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Déjà parus dans le département « Sport » des Éditions Jacob-Duvernet Les merveilleuses histoires du Tour de France, par Jean-Paul Brouchon, 2003 Poulidor, par Raymond Poulidor, 2004 Hinault, par Bernard Hinault, 2005 Brian Joubert, le feu sur la glace, par Brian Joubert, 2006 Kopa, par Raymond Kopa, 2006 Les merveilleuses histoires de la coupe du Monde, par Patrice Burchkalter, 2006 Thévenet, par Bernard Thévenet, 2006 Carrère, par Christian Carrère, 2006 Kiki, par Christine Caron, 2006 Le rugby des familles, par Alain Gex, 2007

© Éditions Jacob-Duvernet, février 2007 ISBN : 978-2-84724-142-6


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Je suis un enfant de la balle par Jacques Secrétin Avec la collaboration de Laurent Favreuille

Préface de David Douillet

Éditions Jacob-Duvernet


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Je dédie cet ouvrage à mes parents qui m’ont permis d’être ce que je suis aujourd’hui.


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Table des matières PRÉFACE de David Douillet ............................................................................................................... 9 CHAPITRE I

Un enfant de la balle............................................................................................................................. 13 CHAPITRE II

« P’tit Jacques » dans le grand monde ......................................................................... 29 CHAPITRE III

Le vilain petit canard............................................................................................................................ 43 CHAPITRE IV

Derrière le rideau de fer ................................................................................................................... 57 CHAPITRE V

Secrétin-Purkart : un duo mythique............................................................................. 71 CHAPITRE VI

En route vers les sommets ............................................................................................................ 91 CHAPITRE VII

Le défi de Levallois .............................................................................................................................. 113 CHAPITRE VIII

Au service de la collectivité ..................................................................................................... 127 CHAPITRE IX

L’aventure olympique ...................................................................................................................... 139


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CHAPITRE X

Retour aux sources ............................................................................................................................... 153 CHAPITRE XI

Une certaine idée de la réussite......................................................................................... 165 CONCLUSION

Une vie consacrée à ma passion ....................................................................................... 180

ANNEXES Jacques Secrétin en bref ............................................................................................................... 186 Le palmarès de Jacques Secrétin ...................................................................................... 187


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PRÉFACE

« Service gagnant » C’est en 2003, à côté de Meaux, que j’ai rencontré Jacques Secrétin pour la première fois. J’avais été invité à donner une conférence dans le cadre d’un séminaire de la Fédération française de tennis de table, au CREPS de Montry. Tous les cadres de la FFTT étaient réunis autour de Michel Gadal, le directeur technique national, et nous avions partagé notre expérience du sport de haut niveau, ainsi que nos différentes visions de ce que peut apporter le sport. Pour moi, le sport permet de trouver l’énergie, le courage et l’humilité de se mettre au service des autres. Et je pense que ce sont des valeurs que partage la plupart des cadres des fédérations sportives françaises. Jacques Secrétin est de ceux-là. Quand je l'ai rencontré, à Montry, il s’est présenté en me demandant un autographe pour son fils aîné. Il avait presque l’air gêné et m’a aussitôt précisé qu’il n'était pas à l’aise dans ce genre d’exercice : « Le seul que j’ai réclamé, avant aujourd’hui, c’était à Patrick Bruel, m’a-t-il expliqué. Ma fille m’aurait maudit si j’étais revenu sans ce bout de papier signé ! » J’ai trouvé la démarche touchante de la part d’un athlète qui a été habitué à signer des autographes par milliers plutôt qu’à en demander. Si j’ai bonne mémoire, j’ai dû écrire : « Marc, tu as un papa formidable ! » 9


