n°2 décembre 2005
[ Sur[exposée]
Journal du Musée de la Résistance et de la Déportation & de la Maison des Droits de l’Homme
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RÉSISTANCE
& DROITS DE L’HOMME
édito Ce même refus de l’inacceptable...
l’expo Visages de la douleur Plasticienne et photographe, Maryvonne Arnaud a rapporté de deux voyages en Tchétchénie les images et les sons qui constituent l’exposition « Sur[exposée] ». Rencontre avec celle qui oriente toujours son objectif entre ombre et lumière. Comment avez-vous été amenée à vous rendre en Tchétchénie ? On pourrait dire que c’est une suite logique. En 1992, j’ai obtenu une bourse de l’Europe, qui proposait de travailler sur « l’Europe en construction ». J’avais alors axé mon travail sur les territoires d’Europe en crise : je m’étais rendue à Tchernobyl, à Dubrovnik, à Liverpool, et à Berlin parce que dans tous ces lieux se jouaient de manière exacerbée des choses qui existent ici de manière diffuse. Plus tard, mon travail m’a conduit à Sarajevo, à Alger, ou à Johannesburg... En 2004, Joseph Dato (ndlr : Délégué aux missions internationales Médecins du Monde) m’a demandé si j’accepterais de me rendre dans le Caucase… Il y a des jours où l’on dit oui... j’y suis donc allée en mai 2004 puis en mai 2005. Médecins du Monde m’a permis d’organiser ce voyage dans de bonnes conditions. …/…
Ce n’est pas la première fois, au musée de la Résistance, que la création photographique nourrit la réflexion sur les résistances. Les expositions de Guy Martin-Ravel (Halabja mon amour, 1996) sur les Kurdes qui, survivant aux bombardements, avaient réintégré les ruines de leurs maisons, de Jacqueline Salmon (Sangatte, le hangar, 2003), à propos de l’épreuve des exilés, candidats à une vie meilleure, ou de Guillaume Ribot (Si nous cessions d’y penser..., 2003) attirant l’attention sur l’effacement des traces matérielles de la Shoah, pour ne citer que ces trois là, ont montré de quel pouvoir de conscientisation l’image photographique est investie quand elle rencontre l’Histoire. Or les photographies des Tchétchènes, ramenées ces dernières années de Grozny et d’Ingouchie par Maryvonne Arnaud, ont ce pouvoir. Aucune des données historiques relatives à l’histoire du Caucase, aucune des meilleures analyses des sociologues, des politologues, des journalistes et des humanitaires qui se penchent sur la question tchétchène ne saurait en contester le message. Ce qu’elles montrent, et disent, assemblées en exposition, contribue déjà en effet à l’Histoire, celle d’une population meurtrie, abîmée, saccagée parfois, mais jamais vraiment résignée : Résistante ! Nous ne pleurerons pas, nous ne plierons pas, nous n’oublierons pas, peut-on lire depuis le début des années 1990 sur le mémorial de la déportation de Grozny. Chacun des regards photographiés semble dire ces mots. Certes, la résistance qu’ils expriment ne saurait être comparée à celle que des Français, dans les années 1940, opposèrent en petit nombre à l’occupant nazi et au gouvernement collaborateur de Vichy. Rien de cette histoire là ne peut être en effet raisonnablement rapproché de celle des Tchétchènes, si ce n’est, pourtant, ce même refus de l’inacceptable, commun à toute résistance. Mais d’autres questions soulèvent ces photos et justifient encore un peu plus leur présence dans ce Musée qui se mue en Maison des Droits de l’Homme : Que peuvent-ils bien valoir ces Droits dans ce pays exsangue, ruiné par la guerre et quel avenir y auront les enfants qui grandissent là ? …/…
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