Kaizen hors-série anniversaire : Pierre Rabhi

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HORS-SÉRIE ANNIVERSAIRE

Pierre Rabhi la terre au cœur

Pierre Rabhi

Paysan, écrivain et penseur français d’origine algérienne, Pierre Rabhi est l’un des pionniers de l’agriculture écologique en France. Il défend un mode de société plus respectueux des hommes et de la terre et soutient le développement de pratiques agricoles accessibles à tous, et notamment aux plus démunis, tout en préservant les patrimoines nourriciers. Depuis 1981, il transmet son savoir-faire en Afrique, en France et en Europe, cherchant à redonner leur autonomie alimentaire aux populations.

la terre au cœur

Découvrez dans ce hors-série anniversaire, le parcours de Pierre Rabhi, de son Algérie natale jusqu’à son Ardèche d’adoption, ses sources d’inspiration et de réflexion, les rencontres qui l’ont forgé. Explorez également toutes les réalisations que Pierre Rabhi a initiées au cours de sa vie : Les Amanins, le mouvement Colibris, Le Hameau des Buis, Terre & Humanisme, la conversion agroécologique du monastère de Solan…

SON HISTOIRE SES INFLUENCES SES INITIATIVES INITIATIVES COLIBRIS, TERRE & HUMANISME, LE HAMEAU DES BUIS, LES AMANINS…

DES ENTRETIENS

Et aussi des entretiens et témoignages : Cyril Dion, Nicolas Hulot, Cheikh Bentounès, Zaz, Françoise Nyssen, Fabrice Nicolino…

CYRIL DION • FRANÇOISE NYSSEN NICOLAS HULOT • CHEIKH BENTOUNÈS

DVD INCLUS

Inclus dans ce hors-série : le DVD Pierre Rabhi. Au nom de la terre

HORS-SÉRIE ANNIVERSAIRE

979-10-93452-39-5

PIERRE RABHI. AU NOM DE LA TERRE


ENTRETIEN AVEC PIERRE RABHI

PROPOS RECUEILLIS PAR YVAN SAINT-JOURS

Les premiers livres inspirants

© Yvan Saint-Jours

Arrivé en Ardèche en 1961, Pierre Rabhi y apprend le métier d’agriculteur et découvre l’enseignement d’une agriculture basée sur la chimie de synthèse et autres intrants dits « modernes ». Pratiquant ces techniques, il en constate la nocivité, en premier lieu pour lui-même. Son ami médecin Pierre Richard est lui aussi confronté à des effets très toxiques sur ses patients, en majorité agriculteurs (décès, paralysies, etc.). Ce dernier lui offre alors un ouvrage déterminant : La Fécondité de la terre, de Ehrenfried Pfeiffer, livre qui s’appuie sur les travaux de l’agriculture biodynamique, dont le fondateur, Rudolf Steiner, est aussi le père de l’anthroposophie (courant de pensée et de spiritualité), qui remit en cause l’agriculture « productiviste » dès 1924.

« Ouvrier agricole au début des années 60, je prenais conscience que l’agriculture détruisait la terre ; ce constat m’a plongé dans un tel désespoir que j’étais prêt à changer de voie. Et puis je suis entré dans un autre espace, une vision écologique des choses. Le premier livre très décisif que j’ai eu entre les mains a été La Fécondité de la terre d’Ehrenfried Pfeiffer, qui parlait de la biodynamie. J’ai découvert comment pratiquer l’agriculture sans détruire, mais au contraire en prenant soin de la terre, en la reliant au cosmos, tout cela était splendide. J’ai dévoré ce livre. À partir du moment où j’ai été assuré qu’un “autrement” était possible, j’ai exploré tout ce que j’ai pu. La Planète au pillage de Fairfield Osborn est venu conforter mon pressentiment qu’il était impossible d’entretenir un rapport guerrier avec la Terre Mère, et a confirmé mes convictions écologistes. Ce livre attire l’attention sur le fait que le comportement du genre humain ne peut persister dans cet instinct de destruction sans que cela le mène à sa propre éradication. Nos civilisations se sont organisées sur le mode de la vanité, du pillage, de la destruction généralisée. Pourtant Osborn n’a pas été entendu à la parution de son ouvrage, en 1949. De nombreux autres auteurs, des êtres sensibles, des écologistes réels, ont essayé d’attirer l’attention, je pense notamment à Günther Schwab. Mais l’énergie humaine qui, jusqu’alors, était confrontée à la résistance de la nature est de plus en plus dominée par des outils conçus par l’Homme. On a beaucoup

évolué en matière de technologie, domaine où nous sommes devenus surdoués, mais nous sommes restés des petits Hommes au niveau mental. En reprenant l’histoire de l’ensemble de l’humanité, depuis les origines jusqu’à maintenant, La Planète au pillage fait figure de bible à mettre entre toutes les mains. Je pense aussi à Rachel Carson ou à Ivan Illich, presque aussi peu lus que lui. On voit par là que certaines consciences, intelligentes et éveillées, ont attiré l’attention de l’humanité sur ses dérives, et qu’elles « La solution pour notre avenir n’ont pas été entendues. J’ignore ne peut venir que d’une meilleure dans quel état ont disparu ces compréhension du grand et éternel gens qui ont vainement tenté de processus des forces naturelles. Le temps est aujourd’hui fini, nous alerter. » où l’on pouvait espérer le braver impunément. » Fairfield Osborn, 1948

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ENTRETIEN AVEC PIERRE RABHI

PROPOS RECUEILLIS PAR YVAN SAINT-JOURS

Les premiers livres inspirants

© Yvan Saint-Jours

Arrivé en Ardèche en 1961, Pierre Rabhi y apprend le métier d’agriculteur et découvre l’enseignement d’une agriculture basée sur la chimie de synthèse et autres intrants dits « modernes ». Pratiquant ces techniques, il en constate la nocivité, en premier lieu pour lui-même. Son ami médecin Pierre Richard est lui aussi confronté à des effets très toxiques sur ses patients, en majorité agriculteurs (décès, paralysies, etc.). Ce dernier lui offre alors un ouvrage déterminant : La Fécondité de la terre, de Ehrenfried Pfeiffer, livre qui s’appuie sur les travaux de l’agriculture biodynamique, dont le fondateur, Rudolf Steiner, est aussi le père de l’anthroposophie (courant de pensée et de spiritualité), qui remit en cause l’agriculture « productiviste » dès 1924.

