Livret exposition 1936, greves en Isere

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“1936 ne fut pas seulement des manifestations bon enfant et des meetings gigantesques, associés dans la mémoire populaire aux congés payés et à la semaine de 40 heures : il s’agissait d’une gigantesque grève de masse, suscitée dans la classe ouvrière par la volonté de battre le fascisme, d’empêcher la guerre et d’imposer Simone Weil. In La Condition ouvrière, Paris, Gallimard, 1951 une autre société.” Agrégée de philosophie et écrivain, Simone Weil a été manœuvre chez Alsthom et Renault en 1934-1935

1936 GRÈVES EN ISÈRE

MUSÉE DE LA VISCOSE / ÉCHIROLLES


PRÉFACE André Vallini Président du Conseil général Député de l’Isère

C’est au regard de son caractère exemplaire que le Musée de la Viscose a été conforté par le Conseil général de l’Isère, qui a souhaité lui donner le statut d’établissement départemental. Fondé par des anciens ouvriers et techniciens au moment de la fermeture de l’usine, il est ensuite passé sous la tutelle de la Ville d’Échirolles avant d’être départementalisé. L’objectif des conseillers généraux est bien évidemment de lui donner les moyens de sa rénovation, mais de lui confier aussi une mission, d’intérêt départemental. Il s’agit en effet de constituer, autour du fonds initial, un établissement de conservation et de diffusion publique sur le thème de la mémoire ouvrière. On le sait, quantité de musées ont vu le jour pour témoigner de la “fin des campagnes” et des changements profonds qui ont affecté la vie traditionnelle en milieu rural. Rien de la sorte n’a été effectué s’agissant du monde ouvrier et de la société industrielle. Une part pourtant essentielle de notre mode de vie contemporain est redevable de l’histoire particulière vécue par ceux qui composaient alors le prolétariat, et redevable surtout à leurs luttes pour de meilleures conditions de vie et de travail. Que la préparation de ce futur musée de la Mémoire ouvrière commence par une évocation des grèves de 1936 en Isère constitue à cet égard un signe prometteur.

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AVANT-PROPOS SYLVIE VINCENT

1936 pour certains, 36 pour d’autres, une année emblématique, voire mythique, dans l’histoire du monde ouvrier puisque c’est elle qui voit l’application de la semaine de 40 heures et les premiers congés payés, l’occasion pour des milliers d’ouvriers de sillonner les routes de France en vélo et découvrir, pour la première fois, les joies de la mer en famille. Nombreuses sont les images qui renvoient à cette période que ce soit les scènes de débrayages et de grèves dans les usines, les poings levés lors de rassemblements de masse ou encore les bals et les flonflons dans une ambiance bon enfant. Mais au-delà des clichés, 36 c’est avant tout la victoire d’un front syndical et politique uni contre le fascisme et une formidable avancée sociale. Soixante-dix années nous séparent aujourd’hui de ces évènements, mais l’intérêt est toujours là, comme en témoignent les nombreux ouvrages ou articles parus à l’occasion de cette date anniversaire. Dans le département de l’Isère, c’est au Musée de la Viscose, désormais transféré au Conseil général, que revient l’honneur de présenter une exposition sur le thème des grèves de 1936 en Isère. Cet établissement culturel, promis, dans les années à venir, à être rénové, devrait être élargi au thème plus général de la mémoire ouvrière, grande absente du monde des musées et des lieux de mémoire. L’exposition 1936, Grèves en Isère, préfigure ce futur musée et nous invite, dès à présent, à la rencontre de ces hommes et de ces femmes, acteurs de l’histoire ouvrière en Isère et dont l’identité repose sur un fort attachement à une mémoire commune.

