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PHILIPPE TORRETON «LA SAGESSE DES ANCIENS REPOSE SUR DES ERREURS DE JEUNESSE» NAGE EN EAU FROIDE BIEN-ÊTRE EXPRESS FERMES VERTICALES MIRACLE OU MIRAGE ? DIJON : ENSEMBLE CONTRE LE BÉTON JANVIER FÉVRIER 2023 N° 66 LE VALIDISME LA FACE CACHÉE DU CAPITALISME ? F 6,50€BELUX 7,20€CH 11 CHFESP 7,40€DOM 7,40€TOM 850 XPFMAR 80 MADTUN 11,90 TND

Éditeur

SCOP SARL à capital variable

La Maison écologique 9, rue de la Bégassière 35760 Montgermont

Magazine bimestriel numéro66 Janvier-février2023 www.kaizen-magazine.com

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Rédacteur en chef Pascal Greboval

Rédactrice en chef adjointe Sabah Rahmani

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Directrice artistique Marion Elbaum

Journaliste multimédia Alicia Blancher

Community manager Charlotte Peyrethon

Responsable développement produits Julien Viot

Chargée de relation client Kristell Dessier

Assistante comptabilité Margaux Jouenne

Stagiaire pour ce numéro Dimitri ou ard

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Photo de couverture © Astrid di Crollalanza

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Impression

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ZA des Marchais – Rue des Peupliers 77590 Bois-le-Roi

SIRET : 438 943235 000 61 • APE: 5814Z

Commission paritaire: 0324 K 91284

Numéro ISSN: 2258-4676

Dépôt légal à parution

Régie de publicité et distribution dans magasins spécialisés AlterreNat Presse • Tél.: 0563941550

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,

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DITO LA CHENILLE EST-ELLE CONSCIENTE QU’ELLE VA DEVENIR PAPILLON ? Q

ue serons-nous demain? L’impermanence est une constante de nos existences. Tout change tout le temps: nos cellules, la météo, l’œuf qui devient chenille, chrysalide, papillon… Ces changements permanents créent parfois chez certain·es une forme de crispation, de peur. Les habitudes, les acquis nous rassurent. Pourtant, si nous observons nos parcours, les changements sont souvent sources de joie. Mais, malgré ces expériences du changement bénéfiques, on s’accroche au présent – voire au passé – comme s’il était figé. Or, rien n’est définitif.

Alors, de quoi sera fait demain?

Covid, guerre en Ukraine, crise énergétique, inflation… La conjoncture actuelle nous plonge plus dans un abîme de questions que sur une plage de certitudes. Pouvons-nous agir à notre échelle face à cet océan d’incertitudes?

Dès lors, que ferez-vous demain? Quels sont vos désirs? Avez-vous pris de bonnes résolutions pour 2023? Avez-vous des envies d’autonomie, de désobéissance? Souhaitez-vous vous engager en politique, trouver un travail qui correspond à vos valeurs?

Et nous, que ferons-nous en 2023?

À vrai dire, nous ne le savons pas!

J’aimerais vous rassurer, vous dire que nous allons continuer d’explorer des solutions écologiques et sociales, vous les partager, pour coconstruire un nouveau paradigme. L’envie nous habite toujours. C’est presque un sacerdoce. Mais comme tout système vivant, nous aussi sommes soumis à la loi de l’impermanence. À l’heure où nous bouclons ce numéro66, nous sommes dans un moment de forte incertitude. L’incertitude est synonyme de questions, de doutes, mais nous préférons être transparents avec vous. Nous ne savons pas sous quelle forme vous nous lirez en 2023. Soyez-en sûrs, nous ne lâchons rien, nous travaillons pour vous retrouver. Et, surtout, nous profitons de ces nouvelles crises (de la presse et des médias, du papier…) pour nous réinventer, imaginer de nouvelles façons de vous informer, avec joie et professionnalisme. Vivons-nous une métamorphose? La chenille est-elle consciente qu’elle va devenir papillon?

Nous avions un pas d’avance, il y a onze ans, en traitant de sujets aujourd’hui devenus grand public [je vous invite à relire nos premiers numéros]. Sauronsnous anticiper à nouveau et créer notre résilience?