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Nos parcours sportifs sont assez similaires. Certes, Jacques Secrétin n’a pas eu la possibilité de décrocher de titre olympique, puisqu’il a arrêté sa carrière internationale juste avant que le tennis de table soit intégré aux Jeux, mais il a connu la joie de monter sur la plus haute marche d’un podium mondial. Tous deux, nous avons dû batailler contre d'immenses champions asiatiques qui écrasaient nos disciplines respectives de toute leur classe. Pour de nombreux observateurs européens, ces monstres sacrés paraissaient invincibles. Pourtant, en 1977, Secrétin et Bergeret ont réussi à soustraire un titre à l'hégémonie asiatique en battant une paire chinoise en demifinale et deux Japonais en finale des championnats du monde de Birmingham. À force de persévérance, nous nous sommes l’un et l’autre bâtis l’un des plus beaux palmarès du sport français. Mais ce qui nous rapproche le plus, c’est probablement notre engagement au service de la collectivité. Nous ne nous sommes jamais contentés d’accumuler les médailles : notre but a toujours été de faire partager notre passion et d’utiliser notre notoriété pour valoriser notre sport. En tant qu’entraîneur national, Jacques est chargé du développement et de la promotion du tennis de table. Il est aussi responsable de l’insertion sociale par le sport. Ce sont deux belles missions, à l’image des causes que j’ai choisies de défendre. Si mon image peut servir à améliorer les conditions de vie de personnes malades, j'en suis heureux et fier. Et j’admire les actions que mène la Fédération française de tennis de table dans les prisons françaises. C’est un univers méconnu et déroutant, où le judo est d’ailleurs lui aussi très présent. En milieu carcéral comme ailleurs, je reste convaincu que 10


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Service gagnant

le sport est la meilleure école de la vie. Il a de formidables valeurs éducatives. C’est ce que je rappelle sans cesse aux hommes politiques que je côtoie. À ce propos, il me revient en mémoire quelques propos échangés avec Jacques Secrétin lors de notre première rencontre, à Montry. Il me suggérait alors de fonder un parti politique : « On devrait monter le PSF, le Parti des sportifs français, m’avait-il lancé en rigolant. Avec 13,5 millions d’électeurs, on pèserait lourd dans le paysage politique ! » Derrière cette boutade, j’ai perçu une réelle passion, une inépuisable envie de mener à bout des projets, le besoin irrépressible de se mettre au service des autres. C’est finalement assez logique, pour ce grand pongiste qui s’est si souvent distingué par ses services... gagnants. David Douillet


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CHAPITRE I Un enfant de la balle

Au cœur du bassin minier Le 10 août 1949, le tout nouveau Conseil de l’Europe ouvre ses portes à Strasbourg. Quatre ans après la fin d’une guerre qui a fait des millions de morts et laissé une plaie béante entre la France et l’Allemagne, une poignée d’hommes de bonne volonté œuvrent au rapprochement des deux grands voisins. Au même moment, Vincent Auriol, président de la République française depuis plus de deux ans, doit faire face à de nombreuses grèves dans l’industrie métallurgique, les mines et les chemins de fer. En novembre 1948, l’armée est même intervenue pour libérer les puits de mine occupés par les grévistes. L’Europe pongiste, quant à elle, domine les autres continents : aux championnats du monde de tennis de table, organisés à Stockholm, l’Anglais Leach emporte le titre individuel devant le Tchécoslovaque Vana, tandis que la Hongrie s’impose dans la compétition masculine par équipes. En France, à Carvin, au cœur du bassin minier du Pas-de13


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Calais, ces événements politiques et sportifs sont suivis avec attention. Tout particulièrement dans le logement de fonction du directeur de l’école communale. Grâce à la TSF qu’ils ont installée dans leur salon, Alice et Eugène Secrétin se tiennent à l’écoute du monde. Simone, 5 ans, s’amuse autour du berceau dans lequel je gigote depuis quelques mois – je suis né le 18 mars 1949 – et se demande pourquoi nos parents n’ont pas participé aux championnats du monde. Après tout, elle les suit déjà, tous les week-ends, lors des tournois qu’ils disputent aux quatre coins de la région. Elle a l’habitude de jouer autour des tables de ping-pong, tout en veillant à ne pas déranger les joueurs… Elle s’amuse parfois à me lancer une balle, mais j’ai encore un peu de mal à la saisir entre mes mains potelées. Il me faudra patienter quelques années avant de découvrir l’ambiance particulière des gymnases emplis du bruit des balles de celluloïd rebondissant sur les tables en bois. La famille de mon père est belge. Elle a migré en France au début de la guerre, croyant échapper à l’invasion allemande. En vain. Jusqu’à sa majorité, mon père possédait donc la double nationalité belge et française. À 21 ans, au moment de choisir le pays pour lequel il allait effectuer son service militaire, Eugène a opté pour la France car il venait d’être admis à l’école normale d’instituteurs d’Arras. Il y a découvert le tennis de table, avant d’en sortir major et d’être nommé directeur d’école à 26 ans. Au fil de sa carrière, mon père occupe pas moins de six postes de direction différents dans tout le Pas-de-Calais. Nous déménageons donc assez régulièrement. Avec une constante, toutefois : dans chaque nouvelle école où il est affecté, il met un point d’honneur à créer un club de tennis de table. Mes parents sont tous deux très sportifs : mon père dirige 14


