fin de la journée, il ne faut pas oublier que ce sont les patient-es aussi qui en font les frais. Une concentration défaillante peut avoir des répercussions malheureuses sur la prise en charge médicale », insiste Kevin Dzi.
Assurer un lieu de travail sain
Pourtant, encore trop peu de plaintes et de doléances sont déposées au sein de l’hôpital, et ce, malgré la présence de situations racistes, pointe le récent travail de master d’étudiantes en médecine3 de la FBM-UNIL. « Il est essentiel que le personnel médical n’ait pas peur de témoigner. Le tabou est encore fort parce qu’on craint pour sa place de travail ou parce qu’on ne veut pas être vu comme un trouble-fête », constate Kevin Dzi. Sans compter que dans l’imaginaire collectif, les professionnel-les de la santé doivent faire preuve de résilience face aux situations difficiles. « Un hôpital doit proposer des canaux de signalement neutres et anonymes, où les professionnel-les se sentent libres de témoigner en toute sécurité », selon le chercheur.
« La discrimination raciale en soi est rarement un motif de consultation médicale. Les personnes consultent en raison d’une atteinte à la santé (psychologique, notamment) en lien avec des facteurs professionnels, parmi lesquels peuvent être rapportés par les personnes qui consultent des éléments de discrimination raciale », indique pour sa part Catherine Lazor-Blanchet, cheffe de l’Unité de médecine du personnel du CHUV. Outre un accompagnement d’ordre médical en cas d’atteinte à la santé, la médecine du personnel considère les discriminations raciales comme
toute autre allégation menaçant l’intégrité personnelle sur le lieu de travail (comportements problématiques et abusifs) et citant des références institutionnelles sur le respect à l’autre et la prise en charge de situations de discrimination et/ou harcèlement.
La formation du personnel soignant à ces questions, mais également celle du public, est une donnée essentielle pour combattre le racisme, insistent les spécialistes interviewé-es. La solidarité entre pairs et le soutien de la hiérarchie, aussi. Que faire lorsqu’une personne refuse de se faire manipuler par un-e collègue en raison de son origine ethnique par exemple ? Doit-on accepter de changer de soignant-e ou l’inviter à se faire prendre en charge dans une autre institution ?
« L’hôpital doit se montrer intransigeant face à ces situations et garantir de bonnes conditions de travail en général pour améliorer le bien-être de ses collaboratrices et collaborateurs, estime le doctorant Kevin Dzi. Moins de stress signifie aussi de meilleures relations entre collègues et, in fine, un impact positif sur les soins.» Et Chantal Ngarambe Buffat de rappeler : « L’institution doit être une référence en la matière et un espace qui donne la place aux différents parcours de vie. Sans nous, l’hôpital tourne difficilement.» / 23%
des personnes employées dans un hôpital et interrogées ont subi au moins une forme de discrimination ou de violence au travail au cours de l’année écoulée (contre 18% de la population active en général) ⁵ .
1 bit.ly/3VqyoH8
2 Impact des microagressions et de la discrimination raciale sur la santé mentale des personnes racisées – L’exemple des femmes noires en France, Yaotcha d’Almeida, Éditions L’Harmattan, 2022, 96 p.
3 Racisme à l’hôpital : brisons le silence – attitudes discriminatoires des patients envers les collaborateurs, Lucy Manca, Lucie Milhé, Camille Péclard, Céliane Romy
4 (Sue, 2010)
5 Prevalence and health correlates of workplace violence and discrimination against hospital employees a cross sectional study in German speaking Switzerland (Alenka Stahl Gugger & Oliver Hämmig)
RECHERCHE
TEXTE : ELENA MARTINEZ & BRENDA BOGAERT, IHM
Elena Martinez travaille comme adjointe aux humanités pour l’Institut des humanités en médecine UNIL-CHUV.
Brenda Bogaert est docteure en philosophie et responsable de recherche en éthique médicale à l’Institut des humanités en médecine.
Dans ce « Labo des humanités », In Vivo vous fait découvrir un projet de recherche de l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV et de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. 1
Les jeunes générations de professionnelles de la santé, dont les apprenti-es médecins, témoignent dernièrement d’une crise identitaire et existentielle. À la fin de leurs études, beaucoup hésitent à intégrer la vie professionnelle, se heurtant à un système médical et sanitaire peu en phase avec leurs aspirations.
Le dernier sondage de l’Association des étudiant-es en médecine de Lausanne1, qui atteste que 34% d’entre eux et elles se disent prêt-es à quitter la profession après leurs premières expériences en stages cliniques, est inquiétant. La profession de médecin, exigeante à bien des égards, ne leur apparaît plus compatible avec leur projet de vie et demande trop de sacrifices, notamment en termes de temps. Un autre élément mis en cause est l’absence de contact direct avec les patient-es. « Les étudiants se rendent vite compte qu’ils ne pourront pas accomplir la médecine qu’ils aimeraient et que leurs sacrifices ne mèneront pas à leur but, car ils seront fatigués, surchargés et qu’au final ils ne seront pas les bons médecins qu’ils voudraient être pour leurs patients », commente Marc Reynaud de la Jara, étudiant en médecine et un des auteurs de l’étude.
Nous sommes plusieurs à l’Institut des humanités en médecine à penser que pour mieux comprendre et surmonter
cette crise, il est essentiel de se pencher sur les dimensions existentielles de leur souffrance. Et de les doter de compétences d’autorégulation émotionnelle.
Brenda Bogaert, responsable de recherche en éthique médicale, explore la relation entre les valeurs des soignantes et leurs émotions. Malgré l’intensité émotionnelle vécue durant leurs stages, les étudiant-es sont incité-es à se méfier de leurs émotions, influencé-es par les normes affectives en vigueur. Pourtant, leurs sentiments et leur engagement sont les piliers de leur choix professionnel lié à leurs valeurs personnelles. Négliger leurs émotions équivaut à ignorer ce qui est essentiel pour la relation de soins, en les privant de ressources nécessaires.
Stéfanie Monod, Étienne Rochat, Serena Buchter et Elena Martinez, de l’axe Santé et spiritualité de l’IHM, développent une formation sur la transformation des systèmes de santé occidentaux à partir d’enjeux existentiels et spirituels. L’angle ici est de repenser ces systèmes à partir des failles et des initiatives pour combler les lacunes d’ordre moral, existentiel ou spirituel. De plus, un cours à options est donné depuis deux ans aux étudiant-es en médecine par Anne-Emmanuelle Ambresin, cheffe de la Division interdisciplinaire de santé des adolescents, Dominique Cassidy, psychiatre, et Elena Martinez, psychologue, pour leur permettre d’expérimenter des outils de régulation émotionnelle et de gestion relationnelle. Les réactions des étudiantes sont unanimement positives dans la mesure où ces outils leur donnent confiance dans leur capacité à assumer leur futur métier et dans la possibilité de faire évoluer le système. /
une question de santé
Certaines personnes s’opposant aux cours d’éducation sexuelle à l’école tentent de faire croire qu’il y a eu un changement abrupt dans le contenu enseigné, par rapport à la thématique de genre, par exemple. Mais ce n’est pas vrai, cela fait longtemps qu’on aborde ce sujet. Cependant, la pédagogie s’adapte à l’interaction et les cours sont aussi orientés par les questions posées par les élèves. Des parents ont également réagi en faisant circuler des pétitions contre des ouvrages destinés à répondre aux questionnements des adolescentes par rapport aux pratiques sexuelles, au consentement, à leur identité et à leur corps.
La mission de Santé sexuelle suisse répond pourtant directement à des questions de santé publique. Le risque est de penser que la santé sexuelle appartient au domaine de l’intime, mais ce n’est pas le cas. Une partie importante du travail consiste à prendre en considération le fait que la sexualité est normée par le contexte culturel ou social de la personne.