Tout ceci reste anecdotique; les vrais problèmes sont à Kiev, Téhéran, Pékin… Dans ces temps de crise, l’essentiel est de passer des moments de joie avec ses proches. Le lien est l’essence de la vie, comme nous le rappelle le dossier sur le handicap. «Valides» ou «handicapés», nous sommes tous interdépendants. De fait, toute l’équipe de Kaizen vous souhaite de bonnes fêtes avec les vôtres et une belle année 2023, sous le signe du lien. n

N° 66 - KAIZEN 3
Pascal Greboval

SOMMAIRE

KAIZEN N° 66

JANVIER-FÉVRIER2023

RENCONTRE 6

Philippe Torreton

« Je ne suis pas plus important que le lapin, que le caillou, que la rivière »

ENQUÊTE 12

Fermes verticales Miracle ou mirage?

ET SI ON LE FAISAIT 46

ENSEMBLE? À Dijon, douze années d’occupation maraîchère

VOYAGE À LA RENCONTRE 52

DU VIVANT Parc naturel régional du Perche Sur les pas de nos amis ânes et chevaux

CHRONIQUE 57 Gilles Farcet «Tendu vers»

Laurent Ballesta

JOURNAL D’UN NÉOTONOME 58 Épisode 6 - Jonathan Attias De la complexité de vivre ensemble

DIY 60 Une pincée de sel dans vos cosmétiques

LOW-TECH LAB 64 Marmite norvégienne Une cuisson à prix doux

CUISINE 66 Cet ingrédient bio, j’en fais quoi? Le haricot azuki En mode zéro déchet! Le café

JE VAIS BIEN, 72 LE MONDE VA MIEUX Nage en eau froide Une cure de bien-être express SÉLECTION KULTURELLE 76

CHRONIQUE 82 Dominique Bourg Femmes, politique et civilisation

4 KAIZEN - N° 66
© Chloé LironLaurent BallestaOlivier Degorce
DOSSIER HANDICAP VERS UNE SOCIÉTÉ PLUS INCLUSIVE 18
PORTFOLIO
38
Sous les glaces de l’Antarctique

PHILIPPE TORRETON

« JE NE SUIS PAS PLUS IMPORTANT QUE LE LAPIN, QUE LE CAILLOU,

QUE LA RIVIÈRE

»

Aussi à l’aise sur les planches qu’à l’écran, le comédien Philippe Torreton est également investi dans la vie de la cité. Élu à la Ville de Paris au début des années 2000, il a participé, à sa façon, à toutes les campagnes présidentielles depuis 2002. Un engagement qui s’articule autour de la justice sociale et de la défense de l’environnement.

BIO EXPRESS

1965

Naissance à Rouen 1994

Sociétaire à la Comédie-Française 1997

César du meilleur acteur pour Capitaine Conan de Bertrand Tavernier 2011

Présumé coupable de Vincent Garenq 2014

Molière du meilleur comédien pour Cyrano de Bergerac mis en scène par Dominique Pitoiset 2014

Publie Mémé, L’Iconoclaste 2022

• Nous y voilà!, spectacle poétique et musical avec Richard Kolinka et Aristide Rosier

• Lazzi de Fabrice Melquiot

• Publie Anthologie de la poésie française, Calmann-Levy

Comment s’est développée votre sensibilité à l’environnement? J’ai passé toutes les vacances de mon enfance à la campagne, en Normandie, et éprouvé les préoccupations associées: s’occuper des vaches, des poules, de la fenaison, ramasser les pommes ou regarder le bouilleur de cru. Puis j’ai cultivé le potager de ma grand-mère, et celui de mes parents après. Plus tard, j’ai vu la campagne évoluer avec ma grand-mère. Elle pestait contre les agriculteurs qui abattaient les haies pour faire de grandes plaines à blé. Son discours sur la biodiversité était empirique, mais elle voyait bien qu’il n’était pas normal de saccager la campagne. Elle faisait partie d’une génération qui a connu les gardes champêtres. Ils passaient à bicyclette, inspectaient et mettaient des amendes quand on ne fauchait pas les chardons, quand on ne coupait pas les ronces ou le gui dans les pommiers. On prenait au sérieux le fait d’entretenir les champs, la nature.

Aujourd’hui, des tas de gens à travers le monde le disent: «Si tu entretiens bien la nature, elle te le rendra.»