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une section de gymnastique, tandis que ma mère pratique la danse dans une troupe. Dans l’Éducation nationale, cependant, le sport ne fait pas partie des matières principales ; il est quasi inexistant. À cette époque, il est même considéré comme honteux de pratiquer une activité physique. C’est une perte de temps. L’éducation physique et sportive ne deviendra une épreuve obligatoire du baccalauréat que dix ans plus tard, en 1959. Mais mes parents sont en avance sur leur temps : dans son école, Eugène a choisi d’appliquer les méthodes Freinet, en dépit de leur interdiction par le ministère. Il fait sortir ses élèves des salles de classe pour leur permettre de découvrir le monde extérieur. Il leur apprend l’imprimerie et il intègre le sport à son enseignement. Et le sport le plus facile à mettre en place dans une école dépourvue d’installations est, sans conteste, le tennis de table. Pour construire leur toute première table, en 1942, mes parents se sont rendus à Boulogne. Ils en ont rapporté deux grands morceaux de contreplaqué que mon père a peints. Au début, il les posait directement sur les tables de l’école, jusqu’à ce qu’un collègue instituteur lui fabrique des tréteaux. C’est sur cette table artisanale que je taperai mes premières balles.

Un gaucher contrarié ? En attendant, je passe mes week-ends à suivre mes parents et ma sœur qui écument les tournois des environs. À 4 ans, je baigne déjà dans le milieu du ping-pong. Je cours dans les gymnases. Je passe sous les tables. Je galope après les balles perdues. C’est mon aire de jeu. Quand je suis fatigué, je fais la sieste dans la voiture… D’après mon père, à l’âge de 5 ans, je suis capable d’apprécier la qualité d’un match. Je peux lui dire s’il a bien joué ou non et lui expliquer pourquoi il a perdu. 15


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Je souffle ma sixième bougie, à Dannes-Camier, près d’Étaples-sur-Mer, où mon père vient de se voir confier une nouvelle direction d’école. Là encore, mon père a créé une section de tennis de table rattachée à l’Usep, l’Union sportive des écoles primaires. C’est dans ce club que je touche ma première raquette. La scène est toujours évoquée avec émotion par mes parents. Ils ont posé une raquette sur la table et me demandent de m’en saisir. Étais-je de profil, le côté gauche tourné vers la table ? C’est en tout cas de cette main que j’empoigne le manche. À 6 ans, comme tous les écoliers de cette époque, j’écris pourtant de la main droite, mais sans doute suis-je un gaucher contrarié. Toujours est-il que, ce jour-là, j’ai pris la raquette de la main gauche… et je ne l’ai plus lâchée par la suite. En 1957, à l’âge de 8 ans et demi, je fais mes débuts en compétition. Nous habitons désormais à Gosnay, à côté de Bruay-en-Artois. C’est dans ce club Ufolep, la fédération multisports de la Ligue de l’enseignement, que toute la famille est inscrite. On m’y surnomme « P’tit Jacques » du fait de mon petit gabarit et, plus encore, à cause de mon jeune âge : quelle que soit la compétition, je suis toujours le plus jeune engagé. L’Ufolep est très présente dans le Nord-Pas-de-Calais. Cette fédération omnisports est dirigée par des enseignants qui, à l’image de mon père, ont généralement un sens certain de l’organisation – ce qui est indispensable pour gérer un club – et vouent un véritable culte à la transmission du savoir… y compris en dehors des heures scolaires. Cette vogue est néanmoins récente : Eugène et Alice nous ont souvent raconté qu’ils devaient se cacher de leurs propres parents pour faire du sport. Est-ce pour cela qu’ils nous ont 16