Ainsi, d’après l’OMS, le droit à la santé comprend aussi la santé sexuelle et reproductive. En Suisse, le programme des cours d’éducation sexuelle est vaste et s’ancre d’abord dans des compétences
PROFIL
Directrice adjointe et cheffe de projet en éducation sexuelle, Caroline JacotDescombes promeut les droits sexuels avec l’organisation faitière Santé sexuelle suisse regroupant plus de 80 centres de santé sexuelle dans toute la Suisse.
individuelles et sociales. Par exemple, en apprenant aux élèves à distinguer une relation négative d’une relation positive. Quant aux connaissances biologiques du corps humain et à la prévention des infections sexuellement transmissibles, elles sont traitées dans une perspective positive. Ce type d’approche est indispensable. Des études l’ont montré: une prévention basée sur la peur, le danger ou l’angoisse ne mobilise pas la bonne dynamique et ne fonctionne pas.
On sait aussi que l’information seule ne suffit pas. On le voit avec des plateformes comme ciao.ch où les jeunes peuvent poser leurs questions. Ce sont souvent les mêmes interrogations qui reviennent. Les adolescentes ont besoin d’une réponse personnelle à leur problématique.
Concernant les personnes non binaires, homosexuelles ou transgenres, il est démontré qu’une posture inclusive dans la manière de dispenser les cours joue un rôle majeur. Cela leur permet d’être reconnues, d’exister en tant qu’individus, et c’est un geste vital pour ces populations minoritaires dont la santé mentale est souvent fragilisée.
Finalement, il importe aussi de rappeler que les jeunes bénéficient du droit à la participation, c’est-à-dire qu’un-e élève peut ne pas participer aux cours s’il ou elle ressent de la gêne par rapport aux sujets abordés, par exemple. Mais ce qui compte le plus aux yeux des professionnel-les de l’éducation sexuelle est que cette décision vienne des jeunes directement et non exclusivement de leurs parents. /
Véritable atout santé, la marche fortifie le système cardiovasculaire et la santé mentale, en diminuant notamment le stress et l’anxiété. L’étude des pas permet de comprendre, voire de prévenir le fonctionnement des articulations et des maladies telles que l’arthrose.
TEXTE : AUDREY MAGAT
Les feuilles tombent, le soleil émerge à travers les arbres. La balade semble bucolique, mais se déroule en réalité dans une salle au quatrième étage de l’Hôpital orthopédique du CHUV. Le Swiss BioMotion Lab étudie la marche, et notamment son impact sur des maladies telles que l’arthrose du genou. Dans une pièce bardée de caméras, avec un sol intelligent, la personne munie de petits capteurs marche à son rythme. Ses mouvements, la force dans ses articulations et l’activité de ses muscles sont alors observés et mesurés (voir infographie).
Créé en 2014, le Swiss BioMotion Lab inaugurera en
septembre 2024 son nouvel espace. Il dispose d’un équipement unique au monde, qui se compose d’un immense écran incurvé faisant face à un tapis de course médical. « Cette innovation ouvre de multiples perspectives, détaille Julien Favre, docteur en biomécanique et codirecteur du laboratoire. Jusqu’à présent, nous pouvions uniquement enregistrer quelques pas dans un couloir. Cette nouvelle méthode nous permet de faire marcher le patient dans un contexte immersif – avec des parcours en forêt ou dans la ville de Lausanne –, où il pourra effectuer des actions tout en se baladant. »
Le dispositif de pointe permet de créer un double numérique. « La signature de marche d’une personne est reproduite sur
l’écran avec un avatar en 3D, détaille Julien Favre. Selon les dysfonctionnements observés, nous pouvons corriger le mouvement en incorporant à la vidéo une animation personnalisée des actions souhaitées. Le patient se cale ensuite sur son avatar pour reproduire le bon mouvement. » Cette méthode permet aussi d’étudier comment réduire les douleurs et ralentir l’évolution de l’arthrose du genou, explique la professeure Brigitte Jolles-Haeberli, chirurgienne orthopédiste et codirectrice du laboratoire. « À un état de la maladie plus avancé, ces données de marche devraient également permettre de déterminer quel type de chirurgie sera le plus adéquat, de dessiner des prothèses sur mesure, et de personnaliser la rééducation. »
OUTILS UTILISÉS
DES CAMÉRAS
qui enregistrent la posture du corps.
DES CAPTEURS
disposés sur le corps du patient ou de la patiente pour mesurer l’activation des muscles.
UN SOL INTELLIGENT
qui permet de mesurer les forces exercées.
Le Swiss BioMotion Lab sert à analyser la marche. Les données récoltées par différents capteurs permettent de générer une modélisation biomécanique du mouvement de l’articulation.
DONNÉES OBTENUES
L’analyse des mouvements permet de repérer par exemple les boiteries, l’asymétrie potentielle des jambes, etc.
Grâce à un système d’électromyographie, les capteurs enregistrent l’intensité d’activation des muscles pour repérer une éventuelle défaillance.
Pour déterminer si une personne, parce qu’elle appuie trop sur un pied, met le genou en souffrance.
L’ENJEU DE L’ARTHROSE
Maladie chronique, l’arthrose altère le fonctionnement et les tissus d’une articulation, comme le genou, la hanche, le coude, etc. Elle se caractérise par des douleurs et une importante raideur au mouvement. Véritable problème de santé publique, elle toucherait 60% des plus de 60 ans et coûte plus de 1,5 milliard de francs par année en Suisse. Et la tendance est à la hausse, notamment pour le genou. « Il y a quelques années, j’opérais autant de hanches que de genoux, remarque Brigitte Jolles-Haeberli, récemment élue à l’Académie française de chirurgie. Aujourd’hui, le genou devient largement prédominant. » Les raisons : « L’augmentation de la pratique de sports induisant des chocs répétés, comme le football, le ski ou la course à pied, qui causent parfois des lésions aux ligaments ou aux ménisques du genou, mais aussi le surpoids et l’obésité en hausse, qui augmentent les contraintes sur les articulations. »
Les nouvelles installations du Swiss BioMotion Lab permettront également d’accroître le nombre de patient-es reçu-es quotidiennement, et de rapprocher davantage la pratique clinique et la recherche. « Ce changement d’échelle – combiné aux outils d’intelligence artificielle qui nous permettront de traiter davantage de données – rendra possible l’établissement de modèles plus globaux et plus intégrés à la prise en charge des patient-es, ajoute Brigitte Jolles-Haeberli. Des partenariats cliniques pour d’autres pathologies impliquant une altération du mouvement sont également en cours de développement. »
LES RISQUES DE LA SÉDENTARITÉ
« La marche est une activité physique complète, explique Mathieu Saubade, médecin du sport au CHUV et à Unisanté. Elle a des effets positifs sur les muscles, les articulations, la circulation, ainsi que sur le système cardiovasculaire et respiratoire. Elle est aussi efficace pour la pré-
Le dispositif, équipé de caméras et d’un sol intelligent, a pour vocation d’analyser la marche d’une personne. Un avatar, qui est ensuite projeté sur l’écran, aide la personne à ajuster ses mouvements.
vention de l’obésité, du diabète et de l’hypertension, limite le cholestérol et diminue les risques de maladies cardiaques, pulmonaires et d’apparition de certains cancers. Ses bénéfices sont aussi majeurs sur la santé mentale en apaisant le stress et l’anxiété, tous deux des facteurs de dépression. L’activité physique libère en outre des endorphines et des hormones du bien-être. »
Pourtant, nos sociétés occidentales tendent à être de plus en plus sédentaires, et les impacts sur la santé sont alarmants. L’OMS estime que l’inactivité majore le risque de décès de 20 à 30% par rapport aux personnes suffisamment actives. L’immobilisme amplifie notamment les risques de surpoids, de diabète et de problèmes cardiovasculaires. La sédentarité se situe à la quatrième place des causes de mortalité au niveau mondial. Et le phénomène est intergénérationnel. En 2019, une étude de l’OMS montrait que les jeunes adolescent-es suisses étaient plus de 85% à ne pas faire suffisamment d’activité physique, un taux en hausse depuis quinze ans.
