Extraits de Place publique #8

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#08 Mars Avril 2008

exposition

/

spectacles /

ateliers //

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conférences-débats /

animations

enfants

Place Publique

Les Rencontres du Château

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entrée libre

Place #08 Publique

Double Mixte - photo : Vue d’Ouest F. Papin - Nantes culture&patrimoine (2008)

NANTES / SAINT-NAZAIRE

Partenaire officiel

Partenaire du jardin des douves

Partenaires des Rencontres du Château

u - n a n t e s .f

Partenaire technique

r

Partenaires médias

Julien Gracq et Nantes

ea w w w.ch a t

p. 123 RENCONTRES DE SOPHIE : LES IMAGES CONTRE LE RÉEL p.139 LE POLAR POUSSE SUR LES QUAIS DE NANTES ET DE SAINT-NAZAIRE p. 106 ARCHITECTURE : THOMAS LAVIGNE CONSTRUIT DES PONTS

LA REVUE URBAINE | Mars-Avril 2008

DOSSIER | P 5 |

Numéro spécial : Julien Gracq et Nantes INITIATIVES URBAINES | P 147 |

Le vélo en libre-service gagne le centre-ville 10€


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Place Publique NANTES / SAINT-NAZAIRE

6 numéros par an

1-3, rue de Crucy, 44000 Nantes

LA REVUE URBAINE

www.revue-placepublique.fr

Place publique est une revue de réflexion et de débat sur les questions urbaines, installée au cœur de la métropole Nantes / Saint-Nazaire. Une revue de référence qui privilégie la raison sur l’émotion, la durée sur l’éphémère. Une revue généraliste croisant les savoirs, les regards, les approches. Une revue qui permet Julien Gracq photographié par Jacques Boislève sur les bords de la Loire à Saint-Florent-le-Viel.

la confrontation des projets.

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| SOMMAIRE PLACE PUBLIQUE Nantes/Saint-Nazaire. La revue urbaine 1-3, rue de Crucy, 44 000 Nantes www.revue-placepublique.fr

ÉDITO

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LE DOSSIER

Directeur de la publication : Jean-Claude Murgalé Directeur : Thierry Guidet thierryguidet@wanadoo.fr Chargée de diffusion : Géraldine San Esteban revueplacepublique@hotmail.fr Tél. 02 51 17 48 97 Comité de rédaction : Jean-Paul Barbe, Pierre-Arnaud Barthel, Philippe Bataille, Goulven Boudic, Paul Cloutour, Alain Croix, Didier Guyvarc’h, Marie-Hélène Jouzeau, Michel Luneau, Jean-Claude Pinson, Charles Suaud, Laurent Théry. Ont participé à ce numéro : Dominique Amouroux, Yoann Barbereau, Joël Barreau, Pierre-Arnaud Barthel, Denis Baupin, Joël Bigorgne, Jacques Boislève, Goulven Boudic, Alain-Michel Boyer, Michel Chaillou, JeanPierre Charbonneau, Alain Croix, Guillaume Durand, Marcel Freydefont, Alain Girard-Daudon, Thierry Guidet, Jean Guiffan, Didier Guyvarc’h, Pierre Le Gall, Jean-Louis Liters, Pierre Michon, Olivier Mongin, Daniel Morvan, JeanClaude Pinson, Jean Renard, Paul Louis Rossi, Jean Rouaud, Jean Théfaine, Tanguy Viel Un remerciement tout particulier à Jacques Boislève pour ses photos. Place publique est une revue éditée par l’association Mémoire et débats. Administrateurs : Philippe Audic, Jo Deniaud, Suzy Garnier, JeanClaude Murgalé, Bernard Remaud, Françoise Rubellin. Concept graphique : Rampazzo et associés, Paris/Milan. Réalisation : éditions joca seria, Nantes. tel. 02 40 69 51 94 - contact@jocaseria.com Impression : Offset 5, La Mothe-Achard (85) Commission paritaire : n° 02 09 G88 787 ISBN978-2-84809-093-15 ISSN 1955-6020

Place publique : Prendre Gracq au sérieux

91 94 106

Julien Gracq et Nantes Repères

7

SIGNES DES TEMPS Thierry Guidet Bloc-notes Critiques livres, expositions La chronique d’architecture de Dominique Amouroux

112

Pierre Le Gall Un grand chemin de livre en

La chronique de Jean Théfaine chanson, rap, new age, country-rock, blues

livre

11 13 19 25

Chronologie

115

Thierry Guidet En lisant en divaguant Jean Guiffan Une vie, un siècle Jean-Louis Liters Un joueur d’échec au Lycée Clemenceau

123

Didier Guyvarc’h Julien Gracq,

129

de la géographie à l’histoire de Nantes

39 43

Joël Barreau Bougeante et aventureuse…

CONTRIBUTIONS Guillaume Durand Les couleurs des ombres

Lectures

33

Bonnes feuilles Jean Renard : Pour une métropole solidaire

Marcel Freydefont Cette ville met nos vies en scène

139

Jean Renard Nantes n’est plus coupée

Joël Bigorgne Le polar pousse sur les quais de Nantes et de Saint-Nazaire

de ses campagnes

49

Alain-Michel Boyer Le magnétisme des frontières

55

Jacques Boislève Si peu nantais, tellement

63

Jean-Claude Pinson Saint-Nazaire : « Pour

nantais…

147

Olivier Mongin : « Gracq nous aide à

150 151

Brèves Denis Baupin : les raisons du retard français

153

penser la ville »

70

Pierre-André Barthel À son tour, Nantes se met au vélo en libre-service

galvaniser l’urbanisme »

67

INITIATIVES URBAINES

Jean-Pierre Charbonneau Les leçons de Copenhague

Nicolas de La Casinière Tout un bric-à-gracq de ville

158

Index

Alain Girard-Daudon Le plus grand ?

76

La conversation L’étalon-or de la littérature

78

Michel Chaillou, Pierre Michon,

160

LA CHRONIQUE Jean Rouaud Les urbanistes et la Jérusalem céleste

Jean-Claude Pinson, Paul Louis Rossi et Tanguy Viel

Crédit illustration couverture : D.R. et Jacques Boislève

Place publique bénéficie du soutien du Crédit mutuel Diffusion en librairie : Les Belles Lettres Diffusion presse Nantes : SAD Saint-Nazaire : SNDP MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 1


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ÉDITO |

Le risque est grand de ressasser quelques citations, toujours les mêmes. Nous avons voulu explorer en profondeur le rapport complexe de Julien Gracq et de Nantes, critiquer certaines de ses analyses, questionner l’importance de son œuvre, interroger la portée de ses intuitions.

D

e Julien Gracq, Georges Perros, cet autre ermite des lettres, reclus à Douarnenez et lui aussi disparu, disait : « Sans doute ne le rencontrerai-je jamais, mais je suis rassuré de vivre en même temps que lui sur cette terre. » C’est Pierre Michon, l’un de nos plus grands prosateurs, qui rappelait cet éloge lors de la soirée organisée par Place publique, début janvier à Nantes, en hommage à Julien Gracq, mort quelques jours plus tôt. Une manière de dire que le grand écrivain était indissociable de l’homme libre, pudique, soucieux de préserver sa part d’ombre en ce temps d’obscène devoir de transparence. Une manière de dire que l’admiration due à l’artiste ne pouvait se détacher du respect entourant la personne.

ment. » Retraité de l’enseignement, ayant quitté Paris pour son village natal de SaintFlorent-le-Vieil, Gracq revient souvent à Nantes, discrètement, en voisin, au cours des années quatre-vingt. Le vieil homme remet ses pas dans ceux de l’enfant et prépare en secret La Forme d’une ville, ce livre inclassable tout entier consacré à Nantes. Voilà de surabondantes raisons pour que, bousculant nos projets, nous ayons décidé de consacrer un numéro spécial à Julien Gracq. Ce numéro est délibérément centré sur les rapports de Gracq avec « sa » ville. Il se veut pédagogique : trop souvent, l’écrivain dont on disait qu’il était en France le plus grand des auteurs vivants était cité sans être lu. Surtout, il prend Gracq au sérieux, ne confond pas l’hommage avec la génuflexion, met en débat l’auteur de La Forme d’une ville. Des repères tout d’abord. Et pour commencer, une bibliographie commentée par un jeune agrégé de lettres, Pierre Le Gall, pour s’orienter sous la futaie gracquienne. Puis une chronologie et un abécédaire mêlant les œuvres et les lieux. L’historien Jean Guiffan relève ensuite quelques dates importantes dans cette vie qui dura près d’un siècle et rappelle ce qui se passait au même moment dans le monde, en France, à Nantes. Jean-Louis Liters, membre du Comité d’histoire du lycée Clemenceau – qui fête cette année ses 200 ans – revient sur la scolarité de Louis Poirier, qui ne s’appelait pas encore Julien Gracq, et sur les liens qu’il garda jusqu’au bout avec son ancien établissement. Des lectures ensuite, interprétations et discussions de l’œuvre. L’historien Didier Guyvarc’h attire l’attention sur ce paradoxe : Gracq n’est vraiment reconnu à Nantes qu’à

PRENDRE GRACQ AU SÉRIEUX Le lien particulier tissé entre Gracq et Nantes est bien connu. C’est dans cette ville qu’il fait ses études secondaires dans les années vingt du siècle passé, qu’il s’y forme. Il y revient brièvement en 1935 comme professeur, dans une période où la montée des périls le conduit à un engagement politique d’assez courte durée. C’est à Nantes, en 1939, qu’il fait la rencontre fondatrice d’André Breton, lequel, à la toute fin de sa vie, en mai 1966, lui enverra une carte postée de Bretagne se concluant sur ces mots : « Nantes où nous sommes tout à la fois ensemble et séparé-

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partir de 1985, l’année de la publication de La Forme d’une ville. Sans doute ce livre venait-il à point quand, soumise à la désindustrialisation, Nantes s’interrogeait sur son identité. Cette œuvre, Joël Barreau en donne une lecture subtile, soulignant l’entrelacs de deux motifs, de deux intrigues : un roman d’éducation; un roman d’aventure, ou, si l’on préfère, une quête de cette ville « bougeante et aventureuse ». Le risque est grand pour un écrivain devenu patrimonial de voir son œuvre réduite à quelques lieux communs, à quelques mots de passe. Le géographe Jean Renard ne craint pas de critiquer les thèses de Gracq sur le rapport entre Nantes et ses campagnes. Non, même au 19e siècle, la ville n’a jamais été autant coupée de son arrière-pays que le prétendait Gracq et aujourd’hui, à l’heure de la métropolisation, il faut bien prendre acte du caractère définitivement périmé de certaines des analyses de La Forme d’une ville. Cela n’empêche pas Alain-Michel Boyer, auteur de passionnantes études sur l’écrivain, de mettre en évidence l’importance du paysage dans cette œuvre. Mais ne faisons pas de Gracq une sorte de Barrès nantais ou angevin. Il n’est pas enraciné, mais magnétisé par les frontières, aimanté par l’ailleurs. D’où sa relation paradoxale avec Nantes, dans sa vie, dans son œuvre, qu’explore Jacques Boislève, qui fut son familier. Jean-Claude Pinson, lui, regarde vers Saint-Nazaire, et se demande si le mot d’ordre gracquien : « Galvaniser l’urbanisme » n’a pas, plus ou moins consciemment, influencé les élus d’une ville qui a tant changé ces dernières années. C’est en spécialiste de l’urbanisme, précisément, qu’Olivier Mongin, le directeur d’Esprit, lit Gracq. Même si ce dernier décrit un état daté de la ville, il nous aide à penser les défis

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urbains d’aujourd’hui et de demain. Un clin d’œil de Nicolas de La Casinière (prendre au sérieux une couverture de livre…) et Alain Girard referme cette deuxième partie en affrontant la question de la place de Gracq dans notre littérature. Qui mieux qu’un libraire pouvait s’interroger sur la réception de l’œuvre par le public? Le dossier se clôt sur une conversation entre écrivains, entre hommes de l’art, mécaniciens du texte, ausculteurs de la prosodie qui, un soir de janvier, ont accepté de se retrouver à Nantes, en public, pour dire leur enthousiasme sans celer leurs réserves, s’acquitter de leur dette sans abdiquer leur sens critique. Que Michel Chaillou, Pierre Michon, JeanClaude Pinson, Paul Louis Rossi, Tanguy Viel en soient remerciés. On l’a dit : la disparition de Julien Gracq nous a conduit à bouleverser l’ordonnancement de ce numéro. Nous avions notamment l’intention de nous étendre sur l’arrivée prochaine du vélo en libre-service dans le centre-ville de Nantes. Même plus brièvement que prévu, nous avons choisi de traiter le sujet dans notre rubrique Initiatives urbaines en décrivant l’expérience de Copenhague, en interrogeant Denis Baupin, le président du Club des villes cyclables, en tirant le bilan de ce qui s’est fait à Lyon ou à Paris. Traiter dans le même numéro de Gracq et du vélo en ville peut sembler incongru. Ce serait oublier que rien de ce qui était urbain ne lui était étranger. Oublier son ravissement dans les premières pages de La Forme d’une ville : « Un journal local publie une nouvelle surprenante : les tramways de Nantes vont revenir ! La dernière à s’en séparer, la ville, éclairée par je ne sais quel conseil oraculaire, va réactiver son talisman perdu… » Qu’auraitil dit du Bicloo ?

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LE DOSSIER

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JULIEN GRACQ ET NANTES

Repères

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Pierre Le Gall Un grand chemin

de livre en livre

11 13 19 25

Chronologie Thierry Guidet En lisant en divaguant Jean Guiffan Une vie, un siècle Jean-Louis Liters Un joueur d’échecs

au lycée Clemenceau Lectures

33

Didier Guyvarc’h Julien Gracq,

de la géographie à l’histoire de Nantes

39 43

Joël Barreau Bougeante et aventureuse… Jean Renard Nantes n’est plus coupée

de ses campagnes

49

Alain-Michel Boyer Le magnétisme

des frontières

55

Jacques Boislève Si peu nantais, tellement

nantais…

63

Jean-Claude Pinson Saint-Nazaire : « Pour

galvaniser l’urbanisme »

67

Olivier Mongin : « Gracq nous aide

à penser la ville »

70

Nicolas de La Casinière

Tout un bric-à -gracq de ville Alain Girard-Daudon Le plus grand ?

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La conversation L’étalon-or de la littérature Michel Chaillou, Pierre Michon, Jean-Claude Pinson, Paul Louis Rossi et Tanguy Viel


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REPĂˆRES

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Un grand chemin de livre en livre

RÉSUMÉ > De Au Château d’Argol à Entretiens en passant par Le Rivage des Syrtes ou La Forme d’une ville voici un rapide aperçu de chacune des œuvres de Julien Gracq. Une liste succincte de recommandations avant de se plonger ou de se replonger dans le grand bain gracquien.

TEXTE > PIERRE LE GALL

• Publié en 1937, Au Château d’Argol apparaît comme une longue nouvelle dans la lignée d’Edgar Poe. L’intrigue met aux prises deux jeunes gens, Albert et Herminien, et une femme, à la fois enjeu et victime du drame qui se joue dans le décor d’un manoir breton cerné par la mer et la forêt. Écrit dans l’urgence, ce roman sans « psychologie », qui s’apparente au roman noir et rend hommage au romantisme tout autant qu’au surréalisme, fut d’emblée remarqué par André Breton. L’auteur de Nadja adoube le jeune Gracq dans une lettre que celui-ci reçoit comme un « brevet de qualification ».

Pierre Le Gall est agrégé de lettres modernes. Il enseigne dans un collège morbihannais.

• À l’instar d’Au château d’Argol, Un beau ténébreux, roman écrit entre 1940 et 1942 et publié en 1945, est MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 7


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naissance sans enjeu véritable » n’enchante guère l’écrivain qui ne cache pas sa déconvenue. Tant d’irrévérence froissera les critiques. Rome déçoit quand Nantes enchantait, mais Gracq aime tout de même son « bric-à-brac somptueux » ménagé par le « tohu-bohu des siècles ». La ville éternelle devenue ville-musée a bien du charme, mais surtout en lisière des sites officiels du recueillement touristique. • Paru en 1992, le recueil Les Carnets du grand chemin aurait pu être titré Lettrines 3. Les thèmes attendus – promenades, voyages, littérature, souvenirs, histoire – sont au rendez-vous mais, comme le suggère le titre, la géographie revêt une importance particulière. Le « grand chemin », c’est avant tout celui qui « traverse et relie les paysages de la terre » pour citer Gracq lui-même. « Il est aussi, quelquefois, celui du rêve, et souvent celui de la mémoire » : le livre prend une valeur testimoniale, Gracq, au faîte de la gloire, jugeant d’un œil aigu le double panorama de son œuvre et du vingtième siècle. En 2002, le dernier livre, Entretiens, révèle un Gracq brillant causeur.