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toujours encouragé, Simone et moi, à en pratiquer plusieurs ? Durant notre enfance, nous découvrirons ainsi plusieurs disciplines : le tennis de table, bien sûr, mais aussi la natation, le handball, le basket ou le football. J’adore le football. Après la classe, j’ai la chance de disposer d’une cour d’école pour moi seul et je peux taper dans le ballon durant des heures. Souvent, nous organisons des matchs avec les autres enfants du quartier. Et puis le football est une excellente préparation physique pour acquérir de l’endurance.

Le déclic, à 9 ans Dans le courant de l’année 1958, je participe à un tournoi, dans le Nord. Plusieurs joueurs parisiens ont fait le déplacement. Parmi eux se trouve un certain Claude Lemoine. Un jeune qui mesure près de deux mètres et jouit d’une belle réputation. Je le rencontre en finale, après avoir éliminé tous les autres adultes qui se trouvaient sur mon chemin. Comme, malgré mes 9 ans, je dépasse à peine la hauteur de la table, ce géant commence par ironiser sur ma taille. Il m’appelle « Trois-Pommes ». J’ai l’habitude. Les moqueries, quand on s’appelle Secrétin, on en subit tous les jours dans la cour de récréation… Et puis, avec mon petit gabarit, j’ai dû très vite me forger un solide caractère pour m’imposer. Quel que soit le domaine, j’essaie donc d’être le meilleur pour faire taire les moqueurs. Cette fois-ci, ce n’est pas mon patronyme qui est en cause, mais ma taille. Qu’importe. Mû par mon seul amour-propre, je bats ce Lemoine qui est objectivement plus fort que moi. Il sera d’ailleurs champion de France junior, trois ans plus tard. Je comprends alors que l’amour-propre est l’un des éléments moteurs de la compétition, à tous les niveaux. C’est le déclic. Un entraîneur de Paris est également présent à ce tournoi. Il me repère et glisse mon nom aux responsables fédéraux. 17


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Grâce à lui, mes parents sont rapidement sollicités afin que je participe à divers stages nationaux. Ces stages sont de mieux en mieux organisés dans la mesure où la Fédération française de tennis de table commence à se structurer sérieusement. Elle vient de créer le premier poste d’entraîneur fédéral, une mission qu’elle a confiée à Alex Agopoff, le vainqueur des championnats de France 1945. En 1959, Simone devient championne des Flandres en catégorie cadettes. Elle figure alors parmi les meilleures joueuses de tennis de table de la région. Malheureusement, saturée d’entraînements, elle arrêtera la compétition à l’âge de 16 ans. Quant à moi, je suis champion scolaire Usep du Pasde-Calais et je signe ma première licence FFTT. J’ai 10 ans et mes parents ont veillé à me faire franchir les étapes prudemment. Mon père a toujours mis un point d’honneur à ce que le pire cancre de sa classe ait le certificat d’études, quitte à lui donner bénévolement des cours de soutien. Avec ma mère, il surveille donc particulièrement l’évolution de mes résultats scolaires. Mes parents répondent d’une seule voix à un journaliste qui les interroge sur mon avenir dans le tennis de table : « Ce qui compte c’est le futur métier de notre fils, le tennis de table ne le fera pas vivre, nous le savons. Et comme il n’est ni particulièrement doué, ni particulièrement travailleur, nous le forçons à se consacrer entièrement à son travail scolaire. »

Au nom du père… Parallèlement à son rôle d’éducateur, mon père est aussi mon premier entraîneur. Il me fait travailler le service en plaçant des boîtes d’allumettes sur la table. Pour travailler la précision de mes coups, je dois les faire tomber avec la balle. Puis 18