La marche est pourtant une activité gratuite, qui nécessite peu
d’équipements et que l’on peut adapter facilement en fonction de son âge et de sa condition physique. L’OMS recommande aux adultes d’effectuer au minimum deux heures trente de sport d’intensité moyenne ou une heure quinze d’activité intensive par semaine. « Chaque individu a une vitesse de marche préférentielle, qui diffère de l’un à l’autre, explique le médecin du sport
Mathieu Saubade. Le rythme de confort correspond à la marche sans effort. Au quotidien, un bon exercice consiste à marcher un peu plus rapidement, de manière à être légèrement essoufflé-e mais sans transpirer. C’est ce qu’on appelle une activité physique modérée. » Se baser sur la respiration permet d’adapter l’exercice à ses propres capacités. « Pour être dans la bonne intensité, l’objectif est ainsi de marcher à un rythme modéré, tout en étant capable de parler ou chanter en même temps. »
Pour débuter, un premier programme consiste à se fixer trente minutes de marche modérée par jour. « On peut ajouter des bâtons pour travailler les bras et le dos et ainsi avoir un exercice complet. » Le médecin du sport est cependant sceptique par rapport aux objectifs du
La création d’un double numérique fournit un modèle pour adopter les bons gestes.
nombre de pas par jour. « Le concept des 10’000 pas par jour a été inventé par une marque japonaise de podomètre dans les années 1960. C’est un chiffre publicitaire, pas scientifique. De plus, ces mesures nécessitent des outils – un podomètre ou un smartphone – et ne prennent pas en compte l’intensité. Parcourir 3000 pas chez soi ou en montagne n’apporte pas le même bénéfice. En outre, pour les personnes extrêmement sédentaires, dépasser les 2500 pas par jour représente déjà une étape. Des études ont par ailleurs montré que pour ces individus, chaque 1000 pas diminue de 15% la mortalité. »
Le secret de la progression : la constance. « Le seul moyen
d’obtenir de réels bénéfices sur la santé repose sur la régularité, insiste le médecin du sport. Ainsi, la première chose à faire pour augmenter ses dépenses consiste à trouver du temps dans son organisation de la semaine pour l’activité physique, si possible tous les jours. Il s’agit de faire en sorte que ce soit une habitude, qui implique une faible charge mentale, et devienne même, idéalement, un plaisir. La pratique doit être considérée comme une priorité, et non pas comme une option, sur laquelle il serait possible de faire l’impasse. » /
Mathieu Saubade, médecin du sport au CHUV et à Unisanté, détaille comment la marche peut avoir un effet bénéfique sur la santé mentale.
L’alcool est souvent synonyme de convivialité. Réduire sa consommation, voire arrêter complètement, peut constituer un véritable défi. Témoignages et conseils.
Pouvoir accompagner un repas raffiné de boissons sans alcool de qualité. C’est l’objectif affiché par Amélie Dumont avec La Sobrerie, une boutique qui propose un assortiment de vins, bières ou apéritifs sans alcool et sélectionnés avec soin. L’entrepreneuse s’est lancée l’année dernière, alors que le mouvement alcohol-free connaît un certain engouement dans le monde anglo-saxon de plus longue date. « Quand je parlais de mon projet, on me disait qu’il s’agissait d’un marché de niche. D’ailleurs, encore aujourd’hui, si je prends une boisson non alcoolisée lors d’une soirée, certaines personnes me demandent si je suis malade, ou enceinte. »
Il se trouve que l’initiative a depuis trouvé son public. Après un magasin en ligne inauguré en mai 2023, La Sobrerie est devenue un stand au marché de Lausanne et occupe aujourd’hui sa deuxième boutique éphémère, en attendant de trouver une arcade fixe. La clientèle est variée, avec légèrement plus de femmes que d’hommes, mais de tous les âges. La majorité de la clientèle est constituée d’individus en quête de bons produits et souhaitant réduire leur consommation pour des questions de santé. S’y ajoutent celles et ceux qui ne peuvent pas boire pour des raisons médicales ou religieuses.
L’alcool est souvent associé à l’idée de fête. Il provoque pourtant des dégâts, en raison de ses effets altérant le comportement et du risque d’accoutumance. Dans un premier temps, l’alcool apporte généralement une sensation de légèreté, voire d’euphorie, due à l’éthanol qu’il contient. Cette molécule neutralise l’action de deux neuromodulateurs, la noradrénaline et la sérotonine. La première nous aide à réagir face à un danger, tandis que la seconde influence l’émotivité et l’humeur. Ce qui explique qu’après avoir bu quelques verres, on peut perdre l’équilibre, mais aussi aborder des inconnu-es plus facilement ou adopter des attitudes violentes.
On dit parfois que boire un verre chaque soir relève de la dépendance à l’alcool. Vrai ou faux? «Il faut qu’une personne remplisse trois critères sur sept pour être considérée comme dépendante», explique Jean-Bernard Daeppen. Deux critères relèvent de l’addiction physique : la tolérance (nécessité de consommer plus pour obtenir le même effet) et le sevrage (effets négatifs à l’arrêt), alors que les cinq autres relèvent de la dépendance psychologique, comme le fait de ne pas réussir à réduire sa consommation alors qu’on le souhaite. Ces critères sont d’ailleurs communs à l’alcool et aux autres drogues. «C’est la définition officielle, relève le médecin-chef au Service de médecine des addictions du CHUV. Dans les faits, la dépendance à l’alcool se traduit par une perte de contrôle, par l’incapacité de choisir entre consommer ou s’abstenir.»
QUI PROTÈGE LES JEUNES
Partant du constat qu’une consommation d’alcool à risque est fréquente chez les jeunes, le Service de médecine des addictions du CHUV a mis au point une application de prévention dédiée spécifiquement à cette population. Smaart permet ainsi de monitorer sa consommation et l’évolution de celle-ci au fil du temps, en les comparant à celles de personnes du même âge en Suisse et en se fixant des limites à ne pas dépasser. L’application a été testée auprès de 1700 étudiant-es de hautes écoles vaudoises et a montré des résultats encourageants.
La « gueule de bois » qui peut survenir après une soirée arrosée est due au fait que l’alcool inhibe la sécrétion de l’hormone vasopressine – aussi appelée antidiurétique –, qui gère les flux au niveau des reins. Après avoir ingéré plusieurs verres d’alcool, on doit se rendre aux toilettes et le corps perd alors une quantité importante de liquide, dont des minéraux. Cette carence perturbe l’activité des cellules nerveuses du cerveau, provoquant les maux de tête d’un lendemain de fête trop arrosée.
Une consommation trop importante ou régulière engendre un risque d’accoutumance. On considère ainsi que la Suisse compte 250’000 personnes dépendantes à l’alcool (lire encadré). « Tout comme les autres drogues, l’alcool a pour caractéristique de surstimuler le système de la récompense, un réseau neuronal établi dans le système limbique », explique
Jean-Bernard Daeppen, médecin-chef au Service de médecine des addictions du CHUV. Cette partie du cerveau comprend
des fonctions qui maintiennent la vie. Les comportements de base, comme l’alimentation ou la reproduction, génèrent du plaisir. Mais en stimulant ce système de la récompense, l’alcool produit en quelque sorte un « piratage du système », qui déclenche une cascade de conséquences aboutissant au besoin compulsif de consommer, assorti d’une sorte de malaise en l’absence de la substance.
