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L’épisode de série

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Les partiels

Les partiels

L’épisode de série Texte Millie Servant

Cet article fictif est une projection de l’actualité culturelle à l’horizon 2030. Il a été réalisé sur la base d’un entretien avec Alex Berger, coproducteur de la série Le Bureau des légendes.

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DU FUTUR

« MINISTÈRE DE LA FICTION PUBLIQUE »

Le 29 mai 2031

Dix ans après la publication du rapport Berger sur « Une nouvelle organisation de la fiction sérielle en France », la série française a enfin rattrapé son retard. Mieux : elle utilise désormais les petites histoires de ses protagonistes pour aider les citoyens à s’inscrire dans la grande histoire de leur civilisation. À tel point que l’Élysée vient d’annoncer la création d’un ministère de la Fiction publique le 1er janvier 2032. Décryptage.

Qu’est-ce qui distingue l’Homo sapiens des autres espèces du genre humain comme l’Homo habilis ou l’Homo ergaster ? C’est sa capacité à créer des fictions. Ou, plus précisément, des mythes communs. Popularisée dans les années 2010 par l’écrivain à succès Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens, une brève histoire de l’humanité, cette idée a mis des années à se frayer un chemin des librairies à l’Élysée. Début 2030, nous y voilà pourtant : la production de fictions récurrentes – c’est-à-dire de séries – s’inscrit désormais dans une politique publique d’envergure.

Rapport Berger: du CNC à l’Élysée

Tout est parti d’un simple PDF. En 2019, le Centre national du cinéma (CNC) commande un rapport au producteur du Bureau des légendes, Alex Berger. Autoproclamé « bâtard culturel », ce dernier avait vu le futur de la série française dès les années 2010, simplement en traversant l’Atlantique. « En France, à cause de l’héritage de la Nouvelle Vague, c’est encore autour du réalisateur que tout se joue alors qu’aux États-Unis c’est l’auteur, le scénariste qui est au centre, et ça change tout, alertait-il à l’époque. Les Américains ont normalisé la production pour se concentrer sur la seule chose qui importe : les mots, les idées, le concept, les personnages. » Le rapport évoque aussi l’équation magique de son collègue le réalisateur Éric Rochant selon laquelle « une série qui marche = une idée + un concept + un environnement + des personnages », et qui précise que « pour que ça fonctionne vraiment, il faut que les personnages prennent le contrôle sur leur environnement, sur le concept et sur l’idée »

Après des années à prêcher la bonne parole, Alex Berger a enfin réveillé son industrie dans l’Hexagone. Une fois adopté le modèle de la writer’s room à l’américaine, avec ses ateliers d’écriture structurés (les fameux ADES), l’industrie française a poussé l’audace encore plus loin en donnant aux personnages de série des rôles de guides pour des citoyens en quête de sens. Ainsi, la France ne s’est pas contentée de suivre le mode d’emploi décrit dans le rapport : elle a choisi d’en faire un outil au service du bien commun.

Agenda des sorties

En ligne dès le 15 juin 2031.

Terreminator: Cyril Dion annonce une nouvelle série XXL ` de trois saisons de 24 épisodes sur la mafia de la manipulation du climat.

On ne les reprendra pas à deux fois. Alors qu’en 2021, la sortie du 6e rapport du Giec avait été éclipsée par l’annonce du transfert du footballeur Lionel Messi au PSG et par la mise en place du pass sanitaire contre la Covid-19, les experts du changement climatique se sont mieux organisés cette année pour la sortie du 7e rapport du Giec. Comment être sûr que le climat fasse la une? En lui consacrant une série, bien sûr. Hier, Cyril Dion a ainsi publié la bande-annonce d’une nouvelle série XXL sur la mafia de la manipulation du climat, intitulée Terreminator. Et glissé en début et fin du trailer des liens renvoyant vers le rapport du Giec.

Après avoir passé plus de dix ans de sa vie à documenter le réel – avec Solutions locales pour un désordre global, Demain, etc. –, le réalisateur français s’est spécialisé depuis 2023 dans les films et séries de docufiction, ce qui lui a valu une rapide renommée planétaire. Il y a deux ans, il avait déjà frappé très fort avec le long-métrage de fiction Ocean Land, nous invitant dans le quotidien de Max et de sa famille, chassés par la montée des eaux. Il y a trois ans, il racontait avec Or noir les coulisses de l’industrie pétrolière. Très attendue à la suite de fuites dans la presse, la sortie de Terreminator marque son début dans le monde des fictions récurrentes. Rendez-vous dès le 15 juin sur BrutX pour la découvrir.