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il remplace les boîtes d’allumettes par des briquets, afin que je gagne encore en précision. Grâce à cet apprentissage, mes services seront d’une redoutable précision durant toute ma carrière. Cela me rapportera aussi quelque menue monnaie, lorsque je serai amené à participer à des stages en Allemagne. Pour s’amuser, en fin d’entraînement, les joueurs allemands – qui sont très joueurs et parieurs – aiment mettre des piles de deutsche Mark sur la table. On a alors droit à quatre ou cinq coups pour essayer d’en faire tomber un maximum… L’expérience de mon enfance me permettra de ramasser des pièces plus souvent qu’à mon tour ! Bien plus tard encore, cela donnera une idée de mise en scène au réalisateur de l’émission télévisée « Les coulisses de l’exploit » : celui-ci posera des Zippos allumés sur une table de ping-pong et alors que je servirai, la mise au point passera progressivement de mon visage au briquet. Flou au départ, celui-ci deviendra net avant d’exploser en une gerbe de flammes au moment où la balle le percute. Au ralenti, cela donnera des images superbes. Au-delà de ces exercices spécifiques, le principal enseignement que je dois à mon père, celui qui m’aidera le plus par la suite, c’est la créativité dans l’entraînement. Le côté répétitif des séances est parfois dur à supporter quand on est jeune. On refait inlassablement le même geste jusqu’à ce qu’il soit bien intégré, que ce soit face à un partenaire ou à un panier de balles… Mon père, lui, m’a transmis une façon différente d’appréhender l’entraînement : il m’a appris à l’adapter sans forcément appliquer les exercices à la lettre. Il m’a toujours poussé à faire évoluer les exercices en fonction de mon jeu. Par exemple, quand, en stage, on nous faisait jouer dans la « diagonale » de la table, c’est-à-dire sur le 19


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coup droit ou le revers du partenaire d’entraînement, je devais considérer que cette diagonale couvrait la moitié de la table : du côté jusqu’à la ligne médiane. Je plaçais donc la balle à différents endroits et pas seulement dans la raquette du relanceur. Il me suggérait aussi d’adapter les exercices psychologiques ou tactiques à ma façon de jouer. Ce conseil m’a toujours permis d’évoluer, ce qui était indispensable à une époque où de nouveaux matériaux apparaissaient régulièrement.

De la raquette armée au « sandwich » J’ai commencé à jouer avec une raquette « armée » dont le caoutchouc, directement collé sur le bois, avait la particularité de contenir des lamelles de fer qui donnaient un bruit sec. J’étais alors défenseur. Aussi développai-je une grande faculté d’adaptation au jeu de l’adversaire. Le défenseur a en effet un état d’esprit différent de celui de l’attaquant. Il donne l’impression de subir les coups, d’être à la merci des charges adverses, mais c’est pour mieux tromper l’attaquant. Si celui-ci a l’impression de diriger l’échange, c’est en réalité le défenseur qui mène la danse : par les variations d’effet ou de hauteur de balle, par un placement sans cesse changeant, il impose son rythme… En contrepartie, un défenseur doit se déplacer davantage qu’un attaquant. Et comme, pour ma part, je n’étais pas grand, je courais encore plus que la moyenne. L’avantage est que j’ai fini par me façonner une palette de jeu plus large : j’ai appris à jouer loin de la table, à me tenir à mi-distance ou à venir parfois près de la table… Cela implique aussi une certaine science dans la variation des effets. Après ces revêtements armés sont apparues les premières raquettes « mousse ». En 1958, l’épaisseur du revêtement n’étant pas réglementée, mon père m’avait fabriqué des 20


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raquettes en découpant la mousse de protège-tibias destinés aux footballeurs. La balle s’enfonçait littéralement dans la plaque puis ressortait de façon totalement imprévisible. C’était ingérable. De toute façon, dès 1959, la Fédération internationale décide de limiter l’épaisseur des mousses à l’occasion des championnats du monde de Dortmund et d’interdire purement et simplement les raquettes « mousse » lors des suivants, qui doivent avoir lieu à Pékin. À l’avenir, seuls seront autorisés les revêtements de caoutchouc avec des picots tournés vers l’extérieur ou l’intérieur. Si la plaque est collée directement sur le bois, elle ne devra pas dépasser 2 mm d’épaisseur. Et la limite passe à 4 mm si le caoutchouc est solidaire d’une mousse elle-même collée au bois. On appellera ces raquettes composites des « sandwiches ». Je joue donc désormais avec des plaques à mousse fine. Cette innovation technique implique une première évolution de mon jeu : je ne peux plus me contenter de défendre avec pour seule arme offensive un revers d’attaque sur les balles amorties ; je dois apprendre de nouveaux coups à base de rotations violentes. Je découvre le top-spin, qui consiste à faire tourner la balle comme une toupie pour lui donner une trajectoire courbe et un effet de catapultage après le rebond. J’essaie de maîtriser progressivement cette gestuelle inhabituelle. J’étoffe encore un peu plus ma panoplie de jeune pongiste.

