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REDRESSEMENT SPECTACULAIRE Une nouvelle énergie anime Shawinigan

UNE NOUVELLE ÉNERGIE ANIME SHAWINIGAN

PAR RENÉ VÉZINA, JOURNALISTE SPÉCIALISÉ EN ÉCONOMIE

La ville redresse la tête en retrouvant l’élan qui a autrefois fait d’elle un modèle au pays.

S’

il y a un endroit où le passé n’est pas nécessairement garant de l’avenir, c’est bien Shawinigan, en Mauricie, et pour cause. La ville se trouve au cœur d’un des plus spectaculaires redressements d’une économie locale au Québec, au point où elle peut légitimement prétendre servir d’exemple. Elle revient de loin.

Toutefois, il fut un temps où Shawinigan était la ville la plus prospère au Canada. Elle proposait les meilleurs salaires liés aux plus grandes entreprises.

C’était l’époque où la rivière Saint-Maurice, avec l’hydroélectricité qu’elle générait, lui procurait un incomparable avantage. Les grosses usines avides d’électricité en profitaient. Il fallait alors être situé près des centrales pour avoir accès à leur énergie.

Un jour, la donne a changé. On a réussi à transporter le courant sur de longues distances. Shawinigan a perdu son avantage. Les grosses usines ont fermé leurs portes les unes après les autres. La ville a lentement décliné.

ISTOCK PAR INSTANTS

VILLE DE SHAWINIGAN

LUC ARVISAIS

Directeur du service de développement économique Ville de Shawinigan

Et voici qu’aujourd’hui elle rebondit, animée non plus juste par le Saint-Maurice, mais aussi par la détermination de ses leaders. Michel Angers est devenu maire de Shawinigan en 2009. Il a constaté, comme d’autres, qu’on devait rebrasser les cartes au lieu de s’apitoyer sur la gloire perdue. «Il nous fallait d’abord faire le point et nous mesurer, dit-il. Nous étions moins bons que dans le reste du Québec, même moins bons qu’ailleurs en Mauricie. En d’autres mots, nous étions des derniers de classe. Mais ce n’était pas inévitable. J’ai alors entrepris de réunir tous les intervenants, les gouvernements, le milieu des affaires, les organismes, pour élaborer une nouvelle démarche entrepreneuriale. Il fallait nous mobiliser, nous n’avions plus rien à perdre.»

D’autant que la population de Shawinigan vieillissait. En 2015, plus du quart de ses résidents avait au moins 65 ans, et l’âge médian était de 53 ans. Autrement dit, les aînés demeuraient, alors que les jeunes partaient. Et même si l’on ne qualifie plus aujourd’hui de vieillards les gens de 65 ans, la ville était en train de perdre ses forces vives. «N’oubliez pas, dit le maire, à l’époque, le magazine CROC riait de Drummondville, la ville était perçue comme une moins que rien, mais elle s’est «Nous étions moins bons que dans le reste du Québec, même moins bons qu'ailleurs en Mauricie. En d'autres mots, nous étions des derniers de classe. Mais ce n'était pas inévitable.»

– Michel Angers

Vitalité économique

TERREBONNE EN TÊTE DE CLASSEMENT

L’économie de Terrebonne se porte très bien, alors qu’elle occupe le 2e rang du classement des villes de 100 000 habitants et plus de la récente étude sur la vitalité économique de l’Institut de la statistique du Québec.

Un taux de travailleurs de 82,3 % pour les 25 à 64 ans ; Un revenu médian de 41 544 $ pour les particuliers de 19 ans et plus ; Sept parcs industriels représentant plus de 560 entreprises industrielles ; Un taux de croissance démographique de 10,7 % entre 2011 et 2020 ; Une croissance démographique projetée de 14 % d’ici 2036 ; Un des plus hauts taux de jeunes familles au Québec.