« Ouvrier agricole au début des années 60, je prenais conscience que l’agriculture détruisait la terre ; ce constat m’a plongé dans un tel désespoir que j’étais prêt à changer de voie. Et puis je suis entré dans un autre espace, une vision écologique des choses. Le premier livre très décisif que j’ai eu entre les mains a été La Fécondité de la terre d’Ehrenfried Pfeiffer, qui parlait de la biodynamie. J’ai découvert comment pratiquer l’agriculture sans détruire, mais au contraire en prenant soin de la terre, en la reliant au cosmos, tout cela était splendide. J’ai dévoré ce livre. À partir du moment où j’ai été assuré qu’un “autrement” était possible, j’ai exploré tout ce que j’ai pu. La Planète au pillage de Fairfield Osborn est venu conforter mon pressentiment qu’il était impossible d’entretenir un rapport guerrier avec la Terre Mère, et a confirmé mes convictions écologistes. Ce livre attire l’attention sur le fait que le comportement du genre humain ne peut persister dans cet instinct de destruction sans que cela le mène à sa propre éradication. Nos civilisations se sont organisées sur le mode de la vanité, du pillage, de la destruction généralisée. Pourtant Osborn n’a pas été entendu à la parution de son ouvrage, en 1949. De nombreux autres auteurs, des êtres sensibles, des écologistes réels, ont essayé d’attirer l’attention, je pense notamment à Günther Schwab. Mais l’énergie humaine qui, jusqu’alors, était confrontée à la résistance de la nature est de plus en plus dominée par des outils conçus par l’Homme. On a beaucoup

évolué en matière de technologie, domaine où nous sommes devenus surdoués, mais nous sommes restés des petits Hommes au niveau mental. En reprenant l’histoire de l’ensemble de l’humanité, depuis les origines jusqu’à maintenant, La Planète au pillage fait figure de bible à mettre entre toutes les mains. Je pense aussi à Rachel Carson ou à Ivan Illich, presque aussi peu lus que lui. On voit par là que certaines consciences, intelligentes et éveillées, ont attiré l’attention de l’humanité sur ses dérives, et qu’elles « La solution pour notre avenir n’ont pas été entendues. J’ignore ne peut venir que d’une meilleure dans quel état ont disparu ces compréhension du grand et éternel gens qui ont vainement tenté de processus des forces naturelles. Le temps est aujourd’hui fini, nous alerter. » où l’on pouvait espérer le braver impunément. » Fairfield Osborn, 1948

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L’ensemble de la production agricole du domaine est certifié Ecocert. Elles fabriquent par ailleurs des encens et des icônes.

Un site exemplaire

de joie, de partage, de force et de conviction, le domaine de Solan est aujourd’hui classé site Natura 2000 1, en reconnaissance de la richesse de sa biodiversité.

Un modèle économique diversifié « En ne ménageant pas notre peine, nous avons réussi à dégager des revenus qui nous permettent de subvenir en totalité à nos besoins. » Avec le maraîchage, les moniales sont parvenues à l’autosuffisance alimentaire, à l’exception de certains légumes comme les pommes de terre, qui demandent trop de place. Les 90 ares de culture maraîchère leur permettent alors d’assurer quelque vingt mille repas par an, pour les dix-sept moniales, les visiteurs et les hôtes. Entre 2005 et 2006, une oliveraie d’une centaine d’arbres a été plantée, destinée à la production d’huile et d’olives de table, pour l’autoconsommation et la vente. Côté verger, le monastère s’est doté de cerisiers, d’abricotiers, de cognassiers et de figuiers, auxquels s’ajoute, dans la forêt, un hectare de châtaigniers multicentenaires. Les fruits sont

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ensuite récoltés et transformés en confitures et pâtes de fruits. Parmi les différentes activités agricoles, les moniales ont mis l’accent sur la vigne, entièrement cultivée en agriculture biologique, sans engrais chimiques et autres produits de synthèse. Aux 5 hectares de grenache noir, carignan noir, cinsault noir et de clairette rosée et blanche, plantés entre 1958 et 1975, les moniales ont ajouté, depuis 2001, 3 hectares de syrah, cabernet franc et vermentino. Aujourd’hui, elles produisent en moyenne 9 cuvées d’un volume total d’environ 25 000 bouteilles par an. Au-delà de la qualité de la production, le succès du monastère vient également du choix de la commercialisation : locale et en vente directe. Pour ce faire, les moniales ont installé un magasin sur le domaine et participent par ailleurs à des foires et marchés locaux, ainsi qu’à de grands salons biologiques à travers toute la France. En plus du vin, des confitures et pâtes de fruits, les moniales produisent des vinaigres, des apéritifs à base de vin, des conserves salées et des sels aromatisés.

Si la grande détermination et l’extraordinaire énergie créatrice des moniales ont permis à l’utopie de prendre corps, sœur Iossifia précise : « Nous vivons dans une recherche de sobriété et la vie communautaire nous permet de réaliser des économies d’échelle : nous avons, par exemple, seulement quatre voitures et cinq portables pour dix-sept personnes. Tout ceci ne serait pas possible autrement. L’exemplarité de notre site est limitée à cet état de fait. Nous ne pouvons prétendre que cela aurait été possible à l’échelle d’une famille. » En revanche, de nombreuses autres communautés, laïques ou religieuses, s’appuient, en partie au moins, sur le modèle agroécologique de Solan pour leur propre démarche. Au fil du temps, le monastère attire de plus en plus de personnes. Près de trois mille visiteurs se rendent ainsi chaque année sur le site, devenu un véritable lieu de rencontre, de fête et de rassemblement, grâce notamment aux activités de l’association Les Amis de Solan [lire encadré]. Qu’elles soient liées à l’activité liturgique ou à l’agroécologie, les motivations des visiteurs sont très différentes. Si les moniales Les Amis de Solan : de Solan comptent parmi les preouverture aux idées et expériences mières communautés religieuses à s’engager dans l’écologie, pour sœur De la rencontre avec Pierre Rabhi est née, en 1995, l’associaIossifia, « ce n’est pas un but en soi, tion Les Amis de Solan, qui permet à des personnes aux parmais une façon de faire offrande de cours et convictions très divers de participer au projet. Étude nos vies, d’incarner notre amour du et protection de la biodiversité, ateliers, journées de travaux Créateur et notre quête spirituelle. » pratiques, conférences… ses actions favorisent les renPhotos extraites de l’ouvrage Le Monastère contres, les échanges de savoirs et savoir-faire, en soutien au de Solan, Une aventure agroécologique, monastère, aux valeurs humaines qu’il représente et au prode Thierry Delahaye, paru chez Actes Sud en 2011. jet de gestion patrimoniale qu’il conduit. L’association organise notamment chaque année, à la fin du mois d’août, une Le réseau Natura 2000 est un réseau européen d’espaces naturels identifiés journée thématique de prières et d’échanges « consacrés à la pour la qualité, la rareté ou la fragilité Sauvegarde de la Création, selon le vœu du Patriarche de de leurs espèces végétales ou animales et de leurs habitats naturels. Constantinople ». Partageant les mêmes valeurs et convictions écologiques, l’association Les Amis de Solan constitue Pour aller plus loin le pendant laïc de la démarche de la communauté religieuse. 1

www.monasteredesolan.com

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L’ensemble de la production agricole du domaine est certifié Ecocert. Elles fabriquent par ailleurs des encens et des icônes.