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LA CLASSE OUVRIÈRE EN 1934 & L’ÉMERGENCE DU FRONT POPULAIRE “NOUS FAISONS LE SERMENT DE RESTER UNIS POUR DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE, POUR DÉSARMER ET DISSOUDRE LES LIGUES FACTIEUSES, POUR METTRE NOS LIBERTÉS HORS DE L’ATTEINTE DU FASCISME. NOUS JURONS, DE DÉFENDRE LES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES CONQUISES PAR LE PEUPLE DE FRANCE, DE DONNER DU PAIN AUX TRAVAILLEURS, DU TRAVAIL À LA Serment du Front Populaire, le 14 juillet 1935 JEUNESSE ET AU MONDE LA GRANDE PAIX HUMAINE.” Ateliers et Chantiers de la Loire à Saint-Denis


LA CRISE ÉCONOMIQUE ET LA MENACE POLITIQUE En 1934, la France subit encore les dommages de la Première Guerre mondiale. En proie à une crise démographique et économique, la production industrielle ne progresse pas. Les ouvriers connaissent le chômage et la misère surtout dans les secteurs du textile, de la métallurgie et du bâtiment. Divisée entre la Confédération générale du Travail (C.G.T) et la Confédération générale du Travail Unitaire (C.G.T.U), la classe ouvrière n’est pas suffisamment puissante ni organisée pour lutter contre le “mur d’argent” des “200 familles”. Dans ce contexte de crise économique, des associations “nationales” appelées “ligues factieuses” émergent. Sous les noms de “Croix-de-Feu” ou “Camelots du Roi”, elles rêvent de renverser la République pour créer comme en Italie (1922), puis en Allemagne (1933), un régime fasciste. En janvier et février 1934, elles impulsent de nombreuses et violentes manifestations de rues. Face à cette menace grandissante, le 12 février 1934, des rassemblements ont lieu dans toute la France. Appelés par le Parti communiste et la Section française de l’Internationale ouvrière (S.F.I.O), les manifestants fusionnent en criant “Unité d’action”, “À bas le fascisme”. L’unité syndicale commence alors à se cimenter.

La Confédération générale du Travail unitaire est née en 1921 d’une scission de la Confédération générale du Travail. Elle regroupait syndicalistes révolutionnaires et communistes, mais fut rapidement dominée par ces derniers. L’union C.G.T-C.G.T.U, sous le sigle C.G.T, fut reconstituée au congrès de Toulouse en février 1936.

La Section française de l’Internationale ouvrière (S.F.I.O), née en 1905 de la réunion de différentes écoles socialistes, est l’ancêtre du Parti socialiste.

LE GOUVERNEMENT DU FRONT POPULAIRE L’unification syndicale et politique se confirme le 14 juillet 1935 lors d’une grande manifestation antifasciste. Ce jour là, les partis politiques de gauche, les syndicats et de nombreuses associations annoncent un programme commun en vue des législatives de 1936 : Le Front populaire. Le 3 mai 1936, le bloc du Front populaire remporte les élections législatives et un gouvernement est constitué avec, à sa tête, le socialiste Léon Blum. 9


Match de boxe aux Ateliers et Chantiers de la Loire, Saint-Denis

LES GRÈVES DE 1936 ET LES OCCUPATIONS D’USINE Cette victoire donne confiance au monde ouvrier qui déclenche un puissant mouvement de grèves dont les signes s’étaient déjà manifestés en avril et mai dans les usines aéronautiques au Havre (Bréguet), à Toulouse (Latécoère) et à Courbevoie (Bloch). Rapidement les grèves s’étendent à toute la France. Pour stopper cette déferlante, dès le 7 juin, Léon Blum réunit à l’hôtel Matignon les représentants du monde syndical ouvrier et du patronat. Ensemble ils signent les “accords Matignon” qui prévoient une hausse des salaires et la reconnaissance du droit syndical. Néanmoins, face aux hésitations du patronat pour mettre en place ces accords, les grèves se poursuivent tout au long du moins de juin et quelquefois jusqu’à l’automne.

SOUDAIN

Ce sont des “grèves sur le tas” caractérisées par l’occupation des usines. Les ouvriers prennent possession de leurs instruments de travail dans le calme et la discipline. Devant les grilles pavoisées de drapeaux rouges et tricolores, les piquets de grève contrôlent les entrées et sorties. À l’intérieur, le pouvoir est aux mains d’un comité de grève qui assure la discipline, la sécurité, le ravitaillement et les activités de loisirs. On joue aux cartes, aux boules, on écoute de la musique, on danse… Chaque jour lors d’une assemblée du personnel, les délégués rendent compte des négociations et donnent des consignes.