Une telle croissance représente un défi de taille pour la municipalité. C’est pourquoi la Ville a récemment adopté son premier Plan stratégique, visant à encadrer le développement de la municipalité jusqu’en 2025. Ainsi, Terrebonne souhaite devenir un pôle économique régional majeur sachant favoriser les synergies locales.

Ce plan d’action guidera les décisions de l’administration municipale, en tenant compte de ses enjeux et des besoins de la population.

ville.terrebonne.qc.ca

relevée en misant sur ses forces au point de devenir un modèle au Québec, et plus personne ne s’en moque. Nous suivons le même parcours. C’est pareil pour nous.»

LE VENT A FINI PAR TOURNER

«Le passé électrique de Shawinigan renaît sous une autre forme, dit Luc Arvisais, directeur du service de développement économique de la ville. Ce qui devait fermer a fermé. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est ce qui ouvre ou ce qui se développe.»

Il cite spontanément AddÉnergie et son usine de bornes de recharge pour véhicules électriques, HDI pour l’électromécanique, Synapse électronique pour les circuits électroniques… la mise en valeur de l’électricité a simplement pris d’autres formes à Shawinigan, tout comme le secteur manufacturier qui s’est lui aussi renouvelé, comme Camso, longtemps associé à Bombardier avec ses chenilles. Et c’est sans compter le Digihub, logé dans l’ancienne usine textile de Wabasso, qui abrite et alimente les entreprises technologiques naissantes. Le modèle, salué, a été repris un peu partout au Québec.

«Nous avons pris deux décisions marquantes après la fermeture de la papeterie Belgo en 2007. Il faut dire que le choc a été dur», souligne M. Arvisais. Il n’en reste que des squelettes que l’on croise en se dirigeant vers la ville en laissant l’autoroute 55, mais on devine aisément la taille imposante de cette usine autrefois symbolique de Shawinigan.

CHANTAL TRÉPANIER

Professeure Université du Québec à Trois-Rivières

Comme d’autres villes qui ont décliné en même temps que les grandes industries traditionnelles, Shawinigan a dû se réinventer et oublier les immenses cheminées qui faisaient sa renommée.

«Nous devions nous diversifier dans des créneaux porteurs, dit Luc Arvisais, et entreprendre un véritable virage entrepreneurial.» La mise en place du centre d’excellence de la grande entreprise CGI a aidé à faire tourner le vent, mais ce sont d’abord des PME qui ont contribué à relancer l’économie de la ville, comme Cognibox, qui loge en plein centre-ville. «En fait, Cognibox a vécu le meilleur, le pire, et maintenant le meilleur», indique Chantal Trépanier. Professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, elle s’est retrouvée en 1999 à la tête de l’entreprise alors connue sous le nom de SIM. Dès son origine, la PME s’est positionnée comme une plate-forme informatique pour certifier des sous-traitants auprès de grands donneurs d’ordres, comme pour des questions de santé et sécurité au travail. Vous passez à travers le tamis proposé par Cognibox? Vous pouvez alors récolter le contrat.

«Les premiers mandats nous sont venus de trois grandes entreprises implantées localement, soit Alcan, Belgo et Laurentide, rappelle Mme Trépanier. Deux papetières et une métallurgique. C’était le meilleur. Elles ont fini toutes les trois par fermer leurs portes. C’est devenu le pire pour Shawinigan, un terrible creux de vague, mais heureusement, nous avions pu, nous, diversifier nos activités. Et le tournant qui se produit maintenant permet de croire au meilleur pour la ville.»

Et elle ajoute: «Comme d’autres au Québec, Shawinigan était une ville de shops. Les travailleurs qui ont perdu leur emploi étaient quand même compétents. Nous en avons recruté pour aider à la formation de nos nouveaux employés, ce qui a facilité la transition.» Cognibox compte maintenant 150 employés, quelques-uns à Montréal et Toronto, mais la plus grande partie travaille au centreville de Shawinigan. De ses bureaux situés dans la 5e rue de la Pointe, l’entreprise sert des clients un peu partout dans le monde.

