L’avenir,
ce long passé pa r a n to i n e b e r t r a m
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Ma chérie,
Demain nous donnons notre dernier assaut contre les barbares. Nous avons perdu beaucoup de légionnaires. Je ne vais pas tenir ma promesse et rentrer, à moins d’un miracle. Nous avons ici massacré trop de monde, femmes et enfants, à tel point que je ne sais plus si l’expansion de l’empire a une quelconque légitimité. Rome nous presse si souvent d’avancer et de vaincre, mais qui se soucie de nous et du poids du sang ? J’ai vu hier une jeune femme écartelée pour le plaisir de quelques hommes, ivres de leurs combats et de leurs blessures. Je me demande si ces parthes que nous affrontons ne sont pas plus dignes que nous. Nous manquons d’eau, de vivres, j’ai une blessure à mon côté, ma lance est cassée, au prochain assaut je ne pourrais probablement pas retenir mes assaillants. Je voudrais ne plus avoir à me battre, je voudrais n’y avoir jamais songé. Il faudrais fuir et rentrer mais la désertion signerait ma mort, la tienne et celles de nos enfants. J’aimerais tellement te revoir une dernière fois, te serrer dans mes bras, nous serions au bord du champ de ton père, comme quand nous étions enfants et que je te faisais la cour, j’y pense tout le temps. Ce serait un bel adieu. Nous avons peu vécu, je sais que ma mort terminera d’acheter notre citoyenneté et celle de la famille, tu n’auras plus à avoir honte de mes origines, tu seras veuve de légionnaire. Ne laisse pas nos enfants entrer dans l’armée, fais qu’ils deviennent marchands ou artisans, même si le métier
est dur ils n’auront pas à vivre dans le crime et l’horreur. Demande à Roj de t’aider à finir les travaux de la bergerie. Si la toux de sa femme continue il se peut qu’il soit veuf l’hiver prochain, ainsi vous pourriez vous remarier, c’est un homme bon quoiqu’un peu rude. Sa ferme est bien entretenue, avec nos terres cela vous mettra à l’abri. Tu verras refleurir les prés et tu feras la fête des moissons, je te vois danser d’ici, avec la robe verte de ta mère, celle que j’aime te voir porter. Je crache beaucoup de sang, je dois encore tenir. Je ne veux pas qu’on puisse dire que j’ai été lâche face à la mort ni face à l’ennemi. Il y a trop de peur dans nos rangs, les hommes ne parlent plus. Nos rites ne servent à rien, nous sommes en terre ennemie et même le ciel semble contre nous, tout est injuste si ceux qui imposent la souffrance ne la subissent pas. Je veux que tu te rappelles de moi comme quand je suis parti, avec ma cuirasse argentée, mon casque, mon glaive et mon bouclier. Dis aux enfants que leur père était un homme fort qui n’aimait pas la haine, celle qui coule maintenant partout. Dis-leur que je ne voulais pas la guerre, Rome finira un jour ses conquêtes, alors il y aura la paix pour vous. C’est pour cette paix que nous nous battons ici, quelle absurdité. Dis-leur bien d’être justes, dans la colère comme dans la joie, je sais que tu seras bonne pour eux. Ne les laisse pas quitter le village, à trop découvrir le monde on ne peut plus l’oublier. Garde-les