Kiblind 79

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KIBLIND Magazine Numéro Poils


ILLUSTRATION DE SIMON BAILLY EN COLLABORATION AVEC KIBLIND


DU GRAND CINÉMA EN STREAMING PROFITEZ DE 30 JOURS GRATUITS SUR MUBI.COM/KIBLIND


La Gaîté Lyrique Musiques & futurs alternatifs

Établissement culturel de la Ville de Paris

3 bis rue Papin, 75003 Paris gaite-lyrique.net @gaitelyrique




KIBLIND Store Illustrations à emporter

CENTQUATRE PARIS Pour un printemps illustré, retrouvez la sélection de livres et posters de nos artistes préférés sur kiblind-store.com Vous pouvez aussi nous croiser dans notre nouvelle boutique parisienne au Centquatre 5 rue Curial - Paris 19e Horaires : Du mardi au vendredi : 12h > 19h Les week-ends : 11h > 19h


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1 Fermez cette page et ­ tenez-vous face à 30s la couverture du magazine Poils 2 Pratiquez 30 secondes de gymnastique des doigts 3 Choisissez votre doigt préféré 4 Collez-le sur la couverture illustrée par Michael DeForge 5 Frottez les poils du personnage jusqu’à ce que crampe s’ensuive 30s 6 Admirez. Vous venez de raser cette créature grâce à la magie de l’encre thermosensible KIBLIND

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Directeur de la publication : Jérémie Martinez / Direction Kiblind : Jérémie Martinez - Jean Tourette - Gabriel Viry Comité de rédaction : Maxime Gueugneau - Elora Quittet - Jérémie Martinez Team Kiblind : Alizée Avice - Guillaume Bonneau - Agathe Bruguière - Sarah Grafa - Alix Hassler - Guillaume Huby Romane Lechleiter - Mathilde Neto - Alanis Olivier - Solène Pauly - Guillaume Petit - Justine Ravinet - Charlotte Roux Déborah Schmitt - Eva Spalinger - Sara Thion - Jean Tourette - Olivier Trias - Gabriel Viry Réviseur : Raphaël Lagier Direction artistique : Kiblind Agence Imprimeur : Musumeci S.p.A. / www.musumecispa.it Papier : Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fedrigoni / Couverture : Symbol Freelife E/E49 Country 250g Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g, Arena natural Bulk 90g et Symbol Freelife Gloss 200g Typographies : Kiblind Magazine (Benoît Bodhuin) et Lector (Gert Wunderlich) KIBLIND

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TUTO COUVERTURE MAGIQUE

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Et on s’est pas mal amusés nous aussi.

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C’est que le poil possède une puissance d’évocation remarquable. Petite chose extrêmement commune dans le monde animalier, il embarque pourtant avec lui un monde de significations et les imaginaires les plus vastes. Autour de lui, les sens tourbillonnent et le moindre effleurement provoque le cataclysme. Symbole de fierté, de saleté, d’oisiveté, d’animalité, de masculinité, de féminité, de maturité, d’originalité, de sensualité, de liberté et de plein d’autres mots en -té, on ne saurait inventer un objet plus propice à la métonymie. De plus, c’est un vrai métamorphe, subtilisant les traits de mille et une choses pour mieux disparaître quand nous cherchons à le définir. Il peut être un cheveu, une barrière, une antenne, des dents et même parfois une corne pourvu que l’on soit un rhinocéros. Insaisissable et en même temps saisi par tous, il est un sujet aussi large que précis, et un bonheur à traiter pour nos amis illustrateurs.

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ÉDITO — 8

👀

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Il gît là, au fond de la baignoire. Frêle lame noire perdue au milieu de cet océan d’émail si grand, si blanc. On aurait presque de la peine pour ce petit d’homme, résidu mal-aimé de la traditionnelle douche matinale. Et pourtant, on ne pense qu’à une chose : le noyer sous des litres d’eau, qu’il s’enfonce loin dans les entrailles de la terre, qu’il ballotte de longues heures dans les tuyaux rouillés du tout-à-l’égout, et disparaisse, au terme de cette course crade, dans les liquides infâmes de la station d’épuration. Mais pourquoi tant de haine ?

Édité par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon 27 rue Bouteille - 69001 Lyon / 69 rue Armand Carrel - 75019 Paris - 04 78 27 69 82 Le magazine est diffusé en France et en Belgique. www.kiblind.com / www.kiblind-store.com ISSN : 1628-4146 Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. Merci à Matthieu Sandjivy. THX CBS. Contact : magazine@kiblind.com


GRAND LYON LA MÉTROPOLE SAINT-ÉTIENNE MÉTROPOLE CAPI PORTE DE L’ISÈRE VIENNAGGLO CA VILLEFRANCHE BEAUJOLAIS SAÔNE CC EST LYONNAIS

Pôlemétropolitain

Une expérience ] Saint-Étienne Hors Cadre [


👀 SOMMAIRE — 10 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

8

Édito / Ours

10

Sommaire

12

In the mood

21

Intro Poils

28

Invitation Raphaël Clairefond Singe de rêve

32

En couverture : Michael DeForge

38

Créations originales - Poils

47

Citations

48

Dossier - À contre-poil

54

Invitation Cécile Giraud Le poil qui pique

58

Invitation La bibliothèque (à poil) idéale : Les Requins Marteaux

60

Citations

61

Playlist Poils : Charlie Le Mindu

62

Imagier - Cheveux

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Sélection Kiblind

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Square2



👀 IN THE MOOD — 12 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

IN THE M👀D Vous croiserez dans cette entrée quelques objets illustrés rencontrés par bonheur ces derniers mois lors de nos pérégrinations visuelles. Pour ce numéro touffu, vous suivrez aussi la tragique destinée d'une boule de poils battante imaginée par le fantastique Guillaume Bonneau.


👀 13 — IN THE MOOD

PE TIT BAIN E T VAAGUES D E CHALEUR ~~ PRES CRIVENT : MUSIQUES CHAUDES ET FOLK GIVRÉE

AU FOND DE L'HIVER

Graphisme : Atelier AAAAA Illustration : Satananas

22 & 23 JANVIER 2022 PETIT BAIN

MOHAMED LAMOURI & CHARLIE O. RAOUL VIGNAL • REYMOUR FRANCIS LUNG • DERINËGOLEM GRAND VEYMONT • LOUIS JUCKER CHRISTINE ZAYED • BRAVO TOUNKY JONI ÎLE • WITAN FOLS DJS RACLETTE, VIN CHAUD, STANDS

AFFICHE ■ Festival Au fond de l’hiver → Artwork par Atelier AAAAA & ­Satananas aaaaa-atelier.org

ALBUM DIGITAL ■

SKATE ■ → Eve Gomy @eve.gomy

Murals de Off & Out → Artwork par Mihailo Kalabic @mkalabic @_offandout

TYPEONE Magazine Numéro 3 → Couverture par Appear Offline @appear___offline

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MAGAZINE ■


👀 IN THE MOOD — 14

VÊTEMENTS ■ → LAU CLOTHING lauclothing.com

En faisant leur gymnastique quotidienne sur Instagram, nos yeux ont eu la joie d’atterrir sur une sublime chemise illustrée par Yeye Weller. Chance incroyable, celle-ci était en fait entourée de dizaines d’autres vêtements illustrés sur le site de Lau Clothing. Il fallait bien qu’on se fende de quelques questions à sa fondatrice, Lisa Anderlini, suite à cette découverte majeure.