Chantal Trépanier a laissé la présidence de Cognibox, mais elle est toujours l’une des associées et membre du conseil d’administration. Et surtout, elle demeure active et attentive à l’évolution de son milieu. «Nous allons aujourd’hui de plateau en plateau, dit-elle. Le Digihub a changé la donne, nous nous sommes fait reconnaître en technologies de l’information et des communications, puis est arrivée l’électrification des transports, et l’on vient de nous annoncer l’arrivée d’une usine pour fabriquer des motoneiges électriques. Je pense sincèrement que l’élan se poursuit.»

PLEIN CAP SUR L’INNOVATION

Pour consolider cet élan, Shawinigan entend se doter d’un autre atout : elle veut être désignée «Zone d’innovation», une nouvelle initiative du gouvernement du Québec pour accélérer le développement d’entreprises de pointe dans une optique internationale. Sur le site du ministère de l’Économie et de l’Innovation, on précise ceci: «Les zones d’innovation attireront, dans des territoires géographiques délimités, des talents, des entrepreneurs, de grands donneurs d’ordres ainsi que des chercheurs du Québec et d’ailleurs.»

Ce n’est pas tant le soutien accordé éventuellement par Québec qui importe, dans ce cas, que l’attribution formelle d’un statut signalant que les ambitions d’un

VILLE DE SHAWINIGAN

territoire sont fondées. Et à Shawinigan, on pense fermement être outillé de façon stratégique pour être reconnu comme pôle d’excellence en mobilité durable et électrique. «Le projet a été déposé au gouvernement du Québec à l’automne 2020, précise Luc Arvisais. Nous attendons la réponse. Nous nous positionnons clairement comme leaders dans l’électrification des transports.»

Dans l’immédiat, il peut se réjouir de l’amélioration de la démographie de Shawinigan. En 2001, au moment de la création de la nouvelle ville (qui englobait dorénavant Grand-Mère, entre autres), la population était de quelque 52 000 habitants. En 2016, après un long déclin, elle en comptait à peine plus de 49 000. Mais depuis 2020, elle est revenue au-dessus du seuil des 50 000. La ville attire du monde. «Et les inscriptions au cégep qui avaient elles aussi baissé sont reparties à la hausse», ajoute M. Arvisais, en signalant que c’est là un élément encourageant pour les organismes et les entreprises qui auront besoin de renfort.

Le maire Michel Angers y voit une preuve que les efforts portent des fruits. Il est naturellement sensible lui aussi aux enjeux démographiques et il réitère l’ouverture de sa ville aux immigrants. «Par exemple, nous avons aidé les musulmans de la ville à mettre en place leur mosquée, dit-il. Nous sommes accueillants envers les gens venus d’ailleurs. C’est essentiel pour nous.»

Ancien syndicaliste à la CSN, alors lié à une grande entreprise, il demeure attentif aux enjeux sociaux tout en misant sur les PME de sa ville: «Au Québec, on réalise aujourd’hui que 90% des emplois sont créés par les petites et moyennes entreprises. Nous l’avons pris, ce virage entrepreneurial, et la communauté grandit. Nous avons mobilisé les gens. Ils ont répondu.»

Il voit grand pour sa ville, tout comme les anciens dirigeants du siècle passé qui étaient allés jusqu’à engager l’architecte de paysage américain Frederic Law Olmsted pour en redessiner les plans. Pour mémoire, c’est lui qui a conçu les plans du parc du Mont Royal, à Montréal, et de Central Park, à New York. C’est dire à quel point on voyait grand pour Shawinigan.

Aujourd’hui, Michel Angers et sa ville ne sont pas en reste. «Je nous vois comme une micro Silicon Valley, dit-il. Shawinigan est déjà le troisième pôle numérique au Québec. Ajoutez la qualité de vie que nous pouvons offrir, tout est là pour réussir.»

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