Jeanne*, 57 ans, ne touche plus une goutte d’alcool aujourd’hui. Pourtant, il y a encore quelques années, elle consommait près de deux bouteilles de vin par jour.
« J’ai été licenciée du jour au lendemain, après douze ans passés dans la même entreprise. Une décision incompréhensible. À la même période, ma fille unique a quitté la maison. Je me sentais très seule, et pour la première fois de ma vie, parfaitement inutile. J’ai commencé à boire pour me remonter le moral. »
D’abord un verre par-ci par-là, puis deux, puis trois. « J’en suis vite arrivée à une bouteille par jour, puis deux. Comme j’habite un petit village où tout le monde se connaît, je n’assumais pas d’acheter autant de vin à la supérette. Je prenais la voiture pour aller m’approvisionner en ville. Après, comme j’étais tout le temps ‘dans le brouillard’, j’ai pensé à me faire livrer. Il faut dire que c’est particulièrement mal perçu pour une femme de boire autant. C’était sans hésiter la période la plus dure de ma vie : je ne voulais pas qu’on puisse percevoir ‘mon secret’, donc je sortais le moins possible, ce qui renforçait ma solitude. » Cette situation dure plus d’une année. Jusqu’au jour où sa fille vient lui rendre visite à l’improviste. « Elle m’a trouvée dans un état lamentable. Elle m’a aidée à remonter la pente, par présence. Puis d’autres membres de la famille m’ont soutenue. Et
quand ma fille m’a appris qu’elle était enceinte, j’ai eu un déclic : je me devais d’être une bonne grand-maman. C’est ce qui m’a le plus motivée à arrêter. »
Avec ces risques potentiels, comment expliquer que l’alcool soit toujours autant associé à la convivialité, et que la sobriété puisse être mal perçue ?
« L’alcool est lié à l’idée d’ouvrir à la sociabilité », avance Markus Meury, porte-parole de la fondation Addiction Suisse. La vision de la journée ou de la semaine de travail qui nécessite de se lâcher le soir ou le week-end est tenace : on peut mieux se laisser aller, ou tout oublier avec l’alcool. »
La prévalence de la consommation d’alcool vient aussi du fait qu’il est accessible très facilement et bon marché, contrairement à d’autres substances stupéfiantes. Ainsi, 83% des personnes âgées de 15 ans et plus en Suisse admettent boire de l’alcool « plus ou moins régulièrement », selon Addiction
Suisse. À l’inverse, la cocaïne, la deuxième drogue illégale la plus répandue après le cannabis, est consommée par à peine 1 à 2% de la population.
On considère que 7 à 8% des hommes présentent une dépendance à l’alcool, tandis que 2 à 3% des femmes se trouvent dans cette situation. Sans même parler d’addiction, les hommes boivent plus, notamment pour des raisons culturelles, dit Jean-Bernard Daeppen. « Les hommes semblent apprécier les effets de l’alcool plus que les femmes. Ils sont plus spécifiquement intéressés par l’effet de désinhibition. » Et qu’en est-il des jeunes, boivent-ils davantage depuis la crise sanitaire ? « Les statistiques ne montrent pas d’augmentation globale, indique Markus Meury. Cependant, la consommation chez les jeunes filles (11–15 ans) a augmenté, rattrapant celle des garçons dans différentes catégories. » Le CHUV a d’ailleurs développé une application de prévention dédiée à cette catégorie de la population (lire encadré).
Après 1 semaine
Sommeil plus réparateur et profond. L’hydratation de la peau est mieux régulée. Les muqueuses de l’estomac et de l’intestin se rétablissent.
Après 2 semaines
Le bilan hépatique s’améliore. Les graisses stockées sont dégradées, les congestions lymphatiques éliminées. Le système immunitaire est renforcé.
GUÉRIR DE LA DÉPENDANCE
Il peut être difficile de s’en sortir seul-e lorsque la consommation d’alcool a engendré un phénomène de dépendance. « Environ 10% des personnes concernées sollicitent une aide professionnelle », indique Jean-Bernard Daeppen. Les personnes qui viennent consulter sont celles chez qui l’addiction est devenue grave, ou qui présentent une maladie psychique associée. La principale approche pour soigner une telle addiction est d’ordre psychothérapeutique, les rares médicaments existants se révélant peu efficaces à ce jour.
Lorsque l’on est parvenu-e à se débarrasser d’une telle accoutumance, comment ne pas céder à nouveau, puisque l’alcool reste omniprésent, des magasins aux restaurants ? Si l’offre de boissons « sobres » a considérablement augmenté, il peut subsister ce regard d’incompréhension devant celui ou celle qui décline un verre.
« En milieu urbain, le fait de ne pas boire ou de diminuer sa consommation est de
mieux en mieux accepté aujourd’hui, car il est peut-être plus facile d’y choisir ses ami-es ou le milieu dans lequel on gravite, observe Markus Meury. Par contre, dans certains environnements, ne pas boire est encore très mal vu. Difficile par exemple pour un agriculteur de demander une tisane à la place d’un verre de blanc à l’apéritif. »
Une meilleure acceptation sociale du refus de boire est apparue avec le Dry January. Ce phénomène venu du Royaume-Uni consiste à ne pas ingurgiter d’alcool pendant tout le mois de janvier. Les effets d’une telle diète diffèrent bien sûr en fonction de la consommation initiale (lire ci-contre).
Cependant, cette diminution de la consommation d’alcool ne se reflète pas (encore) dans les statistiques. Le nombre de personnes se déclarant abstinentes n’a pas encore augmenté selon les dernières données de l’Enquête suisse sur la santé 2022. /
* Prénom d’emprunt
Après 1 mois
Rétablissement d’un poids équilibré. Régénération du foie (entre 4 et 8 semaines).
Nette amélioration du bilan sanguin : les valeurs du cholestérol et de la glycémie diminuent. La santé mentale s’améliore (les taux de dopamine et de sérotonine commencent à se normaliser).
Après 1 année
La tension artérielle baisse : réduction du risque de maladies cardiovasculaires. La mémoire s’améliore, les lésions cérébrales causées par l’alcool se résorbent en partie.
TeXTe: AUdrey mAgAT
La dépression post-partum touche près d’une femme sur cinq. Maladie taboue, elle entraîne souvent un décalage émotionnel et un isolement social.
«Un bébé, ce n’est pas toujours merveilleux. Contrairement à ce que montrent les clichés encore présents dans notre société. C’est une expérience extrêmement exigeante, qui prive de sommeil et bouleverse les jeunes parents. » Mathilde Morisod est médecin adjointe au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV. Elle s’occupe, entre autres, des femmes touchées par la dépression post-partum. La maladie survient dans les semaines suivant l’accouchement et touche environ 20% des mères. Si les signaux varient, elle peut se manifester par une constante envie de pleurer, un découragement, de l’anxiété, des idées noires ou encore une tristesse difficilement explicable.
« La culpabilité est omniprésente, complète la pédopsychiatre. Ces femmes s’occupent de leur bébé de manière automatique. Elles éprouvent souvent des difficultés à créer un lien affectif avec l’enfant, sont malheureuses et ressentent de la honte.