LE TRAVAIL CASSE SA CHAÎNE & POSE SON OUTIL Jacques Prévert, extrait d’un texte de 1936

“… Il s’agit après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence pendant des mois et des années, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes pendant quelques jours. Indépendamment des revendications cette grève en elle-même est une joie. Une joie pure. Une joie sans Simone Weil. In La Condition ouvrière, Paris, Gallimard, 1951 mélange. Oui une joie…”

L’heure du repas dans l’usine Christofle occupée, Saint-Denis

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LES GRÈVES EN ISÈRE “… EN 1936. C’EST L’ANNÉE OÙ LA CGT A EU DISONS 80 000 ADHÉRENTS. EN CE QUI CONCERNE LES RÉSULTATS DES GRÈVES DE 1936, CHEZ FIT NOUS AVIONS FAIT TROIS SEMAINES DE GRÈVE. ET JE ME RAPPELLE QU’EN CE QUI ME CONCERNE, MON SALAIRE HORAIRE ÉTAIT À L’ÉPOQUE DE 2 [FRANCS] 30. C’ÉTAIT UN SALAIRE INCONTESTABLEMENT, ANORMALEMENT BAS SELON LA FORMULE. D’AILLEURS DANS LES PRODUITS CHIMIQUES ET DANS LE CAOUTCHOUC, LE SALAIRE ÉTAIT UN DÉSASTRE…” Henri Vizioz (FIT). Témoignage recueilli par Clément Bon, militant syndical et instituteur et Robert Despres, agrégé d’histoire, en juillet 1976. Usine Experton à Renage


1934, VERS L’UNIFICATION SYNDICALE Depuis la scission de 1921, la Confédération générale du Travail (C.G.T) et la Confédération générale du Travail Unitaire (C.G.T.U) n’ont pas abandonné l’espoir d’une unité syndicale. Les menaces fascistes et la montée des problèmes sociaux vont favoriser ce rapprochement. En Isère, la grève nationale du 12 février 1934, organisée à l’initiative de la CGT et groupant syndicalistes, communistes et socialistes pour la “défense des libertés” remporte un très grand succès à Grenoble avec 30 000 personnes défilant dans les rues. De la même façon, la venue le 10 juin de Philippe Henriot, Député et membre d’organisations d’extrême droite, provoque une émeute place Saint-Bruno. Retranchés derrière des barricades, les ouvriers le font reculer avant de défiler triomphalement sur le cours Berriat. Dès lors, le courant unitaire est en marche. Alors qu’à Paris la CGT refuse les pourparlers demandés par la CGTU sur les créations syndicales uniques, le 18 septembre est créé en Isère le syndicat unique des métallurgistes, le 16 novembre celui des gantiers, le 20 celui des cheminots.

“… Il y a eu l’accord de 36 dans la métallurgie et des accords par entreprises : augmentation des salaires, etc. Voilà, ce que l’on a fait en 36. Moi, je prenais le train tous les soirs pour revenir à Voiron. Je restais voironnais. Sandra me dit, “tu restes à Voiron parce que là-bas ils savent plus quoi faire. Il y a des gens en pagaille, ils veulent se syndiquer” Je lui dis d’accord, je reste à Voiron et je m’occupe des syndicats…” Gaston Charreton, ancien secrétaire général de l’UD CGT-Isère Témoignage recueilli par Olivier Cogne (Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère) et Michel Szempruch (Association Repérages), le 14 février 2006

27 septembre 1935. Les délégués des deux Unions départementales (de gauche à droite) : - en haut : Ferrier, Henri Vizioz, Martial Roux, ?, ? , ? - au centre : André Labouret, Robert Lyaudet, Marius Clerc, Bouzanquet, Chabas - en bas : Leyssieux, Ferrand, Marcel Satre, Georges Sandra, Sulpice, Gabriel Barras

