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Les partiels
Les partiels Texte David Medioni
Les partiels en amphi, symbole absolu de l’évaluation universitaire, ont été récemment mis à mal par les obligations de distanciation sociale. Demain, comment serons-nous évalués ? Quels apprentissages compteront vraiment pour passer les étapes du cursus scolaire ? Quelles technologies utiliseronsnous ?
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Voici trois scénarios à horizon 2030 pour explorer l’avenir des partiels et plus largement de l’évaluation des compétences humaines.
Destinée
Rentrée 2030. Cindy Nidiome déambule dans les allées du magasin. Pour la première fois, elle se dirige non pas vers le rayon papeterie, mais vers le rayon informatique. À tout juste 18 ans, Cindy va faire sa première rentrée à l’université, avec pour passage obligé l’achat du fameux ordinateur pour remplacer stylos et feuilles quadrillées. Les prix sont exorbitants : 8 400 € pour le moins cher. Il faut dire que depuis que le gouvernement a instauré le plan Avenir Serein, pas un constructeur ne vend d’appareil en France sans logiciel d’eye tracking, la plupart misant sur celui de la start-up montpelliéraine EdTracks. Le plus made in France, mais aussi le plus coûteux. Après la crise de la Covid-19 et les multiples confinements, le gouvernement avait en effet estimé que preuve avait été faite de la possibilité d’étudier à distance et que les universités devaient se délester des frais de murs pour investir à la place dans les bourses des étudiants. Ils pouvaient à présent suivre leurs cursus complexes depuis toute la France, désengorgeant les villes et ramenant les jeunes aux activités extrascolaires d’extérieur (agriculture, sport...). Les traditionnels partiels en amphi avaient alors complètement disparu, et quelques entrepreneurs malicieux s’étaient très vite penchés sur le secteur prometteur de la triche à la maison. Depuis, toutes les webcams sont dotées de petits capteurs qui suivent vos expressions et détectent tout mouvement de rétine un peu trop décentré. En cas de suspicion de triche, les candidats sont soumis à des pénalités sur leur évaluation continue. À l’inverse, les étudiants peuvent regagner leurs précieux points hors examen en prouvant qu’ils peuvent se concentrer sans détourner le regard et donc être parfaitement productifs pendant plus de 20 minutes. En effet, un autre objectif du plan Avenir Serein, adopté en 2024, fut de mettre les évaluations continues au cœur du jeu. Une stratégie rendue possible grâce à une technologie développée outre-Rhin : une IA apte à analyser toutes les compétences non scolaires et les centres d’intérêt des étudiants. L’IA avait vite remplacé Parcoursup, pour permettre aux lycéens « de se délester du choix de [son] futur domaine d’étude », comme l’avait dit le ministre de l’Éducation à l’époque. Une pression en moins pour des étudiants déjà très préoccupés par les enjeux climatiques et un avenir flou. Désormais, l’IA, joliment baptisée Destinée, place toute seule les lycéens dans les secteurs d’études qui leur correspondent, en se basant sur les données amassées depuis leur naissance (profils digitaux, comptes de réseaux sociaux, articles lus, likés et partagés, relations, voyages...).
Ainsi, Cindy, qui avait été passionnée un temps par les arts martiaux et la culture orientale, s’apprête à démarrer ses études de langues O’. Destinée a jugé « non pertinente» son envie récente et « peu fondée» de se diriger vers la médecine. Avec un peu de chance, elle pourra retenter sa chance à la rentrée prochaine, si elle cumule au moins trois volontariats aux urgences de trois hôpitaux différents ou sauve la vie d’un étranger en pleine crise cardiaque au cours de l’année et en fait l’objet d’un post populaire sur les réseaux.
WorldKnowledge
« Le prochain vol pour Tokyo partira à 8 h 45 porte C.» Les élèves de la classe no 13 de l’École des beaux-arts de Lyon se lèvent et se dirigent vers la porte d’embarquement. Troisième bimestre, troisième envol : on commence à voir des amitiés se nouer dans le groupe. Dans l’aéroport, d’autres jeunes également en partance pour Tokyo les regardent avec envie car, en réalité, avoir des camarades de classe de son âge n’est plus monnaie courante.
Tout a commencé en 2025, lors de l’appel du Grand Réveil. Depuis quelques années déjà, l’automatisation exponentielle des métiers (chauffeurs, ouvriers du bâtiment, médecins, secrétaires…) avait fait disparaître de nombreux emplois. En mai, l’annonce officielle du licenciement du dernier comptable dans une entreprise du CAC 40 avait fait la une de tous les journaux. Les universitaires et les professionnels de l’éducation s’étaient unis pour appeler à un sursaut. Malgré la disparition de plusieurs filières, l’Homme ne devait pas devenir oisif, mais continuer à apprendre en permanence pour s’élever face à la machine.