Vous décrivez avec beaucoup d’émotion votre relation à la nature. Être comédien, c’est véhiculer des émotions. Le rôle des comédiens serait-il aujourd’hui de sensibiliser à cette crise climatique? Il est du ressort de tout le monde de faire quelque chose. Donc la profession de comédien n’y échappe pas. Mais c’est dur. J’en ai bavé avec cette appellation de «comédien engagé ». Dès qu’on se met à parler, on devient le «sérieux», le «chiant».

Alors, oui, brasser des émotions pourrait être un vecteur. C’est ce que j’ai voulu faire dans Nous y voilà ! Cela me paraissait pertinent de juxtaposer des textes d’Indiens d’Amérique du Nord avec ceux de poètes d’hier et d’aujourd’hui, et de faire apparaître un lien. Un trait d’union absolu. Une

6 KAIZEN - N° 66 © Astrid di Crollalanza

FERMES VERTICALES

MIRACLE OU MIRAGE ?

L’agriculture 2.0 fera-t-elle partie intégrante de la ville du futur? Depuis les années 2000, des tours maraîchères dignes d’un film de science-fiction poussent un peu partout dans le monde. Mais leur performance économique et écologique n’a pas encore fait ses preuves.

Un bâtiment de 4000 mètres carrés, haut de 12 mètres, installé depuis 2019 dans un ancien centre logistique de William Saurin, à quelques kilomètres de la ville de Château-Thierry, dans l’Aisne. Bienvenue chez Jungle, la plus grande ferme verticale de France, pilotée par trentecinq salariés – ingénieurs civils chargés du bâti et de la maintenance, ingénieurs agronomes, chercheurs R&D [recherche et développement] et commerciaux. Dans ce temple du végétal hors-sol, six tours de culture abritent deux structures de vingt-six plateaux superposés, soit cinquante-deux par tour. Des salades, des herbes aromatiques, de jeunes pousses (moutarde, radis pourpre, wasabi…), dont la photosynthèse est assurée par des LED horticoles qui se substituent à la lumière du soleil pour assurer la photosynthèse, sont serrées les unes contre les autres. L’alimentation des plantes est fournie par un système d’hydroponie: les racines reposent sur un substrat de fibre de coco, laine de roche ou tourbe et des tuyaux acheminent l’eau et les nutriments – azote, phosphore et potassium (NPK) – dont ont besoin les plantes pour grandir. Des robots contrôlent température, humidité, ventilation, enrichissement de l’air en CO2

et transmettent les informations à des hommes en blouse blanche, l’œil rivé sur leurs écrans. Pas moins de 400000 plantes potagères sont vendues chaque année chez Monoprix, Intermarché, Grand Frais et Carrefour. «J’ai eu un déclic en lisant un article dans le Financial Times qui suggérait que les fermes verticales pouvaient être une solution pour nourrir l’humanité en 2050», raconte Gilles Dreyfus, cofondateur de la start-up Jungle. Après dix ans passés dans la finance, le quadra se reconvertit dans la culture hors-sol, avec les meilleures intentions du monde. «On ne vient pas remplacer ou pervertir l’agriculture, affirme-t-il. Mais on estime qu’il y a des problèmes de rendement, d’approvisionnement en eau, notamment à cause du réchauffement climatique. D’autre part, nous entendons répondre à la demande des consommateurs qui veulent plus de produits sains et locaux. Nous n’avons pas le label bio, qui exclut les cultures hors-sol, mais notre cahier des charges est encore plus contraignant: on utilise très peu d’eau, zéro pesticide et grâce à une production locale, nous ne sommes pas dépendants des transports. De plus, nos rendements sont supérieurs à ceux des cultures de plein champ. Pour produire 1kilo de laitue par jour, 9 mètres carrés sont nécessaires, contre 90 au sein d’une exploitation agricole. Pour toutes ces raisons, Jungle est une solution complémentaire à l’agriculture traditionnelle. »

12 KAIZEN - N° 66
Enque^te

MOINS CHIMIQUES, PLUS LOCALES, PLUS ÉCONOMES

Théorisée en 1999 par le microbiologiste Dickson Despommier 1 , professeur en santé environnementale et microbiologie à l’université Columbia, à New York, la première ferme verticale voit le jour en 2012 à Singapour. Depuis, cent vingt ont poussé sur l’île. Au fil des années, d’autres ont émergé un peu partout sur la planète, à Las Vegas (Nevada), Incheon (Corée), Abou Dabi, Dubaï (Émirats arabes unis), Nashville (Tennessee), au Japon, à Taïwan, à Dongtan (Chine)… et en France.