En Suisse avec Ehrlich À l’été 1960, mes parents m’inscrivent à un stage en montagne, organisé en Suisse, aux Diablerets, par le grand champion d’origine polonaise, Alex Ehrlich. Vice-champion du monde à trois reprises, entre 1936 et 1939, Ehrlich nous impose une cadence d’entraînement très soutenue. Durant toute une semaine, du 9 au 16 juillet, nous jouons près de dix heures par jour. 21


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Un autre espoir du tennis de table français participe également à la session. C’est Christian Rœsch, le fils du futur entraîneur et directeur technique national, Charles Rœsch. Christian est du genre acharné : il passe encore plus de temps que moi à la table. Malgré tout, dans le tournoi interne qui rassemble tous les stagiaires, je termine au 3 e rang, deux places devant lui. Cependant, le meilleur souvenir de cette semaine suisse reste la démonstration donnée par Alex Ehrlich et un jeune Suédois du nom d’Hans Alser. Ils exécutent des coups incroyables, jouent assis par terre ou avec deux raquettes chacun… À 17 ans, Alser possède déjà un niveau époustouflant. Trois ans plus tard, il sera sacré champion d’Europe individuel chez les seniors. Après cette semaine de « vacances » dans le Vaudois, où toute la famille m’a suivi en caravane, nous passons le reste des vacances scolaires à sillonner les routes de France. D’est en ouest, puis du sud au nord, nous progressons par sauts de puce, de tournoi en tournoi, tels des troubadours du pingpong. À l’époque, les prix en argent sont interdits dans les tournois. Ce n’est donc pas l’appât du gain qui nous fait courir, juste l’amour du jeu, de la rencontre, du partage. Ainsi, alors que nous campons près d’Arcachon, nous remportons une quantité astronomique de bourriches d’huîtres dans les différentes catégories du tournoi local. De retour au camping, nous invitons tous nos voisins pour un énorme buffet. Ailleurs, c’est avec un mouton que nous sommes censés repartir, après avoir brillé dans un tournoi local organisé dans une grange pleine de paille. Comme il est hors de question de l’emmener dans la voiture, nous le confions aux bons soins des habitants du village. 22


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De retour à Fouquières-lez-Lens, où mon père a pris la direction de l’école Jules-Ferry, je retrouve Alex Ehrlich. Peu de temps après la rentrée scolaire, le 18 septembre, nous formons une paire de double étonnante au tournoi régional du PPC Leers* : à la surprise générale, le grand champion franco-polonais, qui est désormais vétéran, a choisi de s’associer à un petit benjamin. Les 300 participants comprennent un peu mieux pourquoi lorsqu’ils nous voient arriver en finale. Nous perdons avec les honneurs, face au double expérimenté que forment Charlot et Landru : ils s’imposent sur le score serré de 21-19 à la belle. Les observateurs assurent que « P’tit Jacques » ne va pas tarder à jouer dans la cour des grands. L’année se termine en beauté : je décroche un second titre scolaire départemental, tandis que ma mère est sacrée championne des Flandres en simple et double dames.

Le tennis de table entre à l’INS Cette année 1960 marque aussi un tournant pour notre sport : le tennis de table fait enfin son entrée à l’Institut national des sports de Vincennes. Il s’agit d’une véritable reconnaissance. Aussitôt, des stages nationaux sont organisés dans cette superbe structure de plusieurs hectares entièrement dévolue au sport de haut niveau. Je suis invité à participer à l’une de ces sessions. C’est mon premier stage national avec des seniors. Mes parents m’ont mis dans le train pour Paris et un cadre de la Fédération doit venir me récupérer à la gare du Nord. En fait de cadre, c’est le président de la Fédération, Pierre Ceccaldi, qui vient me chercher en personne. Je ne suis pas au bout de mes sur(*) Le PPC Leers était le club de tennis de table local de Leers (ville du Nord) dans les années soixante.