La manifestation du 14 juillet 1935 renforce encore la cohésion. Ce jour-là, à Grenoble, un cortège de 10 000 personnes marche de la place Saint-Bruno vers la place Notre-Dame derrière des drapeaux rouges et des banderoles défiant le patronat, la guerre et le fascisme. Devant le monument des Trois ordres, le professeur Blet, radical socialiste et républicain, ponctue la manifestation d’un discours et de la lecture du serment du Front populaire. L’unité syndicale est confirmée le 28 décembre 1935 lors du congrès départemental unitaire au cours duquel Georges Sandra est élu secrétaire général de la nouvelle Union. À ses côtés, on trouve Gaston Charreton, Henry Vizioz, Robert Lyaudet, Louis Mauberret, Louise Beau, Henri Suppo et bien d’autres qui seront d’actifs négociateurs lors des grèves ouvrières de 1936. Sur le plan politique, les socialistes obtiennent la majorité lors des élections législatives du 3 mai 1936. Sur huit députés, cinq sont socialistes (Justin Arnol, Léon Martin, Joannès Ravanat, Séraphin Buisset, Lucien Hussel), un radical socialiste rallié au Front populaire (Ginet) et deux radicaux indépendants (Perrin et Buyat). 15


LES OCCUPATIONS D’USINES Annonçant les explosions sociales de 1936, le conflit des mineurs de La Mure débute dès octobre 1935 suite à une baisse des salaires. Après s’être assurés de l’unité des deux syndicats CGT et CGTU, les mineurs déclenchent une grève des “bras croisés” de quatre heures le 25 décembre. Appuyés et soutenus par les syndicats, les partis politiques du Front populaire, les paysans et commerçants du plateau matheysin, les mineurs lutteront du 14 janvier au 24 février. À l’issue de ce long et douloureux conflit, ils obtiennent une hausse de salaire de 15 à 20 %, la levée des sanctions pour faits de grève et une garantie sur le nombre minimum de journées ouvrées par mois. À Grenoble, les grèves démarrent le 10 juin avec celle des établissements Merlin-Gérin qui entrent les premiers dans la grève. À 18 heures, les ouvriers ferment les grilles d’entrée et occupent les ateliers. Le personnel féminin assure le ravitaillement en couvertures et nourriture. Georges Sandra intervient directement dans ce conflit qui dure une seule nuit. Le 11 juin, également en soirée, c’est à l’entrée de l’usine Neyret-Beylier et Piccard-Pictet (Neyrpic) qu’un piquet de grève éclairé à la bougie se forme. Pendant la nuit, des chanteurs viennent distraire les ouvriers. Le lendemain, le conflit est réglé ainsi que chez Bouchayer et Viallet. À la Bourse du Travail, située rue Berthe de Boissieux, c’est l’effervescence. Les locaux débordent de militants ouvriers et de manifestants. Tous les corps de métiers se succèdent pour établir les cahiers de revendications destinés à un patronat hésitant quant à l’application des Accords de Matignon. Le 14 juin, un grand défilé rassemble les forces de gauche pour fêter les succès du “Front populaire” ce que le journal de La République du Sud-Est appelle : “La parade rouge du gymnase municipal”.

La soupe populaire aux mines de La Mure Les syndicats des produits chimiques de Grenoble Les femmes de la malle de triage des papeteries de France à Brignoud

Pendant la seconde quinzaine de juin, des établissements comme les Tanneries de l’Isère, Air Liquide, la peausserie Reynier ou Lustucru sont toujours occupés. Chez Valisère, plus d’un millier de personnes, dont une majorité de femmes occupent l’usine. Dans la journée, les ouvrières imaginent des concours de bonnets. Le soir, autour de l’usine, dans les jardins transformés en terrain de pique-nique, les ouvriers de l’entreprise F.I.T. les rejoignent avec leur jazz et des bals s’organisent. 17


“… Pour les accords dans les aciéries de Bonpertuis, ça s’est discuté à la mairie d’Apprieu jusqu’à 3 heures du matin. Toute la nuit ! Le patron, il s’endormait ! Mais nous, tu penses, on dormait pas. On lui a fait signer un accord à trois heures du matin… […] Oui ! En 1936, on a fait la fête, à tel point que je sais pas si on a pas eu tort. Chaque boîte avait un char et le char précisait le travail qu’ils faisaient. Par exemple les biscuits Brun, ils avaient monté une machine à faire les biscuits !…” Gaston Charreton, ancien secrétaire général de l’UD CGT-Isère Témoignage recueilli par Olivier Cogne (Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère) et Michel Szempruch (Association Repérages), le 14 février 2006

