#53
Vient de paraître
Sept. Oct.
Place Publique
2015
Place #53 Publique
Les mutuelles protègent six Français sur dix. Elles remboursent à leurs adhérents tout ou partie des dépenses de santé qui ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale. Mais par l’intermédiaire de leurs cliniques, de leurs pharmacies, de leurs réseaux de santé elles prodiguent aussi directement des soins, assurent des services, s’engagent dans la recherche, mènent des actions d’éducation et de prévention. Elles jouent donc aujourd’hui un rôle central dans notre système de santé. Et elles exigent que cette place leur soit reconnue au moment où chacun voit bien que ce système a besoin d’être refondé. Devenues de puissantes entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, les mutuelles entendent faire vivre concrètement les valeurs d’entraide qui ont présidé à leur création. Ce hors-série paraît à l’occasion du 41e congrès de la Mutualité Française qui se tient à Nantes en juin 2015. Il a été rédigé par Thierry Guidet qui dirige la revue Place publique, édition de Nantes/Saint-Nazaire. En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €
La transition énergétique c’est ici, c’est maintenant
NANTES/SAINT-NAZAIRE
p. 71 RÉSIDENCES SECONDAIRES : DEMAIN DES FRICHES TOURISTIQUES ? p. 90 ENTRETIEN AVEC L’AUMÔNIER MUSULMAN DES PRISONS p. 125 L’UNIVERSITÉ PERMANENTE A 40 ANS ET 8 000 ÉTUDIANTS
9 782848 092508
LA REVUE URBAINE | Septembre-Octobre 2015
DOSSIER | P 5 | CHOC CLIMATIQUE, DÉFIS POUR L’ÉCONOMIE ESTUARIENNE, NOUVEAUX MODES DE VIE
La transition énergétique, c’est ici, c’est maintenant ! URBANISME | P 139 | UN COLLOQUE À SAINT-NAZAIRE
Porter un nouveau regard sur les villes reconstruites 10E
Place 6 numéros 50 € Publique
Place Publique
www.revue-placepublique.fr
LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE
épuisé
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les numéros hors-série 5 €
PLACE PUBLIQUE
Nantes/Saint-Nazaire. La revue urbaine Tour Bretagne Place Bretagne BP 72423 - 44047 Nantes Cedex 1 www.revue-placepublique.fr
Directeur de la publication : Philippe Audic
Fondateur : Thierry Guidet Directeur : Franck Renaud renaud.placepublique@gmail.com Chargée de diffusion : Marine Jaffrézic diffusion@revue-placepublique.fr Tél. 06 75 06 32 67
Comité de rédaction : Pierre-Arnaud Barthel, Philippe Bataille, Goulven Boudic, Paul Cloutour, Alain Croix, Laurent Devisme, Benoît Ferrandon, Thierry Guidet, Philippe Guillotin, Didier Guyvarc’h, Marie-Hélène Jouzeau, Martine Mespoulet, Jean-Claude Pinson, Laurent Théry, Jean-Louis Violeau, Gabriel Vitré.
Ont contribué à ce numéro : Cécile Arnoux, Philippe Audic, Didier Bény, Jérémy Bernard, Jean Blaise, Hubert Chémereau, Paul Cloutour, Laurent Coméliau, Alain Croix, Xavier Debontride, Laurianne Deniaud, Marc Dumont, Benoît Ferrandon, Thierry Guidet, Philippe Guillotin, Nicolas de La Casinière, Gwenaëlle Le Dreff, Bernard Lemoult, Mohamed Loueslati, Daniel Morvan, Marjorie Musy, Charles Nicol, Christophe Pin, François Prigent, Hervé Quénol, Franck Renaud, Danielle RobertGuédon, Virginie Thune, Jean-Michel Vienne, Gabriel Vitré. Place publique est une revue éditée par l’association Mémoire et débats.
Administrateurs :
Soizick Angomard, Philippe Audic, Jo Deniaud, Suzy Garnier, Jean-Luc Huet, Jean-Claude Murgalé, Bernard Remaud, Françoise Rubellin.
Direction artistique : Bernard Martin éditions joca seria, Nantes. info@jocaseria.fr Concept graphique : Rampazzo et associés, Paris/Milan. Impression : Offset 5, La Mothe-Achard (85) ISSN 1955-6020
Place publique bénéficie du soutien de La Poste, de RTE et de la Chambre de commerce Nantes/Saint-Nazaire. Diffusion presse Nantes et Saint-Nazaire : SAD Diffusion librairie : Joca Seria/Pollen
DOSSIER
| SOMMAIRE ÉDITO 2 Place publique Ici et maintenant
41 Hervé Quénol Pas mauvais pour le
LE DOSSIER LA TRANSITION
43
ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT 7 Bernard Lemoult La transition
énergétique sera sociétale ou comment faire évoluer nos modes de vie 13 Philippe Audic Le tout-renouvelable n’est pas pour demain 18 Alain Croix une transition vieille comme le monde 39 Christophe Pin : « Xynthia n’est qu’un avertissement »
LA CARTE LE TERRITOIRE 71 Benoît Ferrandon Résidences
secondaires : demain des friches touristiques ? 90 LES FORMES
51
54 59
64
muscadet Marjorie Musy et Jérémy Bernard Réchauffement climatique : Nantes, terrain d’expérimentation Paul Cloutour Comment Nantes Métropole s’est emparée de la question Un foisonnement d’initiatives Philippe Audic et Benoît Ferrandon Quelles conséquences pour l’économie locale ? Didier Bény Électricité : le temps des réseaux intelligents et agiles
SIGNES DES TEMPS 98 100 112 116
Bloc-notes de Franck Renaud Critiques de livres Les expositions, D. Robert-Guédon La chronique de Cécile Arnoux
CONTRIBUTIONS
DE LA VILLE
121 Jean-Michel Vienne L’aventure des
Philippe Guillotin Marcel-Saupin : d’un stade à l’autre
125 Gwénaëlle Le Dreff L’université
PATRIMOINE
131 François Prigent Albert Vinçon,
Écritures au Passage Sainte-Croix permanente a 40 ans
81 Maurice Digo, un Nantais dans la Grande Guerre 84 Nicolas de La Casinière Avoir pied
un socialiste nazairien fusillé au Mont-Valérien 135 Charles Nicol L’incroyable histoire de l’unique commando français de l’Opération Chariot
ENTRETIENS 87 L’art dans la rue : Jean Blaise murmure à l’oreille de la ministre 90 Mohamed Loueslati L’islam sans barreaux
INITIATIVES URBAINES 139 Thierry Guidet Un nouveau regard
sur les villes reconstruites 141 Laurianne Deniaud « Notre identité,
notre patrimoine, notre avenir… » 154 Marc Dumont Projets urbains
SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 1
ÉDITO |
La transition énergétique est un bouleversement planétaire. Ce qui ne l’empêche pas de se préparer et d’avoir des répercussions localement et sans attendre…
L
es raisons de consacrer un dossier à la transition énergétique ne manquent pas.
L’actualité d’abord. Avec la conférence sur le climat, la COP 21, qui se déroulera à Paris à la fin de cette année. Mais aussi le « grand débat » sur la transition énergétique qui sera lancé à Nantes l’an prochain, à la manière de celui qui s’est déroulé cette année sur la Loire.
Ici et maintenant Les particularités de Nantes/SaintNazaire ensuite. Rappelons que 10 % de l’approvisionnement énergétique de la France transite par l’estuaire ; que plus des deux tiers du trafic du Grand Port maritime sont constitués de pétrole, de gaz, de charbon ; que la Basse-Loire est en pointe en matière d’énergies nouvelles, notamment les énergies marines renouvelables ; que les Pays de la Loire sont une région dynamique aux plans économique et démographique où la consommation d’énergie continue de croître plus qu’ailleurs. La question – mondiale – de la transition énergétique se pose donc localement en des termes singuliers. C’est l’angle de ce dossier : examiner comment
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des bouleversements planétaires ont des répercussions locales, comment des politiques mises en œuvre localement peuvent avoir des effets globalement. Ici et maintenant. Mais qu’est-ce que la transition énergétique ? Cette question et quelques éléments de réponse constituent le premier volet de ce dossier. Directeur de recherche à l’École des mines, directeur du Collège des transitions sociétales, Bernard Lemoult met en évidence le caractère inéluctable de la tâche qui se présente à nous : les énergies fossiles se raréfient ; leur consommation dérègle le climat. Il faut donc changer de modèle de production et de consommation, changer de mode de vie. La transition sera sociétale ou ne sera pas. Sans doute, tempère Philippe Audic, qui a mené une étude sur l’avenir énergétique des Pays de la Loire pour le Conseil économique, social, environnemental régional. Mais si l’on ne veut pas se payer de mots, force est de constater qu’il faudra encore attendre quelques années pour négocier vraiment le tournant. Le tout-renouvelable n’est pas pour demain : vers 2030-2040, il est probable que notre consommation restera aux deux tiers fournie par les énergies traditionnelles. Nous avons ensuite voulu donner un arrière-plan historique à notre actualité. À l’aide d’objets, de tableaux, de photos, l’historien Alain Croix montre comment notre estuaire a déjà vécu bien des
transitions énergétiques. Mais que cette cascade de transitions soit vieille comme le monde n’ôte rien de leur urgence à nos tâches actuelles. Après cet effort d’élucidation, le second volet du dossier s’attache au risque climatique. Christophe Pin, le responsable des centres météo de Nantes et de La Roche-sur-Yon, occupe un excellent poste d’observation. Il constate qu’en un peu plus d’un demi-siècle, Nantes a gagné en moyenne 1 °C. Aux alentours de 2050, nous pourrions connaître le climat actuel du Langedoc-Roussillon et une hausse du niveau de la mer propice aux tempêtes : Xynthia, qui en février 2010 a tué 47 personnes en Vendée et en CharenteMaritime, n’est qu’un avertissement. De manière sans doute plus anecdotique – quoique… – le géographe Hervé Quénol s’attache à l’influence du climat sur la vigne. Pour un vignoble septentrional comme le muscadet, le réchauffement présente plutôt des avantages. Mais jusqu’où ? Après la campagne, la ville dont on sait qu’elle est la première affectée par le réchauffement. Sa minéralité, sa densité, la forte consommation d’énergie des logements et des transports : tout concourt à la création d’îlots de chaleur qui peuvent rendre la vie très inconfortable. Marjorie Musy et Jérémy Bernard, de l’Institut de recherche en sciences et techniques de la ville, montrent comment on s’emploie à Nantes à dresser des cartes climatiques.
Elles permettent de mesurer l’efficacité des solutions imaginées pour améliorer le climat urbain : plantations d’arbres, façades et toitures végétales, aménagement de cours d’eau, surfaces enherbées… La troisième séquence du dossier donne un aperçu des initiatives prises localement et des difficultés à venir. Paul Cloutour décrit la manière dont Nantes Métropole a saisi le problème à bras le corps. L’outil majeur de la collectivité est la création et l’extension de réseaux de chaleur, un chauffage collectif à l’échelle de la ville dont les retombées environnentales et économiques sont loin d’être négligeables. À côté d’un investissement majeur comme celui-là (100 km de tuyaux !) nous présentons une myriade d’engagements individuels et collectifs, publics et privés un peu partout dans le département. Tous ne présentent pas le même intérêt, mais ils témoignent d’une préoccupation de plus en plus partagée, qu’il s’agisse d’ascenseurs solaires, de composteurs collectifs, de l’installation dans l’agglomération de la direction de la filiale Énergies marines de General Electric, d’entretien des haies ou de recherches scientifiques de pointe…
combattent quelques idées reçues. Oui, la transition énergétique peut avoir des effets majeurs sur l’emploi en Loire-Atlantique. Mais pas forcément où on l’attend le plus. C’est sur la rénovation de l’habitat et sur un nouveau réseau de transport de l’énergie qu’il faut compter pour espérer créer de nombreux emplois. Ce dernier point est développé par Didier Bény, le directeur régional de RTE, l’opérateur du réseau de transports de l’électricité en France. Le recours croissant aux énergies renouvelables dont la production est intermittente et difficile à stocker pose en termes nouveaux la question de la « solidarité électrique », de l’ajustement entre production et consommation. La réponse appartient à des « réseaux intelligents et souples ». La recherche est en plein essor y compris localement. Elle prépare les ruptures technologiques du 21 e siècle, encore insoupçonnées. n
Quelles conséquences la transition peut-elle avoir sur l’économie locale ? Quel avenir pour le port ou pour la raffinerie de Donges ? Qu’attendre de l’éolien off shore ou des micro-algues ? Philippe Audic et Benoît Ferrandon, chef de service à la direction prospective du Département, douchent quelques enthousiasmes et
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LE DOSSIER
LE DOSSIER LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT 7 Bernard Lemoult La transition
énergétique sera sociétale ou comment faire évoluer nos modes de vie 13 Philippe Audic Le tout-renouvelable
n’est pas pour demain 18 Alain Croix une transition vieille
comme le monde 39 Christophe Pin : « Xynthia n’est qu’un
avertissement » 41 Hervé Quénol Pas mauvais pour le
muscadet 43 Marjorie Musy et Jérémy Bernard
Réchauffement climatique : Nantes, terrain d’expérimentation 51 Paul Cloutour Comment Nantes
Métropole s’est emparée de la question 54 Un foisonnement d’initiatives 59 Philippe Audic et Benoît Ferrandon
Quelles conséquences pour l’économie locale ? 64 Didier Bény Électricité : le temps des
réseaux intelligents et agiles
N O I T I S , E N A U R Q I T T LA É G R E , I N C É I T S E ’ C T T N S A E ’ N C E T N I A M
QU’EST-CE QUE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ?
1
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
La transition énergétique sera sociétale ou comment faire évoluer nos modes de vie RÉSUMÉ > Notre modèle de développement est devenu insoutenable à l’échelle de la planète. Parce qu’il consomme beaucoup trop d’énergie, parce qu’il provoque un changement climatique d’une rapidité jamais vue. Nous n’avons pas d’autre choix que de changer nos modes de vie. Au plus vite…
TEXTE > BERNARD LEMOULT La force musculaire humaine, puis animale, a constitué durant des millénaires la seule source d’énergie à notre disposition. La découverte des lois de la thermodynamique au début du 19e siècle a été le catalyseur du développement de nos sociétés modernes. La transformation de l’énergie de combustion du bois, puis des ressources fossiles (charbon, pétrole et gaz), en énergie motrice (machine à vapeur, à combustion interne…), a été ainsi à la base de l’extraordinaire aventure scientifique et technologique qui ne fait probablement que commencer. Depuis cette période, la consommation des combustibles fossiles n’a cessé de croître, due aux avancées technologiques mobilisant toujours plus d’énergie (notamment pour la mobilité, l’industrie et la production d’électricité), mais aussi à l’augmentation très rapide de la population mondiale grâce aux découvertes médicales (baisse de la mortalité infantile et allongement de l’espérance de vie). N’oublions pas que celle-ci n’était que d’environ 30 ans au début du 19e siècle. Cette consommation de ressources énergétiques s’est accélérée après la Deuxième guerre mondiale, avec un accroissement très rapide de la population mondiale.
BERNARD LEMOULT est directeur de recherche à l’École des mines de Nantes et directeur du Collège des transitions sociétales.
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DOSSIER | LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT !
Modes de vie, modes d’emploi
Les territoires locaux sont des espaces pertinents pour engager les transitions.
La confiance territoriale est le carburant de la mobilisation individuelle et collective.
Face à la temporalité pressante des enjeux énergétiques et climatiques, face aux enjeux démocratiques, les territoires locaux semblent constituer des espaces pertinents pour commencer à engager les transitions, pour faire évoluer nos modes de vie dans le cadre d’une gouvernance renouvelée. Mais comment habiter, manger, se déplacer, travailler, consommer autrement ? Les campagnes de sensibilisation sur les économies d’énergie et sur les comportements individuels ont montré leurs limites. Les réponses à apporter doivent être d’ordre sociotechniques et collectives, elles devront être responsabilisantes et impliquantes. Les changements individuels devront passer par ces dynamiques collectives. L’heure n’est plus à tout attendre de l’État ou du maire, le temps est venu de l’engagement individuel et collectif, en coopération avec les autres. Que ceux qui pensent que nous n’avons pas les moyens financiers de ces transitions se rassurent. La France n’a jamais été aussi riche. Et si cette « question questionne », peut-être faut-il aller voir du côté de ce que nous disent Oxfam22 ou Thomas Piketty sur l’écart des richesses et du côté de ce que nous ne disent pas les banques avec leurs produits dérivés et leurs paradis fiscaux.
Les transitions : un apprentissage du « co »
Co-construire fait désormais partie du vocabulaire de nombreux responsables. Reste à passer des éléments de langage à la mise en œuvre. Cette co-construction constitue un enjeu d’apprentissage continu et permanent. Elle doit être basée notamment sur la bienveillance et l’humilité, ingrédients fondamentaux à la création de confiance territoriale, carburant de la mobilisation individuelle et collective. Qu’attendons-nous alors pour expérimenter les termes et les conditions d’une gouvernance territoriale à la hauteur des enjeux ? Cette question est au cœur de la transition énergétique à mener, au cœur des modes de vie à faire évoluer, au cœur de la métamorphose de notre société. n 22. Rapport de janvier 2015 : https://www.oxfamfrance.org/sites/default/files/ file_attachments/rapport_oxfam_insatiable_richesse_0.pdf
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LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Le tout-renouvelable n’est pas pour demain RÉSUMÉ > Dans une région comme la nôtre, dynamique aux plans économique et démographique, la question de la transition se pose en des termes particuliers. La consommation d’énergie va en effet continuer à croître nettement plus que dans le reste de la France. On peut penser que vers 2030-2040, l’équilibre probable se situera autour d’un mixte assuré pour un tiers par les renouvelables et pour deux tiers par les énergies classiques.