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prises : pour rejoindre le complexe sportif, nous montons dans une berline escortée par deux motards. Nous traversons Paris dans cet étrange équipage digne d’un convoi ministériel. Par la suite, je suis appelé de plus en plus régulièrement pour des stages nationaux. Comme je suis encore minime, il me faut systématiquement des certificats médicaux stipulant que je peux participer à des entraînements d’adultes. On me soumet donc à des tas de tests. Je les passe sans problème car j’ai une condition physique exceptionnelle pour mon âge. Je vis pratiquement toujours dehors et j’occupe tous mes loisirs à faire du sport. Ce sera une constante durant toute ma vie : disputer deux matchs de football dans la même semaine ou courir 20 km tous les deux jours ne m’a jamais rebuté. En dehors des périodes de stage, je ne multiplie pas à outrance les séances à la table. Il existe déjà une charte fédérale qui stipule qu’entre 10 et 15 ans un jeune pongiste doit suivre douze à vingt heures d’entraînement spécifique chaque semaine. Ce n’est pas comme ça que mes parents voient les choses. Alors ils oublient volontairement de transmettre le décompte de mes heures à la Fédération. En réalité, je ne m’entraîne que six ou huit heures par semaine, mais ça ne m’empêche pas de figurer parmi les meilleurs jeunes du pays, y compris en évoluant dans des catégories d’âge supérieures à la mienne. Fin 1961, par exemple, alors que je suis déjà classé 25, on me sélectionne pour les internationaux du Kent organisés à Folkestone, en Angleterre. J’ai 12 ans et je remporte le tournoi individuel des moins de 13 ans, de même que l’épreuve de double en juniors. J’y étais associé au champion de France cadets, Germain Herman, et nous avons battu la paire Rœsch-Garaffi en finale. Je me suis vraiment amusé durant ce 24


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tournoi et j’ai pris énormément de plaisir à jouer. Louise Giraud, qui nous accompagne, m’appelle « le boute-en-train de l’équipe ». Quelques mois auparavant, j’avais gagné mon premier titre régional en devenant champion des Flandres minimes. En revanche, lors des championnats interligues jeunes disputés à Égletons, j’avais été battu en finale par Christian Rœsch.

La prophétie de Victor Barna Je retrouve Christian, l’année suivante. En avril 1962, alors que je suis classé « deuxième série » à 15, je suis sélectionné en équipe de Flandres pour participer à la Semaine nationale et internationale des jeunes, organisée à Blois. Après un très beau parcours, nous arrivons en finale contre la Lorraine. Le capitaine adverse n’est autre que Christian Rœsch et, au moment de nous affronter, nos deux équipes sont au coude à coude. Le match est très serré. Chaque set est disputé et il faut une troisième manche pour nous départager. Finalement, je m’impose à la belle et permet à mon équipe de remporter le tournoi. Trois jours plus tard, Christian prend sa revanche en me battant en finale du tournoi individuel des minimes. Durant cette semaine blésoise, j’ai aussi la chance de rencontrer Victor Barna. Ce Hongrois, qui a pris la nationalité anglaise, est une légende du tennis de table. Entre 1929 et 1939, il a collectionné les titres aux championnats du monde : couronné à huit reprises en double, six fois titré par équipes, quintuple vainqueur du simple messieurs et deux fois lauréat en double mixte… Sans compter les médailles d’argent ou de bronze ! J’ai l’opportunité de faire quelques échanges avec lui et de tâter de son revers exceptionnel. Il me dit alors : « Toi, mon petit, tu seras champion du monde. » Je ne sais pas s’il est sin-


