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Une éducation retardée

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Les élèves français ont été contraints de laisser les bancs de l’école durant deux mois, lors du premier confinement. Pour ce deuxième confinement, le gouvernement a jugé nécessaire de laisser les écoles ouvertes pour permettre la continuité de l’éducation scolaire. Mais quel impact a eu ce confinement sur le niveau des élèves présents à l’école élémentaire ?

©Anthony Comberousse

En ce début d’année scolaire, les élèves d’école primaire ont dû remplir un livret de positionnement, pour évaluer leur niveau et les possibles retards pris sur les notions qu’ils sont censés maîtriser. L’information qui ressort, c’est que les compétences normalement travaillées en mars et avril ne sont pas acquises. Un constat partagé par les enseignants, « sans surprise, tout ce qui n’a pas été travaillé en classe a échoué […] Il faut repartir de zéro pour plusieurs notions, à l’image des fractions avec ma classe de CM2 », explique Amélie Durant*, enseignante lyonnaise depuis 15 ans dans le primaire. L’attitude des élèves a également été grandement touchée, avec une concentration en classe plus difficile à obtenir qu’avant. « Le métier d’élève a été perdu » constate-t-elle. Cependant, elle se veut rassurante en affirmant que ce n’est qu’une

Avec deux mois de cours chez eux, les élèves n’ont pas eu accès aux mêmes conditions, causant de la disparité aujourd’hui

question de temps avant que les élèves reprennent une attitude scolaire.

« Deux ans en un an »

Rattraper ce décalage scolaire est possible, cela passe forcément par un plus gros investissement de la part des enseignants qui vont devoir pour certaines notions reprendre les bases, mais aussi pour les élèves qui doivent faire « deux ans en un an ». Selon l’institutrice, les élèves en sont totalement capables. Un autre problème se pose toutefois. Tous n’ont en effet pas eu les mêmes conditions de confinement, pas le même suivi, pas le même matériel, créant donc une grande disparité entre leurs difficultés. Il faudrait alors un accompagnement plus personnel pour les élèves, mais malheureusement cela reste compliqué. « J’ai 28 élèves, c’est très difficile de leur accorder individuellement le temps nécessaire [...] Je ne suis pas satisfaite par le temps que j’ai à leur consacrer ». Pour cela deux solutions sont possibles selon elle : soit il faut moins d’élèves par classe, soit à l’inverse, deux instituteurs par classe. Dans les deux cas, ce qu’il semble manquer, c’est le nombre d’enseignants, visiblement insuffisant pour assurer la meilleure éducation possible.

Ce décalage scolaire n’est vraisemblablement pas une fatalité pour l’enseignante lyonnaise. « Ce n’est pas infaisable, les élèves ne s’arrêtent jamais d’apprendre de toute manière […] ils ont loupé deux mois, pas leur scolarité », conclut-elle.

Léo Ballery

Une putain d’épidémie

Clientèle raréfiée, ressources évaporées, associations débordées et travailleuses précarisées, la prostitution se porte mal quand elle est confinée. C’est le bilan dressé par les travailleurs et travailleuses du sexe (TdS) après neuf mois de crise sanitaire. La nouvelle quarantaine place les TdS dans une situation économique impossible.

Dans le secteur de la prostitution, elles sont nombreuses à avoir continué leur activité cette fin d’année malgré les dangers pour leur santé. Une décision qui relève moins du choix que de la nécessité pour Cybèle Lespérance, secrétaire générale du Strass (Syndicat du Travail Sexuel). «Lors du premier confinement, les premières semaines, on peut dire qu’il y a eu une observation très forte du confinement et des règles. Les seuls endroits où on a vu que les gens se maintenaient au travail, c’est les personnes qui vivent dans leur camionnette, qui souvent ne comprenaient pas bien la situation», se souvient la militante.

Si le premier confinement a été largement respecté, selon la secrétaire générale du Strass, les prostituées sont arrivées au bout de leur résilience économique. «On se retrouve dans une situation où les personnes risquent de devenir SDF», racontet-elle. Le Syndicat rapporte une détresse importante de la communauté, inspirée par la peur de la maladie, mais surtout par «la crainte la plus immédiate, celle de perdre son logement, de ne plus pouvoir manger».

Des traitements interrompus

Malgré les risques liés à l’épidémie, la contamination à la Covid-19 n’est pas le seul écueil sanitaire pour les TdS. «On a deux collègues qui ont succombé à la maladie mais aussi des collègues qui sont mortes à la suite du Sida, raconte Cybèle. Pour la trithérapie, il y a eu des ordonnances de renouvellement automatique, mais l’information n’est pas toujours parvenue aux personnes concernées. Des personnes séropositives se sont retrouvées en rupture de traitement, ce qui a entraîné des remontées de la maladie qui sont difficiles à contrôler.»