Un site exemplaire

de joie, de partage, de force et de conviction, le domaine de Solan est aujourd’hui classé site Natura 2000 1, en reconnaissance de la richesse de sa biodiversité.

Un modèle économique diversifié « En ne ménageant pas notre peine, nous avons réussi à dégager des revenus qui nous permettent de subvenir en totalité à nos besoins. » Avec le maraîchage, les moniales sont parvenues à l’autosuffisance alimentaire, à l’exception de certains légumes comme les pommes de terre, qui demandent trop de place. Les 90 ares de culture maraîchère leur permettent alors d’assurer quelque vingt mille repas par an, pour les dix-sept moniales, les visiteurs et les hôtes. Entre 2005 et 2006, une oliveraie d’une centaine d’arbres a été plantée, destinée à la production d’huile et d’olives de table, pour l’autoconsommation et la vente. Côté verger, le monastère s’est doté de cerisiers, d’abricotiers, de cognassiers et de figuiers, auxquels s’ajoute, dans la forêt, un hectare de châtaigniers multicentenaires. Les fruits sont

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ensuite récoltés et transformés en confitures et pâtes de fruits. Parmi les différentes activités agricoles, les moniales ont mis l’accent sur la vigne, entièrement cultivée en agriculture biologique, sans engrais chimiques et autres produits de synthèse. Aux 5 hectares de grenache noir, carignan noir, cinsault noir et de clairette rosée et blanche, plantés entre 1958 et 1975, les moniales ont ajouté, depuis 2001, 3 hectares de syrah, cabernet franc et vermentino. Aujourd’hui, elles produisent en moyenne 9 cuvées d’un volume total d’environ 25 000 bouteilles par an. Au-delà de la qualité de la production, le succès du monastère vient également du choix de la commercialisation : locale et en vente directe. Pour ce faire, les moniales ont installé un magasin sur le domaine et participent par ailleurs à des foires et marchés locaux, ainsi qu’à de grands salons biologiques à travers toute la France. En plus du vin, des confitures et pâtes de fruits, les moniales produisent des vinaigres, des apéritifs à base de vin, des conserves salées et des sels aromatisés.

Si la grande détermination et l’extraordinaire énergie créatrice des moniales ont permis à l’utopie de prendre corps, sœur Iossifia précise : « Nous vivons dans une recherche de sobriété et la vie communautaire nous permet de réaliser des économies d’échelle : nous avons, par exemple, seulement quatre voitures et cinq portables pour dix-sept personnes. Tout ceci ne serait pas possible autrement. L’exemplarité de notre site est limitée à cet état de fait. Nous ne pouvons prétendre que cela aurait été possible à l’échelle d’une famille. » En revanche, de nombreuses autres communautés, laïques ou religieuses, s’appuient, en partie au moins, sur le modèle agroécologique de Solan pour leur propre démarche. Au fil du temps, le monastère attire de plus en plus de personnes. Près de trois mille visiteurs se rendent ainsi chaque année sur le site, devenu un véritable lieu de rencontre, de fête et de rassemblement, grâce notamment aux activités de l’association Les Amis de Solan [lire encadré]. Qu’elles soient liées à l’activité liturgique ou à l’agroécologie, les motivations des visiteurs sont très différentes. Si les moniales Les Amis de Solan : de Solan comptent parmi les preouverture aux idées et expériences mières communautés religieuses à s’engager dans l’écologie, pour sœur De la rencontre avec Pierre Rabhi est née, en 1995, l’associaIossifia, « ce n’est pas un but en soi, tion Les Amis de Solan, qui permet à des personnes aux parmais une façon de faire offrande de cours et convictions très divers de participer au projet. Étude nos vies, d’incarner notre amour du et protection de la biodiversité, ateliers, journées de travaux Créateur et notre quête spirituelle. » pratiques, conférences… ses actions favorisent les renPhotos extraites de l’ouvrage Le Monastère contres, les échanges de savoirs et savoir-faire, en soutien au de Solan, Une aventure agroécologique, monastère, aux valeurs humaines qu’il représente et au prode Thierry Delahaye, paru chez Actes Sud en 2011. jet de gestion patrimoniale qu’il conduit. L’association organise notamment chaque année, à la fin du mois d’août, une Le réseau Natura 2000 est un réseau européen d’espaces naturels identifiés journée thématique de prières et d’échanges « consacrés à la pour la qualité, la rareté ou la fragilité Sauvegarde de la Création, selon le vœu du Patriarche de de leurs espèces végétales ou animales et de leurs habitats naturels. Constantinople ». Partageant les mêmes valeurs et convictions écologiques, l’association Les Amis de Solan constitue Pour aller plus loin le pendant laïc de la démarche de la communauté religieuse. 1

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PROPOS RECUEILLIS PAR SABAH RAHMANI

Cheikh Bentounès « Pierre s’est construit par lui même au-delà de son héritage »

© Fondation ADLANIA

Comment avez-vous rencontré Pierre Rabhi ? Je l’ai d’abord connu à travers ses écrits et lorsqu’il s’est présenté à l’élection présidentielle, en 2002. Nous nous sommes ensuite rencontrés par l’intermédiaire d’amis communs, au Festival des 5 Continents en Suisse, à Martigny, en 2010. Depuis, nous nous voyons régulièrement lors de rencontres et de conférences sur l’écologie, l’avenir du monde, la culture de paix… Et puis, il ne faut pas oublier que Pierre est un compatriote : nous avons la même culture d’origine, nous venons du même environnement ! [rires] Cela a permis un rapprochement ; nous avons tissé des liens et une amitié, bien qu’on se voie peu. Pourquoi vous étiez-vous intéressé à ses livres avant de le rencontrer ? Parce que c’est un homme atypique et que son approche sur la nature et la réconciliation de l’homme avec son environnement est aussi très proche de la philosophie soufie. Entre les voies extrêmes, celle du consumérisme et celle de la rigueur idéologique, il y a cette troisième voie où il faut se réconcilier avec la Terre Mère, la nature et ses semblables. Le système actuel nous amène à détruire ce lieu magique, cette oasis unique qu’est la planète Terre. Or l’homme n’a pas pris conscience de sa relation à cette Terre Mère qui le nourrit, lui donne naissance et le reçoit après sa mort. Il recherche le paradis, mais il oublie qu’il est déjà dans un paradis ! Car