Amber Vittoria

Ciao Lisa. Lau Clothing semble avoir beaucoup évolué depuis ses débuts notamment en termes de collaborations artistiques, peux-tu nous parler de cette évolution ? J’ai commencé ce projet avec le besoin de tout remettre à zéro : coupes, couleurs, image. Pour cette raison, au début de mon histoire, vous trouverez des couleurs en noir et blanc, des lignes géométriques droites et une image très claire. Puis la couleur a pris le dessus, et elle a été développée, collection par collection, à travers des lignes plus douces et des détails en trompe-l’œil. Mais en gardant toujours le noyau d’un produit minimal et très propre. Puis vient évidemment le design des motifs car, en tant qu’architecte, je crois fermement au jeu du contraire : un imprimé coloré, audacieux et parfois « baroque » se serait bien sûr vite marié avec la forme minimale et droite de mon style. Le choix de faire des vêtements illustrés résulte-t-il d’un constat particulier ? Je travaille principalement avec des couleurs unies parce que je les aime, mais j’aimais l’idée d’introduire dans mes collections des motifs textiles. De plus, mes vêtements sont principalement portés par des personnes créatives, donc j’ai aimé l’idée de mettre de l’art sur de l’art.

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Mireia Ruiz

Comment tu choisis les artistes avec lesquels tu ­collabores ? Je fais beaucoup de recherches et quand je sens que quelque chose attire mon attention, je vais plus loin, en essayant d’utiliser aussi mon sixième sens commercial pour comprendre si cela pourrait fonctionner. Tu fais principalement des chemises, des robes et quelques pantalons, as-tu l’intention de créer des accessoires ou d’autres types de vêtements à l’avenir ? Non, je crois fermement au pouvoir des mono-produits. Je crée principalement des hauts, donc tout ce qui part de la taille, y compris les robes, parfois quelques vestes et un pantalon à chaque collection pour que la tenue soit complète. Cette idée est née lors d’un voyage à New York il y a 10 ans et elle est toujours présente dans mon esprit. J’aime le haut parce que c’est un vêtement qui peut définir ­complètement votre tenue.

Quelle est ton expérience en matière d’illustration ? Je dessinais des bandes dessinées avant de me lancer dans les vêtements. À cette époque, je cherchais un moyen de lier mes dessins aux vêtements, qui étaient mon autre grande passion. J’ai commencé avec un studio de sérigraphie et je l’ai dirigé pendant sept ans, en expérimentant beaucoup avec le textile ; nous avons également produit une petite collection de vêtements faits main sérigraphiés avec mes propres motifs ou graphiques textiles. Ensuite, je me suis concentrée sur les vêtements parce que je commençais vraiment à aimer ça et me voilà 10 ans plus tard. Ta dernière collaboration en date est celle avec l’artiste Yeye Weller, comment est-elle née ? J’ai découvert Yeye Weller évidemment sur Instagram et je suis immédiatement tombée amoureuse de tout son travail et en particulier d’une de ses illustrations. Je pense que Yeye a un don très spécial pour penser ses œuvres en termes de « ­répétition »… Ce que je veux dire, c’est que beaucoup de ses œuvres sont presque prêtes à être imprimées sur un textile comme un motif répété. J’adore tout.

Egle Zvirblyte Yeye Weller


👀 15 — IN THE MOOD

AFFICHE ■

Les 8 ans du Pop Up du Label → Artwork par Rister @rister___ popup.paris VINYLE ■ Spells and Daubs de Kreidler → Artwork par Heinz Emigholz kreidler-official.bandcamp.com

VINYLE ■ None of This Matters Now de Papooz → Artwork par Victoria Lafaurie @vicochipster @papoozband

TRANSAT ■

→ Inès Gradot pour DIY Art Shop @inesgradot diyartshop.com

MAGAZINE ■

Korean Literature Now → Couverture par Soyeon Leebin @leebinsoyeon kln.or.kr

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AFFICHE ■ Bain Public Saint-Nazaire → Artwork par Antonin Faurel antoninfaurel.com bainpublic.eu


👀 IN THE MOOD — 16

MAGAZINE ■

L’Hémicycle ­(Automne 2021) → Couverture par Philip Lindeman @philip_lindeman

PATCHWORK ■ → Faustine Tarmasz @tarmasz

VINYLE ■

Les Myosotis de Bigger → Artwork par Rouge Poisson rougepoisson.fr @bigger_music

AFFICHE ■

Exposition collective Divina Ciencia → Artwork par Ana Galvan anagalvan.com bibliotecaregional.carm.es

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AFFICHE ■ Festival Art Rock → Artwork par Kevin Lucbert @kevinlucbert artrock.org

AFFICHE ■

Programme mensuel de L’Écurie Genève → Artwork par Laura Stepanova @steppph_nova lecurie.ch

VINYLE ■ Compilation Sky Dust Drifter de Forager Records → Artwork par Arina Kokoreva @mynah.fm @foragerrecords


👀 lucaschenardi.ch @patienceimpatience

L’illustrateur suisse Luca Schenardi nous happe un peu plus dans son univers onirique et joliment sombre à chaque dessin. Parmi ses péchés mignons, la réalisation de pochettes de disques ­illustrés en est un bien juteux. On a voulu en savoir davantage sur ce mystérieux Helvète.

ESTER POLY – Wet

LUZIUS SCHULER – Balcony Planet

Salut Luca, tes illustrations ont toujours une touche de ­psychédélisme. Qu’est-ce qui t’inspire en général quand tu dessines ? Ça peut être la musique, les rêves, les scènes bizarres dans la rue, la beauté de la nature, les chants des oiseaux, la politique... tout ! Il y a un grand travail sur les textures dans tes illustrations. Comment définirais-tu ton style et tes techniques de dessin ? Je ne fais que des dessins numériques qui sont créés exclusivement sur Photoshop. Cependant, je les retravaille tous, avec des trames analogiques provenant de diverses imprimantes laser. Je possède actuellement quatre imprimantes. La plus ancienne a 20 ans. J’expérimente avec les impressions, en jouant avec les tailles des scans, les superpositions et les effets de moiré qui en découlent. Pour certaines œuvres pourtant, il m’arrive de dessiner aussi en analogique au feutre.

Il semble que tu aies réalisé de nombreuses œuvres musicales. Quels sont tes liens avec la scène et l’industrie musicales ? La musique a toujours représenté la moitié de ma vie. Il y a des années, je jouais de la batterie dans deux groupes (hip hop et rock psychédélique). Mais entre-temps, la conception de pochettes de disques, de CD et de singles d’autres musiciens a remplacé ma propre création musicale. J’ai eu la chance de MELODYMUSIC – Dreams are faire la connaissance du label made of polaroid! PatienceImpatience basé à New York, lors d’un séjour de plusieurs mois dans cette ville en 2017. Je reçois très souvent des travaux de leur part et j’ai pu également concevoir leur logo. Le label travaille avec des musiciens dans les genres électro, kraut, expérimental et jazz du monde entier – cela épaissit bien sûr aussi mon réseau de contacts et crée de nouvelles collaborations.