Ce sentiment d’être une mauvaise mère est renforcé par les idées préconçues qui conditionnent la naissance à un moment heureux. Mais la parentalité peut constituer une crise psychique majeure en raison du remaniement identitaire qu’elle provoque. Les nouveaux parents ne sont plus seulement les enfants de leur famille, ils sont parents à leur tour. Un changement doit donc s’opérer, similaire au passage de l’enfance à l’âge adulte durant l’adolescence. »
La fatigue et le manque de sommeil renforcent la dépressivité. La maladie ne doit cependant pas être confondue avec le babyblues, qui n’est pas considéré comme pathologique et qui se manifeste par une instabilité de l’humeur dans les deux à trois jours qui suivent l’accouchement, provoquée par les variations hormonales.
Les facteurs socio-économiques influencent le risque de dépression post-partum. Les études montrent qu’un tiers des femmes migrantes sont touchées. La monoparentalité et des antécédents de dépression ou de troubles psychiatriques peuvent aussi exacerber les difficultés. En outre, « on note un continuum entre le pré-partum et le post-partum : environ 12% des femmes touchées peuvent présenter des troubles anxio-dépressifs déjà durant la grossesse. » Un questionnaire destiné au grand public, disponible en ligne – l’« Edinburgh Postpartum Depression Scale » –, a été développé pour permettre d’identifier les signes d’une dépression post-partum.
Chez les pères, les études actuelles estiment que 12% sont touchés par la dépression post-partum. Contrairement aux femmes qui se surinvestissent souvent auprès de l’enfant, eux ont plutôt tendance à fuir et à se réfugier, dans le travail, le sport ou les sorties, par exemple.
Élodie Azoulay a vécu une dépression post-partum. « Lors de mon accouchement en 2020, il y a eu un problème avec l’anesthésie. J’ai dû accoucher dans une souffrance absolue. Cette incompréhension et cette violence ont provoqué en moi une dissociation traumatique et une véritable anesthésie émotionnelle : je ne ressentais plus rien, même quand on m’a présenté mon bébé. » Commence alors un long parcours où la dépression isole la jeune maman. « Je n’arrivais plus à ressentir quoi que ce soit. Moi qui m’étais tant réjouie de ce bébé, j’étais comme une morte-vivante. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je perdais pied et la culpabilité me rongeait.
J’étais en plein stress post-traumatique. Le décalage entre mes attentes et cette réalité m’accablait. J’avais l’impression que je ne m’en sortirais jamais. » La maladie peut durer des mois, voire plusieurs années. Pour Élodie Azoulay, elle aura duré deux ans. Les idées noires, les phobies d’impulsion, soit la crainte involontaire de blesser le bébé, sont omniprésentes. Elles ne sont en réalité pas dangereuses, mais provoquent un stress aigu chez le parent.
La Lausannoise suit une psychothérapie et contacte l’association Dépression postpartale Suisse1, dans laquelle elle est engagée aujourd’hui en tant que responsable Suisse romande. L’association propose une ligne téléphonique de soutien, un réseau professionnel, des groupes de parole ainsi que des marrainages. « La dépression post-par-
tum est une double peine. La maternité est de toute façon difficile, mais la dépression enlève même les bons moments. Restent seulement l’épuisement et l’angoisse. Mais un jour, on finit par aller mieux. »
À 36 ans, Élodie Azoulay milite pour une meilleure reconnaissance de cette maladie et le développement d’unités dédiées aux soins de la mère et son enfant. « Le personnel soignant doit impérativement être mieux formé à reconnaître et à soutenir la dépression post-partum », souligne-t-elle. Un avis partagé par Mathilde Morisod : « Après l’accouchement, les femmes passent trop souvent au second plan. Les soignant-es, et notamment les pédiatres qui rencontrent régulièrement les enfants dans cette période, doivent aussi faire attention à la mère et reconnaître les signes d’une dépression post-partum. »
La pédopsychiatre souligne également le rôle de la parole. « Les groupes de soutien sont essentiels pour déculpabiliser et rompre la solitude. » Les traitements psychothérapeutiques et les médicaments antidépresseurs peuvent aussi faire partie de la prise en charge. En août 2023, l’Agence américaine du médicament a approuvé pour la première fois un traitement spécifique contre la maladie, le traitement n’est pas encore autorisé en Suisse. Cette pilule agirait plus rapidement que les traitements classiques. « Il ne faut pour autant pas négliger l’accompagnement psychothérapeutique qui montre une très bonne efficacité. » /
1 L’association sera prochainement renommée « Periparto Suisse ».
Les enfants et les petits-enfants de personnes traumatisées peuvent ressentir les séquelles d’un événement non vécu. Que faire lorsque l’on porte la trace d’un traumatisme qui ne nous appartient pas ?
«J’ai vu des images et éprouvé des sensations qui n’étaient pas à moi, c’était fou. » Pendant une séance de psychothérapie, le souvenir d’une évasion que Sandrine, 48 ans, n’a pourtant pas vécue, ressurgit. Un épisode de son histoire familiale dont elle ignorait tout, y compris qu’il résidait quelque part en elle. Quand elle commence la thérapie, Sandrine se remet tout juste d’un cancer et sait qu’elle a des choses à résoudre. Témoin de violences domestiques dans son enfance, elle entretient des rapports difficiles avec son père et connaît peu cette famille paternelle. Elle souffre d’un trouble de l’attachement et connaît des moments de grande impulsivité et de colère. La thérapie et l’expérience de ce souvenir inconnu qu’elle relie immédiatement à sa grandmère paternelle lui permettront d’identifier une souffrance transgénérationnelle qu’elle ignorait, et de l’apaiser.
Les symptômes du trouble du stress post-traumatique (TSPT)
Comme Sandrine, certaines personnes ressentent des symptômes parfois incompréhensibles. Cauchemars, phobies, pensées envahissantes, des manifestations symptomatiques d’un traumatisme (voir encadré) mais sans qu’elles parviennent à les relier à un événement. Et pour cause : le traumatisme a été subi par quelqu’un d’autre, une, voire plusieurs générations auparavant. « Ce phénomène a un effet sur l’organisme qui, par différents moyens, est communiqué ou transmis à la descendance. On pense que le but de cette transmission est que l’espèce puisse s’adapter à un nouvel environnement potentiellement dangereux et survivre. Mais si l’environnement auquel la nouvelle génération est confrontée s’avère différent
Les souvenirs de l’événement sont récurrents et envahissants, la personne revit le traumatisme dans des flashbacks déclenchés par des sons, des odeurs ou des images.
La technique de l’EMDR est centrée sur le mouvement oculaire et permet de retraiter des informations afin de résoudre les traumatismes, par exemple.
de celui de la génération précédente, alors l’utilité de la transmission n’est pas là et il ne reste que la souffrance », explique Daniel Schechter, professeur associé et médecin adjoint au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV.
La particularité d’un traumatisme transgénérationnel est que l’événement qui laisse des traces a souvent eu lieu avant la naissance de la personne qui en porte les séquelles. Il n’est pourtant pas évident d’identifier une souffrance qui s’étend sur plusieurs générations. Il existe toutefois certains symptômes spécifiques, sortes de signes distinctifs
que l’on retrouve souvent au sein des familles touchées, comme l’évoque Hélène Dellucci, docteure en psychologie spécialisée en psychotraumatologie à Genève : « L’inceste, les meurtres, les suicides ou les violences domestiques sont des problématiques familiales qui révèlent souvent une souffrance transgénérationnelle. » Il en résulte potentiellement des traumatismes transgénérationnels.
Tout ce qui peut rappeler l’événement est évité: les activités, les pensées, les personnes ou les lieux associés au traumatisme.
Un constat que confirment les recherches de Daniel Schechter en ce qui concerne notamment les violences domestiques : « De nombreuses études montrent clairement la transmission transgénérationnelle de la violence domestique
Des idées négatives génèrent l’impression que la menace est encore présente. Un sentiment de culpabilité, d’impuissance, de peur ou de honte est présent, ou au contraire un détachement émotionnel ou une sensation d’irréalité.
physique et émotionnelle. La majorité des situations de violences domestiques implique des traumatismes transgénérationnels.»