• En 2002, dix ans après la parution des Carnets du grand chemin, les Entretiens révèlent un Gracq brillant causeur. L’éventail des sujets abordés est très vaste, de ses méthodes de travail à sa conception de l’écriture et de la lecture, en passant par sa formation d’historien et de géographe. Intercesseur passionnant d’œuvres parfois très éloignées, de Jules Verne à André Breton, Gracq se fait aussi le guide de ses propres écrits.

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Chronologie Chronologie 27 juillet 1910-22 décembre 2007 27 juillet 1910. Naissance de Louis Poirier, à Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire). 1921. Louis Poirier entre en classe de sixième à Nantes, au lycée Clemenceau. 1928. Hypokhâgne à Paris, au lycée Henri-IV. 1930. Admission à l’École normale supérieure. Découvre le surréalisme à travers quelques œuvres d’André Breton. 1934. Reçu à l’agrégation d’histoire et de géographie. 1935. Nommé professeur à Nantes. 1936. Adhère au Parti communiste. 1937. Nommé professeur à Quimper. 1939. Publication de Au Château d’Argol (à compte d’auteur) chez José Corti qui restera son éditeur. Le livre est signé de son nom d’auteur, Julien Gracq, un pseudonyme mi-stendhalien, mi-antique. Il rencontre André Breton à Nantes. Quitte le Parti communiste à l’annonce du Pacte germano-soviétique. Mobilisation en septembre. 1940. Fait prisonnier près de Dunkerque. 1941. Libéré. Mort de son père. Nommé professeur à Amiens puis à Angers. 1942. Nommé assistant de géographie à l’université de Caen. 1945. Un beau ténébreux, son deuxième roman. 1946. Liberté grande, poèmes en prose. 1947-1970. Professeur d’histoire et de géographie à Paris au lycée Claude-Bernard. 1948. André Breton. Quelques aspects de l’écrivain, un essai sur le fondateur du surréalisme. 1949. Le Roi pêcheur, son unique pièce est montée au Théâtre Montparnasse. C’est un échec critique. 1950. La Littérature à l’estomac. Pamphlet sur la vie littéraire. 1951. Le Rivage des Syrtes obtient le prix Goncourt qu’il refuse. 1958. Un Balcon en forêt, son dernier roman. 1961. Préférences, recueil d’essais écrits depuis la guerre. 1967. Lettrines, recueil de fragments critiques et autobiographiques.

1970. La Presqu’île, recueil de trois nouvelles. Prend sa retraite. 1971. Mort de sa mère. Achète un appartement en Vendée. 1974. Lettrines 2. 1976. Les Eaux étroites, évocation de la rivière Èvre qui coule à Saint-Florent. 1980. En lisant en écrivant, critiques. 1985. La Forme d’une ville, évocation de Nantes. 1988. Autour des sept collines, récit de voyage à Rome. 1989. Publication du premier volume de ses œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade. 1990. Quitte Paris et revient vivre à Saint-Florent. 1992. Carnets du grand chemin, fragments sur ses souvenirs, ses promenades, la littérature. 1995. Second volume de la Pléiade. 2002. Publication de six Entretiens accordés entre 1997 et 2001. Samedi 22 décembre 2007. Mort à l’hôpital d’Angers.

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André Breton, lecteur enthousiaste du premier roman de Gracq. Leur première rencontre aura lieu à Nantes en 1939. Gracq lui consacrera un essai publié en 1948.


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En lisant en divaguant

RÉSUMÉ > Décalqué du titre gracquien En lisant en écrivant, cet abécédaire met en relation l’œuvre et les lieux. Il fait la part belle à Nantes et aux textes les plus autobiographiques de Gracq, Lettrines et La Forme d’une ville sans autre ambition que d’inciter à les lire, à les relire.

TEXTE > THIERRY GUIDET

A , comme Atlantique. La mer, pour Gracq, c’est l’Atlantique, découvert lors de ses vacances d’enfant à Pornichet, fréquenté assidûment alors qu’il enseigne à Quimper, côtoyé à nouveau chaque été à partir de 1971 quand il achète un appartement en Vendée, à Sion-sur-l’Océan. Dans Lettrines 2, comme dans Carnets du grand chemin, Gracq nous fait partager la vue : « Plus encore que les coups de bélier contre le roc, c’est la brutalité de la collision de l’eau se heurtant à l’eau soudain comme à un mur qui me surprend et me fascine, et me retient sur le balcon plus d’une heure, excité par la débauche d’énergie insensée, le bouillonnement de la cuve blanche qui crachote ses geysers saliveux, avant de retomber en douches crémeuses qui claquent voluptueusement à cru sur la terre lessivée. » MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 13


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LECTURES

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Julien Gracq, de la géographie à l’histoire de Nantes RÉSUMÉ > Géographe, Gracq était aussi historien. La Forme d’une ville est aussi un livre d’histoire de Nantes, du 18e siècle à mai 68. Et la manière dont cet ouvrage a été reçu par les Nantais en 1985 ne se comprend qu’à la lumière du tournant historique que vit alors une ville en pleine désindustrialisation : La Forme d’une ville, qui construit la mémoire collective, est un exorcisme pour temps difficile, une aide pour le travail de deuil. Depuis, le livre a pris toute sa place dans la construction de la nouvelle image de «la ville aventureuse».

TEXTE > DIDIER GUYVARC’H

Julien Gracq n’a jamais cessé d’être, à sa façon, un géographe. Louis Poirier, entré très jeune en géographie par la lecture du Nantais Jules Verne, fait de ce centre d’intérêt précoce sa spécialité universitaire, lors de son passage à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm entre 1930 et 1934. Ses premières publications, avant qu’il ne soit Julien Gracq, portent déjà sur l’étude d’une frontière, d’une lisière, le contact entre le Massif armoricain et le bassin sédimentaire dans le Sud de l’Anjou. Son œuvre littéraire, qu’il amorce avant la Seconde Guerre mondiale, conserve la marque de ce choix de l’enfance et des années de formation… Mais Gracq, aussi agrégé d’histoire, revendique fortement le lien entre l’espace et le temps. Il décrit, dans des entretiens avec Jean Carrière, cette « jointure solide », ce « continuum » comme « un canevas unifié (...), sur lequel se projettent d’eux-mêmes aussi bien les événements que mentionne le journal que les fictions

Didier Guyvarc’h est maître de conférences en histoire contemporaine à l’IUFM de Bretagne.

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« Par l’effet d’une rancune ancienne et longuement ruminée, je ne suis jamais retourné au Musée, qui, touchant le lycée d’aussi près que le Jardin des Plantes, en représentait pour moi le pôle négatif : les incursions “culturelles” qui m’y amenaient tenu en laisse comme un chien battu m’ont fait prendre la peinture en exécration pour un quart de siècle. Étrange monument aveugle, sorte de piédestal découronné de son quadrige, qui me fait songer, quand je passe devant, non à sa crypte picturale et à son contenu, mais plutôt, je ne sais pourquoi, au mastaba surélevé du film “Kitch” Antoine et Cléopâtre sur lequel les amants vaincus se réfugient après Actium et se font hisser leur ravitaillement par un système de paliers et de poulies : les voies de l’art, surtout officielles, sont imprévisibles et sont parfois des voies de petite communication. » Julien Gracq, La Forme d’une ville, 1985.


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que j’imagine ». Cet attachement à une grille de référence à la fois spatiale et temporelle est à l’œuvre dans La Forme d’une ville, cette description subjective de Nantes, cette mémoire au travail.

La Forme d’une ville, l’empreinte de l’histoire « Je ne prétends en rien faire le portrait véridique d’une ville qui, au travers de son prisme, n’a jamais laissé la lumière filtrer pour moi intacte. Je ne fais état, je l’ai dit, que de sa présence en moi : la seule, de toutes les villes que j’ai connues, qui ne relève à aucun titre de la vérification ». Cette claire affirmation par Gracq de son approche personnelle, intime, de Nantes paraît s’opposer au travail de l’historien soucieux de marquer la distance à l’égard de son objet d’étude afin d’en mieux saisir les différents aspects et d’en rendre compte le plus « honnêtement » possible. Pourtant, ce fragment d’ego-histoire qu’est La Forme d’une ville reflète dans ce portrait de Nantes nombre de préoccupations historiennes d’aujourd’hui. Le paysage de la ville se rattache à ce que Gracq a qualifié de « paysages-histoire », qui ne parlent, ne prennent sens que parce qu’ils font émerger les références historiques ou les souvenirs intimes du visiteur. Ce palimpseste n’est déchiffrable, pour Gracq, que par la poésie, la géographie et l’histoire. Mais alors que Rome, où « tout est alluvion et tout est allusion », est « une machine à remonter le temps », les rues de Nantes ont une puissance d’« imprégnation historique radio-active » qui limite cette rétrospection. L’histoire qui intéresse Gracq est celle qui fait écho au présent d’une ville dont il cherche à saisir clivages et lignes de partage. Il se dit indifférent à l’histoire de la ville aux « siècles obscurs » : « Le Nantes qui me parle, qui m’a toujours parlé directement, commence au XVIIIe siècle », écrit-il. Ce 18e siècle nantais est présenté comme une « curieuse époque », pleine de la contradiction entre une prospérité fondée sur la traite des Noirs et l’aspiration à la liberté. Mais ce qui est essentiel, c’est 1793. Julien Gracq fait huit fois référence à ce « défoulement politique collectif » du mois de juin. L’affrontement entre Bleus et Blancs trouve pour lui, qui est né à Saint-Florent-le-Vieil tout près de la rue où mourut Cathelineau, une clef de lecture dans les paysages ruraux et urbains de la région. Dans les deux premiers articles de géographie qu’il publie

en 1934 et 1935, il cherche, dans les structures physiques et surtout foncières différentes du Sud de l’Anjou, l’explication de la ligne de partage entre les deux camps. Il se rattache ainsi au courant historiographique qui considère 93 comme un événement révélateur de clivages préexistants. Cependant il fait aussi de cette guerre civile un événement fondateur, une matrice de l’identité. En 1967, dans Lettrines, dans un premier portrait de Nantes, il met en valeur cet effet de mémoire de la menace vendéenne sur la ville où, selon lui, « quelque chose du sabotement fantôme claque encore sur les pavés de ce grand port cul-terreux ». Le 19e siècle se marque dans la forme de la ville par la différenciation sociale que l’industrialisation introduit dans le tissu urbain. Gracq oppose, assez schématiquement, les banlieues ouvrières de la périphérie aux quartiers du centre occupés par les commerçants enrichis au siècle précédent. Ce portrait d’une ville duale est prolongé pour le 20e siècle à partir des souvenirs vécus de l’auteur. Gracq renonce alors à son approche topographique de Nantes pour décrire en trente-trois pages la « machine sociale » dans les années 1920. Il insiste sur la partition politique d’une ville qualifiée de « manichéenne, qui a, chaque fois depuis deux siècles, poussé les luttes intestines du pays jusqu’à un point d’exaspération qui semble sa marque distinctive ». Dans l’entre-deux-guerres, c’est la question de la laïcité qui constitue la « zone de friction ». Mais ces clivages ne recouvrent pas les oppositions sociales car Nantes est dominée par « une bonne société qui, de gauche comme de droite, n’avait pas tellement dégénéré depuis le temps de Mac Mahon ». Les classes populaires, tenues à l’écart, ne transgressent le code de bonne conduite implicite que le temps de la mi-carême, ce « déchaînement » collectif. Si les trois siècles pris en compte contribuent chacun à façonner la personnalité complexe de Nantes, ils révèlent une permanence de son histoire : l’isolement, voire l’opposition de la ville avec son arrière-pays. En deux occasions, Gracq rapproche juin 1793 de mai 1968 et lit dans ces événements le même divorce entre la ville et la campagne. L’histoire et la géographie se conjuguent pour en faire « une ville plus décollée qu’une autre de ses supports naturels » et lui donner ainsi un « air de liberté ». Il reprend l’analyse faite dès 1788 par le voyageur anglais Arthur Young. Cette originalité a suscité l’emploi chez plusieurs observateurs de la métaphore de l’île. En 1913,

La Forme d’une ville est un fragment d’ego-histoire qui recoupe nombre de préoccupations historiennes d’aujourd’hui.

L’histoire qui intéresse Gracq est celle qui fait écho au présent d’une ville.

C’est ainsi qu’il rapproche juin 1793 de mai 1968 pour y lire une opposition entre la ville et son arrière-pays.

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C’est à André Breton, et à la page célèbre qu’il écrit sur Nantes dans Nadja, qu’est secrètement dédiée La Forme d’une ville.

rection contre elles, contre leurs valeurs traditionnelles et leurs vertus sédentaires. C’est cet implant, dédaigneux de se consolider, d’une grande ville maritime et commerçante en plein sommeil rural, en pleine agriculture de subsistance, pareil à celui d’une cité de la grande Grèce assiégée par la malveillance indigène, qui confère à Nantes l’autonomie tranchante, l’air de hardiesse et d’indépendance mal définissable, mais perceptible, qui souffle dans ses rues. » Car Nantes est « une ville qui s’est inventée, qui continue de s’inventer elle-même au jour le jour, sans grand ancrage dans son passé, sans fixation excessive à ses souvenirs » ? « Oubliant, quand le temps en est venu, le Repos de Jules César (devenu un café) comme les sièges d’Alain Barbe-Torte, le Moyen-Âge du pilori et des juiveries, oubliant les Isles et le trafic du bois d’ébène, oubliant la Vendée, oubliant en route son chemin de fer et son pont transbordeur, oubliant même son fleuve, qui l’élonge maintenant à distance comme un prétendant éconduit. Fidèle seulement au dynamisme aveugle, à la force d’inertie de sa masse en mouvement, qui continue de la propulser. » Rien d’étonnant pour Gracq à ce que Balzac ne se soit pas intéressé à Nantes, qu’il a dû visiter pourtant en allant à Guérande pour les « repérages » de son roman Béatrix : c’est qu’en effet Nantes, écrit-il, est une « ville trop bougeante, trop aventureuse pour un romancier qui – Paris mis à part – préférait, en fait d’études urbaines, les mares stagnantes, figurées alors par Saumur ou Limoges, Alençon ou Angoulême ». Nantes, ville « bougeante » : voilà donc, pour Gracq, une des vérités profondes de Nantes, de cette ville qui, par exemple, « dans les défoulements collectifs, en 1793 comme en 1968, a eu tendance, dit-il, à aller plus loin qu’aucune autre ». Mais aussi Nantes, ville « aventureuse », et qui n’est pas pour rien la ville de Jules Verne, mais aussi celle de ces « aventuriers » de l’architecture que furent Louis Pommeraye et Thomas Dobrée, et de cet « aventurier » de la vie et de la mort que fut Jacques Vaché. Aussi bien la devise de Nantes, plusieurs fois rappelée par Gracq, « Favet Neptunus eunti », ne se réfère pas seulement, pour lui, aux seuls voyages maritimes : « Toutes les navigations imaginables – bien au-delà de celles de Jules Verne – trouvent complaisamment leur point de départ dans cette ville aventureuse. »

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Il est impossible, ici, de ne pas penser à une phrase de la page si célèbre - trop célèbre pour certains - consacrée à Nantes par André Breton, dans Nadja, en 1928 : « Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France […] où pour moi la cadence de la vie n’est pas la même qu’ailleurs, où un esprit d’aventure au-delà de toutes les aventures habite encore certains êtres. » Le dessein de Gracq dans La Forme d’une ville apparaît alors : élargir aux dimensions d’un livre entier l’intuition qu’avait eu André Breton du génie même de la ville de Nantes, et faire de cette phrase de Nadja la clef secrète de son texte, sans jamais la citer, sans même y faire la moindre allusion, mais en évoquant, en revanche, le séjour que fit à Nantes André Breton en 1915-1916, séjour au cours duquel, on le sait, il fit la rencontre décisive de Jacques Vaché. Aussi bien est-ce à André Breton, par delà la mort – il est mort en effet dix-neuf ans plus tôt – qu’est secrètement dédié La Forme d’une ville : le titre de l’ouvrage, en effet, emprunté, nous l’avons vu, à Baudelaire, était un discret hommage à André Breton, lequel avait, précisément dans Nadja, déjà cité, à propos de Paris, cette expression baudelairienne. C’était là comme une dette de reconnaissance envers le fondateur du surréalisme, car – Gracq l’a maintes fois affirmé – c’est en lisant Nadja en 1930-1931, quand il était étudiant à Paris, qu’il a découvert André Breton et le surréalisme, et découvert du même coup sa vocation d’écrivain. On peut imaginer l’impression que dut faire, sur le jeune homme qu’il était alors, la lecture de cette page de Nadja consacrée à Nantes, page où Julien Gracq trouvait tout à coup superbement exprimé ce qu’il n’avait jusqu’alors que pressenti… et ce qu’il ne devait expliciter que bien des années plus tard, dans La Forme d’une ville.