Guide spirituel de la confrérie musulmane soufie Alâwiyya, en Algérie, Cheikh Khaled Bentounès tisse des ponts entre sa démarche spirituelle et l’engagement écologique de son ami Pierre Rabhi. La sobriété heureuse est la clé de voûte de cette amitié. entre l’homme moderne et la nature, il y a encore une relation de domination. En réalité, le vrai défi réside à l’intérieur, dans la conscience de chacun : comment rétablir les liens avec le vivant ? Comment assainir ce rapport de domination et tendre vers des rapports d’harmonie et d’échange avec tout ce qui nous entoure ? Il existe une relation entre une fourmi, un oiseau, un poisson, un arbre et même une pierre ; la création a le même souffle : le vivant. Il faut prendre conscience de l’interdépendance entre les créatures pour ne plus être aveuglé par cet ego narcissique et dominateur qui ne pense qu’à l’avoir. Nous ne sommes pas encore arrivés à définir cette relation au vivant, à l’enseigner et à lui donner un socle solide au niveau de la pensée afin de la préserver. Aujourd’hui, on doit plus que jamais guider notre réflexion, notre développement et nos rapports les uns avec les autres dans ce lien à la Terre, à la

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PROPOS RECUEILLIS PAR SABAH RAHMANI

Cheikh Bentounès « Pierre s’est construit par lui même au-delà de son héritage »

© Fondation ADLANIA

Comment avez-vous rencontré Pierre Rabhi ? Je l’ai d’abord connu à travers ses écrits et lorsqu’il s’est présenté à l’élection présidentielle, en 2002. Nous nous sommes ensuite rencontrés par l’intermédiaire d’amis communs, au Festival des 5 Continents en Suisse, à Martigny, en 2010. Depuis, nous nous voyons régulièrement lors de rencontres et de conférences sur l’écologie, l’avenir du monde, la culture de paix… Et puis, il ne faut pas oublier que Pierre est un compatriote : nous avons la même culture d’origine, nous venons du même environnement ! [rires] Cela a permis un rapprochement ; nous avons tissé des liens et une amitié, bien qu’on se voie peu. Pourquoi vous étiez-vous intéressé à ses livres avant de le rencontrer ? Parce que c’est un homme atypique et que son approche sur la nature et la réconciliation de l’homme avec son environnement est aussi très proche de la philosophie soufie. Entre les voies extrêmes, celle du consumérisme et celle de la rigueur idéologique, il y a cette troisième voie où il faut se réconcilier avec la Terre Mère, la nature et ses semblables. Le système actuel nous amène à détruire ce lieu magique, cette oasis unique qu’est la planète Terre. Or l’homme n’a pas pris conscience de sa relation à cette Terre Mère qui le nourrit, lui donne naissance et le reçoit après sa mort. Il recherche le paradis, mais il oublie qu’il est déjà dans un paradis ! Car

Guide spirituel de la confrérie musulmane soufie Alâwiyya, en Algérie, Cheikh Khaled Bentounès tisse des ponts entre sa démarche spirituelle et l’engagement écologique de son ami Pierre Rabhi. La sobriété heureuse est la clé de voûte de cette amitié. entre l’homme moderne et la nature, il y a encore une relation de domination. En réalité, le vrai défi réside à l’intérieur, dans la conscience de chacun : comment rétablir les liens avec le vivant ? Comment assainir ce rapport de domination et tendre vers des rapports d’harmonie et d’échange avec tout ce qui nous entoure ? Il existe une relation entre une fourmi, un oiseau, un poisson, un arbre et même une pierre ; la création a le même souffle : le vivant. Il faut prendre conscience de l’interdépendance entre les créatures pour ne plus être aveuglé par cet ego narcissique et dominateur qui ne pense qu’à l’avoir. Nous ne sommes pas encore arrivés à définir cette relation au vivant, à l’enseigner et à lui donner un socle solide au niveau de la pensée afin de la préserver. Aujourd’hui, on doit plus que jamais guider notre réflexion, notre développement et nos rapports les uns avec les autres dans ce lien à la Terre, à la

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TEXTE NELLY PONS PHOTOS PATRICK LAZIC

2003

Le centre agroécologique des Amanins Un domaine de 55 hectares dédié à l’accueil et à la transmission

Un écrin de nature résonne avec le vent quasi permanent, énergique, vivant, stimulant. Un panorama grandiose de la Drôme provençale, ouvert sur le Grand Veymont, la Tour de Crest, les Trois Becs et ses chamois… Depuis 2008, les 55 hectares du domaine des Amanins font écho à deux questions fondamentales, chères à Pierre Rabhi : quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? Et quels enfants laisserons-nous à la planète ?

Tout commence en 2003 quand Pierre Rabhi et Michel Valentin [lire encadré page 89] projettent de créer un lieu qui rapproche la nature et les humains en conciliant agriculture, accueil et pédagogie, et qui tende vers l’autonomie alimentaire, énergétique et financière. En avril 2005, la SCI 1 Les Deux Sources, constituée pour l’occasion, achète la ferme des Amanins située entre Drôme provençale et Portes du Vercors. Ouvert aux classes de découvertes, aux familles, citoyens, scolaires, associations, artisans, entreprises, le centre des Amanins est devenu, en quelques années, un lieu d’expériences croisées, un carrefour d’échanges autour de l’écologie pratique et quotidienne. « D’année en année, notre programmation s’est enrichie, abordant des thèmes aussi variés que l’agroécologie, l’écoconstruction, la pédagogie, le montage d’écoprojets, la coopération, la gouvernance ou encore l’entrepreneuriat social. Nous sentons un intérêt croissant pour les valeurs que nous tâchons d’incarner : l’envie du changement dans et par l’action. Ça encourage. Ça donne des ailes de se sentir portés ! », témoigne Houari Belmostefa, membre de la Scop 2 Les Amanins de 2008 à 2015. Inauguré en mai 2008, après quelques années de chantier solidaire et participatif, le centre accueille quelque 5 000 personnes par an [en 2017] pour des

séjours, des ateliers, des conférences, des forums, des stages ou des formations. Le centre confirme une forme d’appétence pour un changement de société.