Une cagnotte de 66 000 € allouée

Pour venir en aide aux travailleuses, les associations ont mis en place des dispositifs sanitaires et économiques. «Il y a eu la distribution de colis alimentaires ou sanitaires», explique-t-elle, mais aussi un travail de médiation auprès des propriétaires d’appartements loués par des prostituées. Le fait de louer un appartement à une prostituée, travaillant chez elle, est un acte de proxénétisme hôtelier passible de sept ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende. «Dans le cadre d’une pandémie, si le voisinage commence à s’inquiéter que la pute rapporte la Covid, (sic) c’est le moment pour eux de se débarrasser de ces personnes», explique Cybèle.

Pour les aider à subvenir à leurs besoins, le Strass et les associations ont organisé des collectes de dons au bénéfice des TdS. «On a fait une cagnotte, on a récupéré 66 000 € au premier confinement et la redistribution a été chaotique», explique la TdS affiliée. De nombreuses tentatives de fraude ont mis les militantes du Strass en tension. Sous la pression de la crise, leurs effectifs actifs ont diminué de moitié. Pour ce deuxième acte, le syndicat n’a pas renouvelé l’action, préférant «se concentrer sur les activités de plaidoyer et d’information.»

«Attraper la Covid ou mourir de faim»

L’impact de la Covid-19 sur les conditions des professionels du sexe a été immédiat. Après deux mois de confinement et un été au ralenti, la situation des TdS se complique de semaine en semaine. Deux escorts lyonnaises racontent leur crise sanitaire, entre précarité et angoisse.

«Le confinement m’a pris toutes mes économies.» L’annonce n’a rien d’étonnant, dans un secteur qui ne connaît pas le chômage partiel, mais elle traduit le sentiment de détresse ressenti par une majeure partie des travailleuses du sexe. Comme beaucoup de ses collègues, Morgane a respecté le premier confinement. «J’ai eu un seul client pendant toute la durée du confinement, parce que je le connaissais bien», raconte-t-elle, «un client en deux mois c’est extrêmement difficile financièrement.» Pour elle, pas question d’arrêter à nouveau son activité. «À l’époque, Beverly Ruby j’habitais dans un logement manifeste contre le confiqui m’était loué par un ami et nement place je pouvais payer le loyer même Bellecour le 11 avec trois mois de retard vu la novembre situation. Aujourd’hui je suis dans un appartement où j’ai fait croire à mes propriétaires que je suis ingénieure et que je suis en télétravail», confie-t-elle, «autant dire que je ne peux absolument pas me permettre de ne pas payer mon loyer à la fin du mois !»

Si interrompre son activité met ses économies en danger, impossible pour elle d’exercer sans s’exposer au virus. «Si on mettait en place des protections, elles ne seraient pas suffisantes et elles rendraient le tout incroyablement bizarre. Des collègues ont proposé que l’on fasse juste des levrettes avec un masque mais ça serait sinistre et surtout extrêmement glauque».

«On a le choix entre attraper la Covid ou mourir de faim», explique Beverly Ruby, escort-girl, confrontée à ce même choix impossible. «On nous dit qu’on n’a qu’à s’adapter. Que si on ne peut plus faire de réel on n’a qu’à se mettre sur internet et à faire de la webcam. Comme si c’était si facile, déplore-t-elle, on n’irait pas demander à un boulanger de devenir maçon du jour au lendemain. C’est des métiers différents qui ne demandent pas les mêmes savoir-faire».

«J’ai pas l’intention de te payer mais on va baiser quand même»

La crise a un impact sur le nombre de clients mais aussi sur leur comportement. «Durant ce genre de période, on perd une partie des «bons clients», explique Morgane. Ces clients respectueux des TdS sont aussi plus susceptibles de respecter les règles du confinement. «Quand on a ©Beverly Ruby beaucoup de propositions, on a tendance à faire super attention et à éviter ceux qui promettent d’être des mauvais clients», explique-t-elle. Mais on se retrouve à devenir moins difficiles quand on en a de moins en moins.» Avec la raréfaction de la clientèle et la précarisation des TdS, le rapport de force avec les clients s’inverse de plus en plus et entraîne des comportements inappropriés comme «des clients qui deviennent violents, irrespectueux ou tentent d’obtenir des trucs sexuels que l’on ne fait pas», témoigne-t-elle. «C’est inquiétant qu’une personne ait mon adresse et se permette de monter et d’expliquer la bouche en cœur : J’ai pas l’intention de te payer mais on va baiser quand même.»

Si au premier confinement, les mouvements de solidarité organisés par les associations leur ont permis de garder la tête hors de l’eau, elles sont désormais les seules actrices de leur survie. Antoine Desvoivre

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