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Non, Nantes n’est plus coupée de ses campagnes

RÉSUMÉ >Nantes, une ville coupée de ses campagnes : cette idée soutenue par Gracq mérite d’être au moins nuancée. Longtemps, les élites nantaises n’ont pas manqué de gros propriétaires terriens se partageant entre la ville et la campagne et sachant mettre en valeur des landes ingrates. Aujourd’hui, avec l’étalement urbain et la modification des comportements politiques, il est devenu impossible d’opposer Nantes à ses campagnes. Il existe bel et bien un pays nantais.

TEXTE > JEAN RENARD

On le sait, Julien Gracq a longuement traité, en particulier dans La Forme d’une ville, des rapports entre Nantes et les campagnes proches. Il a souligné avec force l’isolement de la ville « étrangère à ses campagnes », reprenant les observations d’Arthur Young lors du voyage en France de ce dernier à la veille de la Révolution et la remarque d’André Siegfried en 1913 dans son Tableau politique de la France de l’Ouest, faisant de Nantes « un îlot moderne dans un océan d’Ancien Régime ». À plusieurs reprises, Julien Gracq revient sur « le manque de solidité dans son assise locale » de la ville, ce qui, dit-il, « a beaucoup servi Nantes […] quand il s’agit de la lier à une mouvance territoriale, la ville semble fuir entre les doigts. Ni réellement bretonne, on l’a vu, ni vraiment vendéenne, elle n’est même pas ligérienne ». Il en fait donc, avant l’heure, soit une Eurocité, soit une ville de type hanséatique, plus préoccupée des liens avec les espaces lointains qu’avec les campagnes qui l’entourent.

Jean Renard est géographe. Il est aussi rapporteur général du conseil de développement de Nantes Métropole.

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Ce tableau des rapports entre Nantes et son environnement proche est conforme à la nature du Nantes de jadis, un port colonial tourné vers le grand large, et du Nantes de naguère, une ville industrielle constituant comme un kyste urbain au milieu d’un vaste territoire rural qu’elle ignore et qui lui était politiquement hostile. Au lendemain de la disparition de l’illustre écrivain, il peut paraître téméraire, outrecuidant et présomptueux d’oser revenir sur les affirmations du géographe que fut d’abord Julien Gracq. Si je le fais, c’est que j’aime l’auteur et que j’admire la virtuosité de ses descriptions paysagères et la sagacité de ses analyses sociales. C’est aussi que j’ai suivi modestement la même voie professionnelle que la sienne en devenant enseignant de géographie. Rappelons pour mémoire que Julien Gracq aurait pu devenir un brillant universitaire puisque pendant deux années, de 1945 à 1947, il fut assistant de géographie à l’université de Caen, qu’il a déposé un sujet de thèse, mais qu’il n’a pas soutenu son doctorat, préférant s’investir dans la littérature, tout en conservant, toute sa vie active, un poste de professeur d’histoire-géographie au lycée parisien Claude-Bernard jusqu’en 1970. D’autres géographes ont disserté sur les approches à différentes échelles de la perception des territoires par Julien Gracq, en particulier Alain Chauvet. Ce dernier, dans sa thèse soutenue en 1986, consacre tout un chapitre (p. 195 à 212) à Nantes et au pays nantais dans l’œuvre de Julien Gracq. Jean-Louis Tissier quant à lui, a interrogé Julien Gracq sur sa formation de géographe, et Jean-René Vanney, également géographe, a dans le numéro spécial de la revue 303 de 2006, dédié autant à Louis Poirier qu’à Julien Gracq, démontré combien celui-ci était redevable à la géographie dans son expression littéraire.

Le kyste urbain Ayant commis une thèse de doctorat d’État en 1975 sur les campagnes nantaises et ayant été, plus d’un tiers de siècle, enseignant de géographie rurale à l’université de Nantes, j’ai beaucoup observé et analysé les rapports entre Nantes et les campagnes du sud de l’Armorique. Un temps, j’ai partagé la vision de Julien Gracq et j’ai repris le terme de kyste urbain à propos de Nantes, ville sans banlieue, au milieu de campagnes indifférentes voire hostiles. Ces analyses de l’isolement de Nantes reposent pour l’essentiel sur les effets de la Contre-Révolution et le repli de sociétés rurales proches de la ville sur des va-

leurs conservatrices, voire réactionnaires, et l’addition de leurs retards relatifs vis-à-vis d’autres espaces ruraux. Chacun le sait, cette opposition entre les villes et les campagnes dans l’Ouest, révélée lors de la Révolution, mais qui lui est antérieure, est un fait fondamental pour expliquer les réalités sociales et politiques de l’Ouest. Elle a pendant deux siècles conditionné les comportements des populations. Rappelons qu’en 1793 les villes prennent le parti de la République et qu’elles sont peuplées de « patriotes », tandis que les campagnes de l’Ouest, sauf exceptions, demeurent fidèles à l’Ancien Régime. Le premier massacre de Machecoul en mars 1793 incitant les patriotes des campagnes à se terrer ou à fuir vers les villes proches. À suivre Julien Gracq les deux événements de 1793 et de 1968 sont révélateurs des comportements antinomiques entre ville et campagne. Ne dit-il pas qu’en 1793 « la ville prend parti en bloc, les armes à la main, contre sa campagne toute entière insurgée contre elle. » Et qu’en 1968 « l’hostilité réciproque, spontanée, ressuscite aussi forte ». Il oppose volontiers la situation de Nantes à celles des deux autres villes estuariennes que sont Rouen et Bordeaux. Selon lui, « la relation de Nantes avec son arrièrepays et avec sa campagne proche est différente en tout point de celles qu’ont nouées ses villes sœurs (par la situation) qui sont, pour les deux autres estuaires atlantiques, Rouen et Bordeaux. » Et plus loin il ajoute : « Ce sont là deux métropoles régionales authentiques dans lesquelles la province qui les environne trouve à la fois une personnification expressive, un centre d’échanges universel, et presque l’inspiration, entretenue et renouvelée, d’un rythme et d’un style de vie ». Il oppose de même les campagnes au nord de la Loire de celles du sud. Il fait des premières une description sans complaisance : « Au nord il y a peu de campagnes aussi incurablement grises, aussi ingrates, aussi vautrées dans un silence et un sommeil rural épais, que celles qui s’étendent de Nantes à Châteaubriant et à Segré : de ce côté c’est comme un impénétrable matelassage, un border isolant, qui sépare Nantes non seulement de la vraie Bretagne… et qui rend si incommode, si inconfortable, son rattachement si souvent revendiqué à la vieille province celte…. Le couvre-feu semble peser en plein jour sur des guérets oubliés de l’histoire et de l’économie… Ce n’est pas là une des zones de pauvreté de la France, c’est

Nantes, une ville sans banlieue au milieu d’un environnement rural indifférent, voire hostile : Gracq va jusqu’à parler de « kyste urbain ».

Ce qui la différencie de ses deux sœurs estuariennes, Rouen et Bordeaux.

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Nantes qui, la saison d’été venue, se transporte sur la Côte, dessinant longtemps à l’avance l’aire métropolitaine sur laquelle désormais la ville s’installe plus durablement.

Un portrait de ville subjectif D’arpenter ainsi le pavé nantais, pour une ultime confrontation avec cette ville qui a tant changé, l’aide, sans nostalgie ni complaisance excessives, à tamiser ses souvenirs. Ce minutieux portrait de ville où se conjuguent l’observation, l’humour – la tour Bretagne comparée au « pal de Dracula »! – et la réminiscence, il le tend, en effet, comme un miroir à seule fin d’en faire ressurgir ses propres images intérieures pour ne retenir de Nantes que ce qui va définitivement compter pour lui. Il fait ainsi grand cas de l’ancien tramway et du pont transbordeur mais se refuse à sacrifier aux incontournables de la mythologie locale, n’accordant qu’une attention assez distraite au Passage Pommeraye, insuffisamment sombre pour être véritablement envoûtant. Définitivement allergique au musée des Beaux-Arts – exception faite d’un inoubliable tableau de Georges de la Tour : L’ange apparaissant à saint Joseph qui lui « donnait des éblouissements », il fait du quartier du théâtre l’épicentre de son imaginaire et – « plus sensible au grain de peau de la ville qu’à ses bijoux » – confesse n’avoir jamais visité le château des Ducs et n’être rentré qu’une seule fois dans la cathédrale, comme Stendhal : pour aller voir le tombeau de François II. Le passé négrier de la ville est seulement mentionné, pour mémoire, au détour d’une page. Idem pour Carrier. De même, Nantes pour Gracq est une ville sans classe laborieuse, ce qui peut surprendre chez cet intellectuel qui fut pourtant encarté à la CGT au plus fort de la lutte ouvrière. Un portrait de ville, on le voit, très subjectif mais qui, une fois n’est pas coutume, nous entraîne vers les théâtres extérieurs de la ville : l’île de Nantes encore en friche, le champ de manœuvre, les coulées vertes et les terrains de sport, Gracq, depuis toujours grand amateur de spectacles sportifs, nous faisant revivre comme si on y était la charge historique des Géants des forges de Trignac qui ne firent qu’une bouchée au rugby des étudiants du S.N.U.C. Mais, dès Lettrines, Gracq n’avait-il pas déjà donné en quelques notes tout ce que La Forme d’une ville allait mettre ensuite superbement en musique : « Le cœur 62 | PLACE PUBLIQUE | MARS-AVRIL 2008

de Nantes battra toujours pour moi avec les coups de timbre métallique des vieux tramways jaunes virant devant l’aubette de la place du Commerce, dans le soleil du dimanche matin de mes sorties, jaunet et jeune, et râpeux comme le muscadet. »


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Saint-Nazaire : « Pour galvaniser l’urbanisme » RÉSUMÉ > Certes, Gracq a beaucoup moins écrit sur Saint-Nazaire que sur Nantes. Il lui consacre toutefois de belles pages, notamment dans ce poème en prose, « Pour galvaniser l’urbanisme ». Un programme que la ville réelle n’a pas si mal réalisé ces quinze dernières années, comme si l’écrivain avait dégagé l’horizon pour une ville autrement dessinée.

TEXTE > JEAN-CLAUDE PINSON Entre Nantes et Saint-Nazaire, en littérature comme en d’autres domaines, la partie peut sembler très inégale. Tandis qu’à Nantes, où il a vécu sans pourtant en être exactement un habitant, Gracq a consacré le livre entier que l’on sait, il n’évoque Saint-Nazaire, qu’il n’a guère fait que traverser, qu’incidemment, par petites touches éparses, notamment dans La Presqu’île et dans La Forme d’une ville. C’est sans compter toutefois sur les deux ou trois pages décisives qui forment le noyau du premier poème en prose de Liberté grande. « Pour galvaniser l’urbanisme » (tel est le titre du poème) y décrète SaintNazaire unique parmi les « villes réelles », car seule capable de toucher l’auteur « jusqu’à l’exaltation ».

Philosophe, poète, membre du comité de rédaction de Place publique, Jean-Claude Pinson a vécu à SaintNazaire, une ville qu’il évoque dans quelques-uns de ses recueils parus chez Champ Vallon.

« Ville glissant de partout à la mer » « Galvanique » est un mot cher à Gracq. Il signale, au baromètre lexical propre à l’auteur, l’imminence des plus hautes pressions, celles qui font qu’en certains lieux et moments l’existence exulte. Mieux que tout autre paysage, MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 63


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Arrière-pays inclus

La cité industrielle continue d’être hantée par une Bretagne secrète.

La ville semble devenue gracquienne, comme si ses élus avaient pris au sérieux l’appel de l’écrivain à « galvaniser l’urbanisme ».

« Galvanique » quand on arrive par le pont, Saint-Nazaire apparaît vite aussi, pour qui fait plus qu’y passer, comme une ville « eutopique ». Car elle n’est pas ou n’est plus tout à fait cette ville sans attaches que décrit le poème de Liberté grande. Elle appartient à son arrière-pays et notamment à cette presqu’île guérandaise en laquelle Gracq a cru voir un des ces « royaumes au bord de la mer » où vient mourir le vieux sortilège celtique. Comme telle, la cité industrielle continue d’être hantée par cette Bretagne secrète dont Gracq fait « une réserve » où peut s’alimenter, en même temps que l’imagination, un sens des lieux, de leur sacré à la fois tellurique et marin. Le sentiment de l’imminence de la mer, si puissant à Saint-Nazaire, se nourrit ainsi de tout un arrière-pays côtier de rochers et de dunes. Il s’alimente à cette « gloire des plages » qui est pour l’auteur de La Presqu’île l’emblème par excellence de l’euphorie de vivre, d’une « vie goethéenne » où les journées pourraient s’écouler alcyoniennes. Alors, écrit Gracq, il se fait dans l’existence « une espèce d’élargissement brusque et vibrant, comme quand le vent fait claquer et déplie une voile. » Soudain on vit au diapason de la terre et du ciel, de l’océan aussi. Sans doute, et on le sait très bien, il n’y pas de raison que le monde se prête à ce désir d’être bien, d’être heureux, qui nous habite. Mais nous savons aussi – et avec Gracq nous le savons mieux – qu’il y a des lieux plus que d’autres propices à se sentir « inclus et presque baigné » dans le paysage, comme l’est le narrateur de La Presqu’île roulant en voiture par de toutes petites routes vers Kergrit (autrement dit Piriac). Mais cet arrière-pays n’est pas seulement extérieur à Saint-Nazaire. Limitrophe, il est aussi présent intra muros, comme le sont toutes ces plages nichées au fond de criques assez secrètes, auxquelles on accède à pied, à l’aplomb d’un bois de chênes verts. Collier jusqu’à SaintMarc regardant vers le sud, que forment Ville-ès-Martin, Bonne Anse, Porcé, La Courance, Géorama…

Changer la vue, changer la ville La lecture de Gracq, des rares pages qu’il consacre à Saint-Nazaire, est-elle pour quelque chose dans les transformations, heureuses disons-le, qu’a connues l’urbanisme nazairien depuis une bonne quinzaine d’années ? Il paraît hasardeux de l’affirmer. Pourtant, à nouveau tournée vers la mer et son port, à nouveau glissant vers l’océan 66 | PLACE PUBLIQUE | MARS-AVRIL 2008

en même temps que ses paquebots, la ville paraît aujourd’hui redevenue presque gracquienne, comme si ses édiles avaient su mettre en œuvre la leçon du poème appelant à « galvaniser l’urbanisme ». Peut-être alors n’est-il pas absurde, malgré tout, d’avancer l’hypothèse d’une incidence de l’écrit, par quelque souterraine et mystérieuse capillarité, sur la façon de se représenter la ville. Car si la forme d’une ville peut changer la vie d’un auteur, le marquer profondément de son empreinte, il se peut qu’en retour ce qu’il en écrit aide à changer la vue qu’en ont ceux qui l’habitent et qui décident de sa forme. Gracq lui-même semble le suggérer, lorsqu’il écrit qu’il se pourrait bien que pour changer, pour se mettre en mouvement, notre regard sur ville, sans qu’on en soit bien conscient, n’attende « que les plus fragiles inspirations de la poésie. » Auquel cas, on pourrait en effet mettre au crédit de la prose de Gracq – et spécialement de ce singulier pouvoir d’invention, d’excursions centrifuges et de « poétiques collusions » dont elle témoigne dans Liberté grande – d’avoir aidé, sans vraiment le vouloir, à dégager l’horizon pour une ville autrement dessinée, structurée. Après évidemment, c’est l’affaire des politiques et des urbanistes, de tous les citoyens aussi, que d’inscrire éventuellement dans les tracés urbains la vue nouvelle suggérée par l’écrivain. La ville réelle peut alors rejoindre, un peu, la ville rêvée imaginée. Rêve est ainsi, dans le poème que j’ai évoqué, cette image que suggère Gracq d’une ville de Saint-Nazaire devenue « camp d’atterrissages des géants martiens à tripodes de Wells ». Et la vision paraît se concrétiser quand on découvre, posée au beau milieu du parc paysager, ce disque géant de béton brut que les Nazairiens appellent la « Soucoupe ». De même, l’on pourrait croire que, quelques décennies plus tard, d’autres Martiens ont débarqué à l’entrée nord-ouest de la ville, celle qui conduit à Pornichet. Le très grand rond-point qui a nom « Océanis », avec son plan incliné de matière noire et ses antennes obliques pointées vers le ciel, a en effet, lui aussi, tout d’une soucoupe volante, certes beaucoup plus mince, comme il sied aux objets technologiques de plus récente génération. Et sans doute n’est-il pas indifférent de savoir que l’artiste qui l’a dessiné, Eric Fonteneau, avait donné à sa première œuvre marquante le titre, éminemment gracquien, de « Chambre des cartes ».