Un orchestre s’installe également dans les services d’emballage des établissements Cartier-Millon. À Saint-Martin d’Hères, la grève dans la biscuiterie Brun dure une journée et demie. Monsieur Paul Billat, ouvrier confiseur et porte-parole de la délégation syndicale, obtient alors des résultats spectaculaires quant aux hausses de salaires. Pour le remercier, le 15 août, les ouvriers organisent une fête au cours de laquelle ils lui offrent un vélo et un chronomètre. Parallèlement à ces occupations d’usines, certains conflits se durcissent avec le temps comme chez les garçons de café qui, malgré un accord signé le 20 juin, doivent faire face à des menaces de licenciement, et réactivent, de ce fait, le mouvement. Pour l’anecdote, lors d’une rixe entre grévistes et militants d’extrême droite mandatés par les patrons, Georges Sandra perdra deux dents. Le Travailleur Alpin du 27 juin 1936 relate la demande d’intervention de ce dernier au préfet dans un conflit qui prend alors une tournure politique.

Les établissements des chaussures Pellet, à Vienne

Le 2 juillet 1936, La Dépêche Dauphinoise fait état de 291 accords signés à la préfecture de l’Isère, intéressant 50 000 salariés. Le préfet est souvent désigné comme médiateur entre ouvriers, syndicats et patrons pour leur élaboration. À la fin du mois d’août, les patrons de la métallurgie refusent toujours d’augmenter les salaires et d’appliquer à Grenoble, l’accord obtenu dans la région lyonnaise. Il s’ensuit un mouvement de protestation qui se prolonge tout au long du mois de septembre.

Bal des grévistes aux Usines Merlin Gerin Usines d’Électro-chimie à Brignoud Les papeteries de Lancey

De l’origine du conflit à la négociation des conventions collectives, Louise Beau chez Valisère, Henri Vizioz chez F.I.T, Marius Boulogne dans les papeteries et fonderies du Grésivaudan, Marius Clerc chez les fonctionnaires de la ville de Grenoble, ou encore Gaston Charreton à Voiron, tous jouent alors un rôle primordial. 18

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DATES DES PRINCIPALES GRÈVES À GRENOBLE ET EN ISÈRE Source Archives départementales de l’Isère

4 juin Les ouvriers de Merlin Gerin déposent leur cahier de revendications. Ils occupent l’usine le 10 juin à partir de 18 heures et obtiennent un accord le 11 juin. Les ouvriers de Neyret & Beylier et Piccard & Pictet (Neyrpic) déposent leur cahier de revendications. Ils occupent l’usine le 11 juin et obtiennent un accord le 12 juin. 12 juin Une première réunion a lieu chez Valisère qui débouche sur un cahier de revendications déposé le 13 juin. Le 15 juin, l’usine est occupé et les accords sont signés le 21 juin. Occupations : Para ; F.I.T ; Berliat ; Dragon. 13 juin Occupations : Limousin & Descours ; Les mines de La Mure. 15 juin Occupations : Cartier-Million ; Le Prophète ; Moynet & Odet (papeterie) ; les tôleries Vialis ; Confiserie des Alpes. 16 juin Grèves : mégisseries Reynier ; Meissonier ; Air liquide ; Belle-Clot. Les ouvriers des Tanneries de l’Isère déclenchent une grève qui aboutit sur un accord le 18 juin. Les ouvriers de la Viscose présentent un cahier de revendications. La grève débute le 18 juin et les accords sont signés le 24 juin. 17 juin Un accord est signé pour les garçons de café qui déclenchent une nouvelle grève le 22 juin. Occupations : bâtiment ; plombiers-zingueurs ; Papeterie Nicolet ; camions et transports ; Teinturerie Naudin. Fermeture des Galeries Modernes et des Dames de France face aux menaces de grèves. Des accords sont signés le 6 juillet. 18 juin Grèves : Brun (Saint-Martin d’Hères) ; Prosper David ; Nicollet et Roux. 19 juin Malgré un accord signé pour les électriciens, ils déclenchent une nouvelle grève le 17 octobre. Un nouvel accord est signé le 26 octobre. 20 juin Grèves : Vicat ; Petrolier ; Grands Magasins. 23 juin Occupations : les teintureries-dégraissages : Chounet ; Lerat.