Ces fermes high-tech entendent répondre à un défi: nourrir 9,5milliards d’individus en 2050, dont 80 % vivront en ville. Et elles ont de solides arguments pour séduire start-up et investisseurs: elles seraient moins chimiques, plus locales et plus économes.

Situées en ville ou à proximité, les fermes verticales favorisent en effet les circuits courts et ont ainsi peu d’impact en termes d’émissions de CO2 liées aux transports. Les plantes ne sont en contact ni avec la terre ni avec l’air extérieur, sources d’éventuels pathogènes, et n’ont donc pas besoin d’apports de pesticides, insecticides, herbicides et autres fongicides. Autre argument en faveur de ces fermes : elles sont préservées des aléas climatiques, telles les sécheresses et inondations, qui font désormais la une de l’actualité. Pour Véronique Marchesseau, agricultrice et secrétaire générale de la Confédération paysanne, «l’argument qui consiste à dire que les fermes verticales ne sont pas tributaires des aléas climatiques permet surtout de ne pas repenser nos façons de vivre pour limiter le dérèglement climatique. Chercher des solutions de court terme, c’est éviter de prendre le problème à la racine. Or, on a des comportements très impactants pour la biodiversité et le climat. Mais comme on ne veut pas les changer, on choisit la voie technologique, sans reconsidérer nos modes de vie qui sont prédateurs de la vie. L’humain s’est tellement éloigné du milieu naturel qu’il n’a plus que des solutions hors-sol. La priorité est-elle de poursuivre la fuite en avant technologique ou de revenir à un peu plus de sobriété et d’égalité sociale ?»

N° 66 - KAIZEN 13
«Nous n’avons pas le label bio, qui exclut les cultures hors-sol, mais notre cahier des charges est encore plus contraignant. »

DOSSIER

HANDICAP VERS UNE SOCIÉTÉ PLUS INCLUSIVE

© Chloé Liron

Une société validiste est une société qui n’est pas construite pour l’ensemble de la population, mais pour les personnes valides uniquement. Une société dans laquelle la norme « valide » prévaut. Ceux et celles qui en sortent, comme les personnes handicapées, n’ont pas les mêmes chances que les autres. Pourtant, on pourrait imaginer une société qui applaudirait la variété. Où une vie ne serait pas censée valoir plus ou moins qu’une autre. Où l’autonomie et l’accès à la nature seraient garantis à toutes et tous. Où la vulnérabilité et la fragilité ne seraient pas des torts, mais des réalités nous amenant à être plus inventifs et à tisser plus de liens. De fait, quand personnes handicapées et valides ébauchent ensemble cette société-là, la créativité, les nouvelles idées et les solutions ingénieuses qui jaillissent sont plus que réjouissantes.

L’association Handi Cap Évasion réunit grâce aux joëlettes personnes handicapées et valides lors de randonnées en pleine nature et en montagne. Ici, dans le Vercors en juillet 2022.

POUR ALLER PLUS LOIN • laurentballesta.com • @luc.jacquet • Wildlife Photographer of the year 2022: les plus belles photos de nature, collectif, Biotope, 2022

La méduse casque (Periphylla periphylla) est une méduse luminescente rouge retrouvée dans les grands fonds marins. C’est la seule espèce du genre Periphylla. Ses conditions de vie sont uniques: on la trouve dans les parties les plus profondes de l’océan, car elle est photophobe, mais aussi dans les eaux peu profondes sous la banquise, aussi bien en Arctique qu’en Antarctique où il fait sombre et froid.

Cette série réalisée en Antarctique, dans les profondeurs sombres sous la banquise, présente des espèces rarement ou jamais photographiées, ainsi que des paysages sous-marins originaux. L’expédition a été imaginée par le cinéaste Luc Jacquet, réalisateur de La Marche de l’empereur, qui a proposé que Laurent Ballesta et son équipe l’accompagnent. Photographe et biologiste sous-marin, Laurent Ballesta a mené plusieurs expéditions majeures, toutes impliquant mystères scientifiques et défis de plongée, et toutes aboutissant à des images inédites. Il a remporté de multiples prix dans le cadre du concours Wildlife Photographer of the year, dont le Grand Prix en 2021 et le prix Portfolio en 2022, pour cette série. Son expédition a nécessité deux ans de préparation, une équipe de plongeurs experts et un kit spécialement conçu. Ses trente-deux plongées dans des eaux jusqu’à -1,7 degré comprenaient notamment la plongée la plus profonde et la plus longue jamais réalisée en Antarctique.