Au cœur du projet, les enfants Si, dès l’origine du projet, la partie pédagogique et éducative est primordiale, c’est dans un second temps, grâce à Isabelle Peloux [compagne de Michel Valentin], qu’a émergé l’idée de créer une école aux Amanins. Formatrice à l’IUFM de Lyon en gestion des conflits, professeure des écoles depuis près de vingt ans, Isabelle a souhaité s’appuyer sur les potentialités du lieu pour redonner du sens à l’apprentissage du vivant. L’idée de l’école primaire in situ est alors apparue comme une évidence, offrant une nouvelle dimension au projet. Depuis septembre 2006, la présence des enfants, clés de l’avenir, sources d’inspiration, de joie et de

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TEXTE NELLY PONS PHOTOS PATRICK LAZIC

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Le centre agroécologique des Amanins Un domaine de 55 hectares dédié à l’accueil et à la transmission

Un écrin de nature résonne avec le vent quasi permanent, énergique, vivant, stimulant. Un panorama grandiose de la Drôme provençale, ouvert sur le Grand Veymont, la Tour de Crest, les Trois Becs et ses chamois… Depuis 2008, les 55 hectares du domaine des Amanins font écho à deux questions fondamentales, chères à Pierre Rabhi : quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? Et quels enfants laisserons-nous à la planète ?

Tout commence en 2003 quand Pierre Rabhi et Michel Valentin [lire encadré page 89] projettent de créer un lieu qui rapproche la nature et les humains en conciliant agriculture, accueil et pédagogie, et qui tende vers l’autonomie alimentaire, énergétique et financière. En avril 2005, la SCI 1 Les Deux Sources, constituée pour l’occasion, achète la ferme des Amanins située entre Drôme provençale et Portes du Vercors. Ouvert aux classes de découvertes, aux familles, citoyens, scolaires, associations, artisans, entreprises, le centre des Amanins est devenu, en quelques années, un lieu d’expériences croisées, un carrefour d’échanges autour de l’écologie pratique et quotidienne. « D’année en année, notre programmation s’est enrichie, abordant des thèmes aussi variés que l’agroécologie, l’écoconstruction, la pédagogie, le montage d’écoprojets, la coopération, la gouvernance ou encore l’entrepreneuriat social. Nous sentons un intérêt croissant pour les valeurs que nous tâchons d’incarner : l’envie du changement dans et par l’action. Ça encourage. Ça donne des ailes de se sentir portés ! », témoigne Houari Belmostefa, membre de la Scop 2 Les Amanins de 2008 à 2015. Inauguré en mai 2008, après quelques années de chantier solidaire et participatif, le centre accueille quelque 5 000 personnes par an [en 2017] pour des

séjours, des ateliers, des conférences, des forums, des stages ou des formations. Le centre confirme une forme d’appétence pour un changement de société.

Au cœur du projet, les enfants Si, dès l’origine du projet, la partie pédagogique et éducative est primordiale, c’est dans un second temps, grâce à Isabelle Peloux [compagne de Michel Valentin], qu’a émergé l’idée de créer une école aux Amanins. Formatrice à l’IUFM de Lyon en gestion des conflits, professeure des écoles depuis près de vingt ans, Isabelle a souhaité s’appuyer sur les potentialités du lieu pour redonner du sens à l’apprentissage du vivant. L’idée de l’école primaire in situ est alors apparue comme une évidence, offrant une nouvelle dimension au projet. Depuis septembre 2006, la présence des enfants, clés de l’avenir, sources d’inspiration, de joie et de

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RENCONTRES

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE NOVEL

J’ai avant tout rencontré Pierre au travers de ses écrits. J’ai lu le Manifeste pour la terre et l’humanisme ainsi que Graines de possibles, coécrit avec Nicolas Hulot. Pour ainsi dire, je connaissais le personnage, mais je ne l’avais jamais vu. Et la première fois, ce fut à Courchevel, lors des Ateliers de la Terre, en 2008. Je me souviens qu’il était venu dans le plus simple accoutrement, nu-pieds dans ses sandales, alors que nous étions en plein hiver et qu’il neigeait dehors. Cela m’a beaucoup marqué à l’époque. Depuis, on s’est revus une petite dizaine de fois, lors de conférences pendant lesquelles nous intervenions ensemble. Je ne suis jamais allé au centre des Amanins, ni dans les Cévennes, dans sa ferme, alors qu’il m’y a convié à plusieurs reprises. À vrai dire, nous sommes aussi convaincus l’un que l’autre de la voie à suivre, et je concentre une grande partie de mon temps à voyager pour faire changer les entreprises autour du monde avec Pur Projet. Et aujourd’hui nous avons planté 2,6 millions d’arbres et 334 000 hectares de forêt ont été mis en conservation. Je m’occupe également de ma ferme de quatre hectares en Thaïlande sur laquelle je cultive du riz. Je me suis mis à l’agriculture suite à notre rencontre.

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© DR

Pierre est à mes yeux un philosophe et un visionnaire inspirateur. Il nous donne collectivement la possibilité de réfléchir, il réveille ses pairs et en cela, il me touche beaucoup. Il me fait penser à tous les petits producteurs avec lesquels je travaille, car je vois plein de petits Pierre Rabhi au quotidien ! Il a une vision, des convictions fortes, il reste accueillant, gentil, et il regroupe des qualités propres à Gandhi ou Mandela, très ouvert et très humble. En répétant le même message, Pierre cherche à provoquer une insurrection des consciences, son axe est clair, engagé et tranché. S’il n’est pas encore connu du grand public, c’est parce qu’il est en décalage et remet en cause tout un système de pensée. Quoi qu’il en soit, il force le respect. Il faut prendre le meilleur de lui et chacun doit agir ensuite, à sa mesure. Nous sommes tous des colibris en puissance, non ?

© Fanny Dion

Charles Hervé-Gruyer

Tristan Lecomte Tristan Lecomte a fondé la marque de commerce équitable Alter Eco avant de se lancer dans Pur Projet, qui vend des programmes de compensation carbone via l’agroforesterie et accompagne les entreprises dans la réduction et la compensation de leurs émissions.

PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL GREBOVAL

C’est d’abord à travers ses livres, puis par l’intermédiaire d’une amie commune que j’ai connu Pierre Rabhi. En 2003, à l’occasion d’une de ses interventions après une conférence du dalaï-lama organisée par la fondation France Libertés, j’ai hébergé Pierre chez moi, frappé de le voir arriver avec une valise minuscule. Sa présence très calme m’a plu, que ce soit chez nous, dans l’intimité, prenant le petit déjeuner avec nous et nos enfants, ou en présence de milliers de personnes lors d’un colloque. D’apparence vulnérable, au charisme réservé, il touche cependant profondément la sensibilité des gens et véhicule une pensée puissante. Issu d’une famille normande, mais ayant grandi à Paris où l’idée de devenir paysan était jugée irréaliste, j’ai d’abord été marin, mais je rêvais de devenir agriculteur. Avec ma femme, nous nous sommes installés en Normandie où nous rêvions d’autosuffisance. Nous avons lu Pierre Rabhi, qui nous a beaucoup inspirés — de même que d’autres grands fondateurs tels que Philippe Desbrosses ou Jean-Marie Pelt. Il nous donnait envie d’aller plus loin dans notre engagement. Très conscients des enjeux écologiques, nous voulions agir en faveur de la planète. Après avoir passé beaucoup de temps dans les pays du Sud, nous avons franchi le pas en 2006 en choisissant de devenir maraîchers bio. Nous rencontrions régulièrement Pierre lors de divers colloques, il est venu visiter notre ferme et nous a fait l’honneur de parrainer