COMMUNIQUER LA VIOLENCE
Comment s’opère cette transmission ? Il n’y a pas qu’un seul mécanisme. « Parfois, c’est le traumatisme qui se transmet et parfois, c’est la souffrance du parent qui génère un traumatisme chez l’enfant. Un parent qui souffre d’un trouble du stress post-traumatique (voir encadré) peut avoir un comportement imprévisible, hypervigilant, brusque. L’enfant ne le comprendra pas, il pourra ressentir un sentiment de danger sans savoir s’il existe ou non. Ce sont des façons de communiquer la violence et un sentiment d’impuissance face à elle. Sans le vouloir, l’enfant pourra la perpétuer en devenant parent à son tour », explique Daniel Schechter.
Le silence est un autre carburant pour les traumatismes transgénérationnels qui ne voyagent jamais mieux que
lorsqu’ils sont tus. Les secrets de famille font d’ailleurs partie de ces signes distinctifs auxquels on reconnaît les souffrances transgénérationnelles. « La transmission se fait parfois parce qu’il y a des impossibilités de parole dans la famille ; on sait ce qui s’est passé, mais on ne le dit pas. Au lieu des récits, ce sont les violences, les conflits ou les absences qui se transmettent », constate Sandra Mazaira, psychologue psychothérapeute spécialisée en psychotraumatologie au Mont-sur-Lausanne.
L’INTERRUPTEUR ÉPIGÉNÉTIQUE
Mais depuis quelques années, un autre mécanisme fait l’objet de nombreuses recherches : la transmission épigénétique. « Certains gènes peuvent être allumés ou éteints sous l’influence déterminante de facteurs environnementaux. La modification de cette disponibilité des gènes peut se propager sur plusieurs générations », explique Daniel Schechter. Parmi ces facteurs, les traumatismes et le stress qu’ils génèrent dans l’organisme peuvent, comme sous l’effet d’un interrupteur, modifier l’expression de nos gènes.
La bonne nouvelle, c’est que c’est réversible. « On ne comprend pas encore tout à fait comment cela s’opère, mais grâce à cette interaction entre environnement et biologie, il est possible d’interrompre la transmission. Par exemple, pour un jeune enfant, remplacer un environnement familial violent par un cadre plus prévisible et sécurisant aura un effet positif. » Comme si on inversait la tendance, préserver les plus jeunes membres d’une famille est une manière de couper la chaîne de transmission.
EMDR : LA GUERRE EST FINIE
L’autre façon de briser le cycle des souffrances, c’est la psychothérapie.
Par la parole, mais aussi par le corps, elle permet de traiter la douleur au présent pour renvoyer les blessures au passé auquel elles appartiennent. La particularité du souvenir traumatique, c’est que le cerveau le stocke sans le digérer. Chaque fois qu’un élément le réactive (un lieu, un son, une nouvelle violence), le traumatisme refait surface comme s’il avait lieu dans le moment présent. « La relation avec le ou la psychothérapeute va aider à recontextualiser les événements pour faire prendre conscience à la personne qu’elle est en sécurité dans le présent. Cela va permettre un changement chimique dans les neurones qui enregistrent le souvenir et ses effets, comme une mise à jour », analyse Daniel Schechter.
Lorsque les événements sont sévères, répétés et qu’ils ont lieu tôt dans l’enfance, on parle de TSPT complexe avec trois dimensions supplémentaires : difficultés d’estime de soi, dans les relations aux autres, et de régulation émotionnelle. Les traumatismes transgénérationnels relèvent généralement d’un TSPT complexe.
des personnes qui ont vécu des traumatismes de guerre, par exemple, l’EMDR permet au corps de comprendre que la guerre est finie. »
LES FORCES DU TRANSGÉNÉRATIONNEL
C’est dans son corps également que Sandrine, 48 ans, a compris que le souvenir qu’elle avait revisité pendant une séance d’EMDR appartenait à sa grand-mère paternelle.
Parmi les nombreuses formes de psychothérapies basées sur des preuves scientifiques qui permettent cette reconfiguration du souvenir, l’EMDR (désensibilisation et retraitement des informations à l’aide de mouvements oculaires) a fait l’objet d’une petite révolution dans le monde de la psychotraumatologie. « Il y a 40 ans, le traumatisme était le trouble pour lequel nous avions le moins de possibilités, nous étions impuissants. Aujourd’hui, avec les thérapies centrées sur le corps comme l’EMDR, nous pouvons le traiter », se réjouit Hélène Dellucci. À l’inverse d’autres techniques qui passent surtout par la parole, l’EMDR permet d’accéder directement à l’émotion liée au souvenir pour lui redonner sa place, comme une reprogrammation du cerveau. « Pour
« Cela m’a rapporté un bout de mon histoire et a apaisé une partie de la colère et du mépris que je ressentais pour mon père. Aujourd’hui, j’éprouve de l’empathie et un certain détachement. » Un bénéfice de la thérapie que Sandra Mazaira observe souvent dans son cabinet : « La grande majorité des personnes ressent un soulagement important. Le traumatisme est replacé dans une histoire plus grande que soi. On n’oublie pas, mais ce n’est plus ce qui guide le présent et l’avenir. » En plus de l’apaisement, la thérapie a aussi été source d’espoir pour Sandrine qui y a découvert une nouvelle part d’elle-même. « Dans le transgénérationnel, il y a aussi les forces. Je sais maintenant que je suis une survivante. » /
Le sentiment de menace constante peut se manifester par un état d’hyper-vigilance avec des troubles du sommeil, des difficultés de concentration, une irritabilité ou des sursauts.
LA CENTRALE DE STÉRILISATION DU CHUV TRAITE
LES DISPOSITIFS MÉDICAUX ET LES INSTRUMENTS DE CHIRURGIE DE L’HÔPITAL. CISEAUX, CANULES ET ENDOSCOPES SUIVENT UN PROCESSUS MINUTIEUX POUR ASSURER UNE PROPRETÉ INDISPENSABLE.
TEXTE : AUDREY MAGAT
PHOTOS : JEANNE MARTEL
Dans les sous-sols du CHUV, la centrale de stérilisation s’active : des plateaux chirurgicaux sales apparaissent. Ils arrivent directement d’une salle d’opération cardiaque à l’étage, où un-e instrumentiste a rassemblé tout ce qui a pu être touché. Ces instruments vont alors suivre un processus complet de nettoyage, de désinfection et de stérilisation d’environ quatre heures au total. « Nous avons une mission extrêmement technique, qui demande de la précision et de la vigilance, explique Christophe Grange, chef de la centrale. Nous travaillons pour qu’à la fin, les patient-es puissent être soigné-es en toute sécurité. »
La centrale de stérilisation fonctionne tous les jours de l’année et compte 65 personnes, réparties en deux équipes le long de la journée. Elle traite les dispositifs médicaux et les instruments de chirurgie des blocs chirurgicaux, de la maternité, de l’hôpital ambulatoire et de l’orthopédie, mais aussi d’environ 40 institutions externes comme des cliniques ou la prison du canton de Vaud. La centrale s’occupe également de former des apprenti-es, « mais nous peinons à recruter », déplore Christophe Grange. Le directeur est d’ailleurs aussi enseignant dans le CFC de technologue en dispositifs médicaux, cursus créé en 2018.
Tous les instruments creux doivent être préalablement rincés et pré-désinfectés à la main. Les ciseaux sont ouverts et chaque instrument est disposé dans des paniers de lavage. Tous sont démontés pour être lavés dans les moindres détails.