TEXTE > PHILIPPE AUDIC Sans énergie, pas de développement des sociétés, ni des territoires, ni de la personne. Ce simple constat explique pourquoi l’homme n’a eu de cesse de domestiquer les diverses formes d’énergies disponibles sur la planète. Au fur et à mesure des découvertes, aléatoires ou scientifiques, les transitions énergétiques ont été fréquentes. Ainsi, s’agissant du travail de la terre ou de la mobilité, on est passé de la force animale à celle de la force motrice mécanique qui, elle-même, a utilisé différentes sources d’énergies primaires (bois, charbon), avant de se fixer sur le pétrole il y a plus d’un siècle. La production d’électricité, elle, a été successivement ou alternativement assurée, en tout ou partie, par le bois, les hydrocarbures (charbon, pétrole, gaz), l’hydraulique, le nucléaire. Ces transitions récentes ou anciennes, ont pu s’effectuer sur des périodes courtes, le nombre des instal-
Rapporteur général du budget du Ceser (Conseil économique, social, environnemental régional), PHILIPPE AUDIC a mené une étude sur les défis énergétiques des Pays de la Loire. Il est aussi président du Conseil de développement de Nantes Métropole et directeur de la publication de Place publique.
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DOSSIER | LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT !
Une transition vieille comme le monde
RÉSUMÉ > À travers des objets, des tableaux, des photos on comprend que la transition énergétique est à l’œuvre depuis que l’homme cherche à ménager sa peine et à faire appel à d’autres sources d’énergie que sa force musculaire. Où l’on voit qu’une invention démode vite ce qui existait, même si aucune source d’énergie nouvelle ne périme tout à fait les anciennes. Après tout, nous continuons à faire du vélo ou de la voile…
TEXTE > ALAIN CROIX
ALAIN CROIX est historien. Il appartient au comité de rédaction de Place publique.
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Quelle idée de demander à un historien de réfléchir, et en images, à la notion de transition énergétique ! Le premier constat est une évidence : la transition énergétique est une constante de l’histoire humaine puisque, très, très tôt, l’homme et la femme sont parvenus à démultiplier la force musculaire, puis à lui substituer divers procédés. Se laisser aller au fil de l’eau relève d’une transition énergétique vraisemblablement imaginée dès la Préhistoire… Au-delà, l’Histoire ne nous dicte rien, mais peut nous aider à réfléchir, dans le sens d’une succession supposée infinie d’autres sources d’énergie que la simple force musculaire des êtres humains, ou dans le sens d’un certain retour à cette simple force musculaire – le vélo, par exemple. Deux sens qui ne s’excluent évidemment pas l’un l’autre. Le lecteur voudra donc bien ne chercher dans ces quelques pages aucun autre message que les siens propres, mais il pourra, s’il le veut bien, y voir quelques clins d’œil, voire un peu d’humour…
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Pirogue monoxyle, cliché Musée d’Histoire de Nantes, Dépôt du Service archéologique de la Direction régionale des Affaires culturelles. Il nous manque la « rame à pirogue », ce qu’on appellera pagaie quand les Occidentaux auront appréhendé un peu de malais. Mais pas les hommes, qui font mouvoir cette pirogue creusée dans un tronc d’arbre (d’où le terme savant de monoxyle). Ils sont là en effet, nos ancêtres du 13e siècle, puisqu’ils ont parfaitement adapté leur embarcation à la navigation sur l’étroit Brivet : la pirogue est identique à l’avant et à l’arrière, ce qui évite les délicats demitours… Déjà la maîtrise de l’énergie, en économisant les efforts…
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DOSSIER | LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT !
Charles Leduc, Navires à l’entrée de Saint-Nazaire, Huile sur toile, vers 1870, Musée d’Histoire de Nantes. Le capitaine qui rejoint en canot son trois-mâts à la cape nous désigne – fait-on semblant de penser – l’essentiel d’une transition énergétique que Charles Leduc, avec sans doute un brin de conservatisme, a réussi… à ignorer : pas de vapeur encore, mais uniquement le vent, comme deux millénaires plus tôt, à quelques « détails techniques » près. Et il n’est pas interdit d’admirer la représentation d’un Saint-Nazaire défunt…
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LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Lambert Doomer, Op de wegh van Vilvinije buijte Nantes [Sur le chemin de Vieillevigne près de Nantes], pierre noire, lavis, craie, 1645, Bristish Museum, Londres. D’un séjour nantais en 1646, Doomer tire de remarquables dessins qu’il adapte ensuite (ou réutilise) sous diverses formes. Le talent de cet élève de Rembrandt n’est pas seulement artistique : il a l’art de saisir personnages ou lieux « ordinaires », à l’exemple de ce moulin sommaire : un socle de pierre supporte une superstructure en bois facile à réaliser. Exemple banal s’il en est de l’utilisation de la force du vent ou, si l’on préfère, éolienne avant la lettre… Nantes et ses environs comptent aussi de nombreux moulins à eau, y compris sur la Loire. Dans les deux cas, la dépendance énergétique est réelle : absence de vent, crues ou, pire, glaces, plus fréquentes en Loire au 17e siècle que de nos jours.
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LE RISQUE CLIMATIQUE
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Christophe Pin : « Xynthia n’est qu’un avertissement ! » RÉSUMÉ > Depuis le milieu du siècle dernier, la région nantaise a gagné en moyenne 1 °C. La température pourrait augmenter encore de 2 °C à 4 °C selon les scénarios. La hausse du niveau de la mer aggraverait les conséquences des tempêtes dont Xynthia1 ne serait qu’un avant-goût. D’où la nécessité de responsabiliser le citoyen.
PLACE PUBLIQUE > Qu’évoque la transition énergétique pour un météorologue ? CHRISTOPHE PIN > Cela évoque une batterie de mesures en vue de limiter le réchauffement climatique à 2 °C, objectif auquel adhèrent les pays de la planète sur le principe, même si les actions ont du mal à se mettre en route. Avancer dans cette mise en œuvre est l’enjeu de la COP 21 qui va se tenir à Paris en fin d’année. Il est en effet indispensable de stabiliser nos émissions de gaz à effet de serre, puis de les diviser par trois entre 2020 et 2050, et de continuer à les diminuer par la suite… La transition énergétique est un moyen de migrer vers une société sobre en carbone. Sa réussite à l’échelle globale permettra de maîtriser le réchauffement climatique de façon que nous puissions mieux nous y adapter.
CHRISTOPHE PIN est le responsable des centres météo de Nantes et de La Roche-sur-Yon
PLACE PUBLIQUE > Quelles relations voyez-vous entre le changement climatique et la transition énergétique ? CHRISTOPHE PIN > Il y a un lien très étroit entre l’énergie et le réchauffement climatique. L’effet de serre 1. Le 28 février 2010 la tempête Xynthia a tué 47 personnes en Vendée et en Charente-Maritime. C’est l’une de splus meurtrières qu’ait connu la France métropolitaine. Lire à ce sujet le hors-série de Place publique dirigé par Martine Acerra et Denis Mercier, Xynthia, une tragédie prévisible, 2011.
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DOSSIER | LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT !
continue d’augmenter de manière rapide et importante. Cette augmentation est liée à l’utilisation des combustibles fossiles tels que le pétrole, le charbon, le gaz. Avec une énergie fondée sur la consommation des combustibles fossiles, on réchauffe la planète et on dérègle le climat car, tout simplement, on réchauffe le système climatique. PLACE PUBLIQUE > Quelles sont les tendances lourdes constatées dans notre région depuis plusieurs années, en termes de changement climatique ? CHRISTOPHE PIN > Notre région n’échappe pas au processus de réchauffement climatique. Depuis le milieu du 20e siècle, date des mesures à Nantes, la température moyenne a augmenté de plus de 1 °C. Dans les projections qui sont faites à partir de la compréhension physique du fonctionnement du climat, et à partir de scénarios d’évolution de nos modes de vie, l’augmentation de température dans le scénario de fort réchauffement atteindrait les 3 à 4 °C d’ici la fin du siècle PLACE PUBLIQUE > Le scénario de fort réchauffement ? CHRISTOPHE PIN > C’est-à-dire sans inflexion majeure des rejets de gaz à effet de serre. Dans cette hypothèse, en poursuivant l’exploitation actuelle des énergies fossiles, il s’en suivrait une diminution des vagues de froid l’hiver et une augmentation des vagues de chaleur l’été. Dans la seconde partie du 21e siècle, les étés moyens seraient aussi chauds que l’été record de 2003 où médias et pouvoirs publics découvraient la canicule… PLACE PUBLIQUE > Pouvez-vous préciser les conséquences concrètes de ce phénomène ? CHRISTOPHE PIN > De longues vagues de chaleur annonceraient des périodes de sécheresse et donc, une évaporation de l’eau contenue dans les sols, puis, à partir de 2050, par effet combiné de ce réchauffement et la diminution des précipitations, la sécheresse serait un phénomène quasi continu. On serait dans une situation analogue à celle de Perpignan et du Languedoc-Roussillon avec davantage de phénomènes extrêmes l’été, tels que canicules et sécheresses. Si la confrontation des modèles existants montre des points de convergence sur les températures, il y a beaucoup 40 | PLACE PUBLIQUE | SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015
moins de certitudes sur les pluies. Pratiquement tous les modèles annoncent une diminution des pluies dans le sud de l’Europe, une augmentation dans le nord. Mais tous ne placent pas la frontière au même endroit ! Or notre région se situe à la charnière, et peut donc se trouver d’un côté comme de l’autre. Par contre, ce qui est sûr, c’est la hausse du niveau marin. Elle servira de tremplin aux tempêtes, accentuant ainsi les phénomènes d’érosion ou de submersions marines. Xynthia a été un avertissement… PLACE PUBLIQUE > Donc pour vous, aucune hésitation, il faut agir ? CHRISTOPHE PIN > Bien évidemment ! On est au pied du mur. PLACE PUBLIQUE > Quel regard portez-vous sur le plan Climat de Nantes Métropole ? CHRISTOPHE PIN > C’est un plan qui s’inscrit dans l’esprit d’une maîtrise du réchauffement climatique, avec une grande ambition en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce qui a valu sans doute le label Capitale verte en 2013. Nantes Métropole, je dirais, est en route vers cette société plus sobre en carbone dont je parlais tout à l’heure. Et cela au travers d’actions comme le développement de modes de déplacement plus doux (plan Vélo) ou encore l’amplification du réseau de transports en commun (réseau Chronobus), l’amélioration de la performance énergétique de ses bâtiments, et un effort important pour installer des réseaux de chaleur. PLACE PUBLIQUE > Qu’attendez-vous du débat sur la transition énergétique que veut mener Nantes Métropole en 2016 ? Quel intérêt y voyez-vous ? CHRISTOPHE PIN > Responsabiliser le citoyen, le convaincre de la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Et bien sûr, trouver les bons leviers pour une transition énergétique efficace et surtout partagée largement par la population. n
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Pas mauvais pour le muscadet !
RÉSUMÉ > Le géographe Hervé Quénol est un spécialiste mondial de l’influence du climat sur la vigne. Pour un vignoble plutôt septentrional comme le muscadet, il estime que le réchauffement peut être positif.
PLACE PUBLIQUE > Quelles seront les conséquences du réchauffement climatique sur un vignoble comme le muscadet ? HERVÉ QUÉNOL > Difficile à dire puisque les hypothèses de réchauffement varient de + 2 °C à + 6 °C d’ici la fin du siècle. Et puis les viticulteurs sont capables de s’adapter tant dans leurs méthodes culturales que de vinification. PLACE PUBLIQUE > Alors, plutôt que de vous demander de quoi demain sera fait, mieux vaut vous interroger sur ce que vous avez observé. HERVÉ QUÉNOL > Un rappel d’abord : depuis la fin des années 1980, on observe à l’échelle planétaire une rupture statistique de l’évolution des températures.
HERVÉ QUÉNOL est géographe. Directeur de recherche au CNRS, il enseigne à l’université Rennes 2. Il est notamment l’auteur de Changement climatique et terroirs viticoles (Lavoisier) et a collaboré à Changement climatique dans l’Ouest (Presses universitaires de Rennes).
PLACE PUBLIQUE > Et localement ? HERVÉ QUÉNOL > On constate une augmentation moyenne de 1 °C dans le Val de Loire de 1947 à 2015. Dans la région nantaise, cette hausse moyenne s’explique d’ailleurs davantage par des températures minimales plus élevées que par une augmentation des températures maximales. Evidemment, il faut être nuancé quand on entre dans le détail : à Vouvray, l’influence SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 41
DOSSIER | LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT !
océanique n’est pas la même qu’à Vallet. Et on sait aussi que l’exposition d’un vignoble joue un rôle déterminant dans sa précocité. Mais globalement on peut dire que la vigne est un excellent marqueur des changements climatiques. Les dates des vendanges donnent de précieux et anciens renseignements sur l’histoire du climat. PLACE PUBLIQUE > Il n’y a pas que les vendanges… HERVÉ QUÉNOL > En effet, tous les stades de la vigne sont étroitement corrélés à la température, de la période végétative à la récolte. PLACE PUBLIQUE > Et les précipitations ? HERVÉ QUÉNOL > On constate une grande variabilité, mais on semble s’orienter vers une diminution des pluies estivales. C’est plutôt une bonne nouvelle pour
les vignerons : moins de maladies de la vigne et une meilleure maturité. PLACE PUBLIQUE > Et en hiver ? HERVÉ QUÉNOL > Là, on s’oriente plutôt vers une augmentation des précipitations, sans influence sur la qualité du vin. PLACE PUBLIQUE > Si bien que le réchauffement du climat serait plutôt une bonne chose pour les vignobles ligériens… HERVÉ QUÉNOL > Oui. Autant on a du souci à se faire dans certains vignobles méridionaux, autant les vignobles plutôt septentrionaux peuvent attendre du réchauffement une meilleure teneur en sucre et en alcool. n
Une augmentation moyenne de 1 °C dans le Val de Loire depuis 1947.
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Réchauffement climatique : Nantes, terrain d’expérimentation RÉSUMÉ > Les villes sont plus chaudes que les campagnes et leurs habitants plus affectés par les périodes de canicule. Reste à analyser le phénomène de manière fine, à dresser des cartes climatiques comme, après d’autres villes, on s’y emploie à Nantes. Reste aussi à mesurer l’efficacité des solutions pour limiter les îlots de chaleur urbains. Et à les mettre en œuvre.
TEXTE > MARJORIE MUSY et JÉRÉMY BERNARD Les grandes agglomérations françaises doivent faire face à des enjeux environnementaux impératifs et complexes, en particulier, la difficile compatibilité entre densification et adaptation climatique. Pour limiter l’étalement urbain et les nuisances qui lui sont attribuées (consommation énergétique des déplacements urbains, émission de gaz à effet de serre, consommation d’espace, imperméabilisation des sols…), la solution avancée est de reconstruire la ville sur elle-même, la densifier. Cependant, si la densification est mal organisée, elle conduit à un environnement urbain dans lequel la qualité de vie risque de s’appauvrir. Simultanément, il est nécessaire d’anticiper l’évolution climatique et ses conséquences. Le Giec prévoit, à l’horizon 2050 qu’un été sur deux, nous connaîtrons des canicules similaires à celle de 2003. L’impact pour les villes pourrait s’avérer très meurtrier.
MARJORIE MUSY est chercheur au Centre de recherche nantais architectures urbanités (Crenau) et directrice adjointe de l’Institut de recherche en sciences et techniques de la ville (Irstv). JÉRÉMY BERNARD est doctorant au Crenau et à l’Irstv. Son doctorat est financé par l’Agence de l’environnement et la maîtrise de l’énergie (Ademe) et par AgroCampus Ouest dans le cadre du projet régional Urbio.
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INITIATIVES
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Comment Nantes Métropole s’est emparée de la question RÉSUMÉ > Négocier les tarifs, réduire la consommation d’énergie, développer les énergies renouvelables… Nantes Métropole prend à bras le corps la question de la transition énergétique, notamment avec l’extension de son réseau de chaleur. Et dans la foulée, après la COP 21, propose au printemps 2016 un second « grand débat » sur la transition énergétique.
TEXTE > PAUL CLOUTOUR, en collaboration avec LAURENT COMÉLIAU et VIRGINIE THUNE Mardi 12 mars 2015. Il est 7 heures du matin. Le réveil sonne. Tout en baillant et s’étirant, Gisèle Letard met la lumière, tire la chasse d’eau, allume le gaz pour faire son thé. Sans le savoir, Gisèle Letard vient de rentrer dans l’univers secret de la transition énergétique. En ce frais matin du mois de mars, si son appartement est éclairé et bien chauffé à un tarif qu’elle trouve raisonnable, si l’eau du thé va bientôt être bouillante, c’est pour une part grâce à Nantes Métropole. Gisèle Letard l’ignore, et cela lui importe peu, mais Nantes Métropole est propriétaire des réseaux et des tuyaux qui permettent l’alimentation de son appartement en énergie. Et dans sa boîte à lettres, elle va trouver un bulletin d’information lui expliquant le pourquoi de tous ces travaux qui troublent le calme habituel de sa co-propriété orvaltaise et la mettent régulièrement dans un certain état d’énervement.
PAUL CLOUTOUR dirige la mission Dialogue citoyen à Nantes Métropole. Il est membre du comité de rédaction de Place publique. LAURENT COMÉLIAU et VIRGINIE THUNE travaillent à la direction générale Environnement et Services urbains de Nantes Métropole.
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DOSSIER | LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT !
Un foisonnement d’initiatives Considérables ou anecdotiques, publiques ou privées, les initiatives foisonnent. Elles montrent bien que la nécessité de la transition énergétiques est présente à de plus en plus d’esprits. Le tour d’horizon ci-dessous a été réalisé pour une bonne part grâce à une compilation d’articles de presse faite par l’Auran, l’Agence d’urbanisme de la région nantaise. Il n’a, bien sûr, rien d’exhaustif.
ALTERNATIBA Le terme signifie « alternative » en basque. C’est en effet à Bayonne que l’idée a germé en 2013 : organiser des « villages » où l’on présente des solutions concrètes pour changer notre mode de vie. Le mouvement a essaimé à Nantes où il a organisé en 2014 une journée dans le quartier du Bouffay. Alternatiba. eu/nantes
ASCENSEUR SOLAIRE Otis, le numéro un mondial, a inauguré cette année son premier ascenseur Gen2® Switch en France. Alimenté par des panneaux solaires, cet ascenseur est installé aux Bourderies, à Rezé, un quartier d’habitat social à énergie positive réalisé par Atlantique Habitations. Connecté à quatre panneaux solaires implantés sur le toit de l’immeuble, l’ascenseur est autonome en énergie à 80 % à la mauvaise saison et à 100 % de mars à octobre, les mois les plus ensoleillés. Il peut également être couplé à d’autres sources d’énergie alternatives comme l’éolien.