SOUDAIN

25 juin Grève : les cinémas. 29 juin Les chômeurs occupent le fond de chômage. 1er juillet Grève : garçons coiffeurs.

LE TRAVAIL CASSE SA CHAÎNE & POSE SON OUTIL

4 juillet Conflits : papeteries. 11 juillet Grève : Asile Saint-Robert.

Jacques Prévert, extrait d’un texte de 1936

30 juillet Les ouvriers photographes entrent en grève. Un accord est signé le lendemain. 1er août Assemblée générale des ouvriers métallurgistes. Réouverture des pourparlers le 25 août. Grève décidée le 2 septembre et accord le 26 septembre. 2 août Grève : Belle-Clot à la suite de 12 licenciements, accord le 5 août. 4 août Grève : dans 17 mégisseries à la suite de renvois. 13 août Grève : Delachenal. 12 octobre Grève : Manufacture Franco-Suisse de ski. 17 octobre Grève : usine Terray (mégisserie), renvoi de 20 ouvriers. 20

Les grévistes de la Viscose gardent l’entrée de l’usine côté “Drac”


L’EXEMPLE DE L’USINE DE VISCOSE À GRENOBLE La Société nationale de la Viscose, créée en 1925 par l’industriel lyonnais Edmond Gillet, est installée sur les bords du Drac, à la frontière des communes de Grenoble et d’Échirolles. En 1936, cette entreprise de soie artificielle emploie près de 700 ouvriers. Du 18 au 24 juin, l’usine, alors dirigée par monsieur Pierre Fries, est occupée par les ouvriers. Ces derniers demandent la distribution de lait pour ceux qui travaillent devant les bains d’acide, la fourniture de vêtements spéciaux et avant toute chose : une augmentation des salaires et la suppression du système de primes au rendements mis au point par Charles Bedaux et instauré dans l’usine en 1927. Dès le 19 juin, toutes les demandes sont acceptées par la direction sauf les revendications salariales qui doivent être présentées aux dirigeants du consortium à Lyon. Les ouvriers continuent donc d’occuper l’usine. Dans le calme, ils font tourner les machines à vide pour éviter toute détérioration. Sur la porte de la menuiserie où est installé le comité de grève, ils ont fixé une bannière rouge avec trois mots “calme, dignité, loyauté” et ont fabriqué un cercueil destiné à recevoir la dépouille du système Bedaux. En haut de la cheminée de l’usine flottent le drapeau tricolore et le drapeau rouge. Dans la matinée du 19 juin, les ouvriers reçoivent la visite du Docteur Martin, député de l’Isère ainsi qu’une délégation d’ouvriers et ouvrières de Valisère.

Intérieur de l’usine de la Viscose, les ateliers sont occupés

Le comité de grève est présidé par le responsable syndical Galléa. Lors des assemblées générales, il transmet aux grévistes les résultats obtenus au cours des discussions avec la direction. Ses paroles sont instantanément traduites par les représentants qualifiés des sept nationalités travaillant à l’usine : espagnols, italiens, polonais, hongrois, russes, allemands et arméniens. À la fin des discours, les ouvriers chantent l’Internationale sous les fenêtres de la direction.

“ Je m’en souviens bien. On venait tous les matins pour faire le piquet. Le chef de service faisait grève, mais il nous pointait quand même. On dansait, on faisait des chapeaux dans la cour. Quand les patrons rentraient, on ne sifflait pas. Toutes les machines ont été arrêtées. Ça a duré trois semaines, sans disputes. L’usine avait environ 500 ouvriers et ouvrières. On ne faisait pas de politique. Tout le monde était à la CGT, il n’y avait pas d’autre syndicat ! on a mis le drapeau rouge en haut de la grande cheminée, mais c’était bon enfant. Ce n’était pas chacun de son côté comme après.”

Le 24 juin vers 17 heures, les ouvriers obtiennent gain de cause et évacuent immédiatement les ateliers. L’accord signé met en application le plan Matignon et donc entérine une augmentation des salaires et la suppression du système Bedaux qui imposait un rythme de travail harassant.

Antoinette Moro. Fille de cultivateurs d’Échirolles, elle entre à l’usine à l’âge de 16 ans.

