NUMÉRO 9 / NOVEMBRE 2013
« Comme le pays est joli, parole de palette ! » C’est ainsi que le jeune
Diodore Rahoult rend compte en 1837, dans son Journal, de l’émotion ressentie avec son Diodore Rahoult 1846, par Louis Gustave Ricard Musée de Grenoble
ami le peintre Henri Blanc-Fontaine devant les coteaux pittoresques qui bordent la plaine du Drac à Champ. Il en appelle à son précieux accessoire de peintre pour donner plus de force à l’expression de ce sentiment poétique. Poursuivant l’exploration des regards portés par les artistes d’hier et d’aujourd’hui sur l’Isère et les Alpes, le musée revient, en lien avec la Bibliothèque municipale de Grenoble, sur l’œuvre d’un peintre du XIXe siècle tombé dans l’oubli : Diodore Rahoult. Après l’exposition Les Alpes de Doisneau qui a posé un regard curieux sur la société du XXe siècle, Rahoult nous propose une autre rencontre, cent ans plus tôt, avec ses contemporains, qu’il dépeint avec une sensibilité que l’on pourrait
Les Joueurs de boules Vers 1868, collection particulière Une mise en scène d’une partie de boules dans la cour d’un cabaret avec des figurants en tenue du XVIIIe siècle.
aujourd’hui qualifier d’ « humaniste ».
Diodore Rahoult est en effet un peintre de genre, catégorie picturale particulièrement en vogue sous le Second Empire. S’il réalise aussi des paysages de qualité, il s’intéresse principalement à la représentation de la vie quotidienne, que celle-ci soit mise en scène dans un passé réinventé ou prenne pour décor le monde qui l’entoure. Au gré de son travail, Diodore Rahoult nous plonge dans l’étude de sa province natale, le Dauphiné, avec ses mœurs et ses coutumes ; dans le pittoresque des figures italiennes découvertes lors de ses voyages ultramontains, ou encore dans des scènes édifiantes du passé autour de thèmes empruntés à la littérature. Il pose aussi un regard critique sur la société dans laquelle il vit, dénonçant à travers sa peinture la détresse et la misère ou encore les abus du pouvoir impérial.
Le Gros Chêne, souvenir de Craponoz Vers 1849, collection particulière D. Rahoult peint à plusieurs reprises le ruisseau de Craponoz qui dévale le long des falaises de Chartreuse jusqu’à Bernin et la plaine de l’Isère. Ce paysage construit autour du gros chêne est animé par la présence d’une lavandière et d’un attelage de bœufs au milieu du torrent.
[Pont et bords de l’Isère] Sans date, collection particulière Une œuvre sans doute peinte d’après un tableau réalisé par H. Mollard.
Issu d’une famille de commerçants grenoblois - son père était confiseur- Diodore Rahoult montre des dispositions précoces pour la peinture et le dessin. Après avoir profité de l’enseignement délivré par son maître grenoblois, le peintre Horace Mollard, il part à Paris en 1842, en compagnie de Blanc-Fontaine, pour se former trois années durant dans l’un des plus prestigieux ateliers de peinture de la capitale, celui de Léon Cogniet. Il acquiert une solide technique picturale basée sur le dessin et le fini, étudiée d’après les œuvres de son maître mais aussi d’après les collections du Louvre. En 1846, il part seul en Italie pour parfaire sa formation et sa culture artistique. À son retour, il installe son atelier à Grenoble, ville qu’il ne quittera plus. Son œuvre est marqué par une facture académique et néo-classique qui laisse deviner son goût pour la suprématie du dessin et la précision du trait. Toutefois, à l’égal de ses contemporains peintres de genre, son travail est enrichi de l’influence des courants artistiques de son temps, du romantisme au réalisme, et ouvert aux recherches conduites par Frédéric Bazille et Claude Monet sur l’introduction de figures en pleine lumière.
[Italien au fusil] Sans date, collection particulière D. Rahoult montre une grande habileté à saisir des scènes ou des figures pittoresques de la vie quotidienne italienne.
[Déjeuner sur la terrasse] Entre 1867 et 1874, collection particulière Cette scène laisse plutôt imaginer un paysage du Sud. La lumière méridionale qui passe à travers les feuillages transforme les tons des vêtements et du sol. Cette œuvre qui présente une parenté stylistique avec La Réunion de famille (1867) peinte par Frédéric Bazillle, témoigne de l’intérêt que portait D. Rahoult à ces nouvelles recherches conduites par ceux que l’on nommera plus tard les Impressionnistes.
Diodore Rahoult est un peintre reconnu de son vivant. À l’opposé de ses pairs dauphinois comme Alexandre Debelle ou Théodore Ravanat qui exercent une activité lucrative en sus de leur travail d’atelier, il vit de sa peinture. Il exécute des travaux de commande : en 1852, il réalise successivement à Grenoble les décors peints de la chapelle de la Vierge de l’église Saint-André (avec Henri Blanc-Fontaine), puis quatre peintures allégoriques monumentales sur le thème des quatre saisons pour orner un salon du café Cartier. En 1869, il se consacre avec son ami Blanc-Fontaine à une commande municipale : la réalisation des peintures allégoriques du nouveau Musée-Bibliothèque.
Les Quatre Commères devant le Palais de Justice de Grenoble Vers 1868, collection particulière de l’ordre des Avocats de Grenoble Une scène inspirée des vers du Jacquety de le comare, un poème du XVIIIe siècle écrit par Blanc la Goutte.