SOUS LES GLACES DE L’ANTARCTIQUE

ET SI ON LE FAISAIT

ensemble ?

46 KAIZEN - N° 6 6

Le carnaval sauvage du Quartier libre des Lentillères défile dans les rues de Dijon le 26mai 2022.

À DIJON, DOUZE ANNÉES D’OCCUPATION MARAÎCHÈRE

Tout est parti d’un coup de fourche en 2010. Dans le sud-est de la capitale bourguignonne, des opposant·es à un projet immobilier porté par la municipalité défrichent et cultivent les terres visées par la bétonisation. Douze ans plus tard, cette occupation maraîchère s’étale sur 8 hectares. Elle foisonne d’initiatives solidaires, écologiques et culturelles et forme la dynamique d’un village autogéré. Bienvenue au Quartier libre des Lentillères.

Un chantier collectif pour se remettre en mouvement après l’hiver. Les tuiles passent de main en main pour construire la future cantine à prix libre. Une scène se monte pour accueillir les prochains concerts. Débroussailler les ronces, trier les matériaux de récup, fabriquer des rangements à vélos: c’est à ce labeur collectif qu’Estrade, Camille et Rudolphe1 sont affairé·es. Camille habite à proximité et vient à l’occasion: «par exemple, pour retrouver mon collectif de boulange qui voudrait alimenter en pain le Quartier libre». Estrade réside aux Lentillères depuis quelques mois. « Pouvoir agir sur le réel», c’est ce qui le motive à se mobiliser. Rudolphe, quant à lui, y a fait son nid depuis plusieurs années déjà.

EFFERVESCENCE AUTOGÉRÉE

Malgré le bras de fer avec la municipalité, les friches occupées par le Quartier libre des Lentillères sont bien devenues une succession de jardins, d’habitations légères et de cabanes à outils. Désormais, une centaine

de personnes prennent part à la vie du lieu: des voisin·es, des nomades, des curieux·ses, des résident·es. Ces dernier·ères sont réparti·es en différents collectifs affinitaires. Ils logent dans des caravanes, mobile-homes, roulottes, yourtes, cabanes en terre crue, nichés le long des chemins. Des personnes de toutes générations et de différents pays prennent part à la vie du Quartier libre et défendent ainsi la zone. Les raisons qui mènent aux Lentillères sont multiples: l’envie de jardiner, de trouver un refuge après une galère, d’échanger sur des enjeux politiques. Le socle commun? Se réapproprier des façons de vivre en sortant d’une organisation administrée par de lointains décisionnaires. Prendre part à cette effervescence autogérée et plurielle, c’est ce qui a motivé Camille à venir aux Lentillères. Elle découvre le lieu en 2012, alors qu’elle est étudiante à Dijon, et s’y engage progressivement: «Je trouvais ça incroyable, cette ambiance de village, alors qu’on est collés au centreville. Je suis revenue pour un concert de reprises de chansons d’Anne Sylvestre, du théâtre de marionnettes, la Fête d’automne.» Aujourd’hui, au fil des

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«Je trouvais ça incroyable, cette ambiance de village, alors qu’on est collés au centre-ville.»

aller sur le cheval, puis s’allonger sur son dos, pour bien sentir sa respiration, son rythme…», invite-t-elle d’une voix douce. On synchronise alors notre respiration avec celle de Dorine, lente et profonde. Qu’il est doux d’être bercée par ses vagues chaudes, puissantes et réconfortantes! Le cheval reste immobile, attentif. Emmeline nous invite ensuite à nous retourner pour nous allonger cette fois de l’autre côté, et déposer notre visage sur la croupe généreuse de la jument. Les yeux fermés, nous plongeons à l’écoute de notre hôtesse si maternante. Transportés par ce lien presque utérin, le corps et l’esprit se laissent ici aller en toute confiance, en toute abondance. « Certains enfants se mettent spontanément en position fœtale sur le cheval. C’est ça, le portage, prendre soin de son enfant…», témoigne la monitrice avant de préciser : « Je ne dresse pas les chevaux à rester immobiles, ils le font naturellement. Même les plus speeds. En fonction de ce qu’on leur demande, ils vont se mettre aussi dans leur bulle, comme nous. Parfois, on peut même passer des heures à se faire masser dessus et ils ne bougent pas. C’est magique, extraordinaire !»