BATEAUX « Concevoir localement les bateaux du 21e siècle fonctionnant avec le maximum d’énergie renouvelable » : c’est l’un des projets de l’Anef (Association nantaise 54 | PLACE PUBLIQUE | SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015
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d’écoconception fluvio-maritime), présidée par Alain Grand-Guillot. Elle propose aussi de réaliser « un espace portuaire éco-conçu » et souhaite la mise en place d’un « plan d’occupation du fleuve » incluant, outre la Loire, l’Erdre et la Sèvre.
BORNES ÉLECTRIQUES On compte à Nantes onze bornes permettant de recharger sa voiture électrique. Autant qu’à Lille, mais cinq fois moins qu’à Bordeaux, trois fois moins qu’à Toulouse ou qu’à Tours, près de deux fois moins qu’à Rennes. Le manque d’autonomie des véhicules électriques et la difficulté à les recharger sont les principaux obstacles à leur développement.
BOUGUENAIS La Ville propose aux associations de signer une charte qui les invite à s’interroger sur leur empreinte environnementale. Pour Joël Gouin de Roumigny, l’élu en charge de l’Agenda 21, « on peut d’abord agir sur la production de déchets mais aussi sur l’alimentation en énergie de la manifestation, inciter les gens à co-voiturer ou à pricilégier les modes de déplacement doux pour venir. On peut aussi privilégier un approvisionnement local pour la restauration. »
BOURGNEUF Bourgneuf-en-Retz a inauguré six nouvelles éoliennes il y a un an. Elles fournissent 15 000 habitants en électricité. Le courant produit est vendu à EDF qui reverse chaque année 72 000 € à la commune et autant à la Communauté de communes. D’autres localités du Pays de Retz se sont mises à l’énergie renouvelable : six éoliennes à Chauvé, autant à La Limouzinière, cinq à Saint-Michel-Chef-Chef de même qu’à La Marne. Des projets ont été lancés à Saint-Hilaire-de- Chaléons, Sainte-Pazanne et Frossay.
CAP 44
pour sa structure, à l’époque novatrice, en béton armé. Aujourd’hui déserté, ce bâtiment a servi d’objet d’étude pour des étudiants de l’École d’architecture, de Centrale, de l’École du bois et d’autres établissements. À l’occasion d’un concours international d’architecture, ils ont imaginé dans le détail la reconversion de Cap 44 en ensemble de logements, commerces et bureaux autonomes en énergie : isolation rigoureuse, serre sur le toit, panneaux solaires, pompes à chaleur, ni radiateur ni chauffage au sol… Un tel projet pourrait faire école dans la rénovation énergétique de vieux bâtiments. Son nom de code : Phileas, le prénom de Fogg, le héros de Jules Verne dans Le tour du monde en quatre-vingts jours.
COMPOSTEURS La Communauté de communes de Derval a passé commande de 800 kits de compostage. Ils sont distribués aux habitants qui le souhaitent en échange de la modique somme de 12 €. Des « guides composteurs », bénévoles expérimentés, prodiguent aux néophytes les conseils nécessaires pour bien réutiliser les déchets végétaux. À Nantes, dans le quartier de Malakoff, un composteur prototype, le Vore-Koff, a été conçu par Victor Massip et Vincent Lebot de l’agence de design Faltazi et de l’association Ekovores. En quatre mois, cinq tonnes de déchets se transforment en une tonne et demie de compost. Compost.malakoff@compostri.fr.
COURANTS D’AIR Produire de l’électricité à partir des courants d’air grâce à des micro-générateurs capables de transformer le vent en énergie ! Raynald Séveno, Benoît Guiffard et JeanChristophe Thomas, trois jeunes chercheurs de l’université de Nantes mènent ce projet pionnier, baptisé N-air-J. Ils se sont donnés quatre ans pour mettre au point un prototype. Le projet associe deux laboratoires nantais spécialisés dans la mécanique et dans la synthèse des couches minces ainsi qu’un laboratoire lyonnais qui travaille sur l’amélioration des rendements énergétiques.
C’est le nom actuellement porté par cet immeuble du Bas-Chantenay, à Nantes, construit en 1894 et connu SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 55
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Quelles conséquences pour l’économie locale ? RÉSUMÉ > L’éolien off shore, la raffinerie de Donges, le trafic du port… Quel impact aura la transition énergétique sur l’économie locale ? Il faut voir loin : en 2035, les micro-algues pourraient bien compter significativement parmi nos sources d’énergie. Toutefois, il ne faut pas se polariser exclusivement sur la production d’énergie, mais penser aussi aux conséquences que la transition aura sur la rénovation du bâti et sur la mise en place d’un nouveau réseau de transport de l’énergie : un fabuleux gisement d’emplois.
TEXTE > PHILIPPE AUDIC et BENOÎT FERRANDON
Entre l’arrivée de l’éolien off shore, les débats autour du contournement de la raffinerie de Donges ou la baisse du trafic gazier du Grand Port maritime, la question énergétique occupe un large espace dans notre actualité économique. Le thème de la transition énergétique y résonne tout particulièrement. Pour autant, quelle est son importance pour l’économie locale ? Quel serait l’impact de la fin des énergies fossiles, ou à tout le moins leur large remplacement par des énergies renouvelables ? Est-ce de nature à remettre en cause la dynamique métropolitaine ?
PHILIPPE AUDIC est président du Conseil de développement de Nantes Métropole et directeur de la publication de Place publique. BENOÎT FERRANDON est chef de service à la direction prospective du Département de LoireAtlantique, et membre du comité de rédaction de Place publique
Quel poids réel des énergies fossiles dans l’économie locale ?
Il est courant d’associer voire de réduire la question énergétique aux grandes infrastructures de production ou de stockage, particulièrement présentes dans l’estuaire : la centrale thermique de Cordemais, le terminal méthanier, plus récemment la centrale à cycle SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 59
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST ICI, C’EST MAINTENANT ! | DOSSIER
Le centre de dispatching de RTE, une véritable tour de contrôle de l’électricité dans l’Ouest (photo Gaël Arnaud)
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LA CARTE ET LE TERRITOIRE
RÉSIDENCES SECONDAIRES : DEMAIN DES FRICHES TOURISTIQUES ? | LA CARTE ET LE TERRITOIRE
Résidences secondaires : demain des friches touristiques ? RÉSUMÉ > Le département compte de nombreuses résidences secondaires. Sur le littoral bien sûr, à la campagne aussi, mais de plus en plus souvent en ville. Mais l’engouement pour ce mode de villégiature est en baisse. Et si demain des communes se transformaient en véritables friches touristiques ?
TEXTE > BENOÎT FERRANDON
BENOÎT FERRANDON est chef de service à la direction prospective du Département de LoireAtlantique, et membre du comité de rédaction de Place Publique
Avec environ 65 000 résidences secondaires1, la Loire-Atlantique compte parmi les territoires de France les plus marqués par leur présence : onzième département en volume, troisième département comptant une métropole (derrière les Alpes-Maritimes et l’Hérault, mais devant la Gironde ou les Bouches-duRhône). Le poids des résidences secondaires est particulièrement notable sur le littoral, où celui-ci représente 51 % de l’ensemble des logements. Mais on en dénombre dans toutes les communes de Loire-Atlantique. Les résidences secondaires jouent un rôle essentiel dans la fréquentation touristique : support de séjours pour leurs propriétaires, bien entendu, mais aussi pour leur famille et pour les amis. Plus largement, elles représentent un motif fort de déplacements. De fait, un rapport singulier se constate en Loire-Atlantique entre la métropole et le reste du département via les résidences secondaires. Certes, Nantes n’est pas la seule métropole proche de la mer – il suffit de songer à 1. L’Insee recense 64 986 résidences secondaires en 2011, tandis que le fichier Filocom en dénombre 67 171 en 2013. Ce fichier résulte du croisement de quatre sources : le fichier de la taxe d’habitation, le fichier foncier des propriétés bâties, celui des propriétaires et celui l’impôt sur le revenu de personnes physiques.
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LA CARTE ET LE TERRITOIRE | RÉSIDENCES SECONDAIRES : DEMAIN DES FRICHES TOURISTIQUES ?
45% des résidences secondaires de LoireAtlantique font moins de 55 m².
Rennes ou Bordeaux – mais le poids des propriétaires de résidences secondaires y est plus élevé2. Le résident secondaire ne se réduit pas à la condition de touriste. Le lieu de villégiature n’est pas anodin, et si celui-ci relève encore pour partie d’un héritage familial (dans 9 % des cas à l’échelle nationale), sa localisation et son usage traduisent des logiques très variées, et surtout un rapport particulier au territoire. On reconnaît l’impact économique de la présence de résidences secondaires, qui se traduit par des emplois résidentiels, c’est-à-dire liés à la consommation sur place de biens et de services, mais l’image de la résidence secondaire n’a pas toujours été positive. Dans les années 1970, où le nombre de ces résidences augmente de plus de 5 % par an en moyenne en France, certains auteurs parlent même de « deuxième phylloxera »3. Il est vrai que les résidences secondaires qui apparaissent à l’époque n’ont plus rien à voir avec la villa de bord de mer, mais se concentrent dans de grands immeubles face à la mer.
En ville aussi
La résidence secondaire peut aussi être un pied-àterre en ville.
Loin de l’image d’Épinal de la maison de campagne ou du pied-à-terre littoral avec un bout de jardin, 45 % des résidences secondaires de Loire-Atlantique font moins de 55 m². Cette proportion monte même à plus de 56 % pour Pornichet ou 53 % à Saint-Michel-Chef-Chef. À l’inverse, les résidences secondaires de plus de 95 m² représentent moins d’un cinquième de celles situées à La Turballe (18 %), La Baule (16,5 %) ou encore La Plaine-sur-Mer (13 %). Parmi les images tenaces, figure aussi la dimension purement littorale de la résidence secondaire. Or, si la majorité de ces logements se situe bien sur la côte, 12 % des résidences secondaires dans le département se trouvent à la campagne… et 10 % dans l’agglomération nantaise. C’est un élément relativement nouveau : les résidences secondaires se développent en ville. Le trio de tête des communes qui ont vu le plus progresser ces résidences entre 2003 et 2013 est ainsi composé, dans l’ordre, de Nantes, La Baule puis Saint-Nazaire4. Les usages de ces résidences secondaires urbaines diffèrent pour partie des lieux de villégiature balnéaires (on pense notamment, pour Nantes, au studio pour les enfants étudiants ou au logement de semaine pour actifs). On assiste ainsi à une évolution dans la représen-
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tation de la résidence secondaire, qui peut aussi être un pied-à-terre en ville pour bénéficier des activités de loisirs ou encore avoir recours aux services de santé. Moins surprenant, les propriétaires de résidence secondaire sont plutôt âgés, la majorité d’entre eux ayant plus de 60 ans. Mais on constate depuis le début des années 2000 un vieillissement notable des propriétaires de Loire-Atlantique, tendance également à l’œuvre ailleurs en France. La part de ces propriétaires âgés de plus de 60 ans a ainsi augmenté de plus de 10 points en 10 ans (passant de 57,8 % à 68,2 %). Pour la seule tranche des plus de 75 ans, la hausse est de plus de 6 points (de 22,6 % à 28,9 %).
Les années fastes
Les tendances passées de leur localisation et de leur essor nous donnent à voir les inflexions des dynamiques territoriales et livrent des éléments de lecture sur les comportements des individus et leur attachement à leur environnement proche. Nous nous sommes ici intéressés aux mouvements constatés entre les différents recensements de l’Insee5. Chaque carte représente l’évolution en volume du nombre de résidences secondaires par commune. La Loire-Atlantique a très tôt connu un développement des résidences secondaires : leur part dépasse les 10 % de l’ensemble des logements dès 1962, alors que ce pourcentage ne sera atteint, pour la France entière, qu’en 1990. À l’heure où la reconstruction et le baby boom conduisent à optimiser le parc de logements en France (avec une baisse de la part des résidences secondaires), le territoire des Vacances de Monsieur Hulot connaît déjà le boom des villas en bord de mer. 2. Selon Laurent Davezies et Magali Talandier, dans leur étude sur les systèmes productivo-résidentiels, 11 % des ménages habitant l’unité urbaine de Nantes possèdent une résidence secondaire, contre 9 % pour ceux des unités urbaines de Bordeaux, Montpellier ou Marseille. 3. Christian Bromberger et Georges Ravis-Giordani, Le deuxième phylloxera. Facteurs, modalités et conséquences des migrations de loisirs dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, CERESM, Aix-en-Provence, 1977. 4. À elles trois, ces communes concentrent plus de la moitié des nouvelles résidences secondaires sur la période. 5. Depuis le recensement de 1954, l’Insee dénombre les résidences secondaires. Ce n’est que depuis le recensement de 1990 que l’Insee distingue les résidences secondaires des logements occasionnels. Cependant, comme cette séparation est assez subjective, l’Insee conseille de les additionner. C’est ce que nous avons fait, ce qui nous permet de comparer aisément les données sur longue période.
RÉSIDENCES SECONDAIRES : DEMAIN DES FRICHES TOURISTIQUES ? | LA CARTE ET LE TERRITOIRE L’essor des résidences secondaires, surtout sur le littoral, mais aussi dans le nord du département.
Le littoral, surtout au sud de l’estuaire, continue à gagner des résidences secondaires.
St Nazaire
St Nazaire
Nantes
Nantes
Evolution absolue du nombre de résidences secondaires 1 000
Evolution absolue du nombre de résidences secondaires 1 000
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Perte
Gain Source des données : Insee, BD Carto ® IGN
1968-1975
Entre 1968 et 1975, on assiste à un essor quasi-généralisé des résidences secondaires, avec, certes, une concentration évidente sur le littoral, mais un nombre non négligeable dans le nord du département. Fégréac compte ainsi sur la période davantage de nouvelles résidences secondaires que Les Moutiers-en-Retz. On peut y voir ici l’effet indirect de l’exode rural qui a marqué l’arrière-pays nantais à partir des années 1950 : les parents qui étaient « restés au pays » décèdent et les enfants héritent des fermes. C’est aussi la période où il est de bon ton de posséder une maison de campagne. De 1975 à 1982, on note une croissance encore importante des résidences secondaires sur le littoral, plus marquée au sud qu’au nord, et dans le Pays de Redon. En revanche, la première couronne nantaise
100 50 10 1
Perte
Gain Source des données : Insee, BD Carto ® IGN
1975-1982
enregistre une baisse : les premiers effets de la périurbanisation se font sentir, avec une reconversion de logements notamment issus d’héritages en résidences principales. Les années 1980 et 1990 voient s’étendre à la quasi-totalité du monde rural le reflux des résidences secondaires. L’extension du monde périurbain dans l’arrière-pays nazairien et le développement d’une deuxième puis d’une troisième couronne nantaise expliquent en grande partie le changement de statut de logements qui redeviennent des résidences principales pour des actifs dont le domicile s’éloigne de plus en plus du lieu de travail. Cette baisse montre également que, contrairement à d’autres territoires, le modèle de la maison de campagne ne s’est pas implanté de manière durable et étendue dans le monde rural de Loire-
La Loire-Atlantique a connu un développement précoce des résidences secondaires.
SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 73
LA CARTE ET LE TERRITOIRE | RÉSIDENCES SECONDAIRES : DEMAIN DES FRICHES TOURISTIQUES ?
Se pose la question de l’avenir à moyen terme du parc de résidences secondaires et des communes qui les accueillent.
D’ores et déjà les agences immobilières éprouvent des difficultés à revendre des résidences secondaires vieillissantes.
la population sur le littoral. On constate en effet depuis 2006 la combinaison sur le littoral nord d’une baisse de la population et du nombre de résidences secondaires. Ensuite, cette rupture dans la croissance peut aussi marquer la fin d’un modèle de villégiature, très spécifique à la France et encore plus à la Loire-Atlantique. Les pratiques en matière de loisirs et d’hébergement touristique évoluent fortement : les retrouvailles familiales régulières dans un même lieu déclinent au profit de destinations renouvelées avec de nouveaux types d’hébergement (location entre particuliers via Airbnb, essor des grands gîtes ruraux capables d’accueillir toute une famille le temps d’un week-end, Center parcs, etc.). Dans un contexte de crise, où l’usage prime de plus en plus sur la propriété, les nouvelles générations semblent moins attachées à la possession d’une résidence secondaire que leurs parents. Qu’adviendra-t-il lorsque ceux-ci décèderont ? De fait, c’est bien l’avenir à moyen terme du parc des résidences secondaires qui se pose, et celui des communes littorales qui en accueillent en nombre, source précieuse de recettes fiscales. L’hypothèse optimiste porterait à considérer que c’est une capacité d’accueil potentielle pour des populations qui ne trouvent pas à se loger actuellement sur le littoral qui pourrait se libérer. Mais on peut aussi craindre que ces résidences secondaires, souvent de petite taille, dont les deux tiers ont été construites avant 1981, ne répondent pas forcément à la demande de logement sur ces territoires. Des friches touristiques pourraient se constituer. Elles risqueraient non seulement de fragiliser l’économie résidentielle locale, mais aussi de renforcer le phénomène des « volets clos » qui pourrait, en retour, nuire à l’attractivité pour des touristes venus occasionnellement. Ces craintes pourraient déjà être en train de se concrétiser au regard des difficultés déclarées par les agences immobilières pour revendre des résidences secondaires vieillissantes, et s’accélérer dans les années à venir compte tenu du vieillissement de l’âge moyen des propriétaires de résidences secondaires. Se pose alors la question de la stratégie des collectivités pour accompagner la mutation des pratiques de villégiature, afin de préserver l’attractivité des résidences secondaires ou d’en imaginer de nouveaux usages demain. n
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LES FORMES DE LA VILLE
LES FORMES DE LA VILLE | MARCEL-SAUPIN : D’UN STADE À L’AUTRE
Marcel-Saupin : d’un stade à l’autre TEXTE > PHILIPPE GUILLOTIN
PHILIPPE GUILLOTIN est le directeur de l’Auran, l’agence d’urbanisme de la région nantaise. Il appartient au comité de rédaction de Place publique
Cet article est le deuxième d’une nouvelle rubrique, Les Formes de la ville. Réalisée en collaboration avec l’Agence d’urbanisme de la région nantaise. Elle donne
à voir et à comprendre les métamorphoses de Nantes, car, on le sait depuis Baudelaire et Gracq, la forme d’une ville change plus vite que le cœur d’un mortel.