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cère et je suis conscient qu’il a dû tenir les mêmes propos à beaucoup de jeunes joueurs. Ceci dit, du haut de mes 13 ans, je prends ça comme un encouragement. Cet épisode décuple ma motivation et je ne tarde pas à prendre une part active dans la moisson de victoires engrangées par la famille dans les compétitions régionales. Je joue en double avec mon père et en double mixte avec ma mère ou ma sœur… Ainsi, au tournoi de Blangy-sur-Bresle, le 27 mai 1962, je remporte les tableaux minimes et cadets, ainsi que le double messieurs avec mon père. Tandis que, dans le tableau féminin, ma mère s’impose en battant Simone en finale. Aux championnats des Flandres, je gagne mon deuxième titre régional consécutif en minimes ; ma mère remporte un nouveau titre chez les dames ; et nous gagnons ensemble le double mixte. Les Secrétin commencent à se tailler une certaine réputation dans la région, voire au-delà. Nous allons parfois jusqu’en Belgique ou au Luxembourg, le temps d’un weekend, pour participer à un tournoi. On voit également fleurir les premiers articles dans les quotidiens locaux. L’un d’entre eux n’hésite pas à titrer à mon propos : « Presque l’égal de son père ! » Il arrive, aujourd’hui encore, que mon père ressorte cette coupure jaunie par le temps et m’assène en rigolant : « C’était plutôt vexant… pour toi ! » Souvenirs heureux d’une période insouciante de ma vie…

À la table du général De Gaulle à l’Élysée Le sport continue d’occuper tous mes loisirs. J’ai beau être sur les tablettes des entraîneurs nationaux et participer à mes premières compétitions internationales, je n’arrive pas à me consacrer exclusivement au tennis de table. Je ne me résous pas à abandonner le football. À bientôt 13 ans, je continue de 26


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pratiquer ce sport collectif indispensable à mon équilibre. Je joue à Fouquières, dans le cadre de l’Association du sport scolaire et universitaire. Ma vivacité sur le terrain attire d’ailleurs l’attention des recruteurs du RC Lens. Ils veulent me faire venir dans leur centre de formation. Mais, sur les conseils de mes parents, je décline leur proposition et poursuit mon petit bonhomme de chemin dans le tennis de table. La suite leur donnera raison. Au niveau fédéral, en revanche, cette année 1962 se révèle agitée : la question des double ou triple surclassements préoccupe certains dirigeants. Quelques médecins publient des tribunes pour dénoncer la participation de jeunes joueurs à des compétitions d’adultes. Ils estiment que des enfants en pleine croissance ne devraient pas passer des journées entières à faire du sport, d’autant que certaines compétitions s’achèvent à une heure tardive. Ils pensent aussi – à juste titre – qu’il ne faut pas compter sur des adolescents pour dire qu’ils sont fatigués : une motivation aveuglante les empêche généralement de juger de leur propre fraîcheur physique. Je tâche de rester loin de ces querelles d’expert, mais je me retrouve parfois au cœur du débat. Au début de l’année, j’ai ainsi participé à la finale des championnats individuels de district en seniors. Ma victoire a fait jaser. Au mois de mars suivant, on peut ainsi lire dans le n° 165 de la revue France Tennis de Table : « L’exploit sportif (même si, antiréglementaire, il a fait beaucoup parler !) est venu de l’Artois où Jacques Secrétin, à 13 ans, a surpris tout son monde (y compris le Liévinois Leroy et le tenant du titre, l’excellent Delory !). Bravo p’tit Jacques, mais attention quand même à ne pas brûler les étapes. » C’est Jean Devys, le correspondant de la ligue des Flandres pour la revue fédérale, qui a écrit ses lignes. Il est 27


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aujourd’hui vice-président de la Fédération et possède sans aucun doute la plus belle collection au monde de timbres évoquant le tennis de table. Quelques mois après ce coup d’éclat, je suis invité à suivre le général De Gaulle lors de sa visite inaugurale des centrales atomiques du Nord-Pas-de-Calais. J’y suis convié au titre de meilleur jeune représentant sportif de la région. Nous formons un petit groupe d’adolescents et nous glissons dans son sillage en posant, l’un après l’autre, la question que nous avons préparée. À l’issue de ces pérégrinations, nous sommes tous invités à partager un repas à l’Élysée. Les ors de ce palais de la République ont beau être très impressionnants, ce n’est pas le principal souvenir que je garde de cette journée. Étrangement, ce que je retiens surtout du général De Gaulle, c’est sa main. Une main qui m’a parue immense quand elle a serré la mienne. De Gaulle aurait sans doute fait un bon basketteur…


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