2/ LAVAGE INTENSIF
Six laveurs-désinfecteurs nettoient les instruments sur des cycles de lavage d’environ une heure, où la température monte à 95 °C, garantissant ainsi la désinfection. Les appareils sont vérifiés annuellement et contrôlés tous les trois mois. Le matériel est principalement en inox, un matériau facilement lavable et réutilisable.
3/ DU SALE
AU PROPRE
Tout est désormais lavé. Chaque panier de lavage est équipé d’un code-barres où sont enregistrées toutes les informations relatives : type d’instrument, date de péremption, ainsi que le nom de la personne qui s’en est occupée.
5/ ASSEMBLAGE PRÉCIS
Chaque plateau chirurgical doit être recomposé de manière précise avant d’être déposé dans un container métallique. Les équipes suivent des photos et des fiches détaillées propres à chaque plateau, destiné à un service précis. Toutes les spécialités ont une composition
4/ DES MILLIERS DE CISEAUX
Qu’ils soient à bout pointu, courbés ou en pince, des milliers de ciseaux sont repliés et emballés quotidiennement dans des sachets scellés à usage unique. Certains équipements sont néanmoins prioritaires, comme les kits de césarienne qui sont pour le CHUV au nombre total de dix et doivent donc rapidement être remis en circulation.
différente. Environ 250 containers sont traités par jour. Avant d’être emballée, chaque paire de ciseaux est testée sur un tissu spécial qui imite la texture de la peau. Les câbles des instruments électroniques, par exemple ceux des endoscopes, sont vérifiés.
6/
Certains éléments, comme les cuvettes de maternité, sont trop grands pour être emballés par la machine et sont donc scellés à la main.
7/ STÉRILISATION
C’est la dernière étape du traitement : tous les containers désormais scellés sont passés dans un stérilisateur à la vapeur d’eau. Ils sont équipés d’un indicateur de contrôle qui change de couleur si la stérilité de la boîte est compromise. À leur sortie, les tapis les dirigent directement dans la réserve de matériel de l’hôpital. Elles seront redistribuées dans les services par les équipes logistiques.
8/ CHAUSSURES
La centrale nettoie les sabots portés dans les blocs chirurgicaux. Ici, 80 paires, chaque couleur correspondant à une pointure, sont traitées dans des armoires de lavement.
En raison du manque de proies ou de la proximité avec les humains, les grands prédateurs peuvent s’attaquer au bétail, entraînant ainsi des pertes économiques pour les éleveuses et éleveurs. Ces relations entre humains, animaux sauvages et domestiques sont au cœur de la recherche du groupe de Philippe Christe, professeur au Département d’écologie et évolution (DEE) de l’UNIL. « En étudiant la panthère des neiges en Mongolie, nous voulions estimer la part de prédation sur le bétail, mais aussi la perception qu’en ont les bergères et bergers nomades. En effet, si une espèce est mal perçue par la population, cela peut compromettre les efforts de conservation. Et la panthère des neiges est à surveiller, parce qu’elle est menacée par les activités humaines, ainsi que par le réchauffement climatique. » Pour répondre à
NOM
PANTHERA UNCIA
TAILLE (TÊTE + CORPS)
MÂLE : 1,3 MÈTRE
FEMELLE : 1,0 MÈTRE
HAUTEUR AU GAROT : 60 CENTIMÈTRES
CARACTÉRISTIQUE
MENACÉE PAR LES ACTIVITÉS HUMAINES ET LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Des biologistes de l’Université de Lausanne s’intéressent aux interactions entre la panthère des neiges, les nomades et leurs chèvres à Cachemire dans la région de l’Altaï, en Mongolie. Bien que ses proies naturelles se raréfient, le félin commet peu de dégâts sur le bétail.
TEXTE : CLÉMENT ETTER
ces questions, un doctorant du groupe, Claudio Augugliaro, a interviewé plus de 260 bergères et bergers quant à leur lien avec la panthère des neiges, mais aussi avec le loup. La recherche a montré que cette population tolère davantage le félin que le canidé. D’une part, la panthère des neiges prélève beaucoup moins de bétail et, d’autre part, elle est davantage respectée en raison des croyances des nomades. Les scientifiques ont aussi montré que la mortalité du bétail était avant tout provoquée par des conditions environnementales comme le manque de ressources ou des hivers trop rigoureux plutôt que par la prédation. « Ce qui est certain, c’est que ces communautés ont l’habitude de cette cohabitation et savent protéger leurs animaux, constate le professeur. Si une bête est blessée ou malade, elles l’abandonnent facilement à un éventuel prédateur. » /
Directrice adjointe des soins, CHUV
La crise ? Une opportunité pour modifier l’équation
Pénurie de professionnel-les de la santé, croissance des coûts, fermeture d’hôpitaux, hausse des maladies non transmissibles, approvisionnement incertain en médicaments : tout semble indiquer que nous disposons en Suisse d’un système de santé de plus en plus difficile à financer et dont la pérennité, dans sa forme actuelle, est compromise.
chères et, dans une logique de maîtrise des coûts, chaque nouvelle prestation ne pourrait être financée qu’aux dépens d’une autre. On atteint donc progressivement une limite à laquelle le système était peu habitué.
Ce serait donc la fin du modèle d’organisation du siècle dernier, très centré sur le traitement de la maladie et des accidents. À l’heure où une part croissante de la population peine à payer ses primes d’assurance maladie et à accéder aux soins, le terme de « crise » n’est pas usurpé.
Les phénomènes à l’origine de la situation actuelle sont connus : l’espérance de vie est aujourd’hui 2 fois plus élevée qu’il y a 100 ans, impliquant le vieillissement de la population, l’accroissement des maladies chroniques et de la consommation de soins, puis la pression financière sur le système dans un contexte de ressources forcément limitées.
Jusqu’ici, d’importants moyens ont permis de développer la recherche et l’innovation dans toutes les spécialités. La pharmacologie, l’imagerie et la chirurgie, par exemple, ont connu des avancées phénoménales. Au point d’alimenter les espoirs de guérison les plus fous dans chaque domaine. Mais ces progrès génèrent des prestations parfois très
Une crise est à la fois la fin et le début de quelque chose, elle marque une transition d’un état – ou d’un paradigme – vers un autre, plus en phase avec les réalités du moment. La mission du système de santé, elle, ne change pas. Il s’agit de répondre aux besoins actuels et futurs de la population. En la matière, la Suisse peut compter sur des atouts essentiels. La formation des professionnel-les de la santé y est de très haut niveau. Bien que limités, les moyens sont là. Le niveau socio-éducatif de la population est comparativement élevé.
Cette équation permet d’identifier au moins trois pistes majeures susceptibles de nous guider pendant la transition. Premièrement, donner à la population davantage de moyens pour prendre soin de sa propre santé. Ensuite, miser sur la collaboration interprofessionnelle. Finalement, adapter au contexte suisse des modèles d’organisation éprouvés dans d’autres pays. Et ainsi, sortir gagnant-es de la crise. /
Cla kétamine. Alors, à quoi sert donc cette substance, présente récemment dans la presse comme responsable de la mort de Matthew Perry, un acteur de la célèbre série télévisée Friends ou comme secret pour lutter contre sa dépression, selon Elon Musk ?