Il s’agit au départ d’une simple enceinte sportive, construite en bord de Loire par l’architecte Camille Robida entré au service d’architecture de la Ville de Nantes en 1919. L’inauguration de ce qu’on appelle alors le stade Malakoff, du nom du quartier, a lieu en 1937. Le stade est d’abord destiné à l’accueil des matchs de rugby du Snuc (Stade nantais université club). Au lendemain de la guerre, il devient le stade du FC Nantes, créé en 1943. Une nouvelle tribune est construite en 1955 qui porte sa capacité à 20 000 places. L’éclairage est installé en 1957 pour permettre les matchs en nocturnes. Avec la promotion du FC Nantes en première division, le stade est rénové dans les années 1960 et sa capacité portée à 25 000 places. En mai 1965, il est rebaptisé stade Marcel-Saupin, en hommage au président et membre fondateur du club. Marcel-Saupin devient un des stades mythiques du football français au même titre que Geoffroy-Guichard à Saint-Étienne ou encore Gerland à Lyon pour n’en citer que quelquesuns. Refait à neuf en 1965, sa capacité est alors de 33 000 places. De 1963 à 1984 les Canaris gagnent six titres de champions de France. Gilles Rampillon, figure emblématique du FC Nantes des années 1970 et du « jeu à la nantaise » y deviendra meilleur buteur à domicile en y marquant 64 buts. Il fallait voir l’affluence les soirs de match dans ce stade, à proximité du centre-ville ! Cette situation particulière finit par limiter les agrandissements possibles.
Dans la perspective de l’Euro 1984, un nouveau stade est construit au nord de Nantes. Il prend le nom de La Beaujoire/Louis-Fonteneau en hommage au président du club qui a soutenu avec force le projet. L’histoire ne s’arrête pas là. Marcel-Saupin accueille 30 000 personnes en juin 1984 pour un concert exceptionnel réunissant Joan Baez, Bob Dylan et Carlos Santana, à 17 h pour ne pas trop gêner les riverains. Sa transformation débute en août 2006 dans le cadre du Grand Projet de Ville de Malakoff/Pré-Gauchet et se poursuit jusqu’à fin 2009. Le site est entièrement remodelé, seule est conservée la tribune Nord, baptisée tribune Oscar-Muller du nom du milieu de terrain argentin naturalisé français, joueur au FC Nantes de 1973 à 1984. Un immeuble de bureaux et un parking sont construits à la place des populaires. Le long de la Loire, prennent place de nouveaux bâtiments qui accueillent une résidence service, la Maison des sciences de l’homme et l’Institut d’études avancées ainsi que des bureaux et un restaurant. La rénovation de la tribune est l’œuvre de l’agence Quadra Architectes ; la construction des bâtiments, celle des architectes Jacques Ferrier, Philippe Gazeau, Louis Paillard. Le quartier est redevenu plus calme, on ne respire plus l’odeur des frites et des merguez des soirs de match, la tribune est là pour rappeler sa fonction et la grandeur passée. Les promeneurs peuvent suivre les berges de Loire, pour y flâner ou se restaurer. n
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Le stade Marcel-Saupin dans une ville où il n’existe pas encore de tour Bretagne ni de Cité des congrès.
Côté Loire, la pelouse est maintenant bordée par l’Institut d’études avancées et la Maison des sciences de l’homme ainsi que par une résidence.
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PATRIMOINE
81 Maurice Digo Un Nantais dans la Grande guerre
84 Nicolas de La Casinière Avoir pied
MAURICE DIGO, UN NANTAIS DANS LA GRANDE GUERRE | PATRIMOINE
MAURICE DIGO, UN NANTAIS DANS LA GRANDE GUERRE
« La tête enfouie dans le sol, nous attendons le choc »
RÉSUMÉ > Nous poursuivons la publication des carnets de guerre du Nantais Maurice Digo, un siècle après leur rédaction, mois pour mois, sur le front de Champagne où il se trouve alors. Ces passages ont été sélectionnés par Véronique Guitton et Delphine Gillardin, des Archives municipales où est conservé le manuscrit.
Dimanche 5 septembre : Arrivée, le matin, vers 2 heures aux environs de la cote 198, entre Hans et Laval. Il n’y a aucun abri. Le bivouac est composé d’une série de fosses de 3 mètres par 5, profondes de 0,70. Une escouade doit loger têtebêche dans chaque fosse avec liberté de disposer des toiles de tente individuellement ou collectivement, ce qui du reste revient au même. Tassés dans nos fosses, nous essayons en vain de conserver un peu de chaleur. […] Dans la soirée, réveil en sursaut, rassemblement et appel. Allons-nous déjà quitter notre abri ? Nous sommes menés comme des animaux. Jamais nous ne savons ni où nous allons ni ce que nous devons faire, ni la longueur de l’étape, ni l’importance de l’effort qu’il faudra fournir. Pour l’instant, nous ne pouvons que supposer qu’il faudra remuer de la terre cette nuit, car, conduits sur un dépôt de matériel, nous défilons un à un devant le caporal qui appelle : « Une pelle, une pioche ». [...] Jeudi 16 septembre : [...] Visité Saint-Jean-sur-Tourbe. Au milieu des ruines, une église du XIVe à peu près intacte. Très jolis vitraux. [...] Dimanche 19 septembre : Réveil à 3 heures, départ à 5 heures. Construction d’un boyau en tunnel sous la route près de Wargemoulin. En creusant dans les banquettes, nous exhumons des cadavres à pantalons rouges dont l’état de putréfaction soulève le cœur. […] Ce soir, révolution dans la compagnie. La nourriture de plus en plus réduite est également de plus en plus immangeable.
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ENTRETIENS
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L’art dans la rue : Jean Blaise murmure à l’oreille de la ministre
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Mohamed Loueslati : l’islam sans barreaux
L’ART DANS LA RUE : JEAN BLAISE MURMURE À L’OREILLE DE LA MINISTRE | ENTRETIEN
L’art dans la rue : Jean Blaise murmure à l’oreille de la ministre JEAN BLAISE > Elle est composée de 80 membres, principalement des artistes de toutes disciplines et des responsables de lieux culturels. Nous menons des entretiens, nous organisons des ateliers. Et moi, en tant que président – une tâche que j’exerce bénévolement – je vais m’efforcer de dégager de cette réflexion collective quelques préconisations. J’espère qu’elles pourront inspirer la ministre.
© Stéphane Bellanger.
PLACE PUBLIQUE > Quelques exemples de ces ateliers ? JEAN BLAISE > Comme par hasard, le premier d’entre eux s’est déroulé à Nantes. Nous y avons réfléchi aux rapports entre l’art et les aménageurs de la ville : le service des espaces verts, les sociétés d’aménagement, les transports urbains, les promoteurs privés, les architectes… Voyez comment un tel sujet oblige les professionnels de la culture, au fond très repliés sur leur petit milieu, à s’ouvrir à d’autres mondes ! CONTEXTE > Jean Blaise, le directeur du Voyage à Nantes, a été nommé président d’une Mission nationale pour l’art et la culture dans l’espace public. Il rendra en octobre à la ministre de la Culture un rapport sur lequel il lève un coin du voile.
PLACE PUBLIQUE > D’autres exemples ? JEAN BLAISE > Oui, à Aurillac, une ville connue pour son Festival international du théâtre de rue, nous avons travaillé sur la question des normes de sécurité, de plus en plus contraignantes dès qu’on a l’ambition de sortir des lieux consacrés. Il faudrait que les autorités compétentes sachent se montrer plus souples. À Cergy-Pontoise, nous nous sommes penchés sur les questions de formation des artistes à ce type particulier de pratique. À Marseille, nous avons exploré le rôle que pourraient jouer les institutions culturelles dans cette ouverture sur l’espace public. Car, en dépit de tous leurs efforts, elles n’arrivent pas à attirer un public aussi important et diversifié qu’il le faudrait.
PLACE PUBLIQUE > Pourquoi avez-vous été nommé à la tête de cette Mission ? JEAN BLAISE > C’est Aurélie Filippetti, la précédente ministre de la Culture, qui m’a nommé, il y a de cela un an. C’est donc à elle qu’il faudrait poser la question. Mais disons que, des Allumées au Voyage à Nantes en passant par Estuaire, je me suis fait la réputation d’un spécialiste de l’art dans l’espace public. J’ai aussi bénéficié de l’aura de Royal de Luxe, qui sait ce que c’est que mettre l’art dans la rue. PLACE PUBLIQUE > C’est à partir de ce constat que vous êtes devenu vous-même une sorte de metteur en scène PLACE PUBLIQUE > Comment cette Mission travaille-t-elle ? de la ville ?
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ENTRETIEN | MOHAMED LOUESLATI : L’ISLAM SANS BARREAUX
Mohamed Loueslati : l’islam sans barreaux PLACE PUBLIQUE > Aumônier régional musulman des prisons pour l’ouest de la France, vous vivez à Rennes depuis 1973 et vous avez publié au printemps L’islam en prison (Bayard), un ouvrage très commenté sur la montée du radicalisme dans les prisons françaises. Vous êtes en charge d’un vaste territoire… MOHAMED LOUESLATI > En effet, il englobe la Bretagne, les Pays de la Loire et la Basse-Normandie et, dans un proche avenir, la Haute-Normandie. Cela représente une vingtaine d’établissements pénitentiaires, auxquels on va en rajouter quatre autres, soit plus de 6 000 détenus, à majorité musulmane, entre 50 et 80 % d’après le Contrôleur des prisons. Je travaille avec une équipe de 25 personnes. Il faut être présent sur le terrain. Si on laisse les détenus sans référent spirituel, c’est la porte ouverte à la radicalisation.
CONTEXTE > Mohamed Loueslati, né en Tunisie il y a 66 ans, vit à Rennes depuis 1973. Ce juriste de formation est imam et aumônier régional des prisons de l’Ouest. Homme modéré et très ouvert, il s’emploie à lutter contre la radicalisation des détenus. Sa seule arme : le dialogue. Dans cet entretien, il partage ses convictions, ses inquiétudes et ses espoirs. Auteur d’un récent ouvrage remarqué sur l’islam en prison, Mohamed Loueslati, à l’origine de la création des deux centres culturels islamiques de la ville, mérite d’être écouté. PROPOS RECUEILLIS PAR > XAVIER DEBONTRIDE XAVIER DEBONTRIDE est le rédacteur en chef de Place publique Rennes
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PLACE PUBLIQUE >Vous évoquez dans votre livre cet « islam bricolé » que l’on rencontre en prison. Que voulez-vous dire ? MOHAMED LOUESLATI >Je souhaite que l’islam, en France, soit un islam compatible avec les valeurs et la culture du pays d’accueil, avec les droits de l’homme, l’égalité de la femme, l’histoire de la France, la laïcité… Il n’y a pas d’autre choix ! L’islam s’adapte toujours à la culture du pays qui l’accueille. Il s’agit d’un trait permanent depuis quatorze siècles. MOHAMED LOUESLATI > Ce n’est pourtant pas l’idée qu’on s’en fait actuellement, notamment en France. Pourquoi ce décalage ? MOHAMED LOUESLATI >En France, comme en Europe, l’islam est récent. Il n’a pas eu le temps de s’intégrer, d’être reconnu par les pouvoirs publics, d’avoir les structures et le personnel compétent, les lieux de formation adaptés… Il faut un temps d’adaptation pour que les choses s’installent de manière apaisée.
MOHAMED LOUESLATI : L’ISLAM SANS BARREAUX | ENTRETIEN
PLACE PUBLIQUE > Mais actuellement, il y a urgence ! MOHAMED LOUESLATI > Vous avez raison, l’actualité au Moyen-Orient nous pousse fortement à nous préoccuper de cette question et à gérer très rapidement, dans l’urgence, les institutions de l’islam en France. J’ai participé le 15 juin dernier à une réunion au ministère de l’Intérieur à Paris, inaugurée par le Premier ministre, où des mesures ont été annoncées, comme la création de soixante postes d’aumôniers musulmans en France. C’est une décision très importante, lorsqu’on sait combien la France hésite à s’engager sur le terrain religieux, au nom de la laïcité. PLACE PUBLIQUE > Qui va les contrôler ? MOHAMED LOUESLATI > Il existe un double filtre : celui du ministère de l’Intérieur, qui délivre un agrément, et celui de l’aumônier national et des aumôniers régionaux. Je souhaite à présent que ces aumôniers soient rémunérés décemment, et qu’on cesse de leur octroyer des vacations de deux heures par semaine, ce qui est très insuffisant pour mener un travail de fond dans les prisons et lutter contre la radicalisation. Les autorités reconnaissent aujourd’hui la nécessité de s’engager dans cette « déradicalisation ». PLACE PUBLIQUE > Ce mot vous convient-il ? MOHAMED LOUESLATI > Oui, très bien ! Cela fait déjà plusieurs années que je réclame des moyens supplémentaires pour lutter contre la radicalisation. Il y a des détenus contre lesquels il faut lutter avec des mesures sécuritaires, administratives, des sanctions, mais beaucoup d’autres, les plus jeunes, ont avant tout besoin de dialogue. Lorsqu’il s’agit d’un dévoiement intellectuel, il ne sert à rien de taper sur la personne, elle va se radicaliser davantage encore. Cela ne sert à rien non plus de les regrouper. Ce que font tous les autres pays européens, mais aussi arabes, notamment l’Arabie Saoudite, c’est le dialogue avec les gens qui s’imaginent que « l’islam, c’est tuer l’autre ». Ces jeunes, souvent presque illettrés, font ainsi la découverte de l’islam grâce à cet effort de dialogue. Malheureusement en France, on y arrive trop tardivement. Il serait préférable d’investir l’argent public dans les quartiers et les mosquées pour encourager ce dialogue avec les jeunes, plutôt
que dans les dispositifs sécuritaires si coûteux pour le contribuable. PLACE PUBLIQUE > Comment s’y prendre, concrètement, pour encourager cette prévention, avant le passage par la case prison ? MOHAMED LOUESLATI > La principale difficulté, dans les prisons comme dans les mosquées, c’est que nous manquons de personnel religieux musulman formé et compétent. Ce qui explique que les jeunes égarés n’ont aucun référent officiel pour les écouter et les aider. La seule solution qui leur reste, c’est Internet ! C’est pourquoi on parle souvent du « Cheikh Google ». Malheureusement, tous les sites Internet sont financés par le Moyen-Orient : il s’agit d’un islam au mieux salafiste, et au pire terroriste. Salafiste, s’il est financé par l’Arabie Saoudite, terroriste lorsqu’il est financé directement par des mouvements de type Daesh ou Al-Quaida. PLACE PUBLIQUE > Face à ce constat, on a l’impression que la bataille est perdue d’avance. Comment pouvezvous vous agir, avec les maigres moyens mis à votre disposition ? MOHAMED LOUESLATI > Avec 25 aumôniers musulmans pour les prisons, la région Ouest fait jeu égal avec la région de Lille, et elle est deux fois et demie mieux dotée qu’une région comme Marseille. Mais nos moyens demeurent très limités. Entre le moment où je rencontre quelqu’un susceptible de devenir aumônier et celui où il signe, il s’écoule environ deux ans. C’est un travail difficile, que j’exerce avec un statut inadapté. C’est une tache noire dans les institutions françaises ! Je touche environ 800 euros par mois (au début, c’était zéro !), mais ce montant englobe tout : le « salaire », les frais de déplacement… Et en plus, il n’y a aucune retraite, car l’État refuse de la financer. Heureusement, ma vie privée antérieure – je suis juriste de formation, j’ai travaillé dans la banque et la gestion de patrimoine — m’a permis d’avoir des ressources personnelles. C’est la raison pour laquelle il est si difficile de motiver des candidats, tant les conditions matérielles sont limitées.