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Olivier Mongin : « Gracq nous aide à penser la ville ».

RÉSUMÉ >Directeur de la revue Esprit, philosophe, spécialiste des questions d’urbanisme, Olivier Mongin porte un regard particulier sur Julien Gracq, et notamment sur La Forme d’une ville : un auteur et un livre indispensables pour comprendre les ressorts de l’expérience urbaine.

PROPOS RECUEILLIS PAR > THIERRY GUIDET PLACE PUBLIQUE > Dans votre dernier livre, La Condition urbaine, vous accordez une large place à Julien Gracq, et notamment à La Forme d’une ville, un ouvrage qui donne ordinairement matière à une lecture purement littéraire, ou, pour les Nantais, à une approche sentimentale, voire un brin chauvine… OLIVIER MONGIN > C’est parce que La Forme d’une ville n’est pas seulement un livre culte pour les gracquiens ou pour les Nantais. Il faut le faire lire à tous ceux qui s’intéressent aux questions de la ville aujourd’hui. Je rêve qu’on le réédite avec une préface faisant le lien entre le texte de Gracq et les préoccupations des urbanistes du 21e siècle. Quand j’ai publié La Condition urbaine, je l’ai envoyée à Gracq. Il m’a répondu avec humour qu’il MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 67


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TEXTE et DESSIN > NICOLAS DE LA CASINIÈRE

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L’ÉTALON-OR DE LA LITTÉRATURE LE CONTEXTE > Sollicités le jour même de l’annonce de la mort de Julien Gracq, cinq écrivains liés à Nantes par la naissance, l’œuvre ou la vie ont immédiatement accepté cette rencontre publique consacrée à l’auteur de La Forme d’une ville. Elle s’est déroulée à Nantes, salle Paul-Fort, le jeudi 10 janvier.

MICHEL CHAILLOU, né à Nantes, est l’auteur d’une œuvre qui vient de recevoir le Grand prix de littérature de l’Académie française. On connaît notamment de lui La Croyance des voleurs (Seuil), une autobiographie romancée qui se déroule à Nantes. Dernier livre paru : L’Écoute intérieure. Neuf entretiens sur la littérature avec Jean Védrines (Fayard).

PIERRE MICHON, vit à Nantes. L’un des plus importants prosateurs français d’aujourd’hui, auteur notamment de Vies minuscules (Gallimard). Dernier livre paru : Le Roi vient quand il veut. Propos sur la littérature (Albin Michel).

JEAN-CLAUDE PINSON, né près de Nantes. Poète, philosophe, membre du comité de rédaction de Place publique, il est l’auteur d’une œuvre poétique et théorique illustrant un lyrisme post-moderne. Derniers livres parus : Drapeau rouge (Champ Vallon) et À Piatigorsk, sur la poésie (Cécile Defaut).

TANGUY VIEL, a vécu à Nantes. Jeune romancier auteur aux Editions de Minuit d’œuvres remarquées, notamment L’absolue Perfection du crime. Dernier livre paru : Insoupçonnable (Minuit). PAUL LOUIS ROSSI, né à Nantes. Auteur d’une œuvre abondante et multiforme (romans, récits, essais, poésie) parmi laquelle on retiendra l’un des plus beaux livres consacrés à Nantes, La Voyageuse immortelle (Le Temps qu’il fait). Dernier livre paru : Le Buisson de datura (Joca Seria). MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 77


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THIERRY GUIDET > Chacun connaît les liens étroits qui unissent Julien Gracq à Nantes, cette ville où il est arrivé dans les années 1920 pour être interne au lycée Clemenceau, un établissement où il est revenu plus tard, durant l’année scolaire 1935-1936 comme professeur d’histoire et de géographie. Mais surtout, Julien Gracq, qui avait déjà parlé de Nantes dans Lettrines, lui a consacré un livre entier, La Forme d’une ville, paru en 1985. Il y a peu de villes qui aient reçu pareil cadeau d’un pareil écrivain. Quand nous avons appris la mort de Julien Gracq, peu avant Noël, lui rendre hommage nous est apparu comme une évidence. Cette soirée est organisée par notre revue, mais il est bien évident qu’au-delà de Place publique, c’est toute une ville qui rend hommage au grand écrivain disparu. Nous avons décidé, non pas de tenir un débat comme nous avons l’habitude de le faire, mais d’inviter cinq écrivains à une conversation, à une conversation publique. Ces cinq écrivains ont au moins deux points communs : ils entretiennent un rapport parti78 | PLACE PUBLIQUE | MARS-AVRIL 2008

culier avec Nantes, qu’ils y soient nés, qu’ils y vivent, qu’ils aient écrit à son propos ; ils éprouvent une commune admiration pour Julien Gracq. J’observe d’ailleurs que trois des cinq écrivains présents, Michel Chaillou, Pierre Michon, Jean-Claude Pinson, évoquent l’œuvre de Gracq dans leur dernier livre. Pour autant, nous nous efforcerons ce soir d’aller audelà de l’exercice d’admiration, au-delà de l’éloge convenu qui, je crois, n’aurait pas vraiment plu à Julien Gracq, et nous tenterons ce soir de porter le seul regard authentiquement respectueux qui soit : un regard critique. Je vais d’abord demander aux uns et aux autres quelle a été leur porte d’entrée chez Gracq : quand l’avez-vous lu pour la première fois et comment ? MICHEL CHAILLOU > Je ne me souviens plus exactement quand et comment, mais je sais que c’est par Le Rivage des Syrtes, qui m’avait complètement emballé quand j’étais très jeune. Et puis, je dois l’avouer, je ne l’ai plus


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vraiment lu après. Incontestablement, c’est un écrivain, et comme tout écrivain authentique, il produit un dépaysement : on sort d’un pays pour entrer dans un autre; le style, c’est une manière de douane, une fois qu’on l’a franchie les mots sont tamponnés d’une autre façon. Eh bien Gracq habite là-bas, un pays lointain dont rien n’est proche. PAUL LOUIS ROSSI > Je prendrai une date lointaine, 1956. Gracq nous apparaît alors comme appartenant à la cosmogonie surréaliste. Je suis donc intéressé par son œuvre. Je pense à cette histoire du Trèfle farouche à quatre feuilles qu’il a écrit avec Lise Deharme, Jean Tardieu et André Breton. J’ai l’impression d’une longue familiarité qui commence peut-être avec Un beau ténébreux. PIERRE MICHON > Un beau ténébreux, c’est précisément un des livres de Gracq que je n’aime pas beaucoup. J’ai lu pour la première fois Gracq au lycée de Guéret, j’étais en terminale ou en première. J’étais interne dans ce lycée

d’arrière-campagne peu fournie en bons profs et en bonnes librairies. J’avais un camarade, externe, beaucoup plus dégourdi, c’était mon directeur de lecture. Un jour, il m’a refilé Le Rivage des Syrtes, En attendant Godot et La Route des Flandres, une trilogie vraiment extraordinaire. Le Beckett m’a fait rire et, bizarrement, le Claude Simon et le Gracq m’ont fait le même effet : des romans de guerre un peu intemporels. Ensuite, j’ai lu ce qui était disponible : Argol et Un beau ténébreux qui m’ont déçu. Je n’ai relu Gracq que vers 30 ans. Là, j’ai lu tous les livres au fur et à mesure de leur parution. Mais Le Rivage des Syrtes m’est resté, c’est un livre que j’ai relu tous les cinq ans comme on relit les livres qu’on aime. TANGUY VIEL > C’est l’un des rares écrivains que je lis encore dont je connaissais le nom quand j’avais 15 ans. Beckett ou Claude Simon, je ne connaissais pas. Mais peut-être que je le confondais avec Julien Green à l’époque, par moments…

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MICHEL CHAILLOU > Oui, je sais bien, mais il ne fait qu’insister sur la vanité de Chateaubriand. JEAN-CLAUDE PINSON > Il y a de très belles pages de Gracq sur La Vie de Rancé !

aussi, c’est que Gracq était le contraire de l’écrivain inspiré dont Dostoïevski est l’exemple, l’écrivain habité, traversé, exorbité… Je suis tiraillé entre Dostoïevski et Gracq : dès que je suis fatigué, je préfère Gracq. Avec lui, j’ai le droit de travailler, je peux être un artisan, être dans l’ingenium. Peut-être cela a-t-il à voir avec son côté professeur du second degré, son côté Troisième République : on peut tous y arriver, il y a une démocratie possible de la création… C’est ce qui fait que Gracq m’accompagnera toujours, peut-être dans ma part la moins romancière, la moins habitée paradoxalement.

«

MICHEL CHAILLOU > Oui, je sais bien, mais il n’empêche qu’il se perd dans l’anecdote. Son œuvre de lecteur critique me paraît un peu sommaire. En revanche, son œuvre romanesque – même si le terme de « romanesque » ne lui convient pas vraiment – avec sa phrase initiale qui se poursuit vers un horizon jamais atteint, ça, c’est parfait.

PAUL LOUIS ROSSI > Moi, j’ai écrit un livre dont personne ne parle qui s’appelle Vocabulaire de la modernité littéraire. J’y cite deux fois Gracq : une fois parce qu’il dit du mal de Madame Simone de Beauvoir ; une deuxième fois dans une petite rubrique sur Lettrines. Je fais l’éloge de cette forme qui tourne sur elle-même, de la singularité du propos, de l’absence de chronologie. Ça correspond à quelque chose que j’ai souvent énoncé, qui serait quelque chose comme un idéogramme en prose. PIERRE MICHON > Ce que je vais emporter de Gracq, c’est toute l’œuvre évidemment. Mais voilà ce que je voudrais dire : le fait qu’il soit mort est important. Il était intouchable. C’était un frein à un certain nombre de forfaitures ou de liquidations qui, peut-être, seront hâtées par sa disparition. Georges Perros disait de Gracq : sans doute je ne le rencontrerai jamais, mais je suis rassuré de vivre en même temps que lui sur cette terre. C’était l’étalon-or de la littérature. TANGUY VIEL > Ce que vient de dire Pierre, c’était plus vrai pour Deleuze dans le champ de la philosophie. Ce sera encore plus vrai quand Pierre Boulez va mourir, pour la musique. Lui, il était tellement en retrait… Je ne sais s’il occupait une place si centrale… PIERRE MICHON > Mais, peu importe. Ce qu’on attend du mètre-étalon, c’est qu’il existe, qu’il soit une référence, pas que tout le monde le voie.

TANGUY VIEL > En ce sens alors… Ce que je voudrais dire 88 | PLACE PUBLIQUE | MARS-AVRIL 2008

C’était l’étalon-or de la littérature » PIERRE MICHON


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BLOC-NOTES Thierry Guidet

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CRITIQUES Livres, expositions

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La chronique d’architecture de Dominique

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La chronique de Jean Théfaine

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BONNES FEUILLES

Amouroux

Jean Renard Nantes à la croisée des chemins


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BLOC-NOTES | SIGNES DES TEMPS

LE BLOC-NOTES THIERRY GUIDET directeur de Place Publique

Les baskets bleu turquoise de Franz Schubert

I

L EST ASSIS SUR UNE CHAISE DE BUREAU – à roulettes – à côté d’un violoncelle. Au mur du fond est accroché un tableau : une truite bondissant hors du torrent. Il porte un costume gris et une chemise bleue et blanche, col ouvert, et puis des baskets. Flashy, les baskets. Qui donc? Mais Franz, bien sûr. Franz Schubert, l’invité de la Folle Journée 2008, la quatorzième du nom, où ont encore été battus des records d’affluence : 120 000 billets vendus; un taux de fréquentation de 95%. Difficile de faire mieux. Mais qu’a-t-on voulu nous dire en affublant Schubert de chaussures de sport bleu lagon? Qu’il était jeune. Qu’il était cool. Qu’il mériterait, en somme, d’être notre contemporain.

D’ailleurs, dans les maisons de quartier de Nantes, des groupes locaux ont accommodé Schubert à leur manière, rock et slam, tandis que des tambourineurs venus de La Trinidad martelaient l’Ave Maria sur des bidons. Pourquoi pas? La musique, comme tous les arts, est une perpétuelle reprise, une interprétation incessante, chaque œuvre l’écho d’une autre, même quand elle croit rompre avec le passé. Et l’une des clés du succès de la Folle Journée est d’avoir su déboutonner la « grande musique ». Pas besoin de se déguiser de foulards Hermès ou de costumes de cachemire pour savourer la sonate Arpeggione. Quant à l’art de l’affiche, il est, par essence, provoquant. Je me souviens très bien de la première Folle Journée où l’on voyait sur les murs un Mozart en ombre chinoise faisant un pied de nez aux ronchons de la terre entière. Alors, d’où vient qu’après les avoir vues, ces baskets turquoise vous titillent longtemps

l’entendement ainsi qu’un fruit vert, un vin trop jeune vous agacent le palais ? Sans doute parce qu’on sait très bien, au fond, que Schubert (1797-1828) n’est pas notre contemporain. Et qu’on l’aime précisément pour cela. La patine du temps et, pour tout dire, l’étrangeté du passé, sont pour beaucoup dans notre goût des grandes œuvres. Quelle forme plus datée que le lied où Schubert excella ? Cette volonté d’en faire l’un des nôtres, de le tirer vers notre présent a, bien sûr, des vertus pédagogiques : on n’attire pas les jeunes mouches avec du vinaigre vieux. Mais attention à ne pas tenir notre temps pour le critère de l’excellence esthétique et morale, à n’entendre Monteverdi, Bach, Schubert que s’ils sont, sans trop d’efforts, audibles à nos oreilles contemporaines. Ne renversons pas naïvement la formule médiévale qui faisait des vivants des nains assis sur les épaules des géants des siècles enfuis. MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 91