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Charles Bedaux (Paris 1888 Miami 1944) - Ingénieur français qui mit au point un système de mesure du temps de travail, applicable dans l’exécution de toute espèce de tâche. L’unité de mesure était le point-minute, ou point-Bedaux. Inspiré du Taylorisme, il s’agissait d’un système de prime au rendement. Au cours des grèves de 1936, le système Bedaux cristallise une part importante des revendications ouvrières dans l’industrie textile comme dans l’industrie automobile, notamment chez Peugeot à Sochaux.


Pendant les grèves de 1936, j’ai passé les huit jours dans l’usine, nous dormions sur place. La journée c’était le bal, là où il y a les vélos. Avec un accordéon, on dansait. Les syndicats ont obtenu que les jours de grève soient payés, en plus de l’augmentation générale des salaires et des premiers congés payés.”

Raymond Ogier. Il entre à l’usine en 1929, à l’âge de 16 ans.

Dans la cour de l’usine

Piquet de grève devant l’entrée de l’usine

Les grévistes

Bannière rouge et cercueil du “Bedaux”

Le responsable Galléa et les traducteurs lors d’une assemblée générale

Les filles tricotent sur le crassier de l’usine

En 1936, c’était la fête dans l’usine ! Le portail était fermé, il y avait un cercueil devant. J’ai couché dix jours sur les balles de déchets de rayonne. J’ai fait la grève parce que l’usine m’a laissé un mois sans boulot au retour du régiment, en octobre 1936. Je suis monté avec un autre accrocher un drapeau rouge au sommet de la cheminée.”

Départ pour une manifestation

René Morel. Fils d’un boulanger d’Autrans, il entre à l’usine en 1928, à l’âge de 14 ans.

L’usine est occupée dans la bonne humeur

Grévistes devant le poste de garde à l’entrée de l’usine

Élection des rois et reines de beauté

Après l’assemblée générale, un cortège se forme…

… Le cortège part vers le crassier afin d’enterrer le “Bedaux”

Souvenir de la grève (carte postale)


L’ŒUVRE DU FRONT POPULAIRE

Membre de la société des alpinistes de La Mure, 1939

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L’ŒUVRE LÉGISLATIVE DU FRONT POPULAIRE

LE TEMPS DES LOISIRS

Le Front populaire a accompli une œuvre législative considérable en un très bref laps de temps : création des congés payés, institution de la semaine de 40 heures, conventions collectives par branches professionnelles, nationalisation des usines de guerre, création de la SNCF et de l’Office interprofessionnel du blé, instauration du contrôle direct de l’État sur la Banque de France.

La réduction du temps de travail conjuguée à l’obtention de congés payés entraîne une nouvelle forme de penser. Les Français ont désormais du temps pour les loisirs. Au cinéma, ils découvrent Pépé le Moko de Julien Duvivier avec Jean Gabin, Les Bas-fonds de Jean Renoir ou encore Les temps modernes de Charlie Chaplin. Mais, le film le plus emblématique du Front populaire reste La Marseillaise de Jean Renoir. Clamant la lutte des classes, il a été en partie financé par la C.G.T et le P.C.F grâce à une souscription populaire. Faute de producteur, le “peuple” a produit son film. Au théâtre, dès 1932, Jacques Prévert donne naissance au théâtre populaire. Avec la création de la troupe Octobre, il veut faire du théâtre un instrument de lutte. Après la guerre, Jean Vilar prolongera ce combat avec le Théâtre national populaire.

REPÈRES CHRONOLOGIQUES 1900 Journée de travail de 10 heures

Si cette “révolution culturelle” est surtout impulsée par de nombreux artistes, chanteurs, écrivains et intellectuels, on doit rendre également hommage à deux ministres d’État. Tout d’abord, Jean Zay, ministre de l’éducation nationale, qui prolonge la scolarité de 13 à 14 ans. Il crée également un sous-secrétariat d’État à la Recherche scientifique, se bat pour la lecture publique et imagine les Bibliobus. Dans les écoles, il instaure la demijournée de plein air et augmente les taux des bourses d’enseignement pour les familles modestes. Il est aussi l’initiateur du musée des Arts et Traditions populaires à Paris. Puis, Léo Lagrange, sous-secrétaire aux Sports et aux Loisirs, instaure les billets de congés payés afin de permettre à des centaines de milliers d’hommes et de femmes, qui n’ont jamais eu de vacances de leur vie, de prendre le train pour les grands départs vers la mer, la campagne ou la montagne. Il crée également des théâtres populaires, la Fédération sportive et gymnique du Travail, les écoles de ski et développe le mouvement des auberges de jeunesse.