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SIGNES DES TEMPS | BLOC-NOTES
LE BLOC-NOTES FRANCK RENAUD directeur de Place publique
Ici Hanoi, capitale du Vietnam
A
U DÉPART, L’IDÉE D’UN PARALLÈLE improbable pour cause de grand écart géographique, culturel, urbain... Et puis, à la réflexion et à la faveur d’un retour dans cet Orient toujours lointain (onze heures d’avion au mieux), l’improbable s’est dissipé dans la touffeur de Hanoi. Car c’est de là-bas, de la capitale d’un Vietnam où la jeunesse oublie les chemins tortueux de l’Histoire et les sacrifices des guerres d’indépendance, que j’écris ce bloc-notes. Mon premier blocnotes pour Place publique, avec vue sur le lac du parc Lénine, poumon fatigué d’une ville hérissée de grues, saturée de pollution et de poussière, congestionnée. Mais dans laquelle, malgré tout, il fait bon vivre. n NANTES ET HANOI. Ville d’une enfance en bord de Loire – puis des années d’apprentissage professionnel au quotidien OuestFrance – pour la première ; ville d’adoption et d’un long cheminement asiatique pour la seconde, où j’ai travaillé à la formation professionnelle des journalistes dans un 98 | PLACE PUBLIQUE | SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015
pays au régime autoritaire qui s’ouvrait alors à l’étranger et aux coopérations internationales. Participer à (dé)former des journalistes dans un pays où certains sont jetés en prison pour avoir osé contester l’autorité du parti unique peut interroger. J’étais et demeure profondément convaincu de la nécessité et de la pertinence de ces actions : ouvrir des fenêtres, y faire entrer un air nouveau, y raconter un quotidien professionnel différent, mélanger les expériences, se trouver des points communs, parler d’information locale à l’autre bout du monde. n HANOI ET NANTES. Deux villes structurées par leur fleuve, la Loire et le Fleuve rouge. À chacun son millier de kilomètres et ses caprices. Hanoi vit depuis toujours sous la menace, endiguée pour se protéger des colères des eaux limoneuses du fleuve qui dévalent depuis les marches du Tibet, traversent les provinces du Nord et finissent par s’épuiser dans son delta, un des greniers à riz du pays. Chacun s’y fait et vaque à ses occupations comme si de rien n’était. La constance du danger amène à vivre
avec, à cohabiter, et à se dire que jusqu’à aujourd’hui, les digues ont tenu. n CE FLEUVE ROUGE qui coule comme une artère dans la ville, des centaines de milliers de Vietnamiens le franchissent chaque jour dans un cortège désordonné, de la périphérie vers le centre, du centre vers ces banlieues et ces nouveaux quartiers qui se poussent du col à qui présentera la plus haute tour et repoussent les rizières tout en laissant des familles paysannes désemparées. Une frénésie de ponts a saisi les autorités municipales de Hanoi. Deux ont été jetés au-dessus du fleuve en quelques années – dont un à haubans, majestueux. Ici, pas question d’un débat « Le Fleuve rouge et nous » : les autorités tranchent, l’administration en charge des évictions expulse les occupants des terrains réquisitionnés pour la construction, les ouvriers coulent les tonnes de béton. Le parallèle garde sa dose d’improbable ! n C’EST POURTANT À L’AUNE de ces années asia-
BLOC-NOTES | SIGNES DES TEMPS
tiques et de ces villes qui n’en finissent pas de grandir que je remets mes pas depuis maintenant dix-huit mois dans ce Nantes remodelé. Redécouvrir « sa » ville qui a changé autant que vous. n
«
Ici pas question d’un débat Le Fleuve rouge et nous… »
raconté à Presse-Océan (19 juillet 2015). Notre but, c’est de leur redonner le goût d’entrer dans une librairie au quotidien. » Pousser la porte d’une librairie comme on se rend à la boulangerie. Pour y demander Les Nourritures terrestres de Gide ? n
IL A DONC SUFFI de quatre mots, rédigés avec l’élégance de la simplicité, une politesse discrète et sensible. Le titre d’un dernier bloc-notes : « Au revoir et merci ». D’une intuition, celle de la nécessité d’une revue métropolitaine qui se donnerait le temps de la profondeur, Thierry Guidet a su donner naissance à la revue Place publique Nantes/Saint-Nazaire. Il part pour ces longues vacances que l’on nomme retraite. Et s’il me laisse la barre, il ne quitte pas le bord pour autant. Il l’a d’ailleurs confié dans un entretien bilan à la revue régionale 303 : « Et si l’on veut bien de moi, je serai heureux de continuer à contribuer à la revue ». Il reste donc au comité de rédaction qui se réunit chaque mois pour échanger, débattre et décider autour des dossiers que nous choisissons de traiter. Et nul doute que vous retrouverez sa signature au fil des numéros, en particulier ces initiales “T. G.” essaimées dans la rubrique dédiée aux livres, critiques affûtées qui peuvent vous donner envie d’acheter l’ouvrage sur le champ ou… vous en dissuader à jamais. n PUISQUE NOUS EN SOMMES AUX LIVRES, un des piliers du comité de rédaction, Alain Croix, demeure sous le charme de la brochure La sélection des libraires, été 2015 diffusée par la librairie Durance – « La plus ancienne de Nantes, fondée en 1858 », rappelle l’historien. Les douze libraires, d’Angèle spécialisée en livres pour la jeunesse à Sylvain, écartelé entre sciences, nature, santé
et développement personnel, y sont présentés avec une bonne dose d’humour et font part de leur coup de cœur des derniers mois et des quatre livres qu’ils recommandent. Puis c’est au tour de Sandrine et Béatrice de présenter leurs choix, suivies par Annie et Claire, Alexandre et Olivier… Tous les employés de Durance sont de la partie, de la comptable au duo qui s’occupe des réceptions et expéditions. Des tranches de vie et des sélections éclectiques pour incarner l’esprit du lieu. Jusqu’au “pilote” de Durance, Daniel Cousinard, qui n’oublie pas de souligner que « le travail de conseil est au cœur de notre activité de librairie indépendante ». Le livre n’est pas que de papier, il est aussi de chair.
POUR EN FINIR avec les livres, au moins pour ce bloc-notes inaugural, je m’autorise également une sélection réduite pour les dernières notes d’un été. Une lecture et une seule, celle d’un polar qui vous saisit signé Hervé Le Corre, un professeur de lettres de la région bordelaise. Après la guerre (Rivages/Noir, 2015) se tient au milieu des années cinquante dans une ville suintant la crasse, aux façades sombres et menaçantes, la sœur atlantique de Nantes, Bordeaux. Les policiers et voyous qui ont frayé et servi l’occupant durant la Deuxième guerre ont su se recycler et prospérer. Toute une jeunesse est convoquée pour partir en Algérie. Occupation, collaboration, déportation, épuration, décolonisation… Hervé Le Corre se collette avec l’Histoire, ses nondits, une ville amorale aux secrets bien enfouis et un fantôme, un survivant revenu de l’enfer sur la terre.
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n
DISPOSER D’UNE LIBRAIRIE à sa porte, ou à quelques minutes de marche, reste un bonheur (trop) rare. Les riverains de la rue du Maréchal-Joffre à Nantes pourront prochainement y goûter puisqu’une nouvelle librairie, La vie devant soi, doit y ouvrir fin septembre, installant ses livres dans un ancien studio de photographe. La libraire, Charlotte Desmousseaux, mijote son projet depuis des années : « Il s’agira d’une librairie de quartier qui sera comme un commerce de proximité pour les gens, a-t-elle
PAR LES HASARDS des rencontres et d’une terrasse estivale, une discussion prolongée s’engage avec un élu nantais, lecteur régulier de la revue. Je le questionne sur son rapport à Place publique, la définition qu’il en livrerait. Quelques secondes de réflexion. « Un objet unique. » Au-delà de la “simple” revue, donc ; un « objet » éditorial à nul autre pareil, que l’on garde, que l’on prend et reprend, qui perdure. Une incitation à poursuivre l’aventure, à continuer à modeler cet « objet » bimestriel. n SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 99
SIGNES DES TEMPS | LIVRES
QUESTIONS URBAINES
L’essentiel sur la Maison Radieuse de Rezé QUESTIONS URBAINES 100
Dominique Amouroux, La Maison Radieuse de Rezé
POLITIQUE 101
Revue Parlement[s]. Bretagne en politique, sous la direction de David Bensoussan
SOCIOLOGIE 101
Marie-Laure Déroff, Thierry Fillaut (dir.), Boire : une affaire de sexe et d’âge
LITTÉRATURE 102 102 103 104
Paul Louis Rossi, Berlin. Voyage en automne Marion Guillot, Changer d’air Jean-Louis Bailly, Une grosse suivie d’un petit geste commercial Alain Defossé, Effraction
HISTOIRE 105 106 107 108
Hiroyasu Kimizuka, Bordeaux et la Bretagne au 18e siècle. Dominique Le Page [direction], 11 batailles qui ont fait la Bretagne Isabelle Le Boulanger, Enfance bafouée. Jean-Yves Guiomar, Peuple, région, nation
PATRIMOINE 109
Gildas Buron, Saphyr Creston, Michaële Simonin René-Yves Creston. L’instant du geste,
110
REVUES ET LIVRES REÇUS
Le soixantième anniversaire de la Maison Radieuse de Rezé justifiait bien ce petit livre. Rédigé par notre collaborateur Dominique Amouroux1, il offre une utile synthèse, très pédagogique et judicieusement illustrée. L’ouvrage s’ouvre par un résumé de l’itinéraire et des ambitions du Corbusier : « rompre avec les pesanteurs sociales et le conformisme intellectuel du siècle précédent pour créer le cadre de vie de l’Homme nouveau animé d’un Esprit nouveau. » Les « Unités d’habitation » – parmi lesquelles Rezé – vont concrétiser ce projet. Dans un deuxième temps, Dominique Amouroux fait le récit de la construction de la Maison Radieuse. Il met en évidence le rôle déterminant joué par un groupe de Nantais dont l’avocat Gabriel Chéreau ainsi que le soutien essentiel du ministre de la Reconstruction Eugène Claudius-Petit. Il n’est pas rare que l’architecture soit un sport de combat ! La troisième partie du livre est une visite commentée de l’édifice. Nous sont donnés à voir, et à comprendre, les espaces communs, la rue intérieure, les chambres, l’école maternelle située sur le toit-terrasse, les couleurs qui scandent les façades… Pour conclure, Dominique Amouroux esquisse l’histoire des soixante années de vie commune qui nous séparent de l’inauguration de la Maison Radieuse. Tant de choses ont changé au cours de ces années ! Mais l’auteur l’assure : s’est maintenue « une cohésion autour du sentiment très vif de vivre dans un lieu particulier, doté d’une histoire singulière. » Il en faut pas demander à l’ouvrage plus que ce qu’il promet. Ainsi qui s’intéresse à la façon dont les habitants se sont appropriés, ou non, le lieu, doit absolument lire aussi le passionnant Habiter Le Corbusier. Pratiques sociales et théorie architecturale.2 Et la vivacité des polémiques récentes autour du passé politique du Corbusier fait regretter le total silence de l’auteur sur ce point. Mais on trouvera dans ce livre l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur l’utopie de béton qui se dresse dans le ciel de Rezé. n T.G. Dominique Amouroux, La Maison Radieuse de Rezé, Ville de Rezé/CAUE de Loire-Atlantique, 80 pages, 10 €
1. Voir la série qu’il a consacrée au sujet dans nos numéros 46, 47 et 48. 2. De Sylvette Denèfle, Sabrina Bresson, Annie Dussuet, Nicole Roux, Presses universitaires de Rennes, 2007. Lire aussi sur ce sujet dans notre n° 51 un entretien avec Sabrina Bresson.
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LIVRES | SIGNES DES TEMPS
POLITIQUE
SOCIOLOGIE
Pourquoi la Bretagne vote (encore) à gauche
Buveurs et buveuses, au-delà des clichés
Le constat est connu mais la singularité du vote breton depuis les années 1970 en faveur des candidats de gauche ne manque pas d’interroger les spécialistes, au regard de l’orientation conservatrice qui a longtemps caractérisé la Bretagne avant ce retournement spectaculaire. Dans son dernier hors-série, la revue d’histoire politique Parlement [s] mobilise de nombreux historiens, sous la direction de David Bensoussan, afin de décrypter les causes profondes de ce phénomène qui se poursuit jusqu’à nos jours. La mise en perspective du vote breton depuis le début du 20e siècle, l’éclairage de l’influence décisive de l’Église catholique sur l’évolution des orientations politiques, la mutation du monde rural, fournissent des clés de lecture pertinentes et bien documentées pour saisir les causes de ce « grand basculement » de la Bretagne à gauche. Les travaux des historiens questionnent le temps long et font ainsi apparaître l’organisation progressive des mouvements socialistes en Bretagne, dès le début du 20e siècle, notamment dans les centres urbains et à la faveur des réseaux associatifs et militants. Sans oublier d’analyser le multiforme et récent mouvement des Bonnets rouges, dont la photo d’une manifestation de 2013 orne la couverture de l’ouvrage. n X.D. Revue Parlement[s]. Bretagne en politique, sous la direction de David Bensoussan. Hors-série 10 – 2014, Classiques Garnier, 220 pages. David Bensoussan est membre du comité de rédaction de Place publique Rennes.
Non, ce n’est pas la réédition de l’album Boire du Brestois Christophe Miossec, mais un livre de sciences humaines qui porte le même titre et qui, de même, nourrit un certain rapport avec Brest puisque plusieurs de ses auteurs sont de l’université de Bretagne occidentale. Il s’agit dans cet ouvrage de croiser les regards et les disciplines pour éclairer la question du « boire » conçue avant tout comme un « acte social », par définition complexe. Le fil conducteur est ici celui du sexe et de l’âge, autrement dit le genre et la génération. La différence homme-femme dans les usages et les effets de l’alcool mobilise des chercheurs sans cesse placés sur une ligne de crête : d’un côté penchant vers l’indifférenciation du boire masculin et féminin (la non-spécificité des femmes en la matière), d’un autre côté tenant compte de l’inégalité biologique, des écarts statistiques et de la pratique différenciée des sexes face à l’alcool. Ce qui est sûr, c’est que la représentation des femmes buveuses élaborée par les hommes depuis deux siècles nourrit une culture stéréotypée qui influe en retour le boire au féminin. Longtemps la supposée tempérance des femmes les requit comme « bras armé contre l’alcoolisme » tandis que leur éventuelle intempérance était perçue comme manquement coupable au devoir d’épouse et de mère. Aux hommes l’alcoolisme « social », lié au groupe, au travail, au bistrot ; aux femmes l’alcoolisme « névrotique », solitaire et caché, donc pathologique. Tout cela s’estompe dans les faits, mais l’image demeure. Les auteurs montrent à quel point la pression sociale est bien présente aujourd’hui quand les garçons se voient obligés de consommer s’ils ne veulent pas passer pour des trouble-fêtes, l’abstinence devenant synonyme de déviance, ce qui n’est pas le cas chez les filles. Édifiant et original à cet égard le chapitre consacré aux « jeunes “non-buveurs” au prisme du genre et de l’éducation familiale ». Au plan des stéréotypes, on lira aussi avec intérêt, comment la femme moderne amatrice de bon vin est devenue la proie du marketing vinicole, ce dernier lançant des bouteilles roses, des étiquettes « féminines » et des vins adaptés au goût supposé des femmes (rondeur, légéreté, parfum). Dans le monde marchand la caricature s’expose sans vergogne. De ce livre riche qui se veut aussi outil de réflexion pour les professionnels, notons encore la place accordée à l’alcoolisme des personnes âgées, phénomène tabou mais bien réel. Enfin soulignons son agrément de lecture grâce à des tableaux statistiques clairs ainsi qu’à des « verbatim », qui restituent des témoignages bruts d’aujourd’hui ou bien des pages surprenantes d’ouvrages hygiénistes d’autrefois. n GEORGES GUITTON Marie-Laure Déroff, Thierry Fillaut (dir.), Boire : une affaire de sexe et d’âge, Presses de l’EHESP, 208 pages, 18 €.
SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 101
SIGNES DES TEMPS | EXPOSITIONS
Claude Cahun, femme libre Depuis plusieurs années, la Bibliothèque municipale et le musée des Beaux-Arts de Nantes travaillent à mettre en valeur l’œuvre de Claude Cahun, née Lucy Schwob à Nantes en 1894. C’est donc l’ensemble des documents et photographies acquis patiemment qui nous sont présentés aujourd’hui. Si les photographies de Claude Cahun ont depuis quelques années1 acquis une notoriété internationale, l’un des mérites de l’exposition est d’insister sur la collaboration artistique permanente avec son amie Suzanne Malherbe dite Marcel Moore et de préciser que les « autoportraits » longtemps considérés comme tels sont des photographies prises par cette dernière. En effet, nulle trace d’un déclencheur automatique mais parfois, l’ombre portée de Suzanne apparaît sur la photo. Dans son excellente biographie, Claude Cahun, l’exotisme intérieur, aux éditions Fayard, François Leperlier tranche la question en citant une déclaration de Man Ray, « Même si quelqu’un d’autre appuie sur le bouton, c’est moi qui prends la photo ». Il précise que Moore n’a jamais revendiqué le statut d’auteur pour ces images.
Surréaliste, essentiellement
« Dans l’ensemble de ma vie, je suis ce que j’ai toujours été (mes plus anciens souvenirs d’enfance en témoignent) : surréaliste. Essentiellement. Autant qu’on le peut sans se tuer ou tomber au pouvoir des aliénistes. »2 Bien que grandissant dans un milieu intellectuel privilégié – son père Maurice Schowb est le directeur du quotidien nantais Le Phare de la Loire, son oncle est l’écrivain Marcel Schwob et son grand-oncle Léon Cahun est un érudit – son enfance est marquée par la folie dans laquelle sombre sa mère avant d’être internée définitivement dans une clinique parisienne. En pleine affaire Dreyfus, Lucy est retirée du lycée de jeunes filles de Nantes où elle a fait l’objet d’une agression antisémite. Dans cette ambiance délétère, elle est sauvée par deux passions : l’écriture et la rencontre de Suzanne, qui sera sa compagne à vie. De cette enfance abîmée, elle va tirer une force de rébellion jamais démentie, créant une œuvre intimiste et poétique qui échappe à toute tentative de classification. Dès 1910, elle travaille sur ses premières photographies en collaboration avec Suzanne. Elle contribue chaque semaine au Phare de la Loire, avec des chroniques de mode illustrées par Suzanne qui a déjà pris son pseudonyme de Marcel Moore. En 1917, Maurice Schowb épouse la mère de Suzanne. Les deux jeunes filles deviennent sœurs par alliance. Cette même année, Lucy Schowb qui fait des études de 112 | PLACE PUBLIQUE | SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015
Claude Cahun, autoportrait 1926
lettres et de philosophie à la Sorbonne devient Claude Cahun, empruntant le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle. À travers la réalisation d’autoportraits, l’artiste se sert de sa propre 1. 23 juin-17 septembre 1995, la première grande exposition monographique consacrée à l’œuvre de Claude Cahun est présentée au Musée d’Art moderne de la ville de Paris. 2. A Jean Schuster, 1953
EXPOSITIONS | SIGNES DES TEMPS
image pour démonter un à un les clichés associés à l’identité. Claude Cahun s’est réinventée à travers la photographie (comme à travers l’écriture), en posant pour l’objectif avec un sens aigu de la performance, habillée en femme, en homme, cheveux longs ou crâne rasé. Il n’y a aucune provocation de sa part, c’est elle-même qu’elle cherche, dans un jeu de miroirs et de métamorphoses permanent, entre fascination et répulsion.