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À LIRE

TERRITOIRES

Estuaire. L’art et le fleuve Estuaire 2007? Une biennale d’art contemporain. Mais aussi une opération de communication. Et une invitation à la découverte d’un territoire méconnu. Sans oublier une volonté politique de donner chair au concept de métropole Nantes/Saint-Nazaire. Ces multiples facettes de la spectaculaire manifestation de l’été dernier suffisent à expliquer la composition du livre qui lui est consacré : Jean Blaise, concepteur d’Estuaire et directeur du Lieu Unique nous conte cette aventure de l’intérieur; le critique d’art Frédéric Bonnet passe les œuvres en revue; le journaliste Dominique Luneau s’attache aux enjeux d’Estuaire en termes d’aménagement du territoire. Jean Blaise d’abord, qui explique que son idée relève de ce qu’il appelle « l’action culturelle » : « Dans l’esprit du grand public, la métropole Nantes / Saint-Nazaire demeurait une abstraction. Comment la faire advenir, sinon en braquant un projecteur sur l’estuaire, ce lien concret, physique, entre les deux villes. Je me suis dit que c’était là qu’il fallait se porter, là qu’il fallait créer une aventure. Estuaire a été imaginé pour accompagner un grand projet politique, au sens premier du mot, avec des artistes contemporains. L’art pouvait en effet révéler ce dessein et permettre à chacun, peut-être, d’en percevoir les enjeux. » Un long travail de persuasion auprès des élus, auprès des habitants de l’estuaire, auprès des entreprises, auprès de l’administration, avec ses avancées, ses reculs, ses abandons définitifs ou momentanés… Jean Blaise nous raconte par le menu cette « mise en œuvre à la fois complexe, passionnante et exténuante » sans reculer devant l’aveu de quelques erreurs, notamment celle « d’avoir surestimé les capacités des ingénieurs. » On sait que La Maison dans la Loire de Jean-Luc Courcoult a sombré, victime des courants, et que Le Canard de bain de Florentjin Hofman s’est bien vite dégonflé. Le concepteur d’Estuaire revient sur « la bataille de l’art » qui s’est alors déclenchée. Il note que « le débat le plus passionnant a été organisé par la revue Place publique. » 1 « Tout en saluant le concept d’Estuaire, le philosophe Yves Michaud a affirmé que du point de vue artistique, la manifestation, à deux ou trois œuvres près, était nulle et non avenue. Que c’était de l’agitation, de la communication. Il a même décrété avec humour que c’était de « l’art à l’état gazeux », par opposition à « l’art patrimonial », autrement dit, ce qui fait ou va faire partie de l’histoire de l’art. » Et Jean Blaise d’objecter : « Je me suis demandé comment il faisait pour savoir quelles œuvres contemporaines allaient devenir patrimoniales. » Ce à quoi on pourrait rétorquer qu’il n’est nul besoin de détenir les réponses pour poser des questions. En dépit des difficultés, en dépit des critiques, Jean Blaise, on s’en doute, tire un bilan positif d’Estuaire, esquisse le contenu des 94 | PLACE PUBLIQUE | MARS-AVRIL 2008

deux prochaines éditions en 2009 et 2011, caresse l’espoir que « l’utopie d’Estuaire, qui est de permettre aux habitants de se réapproprier le fleuve et à des artistes d’introduire l’art dans la vie » devienne « une réalité. » Le texte de Frédéric Bonnet, collaborateur du Journal des arts, ne pêche pas par un excès d’esprit critique à l’égard des œuvres présentées. L’éloge tombe dru. Les afféteries de langage, si communes dans le milieu, lassent vite. On peut heureusement regarder les photos. Reste le texte de Dominique Luneau, rédacteur en chef de Presse Océan et sagace observateur de cette ville. Un peu de géographie, un peu d’histoire pour mieux faire comprendre la réalité complexe de l’estuaire de la Loire, un très riche milieu naturel depuis toujours transformé par l’action de l’homme. Aujourd’hui, l’estuaire est malade : en cinquante ans, « il a perdu un millier d’hectares de vasières, son bien environnemental le plus précieux », et la remontée des eaux liée au réchauffement du climat n’arrangera rien. Or l’estuaire est un bien d’une valeur inestimable pour la métropole Nantes/Saint-Nazaire, dont la population devrait dépasser le million dans vingt ans. C’est une ville atlantique qu’il faut penser. Elle sera « chaotique si la consommation actuelle des sols et la création de nuisances dues à l’étalement urbain ne sont pas maîtrisées, si l’estuaire de la Loire ne retrouve pas son équilibre hydrologique, si l’échelle de décision publique reste celle d’une mosaïque de communautés de communes. » Elle sera « durable si le développement économique prend effectivement appui sur la qualité environnementale de l’estuaire, si la solidarité entre les pièces du puzzle l’emporte sur les égoïsmes. » « Et si, ajoute Dominique Luneau, la ville atlantique sait s’emparer de l’eau », en « retrouver le plaisir et le goût. » Ainsi, l’art serait le chemin sinueux menant au fleuve redécouvert. Disposés à l’emplacement des anciens chantiers navals, les Anneaux de Buren permettraient de jeter sur l’estuaire un regard renouvelé. Comme la Providence, Jean Blaise écrit droit avec des lignes courbes. THIERRY GUIDET Jean Blaise, Frédéric Bonnet, Dominique Luneau, Estuaire. L’art et le fleuve. Gallimard. 189 p., 30 € 1. Place publique, numéros 4 et 5


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À LIRE

TERRITOIRES

La République et ses territoires On savait le rôle des vents dans la morphologie et la sociologie urbaine : au plus fort de la révolution industrielle, la bourgeoisie soucieuse de sa qualité de vie s’est octroyée en de nombreuses villes les quartiers ouest, à l’abri des pollutions et des odeurs produites par les usines, abandonnant aux couches populaires les parties est de la ville, « sous le vent » et exposées aux désagréments. C’est en quelque sorte une version moderne de cet effet de spatialisation que propose l’ouvrage de Laurent Davezies. Ce n’est plus toutefois la répartition à l’intérieur d’un territoire qui est ici l’enjeu de l’analyse, mais bien la répartition entre les territoires. Le constat de départ est celui d’une dissociation croissante entre territoires de production et territoires de consommation, dont les effets se déploient plus largement encore : « les lieux de la croissance ne sont plus nécessairement ceux du bien-être ». Un nouveau clivage se révèle ici tendanciellement, entre des territoires attractifs, mais faiblement productifs (Nice); inversement, des territoires productifs mais faiblement attractifs (Paris) – sans même parler des territoires qui se trouvent doublement affectés à la fois par la désindustrialisation et une faible attractivité (Lorraine, Nord-Pas-de-Calais). Au risque que la carte des territoires apparemment dynamiques ne se confonde désormais avec une carte des territoires touristiques, bénéficiant notamment à la fois des bienfaits de l’ensoleillement, de la douceur du climat et de leur position littorale. Comprendre cette dissociation implique de renouveler les instruments dont use habituellement l’analyse du développement local et de rompre avec une approche où l’estimation du PIB (Produit intérieur brut) constitue encore le sésame de l’explication. Seule l’approche par la base économique (qui passe par la prise en compte des revenus et de leurs origines) que prône Laurent Davezies met en évidence la part décisive de revenus généralement confinés à l’invisibilité en raison de cette obsession du PIB : revenus des activités publiques bien sûr (dont Patrick Le Galès avait déjà souligné l’importance dans l’élaboration d’un modèle de la ville européenne), mais aussi et peut-être surtout revenus de transferts sociaux , notamment ceux des retraités. L’important dès lors n’est plus seulement de développer et d’encourager le développement économique local, mais bien d’attirer et de fixer des populations dont les revenus, trop souvent délaissés par les approches économiques classiques, permettent aussi la création d’emplois qui ont l’avantage de ne pas être délocalisables, car liés aux personnes (on aura toujours besoin d’un boulanger ou d’un coiffeur). Or, dans cette concurrence pour l’attractivité, tous les territoires ne sont pas égaux. Telle est d’ailleurs l’une des leçons que l’on pourrait tirer d’une lecture rapide et utilitaire de ce livre : plutôt que de tenter

d’encourager la création d’emplois par divers dispositifs de soutien aux entreprises, il vaut peut-être mieux aujourd’hui pour un élu local encourager la construction de cités sécurisées à destination de retraités aisés. D’une certaine façon, cette réflexion stimulante permet de poursuivre le débat posé par Place publique, dans son numéro 7, sur la relation entre savoir et pouvoir. Christian Baudelot y soulignait les effets pervers éventuels de travaux universitaires, dont les siens propres. Les idées ont aussi leur destin, qui échappe parfois à ceux qui les formulent. Laurent Davezies ne l’ignore visiblement pas, qui mentionne à plusieurs reprises le risque d’une réappropriation malencontreuse des résultats de ses recherches. Aussi, plutôt que d’envisager d’interdire la lecture de l’ouvrage à nos élus, dont certains connaissent d’ailleurs très bien les travaux de Laurent Davezies1, peut-être faut-il insister plus avant sur l’objectif de cet ouvrage, qui vise ni plus ni moins à reformuler une nouvelle doctrine de ce que l’on appelait autrefois l’aménagement du territoire. Non que Laurent Davezies soit d’ailleurs le moins du monde nostalgique de cette époque, dont le changement de nom de la DATAR a signé la fin. Car l’heure n’est plus selon lui à la dénonciation du clivage entre Paris et la Province, mais bien à la prévention d’une victoire envisageable des égoïsmes territoriaux, qui semble se dessiner de plus en plus nettement au profit des territoires attractifs et au détriment des territoires productifs. On suggérera ici l’urgence de cette nouvelle critique territoriale, à l’heure où les gouvernements de droite surestiment sans aucun doute les capacités du « gouvernement à distance des territoires », à l’heure où les postulants de gauche ne semblent pas voir la contradiction entre l’intégration de l’idée d’une concurrence entre les territoires, la fidélité proclamée à l’objectif de solidarité entre ces territoires, et l’éloge appuyé d’une autonomie des gouvernements locaux, qu’il s’agirait même de renforcer. Le succès actuel du mot même de territoire, en passe de devenir l’un des lieux communs de l’action politique locale, la consécration du local, le repli sur les collectivités territoriales ne sauraient masquer l’urgence d’un point de vue national sur cette question - un point de vue national qui ne saurait se contenter de célébrer des réussites locales : elles ne sont que les arbres sains qui cachent la réalité de la déforestation. GOULVEN BOUDIC Laurent Davezies, La République et ses territoires, La circulation invisible des richesses, Le Seuil-La République des idées. 1. La Samoa (Société d’aménagement de l’Ouest atlantique) a confié une mission à Laurent Davezies sur les moteurs du développement de la métropole Nantes/Saint-Nazaire. On peut se procurer cette étude auprès d’elle (stanislas.mahe@samoa-nantes.fr) et lire le résumé qu’en avaient donné Laurent Théry et Stanislas Mahé dans le n°3 de Place publique : « L’estuaire, matrice de la métropole ».

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À VOIR

EXPOSITION

Rétrospective Erwin Wurm : « la difficulté de s’arranger avec la vie » Après une première présentation à Vienne en 2006, un passage par Hambourg et Lyon, l’exposition rétrospective de l’artiste autrichien Erwin Wurm débarque à Nantes. Plus d’une centaine d’œuvres sont réparties sur deux espaces – le Lieu Unique et le Hangar à Bananes, distance 3km / 40 minutes de marche, précise le dépliant délivré sur place. Même si cette scission nuit à la cohérence, à l’unité et à la force de l’ensemble (constitué de sculptures, de dessins, d’installations, de vidéos et de photographies), on pourra ici et là faire l’expérience d’un véritable monde en devenir, peuplé d’objets costumés, boursouflés, acrobatiques, transformistes, un monde fait de situations absurdes ou improbables, d’équilibres périlleux, de corps étonnants, un monde burlesque, teinté d’un humour acide et parsemé d’incongruités qui interrogent le spectateur. Drôle de sculpteur « Je voulais étudier la peinture, par accident je suis finalement devenu sculpteur. J’ai alors commencé à me demander en quoi exactement consistait cette activité. Cela m’a conduit à la recherche des qualités élémentaires de la sculpture. » C’est ainsi que, très laconique, Erwin Wurm évoque ses débuts à la Kunstakademie de Vienne où, après s’être vu refuser une place en peinture, il suit les enseignements de l’atelier de sculpture. Nous sommes au milieu des années 1970, les orientations définies par l’art conceptuel et l’art minimal dominent la scène artistique. Wurm s’intéresse donc comme tout le monde aux fondements, propose des travaux qui interroge la définition même de la sculpture. Mais très vite, il va sortir du cadre. En créant des volumes cubiques habillés de vestes, de manteaux ou de chandails, c’est déjà la vie des objets quotidiens et l’intime qu’il met en scène. On peut voir certain de ces volumes au Lieu Unique. Les sculptures les plus récentes – sortes de gros tubercules en habits, prêts à exploser – sont quant à elles présentées au Hangar à Bananes. Elles nous plongent dans un univers haut en couleur, loin de l’austérité du noir et blanc minimaliste. Les œuvres réunies par la rétrospective nous donne alors la sensation d’assister à la création d’un monde. Une vidéo intitulée 59 positions présente les drôles de bestioles qui peuplent cet univers : des corps humains attifés des vêtements les plus quotidiens, de la manière

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la plus étrange qui soit. Parfois dans des positions d’équilibristes, parfois solidement ancrés au sol, membres contraints, tête invisible, ce sont des sculptures éphémères vivantes qui apparaissent sous nos yeux. Et soudain, on regarde différemment les objets alentour. Et s’ils étaient réellement pourvus d’une âme comme le pense l’artiste? Dans le même espace, on trouve encore une voiture obèse et une maison pleine de bourrelets, toutes deux parlantes et s’interrogeant avec humour sur leur condition : « Suisje une maison? Suis-je une œuvre d’art? Suis-je une œuvre d’art parce que je suis grosse? » On pense alors à un autre objet étonnant et difforme, le voilier installé depuis Estuaire 2007 à proximité du canal de la Martinière, au Pellerin, voilier abandonné en train de se pencher, de se plier dans un mouvement d’une grande souplesse, irrésistiblement attiré par le fleuve. Travaillant le plein et le vide, le volume, les échelles et leurs contradictions, Erwin Wurm explore les questions traditionnelles de la sculpture, mais toujours avec une ironie, une démesure, un décalage ou un grain de folie qui portent ses œuvres ailleurs, et nous avec. Sculpture de soi Chez Erwin Wurm, si les objets vivent, les hommes peuvent inversement se faire sculpture, en vertu tout d’abord de la plasticité du corps humain. Car, note l’artiste, si « changer la masse et le volume est un acte sculptural, prendre ou perdre du poids est aussi un acte sculptural ». Le sculpteur peut ainsi grossir et maigrir pour façonner son corps – qui est sculpture. Il peut aussi transformer les personnes en les recouvrant de multiples couches de vêtements, comme dans la série « Curator / Imperator », où il


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fait le portrait en pied de commissaires d’exposition connus et ici sérieusement dodus. Toute action humaine peut faire sculpture et être figée par la photographie ou le regard de l’autre. C’est ce que montrent la plupart des œuvres exposées au Lieu Unique. Ainsi en est-il des célèbres One Minute Sculptures que chacun peut se réapproprier. Présentées sous forme de photographies mais également d’indications et d’objets laissés à disposition, elles offrent la possibilité aux visiteurs de jouer à se faire sculpture éphémère en suivant un protocole (s’allonger sur des oranges les bras en croix, maintenir un vélo et toute sorte d’ustensiles en équilibre, se placer les deux pieds dans un seau avec un autre sur la tête, etc.). Le temps de chacune de ces performances est évidemment très court. Les One Minute Sculptures sont comme une invitation à s’impliquer dans la gratuité d’une expérience, artistique et ludique, que seul le regard de l’autre pourra apprécier dans son étrangeté. « Le jeu possède à mon sens une grande force, un vrai pouvoir de subversion. L’humour et le jeu permettent vraiment de soulever beaucoup de questions, de faire passer beaucoup de choses sans se montrer blessant ou doctrinaire », explique l’artiste. La série Instructions pour être « politiquement incorrect » en fait la démonstration, expliquant photographies à l’appui comment « cracher dans la soupe du voisin à table, faire pipi sur le tapis du salon au beau milieu d’une réunion mondaine ou chercher une bombe dans le pantalon d’un terroriste potentiel »… Sillonnant le quotidien, son étrangeté, déplaçant la fonction des objets et se jouant des comportements sociaux, s’emparant en-

core de questions politiques, on l’aura compris, l’œuvre d’Erwin Wurm dépasse de loin le seul cadre de la sculpture. D’abord intéressé par l’art conceptuel et minimal, l’artiste en a tiré des idées qui ont été autant d’embrayeurs pour mener sa pratique ailleurs. Avec leurs moyens propres, les œuvres créées font des mondes, interrogent le réel et éventuellement la théorie même de laquelle elle sont en apparence issues. Dans l’espace de ce court article, nous n’avons pu évoquer qu’une part d’une production importante et variée. L’œuvre recèle par exemple un dialogue avec les philosophes, qu’on pourra découvrir au Hangar à Bananes à travers des dessins, des sculptures habillées et un curieux yoga... « Que ce soit par le truchement d’une philosophie ou d’un régime alimentaire, l’art s’occupe en définitive de la difficulté de s’arranger avec la vie », conclut Wurm. YOANN BARBEREAU Erwin Wurm : rétrospective, au Lieu Unique et au Hangar à Bananes jusqu’au 16 mars 2008. Entrée libre.