17 — IN THE MOOD

DISQUE ■ → LUCA SCHENARDI

Pour toi, quelle est la meilleure pochette de disque de tous les temps ? Si je dois en choisir une parmi des centaines, alors c’est le premier album de Black Sabbath intitulé Black Sabbath sans hésitation. J’ai la chair de poule quand je pense à cet album. L’image de la femme mystique dans ce parc sauvage et solitaire a été un coup de foudre et a fortement influencé mon travail depuis le début. Tu as également réalisé des livres, peux-tu nous en parler ? Le premier gros projet de livre (285 pages) s’appelle There is no lack of birdhouses. Il a été publié par les éditions Patrick Frey. Le livre traite de la relation entre les gens et la nature. L’accent est mis sur les oiseaux. En plus d’au moins 100 photos, j’ai écrit des textes et invité des auteurs. Une grande partie du livre est sombre, mais il est aussi drôle. Il comprend beaucoup de croquis, de collages et de dessins numériques. Le deuxième livre a été publié par le même éditeur et s’appelle Meyer spricht von Gratiskaffee (environ 180 pages). Dans ce projet, j’ai volontairement falsifié les informations du télétexte et j’ai dessiné une réalité absurde nouvellement construite. Ce livre ne contient que des dessins originaux. Tous en noir et blanc. Quels sont tes projets futurs ? Je veux faire autant de couvertures de disques et d’illustrations que possible. J’adore répondre à des commandes et ça me rend très heureux. Mais là tout de suite, j’aimerais bien réaliser un autre projet de livre.

A.R Wilson – Old Gold

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CV VISION – Elemente


👀 IN THE MOOD — 18

MAGAZINE ■

Bloomberg Businessweek → Couverture par Jinhwa Jang jinhwajangart.com @businessweek

EP DIGITAL ■

Shaygesi Ha de El Maout → Artwork par Baptiste Alchourroun @b.alchourroun elmaout1.bandcamp.com

AFFICHE ■ Festival Levitation France → Artwork par Johan Borg @theartofjohanborg

TAPISSERIE MURALE ■ → Timo Kuilder via Byborre timokuilder.com byborre.com

45 TOURS ■

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BD ■ L’Examen → Razmoh @razmohhh

Sabha allah / ayamna ayamna de Boussouar El Maghnaoui → Artwork par Hector de la Vallée @hector_de_la_vallee @toukadime soundcloud.com/toukadime

SAC CUSTOMISÉ ■

→ All Drawn alldrawn.myshopify.com

AFFICHE ■

Festival Les Embellies → Artwork par Yoann Buffeteau festival-lesembellies.com


👀 instagram.com/antoinemeijer nextrevel.bigcartel.com

Découvrir le carnet d’un artiste, c’est plonger dans son intimité. C’est dans ses pages que tout commence : les idées, schémas et esquisses de dessins y sont griffonnés à longueur de journée et serviront de base aux belles productions qui suivront. L’illustrateur Antoine Meijer a eu la somptueuse idée de nous ouvrir les portes de son cerveau en publiant ses dessins secrets via le ­collectif Next Revel.

19 — IN THE MOOD

LIVRE ■ → ANTOINE MEIJER – Selected carnet works vol. 1

Salut Antoine. Il y a quelque temps, tu as décidé de rassembler tous les dessins de tes carnets dans un livre et de les publier. D’où t’est venue cette idée ? Salut Kiblind ! J’ai eu l’idée de publier un recueil de mes dessins de ­carnets car l’illustrateur-artiste Paul Descamps m’avait envoyé un recueil de ses propres dessins de carnets à ma seule demande, sans exiger quoi que ce soit en retour, c’est fou, non ? Alors j’ai décidé de lui en confectionner un que je lui enverrais en retour. Au final, tout ça m’a permis de contourner la pudeur qu’on peut avoir face à l’envie de publier ce genre d’ouvrage rempli de dessins qu’on ne trouve pas forcément intéressants, je me suis lancé sur la maquette et j’ai bien aimé le résultat, alors on a décidé de le publier avec Next Revel. Bien entendu, Paul aura le droit à son exemplaire en cadeau quand même. Quels types de dessins trouve-t-on dans ce livre ? On trouve des dessins de carnets de types psy/feu. Je rigole ! En vrai, ce sont des dessins de tous les jours, pas hyper aboutis pour la plupart (je suis objectivement un très mauvais dessinateur) mais qui découlent parfois d’idées que je trouve super drôles. C’est une sorte de recueils d’idées et de dessins un peu automatiques que je fais pour ne pas culpabiliser de ne pas avoir dessiné dans la journée. Il y a des petites notes à côté des dessins, peux-tu nous en ­citer une ? Il y a écrit par exemple sur une page : « 1789 – Christophe Colomb découvre l’Amérique ». Sinon, c’est souvent des tests de textes pour mes dialogues de BD ou alors des conseils que je m’auto-donne. Comment t’es-tu formé à l’illustration ? J’ai fait une année de prépa à Prép’art Toulouse puis j’ai fait 5 ans à ­l’EESI d’Angoulême. Tu fais partie du collectif de micro-édition Next Revel. Peux-tu nous présenter votre noble cause ? On est un collectif d’auteur·rices, illustrateur·rices, plasticien·nes, ami·es, et une association. On travaille pour que les personnes qui composent le collectif puissent reproduire leurs travaux sur papier et que les curieux·ses puissent les avoir chez elles et chez eux grâce à notre toute fraîche boutique en ligne et nos postier·es de talent. On est une très belle troupe, je vous conseille de regarder ­attentivement le travail de nos auteur·rices et nos publications, comme ça vous pourrez dire « je connaissais il y a quatre ans »… KIBLIND Magazine → 79 → Poils


31 MAI > 3 JUIN 2022

Hora

La Batsheva célèbre la libertéo des corps dans le tourbillon de la danse Gagao du grand chorégraphe Ohad Naharin.o

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👀

DÉFIN

21 — INTRODUCTION

ITION

nom masculin dérivé du mot latin pilus 1 Partie velue de quelque chose 2 Chacune des productions filiformes qui se forment sur la peau des humains et de certains animaux

WHAT'S MY NAME ?

MAIS À QUOI TU SERS, TOI ?

CHEZ L’ANIMAL on peut appeler le poil de différentes manières

CRINIÈRE

FOURRURE

PELAGE

TOISON

Oust les rasoirs et autres objets de torture pour ce malheureux poil dressé. Avant de retirer la vie à ce compagnon de route qui vous apprécie tellement qu’il revient toujours plus en force après chaque rasage, demandez-vous :

CRIN ROBE

Mais qu'est-ce qu'il fout là celui-là ?

CHEZ L’HOMME on le désigne selon son placement sur le corps

Vos amis les poils ont l’ultime but de vous protéger, ces cavaliers de l’ombre luttent tous les jours contre les irritations, la chaleur, le froid et les ultraviolets.

POILS …DE JAMBE

…DE BARBE

…D'OREILLE

b on

, on va pas tous

vous les faire

5

4

POILS DU NEZ

filtrent les poussières, les microbes, les pollens, les petits insectes

protègent les yeux des agressions extérieures comme la pluie, la sueur et les poussières

POILS DES OREILLES

Y SGG

L’I

protègent le cerveau du froid et du chaud en prévenant l’hypothermie et l’insolation + amortissent les coups

retiennent l’écoulement de la sueur + régulation thermique corporelle

ANT MAC LE NST

2

1 Le bulbe pileux est la zone bulbeuse située dans le follicule, où il se produit une multiplication constante du nombre de cellules qui permettent au poil de s’allonger. Il se trouve à 4 mm sous la peau. 2 Le follicule pileux, ou follicule pilo-sébacé, est la cavité dans laquelle le poil prend sa naissance. 3 Le muscle pilo-érecteur est fixé en profondeur sur le follicule pileux

50 cm2

45 → 60

Densité de poils qu'on trouve sur le visage

Nombre de cheveux moyens que nous perdons par jour

0.7 → 2 cm 1 → 6 ans

Les cheveux poussent à la vitesse de 0,7 à 2 cm par mois

Durée de vie moyenne d’un cheveu

Pourquoi les poils se hérissent-ils ? Il arrive que nos poils se retrouvent comme par magie animés par la vie et se redressent d’un coup. Mais au-delà de cet élan de motivation, se cache en réalité une mesure d’autoprotection. Beaucoup rapportent cela à la réminiscence de nos origines préhistoriques. On retrouve ce même effet chez les animaux qui hérissent leurs poils pour paraître plus gros et plus impressionnants face à leurs ennemis.

au niveau du bulbe. Lorsque ce muscle se contracte, le poil se dresse. 4 La glande sébacée est rattachée au follicule pileux par un canal excréteur. Grâce à ce canal, le sébum est sécrété le long de la racine du poil et du cheveu jusqu’à la surface de la peau. 5 Le mélanocyte est un type de cellule qui définit la pigmentation des poils et de la peau. 6 La tige pilaire est la partie émergente du poil, ce petit gars qui vous est bien familier. Il est mine de rien constitué de trois couches : la cuticule, la corticale et la moelle. Le constituant principal de la tige pilaire est la kératine.