La mise en scène de soi
De son goût pour le théâtre (sans doute a-t-elle aussi des souvenirs de carnaval nantais) elle tire une véritable passion de la mise en scène, usant de déguisements, de masques, d’objets et de maquillage. Tout à la quête d’un mythe personnel, sa représentation du corps féminin tranche avec le modèle dominant de l’imaginaire masculin, y compris chez les surréalistes. Son intégration à ce mouvement s’est faite progressivement par le biais de rencontres. Elle se lie d’amitié avec plusieurs membres fondateurs : Jacques Viot, Henri Michaux et Robert Desnos (un émouvant portrait de celui-ci est présenté) mais sa rencontre la plus marquante est sans aucun doute celle d’André Breton en 1932. Elle entretient avec l’auteur du Manifeste du surréalisme (1924) une correspondance jusqu’à la fin de sa vie. À partir de cette date, Claude Cahun collabore à l’écriture de plusieurs textes et expose des objets dans L’exposition surréaliste d’Objets à la Galerie Charles Ratton en 1936. Parallèlement à la photographie, Claude Cahun ne cesse d’écrire, publiant des textes dans Le Mercure de France et le Journal littéraire. En 1930, elle publie aux éditions du Carrefour Aveux non avenus, préfacé par Pierre Mac Orlan et illustré de photomontages « composés par Moore d’après les projets de l’auteur ». C’est un recueil autobiographique rassemblant poèmes, aphorismes, réflexions autour du thème parcourant son œuvre, l’identité ambiguë. En 1937, elle illustre Le Cœur de Pic écrit par Lise Deharme et préfacé par Paul Eluard. En juillet de cette année-là, fatiguée, elle s’installe avec Moore dans l’île de Jersey où elle réalisera des photographies de paysage et une série intitulée le chemin des chats. Jersey est envahie par l’armée allemande en juillet 1940. Les deux femmes mènent alors une activité résistante en produisant de nombreux tracts. Elles sont arrêtées par la Gestapo en juillet 1944 et condamnées à mort tandis que leur maison est pillée et qu’une grande partie de leurs œuvres disparaissent. Elles seront finalement relâchées à la libération de Jersey, le 8 mai 1945. Claude Cahun meurt en 1954 et Marcel Moore met fin à ses jours en 1972. La vie de Claude Cahun (donc son œuvre) est basée sur la liberté
poétique/politique. D’ailleurs, elle explique à Paul Lévy, en 1950 : « Si j’ai lutté avec des camarades d’extrême gauche, c’est que cette cause, sans être la mienne, me paraît juste, qu’elle était la seule qui s’opposât efficacement au racisme hitlérien, et que le maintien de certaines valeurs, parmi lesquelles la liberté d’expression – et, par elle, non seulement le maintien mais la conquête de la liberté des mœurs, des droits de l’être humain opprimé par des siècles de superstitions féroces m’importaient personnellement. » Claude Cahun a construit une œuvre discrète et sensible, peu connue de son temps. Ses poèmes visuels (Le Cœur de Pic, Aveux non avenus) constituent un travail unique en son genre, dont la diffusion fut très restreinte. La ville de Nantes s’emploie à redonner à cette artiste l’importance qu’elle mérite. Une allée dans le quartier de Chantenay porte aujourd’hui le nom de Claude Cahun. n DANIELLE ROBERT-GUÉDON Salle d’exposition de la médiathèque Jacques-Demy. Jusqu’au 31 octobre : du mardi au samedi de 13h à 18h.
Claude Cahun - Le Croisic, 1921
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SIGNES DES TEMPS | LA CHRONIQUE DE CÉCILE ARNOUX
Le coup de maître de The Patriotic Sunday Ce quatrième album sort dix ans après le tout premier et vient élargir le spectre musical de The Patriotic Sunday. Audelà de sa voix puissante, du caractère toujours aussi volubile qu’il confère à ses chansons, le brillant poète instrumentiste aime voir son propos déclamé à plusieurs ou profiter des chœurs pour porter plus haut encore sa musique. On se rappelle les heureuses harmonies et mélodies de Rock Bottom de Robert Wyatt, ou bien celles que l’on trouve chez David Bowie, The Flaming Lips, Sufjian Stevens, Jim O’Rourke, des projets très divergents mais qui se rejoignent pourtant dans la force des compositions, dans les riches instrumentations qui donnent toute leur place aux cuivres, au piano, et encore une fois aux choeurs. On pourra tergiverser sur l’homogénéité de ce disque, comme on tergiverse sur les œuvres des artistes précédemment cités, mais on ne barguigne pas sur le niveau musical et le souffle de ces onze chansons magnifiques. All I can’t forget résistera au temps, saura accompagner notre temps à nous, on y reviendra comme on revient écouter Five leaves left de Nick Drake, Abbey road des Beatles ou encore Ask me no questions de Bridget St John. Un coup de maître ! n All I can’t forget, Murailles Music/L’Autre Distribution 2015 - http://www.muraillesmusic.com
Faligan, l’un des masques de Meriadeg Orgebin Nom emprunté à un aïeul, Faligan est l’une des identités musicales de Meriadeg Orgebin par ailleurs guitariste de feu Chausse Trappe, et échappé de Draache (projet plus électro/ambient/expérimental). Faligan serait une part fantasmée de lui-même, un masque musical qui permet de lâcher des choses et d’exprimer des états d’âme d’une façon nouvelle. Accompagné de Pierre-Antoine
Parois (Papier Tigre, Room 204) à la batterie et de Lenaïg Orgebin aux chœurs, Faligan, le temps de quatre histoires, met en mots une poésie assez brute faite d’aveux très personnels qui peuvent aisément être compris. Pour étayer ces propos nocturnes et parfois charnels, le parti pris musical se veut rock, new-wave, pop. Guitares, basse, machines, batterie apposent des mélodies froides, résolument électriques, tantôt répétitives, tantôt débridées. Meriadeg Orgebin semble friand de résonance sonore tant il use d’effets sur sa guitare et d’allitérations dans ses textes. On y retrouve la poigne de Dominique A, la rugosité de Taxi Girl, l’électricité de Rodolphe Burger, des pairs pour lesquels le rock résonne bien chanté en français. n Je n’irai pas à Monaco, Quatre 2015 - http://m-o-musiques.blogspot.fr/p/faligan.html
Indre : les chœurs d’enfants des écoles maternelles Pas moins de 195 élèves des écoles maternelles de Basse-Indre et Haute-Indre se retrouvent réunis autour de ce CD. À l’origine de ce projet artistique, des enseignants et des musiciens. Partant du territoire indrais, où la Loire occupe une place fondamentale, Fred Praud (par ailleurs musicien au sein des Frères Léon) imagine avec les enfants l’histoire d’un trois-mâts nommé Arc en Ciel qui fait naufrage. Il sera question de ce naufrage, du sauvetage, de la réparation du voilier et du nouveau départ du bateau. Une manière de parler de solidarité, de partage, d’entraide, de tolérance… thèmes chers dans un projet d’école et qui se font aussi l’écho d’une politique contestée au niveau local en faveur de l’intégration des Roms. Pour illustrer ces messages empreints d’humanité, Leila Bonous s’est attelé à la composition musicale et à la lourde tâche, avec l’équipe pédagogique, de faire chanter tous les enfants dans plusieurs langues. La musique, celle de José Parrondo ou de Pascal Comelade, est riche et emprunte à plusieurs continents. Très rythmée, elle joue beaucoup sur les nuances, les ambiances. Les cuivres appuient la tragédie de l’histoire, le ukulélé apporte sa légéreté. On voyage avec les comptines libanaises, roumaines et tahitiennes qui, en guise d’interludes, viennent ponctuer l’histoire. Ces chœurs d’enfants nous enchantent et nous émeuvent. Voilà un disque qui donne de l’espoir ! n Disponible uniquement par correspondance auprès de l’école – http://ec-ferry-indre-44.ac-nantes.fr
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LA CHRONIQUE DE CÉCILE ARNOUX | SIGNES DES TEMPS
Mathias Delplanque, un nouveau tournant Une belle consécration ! Mathias Delplanque sort son énième disque sur le classieux label nancéen Ici d’Ailleurs. Celui qui publie de façon souvent trop confidentielle des disques tout aussi profonds les uns que les autres, se retrouve sur le même catalogue que Yann Tiersen, Matt Eliott, Sylvain Chauveau, des artistes qui cultivent tous des approches pointues, exigeantes et touchantes. Au fur et à mesure du temps et des expériences, le Nantais d’adoption intègre une diversité de sons toujours plus fournie. Partant de matériaux acoustiques, il les modèle avec des machines pour façonner des plages souvent relativement longues (pas moins de six minutes) à prendre comme des suites : Drachen 1, Drachen 2, Drachen 3. Comme un livre, chapitre après chapitre, ce disque prend son sens dans sa globalité. Totalement instrumental, il nous plonge dans des ambiances oniriques. On s’interroge souvent sur la source, on se laisse surprendre par les échos. Le décor demeure sombre. On pense parfois à des ambiances façon Nico sur un morceau comme « Janitor of Lunacy », à des registres post-rock façon Godspeed your blakc emperor voir même à Low dans le pan réverbérant, à la bande son de Dead Man que Neil Young avait signé voilà vingt ans, à Lee Ranaldo sur son cinquième disque solo paru en 1997, Amarillo Ramp, autant de parentés musicales qui ont toutes en commun une base de guitare traitée de façon singulière. En définitive, l’univers de Mathias Delplanque, au travers de ce Drachen, se veut plus rock, plus expérimental et moins électronique. Un retour vers l’instrument en l’utilisant comme source d’expérimentations. C’est bien là tout l’intérêt de ce disque, intérêt doublé par celui de l’évocation sonore, de la puissance d’une note qui traîne, de la capacité d’imagination de huit titres. n Drachen, Ici d’Ailleurs/Differ Ant 2015 - http://www.mathiasdelplanque.com/
L’obsession de Will Guthrie De quelle obsession s’agit-il ? Celle d’aller plus loin encore dans la performance ? Parce que Will Guthrie, plutôt que de proposer des concerts lambda, s’amuse à improviser des morceaux, à dessiner des formes sonores infinies. Son nouvel album tient en deux morceaux. Le premier, « Timelapse » porte bien son nom. Ce laps de temps qui
dépasse les vingt minutes, fait se succéder des instants emplis de percussions comme le gong ou les cloches, et vous conduit en Inde ou en Asie du Sud-Est. Quant à « Pacemaker », qui porte tout aussi bien son nom, il saura, pendant vingt minutes, stimuler vos sens, surtout dans la seconde moitié du morceau où le rythme s’accélère comme un train prend de la vitesse. Pour Will Guthrie la musique est vivante. Preuve en est l’enregistrement, non pas dans un studio, mais live de ce disque : le premier titre dans la Chapelle Saint-Jean à Mulhouse l’an passé, le second est le souvenir d’un concert au Lieu Unique de Nantes en février dernier. Ainsi, les morceaux prennent plus de force encore. On se laisse imaginer le cadre, le temps, le public qui aura eu le plaisir du direct. n Sacrée obsession, iDEAL Recordings / Boomkat 2015 - http://www.will-guthrie.com
Les émois de Mansfield Tya Depuis plus de douze ans, Mansfield Tya jalonne son existence de chansons imparables, à la noirceur assumée. Carla Pallone au violon, Julia au chant, les deux à la guitare, au piano ou à l’harmonium, à la batterie, aux machines, ces deux-là s’entendent à merveille pour inventer des univers lyriques, à fleur de peau. La première évoque Stranded Horse ou encore Claire Di Terzi, la seconde fait penser à Sexy Sushi. Des mondes bien différents ! Depuis 2003, quatre épisodes (June, Seules au bout de 23 secondes en 2009, Nyx en 2011) racontent l’histoire de deux femmes aux sentiments troubles, aux regrets déclamés, aux douleurs intérieures. Avec Corpo inferno on reste dans la même tonalité. Il est question de « Jamais », de « Nuit », de « Fin des temps », de « Monde du silence », autant de titres donnés à des textes qu’il vous faudra lire entre les lignes. Le violon et ses sonorités parfois tragiques, les rythmiques binaires densifient le poids des mots. Quelque part entre lyrisme et électronique, Mansfield trouve son aplomb dans ces écarts de genre et dans l’expression de ses émois. n Corpo inferno, Vicious Circle / L’Autre Distribution 2015 – www.mansfieldtya.com En concert le 15/10 à Stereolux (Nantes), 19/11 au Fuzz’Yon (La Roche sur Yon) et le 20/11 au VIP (Saint-Nazaire).
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CONTRIBUTIONS
119 JEAN-MICHEL VIENNE PHILOSOPHE L’AVENTURE DES ÉCRITURES AU PASSAGE SAINTE-CROIX
123 GWENAËLLE LE DREFF UNIVERSITAIRE L’UNIVERSITÉ PERMANENTE A 40 ANS
129 FRANÇOIS PRIGENT HISTORIEN ALBERT VINÇON, UN SOCIALISTE NAZAIRIEN FUSILLÉ AU MONT-VALÉRIEN
133 CHARLES NICOL HISTORIEN L’INCROYABLE HISTOIRE DE L’UNIQUE COMMANDO FRANÇAIS DE L’OPÉRATION CHARIOT
Le Passage Sainte-Croix, un lieu de concerts, d’expositions, de débats à caractère spirituel et culturel.
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L’aventure des Écritures au Passage Sainte-Croix JEAN-MICHEL VIENNE > PHILOSOPHE
RÉSUMÉ > Le Passage Sainte-Croix, à Nantes, consacre sa saison 2015-2016 à l’Écriture. Un terme à entendre au sens religieux mais aussi de manière profane : quels rapports entre écrire et dire ? entre texte et interprétation ? quelle politique de la lecture et de l’écriture dans une ville comme Nantes ?
Au moment où, après la télévision, l’informatique modifie de fond en comble les façons d’échanger, de mettre en mémoire, de s’exprimer, il est opportun de réactualiser la vieille question de notre rapport à l‘écriture.
Dire ou écrire.
Dire ne suffit pas, il nous faut écrire. Et ce ne sont pas deux façons équivalentes d’aborder le même monde : ce sont deux approches qui disent des choses différentes de l’environnement. Ainsi, en passant de l’oral à l’écrit, on perd l’intimité entre la personne qui parle et la personne qui écoute. Le texte écrit est détaché d’une mimique, d’une gestuelle, d’une présence, d’une voix ; les conteurs, les théâtreux, les orateurs, les grands-parents le savent bien : la voix personnalise le message ; on se souvient d’une parole par le grain de la voix qui l’a transmise. On y perd aussi l’habitude et la nécessité de mémoriser : l’écrit est toujours sous la main ; on n’a pas besoin de se remémorer puisqu’on peut relire, alors que le conteur ou le jeune récitant de l’école coranique exercent leur mémoire.
On y perd encore en maturation : les paroles entendues peuvent rester dans l’oreille avec leur intonation et leur poids d’existence. Mais on y gagne en fiabilité : l’écrit demeure, témoin que l’on conserve et que l’on transmet ; il permet la répétition, la redite, le rite. On y gagne aussi en puissance d’analyse : la précision de l’écrit devrait contraindre à plus d’exactitude, à plus de cohérence. On y gagne encore en objectivité : personne ne « dit » son carnet intime, certains par contre l’écrivent ; c’est que le vécu y est mis à distance, formalisé, au bénéfice de celui qui se lit et se relit. On y gagne enfin de l’autonomie : on prend distance avec l’orateur, on ne se laisse pas prendre par l’illusion de la parole enjôleuse qui se prétend authentique, par une autorité que l’on ne pourrait questionner ; le texte est fondateur.
JEAN-MICHEL VIENNE est vice-président de l’Association culturelle du Passage SainteCroix. Il est professeur honoraire de philosophie de l’université de Nantes. Ouvert en 2010, le Passage Sainte-Croix relie, au coeur de Nantes, la place de l’église Sainte-Croix et la rue de la Bâclerie. C’est un lieu d’expositions et de débats à caractère spirituel et culturel.
Écritures ou interprétation
Une telle différence entre oral et écrit a des conséquences sur de la vie sociale. Faut-il fonder nos sociétés SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 121
Le bâtiment de direction des anciens chantiers Dubigeon accueille l’université permanente depuis 1993.
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L’université permanente a 40 ans GWENAËLLE LE DREFF > UNIVERSITAIRE
RÉSUMÉ > L’université permanente a 40 ans. Elle compte aujourd’hui 8 000 étudiants, assure 350 cours, mais aussi des conférences, des expositions, des concerts… « Université du troisième âge », puis « inter-âges » avant de devenir « permanente » : son nom a changé plusieurs fois tandis que ses activités ne cessaient de s’élargir grâce au soutien de l’université de Nantes. Lieu de formation et de culture, elle est aussi un endroit de rencontres et d’échanges.
L’université permanente que nous connaissons actuellement est née de la rencontre du premier président de l’université de Nantes Jean-Pierre Kernéis et d’un tout jeune homme à l’énergie débordante, Georges Fargeas. Ingénieur, diplômé de l’École des Mines, il intègre l’université de Nantes dès 1971 et sera l’acteur principal du développement de la formation continue et de l’actuelle université permanente. Ils ont, tous deux, la conviction que chacun, quel que soit son âge, son parcours ou son niveau de diplôme doit pouvoir accéder à la connaissance par le biais de la formation continue et/ou pour le plaisir d’apprendre. Les universités du troisième âge naissent à la conjonction de deux problématiques des années 19601970. Ces années-là sont marquées par l’augmentation du nombre de personnes âgées de 65 ans et plus. Leur situation est préoccupante ; ils deviennent un « problème social à résoudre. »1 Le rapport du haut fonctionnaire Pierre Laroque en 1962 alerte sur le mal logement, l’isolement et la grande pauvreté de cette catégorie de population.
La naissance du « troisième âge »
Au-delà de préconisations très concrètes, Pierre Laroque pose les bases d’une intégration des personnes âgées dans la société. Il est convaincu que « la politique de la vieillesse ne se suffit pas à elle-même, elle est et ne peut être qu’un aspect d’une politique plus large tendant à assumer un aménagement harmonieux de l’ensemble de la société ». C’est dans ce contexte que la notion de troisième âge va voir le jour : une autre conception de la vieillesse. Dans le même temps, la notion d’éducation permanente fait l’objet d’un véritable débat en France. Cette notion passe en quelques années d’une sorte d’usage flou, où le mot « éducation permanente » désigne de façon à peu près indifférenciée toute activité d’enseignement ou de formation susceptible d’intervenir
GWENAËLLE LE DREFF est maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Nantes. Elle a succédé l’an dernier à Georges Fargeas à la direction de l’université permanente.