LIEN SPONTANÉ

Des rencontres tout en douceur et en partage qui sont aussi au cœur de l’activité de l’association Les Ânes des Hauts du Perche, fondée par Catherine Godard, encouragée à l’époque par sa petite-fille, Louane, 6 ans. La dynamique sexagénaire propose balades, ateliers et médiation animale, pour tout public. Léon, Pistache, Chocolat, Bacchus, Pikachu, Vendredi et les autres nous attendent dans le «pré de rencontre». Catherine nous invite alors à nous mettre aux quatre coins de l’espace. « Ce moment est très important, car dans ce pré, les ânes savent qu’ils vont rentrer en contact avec les êtres humains. Certains ânes vont se diriger vers une personne. On les laisse choisir et c’est là que les affinités se créent», explique-t-elle.

Les sorties en attelage (une à douze personnes) sont compatibles avec les balades à cheval des cavaliers, en forêt ou en campagne.

N° 66 - KAIZEN 53
«En balade, le cheval percheron a le pied sûr, c’est vraiment la force tranquille. Ici, on prend le temps.»

CIDRE DU PERCHE

Unique en France, le cidre du Perche a obtenu son AOC puis AOP [appellation d’origine contrôlée/protégée] en 2020 puis 2022. Depuis plus de vingt ans, la ferme biologique Le Verger de la Reinette s’engage sur le territoire pour sauvegarder des vergers et sensibiliser les citoyens. L’association La Reinette verte propose notamment le pressage convivial à la ferme des pommes de jardin, entre amis ou en famille. • cidreduperche.fr • vergerdelareinette.fr • reinetteverte.fr

Objectif

Après quelques minutes d’observation réciproque, Chocolat s’approche et tend sa tête vers moi, je la caresse. Pistache nous rejoint. Affinité avec les deux femelles du groupe! «L’âne est très doux. Il est souvent très en demande de câlins, d’affection et veut se rapprocher de l’humain», confie la passionnée. Une fois le lien spontané créé, direction le rond de longe pour une séance de soin avec notre amie Pistache. Après avoir délicatement installé le licol autour de son cou, on s’initie au pansage avec différentes brosses, adaptées à chaque partie du corps. Un moment de douce attention. «Le pansage prolonge le lien et permet de vérifier qu’il n’y a pas de blessure», explique Catherine avant de nous montrer le curage du pied de l’âne.

EFFACER LES DIFFÉRENCES

situation de handicap moteur ou intellectuel, et faire un mélange de tout le monde.» Un rêve déjà initié après une journée portes ouvertes mixant tous les publics qu’elle accueille habituellement, puisque sa devise est «un loisir pour tous, un mieux vivre ensemble». Sa dernière réussite ? Grâce à des dons et un financement participatif, l’achat d’une escargoline (charrette adaptée aux personnes à mobilité réduite) parce qu’elle « souhaite que les personnes en fauteuil puissent vivre les mêmes choses que les autres». De la douceur à la solidarité, de l’animal à l’humain… Que de belles initiatives qui donnent envie de poursuivre les rencontres percheronnes! Au Manoir du Bois Joly, ancienne ferme qui abritait des chevaux percherons, Julien Bélivier accueille quant à lui les amoureux des balades en mobilités douces dans ses charmantes roulottes aménagées, prolongeant ainsi notre voyage au pays des équidés…

POUR ALLER PLUS LOIN

Entreprise familiale à Mission

« Cultiver curiosité et créativité pour toujours défendre une consommation biologique porteuse d’engagements humanistes et écologiques, source d’épanouissement.»

Soucieuse du bien-être animal, elle aime aussi faire écouter aux enfants «le cœur de l’âne, avec un stéthoscope, et les boyaux, à l’oreille. J’essaie de leur faire prendre conscience du corps de l’animal en leur demandant: “D’après vous, l’âne, c’est quoi?” C’est un être dont on prend soin. Je compare l’âne à l’être humain pour parler du respect, car si l’humain doit se respecter, il doit aussi respecter l’âne. » Son rêve? «Créer une journée pour effacer les différences: accueillir des personnes d’Ehpad, des jeunes, des enfants, des personnes en

Mobilités douces

Le Parc naturel régional du Perche propose de multiples itinéraires en mobilités douces, dont le tour des collines du Perche: à pied, à cheval, avec des ânes ou à vélo.