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Nombre de poils qu’on trouve en moyenne sur le corps humain. On en compte 1 million sur la tête et 4 millions sur le corps

CHEVEUX

POILS DES AISSELLES

agissent comme filtres auditifs

5 millions

3

1

SANS POILS UN MONDE

CILS ET SOURCILS

6

…D'AISSELLE

POIL POIL

À LE


LE POIL ET SA REPRÉSENTATION CHEZ L'HOMME

👀 INTRODUCTION — 22 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Certains placent le commencement de toutes choses au cœur d’un océan originel, duquel serait sortie la terre ; d’autres estiment que la création dans son ensemble est la volonté d’un dieu ; d’autres encore imaginent plus poétiquement une masse primordiale où tous les éléments étaient déjà là, mais entremêlés, mélangés, désordonnés : un chaos d’où auraient jailli le cosmos, le monde, le temps, la vie. Qui sait ?

Gustave Courbet , lui, a voulu localiser l’origine du monde entre les cuisses d’une femme, à la peau diaphane et à la toison abondamment fournie. Réalisée en 1866, à la demande du diplomate turc Khalil-Bey pour enrichir sa collection de tableaux érotiques, cette petite huile sur toile de 46 × 55 cm est passée entre bien des mains. Cachée derrière un voile vert dans le cabinet de toilette parisien de son propriétaire, transportée à Constantinople, revendue plusieurs fois, dissimulée dans un cadre à double fond à Budapest, verrouillée dans un coffre bancaire hongrois durant la guerre, dérobée par les Russes en 1945, rachetée par un collectionneur de Paris, L’Origine du monde finit sa route chez le psychanalyste Jacques Lacan, où elle séjourna une quarantaine d’années avant de rejoindre les collections du musée d’Orsay, en 1995.

jet d’adoration ou de pouvoir, su jet de séduction belles de ué no urs Qu’ils soient ob ujo cheveux ont to les nde entier. ct, mo pe du res ux de itie ou rst croyants et supe rs sublimes les leu à ec és av s ilis ire bt histo ent su oir, ils sont souv . uv ux po ere de s ng ole da Symb s tracas ros, causant de et légendaires hé res Autres régions, aut symboles : chez les Hindous, de la longue s chevelure dreadlock de Shiva coule le Gange, source de vie comme de mort. Dans la mythologie bouddhiste aussi, Bouddha, parcourant son long C’est le cas dans la chemin vers mythologie nordique l’éveil, se trouvait de Sif, l’épouse du té incessamment ten guerrier Thor, déesse par le démon Mara. de la terre à la re La déesse de la ter beauté saisissante orani Th z Ma ra Ph et aux cheveux d'or. lui vint en aide et, Le malicieux LOKI , en essorant l’eau de lui subtilisant sa és, ses cheveux mouill chevelure tandis ra parvint à noyer Ma qu’elle dormait, et à libérer la voie. causa un incident diplomatique majeur, qui ne fut résolu que par l’intervention d’Odin. Le dieu fautif, repentant, fit tisser pour Sif une nouvelle chevelure cousue de fils d’or.

Les Tartuffe de l’époque, à la critique habile, se trouvèrent suspendus entre deux mondes quand le tableau fut dévoilé : d’un côté, ils durent admettre le talent de peintre réaliste pour lequel Courbet s’était déjà fait une solide réputation depuis Le Désespéré et Un Enterrement à Ornans ; et d’un autre, ils se sentirent obligés d’attaquer le caractère volontairement « nature » de l’œuvre. Tout le génie résidant finalement dans le titre, sans lequel la dimension symbolique de la toile n’aurait pas existé, pas plus que sa réponse à l’une des trois grandes questions philosophiques : D’OÙ ­ VENONSNOUS ?

son rave Sam de sa aussi au b rce divine On pense fo sa it tira pagne m ui q co , ue sa ue bibliq ure. Lorsq r les remettre el ev ch longue net pou lui coupa aibli, fut Dalila les mson, aff Sa , ns ti lis éantir les an ar aux Phi p t ni nnier. Il fi i-même, lu r ri fait priso ou m avant de vé son ou tr re Philistins ns r néanmoi après avoi re-chef. uv céleste co

Pour répond re à cette chev elure divine, le se ns donné au poil pour les fidèles a év olué selon les période s et les religions. On les laisse pousser ch ez les patriarche s orientaux, chez les sikh s, chez les hommes juifs orthodoxes ; on s’en libère chez les Grecs, en Ég ypte antique, ch ez les clercs cath oliques, dans la trad ition hassidique, pour clore un pè lerinage à la Mecqu e ou sur les bords du Gange. Couper ses cheveux devient un e offrande suprême et un acte d’obédienc e pileux.


👀 NICOLAS SARKOZY

HATCHEPSOUT

SAUREZ-VOUS RETROUVEZ QUEL·LE HOMME/FEMME DE POUVOIR SE CACHE DERRIÈRE CES POILS ?

2 Premier souverain imberbe, ses joues glabres personnifient une jeunesse conquérante ! 3 Dans le monde arabomusulman, la moustache est une marque de virilité politique, dénominateur commun de nombreux chefs d’État actuels ou récents, alors qu’en Occident, l’entrée dans la modernité politique a fait tomber les moustaches. Une fracture pileuse entre l’Orient et l’Occident !

ALEXANDRE LE GRAND

23 — INTRODUCTION

1 On trouve ses poils dans la cire qui servit à sceller un jugement ordonnant la restitution à l’abbaye de SaintDenis de terres dont elle avait été spoliée. Le pouvoir du poil dans toute sa splendeur !

Cheveux courts ou longs, joues glabres ou fière moustache sont autant d’attributs annonçant un bon ou un mauvais empereur, roi, moine ou citoyen. L’importance du poil, des cheveux, de la barbe et des moustaches dans notre société… en voilà une question un poil tarabiscotée ! Parce que la pilosité est une affaire de pouvoir, l’histoire s’écrit au fil du rasoir. À chaque époque, le poil est politique et dessine les hiérarchies sociales.

Notre corps est une masse qu’on se trimballe sans avoir le choix chaque jour passé sur Terre. Partant de ce constat, on peut se dire qu’il serait bien ennuyeux de le laisser tel quel et de ne pas se l’approprier. Après tout, le corps nous permet entre autres de donner une signification à notre existence. Ainsi, chaque humain est libre de le transformer ou non pour le rendre en adéquation avec ses désirs et idéaux. Le poil est pour cela un accessoire idéal : il peut s’arracher, se couper, être taillé d’une certaine manière, se colorer.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE

4 Poilu parmi les poilus, il est sans doute le Gaulois à la plus belle moustache.

Selon le philosophe Bernard Andrieu , il existe...