La kétamine a plusieurs facettes. Utilisée comme drogue hallucinogène à partir des années 1990, la chirurgie s’en sert couramment dans l’anesthésie, pour maintenir la narcose. Toujours en médecine, la molécule joue un rôle dans le traitement de la dépression, depuis quelques années. « La substance est efficace pour lutter contre les dépressions graves. Nous
TEXTE : CAROLE EXTERMANN
K é TA m IN e C 13h 16C l N0
l’administrons soit par voie veineuse, soit grâce à un spray nasal. » La deuxième option est reconnue par les assurances maladie depuis 2022, tandis que la première alternative suit encore une utilisation off-label, c’est-àdire selon une prescription du médicament pas encore reconnue officiellement. « Grâce à la kétamine, il est possible de cibler un spectre de récepteurs neuronaux plus large que les antidépresseurs couramment prescrits. »
Évidemment, la prise en charge de la dépression avec de la kétamine ne
s’envisage pas sans un suivi thérapeutique global. Aussi, ce n’est pas un type de traitement qui se prend à la maison. « Au CHUV, la prise en charge en ambulatoire a été développée avec la psychiatre Marie-Thérèse Clerc. Lorsqu’une personne reçoit de la kétamine, par voie intraveineuse ou nasale, elle est entourée d’une équipe spécialisée qui surveille que tout se passe bien. »
ment de la dépression peut cependant être ressenti. « Il est possible d'éprouver une légère dissociation sur un mode onirique. Cependant, la qualité de l’expérience vécue grâce à la substance n’a rien à voir avec l’efficacité thérapeutique. » Concernant la crainte d’une potentielle accoutumance, Kevin Swierkosz-Lenart se veut rassurant. « D’après les connaissances actuelles sur la molécule dans le traitement de la dépression, il n'y a pas de risque majeur. » /
Kevin Swierkosz-Lenart est responsable de l'Unité de psychiatrie interventionnelle dans le Service universitaire de psychiatrie de l'âge avancé (Supaa) dirigé par Armin von Guten au CHUV.
Marie-Thérèse Clerc est médecin cadre au sein du Supaa.
Texte : Émilie Mathys
Bureau des décès : accompagner celles et ceux qui restent
Élodie Paschoud et Natacha Zaugg soutiennent les familles endeuillées dans les démarches qui suivent un décès. Présentation d’une entité indispensable et encore trop peu connue.
L’hôpital, ce lieu qui voit naître des vies et en sauve. Ce lieu, aussi, dans lequel la mort surgit au quotidien. Le CHUV recense en effet entre 1000 et 1200 décès par année. Une réalité avec laquelle composent le corps médical, d’un côté, et les proches, de l’autre. Entre les deux, se trouve le Bureau des décès. Une entité unique en son genre en Suisse romande, rattachée à l’Unité d’accueil et admissions, mise en place il y a 20 ans. Sa mission ? Faire le lien administratif entre les différents services de soins, l’Office des prestations funéraires lausannois, la chapelle mortuaire, le Service d’état civil ou encore les pompes funèbres et la famille des défunt-es. Le bureau gère également le traitement des attestations médicales de décès, soit la pièce d’identité du ou de la défunt-e.
« Dès qu’un décès est prononcé par les médecins, il y a la possibilité de nous faire intervenir auprès de la famille. N’ayant pas accès au dossier médical, notre seule information à disposition est l’origine de la mort. Savoir si elle est naturelle ou non, voire indéterminée, peut orienter la prise en charge des proches. Nous détaillons avec ces dernier-ères les démarches à effectuer pour l’organisation des obsèques ou le rapatriement d’un corps par exemple. Par la suite, nous restituons les effets de la personne décédée à la famille. Quant aux objets de valeur, ils sont envoyés à la Justice de paix. Il arrive aussi dans certains cas que nous orientions les proches vers l’Espace de médiation s’il y a
une doléance », détaillent Natacha Zaugg et Élodie Paschoud, complices. Elles forment le joyeux tandem qui est à ce bureau depuis quatre ans.
Si l’administratif tient une place prépondérante dans leur travail, Élodie et Natacha mettent un point d’honneur à soigner l’accueil des personnes endeuillées qui éprouvent souvent le besoin de confier leur peine ou de partager un souvenir heureux. « Notre métier est très prenant humainement et requiert une grande ouverture d’esprit, de capacité d’écoute et d’empathie, mais de la juste manière. Bien sûr que l’on ressent la tristesse d’une personne, mais ce n’est pas la nôtre », soulignent les deux femmes d’une même voix, unies dans le privé par une amitié de plus de quinze ans née aux admissions du Service des urgences du CHUV et de laquelle se nourrit sans doute la douce ambiance qui règne dans le Bureau des décès.
PARTAGER SES VŒUX
Leur vision de la mort a-t-elle changé depuis que les deux jeunes femmes la côtoient tous les jours ? « J’ai, pour ma part, considérablement évolué dans mes propres croyances grâce à un important travail d’introspection et de questionnement sur ce passage. Je suis aujourd’hui beaucoup plus ancrée et sereine, c’est d’une grande aide pour les accompagnements », confie Natacha. Devenue maman, Élodie a craint un temps ne plus pouvoir faire face à « toutes ces petites âmes » qui partent au CHUV. « Mais le contact avec les gens et le
fait de pouvoir être aux côtés des familles endeuillées est tellement important. Je sais que je suis à ma place. Et on se complète, avec Natacha. Si elle sent que c’est dur pour moi, elle prend le relais et vice versa. Notre travail nous permet de chérir d’autant plus nos familles et notre entourage. On a le plus beau métier du CHUV. »
Un joli pied de nez au tabou qui pèse encore sur la mort dans la culture suisse, mais aussi au sein de l’hôpital, comme les deux gestionnaires le constatent tous les jours. « Cela fait seulement deux ans qu’un panneau ‹ Bureau des décès › a été installé. On l’appelait jusque-là ‹ Secrétariat 2 ›. Même au sein de l’institution, peu de gens savent où nous trouver, voire même ne connaissent pas notre existence. Nous sommes disponibles pour prendre le relais. » Médecin adjoint au Service des soins palliatifs, Michel Beauverd fait régulièrement appel au Bureau des décès, qu’il considère comme une ressource précieuse et sans équivalent. « Élodie et Natacha ont toujours su répondre aux questions administratives que nous ne sommes pas en mesure de gérer, à l’image des papiers à remplir en cas de rapatriement du corps. C’est un soulagement pour nous de savoir qu’un soutien est offert aux proches dans cette période compliquée, administrativement, mais aussi humainement parlant. » Un conseil pour faciliter la vie de celles et ceux qui restent ? « Communiquer ses souhaits », insiste le Bureau des décès. « Il n’est pas rare que les familles se retrouvent surprises face à la disparition d’une personne aimée et éprouvent un
sentiment de culpabilité : qu’aurait désiré cette dernière pour son enterrement ? Où disperser ses cendres ? Que faire de ses effets personnels ? Nous invitons régulièrement notre entourage à réfléchir à ce qu’il souhaiterait et à le partager avec les personnes aimées. » Le sourire aux lèvres, Élodie et Natacha se plaisent à imaginer leurs enterrements respectifs sous le signe de la lumière et de la joie. À leur image. /
Formé à l’Université de Genève, il obtient un Master en biologie, en 2022. II suit actuellement un Master en journalisme à l’Académie du journalisme et des médias, à Neuchâtel. Dans cette édition, il s’est notamment occupé des brèves de la Health Valley.
Anne-Marie Trabichet s’est formée en journalisme et a travaillé quinze ans dans la promotion de la santé et la prévention. Elle exerce aujourd’hui en tant que journaliste indépendante. Pour ce numéro, elle s’est plongée dans les profondeurs des traumatismes transgénérationnels.
Titulaire d’un Brevet fédéral de spécialiste en communication, Lauriane Herold travaille au CHUV depuis début 2023 en tant que responsable des réseaux sociaux. Elle est chargée de promouvoir In Vivo et de valoriser ses articles sur les différents comptes de l’institution.
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