Éducateur de formation, à 21 ans, il prend la mer à bord de son voilierécole avec des équipages d’enfants et d’adolescents. L’expérience va durer vingt-deux ans, durant lesquels ils vont sillonner tous les océans du globe en compagnie de scientifiques. Charles a relaté leurs enseignements dans un roman : La Femme feuille. Avec sa femme Perrine, Charles a ensuite créé, en 2004, la ferme du Bec Hellouin en Haute-Normandie, devenue aujourd’hui la référence en matière de permaculture.

les formations que nous avons mises en place. Pierre nous a beaucoup motivés pour nous lancer dans cette nouvelle voie, mais nous n’avons pas suivi les pratiques de Terre & Humanisme en matière d’agroécologie, faute de pouvoir y faire un stage. Nous nous sommes appuyés sur d’autres ouvrages très concrets. Nos débuts dans le métier étaient naïfs, nous ne possédions pas de matériel agricole, mais nous avions un cheval de trait, des moutons, un grand potager, des arbres fruitiers, un bon terrain et, à notre petite échelle, une assez bonne pratique d’amateurs, bien que professionnellement encore inexpérimentés. On a testé la permaculture puis l’agroécologie, cherchant toujours comment s’affranchir le plus possible du pétrole, puisant beaucoup auprès des grands novateurs américains et japonais, adoptant des techniques à la fois manuelles et très productives. Tout au long de notre parcours, Pierre a fait figure de cap. La rencontre avec cet agitateur des consciences nous a profondément marqués, nous a indiqué la direction à suivre, même si ses discours ne montrent pas toujours comment avancer concrètement. Il est de ceux qui dénoncent, appartenant à une

génération de pourfendeurs des méfaits du capitalisme. Parfois ses propos ont une dimension tragique, il dépeint le tableau réaliste d’un monde sombre. Mais c’est un homme qui a toujours agi, qui invente des solutions positives, et rejoint par là une nouvelle génération plus positive et résolument créative. Son message est de plus en plus entendu, mais reste, pour la majorité, en décalage avec notre société matérialiste. Je suis profondément persuadé que c’est lui qui est dans le vrai, et notre société largement à côté de la plaque. Mais qui est prêt à accepter une telle remise en cause ?

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RENCONTRES

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE NOVEL

J’ai avant tout rencontré Pierre au travers de ses écrits. J’ai lu le Manifeste pour la terre et l’humanisme ainsi que Graines de possibles, coécrit avec Nicolas Hulot. Pour ainsi dire, je connaissais le personnage, mais je ne l’avais jamais vu. Et la première fois, ce fut à Courchevel, lors des Ateliers de la Terre, en 2008. Je me souviens qu’il était venu dans le plus simple accoutrement, nu-pieds dans ses sandales, alors que nous étions en plein hiver et qu’il neigeait dehors. Cela m’a beaucoup marqué à l’époque. Depuis, on s’est revus une petite dizaine de fois, lors de conférences pendant lesquelles nous intervenions ensemble. Je ne suis jamais allé au centre des Amanins, ni dans les Cévennes, dans sa ferme, alors qu’il m’y a convié à plusieurs reprises. À vrai dire, nous sommes aussi convaincus l’un que l’autre de la voie à suivre, et je concentre une grande partie de mon temps à voyager pour faire changer les entreprises autour du monde avec Pur Projet. Et aujourd’hui nous avons planté 2,6 millions d’arbres et 334 000 hectares de forêt ont été mis en conservation. Je m’occupe également de ma ferme de quatre hectares en Thaïlande sur laquelle je cultive du riz. Je me suis mis à l’agriculture suite à notre rencontre.

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© DR

Pierre est à mes yeux un philosophe et un visionnaire inspirateur. Il nous donne collectivement la possibilité de réfléchir, il réveille ses pairs et en cela, il me touche beaucoup. Il me fait penser à tous les petits producteurs avec lesquels je travaille, car je vois plein de petits Pierre Rabhi au quotidien ! Il a une vision, des convictions fortes, il reste accueillant, gentil, et il regroupe des qualités propres à Gandhi ou Mandela, très ouvert et très humble. En répétant le même message, Pierre cherche à provoquer une insurrection des consciences, son axe est clair, engagé et tranché. S’il n’est pas encore connu du grand public, c’est parce qu’il est en décalage et remet en cause tout un système de pensée. Quoi qu’il en soit, il force le respect. Il faut prendre le meilleur de lui et chacun doit agir ensuite, à sa mesure. Nous sommes tous des colibris en puissance, non ?

© Fanny Dion

Charles Hervé-Gruyer

Tristan Lecomte Tristan Lecomte a fondé la marque de commerce équitable Alter Eco avant de se lancer dans Pur Projet, qui vend des programmes de compensation carbone via l’agroforesterie et accompagne les entreprises dans la réduction et la compensation de leurs émissions.

PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL GREBOVAL

C’est d’abord à travers ses livres, puis par l’intermédiaire d’une amie commune que j’ai connu Pierre Rabhi. En 2003, à l’occasion d’une de ses interventions après une conférence du dalaï-lama organisée par la fondation France Libertés, j’ai hébergé Pierre chez moi, frappé de le voir arriver avec une valise minuscule. Sa présence très calme m’a plu, que ce soit chez nous, dans l’intimité, prenant le petit déjeuner avec nous et nos enfants, ou en présence de milliers de personnes lors d’un colloque. D’apparence vulnérable, au charisme réservé, il touche cependant profondément la sensibilité des gens et véhicule une pensée puissante. Issu d’une famille normande, mais ayant grandi à Paris où l’idée de devenir paysan était jugée irréaliste, j’ai d’abord été marin, mais je rêvais de devenir agriculteur. Avec ma femme, nous nous sommes installés en Normandie où nous rêvions d’autosuffisance. Nous avons lu Pierre Rabhi, qui nous a beaucoup inspirés — de même que d’autres grands fondateurs tels que Philippe Desbrosses ou Jean-Marie Pelt. Il nous donnait envie d’aller plus loin dans notre engagement. Très conscients des enjeux écologiques, nous voulions agir en faveur de la planète. Après avoir passé beaucoup de temps dans les pays du Sud, nous avons franchi le pas en 2006 en choisissant de devenir maraîchers bio. Nous rencontrions régulièrement Pierre lors de divers colloques, il est venu visiter notre ferme et nous a fait l’honneur de parrainer