5 Mal rasé, il quitte l’Élysée radieux, avec sa barbe de trois jours : un homme libre ! 6 Au pouvoir à partir de 1848, il réhabilite la moustache. Elle se diffuse au reste de la société par le corps militaire, l’aristocratie et la bourgeoisie. Déjà imposée chez les militaires depuis 1832, sa présence était perçue comme un moyen pour les soldats et gendarmes de faire autorité. 7 La barbiche au menton est son plus bel attribut ! Dans l’Égypte antique, la cinquième souveraine de la XVIIIe dynastie, a recours à un postiche en carton, le « doua-our », pour marquer sa puissance et son affiliation divine.

3 grands rapports au corps dans notre société moderne :

LES DIEUX DE L’OLYMPE

TE SHUMANIS N A R T / G CYBOR L’être cyborg est un mixte d’humain et de mécanique. Suite à la multiplication des prothèses mécaniques et l’impact des technologies de communication, il devient un être instrumentalisé et évolue à l’inverse de l’individualité. Autant dire que les apprentis cyborgs n’ont que faire des caractéristiques humaines superflues tels que les poils.

GUILLAUME LE CONQUÉRANT

PÉPIN LE BREF

À notre époque, de nombreuses techniques existent pour pouvoir rendre notre corps unique et différent. Que ce soit en pratiquant un sport extrême comme le body building ou simplement en le tatouant ou en le piercant, notre enveloppe corporelle se transforme. Ainsi, chacun est libre de challenger sa nature, comme l’a fait Conchita Wurst par exemple en bousculant les « normes » établies.

VERCINGÉTORIX

8 Il rend le rasage obligatoire par un décret en 1066.

BACHAR AL-ASSAD, ERDOGAN ET BIEN D’AUTRES…

TURISTE ÉCOLO NA 1 3 5 7 9

Pépin Le Bref | 2 Alexandre le Grand | Bachar Al-Assad, Erdogan… | 4 Vercingétorix | Nicolas Sarkozy | 6 Louis-Napoléon Bonaparte | Hatchepsout | 8 Guillaume le Conquérant | Les Dieux de l’Olympe Réponses

En réponse à la surexploitation du corps ou simplement par instinct naturel, des êtres humains choisissent de laisser faire la nature. Nous sommes arrivés sur Terre avec des poils dans le dos et sur le pubis ? Alors ainsi soit-il.

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

9 Symbole de dignité, elle n’est arborée que par les Grands pour marquer leur appartenance à la « Civilisation » ! Les esclaves et les hommes déchus sont au contraire rasés, signe de leur indignité.

HYBRIDE


👀

La volonté d’éliminer les poils est ancienne.

CARESSER DANS LE SENS DU PO IL → SE POILER → REPRENDRE DU POIL DE LA BÊTE → AVOIR UN POIL DANS LA MAIN

INTRODUCTION — 24

je ne saurais voir ! Retirez ce poil que 3 000 av. J.-C. l’épilation était déjà de mise, pour les hommes

et pour les femmes. Mais cette belle égalité pilaire bascule rapidement vers une injonction exclusivement féminine.

Empire romain le poil se flambe à la lampe.

Moyen Âge on s’épile le front ; celui-ci doit être lisse et bombé pour plaire. Et jusqu’à la fin du XIXe siècle, les recettes de crèmes dépilatoires artisanales sont pour le moins inventives : fiente de chat séchée mélangée à du vinaigre puis arsenic et chaux. Mesdames, il faut souffrir pour être belles. 1915 tout s’accélère.

FUYEZ, POILS DISGRACIEUX

La marque Gillette lance le premier rasoir pour femmes, le Milady décolleté (un nom qui en dit long). Les produits dépilatoires se démocratisent à grand renfort de publicité.

Grâce au nouveau rasoir 6 lames Épile-tout, devenez enfin quelqu’un de présentable. Votre mari vous remerciera.

99F

SEULEMENT

LE TOP DU TOP

Le corps s’épile toujours plus à mesure qu’il se dévoile. Durant la Seconde Guerre Mondiale , une pénurie de collants et de bas en nylon pousse la ménagère américaine à se raser les jambes. En parallèle, le développement de la photographie de mode impose les corps glabres comme la nouvelle norme.

1946 le bikini fait son entrée et avec lui l’épilation du maillot. Malgré une tentative de riposte poilue avec la seconde vague du féminisme, les années 1980 imposent les corps musclés, performants et… imberbes. Les années 1990 couronnent la pince à épiler. L’épidémie de sida ouvre une période hygiéniste, où le poil est synonyme de saleté et de maladie. Avec la multiplication des écrans dans les années 2000 , le porno est « chic », les marques martèlent des images de corps lisses et hypersexualisés. L’ÉPILATION EST INTÉGRALE.

o illot, v us l’aim a m

? ez

Le

FIN DU GAME.

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

ne saurais cacher Découvrez ce poil que je

1 En broussaille 2 Ticket de métro 3 Brésilien 4 Intégral

AIE !

En 1791, O lympe de Gouges ré DDFC* . D dige la ans féminine fa le même temps, la presse it son appa notammen rition, port t par les M ée ou libération de la femm vements de e, la publicit é de presse et avec elle, . tas de e tout un , on trouv les rasoirs, ui ’h rd ou Auj our oyens vintage p autres m publicités ilatoires et inin. ép d es crèm l fém ion du poi l’efficacité d’éradicat nera d’ailleurs de ir r un raso on ét ou p s’ ité Et on labres. ne public g ’u t d en le m b le redouta es tota des jamb passé sur…

C’est donc en premier lieu dans la presse féminine – puis partout ailleurs – que vont apparaître les publicités vantant les mérites des gambettes lisses, parfaitement épilées. En 1915, Harper’s Bazaar enjoint à son tour les femmes à enlever leurs « objectionable hair »… Exit le poil donc (chez la femme, on s’entend). Avec tout ça, Gillette se réjouit de vendre deux fois plus de rasoirs, en plus ils sont roses, le B.O.N.H.E.U.R.

MAIS… avec l’arrivée des réseaux sociaux, les choses changent et certaines femmes décident de faire entendre leurs poils. Où de les faire voir plutôt. Sur Instagram, le mouvement de libération du poil prend : les hashtags débarquent dans nos feeds et des posts de jambes, aisselles et maillots poilus avec eux. Ce nouveau média où l’image fait tout – est tout – est le lieu de la monstration, du rétablissement d’une vérité cachée dans les journaux et à la télévision. Il devient un espace d’expression pour les « vraies gens », nous quoi, et non plus les personnes irréelles et inventées que l’on trouve, encore aujourd’hui, dans les magazines.

Avec les médias numériques, les modèle s de beauté tendent à aller vers des corps plus naturels. On refuse le body shaming et cela passe par la mise en avant de tous les corps, quels qu’ils soient, tels qu’ils sont. Puisqu’ils sont tous bea ux et qu’ils ont tous le dro it d’être montrés. Alors stp Instagram, arrête de censurer un bikini non épilé et pro uvenous que tu es bien le lieu de libération du poil.

* Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne


👀 25 — INTRODUCTION

N E I B COM ÇA E T Û O C Épillllllllllllllllation

En moyenne, une épilation des jambes, du maillot (classic one) et des aisselles coûte, en tout et pour tout :

Coiffeur

CHEVEUX

37 €

Une coupe longue coûtant approximativement

240 € / an chez le coiffeur

Soit le prix de…

1 x Nintendo Switch

(sans compter les extras soins, couleurs et autres petits plaisirs stylistiques)

kebab/canette/sauce 28 x Menus algérienne/Salade tomate oignon

120 x Bouteilles de Yop vanille 1 x Tapis persan d’environ 20 × 30 cm 1 x Vélo Btwin reconditionné CHEVEUX

COURTS

Les cheveux courts demandent, quant à eux, à la fois des coupes plus régulières et bénéficieront d’un avantage tarifaire non négligeable. Le calcul s’opère donc ainsi : (sans extras toujours) une coupe tous les mois à environ Les coupes courtes coûteront donc environ

25 €

300 € / an

Affiches riso KIBLIND (Avoue que tu 12 x préfères te laisser pousser les cheveux vu comme ça ☺) kebab/canette/sauce 35 x Menus algérienne/Salade tomate oignon

150 x Bouteilles de Yop vanille 1 x Tapis persan d’environ 30 × 40 cm 1 x Machine à café deLonghi

* Les calculs exposés ici reposent sur des données totalement subjectives et non vérifiées, au même titre que les comparaisons faites sur les prix moyens des produits de consommation et de décoration. Aucun organisme ne certifie la véracité de ces informations et l’équipe KIBLIND se décharge dans le même temps de tout engagement vis-à-vis de ces données.

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Soit le prix de…

Soit le prix de…

dépensés en une année

1 x Tapis persan d’environ 50 × 60 cm

40 €

Les personnes aux cheveux longs vont dépenser environ

52 / 6 × 37 = 321 €

160 x Bouteilles de Yop vanille

LONGS

Les cheveux longs nécessitent une petite coupe tous les 2 mois (admettons) pour couper nos petites pointes fourchées.

En admettant que la repousse des poils nécessite une épilation toutes les 6 semaines :

kebab/canette/sauce 38 x Menus algérienne/Salade tomate oignon

Ici, une distinction s’impose entre cheveux courts et longs


👀 INTRODUCTION — 26 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

!!!

!!!

!!! La chute des cheveux ou alopécie concerne 1 Français sur 3 . Lorsque !!! la perte est totale, on parle de !!! !!! calvitie, un mal qui touche 14 % de la population masculine française.

fig. I Capitaliser sur ses cheveux restants pardi. Technique de la mèche rabattue, faites preuve d’imagination.

fig. II Prendre le premier billet pour Istanbul, le paradis de la greffe capillaire low-cost. Forfait tout compris à partir de 1 200 € (contre 10 000 € en France)

fig. III Re-populariser le toupet ou tenter les couvre-chefs anciens. Bienvenue dans la bald fashion week.

Sur le flanc sud du mont Beuvray, une paisible bourgade nivernaise d’environ 150 âmes voit ses journées rythmées par un ballet de badauds avides de blagouzes. La raison de cette beud qui fait glousser dans toute la France ? 4 lettres inscrites sur le panneau d’entrée du village : P O I L.

fig. IV Assumer ! Même le prince William l’a fait.

QUELLES SOLUTIONS ?

QUELLES SOLUTIONS ?

OÙ SONT PASSÉS MES ? C H V E E U X

Parmi ses célèbres visiteurs, ce hameau situé entre Dijon et Autun a déjà reçu la visite du présentateur TV Stéphane Collaro, de l’exmiss météo de Canal Doria Tillier et de l’humoriste Rémi Gaillard. Comme eux, on estime que 10 à 15 personnes font le déplacement chaque jour pour s’immortaliser devant l’emblématique panneau, de préférence à poil. Toujours de bon poil malgré le flot de canulars téléphoniques qu’elle reçoit chaque jour, la mairie surfe même sur la notoriété de son chef-lieu en vendant des cartes postales aux textes évocateurs, comme le remarquable « un câlin à Poil… c’est plus malin ». Fier membre de l’association des communes de France aux noms burlesques et chantants, Poil doit aussi faire face à quelques désagréments moins rigolos. Ponctuellement, les habitants se retrouvent ainsi dépourvus de panneaux d’entrée, Graal tant convoité par les petits plaisantins de passage. Rivets, vis, colliers… Les Pictiens sont désormais équipés contre l’envahisseur pour que l’épée d’Excalibur ne soit jamais plus enlevée à son fief.


👀 27 — INTRODUCTION

LISSAGE LE PLUS RÉUSSI ↓ Le Cochon d’inde à poils longs

ÉLÉGANCE SCHWARZKOPF ↓ Le Cob Irlandais

COUPE LA PLUS NATURELLE ↓ La Tortue de la Mary River

COUPE LA PLUS PRATIQUE ↓ Le Komondor

COUPE LA PLUS MODERNE ↓ La Poule soie

Aux Much Music Video Awards 2011, Lady Gaga révèle des poils d’aisselles bleus assortis à sa perruque. Un peu avant son Show, elle avait réalisé une autre performance lors de l'émission « The Paul O’Grady Live », en se dévoilant complètement chauve pour chanter son titre « Hair ».

Dans le Love Advent calendar (calendrier de l’Avent initié par le magazine Love) de 2017, on retrouve la célèbre Gigi Hadid en tenue de sport arborant des aisselles fournies. Une vidéo qui a énormément fait parler.

En 2017, Paris Jackson a fièrement exhibé ses poils sur plusieurs de ses posts Instagram. Sur l’une de ses publications, la fille du King of Pop met en avant ses poils de jambes avec la légende suivante : « Si vous n’êtes pas en compétition avec votre frère pour savoir qui peut avoir les poils de jambe les plus longs, que faites-vous ?»

La célèbre actrice qui a joué dans le film Precious, et qui a d’ailleurs reçu grâce à cette performance l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, est arrivée lors d’une première en 2004 avec les jambes non épilées.

FLASH-BACK ←←← ← ← ← Dans les pages de son numéro 71 publié en 1983, le magazine culte Le Crapouillot dédié aux “monstres” nous proposait de faire connaissance avec plusieurs hommes atteints d’hypertrichose. Ah la finesse de l'époque.

Jojo

l’homme-lion

les Malphoon

La famille chien

→ Textes : E. Quittet, S. Grafa, A.Hassler, R. Lechleiter, S. Pauly, C. Roux & J. Tourette → Mise en page : G. Bonneau & Agathe Bruguière

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

l’homme-caniche

Lionel

KEZAKO ?

L’hypertrichose est une pathologie entraînant un développement excessif de la pilosité autant chez l’homme que chez la femme. Les poils peuvent ainsi pousser en quantité n’importe où sur le corps.


👀 INVITATION — 28

Singe de rêve

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Il connait ses classiques cinématographiques sur le bout des doigts et dévore les nouveautés chaque jour pour les débriefer dans Sofilm, le magazine dont il est rédacteur en chef. On a demandé à Raphaël Clairefond de nous parler poil et ciné.