• parc-naturel-perche.fr

• rando-perche.fr

• tous-acheval.fr

• lesanesdeshautsduperche.com

Gîte d’étape avec roulottes : manoir-bois-joly.fr Atelier Pure Laine : atelierpurelaine.com

54 KAIZEN - N° 66 © Catherine Godard
n
«Dans ce pré, les ânes savent qu’ils vont rentrer en contact avec les êtres humains. On les laisse choisir et c’est là que les affinités se créent.»
Sociables, demandeurs en câlins, les ânes font le bonheur des petits et des grands.
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UNE PINCÉE DE SEL DANS VOS COSMÉTIQUES

Pilier des soins thalasso, incontournable base des «sels de bain », le sel a également des vertus beauté et bien-être méconnues. C’est pourtant un ingrédient peu cher et d’emploi facile, dont il serait dommage de ne pas profiter.

Il était une fois…

Ancêtre du sérum physiologique, l’eau salée enrichie de divers ingrédients naturels (miel, vinaigre, farine) fut utilisée dès l’Antiquité pour nettoyer la peau et calmer les irritations et inflammations. Le sel marin fut, lui, employé pour ses vertus cicatrisantes, pour soigner les plaies, blessures, brûlures, maux de bouche. Mais il fut aussi, très tôt, un complément incontournable des bains. C’est en effet dans les thermes grecs et romains que l’on trouve les origines de la thalassothérapie.

Le sel sous la loupe

Un sel, au sens large, est un composé chimique neutre formé par la combinaison d’un anion chargé négativement (chlorure, bromure, carbonate, bicarbonate, nitrate, etc.) et d’un cation chargé positivement (ion sodium, calcium, magnésium, potassium, etc.). Le sel, au sens restreint, est formé majoritairement de chlorure de sodium (NaCl), mais contient aussi du magnésium, du calcium, du potassium et des oligo-éléments. En raison de ses propriétés osmotiques, le sel confère à l’eau du bain des propriétés drainantes. Il favorise la sudation et aide à lutter contre la cellulite. Antiseptique léger, il contribue aussi à équilibrer pH de la peau et du cuir chevelu (d’où son usage contre les pellicules). Le sel fin est un agent exfoliant doux. En gommage du visage, il élimine les cellules mortes. Il a aussi des propriétés assainissantes, blanchissantes de l’émail et délicatement abrasives, qui le rendent utile dans les soins dentaires (bain de bouche, poudre dentifrice).

Les sels utiles en cosmétique

Gros sel : le gros sel marin est idéal pour préparer des sels de bain relaxants ou drainants. Parmi les origines réputées, citons Guérande, l’île de Ré, la Camargue, où l’on peut se fournir chez les artisans sauniers. Le sel blanc industriel convient également, mais n’a pas la richesse du sel de mer naturel.

Sel fin: on l’emploie pour tous les soins délicats (visage, cuir chevelu, dents). Là encore, au sel industriel, mieux vaut préférer les versions à base de sel de mer naturel finement mixé.

Sel rose de l’Himalaya: riche en oligoéléments, il s’emploie notamment en bain de bouche pour renforcer et assainir les gencives. Sel de la mer Morte: on le conseille surtout en bain pour soulager les peaux fragiles, réactives, malades (eczéma, psoriasis, acné). Chlorure de magnésium, nigari, sel d’Epsom : ces sels de magnésium s’emploient pour les bains corporels ou de pieds, défatigants, relaxants, mais aussi pour apaiser les peaux irritées.

Bicarbonate de soude: antiseptique, dégraissant, déodorant, exfoliant doux, il s’emploie sous forme de shampooing sec, dentifrice, déodorant. En cosmétique, utilisez la qualité pharmaceutique ou alimentaire. n

Mise en garde

N’abusez pas des bains à base de sels de sodium si vous êtes hypertendu. À l’inverse, n’abusez pas des bains à base de sels de magnésium si vous êtes hypotendu.

60 KAIZEN - N° 66

Sel rose de l’Himalaya

Gros sel Sel fin Nigari

Gros sel & fleurs séchées

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