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À VOIR

Thomas Lavigne, marieur de rives À la fois ingénieur et architecte, Thomas Lavigne est un jeune concepteur d’ouvrages d’art qui entretient avec Nantes une double relation particulière. En effet, Charles Lavigne, son père, a signé au cœur de la métropole deux ponts appréciés des Nantais : le pont des Trois Continents qui, comme pour se faire pardonner son emplacement peu valorisant entre le Marché d’intérêt national et les abattoirs désaffectés, avait vitré ses flancs pour s’ouvrir au spectacle du bras de Pirmil ; le pont Willy Brandt qui se glisse aussi discrètement qu’harmonieusement entre l’ex-stade Marcel-Saupin et la salle omnisports de Beaulieu. Il fut également l’auteur de deux ouvrages que les Ligériens empruntent régulièrement sur la route des week-ends et des vacances soit pour gagner le Golfe du Morbihan (pont de La Roche Bernard, 1996), soit pour quitter le continent (pont de l’île de Ré, 1988). C’est à Nantes ensuite que, « par le hasard de la localisation des grandes écoles », Thomas Lavigne a obtenu ses deux diplômes, celui d’ingénieur à l’École supérieure du bois en 1998 et celui d’architecte à l’École nationale supérieure d’architecture en 2002, avec un projet d’aquarium sur la Prairie au Duc. Fort de cette double compétence et de l’expérience acquise avec son père notamment pour le pont de Normandie (qui doublait le record mondial de portée des ponts à haubans) et le pont Vasco de Gama à Lisbonne, long de 14 kilomètres, Thomas Lavigne, aujourd’hui associé à Christophe Chéron au sein d’Architecture et Ouvrages d’art (AOA), conçoit de nombreux ouvrages d’art en Pays de la Loire, en France, en Europe, voire même au-delà. Estuaires infinis et villes historiques Comme ses illustres aînés, au premier rang desquels Gustave Eiffel, ses terrains d’action alternent gorges profondes et estuaires infinis, paysages grandioses et défilés friables, sites sensibles et cœur des villes historiques. Comme eux, il cherche comment franchir chaque obstacle de façon fiable, économique et harmonieuse. Ainsi, à 32 ans, il glisse dans les grands espaces africains deux viaducs de la liaison ferroviaire à grande vitesse Johannesburg/Prétoria, associé à un entrepreneur français, Bouygues, et à un constructeur canadien de matériel ferroviaire, Bombardier. Il tutoie la mer pour édifier dix-neuf des ouvrages de la 106 | PLACE PUBLIQUE | MARS-AVRIL 2008


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LA CHRONIQUE D’ARCHITECTURE DE DOMINIQUE AMOUROUX | SIGNES DES TEMPS

Pont sur les docks du Havre.


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À ÉCOUTER

CHANSON

Tue-Loup : Le Lac de Fish Un panneau du lieu-dit TueLoup sur fond de clôture barbelée pour La Bancale, paru chez Pias en 1998; une tête de chèvre étonnée pour La Belle inutile (1999), enregistré à Marrakech ; des nuages blancs sur ciel rouge pour Penya (2002) édité par Le Village Vert ; une aquarelle de poule picorante pour Tout nu (2004) ; un idéogramme couché sur bleu azur pour Rachel au rocher (2005) ; une poignée de troncs mutilés et dénudés, enfin, baignés de lumière jaune, pour Le Lac de Fish, dernier « bébé » en date des Sarthois de Tue-Loup. À bien y regarder, les pochettes de tous ces albums ont, au-delà du graphisme, un air de famille ; une idée simple et forte de l’espace rural qui renvoie en creux au contenu de chansons avec tripes et cœur écorché. Thomas Fiancette a remplacé Romain Allanot à la batterie, mais l’univers folk-rock de la bande n’a pas fondamentalement changé. Un univers un poil cabossé dont Xavier Plumas, l’auteur-compositeur, sait souligner sans s’apesantir les secousses et les fêlures, les coups de joie et les coups de sang. La maturité aidant, cela donne ici douze titres sensibles, servis par la belle voix chaude de Xavier avec, pour habiller le paysage, des guitares, du piano, de l’harmonica, de la basse, de la batterie, des claviers, de la flûte, du violon. On a souvent cité les Américains de Violent Femmes et le Brestois Miossec parmi les « cousins » de Tue-Loup. Ajoutons Calexico et Murat, voire Cali. Des références qui n’occultent en rien les qualités propres d’une formation singulière. Semé de superbes ballades, de valses lentes, de fuites de guingois, Le Lac de Fish (dont le morceau éponyme, coupé d’un long silence, est peut-être le sommet) est un album en plénitude à apprivoiser en boucle. On peut même avoir le palpitant qui se chiffonne à l’écoute de Adieu les Bordes, un hommage de Xavier à son ancien village dont il a dû déménager. Au fait, Le lac de Fish est annoncé comme le septième album de Tue-Loup alors qu’il n’en existe que six sur le marché. Le septième est, en fait, le tout premier, enregistré spartiatement en 1996 et gravé à 600 exemplaires seulement. Un authentique collector jamais réédité jusqu’ici et, paraît-il, encore disponible à la fin de certains concerts des Sarthois ! CD Le Lac de Fish, 12 titres, 51’. T-Rex/Anticraft. Contact scène : 04 50 22 85 98 et contact@dessousdescene.com. Lien Internet : www.myspace.com/tueloup.

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Bouskidou : Viens faire la bise… Vous en connaissez beaucoup, vous, des chanteurs « pour enfants » qui bénéficient du double imprimatur du clown comédien Howard Buten et de l’écrivain Erik Orsenna? Bouskidou est l’heureux gagnant. Il faut dire que depuis 1982 (Eh dis donc soleil), le groupe « paysde-loiresque » s’est fortement installé dans un créneau où les places sont chères. Mouloud, René, Philcro et Jeanmi ont même réussi l’exploit d’y squatter quasiment en solitaires un espace pop-rock dont ils maîtrisent parfaitement les règles. Car, avec les Bouskidou, ça dépote électrique sur des paroles à hauteur de mômes qui ne gnangnantent et ne blingblinguent jamais. Démonstration faite, dans le nouvel opus, avec des chansons qui s’appellent Roulez jeunesse, Viens faire la bise, Ah ! les beaux dimanches, La vie des animaux, Vautré sur l’canapé… Sans faux pli, vocalement et mélodiquement. CD Viens faire la bise…, 18 titres, 64’17. Mamie Productions/L’Autre Distribution. Contacts : contact@bouskidou.com. Site Internet : www.bouskidou.com.

RAP

Le Dispositif : Synopsis C’est sur le jeune label nantais Dixit-Records, spécialisé dans le rap et le hip-hop (Trez, Dj’Don’s, B6K), que Le Dispositif, qui représentera les Pays de Loire, catégorie « Révélations », au prochain Printemps de Bourges, vient de sortir son premier album. Cinquante-huit minutes de musique. Quinze titres à la fois fluides et pêchus, impeccablement produits par Kony, avec Dj Don’s aux scratches.


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LA CHRONIQUE DE JEAN THÉFAINE | SIGNES DES TEMPS

Pablo et Mossah sont les mc’s toniques et prolixes de cette tchatche qui se veut résolument positive. Sur une trame musicale pimentée d’accents soul, jazz, rock, flamenco, les duettistes privilégient l’efficacité de la phrase au jeu des mots. Les clichés du gangsta’ rap à pognon facile, très peu pour eux qui, tout en ayant la rage, rêvent d’un monde moins injuste et crado. Cela donne de vraies réussites, comme L’écriture, Le signal ou ce Slam du nord au sud évoquant le drame haïtien. « Êtes-vous disposés à activer le dispositif ? », demande la bande en intro du combat. Et comment… CD Synopsis, 15 titres, 57’54. Dixit-Records. Contacts : 02 40 58 66 01 et 06 17 94 03 69. Internet : www.myspace.com/ledispositif et www.dixit-records.com.

NEW AGE

La Nuit des fées Si vous aimez Kate Bush, Loreena McKennitt, Era, toutes ces voix féminines éthérées qui vous invitent au voyage outresonge, vous devriez pénétrer sans peine dans La Nuit des fées, un élégant coffret cartonné contenant un CD de 16 titres et un carnet de voyage illustré de 24 pages en terre de Prikosnovénie. Priko-quoi? Prikosnovénie (« Effleurement », en russe), comme le nom du label installé aujourd’hui à Clisson, qui a eu l’idée de ce coffret à l’issue du Festival « La Nuit des fées » qu’il organisait en septembre dernier dans la jolie cité médiévale de Loire-Atlantique. La petite équipe qui manage la maison sait de quoi elle parle puisque voilà quinze ans (plus de cent CD produits!) qu’elle traque dans le monde entier des musiques féériques pour cœurs purs; un répertoire dont l’étiquette new age pourrait faire fuir les sceptiques au grand galop s’il n’avait été préservé des platitudes sonores invertébrées qui encombrent le genre. C’est bien de la musique qu’on entend ici, et non de la « relaxation » au kilomètre. Du Sans faire de bruit de la Bretonne Cécile Corbel à The candle in the snow des Moscovites de Caprice, en passant par Flowend de la Suédoise Karin Höghielm, Fai de l’Australienne Louisa JohnKroll, Closer to unicorn des gothiques français de Collection

d’Arnell-Andrea, New black wings de l’Ukrainienne Elena Voynarovskaya, c’est la même qualité de frisson qui court. Avec, c’est vrai, beaucoup plus de violon, de guitare acoustique, de piano, de percussions légères, d’architectures arachnéennes et d’envolées aériennes que d’orages électriques. « Parcourez la terre nocturne des fées et découvrez ses pays, ses habitants, ses musiques », est-il écrit au verso du coffret. Une claire invitation à découvrir, via une sélection de titres inédits, quelques-uns des artistes de Prikosnovénie et, plus largement, à pousser la porte de l’univers sans frontières (littéralement, puisque le label a une audience internationale) dans lequel ils se meuvent. Le cadeau, ce sont six titres écrits, composés et interprétés à l’issue de la Nuit des Fées de Clisson par Ashram, Mediavolo, Pinkruby et Corde Oblique. L’occasion de vérifier que le langage musical de la famille dont ils font partie est parfaitement cohérent et universel. CD La Nuit des fées, 16 titres, 65’12. Prikosnovénie/Anticraft. Contact : 02 40 54 23 44. Site Internet : www.prikosnovenie.com.

COUNTRY-ROCK

French cowboy : Baby Face Nelson was a french cowboy Seuls ceux qui suivent savaient que les ex-Little Rabbits forment aujourd’hui la garde musicale de Katerine. Eh bien, revoilà les petits lapins vendéens, rebaptisés French Cowboy, derrière leur complice Federico Pellegrini. C’est dans un excellent anglais bourbonné que ledit Pellegrini tricote des chansons inattendues couleur americana bancal ou country tex-mex râpeux, quelque part entre Calexico, Lee Hazlewood et Grant Lee Buffalo. La route, c’est droit devant ; avec de la poussière pour le gosier, de vastes paysages pour l’œil et des mélodies délicieusement flemmardes pour l’oreille. Avec, aussi, des paroles qui dépotent bien. Comme dans MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 113


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SIGNES DES TEMPS | CRITIQUES

À ÉCOUTER le décapant Supermarket. À noter l’irrévérencieuse Ballade de Baby Face Nelson, renvoyant pleine cible à la « Melody » de Gainsbourg, et deux titres en français : le compact Dis-moi et le mélancolique Hymne à la baise. Un vrai bel album hors-piste. CD Baby Face Nelson was a french cowboy, 14 titres, 57’19. Havalina Records. Contact : 01 40 40 94 45 et anne@mecanicprod.com (management). Internet : www.myspace.com/thefrenchcowboy.

BLUES

Philippe Ménard : Shanghaï blues Dans le numéro 3 de Place Publique, nous avions évoqué le DVD enregistré live par Philippe Ménard dans une salle de Lyon. L’ex-première gâchette de Tequila, solide groupe blues-rock des années 70, persiste et signe en sortant un nouveau CD. En bon « One man band », comme il aime à s’appeler, le Nantais a quasiment tout cuisiné sur cet album, enregistré et mixé à domicile. À peine a t-il fait appel à un bassiste sur le jubilatoire Turned ass hotel. Pour le reste, c’est en solitaire frotté à toutes les « crossroads » de la planète blues qu’il chante et joue de divers instruments, dont l’harmonica et son inséparable six-cordes. Que ce soit dans une ballade comme Athen is burning ou l’hendrixien Sexy sexa, l’alchimie fonctionne. Droit dans ses boots, lonesome Ménard est simplement fidèle à lui-même. Revisitant live et avec âme, à côté de ses propres compositions, un titre de Chester Burnett (Smokestack lightning) et l’immortel Baby please dont’ go de Big Joe Williams. CD Shanghaï blues, 16 titres, 68’46. Autoproduction. Contacts : 02 40 55 18 85 et philmenard.blues@wanadoo.fr. Internet : www.philippemenard.com.

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JEAN RENARD : POUR UNE MÉTROPOLE SOLIDAIRE NANTES À LA CROISÉE DES CHEMINS > PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES MORCEAUX CHOISIS > Ce livre est un recueil de textes : des articles parus dans des revues savantes, des conférences prononcées devants des publics très divers, des réflexions menées au sein du Conseil de développement de la communauté urbaine de Nantes… Qu’on ne croie pas pourtant à un livre disparate. Son unité profonde tient à son objet : Nantes et sa région. Il tient aussi à la démarche de l’auteur : Jean Renard est un géographe de plein vent soucieux des applications locales de son savoir, pas un universitaire en chambre.

« Texte produit en 1999 dans le cadre de la commission aménagement de la conférence consultative d’agglomération transformée en conseil de développement de la communauté urbaine de Nantes, afin de susciter réactions et débats. Il s’agissait, suite à la présentation du Projet 2005 par le président du district et qui était soumis à la conférence consultative pour avis, de présenter une argumentation. Le texte qui suit se veut un plaidoyer pour réunir les forces vives de l’agglomération et entend relever les aspects indispensables à prendre en compte pour réussir à faire de Nantes une ville solidaire et une métropole européenne. Lors des « débats sur la ville » organisés, en 1997 et 1998, par l’Agence d’urbanisme de Bordeaux, un certain nombre de questions ont été soulevées par les participants, spécialistes des villes et des projets urbains. Ces questions sont tout à fait d’actualité et recoupent très largement celles dont nous débattons au sein de la Conférence consultative. Par ailleurs, la dynamique enclenchée par la Conférence métropolitaine — réunissant les maires de l’aire estuarienne et dont les « premières rencontres de la Métropole » ont témoigné de l’intérêt porté par l’ensemble des acteurs du développement — constitue une occasion à saisir pour contribuer à un débat très riche et porteur de beaucoup d’espoirs pour l’avenir. Ce sont ces éléments de réflexion que je voudrais soumettre à l’appréciation et à la critique des membres de la conférence consultative d’agglomération transformée en conseil de développement.