👀 29 — INVITATION KIBLIND Magazine → 79 → Poils

S’il y a bien un cinéaste qui n’avait pas de poil dans la main, c’est l’Italien Marco Ferreri. Il a sans doute adoré filmer des hommes paresseux et frivoles capables de manger et baiser jusqu’à ce que mort s’ensuive dans son chef-d’œuvre, La Grande Bouffe, mais il signa aussi une trentaine de films tout au long de sa carrière (citons Dillinger est mort ou La Dernière Femme pour les plus connus). La plupart étant peu ou mal distribués en France depuis des années. Une injustice en partie réparée par la Cinémathèque française, qui a récemment organisé une rétro intégrale, accompagnée de la ressortie de plusieurs films en salles, parmi lesquels cette pépite admirablement toilettée : Le Mari de la femme à barbe. — Au mitan des années 1960, le poil féminin reste plus que jamais un « ennemi public », « celui qu’on torture au rasoir Bic », suivant la chansonnette de ce groupe de petits rigolos qu’on appelait Java. Alors que les hippies, les féministes et autres avant-gardistes commencent tout juste à envisager que les femmes pourraient tout à fait se laisser pousser les poils des aisselles et des jambes si ça leur chante, un petit Italien bedonnant et débonnaire – portant lui-même un collier de barbe dit « à la Robert Hue » du meilleur effet – a une idée en tête pour son prochain film. Une idée beaucoup plus radicale. Tandis que le cinéma italien d’après-guerre virevolte avec succès entre néo-réalisme chargé d’humanité et grosses comédies de mœurs truculentes, lui voudrait plutôt raconter le destin tragique d’une femme couverte de poils, des pieds à la tête. Soutenu par le mogul local Carlo Ponti, il accouche en 1964 de La Donna scimmia (« La Femme-singe » en V.F.), sorti dans l’Hexagone sous le titre Le Mari de la femme à barbe et avec une affiche peinte sur laquelle Annie Girardot apparaît... parfaitement glabre. C’est dire si le film gênait aux entournures la société de l’époque. Ironiquement, la France décide aussi, en un tour de passe-passe de traduction, de remettre le curseur sur l’homme pour promouvoir cette fable violemment anti-patriarcale, librement inspirée de la vie de Julia Pastrana, une femme souffrant d’hypertrichose et de prognathisme au XIXe siècle. Elle était exhibée dans les foires par Théodore Lent, un impresario sans scrupule. C’était une femme d’à peine 1,30 m, qui était peut-être « la plus laide du monde » mais qui finira tout de même par chanter, danser et maîtriser trois langues. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Alors on ne sait pas avec certitude si le fameux Lent l’avait épousée mais c’est le parti pris de départ de Ferreri pour son film. Un beau jour, Ugo Tognazzi – un Napolitain charmeur et embobineur comme seuls savent l’être les Napolitains – tombe dans une arrière-cuisine sur une jeune fille qui se dissimule le visage et les mains.


👀 INVITATION — 30 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Il comprend vite pourquoi et il la regarde intensément... « avec les yeux de l’amour » dirait-on, si c’était un conte de fées. Mais comme on est chez Ferreri, dans son regard ne courent rien d’autre que des tickets de fête foraine. Et donc, des dollars. Enfin, des lires, quoi. L’amour, en revanche, est palpable dans la façon que le cinéaste a de filmer une Annie Girardot recouverte de poils comme si c’était la septième merveille du monde. Le mari de la femme à barbe est un anti-conte de fées velu à tous les niveaux : la belle est la bête. Petite parenthèse : si Girardot est bouleversante dans le film, on ne peut s’empêcher de se dire que le dispositif aurait été encore plus puissant avec une icône romantique telle que Sofia Loren, qui a notoirement refusé le film, et on ne peut pas totalement lui en vouloir, vu la difficulté du rôle. Tout le monde n’est pas forcément prêt à casser son image, à ce point. Mais pour revenir au pitch, c’est donc au moment où l’homme et la femme doivent se marier pour être-heureux-et-avoir-beaucoup-d’enfants que les emmerdes commencent pour la femme qui a dit « oui », sans trop se douter de la galère dans laquelle elle s’embarquait. Ferreri, comme tous les vrais radicaux, pose un constat très simple : il peut y avoir de l’affection dans un mariage (et c’est d’ailleurs le cas entre les deux personnages), mais au final, à bien y regarder, cela reste une affaire d’exploitation économique de la femme par l’homme. Le « contrat marital » donne le droit à l’un de faire travailler l’autre pour en tirer profit. Point. — À première vue, on pourrait se dire que Ferreri était certainement un grand fan du célèbre Freaks (1932), qui est sans doute le film de famille le plus déchirant de l’histoire du cinéma. On l’imagine « piquer » la figure de la femme à barbe du film de Todd Browning pour la plonger dans la sauce histrionique (et parfois un peu lourde) de la comédie italienne et en tirer une sorte de « monstrueuse parade » amoureuse. Alors qu’en fait non, Ferreri est bien plus clinique. Il tenait plutôt à expliquer pourquoi et comment le patriarcat et le capitalisme sont les deux faces d’une même pièce et que cette pièce-là finit à peu près toujours dans la poche des mêmes types sans scrupule. — Mais laissons là le sous-texte politique et revenons aux poils. La femme à barbe qui joue dans le film de Browning s’appelait Jane Barnell dans la vraie vie et Olga Roderick, Princess Olga ou Lady Olga sur scène. Elle se maria trois ou


👀 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Visuels dans l'ordre d'apparition : Affiche de la version italienne du film : La Donna Scimmia - Affiche du film Le Mari de La femme à Barbe, Marco Ferreri, 1964 - La Dernière Femme, Marco Ferreri, 1976 Annie Girardot, actrice principale dans Le Mari de la femme à Barbe de Marco Ferreri - Annie Girardot et Ugo Tognazzi dans Le Mari de la femme à Barbe - Annie Jones - Casting de Freaks : La Monstrueuse Parade, Tod Browning, 1932 - Annie Girardot et Ugo Tognazzi dans Le Mari de la femme à Barbe - Annie Girardot et Ugo Tognazzi dans Le Mari de la femme à Barbe.

31 — INVITATION

quatre fois au cours de sa vie et arborait une barbe, certes broussailleuse et mal taillée, mais classiquement masculine, d’une trentaine de centimètres. Son allure se rapproche beaucoup d’Annie Jones, une autre très célèbre femme barbue, atteinte d’un dérèglement hormonal que l’on désigne sous le terme médical saugrenu d’« hirsutisme ». Et comme Annie, elle continua à porter robes et cheveux longs pour mieux souligner la dissonance de genre produite par leur maladie. C’est là qu’il faut rappeler l’originalité du film de Ferreri : il montre Girardot intégralement couverte de poils sans rien cacher, ou presque. Au contraire, il réussit le tour de force ultime : à savoir érotiser joyeusement une femme à la toison si luxuriante dans un numéro d’effeuillage sexy qui n’a rien de burlesque. Force est de constater que – comme pour Elephant Man – le maquillage artisanal à la prothèse passe très bien l’épreuve du temps. Une leçon que Tom Hooper aurait bien fait de retenir au moment de réaliser Cats, cette effroyable comédie musicale sortie en 2019 où le panel de stars (Taylor Swift, Judi Dench, Jennifer Hudson...) se voyait transformé numériquement en créatures mi-humaines mi-félines. La laideur angoissante du procédé précipita l’échec spectaculaire du film, « nanardisé » avant même sa sortie. S’il y a bien un artiste dont il faut saluer la mémoire, c’est donc Alberto De Rossi, en charge du maquillage d’Annie Girardot, qui partit faire des miracles à Hollywood après avoir rencontré Audrey Hepburn sur le tournage de Vacances romaines. C’est d’ailleurs à lui que l’on doit la puissance du regard d’Ava Gardner et les iconiques yeux de biche d’Hepburn. Avec la brindille, il paraît qu’il tenait à une chose en particulier : conserver et travailler ses sourcils au naturel. Un visionnaire.


KIBLIND Magazine → 79 → Poils

→ Un Visage familier, éditions Atrabile, 2021.