Éducateur de formation, à 21 ans, il prend la mer à bord de son voilierécole avec des équipages d’enfants et d’adolescents. L’expérience va durer vingt-deux ans, durant lesquels ils vont sillonner tous les océans du globe en compagnie de scientifiques. Charles a relaté leurs enseignements dans un roman : La Femme feuille. Avec sa femme Perrine, Charles a ensuite créé, en 2004, la ferme du Bec Hellouin en Haute-Normandie, devenue aujourd’hui la référence en matière de permaculture.

les formations que nous avons mises en place. Pierre nous a beaucoup motivés pour nous lancer dans cette nouvelle voie, mais nous n’avons pas suivi les pratiques de Terre & Humanisme en matière d’agroécologie, faute de pouvoir y faire un stage. Nous nous sommes appuyés sur d’autres ouvrages très concrets. Nos débuts dans le métier étaient naïfs, nous ne possédions pas de matériel agricole, mais nous avions un cheval de trait, des moutons, un grand potager, des arbres fruitiers, un bon terrain et, à notre petite échelle, une assez bonne pratique d’amateurs, bien que professionnellement encore inexpérimentés. On a testé la permaculture puis l’agroécologie, cherchant toujours comment s’affranchir le plus possible du pétrole, puisant beaucoup auprès des grands novateurs américains et japonais, adoptant des techniques à la fois manuelles et très productives. Tout au long de notre parcours, Pierre a fait figure de cap. La rencontre avec cet agitateur des consciences nous a profondément marqués, nous a indiqué la direction à suivre, même si ses discours ne montrent pas toujours comment avancer concrètement. Il est de ceux qui dénoncent, appartenant à une

génération de pourfendeurs des méfaits du capitalisme. Parfois ses propos ont une dimension tragique, il dépeint le tableau réaliste d’un monde sombre. Mais c’est un homme qui a toujours agi, qui invente des solutions positives, et rejoint par là une nouvelle génération plus positive et résolument créative. Son message est de plus en plus entendu, mais reste, pour la majorité, en décalage avec notre société matérialiste. Je suis profondément persuadé que c’est lui qui est dans le vrai, et notre société largement à côté de la plaque. Mais qui est prêt à accepter une telle remise en cause ?

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PROPOS RECUEILLIS PAR NELLY PONS PHOTOS FANNY DION

Cyril Dion « Dans les dix ans à venir, la sobriété heureuse va être au cœur de la société tout entière » Après avoir cofondé, en 2006, le mouvement Colibris [lire page 110] et l’avoir dirigé pendant six ans, Cyril Dion a coréalisé le documentaire Demain 1 qui a rencontré un large succès. Écrivain et réalisateur, cofondateur du magazine Kaizen et de la collection Domaine du possible chez Actes Sud, il fait le point sur sa rencontre avec Pierre Rabhi et ses années passées à ses côtés.

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Comment avez-vous rencontré Pierre Rabhi et comment avez-vous décidé de créer le mouvement Colibris ? En 2006, je terminais ma mission de coordinateur pour la fondation Hommes de Parole avec laquelle nous organisions, dans différents pays, des congrès israélo-palestiniens des imams et rabbins pour la paix. Isabelle Desplats, une amie de Pierre Rabhi, s’occupait de nos recherches de financements. Elle et ses amis cherchaient quelqu’un pour créer un mouvement autour des idées de Pierre, et ils ont pensé à moi. Je connaissais déjà ses idées, car quelques années auparavant, alors que j’étudiais la réflexologie plantaire, notre formatrice nous avait distribué des tracts de ce qu’elle disait être « une des rencontres les plus importantes de sa vie ». C’était le fameux « quatre pages » 2 rédigé pour les élections présidentielles de 2002 [lire page 74]. Je revois encore l’image de ce bonhomme avec sa moustache, ses bretelles, sa chemise à carreaux… À l’époque, Alain Michel [fondateur d’Hommes de Parole] avait fait un livre d’entretiens avec tous les candidats à l’élection présidentielle 3. Le message de Pierre m’avait interpellé. Là où tous les autres parlaient leur novlangue politicienne, avec toujours les mêmes concepts de croissance, d’emploi, etc., lui avait un discours très décalé. Ce qui m’avait le plus frappé, c’était le parallèle qu’il faisait entre la société et les doigts de la main : tous les doigts sont différents, mais forment un ensemble cohérent. Puis, en 2003, nous sommes allés le voir en conférence avec ma compagne, Fanny. Comme la plupart des gens qui écoutent ses interventions publiques, nous avons flashé et sommes revenus avec plusieurs de ses livres. Notre première rencontre a eu lieu un jour d’été de 2006, sous les platanes du jardin du Luxembourg à Paris. Assis sur ces fameuses chaises en ferraille, nous avons discuté. De tout, de rien. De nos familles, de nos idées. C’était là notre premier échange. Une

discussion très simple, presque banale, qui a marqué le début d’une longue aventure commune. Que vous ont apporté ces « années Colibris » ? Elles ont complètement réorienté ma vie. Si cela rejoignait partiellement des choses que je pensais déjà, que je pressentais, dans le même temps, j’ai énormément appris. Ce qui m’a le plus frappé dans la rencontre avec Pierre, qui a le plus résonné avec mes propres préoccupations, c’est cette histoire de liberté, de désaliénation, qu’il illustre avec l’anecdote des deux amis coupant du bois. Après une journée de labeur, les deux hommes assistent au coucher du soleil, contemplant un arbre magnifique. Chacun va alors y percevoir quelque chose de différent : quand le premier se délecte d’un paysage majestueux, l’autre y voit un nombre de stères à débiter [lire page 109]. Encore plus que l’écologie, c’est ce discours sur la nécessité de se désincarcérer de ce monde pour aller recréer un espace de cohérence et de liberté qui m’a le plus chamboulé. Ensuite, tout s’est fait très progressivement. Je me suis d’abord attelé aux choses très pragmatiques que nécessite la création d’une structure : la recherche de financements, le développement des axes stratégiques, le recrutement, etc. Au fur et à mesure, j’ai acquis un certain nombre de connaissances, de compétences et ai littéralement plongé au cœur du sujet : la remise en question de la société moderne, du capitalisme, du consumérisme, etc. Et c’est fou parce que je vois bien que toutes ces idées, et notamment celle de la sobriété heureuse 4, continuent de me travailler, onze ans plus tard. Le message de Pierre, c’est un peu comme ces choses que nos parents nous répètent pendant l’enfance. On les laisse parler sans y prêter attention plus que ça et puis un jour, on comprend. Vraiment. Certaines de ses idées sont tellement profondes que l’on peut facilement cheminer quinze ans avec, avant que ça se traduise dans quelque chose de concret dans sa vie.