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SIGNES DES TEMPS | BONNES FEUILLES

Vers un schéma de développement métropolitain Alors même que les modes d’organisation politique se transforment et s’améliorent, l’urgence d’un schéma de développement à l’échelle de la métropole est de plus en plus pressante. Le Sdaam des années 70 pourrait être repris, révisé et aboutir à un périmètre de Sdau à l’échelle de l’ensemble de l’Estuaire. La donnée nouvelle réside cependant dans le fait que l’État n’est plus l’initiateur de cette démarche. Elle est désormais portée par les élus de l’estuaire. Faut-il un Sdau propre à la future Communauté urbaine de l’agglomération nantaise, un autre pour l’agglomération nazairienne et s’appuyer, dans les zones intermédiaires (Pontchâteau, Savenay, pays de Retz) sur les projets des intercommunalités existantes ou alors comme le suggère la Direction territoriale d’aménagement en cours d’élaboration faut-il prendre en compte la globalité du territoire1 ? Ce projet de schéma se heurte, notamment quant au périmètre d’études à retenir, à la question des « paradis réglementaires ou fiscaux périphériques » aux grandes institutions urbaines. En d’autres termes, comment gérer les risques d’évasion des hommes et des activités aux frontières d’un espace polarisé mais fragmenté et qui tend à se dilater ? C’est toute la question des limites de l’actuelle Directive territoriale d’aménagement et des pratiques des entreprises. La stratégie d’APPLIX qui a quitté Carquefou pour Le Cellier, juste aux limites Si on laisse faire, du district nantais, pour bénéficier des aides euroon peut craindre un péennes illustre cette difficulté. Si on laisse faire, on peut craindre un étalement étalement inconsidéré inconsidéré de la métropole alors même que le Projet de la métropole 2005 préconise un recentrage. Comment peut-on gérer ces marges externes de l’agglomération, mouvantes par nature, alors que l’on ne dispose pas de procédures adaptées pour aménager ces espaces ? Les outils fonciers sont soit de nature rurale (restructuration foncière), soit de nature urbaine (Plan d’occupation des sols). Il faudrait à tout le moins une mise en cohérence simultanée de ces procédures. Comment contrôler et canaliser les projets individuels des acteurs sociaux générant des plus-values et la mise sur le marché de nouveaux espaces à bâtir toujours plus loin ?

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Recoudre le tissu urbain et le lien social Les contradictions et les incohérences spatiales ont des conséquences sociales très fortes. Un certain nombre d’errements du passé ne doivent plus se produire et les concurrences stériles à l’intérieur d’un même territoire sont à éliminer. Les stratégies municipales ont parfois eu pour objectifs, à l’aide de moyens légaux (Plans d’occupation des sols par exemple), d’exporter la précarité et la pauvreté à l’extérieur des limites communales. Une vraie politique de la Ville doit être l’instrument pour éviter ces contradictions et engager un processus de retissage du lien social. 1. En 2007 le schéma de cohérence ou SCOT répond à cette suggestion.

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Cette politique doit avoir pour objectif : – la correction des inégalités de développement économique, synonymes de Ville à plusieurs vitesses, – la conjugaison de l’efficacité économique et de la cohésion sociale, – la prise en compte du processus de métropolisation, – la gestion de la périurbanisation. On doit raisonner aujourd’hui en termes de quartier d’agglomération et non plus seulement en termes de quartier de ville. Dans ce cadre, un Grand Atlas social de l’Agglomération est à élaborer. Il ne doit pas être l’œuvre des seuls spécialistes, mais associer, en permanence, l’ensemble des acteurs : services du Organiser une ville, plus District, de l’Auran, de l’État, de l’Université. Notre intelligente et plus solidaire suggestion est que la Conférence consultative pourrait être le maître d’ouvrage d’un tel document dont à la fois ». la caractéristique première serait d’être par nature une construction permanente, jamais inachevée et toujours en renouvellement. Il s’agirait de traduire cartographiquement la situation sociale de l’agglomération pour mieux identifier les problèmes d’aménagement et éviter les fractures socio-spatiales.

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La qualité de la « gouvernance » Selon Pierre Veltz, la qualité de la « gouvernance » repose sur la manière dont les acteurs locaux coopèrent sur des projets précis. Pour cela, il faut définir le territoire pertinent pour l’action au plus près des habitudes et des pratiques des habitants. Cette gouvernance métropolitaine est constituée d’éléments divers qu’il faut savoir coordonner : – la Conférence métropolitaine, embryon de système de pouvoir, – les structures intercommunales existantes, – les agences de développement : Auran, Ddrn, – la Conférence consultative, – l’Acel (Association communautaire de l’estuaire de la Loire), son rôle pourrait être renforcé dans la dynamique métropolitaine puisque cette structure est historiquement à la source de cette démarche. La ville multicommunale doit se penser à l’échelle de référence de politiques locales partenariales et transversales. Une pédagogie de l’interconnaissance des lieux, des spécificités, des héritages historiques et culturels est à inventer. La Conférence consultative peut jouer un rôle dans ce domaine. Par ailleurs, pour construire cet espace urbain multicommunal, il faut se mesurer à d’autres. La compétition entre territoires impose la comparaison. Des bases de données comparatives entre les estuaires (Gironde, Seine…) sont à établir. Organiser une ville, plus intelligente et plus solidaire à la fois, peut paraître ambitieux, voire utopique, c’est pourtant la condition indispensable du développement durable. Cela pose à terme la question du mode de gouvernement urbain et de son périmètre d’action. L’intercommunalité nantaise se renforce régulièrement, celle de Saint-Nazaire reste à

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CONTRIBUTIONS

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123 GUILLAUME DURAND PHILOSOPHE LES COULEURS DES OMBRES

129 MARCEL FREYDEFONT SCÉNOGRAPHE CETTE VILLE MET NOS VIES EN SCÈNES

139 JOËL BIGORGNE JOURNALISTE LE POLAR POUSSE SUR LES QUAIS DE NANTES ET DE SAINT-NAZAIRE


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LES COULEURS DES OMBRES GUILLAUME DURAND > PHILOSOPHE

RÉSUMÉ > La prochaine édition des Rencontres de Sophie est consacrée aux images. Ce sera l’occasion de revisiter ce très vieux concept philosophique et de s’interroger sur la nature de l’image : est-elle une simple copie d’une réalité quelconque ? Mais surtout ces Rencontres traiteront du pouvoir qu’ont acquis les images dans notre monde contemporain. Quelle position responsable pouvons-nous adopter face à la force des ombres ? Pouvonsnous encore sauver le réeel ?

GUILLAUME DURAND est docteur en philosophie et enseigne la philosophie au Lycée Jean Perrin à Rezé. Chargé de cours à l’Université de Nantes et à Sciences Com, il est aussi président de l’association Philosophia. Il est l’auteur notamment de Des événements aux objets (Ontos Verlag, 2007) et de L’immortalité (à paraître aux éditions Cécile Defaut, collection « La chose à penser », en avril 2008).

C’est le dessin qui donne la forme aux êtres ; c’est la couleur qui leur donne la vie. Diderot, Essai sur la peinture Le personnage central du film Sexe, mensonges et vidéo (Steven Soderbergh, 1989) est l’image. Impuissant, déçu par la réalité, le jeune Graham passe son temps à filmer les confessions sexuelles des femmes qu’il rencontre puis à les visionner, fasciné. Les différents personnages de ce film sont définis par la relation complexe qu’ils entretiennent avec ces images intimes. Soderbergh décrit un renversement métaphysique : l’être, c’est l’image et non plus la réalité physique. L’image aurait-elle plus de force et de pouvoir que ce dont elle est l’image ? En quel sens peut-on parler d’un monde des images? Et si monde il y a, ce monde est-il nécessairement un mal ? Mais avant d’interroger le pouvoir de l’image et ses conséquences, il est nécessaire d’en déterminer la nature. Dans l’histoire de la pensée, les images ont été le plus

souvent dévaluées, voire méprisées. Les définitions techniques de ce concept, lequel rassemble une multitude d’objets dont le principe d’unité est loin d’être évident (un dessin, une photographie, une image mentale, une image poétique, etc.), semblent se rejoindre au moins sur un point : l’image ne serait qu’une répétition imparfaite d’une réalité quelconque. L’accent est mis sur l’idée de répétition et non sur celle de la différence. L’image est ainsi conçue comme un double pâle, sans force véritable et sans vie : un reflet plus ou moins précis et fidèle d’une réalité, ou encore, une ombre sans couleur et moins subtile. En tant que clone un peu sombre et surtout imparfait du réel, l’image souffre alors d’un manque d’être fondamental : l’être et la force sont tout entiers dans le modèle, l’original, c’est-à-dire dans la réalité, le fait réel qui est imité, représenté, photographié ou encore filmé. Les images des incendies en Californie ne brûlent pas, cela tout le monde l’accordera. Suivant cette perspective classique et substantialiste, MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 123


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INITIATIVES URBAINES

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147 Pierre-Arnaud Barthel À son tour, Nantes se met au vélo en libre-service

150 Brèves 151 Denis Baupin : les raisons du retard français 153 Jean-Pierre Charbonneau Les leçons de Copenhague


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À son tour, Nantes se met au vélo en libre-service TEXTE > PIERRE-ANDRÉ BARTHEL

RÉSUMÉ > Voici le Bicloo. À son tour, Nantes, avec le printemps, se met au vélo en libre- service. Partout, ce système connaît un immense succès. Il ne doit pas occulter deux débats : les avantages et les inconvénients du marché passé avec des géants de la publicité ; plus généralement, la place faite au vélo en ville.

Vélib’, Vélov’, Bicloo ? Le dispositif est décrit dans le dossier de presse accompagnant le lancement de Vélib’ à Paris, l’été dernier : « Prendre un vélo dans une station, le déposer dans une autre, Vélib’ est un système de location en libre-service innovant, très simple à utiliser, disponible 24h/24 et 7j/7 pour circuler en toute liberté. Accessible à tous dès 14 ans (1,50 m minimum), Vélib’ s’adapte à tous vos déplacements : sortir, faire des courses, aller travailler… Simple à utiliser, Vélib’ est le mode de transport idéal pour effectuer vos trajets courts dans Paris ». Ce nouveau service offert aux multiples usagers est un succès foudroyant dans les villes qui l’expérimentent : les médiatiques Lyon et Paris, mais aussi des agglomérations comme Rennes (depuis dix ans !), Orléans et une nombreuse liste de candidats (dont Nantes, Mulhouse, Marseille, Dijon…) qui ont préparé ou lancé en 2007 leur vélo en libre-service.

Pierre-Arnaud Barthel est maître de conférences en géographie et urbanisme (Université de Nantes / CNRS UMR 6590 Espaces et sociétés). Il appartient au comité de rédaction de Place publique.

La course à la ville durable Plusieurs raisons à ce succès. Ce vélo magique est en premier lieu un symbole de la ville durable : sa mise en place traduit la priorité donnée par les élus aux mobilités douces en ville, comme alternatives à l’automobile et comme compléments des transports collectifs. Et ainsi, il est l’un des vecteurs de la réduction des gaz à effet de serre à l’heure où les villes mettent en œuvre leur Plan Climat. En second lieu, il participe d’une esthétisation accrue de l’espace public. Le dispositif fonctionne à partir de stations de libre-service qui impliquent pour chacune d’elle la pose de mobiliers urbains spécifiques (borne principale et points d’attache) et la finition des sols. L’insertion urbaine des stations est pour les collectivités un enjeu de première importance : à Paris, « une attenMARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 147


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INITIATIVES URBAINES |

Contre toute attente, Abu Dhabi se lance dans la ville durable

Six ans après l’explosion, AZF-Toulouse enfin dépollué par Total

Au sommet mondial sur l’énergie organisé à Abu Dhabi en janvier, le Sultan Al Jaber, directeur de la Compagnie d’Abu Dhabi pour l’énergie du futur, a annoncé en grande pompe le projet Masdar, « la source » en arabe, une éco-ville qui devra accueillir 5 000 personnes dès 2015, et devenir une des vitrines mondiales des technologies propres existantes. Soutenu par le WWF, l’investisseur s’est entouré de l’agence britannique Foster and Partners pour dessiner une walled-city, sorte de médina post-moderne sans voiture, zéro déchet et zéro carbone. Contrairement aux tours qui fleurissent dans les Émirats, l’échelle du projet est celle de constructions basses, équipées en panneaux solaires sur les toits et reliées par des lignes de tramway. Masdar City sera située non loin de la mer et un mur de ceinture devra la protéger de l’air chaud soufflant du désert et du vacarme de l’aéroport de l’émirat.

Le groupe Total a achevé la réhabilitation du principal site AZF à Toulouse, six ans après l’explosion de l’usine qui avait fait 30 morts et des milliers de blessés. Pour un total de 100 millions d’€, 20 .000 tonnes de béton ont été démolies, dont plus de 93% réutilisées sur le site, et 1,8 million de tonnes de terre ont été excavées et contrôlées (90% réutilisées). Le directeur délégué de Total, Patrick Timbart, lors de la dernière réunion annuelle du groupe sur l’état d’avancement de la dépollution du site, cédera cette année pour un euro symbolique au Grand Toulouse les quelque 80 hectares après aménagement d’espaces naturels (une prairie et des bosquets). La communauté d’agglomération a le projet d’y construire un Cancéropôle. Dès cette année, les laboratoires Pierre Fabre, premiers bâtiments dédiés à la recherche sur le cancer, devraient sortir de terre.

Toujours plus fort : Lyon pastiché à Dubaï Buti Saeed Al Gandhi, président de la société de capital investissement Emivest, est venu l’an dernier de Dubaï à Lyon pour mettre sur pied un nouveau projet d’université francophone dans l’émirat, en partenariat avec l’université Lyon 2 (à l’instar de ce qui s’est fait avec la Sorbonne). Le coup de foudre entre l’investisseur et la ville l’a décidé à construire un quartier complet dans l’esprit lyonnais, baptisé « Lyon-Dubaï City ». D’après l’urbaniste Jean-Paul Lebas, « il ne s’agit pas de reproduire les bâtiments et de faire un Lyon en carton-pâte mais de restituer une atmosphère urbaine avec des lieux culturels et des boutiques au cœur de la ville, des transports en commun, une mixité sociale, des rues et des ruelles (…). Il n’y aura pas de bâtiments Haussmann, pas de reproduction de Fourvière ou du quartier Saint-Jean, mais une façon d’organiser la ville à l’européenne, pour retrouver dans un bistrot de ce quartier la même ambiance que dans un bistrot lyonnais » (www.lemoniteur-expert.com). Ah ! l’urbanité à l’européenne…

Un tram à Florence Envahie par les touristes et congestionnée, Florence en Italie veut réorganiser son centre-ville. Trois lignes de tramway sont à l’étude. Un autre projet, présenté récemment par le maire, Leonardo Domenici, consiste à déplacer la statue de David de Michel-Ange de la Galerie de l’Académie, dans le centre, vers l’ouest de la ville dans le futur Parc de la musique dessiné par l’architecte italien Paolo Desideri (livré en 2010). Rien que pour obliger une partie des touristes à s’éloigner du centre-ville…

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Le « permis de louer » expérimenté à Lille Lille Métropole Communauté urbaine et cinq communes de la métropole s’apprêtent à expérimenter le permis de louer pendant cinq ans. Une initiative pour lutter contre l’habitat indigne. C’est suite au dramatique incendie de Roubaix à la fin de l’année 2006, que les élus ont souhaité l’instauration d’un permis de louer. La loi de juillet 2006 a institué l’expérimentation de la Déclaration préalable à la mise en location, moins contraignante que la formule du permis. Elle accorde plus d’importance à la pédagogie, autrement dit à la sensibilisation des propriétaires pour louer des logements décents. La candidature de Lille Métropole a été validée par l’État le 11 mai 2007. Cinq communes de l’agglomération ont déterminé les conditions de mise en œuvre de cette expérimentation. De manière générale, les propriétaires devront obligatoirement informer la mairie de leur intention de louer un logement : ils déclareront sur l’honneur que cet appartement ou cette maison est décent et conforme aux normes de salubrité. Cette déclaration fera également l’objet d’une vérification, systématique ou ponctuelle, par la commune. L’expérimentation durera de 2008 à 2012 et sera évaluée. (www.lillemetropole.fr)

Urbanisme et exclusion Urbanisme et exclusion : c’est le nom d’une association qui s’est récemment créée à Nantes pour « monter des groupes de réflexion et des événements médiatiques sur la ville et la citoyenneté. » Première manifestation de cette association : une table ronde publique qui réunissait l’urbaniste Michel Cantal-Dupart et des acteurs nantais comme le président de l’Agence d’urbanisme, Jacques Floch ou celui de la société de transports, Albert Mahé. Contact : 2, rue Lefèvre-Utile, 44000 Nantes. masspell@infonie.fr


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Denis Baupin : les raisons du retard français

RÉSUMÉ > Pourquoi fait-on du vélo dans telle ville, dans tel pays beaucoup plus qu’ailleurs ? Une question de culture ? de climat ? de relief ? Non, l’essentiel tient aux politiques publiques en faveur du vélo, estime Denis Baupin, adjoint (Vert) au maire de Paris, chargé des transports, et président du Club des villes cyclables.