1. Aline Chamahian, « De l’Université du Troisième Âge de Toulouse aux Universités Tous Âges : retour sur le mouvement de constitution des UTA en France », Communication au 2e congrès de l’association française de sociologie (septembre 2006)
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CONTRIBUTION | ALBERT VINÇON, UN SOCIALISTE NAZAIRIEN FUSILLÉ AU MONT-VALÉRIEN
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Albert Vinçon, un socialiste nazairien fusillé au Mont-Valérien FRANÇOIS PRIGENT > HISTORIEN
RÉSUMÉ > Dirigeant socialiste nazairien, Albert Vinçon est fusillé au Mont-Valérien en 1942. Ses engagements et son histoire sont typiques d’une génération militante marquée par le combat laïque et distincte de la tradition communiste. À partir de cet exemple, on cerne mieux les enjeux de mémoire qui se sont noués après la guerre et qui n’ont pas totalement disparu aujourd’hui.
Fils d’un comptable Emmanuel Vinçon et d’une ménagère Anastasie David, Albert Vinçon est né le 23 juillet 1897 à Campbon (Loire-Inférieure). Il sort major de la promotion 1913-1916 de l’École normale de Savenay. En 1916, il quitte son poste d’instituteur pour s’engager sur le front à 19 ans. Profondément marqué par la Grande Guerre, il enseigne, après sa démobilisation, à l’École primaire supérieure, avant de devenir professeur à l’École industrielle à Saint-Nazaire. Ses premiers engagements sont d’ordre syndical, en tant que délégué de la section de Saint-Nazaire du Syndicat national des instituteurs au sein de l’Union locale de la Confédération générale du travail (CGT). Surtout, Vinçon s’affirme comme un responsable socialiste, le pôle nazairien étant le cœur de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) de LoireInférieure dans l’entre-deux-guerres. Après la victoire de François Blancho aux législatives en 1928, il succède à son collègue instituteur Henri Bretonnière, devenu secrétaire fédéral, à la tête de la puissante section socialiste de Saint-Nazaire (1928-1929). Secrétaire fédéral adjoint (1928-1934), il dirige la fédération socialiste à compter du 23 février 1934. À son décès
en 1942, c’est Georges Briand, figure résistante et futur préfet de la Sarthe en 1946, qui prend sa suite à la tête du Comité d’action socialiste qui préfigure la remise en route de la SFIO à la Libération1. Délégué au congrès national de la SFIO à deux reprises (1936-1937, Paris et Marseille), Vinçon assure durant plusieurs années la rédaction générale du Travailleur de l’Ouest, organe de la fédération. Il dirige une fédération en pleine expansion à la fin des années 1930, aussi bien par le nombre de militants (2 000 adhérents) que d’élus (4 députés, 7 conseillers généraux, 3 conseillers d’arrondissement, 7 maires). Mais Albert Vinçon se présente dans des territoires très marqués à
Agrégé d’histoire, FRANÇOIS PRIGENT a soutenu une thèse sur les réseaux socialistes en Bretagne des années 1930 aux années 1980. Cet article est issu d’une communication lors de l’hommage rendu le 7 mai 2015 à l’Hôtel de ville de Paris, à l’occasion de la présentation nationale de l’ouvrage de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty, Delphine Leneveu (dir.), Dictionnaire des fusillés (1940-1944), Éditions de l’Atelier, 2015, 1 952 p.
1. Depuis sa fondation en 1907, le Parti socialiste a connu 18 secrétaires fédéraux ou premiers fédéraux : Charles Brunellière (1907-1919), Ernest Dalby (19201927), François Blancho (1927-1928), Henri Bretonnière (1928-1934), Albert Vinçon (1934-1942), Georges Briand (1942-1944), Joseph Bercegeais (1944-1945), Théodore Staub (1945-1955), André Routier Preuvost (1955-1969), Maurice Jégou (1969-1973), Jean-Claude Routier (1973-1977), Xavier Prou (1977-1978), Jean Natiez (1978-1981), Olivier Richard (1981-1983), Charles Gautier (1983-1990), Yannick Vaugrenard (1990-2001), Alain Gralepois (2001-2012), Fabrice Roussel (depuis 2012).
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CONTRIBUTION | ALBERT VINÇON, UN SOCIALISTE NAZAIRIEN FUSILLÉ AU MONT-VALÉRIEN
La mémoire socialiste des militants morts durant l’Occupation se différencie profondément de la culture communiste.
La trajectoire d’Albert Vinçon reflète bien l’histoire de l’implantation des partis du mouvement ouvrier en Basse-Loire, l’une des rares concentrations industrielles dans l’Ouest.
Depuis 1959, l’école primaire de Montoir-de-Bretagne, commune dirigée par la SFIO entre 1929 et 1953, puis par le Parti communiste dès 1959, porte le nom d’Albert Vinçon. Il en est de même pour l’un des collèges de Saint-Nazaire. Le cas de Vinçon reflète la façon dont la mémoire socialiste de ces militants morts durant l’Occupation (déportés politiques, fusillés ou exécutés, torturés) se différencie profondément de la culture communiste qui tend à convertir ces thématiques en ressources politiques. Au PCF, l’héroïsation de la masse des sacrifiés est le fondement d’une légitimité partisane ; au contraire, la SFIO se limite à glorifier ses « héros de la Résistance », en individualisant ces personnalités socialistes. Cette réalité reflète plus globalement une différence des rôles militants au sein du PCF et de la SFIO. Les individus se fondent dans le collectif, au service des intérêts supérieurs du Parti, qui est la véritable personnalité politique, dans le cas communiste. Pour les socialistes, l’humanisation des militants, cultivant leur personnalité propre et leur individualité, devient un atout politique, un signe distinctif d’identification et d’adhésion aux valeurs démocratiques, face au totalitarisme communiste. Mais la politique mémorielle des socialistes au Comité départemental de libération ou dans les pouvoirs locaux est aussi une dimension à prendre compte. L’érection massive de monuments et de stèles ainsi que la répétition des cérémonies sont une manière d’éviter la captation de la mémoire résistante par les champs partisans. Cette institutionnalisation de la mémoire résistante est un moyen d’assurer une dépolitisation de ces enjeux passionnés, dans laquelle les socialistes se retrouvent, au contraire de la démarche communiste. À l’inverse, la SFIO assure la patrimonialisation des mémoires locales durant la guerre pour ce qui concerne les villes socialistes totalement détruites, inscrivant ainsi dans un espace vierge des visions consensuelles de ces histoires tragiques. C’est le cas à la Libération lors des venues du général de Gaulle, accueilli par des maires socialistes à Nantes (Clovis Constant), Saint-Nazaire (François Blancho) ou Lorient (Julien Le Pan). En définitive, la trajectoire d’Albert Vinçon reflète bien l’histoire de l’implantation des partis du mouve-
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ment ouvrier en Basse-Loire, entre Nantes et SaintNazaire, l’une des rares concentrations industrielles dans l’Ouest. Précoce, l’enracinement du socialisme puis du communisme, est consolidé par la génération militante du Front Populaire qui fournit l’essentiel des cadres de la résistance localement. Soixante-dix ans plus tard, les cultures politiques locales restent encore marquées par les enjeux de mémoire de cette période. Lors des élections départementales de mars 2015, dans une région qui reste globalement rétive à l’extrême droite, le canton de Saint-Nazaire 2 fait partie de ces territoires touchés par la désindustrialisation où les candidats du Front national se sont hissés au second tour, réactivant à gauche des réflexes antifascistes qui ont précisément présidé aux engagements résistants, socialistes comme communistes. n
L’incroyable histoire de l’unique commando français de l’Opération Chariot CHARLES NICOL > HISTORIEN
RÉSUMÉ > Il a mené une vie qu’on croirait sortie de l’imagination fertile d’un auteur de roman d’aventure. Raymond Couraud, dit Jack Lee, fut le seul Français à participer à l’audacieuse Opération Chariot lancée en 1942 à Saint-Nazaire par les forces britanniques.
Dans la nuit du 27 au 28 mars 1942, les forces britanniques lancent une attaque sur Saint-Nazaire. Nom de code : « Opération Chariot ». Objectif : détruire les installations portuaires et principalement l’écluse Joubert, seule forme de la façade atlantique susceptible de caréner les navires de guerre allemands dont le redoutable cuirassé Tirpitz. L’opération est un succès. Le destroyer Campbeltown escorté de dix-huit vedettes, parvient à s’encastrer dans la forme-écluse et la rend inutilisable jusqu’à la fin de la guerre. Le bilan est très lourd : 169 marins et commandos tués, 250 prisonniers. C’est très fortuitement1 que j’ai découvert l’existence d’un Français ayant participé au Great Raid. Il s’appelait Raymond Couraud. Son nom n’apparaissait pourtant pas sur la liste des commandos et marins. Et pour cause : il combattait sous le pseudonyme de Jack Lee aux côtés des 610 autres hommes de l’Opération Chariot parmi lesquels un Allemand de confession juive, Peter Najel, et un aristocrate belge, Arthur De Jonghe. En enquêtant sur Raymond Couraud, je découvre la vie d’un personnage extraordinaire : un temps ami de gangsters marseillais, séducteur hors pair des femmes de la très haute société britannique, légionnaire, agent secret…
Sous le feu allemand
Le 28 mars 1942, Raymond Couraud se trouvait à bord d’une vedette, la M.L.- 447 de Thomas Platt, qui avait la lourde tâche de conquérir la jetée dite « le vieux môle », mais qui fut touchée et ne put jamais débarquer ses commandos. La M.L.-160 commandée par Thomas Boyd récupéra les survivants, dont Raymond Couraud qui aida à transférer les blessés. Sous un feu d’enfer, à l’entrée de la Loire, la vedette endommagée dut prendre le large. Quand la M.L.-160 revint au secours de marins et commandos tombés à l’eau, elle fut à nouveau copieusement mitraillée. Raymond Couraud fut touché aux jambes par les éclats d’obus tirés par la défense côtière allemande tandis que d’autres hommes à bord furent tués. Grièvement blessé, il parvint à regagner Falmouth et demeura de longs mois à l’hôpital de Truro en Cornouailles britannique. Mais comment un Français pouvait-il être membre
CHARLES NICOL est chargé des relations internationales de la Carene, la Communauté d’agglomération de la région nazairienne. Il est titulaire d’un DEA d’histoire.
1. Robert Lyman, Raid sur Saint-Nazaire: L’incroyable récit d’une opération commando légendaire, Ixelles Editions, 2013, 366 pages.
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INITIATIVES URBAINES
139 Thierry Guidet Un nouveau regard sur les villes reconstruites
141 Laurianne Deniaud « Notre identité, notre patrimoine, notre avenir »
144 Portfolio sur la reconstruction de Saint-Nazaire 154 Marc Dumont Projets urbains
INITIATIVES URBAINES
Un nouveau regard sur les villes reconstruites
TEXTE > THIERRY GUIDET
RÉSUMÉ > Dans les villes frappées par la guerre, les quartiers de la Reconstruction ont mal vieilli. Il est temps de réévaluer leur image, de rénover les logements, d’y attirer des familles. Ce sera l’objet d’un colloque intitulé « De la stratégie à l’action » qui réunira des élus, des chercheurs, des professionnels à Saint-Nazaire les 6 et 7 octobre.
Saint-Nazaire, Le Havre, Lorient, Brest, Caen, Dunkerque… Des villes rasées par les bombardements alliés lors de la Seconde mondiale et par les combats de la Libération. Des villes reconstruites dans les années qui suivirent et jusqu’au seuil de la décennie 1970. Reconstruites dans l’urgence, suivant des normes de confort, d’isolation thermique ou acoustique qui ne sont plus les nôtres. Et de manière plutôt uniforme. Si bien que ces villes ont subi une double peine : villes martyres, elles ont été ensuite longtemps tenues pour des villes sans âme, grises, banales, austères, monotones… Après l’enfer, le purgatoire. Et puis, avec le temps, le regard porté sur ces villes a changé. Depuis 2005, Le Havre figure au patrimoine mondial de l’humanité. Elle jouit, il est vrai, d’un site exceptionnel qu’a su magnifier Auguste Perret, son architecte de la Reconstruction. Ce n’est pas un hasard si le port normand, renouant avec le glorieux passé de Quai des brumes, est redevenu récemment une ville cinégénique : Le Havre d’Aki Kaurismaki, 38 témoins de Lucas Belvaux ou la série télévisée Deux flics sur les docks. Brest tout comme Royan se sont dotées d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager. Caen et Lorient ont décroché le label Villes d’art et d’histoire auquel prétend à présent Saint-Nazaire. Ici et là, bien des bâtiments comptent au rang du « Patrimoine du XXe siècle » tel l’Hôtel-Dieu de Nantes dessiné par RouxSpitz et dont on ignore ce qu’il deviendra après le transfert du CHU.1 En y regardant de près, on s’était aperçu que les villes reconstruites présentaient une diversité architecturale beaucoup plus grande qu’on ne le pensait. Daniel Le Couédic, professeur à l’Institut de géoarchitecture de Brest, le souligne : « Si le néoclassicisme domine, il pré-
Journaliste, THIERRY GUIDET est le fondateur de la revue Place publique. Il animera les séances plénières du colloque de Saint-Nazaire.
1. Pour le cas de Saint-Nazaire, voir Daniel Sicard, « Saint-Nazaire possède, mais oui, un patrimoine remarquable ! », Place publique n°21, mai-juin 2010.
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INITIATIVES URBAINES
LE COLLOQUE se déroulera les 6 et 7 octobre au Théâtre de Saint-
Nazaire. Contact : 02 72 27 51 28. colloque50-70@agglo-carene.fr. Il est organisé par la Carene (communauté d’agglomération de la région nazairienne), avec l’appui de la Ville de Saint-Nazaire et de la Caisse des dépôts, et la participation des Villes de Lorient et Caen, de l’agglomération de Flers, des Communautés urbaines de Dunkerque et de Brest. Programme détaillé et inscriptions : www.agglo-carene.fr
sente d’infinies variations : pour magnifier la place de la Liberté, nouveau centre de Brest, Mathon y imposa une stricte composition ternaire et une scansion digne des traités tandis qu’à Lorient, Jean-Baptiste Hourlier, pour caractériser la vaste place Alsace-Lorraine, sacrifia au vernaculaire (bâtières ardoisées, parement de pierre, couvrement à fronton des lucarnes). » « À Flers et Saint-Nazaire, ajoute Daniel Le Couédic, on fit en outre un usage abondant et varié du fer ornemental dans les garde-corps des balcons. »2 Mais l’architecture n’est pas tout. Dès la fin des Trente Glorieuses, parfois même un peu avant comme à Saint-Nazaire, on remarque davantage les limites et les défauts des immeubles reconstruits que leurs qualités : pas d’ascenseur, guère d’isolation, des salles de bain spartiates, une distribution des pièces ne correspondant pas à l’évolution des modes de vie, des difficultés de stationnement… La vogue de la maison individuelle a fait le reste. Un peu à la manière des grands ensembles, le plus souvent périphériques, les quartiers de la Reconstruction, généralement centraux, ont vite perdu de leur prestige et ont été abandonnés d’une bonne part de leur population initiale. D’où, en 1983, un premier colloque des villes reconstruites. Il se tient à Brest et est suivi d’un autre, dix ans plus tard, à Lorient3 qui donne naissance à une Association internationale des villes reconstruites regroupant, avec le concours de l’Institut de géoarchitecture, Brest, Saint-Nazaire, Lorient, Le Havre, Royan, Maubeuge, mais aussi Ludwigshafen (Allemagne) et Siauliai (Lituanie). Entretemps, en 1992, Brest, SaintNazaire, Dunkerque, Lorient avaient créé un club de réflexion. Depuis, la réflexion commune n’a pas cessé : une rencontre nationale à Brest en novembre 2013 ; le colloque de Saint-Nazaire en octobre prochain. 140 | PLACE PUBLIQUE | SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015
Quel état des lieux ?
À la veille de cette rencontre, quel état des lieux dresser ? Un. Certes, « les villes reconstruites jouissent désormais d’une réelle considération dans les champs de l’urbanisme et de l’architecture », comme le rappelle Daniel Le Couédic. Mais cette revalorisation aux yeux des spécialistes n’est pas forcément partagée par le public. La bataille de l’image reste à gagner. Deux. Les immeubles reconstruits ne manquent pas d’atouts. Ils sont généralement situés en plein centre, parfois près de la mer, bien desservis par les transports en commun, entourés d’équipements collectifs et de commerces. La hauteur sous plafond, les volumes généreux, la lumière souvent abondante sont des qualités communes à la plupart de ces logements. S’y ajoute un argument non négligeable : leur coût abordable. Il est inférieur de 20 % à la moyenne du marché à Brest, de 15 % à Caen. Le prix du mètre carré a baissé de 200 € entre 2011 et 2013 à Dunkerque… Trois. La population de ces quartiers est vieillissante. Les familles y sont rares, les personnes seules nombreuses. Les revenus des habitants y sont plus faibles que la moyenne. Bien des locataires n’ont pas vraiment choisi de vivre dans ces quartiers. Quatre. Souvent peu entretenus, les logements accusent leur âge. Ils sont énergivores et ont besoin d’être mis aux normes actuelles : isolation, ascenseurs… Le régime de copropriété qui les régit souvent rend difficiles les indispensables rénovations. Chaque ville a ses particularités mais, avec des nuances, ce tableau d’ensemble vaut aussi bien pour Saint-Nazaire que pour Lorient, Caen ou Brest. D’où l’intérêt d’une réflexion commune pour actionner simultanément des leviers culturels, sociaux, juridiques, financiers, architecturaux. Ce sera l’objet du colloque de Saint-Nazaire. n 2. Daniel Le Couédic, « Le tourment des villes reconstruites », hors-série de la revue Urbanisme, Parc privé des années 50-70. L’urgence du renouveau, avril 2014. 3. Les actes du colloque ont été publiés sous le titre Villes reconstruites du dessin au destin (2 volumes), L’Harmattan, 1994. Présentation de Patrick Dieudonné, Ville de Lorient/Institut de géoarchitecture. Concernant en particulier la situation de Saint-Nazaire, lire les contributions de Stéphane Tardif, « Une cité se sépare de son port. Conséquences d’un postulat erroné sur la muitation urbaine d’une ville reconstruite (1943-1948) » et de Philippe Bataille, « Saint-Nazaire : mémoire et réinterpréation d’une ville reconstruite. » À propos de Nantes, Gilles Bienvenu, « Nantes ville radieuse, ou l’appel au Corbusier : une proposition d’application de la Charte d’Athènes. »
INITIATIVES URBAINES
Laurianne Deniaud : « Notre identité, notre patrimoine, notre avenir… » PLACE PUBLIQUE > Au fond, Saint-Nazaire et le parc immobilier issu de la Reconstruction, ça ne fait qu’un… LAURIANNE DENIAUD > C’est vrai, dans une ville détruite à 85 % pendant la guerre, le centre, totalement reconstruit, fait partie de l’identité de la ville ; c’est sa marque de fabrique. Mais, d’une part, il existe désormais d’autres types d’architecture à Saint-Nazaire. Et, d’autre part, nous portons un regard nouveau sur ce parc immobilier sorti de terre dans les années 1950-1970.