Un an plus tard, Alphabet avait financé le projet colossal de la Suédoise Yane Zumero : WorldKnowledge, une sorte de Google Maps de la connaissance, qui fut immédiatement un succès. Répertoriant tous les savoirs de la planète, ce nouvel onglet sur le moteur de recherche permettait d’avoir accès en un clin d’œil à toutes les compétences autour de soi. Ainsi, un génie de 12 ans pouvait donner des cours à un quadragénaire, et un ancien codeur apprendre à ce même enfant à créer son site, le tout basé sur un échange vertueux et infini. Connaissances scientifiques et littéraires, savoir-faire artisanaux… pour noter les nouveaux apprentissages, WorldKnowledge a vite développé l’outil « badges », donnant la possibilité à chaque professeur de noter son élève ou à chaque élève de noter son professeur, pour le recommander aux suivants. Visibles de tous, les badges de compétences ne concernaient pas seulement les apprentissages purs, mais également les soft skills (empathie, gentillesse, expression orale...). Bien plus parlant qu’un simple diplôme, WorldKnowledge a fini par complètement supplanter les universités aux yeux des employeurs, car il présente un panorama plus complet du candidat parfait… et l’avantage de reconnaître ceux qui n’ont pas eu de nouveau badge, et donc de soif de développement personnel, pendant trop longtemps.
En 2030, il ne reste ainsi que 20% des jeunes entre 18 et 22 ans inscrits à l’université en Europe, les autres préférant choisir leurs enseignements à la carte via la fonctionnalité Google (choix plus valorisé par les entreprises qui recrutent encore, car synonyme d’autonomie). Par ailleurs, les universités ont toutes transformé leurs bachelors et leurs masters en programmes itinérants d’un ou deux ans maximum. Les classes ainsi formées naviguent ensemble à travers le monde pour apprendre aux côtés des meilleurs professeurs du secteur, payés une fortune par les doyens pour donner des apprentissages exclusifs à leurs élèves afin de leur faire vivre ce que l’on appelait jadis « l’expérience étudiante ». C’est le cas des élèves de la classe no 13 de l’École des beaux-arts de Lyon, qui viennent tout juste de décoller pour retrouver le professeur Naoki Nobuyuki, spécialiste no 1 mondial des estampes japonaises.
Le Grand Programme des 30 %
2027 a été une année charnière pour la France, qui est devenue le premier pays au monde à mettre en place le « Grand Programme des 30 % ». Après une décennie de crises multiples (qui avaient commencé par les Gilets-jaunes et la Covid-19 avant de laisser la place aux méga-feux de 2024 et aux évacuations des villes du SudEst), de grands projets écologiques avortés et de mouvements sociaux, le taux d’aversion à la politique à la veille des élections présidentielles de 2027 était sans précédent. Presque aucun candidat traditionnel en compétition ne séduisait les Français, et les projections d’abstention pour la présidentielle à venir frôlaient les 85%. Six mois avant le jour J, pourtant, un candidat inconnu s’était déclaré, grimpant très vite en tête des sondages avec une idée nouvelle : constituer un gouvernement uniquement composé de personnes neuro-droitières.
Représentant 30 % de la population, les neuro-droitiers ont longtemps été classés dans la catégorie des intuitifs, des émotifs, des sensibles… ceux-là dont on estime aujourd’hui, avec le recul, qu’ils ont été sous-valorisés par l’Éducation nationale avant sa Grande Réforme de 2027, quand elle misait encore tout sur l’analytique et les matières scientifiques. La promesse du candidat Bhelma était claire : il est temps de laisser la place à de nouvelles manières de voir la société.
Pour coller à cette approche du monde plébiscitée par les Français, la première loi votée à l’Assemblée fut celle de la ministre de l’Éducation nationale Sylvia Reinhardt : un texte pour enfin supprimer le système préhistorique des notes et évaluer à la place les élèves par Points d’Ouverture d’Esprit (POE), et ce, de la maternelle à l’université. Les Points d’Ouverture d’Esprit sont non seulement un moyen de juger les élèves sur leurs compétences, comme le recommandaient de nombreux professionnels de l’éducation depuis quelques années déjà, mais aussi de mesurer leur capacité à adopter de nouvelles façons de penser. C’est avec cette idée que Sylvia Reinhardt avait obtenu le soutien quasi complet de l’Assemblée lors de son discours resté célèbre : « Osons sortir enfin de l’académisme qui a éloigné des quantités d’enfants du système scolaire. Osons se dire qu’il y en a assez de la robotisation et du “par cœur”. En continuant ainsi, aucun futur ingénieur, aucun futur penseur ne pourra proposer demain des solutions pour nous sauver du chaos environnemental et social. Il faut que nos jeunes s’inspirent entre eux pour cumuler des manières toutes fraîches de voir le monde et nous offrir à tous une chance de vivre ensemble sur le long terme. »
Aujourd’hui, la notation sur vingt a donc complètement disparu au profit des Points d’Ouverture d’Esprit évalués en fonction de chaque compétence nouvelle apprise et de la capacité de l’élève à la faire résonner avec d’autres. La mise en place de ce système a notamment été possible grâce aux progrès considérables en matière de réalité virtuelle. Désormais, la plupart des examens se passent sur des logiciels en VR, pour mettre à l’épreuve les connaissances in situ et analyser les réactions des élèves dans des situations diverses. Après deux années d’expérimentation, cette nouvelle technique a déjà fait ses preuves et a permis de débloquer des types inédits de réflexes et d’approches complexes dans plusieurs domaines de recherche. Et plus personne n’aurait l’idée saugrenue de noter les élèves sur une échelle de 1 à 20.