DU FUTUR

Un nouveau ministère de la Fiction publique

« Pour enrayer la montée des séparatismes et l’archipélisation croissante de sa population face à un monde en crise, la France a besoin de nouveaux récits communs, peut-on lire dans le communiqué transmis à notre rédaction par le service de presse de l’Élysée. Devant une population clouée au sol par le poids de la collapsologie, l’État français doit permettre à ses citoyens de bâtir de nouveaux imaginaires pour l’avenir de la vie en communauté. À cet effet, l’Élysée annonce la création d’un nouveau ministère consacré aux fictions communes. »

Fusion des ministères de la Transition écologique, de la Cohésion des territoires et de la Culture, le ministère de la Fiction publique a vocation à recréer de nouvelles mythologies à l’échelle du territoire. Et il a du travail : d’après la dernière édition du rapport « Les valeurs en France » publié par l’Insee, les Français ne croient plus aux grands concepts qui structuraient jusqu’ici le vivre-ensemble. Ils doutent de Dieu (92 %), se méfient de la nation et de la justice (74 %) et ont perdu confiance dans l’argent (66 %). Et, comme l’avait dit Yuval Noah Harari en son temps, « sans ces histoires, point de ciment dans l’ordre social et point de coopération entre les humains ».

La créativité guidant le peuple

Inspiré par le rapport Berger, l’Élysée a d’ores et déjà missionné un groupe de préfiguration qui devra, à partir du 15 juin prochain, plancher sur le fonctionnement du futur ministère. Composée d’un groupe d’experts thématiques (climatologues, sociologues, anthropologues, etc.) et de spécialistes de l’écriture (auteurs, scénaristes, documentaristes, etc.), l’équipe de préfiguration livrera ses préconisations quant à la structuration du nouveau ministère à l’issue de trois mois de travail. Pour appuyer ses recherches, elle bénéficiera d’un programme de masterclass varié qui donnera la parole à des experts des nouveaux mythes : néo-gourous, designers d’émotions, world builders, etc.

D’après des informations fournies par une source interne au gouvernement, le rapport devra porter sur trois volets : les figures d’avenir, l’écriture du plausible et le lien émotionnel. « L’Histoire regorge d’histoires, analyse Alex Berger, contacté par la rédaction. La série, par ses personnages, aide à comprendre comment tel ou tel univers s’est mis en route, comment tel ou tel fait s’est produit, comment telle ou telle population vit. Pour les populations en déroute de 2030, la série permet de remplir les trous de l’Histoire, de la rendre palpable. » Et par là même de rendre son futur désirable.

« L’humain aime les histoires, mais surtout, il aime être confortable avec des personnages, continue Alex Berger. C’est déjà ce qui faisait le succès d’Émile Zola, d’Alexandre Dumas ou de Victor Hugo. Retrouver le comte de MonteCristo, c’est comme retrouver Malotru dans Le Bureau des légendes : ça fait du bien. Quand une série invite un citoyen à se plonger dans le quotidien d’un personnage pendant vingtquatre semaines, elle l’extrait de sa réalité pour le faire fantasmer, s’identifier et apprendre. Ce qu’on me racontait sur Tchernobyl sur les bancs de l’école, HBO me permet de le comprendre et de le mettre en perspective à travers les personnages de la série du même nom. Ces personnages prennent le citoyen par la main et le mettent en confiance pour lui raconter des histoires, lui raconter le monde. »

Garde-fou souhaité

Anticipant les critiques, l’Élysée a profité de son annonce pour lancer un appel à candidatures un peu particulier. « Conscient du puissant pouvoir d’influence de la fiction, le gouvernement français s’engage à soumettre chaque nouveau récit à la validation d’un organisme indépendant, peut-on lire dans la suite du communiqué. Ce dernier veillera au bien-fondé de chaque scénario et au respect de la diversité et de l’intégrité humaine. » Toujours selon les observations et les préconisations d’Alex Berger, le ministère envisage de mettre en place une offre systématique de « post-show» : des sessions de décryptage épisode par épisode avec des experts issus d’horizons variés.

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