LAURIANNE DENIAUD est depuis 2014 la première adjointe au maire de Saint-Nazaire. Elle est notamment en charge de l’urbanisme et de la politique de la ville. Elle a été le chef de cabinet de François Lamy, ministre de la Ville, jusqu’en novembre 2013.
PLACE PUBLIQUE > Un regard nouveau ? LAURIANNE DENIAUD > Eh oui, il faut du recul pour apprécier une architecture. Cinquante ans après, on voit forcément les choses différemment. Moi, j’ai grandi à SaintNazaire. Et, comme tous les Nazairiens, ces bâtiments, je les voyais sans les voir. Ils étaient là, ils faisaient partie du décor, très homogènes, pas très variés par conséquent, pas très jolis peut-être. Point final. On n’allait pas plus loin. On ne se posait pas de questions. PLACE PUBLIQUE > Et aujourd’hui ? LAURIANNE DENIAUD > Précisément, le fait que des architectures contemporaines aient vu depuis le jour à Saint-Nazaire nous conduit à nous poser des questions nouvelles, à comparer, à prendre le temps de regarder notre centreville. Tenez, tout récemment, nous avons organisé un café-débat sur cette question : notre centre-ville est-il beau ? PLACE PUBLIQUE > Alors ? LAURIANNE DENIAUD > Il a des qualités et des faiblesses et on a entendu des jugements bien différents lors de cette rencontre. Mais ce centre-ville fait partie de notre histoire, une histoire avec laquelle les Nazairiens doivent renouer, celle d’une ville née deux fois : au 19e siècle et
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Détruite à 85% Entre 1940 et 1943, SaintNazaire croule sous les bombes américaines. Détruite à 85% (ici, la rue Fernand-Gasnier en 1945), elle est classée dans la catégorie des communes sinistrées, le 31 mars 1943. Archives municipales de Saint-Nazaire
Un an pour déblayer les ruines Les destructions sont telle qu’il faudra un an pour simplement déblayer les ruines. Ce chantier commence dès le mois de juin 1945, soit à peine un mois après la libération de la ville. Archives municipales de Saint-Nazaire
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Les Nazairiens relogés dans des baraquements Avec presque la moitié des maisons totalement détruites et un bon quart irréparables pas d’autre solution que de reloger la population dans des baraquements et des bungalows. Ici, la cité d’Herbins lors de l’inauguration officielle des baraquements système Morosini Cliché Photographie bauloise L. Labière, Archives municipales de Saint-Nazaire
Les halles reconstruites dans le centre-ville C’est le cœur de l’ancienne ville qui a subi le plus de dégâts ; les commerces ont été détruits. Les halles (aujourd’hui identifiées comme « ensemble urbain remarquable » dans le plan local d’urbanisme) sont reconstruites dans le centre-ville. Ici, une photo de mars 1957. Cliché Philippe Lemasson, Archives municipales de Saint-Nazaire
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Le robot Hadrian
Quand Sim city devient réalité !
PROJETS URBAINS > MARC DUMONT MARC DUMONT est professeur en urbanisme et aménagement urbain à l’université Lille I Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.
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Associez les outils numériques à l’utilisation d’imprimantes 3D et vous révolutionnerez la construction des villes en l’automatisant ! Voilà assurément une tendance actuelle, à en croire la montée en puissance du recours au BIM (ou maquette numérique). Cette sorte de carte vitale numérique des bâtiments rassemble toutes leurs normes et caractéristiques techniques (consommation énergétique, cycle de vie, matériaux…) sur un seul support numérique répondant aux standards de logiciels. En complément des esquisses, plans-masse ou dessins, le recours à la maquette numérique pourrait être bientôt généralisé et rendu obligatoire lors des appels d’offre. À côté de cela, les innovations sans cesse croissantes autour des imprimantes 3D ont aussi de quoi faire réfléchir. Le robot Hadrian, développé par une société néerlandaise à Amsterdam, serait capable de monter une maison en briques en deux jours seulement. Travaillant 24 heures sur 24, doté de bras intelligents et de lasers calculateurs, il serait capable de couler le mortier, poser 1 000 briques par heure, et préparer les emplacements pour l’électricité, avec seulement un seul humain pour le contrôler. Hadrian se prépare déjà à construire près de 200 maisons en Australie… Toujours à Amsterdam, c’est cette fois rien moins qu’un pont piéton de 7 mètres qui pourrait être réalisé sur un canal par une start-up de génie civil, MX3D. Basée sur les plans logiciels capables de produire des pièces très complexes, la technologie utilisée est un assemblage hyper-rapide des pièces par un appareil à soudure au gaz qui permet à l’acier de durcir presque instantanément. Les deux bras localisés de part et d’autre des rives ont la particularité d’imprimer leur propre structure de soutien, ce qui ouvre aussi la perspective de se lancer dans la construction d’immeubles à partir d’imprimantes 3D. Avec l’amélioration des techniques, on imagine une ville construite automatiquement… Dubaï s’est d’ailleurs lan-
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cée dans l’aventure avec la première impression-construction de bureaux modulaires en 3D dans le pharaonique Musée du futur, en cours de réalisation. Associée à une entreprise chinoise, la capitale des émirats entend ainsi devenir le premier centre international d’architecture intelligente.
poubelles trop remplies. Photographiant les fautifs, les détectives les suivent jusqu’à leur domicile où ils recevront une amende de 450 € à 1 500 €. Reste à savoir si le coût des amendes couvrira le salaire de ces détectives… Aux Pays-Bas, on mise davantage sur les routes. Plutôt que d’utiliser de l’asphalte polluant et coûteux, Rotterdam va expérimenter des PlasticRoads, des routes en plastique s’assemblant très rapidement comme des pièces de Lego, résistant mieux aux fortes chaleurs et ayant une durée de vie plus longue que les routes actuelles, tout en coûtant bien moins cher. Le procédé est des plus économiques, puisque la principale matière première de la PlasticRoad est composée de bouteilles d’eaux en plastique jetées à la mer, récupérées et recyclées. Reste à peaufiner le procédé, les routes en plastique pouvant s’avérer glissantes les jours de pluie.
Des villes de plus en plus vertes et actives ?
Les PlasticRoads aux Pays-Bas
Économiser : presque toutes les idées sont bonnes Pour récupérer quelques zéros sur leurs budgets, les villes ne sont pas à court d’idées. Les feux tricolores d’une cinquantaine de carrefours à Montluçon vont être éteints ! Dans cette petite ville de l’Allier, l’annonce de la baisse des subventions de l’État aux communes avait fait l’effet d’un coup de massue au moment de boucler le budget communal d’un peu plus d’un million d’euro. La commune a donc exploré la piste improbable des signalisations pour la circulation, et là, surprise ! En remplaçant des feux tricolores par des balises « cédez le passsage », et en poursuivant aussi le remplacement des lampes de feux existants par des LED moins consommatrices, la ville réussi à atteindre près de 17 000 € d’économie par an. À Roubaix, on compte davantage sur des Sherlock Holmes en herbe pour conjurer le phénomène des décharges sauvages, coûteuses en tournées supplémentaires autant que signes d’incivilité et de mauvaise image pour la ville. Des détectives privés ont été recrutés par la Ville pour pister les contrevenants. En planque à proximité de ces dépôts improvisés, ces policiers d’un genre nouveau guettent le jour (et la nuit) les quelques habitants prêts à se défaire clandestinement d’un canapé usé ou de
Ces derniers mois ont vu se développer en urbanisme les technologies green capables de transformer les pollutions urbaines en particules totalement neutralisées. Ainsi, Marseille, Tarbes et Toulouse testent actuellement des dalles de parking capables d’absorber une partie des particules fines émises par les voitures. Dénomées Ecogranic, ces dalles changent les polluants en sel et en eau. Cette technologie est déjà utilisée sur un mur anti-bruit du périphérique parisien près de la Porte des Lilas ou sur les parois à base de dioxyde de titane de certains immeubles comme cet hôpital de Mexico. Ces procédés, très intéressants, ouvrent la perspective de bâtiments anti-pollution recyclant l’air ambiant de manière significative. Ils trouvent cependant quelques limites dans le traitement des particules fines : ils peuvent attaquer l’oxyde d’azote mais pas le dioxyde ni le monoxyde de carbone, molécules trop instables ou trop fines. En complément de ces perspectives, d’autres villes poursuivent leurs objectifs de végétalisation comme à Paris où la municipalité s’apprête à faire des habitants les jardiniers des murs et des rues. L’idée, mi-marketing mi-inventive, consiste à encourager la tendance aux guerilla gardens : les habitants seraient incités à semer et planter partout grâce à des kits de plantation qui leur seraient distribués. Encore faut-il que l’idée soit votée par le Conseil de Paris. Autre piste, les maisons de l’architecte hollandais Raimond de Hullu. Derrière un nom de code qu’on croirait sorti d’un roman de science-fiction, OAS1S promeut un modèle d’habitat arborescent, caché par la végétation pour se fondre dans la nature tout en utilisant les énergies renouvelables et du bois recyclé. Ce projet n’a pas encore trouvé de zones de réalisation, mais l’architecte s’est déjà fait remarquer par le sérieux de ses maisons dans les arbres dans un Center parc de HauteVienne récemment ouvert. SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015 | PLACE PUBLIQUE | 155
L’AGENDA
QUESTIONS PUBLIQUES LAURENCE BELOT : COMMENT INTERNET DÉRANGE L’ORDRE ÉTABLI
RONAN DANTEC : LES VILLES ET LE CLIMAT
Journaliste au Monde, Laurence Belot a publié récemment La déconnexion des élites (Éd. Les Arènes). Elle estime que les élites politiques, économiques et intellectuelles françaises ont énormément de mal à s’adapter à la nouvelle donne créée par Internet. Il ne s’agit pas seulement d’une révolution technologique, plaidet-elle. Ce qui prend forme sous nos yeux est l’avènement d’une nouvelle civilisation.
L’écologiste nantais Ronan Dantec est sénateur, porte-parole climat de l’organisation mondiale des villes Cités et gouvernements locaux unis, président du groupe climat d’Eurocities. À la veille de la COP 21, la conférence mondiale sur le climat qui va se tenir à Paris, il insiste sur la responsabilité particulière des villes dans la lutte contre le déréglement climatique et dans la recherche d’un accord mondial.
> Lundi 12 octobre à 18h, au CCO, tour Bretagne, à Nantes. Entrée libre.
> Lundi 2 novembre à 18h, au CCO, tour Bretagne, à Nantes. Entrée libre.
Questions publiques est un cycle de rencontres co-organisées par le Conseil de développement de Nantes Métropole, le CCO et Place publique.
ÉCHOS : LA LITTÉRATURE, L’HISTOIRE, LA VILLE Troisième édition de Échos, des lectures qui résonnent, le festival organisé par le château des ducs de Bretagne, avec le concours de Place publique. La formule reste inchangée : des lectures assurées par des comédiens, des débats avec des écrivains et des historiens. Le programme est construit cette année autour d’une double thématique. Les villes d’abord : Prague et Kafka, Berlin vécue par Christian Prigent, Nantes vue depuis le Liban par Hoda Barakat, une rencontre entre l’urbaniste François Chaslin qui vient de publier Un Corbusier et le romancier-géographe Philippe Vasset, la Nantes révolutionnaire de Pierre Bordage (L’Enjomineur) qui sera confronté à l’historienne Sophie Wahnich… L’autre fil conducteur de cette édition sera fourni par l’exposition qui s’ouvrira quinze jours plus tard : Tromelin, l’île des esclaves oubliés. Ce sera l’occasion de porter un nouveau regard sur la traite négrière avec Léonora Miano (Red in blue ) ou Irène Frain (Les Naufragés de l’île Tromelin). > Du 2 au 4 octobre au Château. Entrée : 5 €. Programme complet sur www.chateaunantes.fr
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LES CELTOMANIA : 26e ÉDITION !
LES FLEUVES DU MONDE À COSMOPOLIS
Le Mékong
Il y a 26 ans, Nantes, Orvault, Saint-Herblain se regroupaient pour une programmation culturelle d’artistes bretons. Depuis 31 communes différentes de Loire-Atlantique ont accueilli Les Celtomania avec près de 400 artistes. Cette année, sont prévus 16 rendez-vous dans autant de communes. Au programme : Gilles Servat qui fête ses 40 ans de chanson ; Yann Fanch Kemener ; le quintet Hamon-Martin et des musiciens de Palestine pour une création intitulée Area-D ; le bagad de Nantes, puis Dédé le Meut, pen-sonner du bagad de Lokoal-Mendon, accompagné à l’orgue paravec Philippe Bataille ; un Ceilí (bal irlandais) concocté par Mad Tom Duo ; une exposition et des animations autour de l’imposant cheval postier breton. Et toujours le CD compilation des artistes programmés, offert gratuitement, histoire d’emporter ces instants de la culture bretonne d’aujourd’hui.
Cosmopolis présente un ensemble très riche sur les fleuves du monde, une initiative judicieuse au moment où le Grand débat sur la Loire lancé à Nantes arrive à son terme. Une exposition de photos sur le Mékong, une danseuse indienne évoquant le Gange, une conférence sur la géopolitique de l’eau au Moyen-Orient, un débat sur l’accès à l’eau, un conteur congolais, des ateliers d’écriture, une projection du premier court-métrage de Jacques Demy Le Sabotier du Val de Loire, un bar à eau Ce ne sont que quelques-unes des propositions puisées dans un programme foisonnant. > Du 15 septembre au 11 octobre à Cosmopolis et dans une quinzaine d’autres lieux de la ville, ainsi qu’à Indre et Couëron. Espace international Cosmopolis. 18 rue Scribe, passage Graslin, à Nantes Tél. 02 51 84 36 70 cosmopolis-nantes@nantesmetropole.fr
> Du 4 octobre au 19 novembre Renseignements : www.celtomania.fr, Tél. 02 40 54 20 18 www.acb44.com, Tél. 02 51 84 16 07
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PROCHAIN NUMÉRO
PLACE PUBLIQUE # 53 PARUTION LE 7 NOVEMBRE 2015
DOSSIER
De quoi Nantes est-elle la capitale ?
Les élections régionales de décembre sont l’occasion de s’interroger sur les relations entre Nantes et sa région, ses régions. Et d’abord, qu’est-ce qu’une capitale : une ville qui domine ? qui commande ? qui influence ? Quels décalages peut-on constater, au fil des siècles, entre l’espace vécu et l’espace administré par Nantes ? Aujourd’hui, comment sur le terrain de l’économie et de la recherche une dynamique Loire/Bretagne se met-elle en place en dépit de l’échec de la fusion envisagée entre les Pays de la Loire et la Bretagne ? Quelles nouvelles relations avec la Région depuis le vote de la loi sur les métropoles ? Quelle proximité avec le reste de la Loire-Atlantique ? Et demain ? Que peut faire Nantes ? Que doit faire Nantes ? Quels sont ses atouts et ses faiblesses ? Quelles coopérations, quelles rivalités avec ses voisines, Rennes et Bordeaux ?
D’ici là, suivez l’actualité de Place publique sur Twitter et sur Facebook @revPlacePubliqu
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Place 6 numéros 50 € Publique
Place Publique
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LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE
épuisé
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les numéros hors-série 5 €
#53
Vient de paraître
Sept. Oct.
Place Publique
2015
Place #53 Publique
Les mutuelles protègent six Français sur dix. Elles remboursent à leurs adhérents tout ou partie des dépenses de santé qui ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale. Mais par l’intermédiaire de leurs cliniques, de leurs pharmacies, de leurs réseaux de santé elles prodiguent aussi directement des soins, assurent des services, s’engagent dans la recherche, mènent des actions d’éducation et de prévention. Elles jouent donc aujourd’hui un rôle central dans notre système de santé. Et elles exigent que cette place leur soit reconnue au moment où chacun voit bien que ce système a besoin d’être refondé. Devenues de puissantes entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, les mutuelles entendent faire vivre concrètement les valeurs d’entraide qui ont présidé à leur création. Ce hors-série paraît à l’occasion du 41e congrès de la Mutualité Française qui se tient à Nantes en juin 2015. Il a été rédigé par Thierry Guidet qui dirige la revue Place publique, édition de Nantes/Saint-Nazaire. En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €
La transition énergétique c’est ici, c’est maintenant
NANTES/SAINT-NAZAIRE
p. 71 RÉSIDENCES SECONDAIRES : DEMAIN DES FRICHES TOURISTIQUES ? p. 90 ENTRETIEN AVEC L’AUMÔNIER MUSULMAN DES PRISONS p. 125 L’UNIVERSITÉ PERMANENTE A 40 ANS ET 8 000 ÉTUDIANTS
9 782848 092508
LA REVUE URBAINE | Septembre-Octobre 2015
DOSSIER | P 5 | CHOC CLIMATIQUE, DÉFIS POUR L’ÉCONOMIE ESTUARIENNE, NOUVEAUX MODES DE VIE
La transition énergétique, c’est ici, c’est maintenant ! URBANISME | P 139 | UN COLLOQUE À SAINT-NAZAIRE
Porter un nouveau regard sur les villes reconstruites 10E