1905 Journée de travail de 8 heures pour les ouvriers des mines 1906 Le repos dominical est imposé Création du ministère du travail 1910 Loi sur les retraites ouvrières et paysannes 1919 Journée de travail de 8 heures et semaine de 48 heures 1932 Loi créant les allocations familiales pour tous les salariés 1936 Premiers congés payés d’une durée de 15 jours et semaine de 40 heures 1945 Ordonnance sur la Sécurité Sociale obligatoire pour tous les salariés 1950 Création du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) 1956 Troisième semaine de congés payés 1967 Création de l’Agence nationale pour l’Emploi (ANPE) 1969 Quatrième semaine de congés payés 1982 Cinquième semaine de congés payés et semaine de 39 heures 1998 Loi Aubry sur la réduction du temps de travail. Semaine de 35 heures

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Sources et Bibliographie - Bon Clément, Étapes du syndicalisme de l’Isère, Éditions du Centre de documentation du Travail, 1977. - Bon Clément, Les biscuits Brun, Éditions SMH Histoire-Mémoire vive, 1997. - Garnier Jean, Chronique des mines de La Mure, 2001. - Meunier Sylvie, Les syndicats ouvriers à Grenoble 1934-1939, mémoire de maîtrise, 1987. - Saccoman Pierre, Le Front populaire à Grenoble 1934-36, diplôme d’études supérieures d’Histoire, Faculté de lettres de Grenoble, 1966-1967. - Weil Simone, La Condition ouvrière, Paris, Éditions Gallimard, 1951. - 1936, Un printemps en Isère. La campagne électorale de mai et juin 1936, Service Éducatif des Archives Départementales de l’Isère, 1996. - Comité d'Etablissement Schneider Electric Grenoble, Les gens de merlin, Paris, Les Editions de l'Atelier, 1997. - Mémoires de Viscosiers, Éditions des Presses Universitaires de Grenoble, 1992. - Hors série “L’Humanité” 1936, Front populaire, L’Espoir, mai 2006. - Cahier n° 2 de l’Institut CGT d’Histoire Sociale de l’Isère, juin 2003. - Les Années Viscose, revue n° 2. Association Naviscose – Mémoire de Viscosiers, 1994. - Presse locale : Le Petit Dauphinois, La Dépêche Dauphinoise, Le Travailleur Alpin.

Iconographie & crédits photographiques - Archives municipales de Saint-Denis (pages 6, 10) - Archives départementales de l’Isère (page 8) - Institut CGT d’Histoire Sociale - Centre d’archives sociales de l’Isère (pages 12, 16a, 18b) - Musée dauphinois - Conseil général de l’Isère (pages 14, 16b, 18a, 18d, 26) - Musée de la Viscose - Conseil général de l’Isère (couverture et pages 9, 21, 22, 24, 25, 28, 29) - Photographie extraite de l’ouvrage Les gens de Merlin, avec l’aimable autorisation du C.E Schneider Electric Industries Grenoble, ex-C.E Merlin Gerin (page 18c) - Photographie extraite de l’ouvrage Chronique des mines de La Mure de Jean Garnier, avec l’aimable autorisation de madame Garnier (page 16c)

Animations autour de l’exposition - Samedi 18 novembre 2006 Lecture musicale avec Françoise Trémeau et Jean Waltz - Mardis 13 et 27 mars 2007 Ateliers d’écriture animés par la Maison des Écrits (Ville d’Échirolles)

Ce livret accompagne l’exposition 1936, Grèves en Isère présentée au Musée de la Viscose du 16 septembre 2006 au 31 mars 2007 Projet coordonné par Élise Turon Gravure Alias, Poisat Graphisme Richard Bokhobza (atelier Octobre) Impression Imprimerie des Deux-Ponts, Eybens © Musée de la Viscose, Échirolles, 2006. Le musée est un service du Conseil général de l’Isère.


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