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PROPOS RECUEILLIS PAR NELLY PONS PHOTOS FANNY DION

Cyril Dion « Dans les dix ans à venir, la sobriété heureuse va être au cœur de la société tout entière » Après avoir cofondé, en 2006, le mouvement Colibris [lire page 110] et l’avoir dirigé pendant six ans, Cyril Dion a coréalisé le documentaire Demain 1 qui a rencontré un large succès. Écrivain et réalisateur, cofondateur du magazine Kaizen et de la collection Domaine du possible chez Actes Sud, il fait le point sur sa rencontre avec Pierre Rabhi et ses années passées à ses côtés.

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Comment avez-vous rencontré Pierre Rabhi et comment avez-vous décidé de créer le mouvement Colibris ? En 2006, je terminais ma mission de coordinateur pour la fondation Hommes de Parole avec laquelle nous organisions, dans différents pays, des congrès israélo-palestiniens des imams et rabbins pour la paix. Isabelle Desplats, une amie de Pierre Rabhi, s’occupait de nos recherches de financements. Elle et ses amis cherchaient quelqu’un pour créer un mouvement autour des idées de Pierre, et ils ont pensé à moi. Je connaissais déjà ses idées, car quelques années auparavant, alors que j’étudiais la réflexologie plantaire, notre formatrice nous avait distribué des tracts de ce qu’elle disait être « une des rencontres les plus importantes de sa vie ». C’était le fameux « quatre pages » 2 rédigé pour les élections présidentielles de 2002 [lire page 74]. Je revois encore l’image de ce bonhomme avec sa moustache, ses bretelles, sa chemise à carreaux… À l’époque, Alain Michel [fondateur d’Hommes de Parole] avait fait un livre d’entretiens avec tous les candidats à l’élection présidentielle 3. Le message de Pierre m’avait interpellé. Là où tous les autres parlaient leur novlangue politicienne, avec toujours les mêmes concepts de croissance, d’emploi, etc., lui avait un discours très décalé. Ce qui m’avait le plus frappé, c’était le parallèle qu’il faisait entre la société et les doigts de la main : tous les doigts sont différents, mais forment un ensemble cohérent. Puis, en 2003, nous sommes allés le voir en conférence avec ma compagne, Fanny. Comme la plupart des gens qui écoutent ses interventions publiques, nous avons flashé et sommes revenus avec plusieurs de ses livres. Notre première rencontre a eu lieu un jour d’été de 2006, sous les platanes du jardin du Luxembourg à Paris. Assis sur ces fameuses chaises en ferraille, nous avons discuté. De tout, de rien. De nos familles, de nos idées. C’était là notre premier échange. Une

discussion très simple, presque banale, qui a marqué le début d’une longue aventure commune. Que vous ont apporté ces « années Colibris » ? Elles ont complètement réorienté ma vie. Si cela rejoignait partiellement des choses que je pensais déjà, que je pressentais, dans le même temps, j’ai énormément appris. Ce qui m’a le plus frappé dans la rencontre avec Pierre, qui a le plus résonné avec mes propres préoccupations, c’est cette histoire de liberté, de désaliénation, qu’il illustre avec l’anecdote des deux amis coupant du bois. Après une journée de labeur, les deux hommes assistent au coucher du soleil, contemplant un arbre magnifique. Chacun va alors y percevoir quelque chose de différent : quand le premier se délecte d’un paysage majestueux, l’autre y voit un nombre de stères à débiter [lire page 109]. Encore plus que l’écologie, c’est ce discours sur la nécessité de se désincarcérer de ce monde pour aller recréer un espace de cohérence et de liberté qui m’a le plus chamboulé. Ensuite, tout s’est fait très progressivement. Je me suis d’abord attelé aux choses très pragmatiques que nécessite la création d’une structure : la recherche de financements, le développement des axes stratégiques, le recrutement, etc. Au fur et à mesure, j’ai acquis un certain nombre de connaissances, de compétences et ai littéralement plongé au cœur du sujet : la remise en question de la société moderne, du capitalisme, du consumérisme, etc. Et c’est fou parce que je vois bien que toutes ces idées, et notamment celle de la sobriété heureuse 4, continuent de me travailler, onze ans plus tard. Le message de Pierre, c’est un peu comme ces choses que nos parents nous répètent pendant l’enfance. On les laisse parler sans y prêter attention plus que ça et puis un jour, on comprend. Vraiment. Certaines de ses idées sont tellement profondes que l’on peut facilement cheminer quinze ans avec, avant que ça se traduise dans quelque chose de concret dans sa vie.

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HORS-SÉRIE ANNIVERSAIRE

Pierre Rabhi la terre au cœur

Pierre Rabhi

Paysan, écrivain et penseur français d’origine algérienne, Pierre Rabhi est l’un des pionniers de l’agriculture écologique en France. Il défend un mode de société plus respectueux des hommes et de la terre et soutient le développement de pratiques agricoles accessibles à tous, et notamment aux plus démunis, tout en préservant les patrimoines nourriciers. Depuis 1981, il transmet son savoir-faire en Afrique, en France et en Europe, cherchant à redonner leur autonomie alimentaire aux populations.

la terre au cœur

Découvrez dans ce hors-série anniversaire, le parcours de Pierre Rabhi, de son Algérie natale jusqu’à son Ardèche d’adoption, ses sources d’inspiration et de réflexion, les rencontres qui l’ont forgé. Explorez également toutes les réalisations que Pierre Rabhi a initiées au cours de sa vie : Les Amanins, le mouvement Colibris, Le Hameau des Buis, Terre & Humanisme, la conversion agroécologique du monastère de Solan…

SON HISTOIRE SES INFLUENCES SES INITIATIVES INITIATIVES COLIBRIS, TERRE & HUMANISME, LE HAMEAU DES BUIS, LES AMANINS…

DES ENTRETIENS

Et aussi des entretiens et témoignages : Cyril Dion, Nicolas Hulot, Cheikh Bentounès, Zaz, Françoise Nyssen, Fabrice Nicolino…

CYRIL DION • FRANÇOISE NYSSEN NICOLAS HULOT • CHEIKH BENTOUNÈS

DVD INCLUS

Inclus dans ce hors-série : le DVD Pierre Rabhi. Au nom de la terre

HORS-SÉRIE ANNIVERSAIRE

979-10-93452-39-5

PIERRE RABHI. AU NOM DE LA TERRE


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