Mais il crée aussi sans relâche et s’active à la diffusion de son travail. On le retrouve dans les Salons à Grenoble, bien-sûr, mais aussi à Montpellier, Saint-Étienne, Lyon et, consécration suprême, à Paris. En Isère, comme ailleurs en France, la peinture de genre trouve son public dans la nouvelle bourgeoisie. Diodore Rahoult, comme ses confrères parisiens, profite d’un marché en plein développement autour des nouvelles galeries d’art. En 1874, alors que deux de ses œuvres (Le Savetier et le Financier et La Cigale et la Fourmi) sont exposées dans un magasin d’art et de photographie grenoblois, Bajat et Xavier Roux, il est emporté à 53 ans, en pleine maturité artistique, par une crise d’apoplexie. Il fut sans doute l’un des artistes isérois les plus doués de son temps. Il convenait de lui rendre hommage après un siècle d’oubli.
Bobila, la terre tourne Sans date, Musée de Grenoble Une figure originale du vieux Grenoble.
Décameron 1850, Fondation Glénat Ce tableau dépeint un épisode du livre de Boccace, écrit vers 1350, qui met en scène dix jeunes riches Florentins venus à la campagne pour fuir la peste et se divertir. D. Rahoult se concentre sur le rendu extrêmement détaillé des objets, des étoffes, des coiffures, des animaux, etc., jusqu’à les rendre plus éloquents que les visages des personnages.
Repas de chasse Vers 1863, collection particulière Les scènes de chasse sont très appréciées de la société du Second Empire. D. Rahoult en a réalisées plusieurs qui se déroulent toujours au retour ou lors d’une halte des chasseurs. Ce repas est dépeint avec une harmonie sobre et un luxe de détails qui dénotent d’une étude approfondie et scrupuleuse de chaque motif.
Diodore Rahoult (1819-1874) Paroles de palette à la Bibliothèque d’étude et d’information de Grenoble Plusieurs milliers de dessins, parfois réalisés sur de petits carnets, une fine écriture couvrant les pages de journaux de jeunesse ou de voyage, des feuillets de correspondance truffés de croquis, des illustrations de publications littéraires, dont le célèbre Grenoblo malhérou… Ainsi se présentent l’extraordinaire diversité et la richesse de l’œuvre de Diodore Rahoult, artiste dauphinois méconnu dont la Bibliothèque municipale de Grenoble conserve avec bonheur le fonds d’atelier. Cette partie de l’exposition Paroles de palette propose de découvrir ses talents de dessinateur : de sa formation jusqu’à sa consécration, avec la réalisation du décor du Musée-Bibliothèque de Grenoble, en passant par ses séjours en Italie et ses pérégrinations à travers le Dauphiné. Tour à tour paysagiste, portraitiste, caricaturiste, animalier, aquarelliste, Diodore Rahoult pose sur ses contemporains un regard empreint d’humour, tout en révélant une sensibilité romantique.
[Artiste dessinant d’après nature sur un rocher] Sans date, Bibliothèque municipale de Grenoble
Autour de l’exposition
Des conférences, des visites guidées, des visites couplées des expositions au Musée de l’Ancien Évêché et à la Bibliothèque d’étude et d’information Renseignements et réservation : 04 76 86 21 00 Bibliothèque d’étude et d’information 12, boulevard Maréchal Lyautey, Grenoble Ouvert mardi, mercredi et vendredi de 10h à 19h, le jeudi de 13h à 19h et le samedi de 10h à 18h. Vacances scolaires : du mardi au samedi de 13h à 18h. Fermé les jours fériés Pour en savoir plus : www.bm-grenoble.fr
La dent de Crolles. Saint Pancraze 5 Juill. 1849 Bibliothèque municipale de Grenoble
Diodore Rahoult (1819-1874) Paroles de palette Peintures au Musée de l’Ancien Évêché Du 15 novembre 2013 au 1er avril 2014 Entrée gratuite Lundi, mardi, jeudi et vendredi, de 9h à 18h Mercredi, de 13h à 18h Samedi et dimanche, de 11h à 18h Fermé le 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
Autour de l’exposition Des conférences Des visites guidées pour le public individuel et les groupes Des visites couplées des expositions au Musée de l’Ancien Évêché et à la Bibliothèque d’étude et d’information de Grenoble Des ateliers pour enfants Un programme à destination des scolaires Renseignements et réservation 04 76 03 15 25 Pour en savoir plus www.ancien-eveche-isere.fr
Deux publications Paroles de palette. Diodore Rahoult (1819-1874), Éditions Musée de l’Ancien Évêché et Bibliothèque municipale de Grenoble, 2013, 176 pages, 26 € « La fabuleuse histoire d’un décor peint », in L’Alpe, n°63, hiver 2014, Éditions Glénat et Musée Dauphinois, 15€ ( parution décembre 2013 )
La Sortie de la messe à Albano Sans date, collection particulière
Le Petit Journal n°9 Novembre 2013 Directeur de la publication : Isabelle Lazier Coordination : Cécile Sapin Textes : Isabelle Lazier ; encart de la Bibliothèque : Marie-Françoise Bois-Delatte Photographies : © Bibliothèque municipale de Grenoble, Martin Stahl (p. 7) © Fondation Glénat (p. 6 haut) © Musée de l’Ancien Évêché, Denis Vinçon (p. 3 haut, 4 bas, 5 haut, 6 bas, 8 haut) © Musée de l’Ancien Évêché, Gilles Galoyer (p. 2 bas, 3 bas, 4 haut) © Musée de Grenoble (p. 2 haut, 5 bas) Conception et réalisation graphique : Jean-Noël Duru Visuel de couverture : d’après La Porte close, peinture (détail) © Musée de Grenoble, dessin (détail) © Bibliothèque municipale de Grenoble Impression : Imprimerie Grafi à Fontaine Musée de l’Ancien Évêché 2 rue Très-Cloîtres à Grenoble Tél. 04 76 03 15 25 www.ancien-eveche-isere.fr