PLACE PUBLIQUE > Les cyclistes, on les trouve plutôt à Strasbourg qu’à Marseille, à Copenhague qu’à Madrid, à Amsterdam qu’à Rome. Pourquoi ? DENIS BAUPIN > Moi, je crois à la politique, à la volonté de faire bouger les choses, à la nécessité de fixer des priorités. En matière de transports comme dans d’autres domaines, il faut être capable de choisir, d’arbitrer. Par exemple, tout le monde peut tomber d’accord sur le fait qu’une circulation aisée des voitures est une chose souhaitable. Seulement voilà : entre une circulation aisée des voitures et une circulation aisée des vélos, il faut choisir. La politique, ce n’est pas empiler des priorités. Si tout est prioritaire, plus rien ne l’est. La politique, c’est dire : je considère que ceci est plus souhaitable que cela et prendre les moyens pour que le souhaitable devienne possible. Cela dit, toutes choses égales par ailleurs, je crois que le facteur le plus favorable au vélo en ville, c’est la forme de la ville. Les villes compactes sont évidemment plus adaptées que les autres. C’est d’ailleurs le cas de Paris, où 2 millions de personnes vivent dans une ville qui ne fait jamais que dix kilomètres sur dix. Sans un réseau de métro aussi développé que le nôtre, je suis d’ailleurs certain qu’il y aurait beaucoup plus de cyclistes à Paris PLACE PUBLIQUE > Et vous croyez qu’il existe aujourd’hui des gens foncièrement hostiles à la pratique du vélo en ville ? DENIS BAUPIN > Foncièrement hostiles, sans doute pas. Mais réticents ou indifférents, oui. PLACE PUBLIQUE > Les élus de droite ? DENIS BAUPIN > Pas nécessairement. Une municipalité MARS-AVRIL 2008 | PLACE PUBLIQUE | 151


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Les mots Nantes et Saint-Nazaire ne sont pas indexés

Ancien Observatoire 15, 60 Angers 11, 17, 40, 46, 58, 61, 98, 108, 109, 160 Anjou 33, 35, 50, 51, 160 Arcouët (Serge) 139, 141 Atlantique 13, 27, 36, 47, 48, 92, 94, 95, 96, 99, 113, 143, †157 Au Château d’Argol 7, 11, 14, 22, 40, 51, 81, 83, 87 Autour des sept collines 9, 11, 52, 57, 58 Balzac 9, 29, 42, 60, 87 Barto+Barto 135 Batignolles 21 Baudelaire 8, 16, 39, 42, 56, 101, 129, 131 Baudrillard (Jean) 126 Béatrix 9, 29, 42, 60, 87 Beckett 73, 79, 80, 84 Bergounioux (Pierre) 75, 84 Bicloo 3, 147 Bilbao 17, 119 Blancs 35, 112 Bleus 35, 143 Bloch (Jean-Thierry) 135 Boileau (Pierre) 139, 143 Bordeaux 45, 61, †64, 108, 115, 152 Borel (Frédéric) 135 Bouchain (Patrick) 135 Breton (André) 2, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 29, 36, 42, 53, 54, 57, 58, 60, 79, 97, 103, 133 Briand (Aristide) 19 Cadou (René Guy) 28, 29, 103 Campagne 21, 35, 43, 45, 46, 65, 68, 79, 92 Carnaval 14, 60 Carnets du grand chemin 10, 11, 13, 17, 40, 53, 68 Cathelineau 35 CBS Outdoor 148 Château des ducs de Bretagne 133 Chateaubriand 17, 73, 80, 83, 87, 88 Chauty (Michel) 23 Chénard (Alain) 23 Chézine 61, 133 Classicisme 8, 75, 81, 82, 83 Clemenceau (Georges) 29

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Nicole Concordet 135 Conseil de développement 43, †64, 115, 119, 120 Copenhague 1, 3, 146, 151, 153, 154, 155 Corbière (Tristan) 29 Corti (José) 11, 50, 51, 53, 61, 75, 131 Cours des Cinquante Otages 135 Daeninckx (Didier) 139, 143, 144 Davezies (Laurent) 92, 95 Debord (Guy) 131, 133, 136 Decaux (Jean-Claude )148 Dervallières 14, 24 Devorsine (Claude) 135 Échecs 4, 17, 25, 27, 28, 61, 87 Elder (Marc) 36 En lisant en écrivant 9, 11, 13, 52, 80 Entretiens 7, 10, 11, 17, 33, 77 Erdre 14, 21, 22, 29, 36, 46, 47, 61, 65, 93, 102, 109, 131, 133, 135 Estuaire 17, †32, 41, 64, 65, 94, 95, 104, 116, 117, 118, 119, 133, 135, †157 Estuaire 2007 94, 104 Failler (Jean) 143 Finistère 14, 102 Folle Journée 91 Forest (Philippe) 129, 135 Fortier (Bruno) 135, 137 Frontière 8, 33, 40, 50, 51, 52, 53, 54, 138, †157 Grall (Xavier) 14 Graslin 15, 17, 22, 58, 60, 103, 133 Green (Julien) 79, 80 Guérande 16, 36, 42 Hippodrome 15, 60, 61 hyperréel 126 île Batailleuse 15, 40, 50, 51, 56 île Beaulieu 21 île d’Yeu 18 île Feydeau 21, 22, 93, 131, 135 îlot Lambert 93 image 16, 17, 21, 28, 33, 37, 38, 53, 56, 57, 66, 68, 69, 73, 99, 103, 119, 123, 124, 125, 126, 127, 129, 131, 135, 136, 148, 152, †157 Institut Kervégan 119 Internat 16, 18, 21, 27, 29, 56, 57, 58, 87

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Jardin des plantes 16, 27, 30, 34, 52, 60, 133 Joseph K 145 Kleist 8, 82 Kyste urbain 45 L’Èvre 9, 14, 56 La Cigale 93, 103 La Forme d’une ville 2, 3, 7, 9, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 21, 23, 25, 28, 33, 34, 35, 36, 37, 39, 40, 42, 43, 51, 52, 53, 55, 56, 57, 58, 60, 61, 62, 63, 66, 67, 68, 69, 73, 77, 78, 80, 85, 131 La Littérature à l’estomac 8, 9, 11, 74, 75, 86 La Presqu’île 9, 11, 16, 36, 40, 50, 63, 66, 85, 87, 98, 108 la rivière de cassis 14 Lacaton et Vassal 135 Larbaud (Valéry) 60 Lautréamont 9, 56, 57, 60, 73, 87 Lavigne (Thomas) 106, 108, 109 Le Roi Cophetua 9, 61 Le Roi pêcheur 8, 11, 58, 82 Les Eaux étroites 9, 11, 14, 82, 85 Lesage (Gédéon) 139, 141 Lettrines 9, 10, 11, 13, 14, 15, 17, 18, 25, 35, 37, 50, 52, 53, 57, 58, 61, 62, 68, 72, 74, 78, 81, 82, 83, 86, 88 Lettrines 2 9, 11, 13, 14, 18, 25, 57 Liberté grande 8, 9, 11, 16, 52, 63, 64, 65, 66, 73, 84 lieu de mémoire 36 Lille 119, 150 Loire 9, 11, 14, 15, 17, 18, 21, 22, 36, 40, 41, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 56, 58, 60, 61, 64, 65, 73, 86, 87, 92, 93, 94, 99, 106, 110, 112, 113, 117, 119, 120, 129, 131, 133, 135, 136, 141, 142, 143, †157 Lycée Clemenceau 1, 2, 4, 11, 15, 16, 19, 21, 22, 24, 25, 26, 28, 30, 31, 36, 39, 55, 58, 69, 78, 97, 101, 142, 143 Machines de l’Île 131, 133, 135, 136, 138 Mai 1968 35 Jules Maigret 142

Mandiargues (André Pieyre de) 60 Emmanuel De Martonne 46 Mauves en noir 139, 143 Morvan Lebesque 28, 61 Musée 10, 16, 27, 29, 34, 52, 57, 61, 62, 68, 93, 97, 99, 100, 102, 119, 120 Nadja 7, 8, 14, 42 Narcejac (Thomas) 139, 141, 142 Nerval 8, 9, 81, 101 Nouvel (Jean) 135 Opéra 17, 29, 58, 60, 68, 103 Orrion (Henry) 23 Paquebot 16, 64, 65 Paris 1, 2, 3, 11, 28, 30, 39, 42, 48, 50, 57, 58, 68, 92, 95, 98, 100, 103, 109, 111, 120, 124, 125, 126, 127, 129, 131, 133, 136, 138, 147, 148, 149, 151, 152 Parti communiste 11, 22, 23, 26, 37 Parti National Breton 98 paysage 3, 9, 24, 35, 49, 50, 51, 53, 54, 58, 61, 63, 64, 65, 66, 68, 73, 74, 81, 84, 86, 87, 112, 118, 131, 137, 138, 148, †157 Penthésilée 8 périurbanisation 117 Perros (Georges) 2, 82, 88 Petit Port 15 Poe 7, 8, 9, 18, 26, 28, 60 Poirier (Louis) 2, 11, 19, 21, 22, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 33, 37, 39, 41, 45, 51, 56 Pont transbordeur 17, 21, 23, 24, 42, 62, 109, 142 Pornichet 13, 16, 17, 64, 66 Port 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 35, 45, 46, 47, 56, 60, 61, 64, 65, 66, 110, 111, 118, 119, 141, 142, 143, 144 Pouy (Jean-Bernard) 139, 143, 144 Prairie de Mauves 21, 58, 60 Préférences 9, 11, 16, 18, 57, 60 Prix Goncourt 8, 11, 22, 26, 36, 80 Procé 14, 60, 133 Quai de la Fosse 17, 21, 22, 139, 142 Queffélec (Henri) 14, 40 Queneau Raymond 80

Renard (Jean) 1, 3, 4, 36, 43, 90, 115, 120 Rencontres de Sophie 123, 124, 127 Rennes 41, 48, 57, 99, 115, 120, 147, 155 Rezé 123, 135 Rimbaud 14, 54, 57, 60, 73, 84, 129, 145 Romantisme 7, 9, 73, 81, 83 Rota (Italo) 135 Rouen 45, 46 Royal de Luxe 93, 135 Rue Crébillon 15 Rugby 17, 22, 62 Rugy (François de) 148 Saint-Florent-le-Vieil 2, 11, 14, 15, 16, 21, 28, 35, 36, 37, 39, 40, 51, 84 Saint-Herblain 135 Saint-Sébastien 40, 48, 120 Schubert (Franz) 91 Sèvre 52, 61, 133 Siegfried (André) 36, 43, 47 Simenon (Georges) 139, 142 Simon (Claude) 74, 79, 84 Sion-sur-l’Océan 13, 27, 40 Sirène 17, 38 Stendhal 9, 18, 28, 29, 36, 54, 58, 60, 61, 62, 73 Strasbourg 41, 61, 149, 151, 152, 155 Surréalisme 7, 8, 11, 14, 29, 37, 42, 53, 56, 57, 81, 82, 83, 97, 133 Surréaliste 8, 14, 53, 57, 68, 79, 82, 84 Tour Bretagne 23, 24, 62, 135, 136 Train 17, 46, 54, 58, 60, 64, 65, 86, 87, 104, 152, †157 Traite des Noirs 35 Tramway 18, 23, 24, 62, 108, 119, 135, 150 Trentemoult 40, 60 Un Balcon en forêt 8, 11, 53 Un beau ténébreux 7, 11, 16, 17, 52, 53, 58, 79, 82 Vaché (Jacques) 14, 18, 29, 36, 42, 57, 60, 97, 103, 133 Vallès (Jules) 25, 61 Valmer (Michel) 97 Vélib’ 147, 148, 152, 155 Vélo en libre-service 1, 3, 146, 147, 148, 152 Vélov’ 148, 155 Vendée 11, 13, 29, 40, 42, 46, 48, 93, 120

Venise de l’Ouest 21, 22, 36 Jules Verne 9, 10, 18, 27, 28, 29, 30, 33, 36, 42, 50, 54, 60, 86, 102, 119, 135 Vidal de La Blache 28, 46, 87 Viking 99, 100 Virtuel 125 Wagner 8, 17, 18, 74 Wurm Erwin 104, 105 Young (Arthur) 35, 43 Zen 58


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CHRONIQUE | JEAN ROUAUD

L

«

a Jérusalem céleste? On sait à quoi elle ressemble. Il suffit de suivre le vieillard de Patmos dans son songe apocalyptique. À plus de quatre-vingtdix ans passés, alors que l’empereur Domitien l’a exilé sur son îlot rocheux au large des côtes d’Asie mineure, Jean, l’apôtre bienaimé, reprend une dernière fois du service. Son horloge biologique lui rappelle opportunément qu’il est temps d’annoncer la fin des temps. Comme toujours au seuil de la mort, la tentation est grande d’en finir en même temps avec le monde, que le monde n’ait pas l’indélicatesse de survivre après qu’on l’aura quitté. Alors dans une ultime vision le vieillard déchaîne toutes les forces du ciel comme s’il préparait, lui qui a survécu à l’huile bouillante et dont la vie a été une longue traversée d’un jardin des supplices, son bûcher funéraire. À la rupture par l’ange du sixième sceau « survient un grand séisme, le soleil noircit, la lune devient rouge sang, les étoiles du ciel se mettent à choir sur la terre. Les îles et les montagnes sont délogées de leur site. »

Les urbanistes et la Jérusalem céleste »

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Très en colère, c’est l’humanité entière qu’il envoie au martyre. Or un séisme, qui plus est d’une ampleur comme celle que déchaîne la fureur exterminatrice de l’apôtre, est généralement fatal à l’empilement des villes. Mais ne pleurez pas la disparition de vos misérables cités, dit le vieillard. J’ai tellement mieux à vous offrir (du moins à la poignée d’élus dont les noms sont inscrits dans le livre sacré fermé par sept sceaux). En échange de vos murs de pierre ou de pisé, de vos toits de

tuiles ou de chaume, je vous offre la cité idéale, je vous offre la Jérusalem céleste. Et pour quoi la céleste ? Parce que la terrestre a été détruite par les légions romaines, et qu’il ne sert donc à rien contrairement à la croyance entretenue par les rois du bâtiment d’investir dans le dur. Sur la tapisserie de l’Apocalypse exposée dans une salle du château d’Angers, on peut juger des dégâts. On est à la fin du quatorzième siècle, et le duc d’Anjou, qui a commandé au très célèbre maître-lissier Robert Poisson, l’œuvre monumentale de cent quarante mètres de long sur six mètres de haut illustrant l’ultime vision de l’apôtre, entend bien renouveler ses appartements, c’est-à-dire ces châteaux féodaux incommodes et qui ne laissent rentrer de jour que la quantité nécessaire au passage d’un carreau d’arbalète. C’est Jean De Bruges, dit aussi Hennequin de Bruges, peintre officiel de son frère, le roi Charles V, qui se charge d’exécuter les cartons, exécuter vraiment, autrement dit de mettre à bas ces villes médiévales coincées à l’intérieur des remparts. Et là il s’en donne à cœur joie. Flèches des cathédrales brisées, donjons décapités, tours effondrées, maisons écroulées les unes sur les autres dans un amoncellement gigantesque, le moins qu’on puisse dire c’est que Hennequin n’y va pas de main morte. Et comme il n’est qu’un exécutant servile, on devine qu’il a la caution du prince. Une fois les villes mises à bas, rayées de la carte, il convient bien sûr de reconstruire, et là, vous allez voir ce que vous allez voir. Suivant à la lettre les indications de l’apôtre transformé en architecte décorateur, Hennequin invente la ville nouvelle aux murs d’or incrustés de jaspe, d’émeraude, de saphirs, de calcédoine. Voilà qui plait au prince. La tapisserie de l’Apocalypse est un rêve d’urbaniste. Effaçant ces mauvais brouillons passés, les urbanistes n’en finissent pas de nous promettre la Jérusalem céleste.


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