→ Untitled , 2022

👀

Michael DeForge

EN COUVERTURE — 32


→ All Prisoners, 2021

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Avec son livre Un Visage familier, paru en France chez Atrabile, le génial Canadien est en compétition officielle pour le Festival d’Angoulême (qui aura, lorsque vous lirez ces lignes, rendu son verdict). Ce n’est pas rien et c’est tellement logique tant le talent de Michael DeForge ne passe pas inaperçu. Traits spontanés, couleurs déton(n)antes et propos à la fois sensibles et critiques, l’auteur est forcément remarquable. Il dépeint, au fil de ses œuvres, un monde complexe, avec un œil parfois cynique, toujours lucide. Cartooniste, il met aussi régulièrement son talent au service de causes ou de sujets sociétaux qui le touchent, à travers des dessins spontanés et engageants. Peu bavard, pour nous, il a quand même bien voulu se mettre à poil, un peu. 33 — EN COUVERTURE

👀

→ Scariest online horror game2 , 2021


→ Frog And Worm, 2022

Je suis chauve, donc c’est un rapport finalement assez limité.

Quel est ton rapport aux poils justement ?

Quand vous m’avez demandé de dessiner une « couverture poilue », j’ai été immédiatement séduit. Le sujet est cool et dans mon travail, j’aime pouvoir jouer avec les textures et les motifs. Du coup, les poils sont un sujet parfait pour moi !

Peux-tu nous dire quelques mots sur notre couverture et cette commande autour des poils ?

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

EN COUVERTURE — 34

👀

→ Illustoria Cover for next Summer issue


35 — EN COUVERTURE

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

👀 → Surprise Party, 2019

→ Cars, 2022


«Les poils sont tellement liés à notre identité, à notre culture, à notre sexualité et à la réalisation de soi en général… »

Tout cela vient assez naturellement. J’écris ce que je pense, à propos de ce qui m’entoure… J’ai simplement la conviction que les choses seront cohérentes entre elles d’une manière ou d’une autre.

Comment fais-tu pour réussir à aborder autant de questions sociétales tout en travaillant sur la narration ?

Je ne planifie pas vraiment mes livres longtemps à l’avance en réalité. Et j’ai tendance à ne travailler qu’une page à la fois. Pour Familiar Face, j’ai dû faire une grande pause un peu forcée, pendant laquelle il a fallu que je me concentre sur un autre projet. Résultat de cette affaire : j’ai jeté environ 50 à 60 pages du livre, car elles ne me semblaient pas tout à fait coller avec le reste quand je les ai reprises.

Comment abordes-tu l’élaboration d’un livre comme Familiar Face (sorti récemment en France chez Atrabile) ?

J’aime beaucoup écrire, dessiner sur ces moments charnières de la révélation de soi. Ce sont des moments en forme de paradoxes. Ils sont excitants et en même temps profondément déstabilisants, terrifiants. Ce qui est intéressant, c’est que ces sentiments, diamétralement opposés, se retrouvent dans ces moments-là, à parts égales, chez l’individu qui se cherche.

Est-ce en lien avec la notion plus sociale d’« identité », thème central dans ton travail ? Pourquoi cette notion est-elle aussi importante pour toi ?

Les poils sont tellement liés à notre identité, à notre culture, à notre sexualité et à la réalisation de soi en général… C’est assez naturellement un sujet qui peut prendre de l’importance, même si ça paraît anodin au premier abord.

Selon toi, pourquoi les poils se retrouvent aussi souvent au centre des discussions ?

KIBLIND Magazine → 79 → Poils EN COUVERTURE — 36

👀

Dog Eats Cop, 2021

New Museum, 2019


Birds of Maine, Drawn & Quarterly, soon in 2022

Je viens de terminer un « daily comics » intitulé Birds of Maine qui sera édité par Drawn and Quarterly au printemps.

Sur quels projets travailles-tu actuellement ?

Tous mes livres contiennent des éléments profondément personnels, parfois même autobiographiques. Un livre que j’ai dessiné, qui s’appelle Stunt et qui n’a pas encore été traduit pour autant que je sache, est probablement mon travail le plus « révélateur », le plus personnel.

Pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas, quels sont les projets qui ont compté dans ta jeune carrière ?

L’industrie de l’illustration est devenue beaucoup plus frileuse et beaucoup plus précaire. Je pense que ces deux choses sont évidemment liées. J’ai tendance à être un peu frustré par cette évolution. J’essaie donc de tracer une ligne entre mon travail commercial et mon travail personnel, et de traiter ce dernier comme quelque chose que je fais strictement pour moi-même.

Est-ce que le métier d’illustrateur a évolué selon toi ces dernières années ?

37 — EN COUVERTURE

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

👀

Stunt, Koyama Press, 2019


👀 CRÉATIONS ORIGINALES — 38

CRÉA TIONS ORIGI NALES

Faut-il vraiment qu’il soit dans la soupe pour qu’il attire votre attention ? Mais, mes bons amis, le poil est partout ! Il nous enveloppe, nous submerge, nous étreint. Il nous fascine, nous répugne, nous gargarise. Il nous réchauffe, nous manque, nous incarne.

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

C’est l’ingrédient aux mille saveurs, de ceux dont on ne sait s’ils vont rendre le plat meilleur ou moins bon. Perdus dans cet océan de significations, nous avons voulu voir ce que d’autres en pensaient. Des illustrateurs et illustratrices, au hasard, pour nous offrir leur vision de ce petit être grand. Voici donc le résultat de leur recherche, décliné en huit créations originales. Merci donc à Lou Benesch, Anna Degnbol, Darren Shaddick, Lale Westvind, Haein Kim, Emil Friis Ernst, Julia Fréchette et Joe O’Donnell.


39 — CRÉATIONS ORIGINALES

loubenesch.com

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Lou Benesch | Hairs

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KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Anna Degnbol | Hairs

annadegnbol.dk

CRÉATIONS ORIGINALES — 40

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41 — CRÉATIONS ORIGINALES

darrenshaddick.co.uk

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Darren Shaddick | Hairs

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Lale Westvind | Hairs

instagram.com/lalewestvind

CRÉATIONS ORIGINALES — 42

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43 — CRÉATIONS ORIGINALES

haein-kim.net

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Haein Kim | Hairs

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KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Emil Friis Ernst | Zilla

beingernst.com

CRÉATIONS ORIGINALES — 44

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45 — CRÉATIONS ORIGINALES

instagram.com/julia.frc

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Julia Frechette | Poils

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KIBLIND Magazine → 79 → Poils

instagram.com/donnie_odonnell

Joe O’Donnell | Hair

CRÉATIONS ORIGINALES — 46

👀


« Hair

👀 47 — DOSSIER

« C’est la première fois Flow it, show it

qu’on voit un roi Long as God can grow it,

avec si peu de my hair » - Bande originale de la

poils » - Zazu in

comédie musicale Hair, musique

Le Roi Lion, réal. de Galt MacDermot, Gerome

Ragni et James Rado, 1968

Rob Minkoff, 1994

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Roger Allers et


👀 DOSSIER — 48 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

«Ç

a a été de suite clivant. Il y a des femmes qui m’ont dit que c’était trop bien et qui l’ont repartagé. Et j’ai reçu des messages ou commentaires qui me disaient “le dessin marche très bien, pourquoi tu mets des poils ?” » L’illustratrice Anna Uru a donc eu la joie de présenter à ses followers des dessins comprenant des poils féminins. Étonnant comme un petit trait sur une jambe, un visage ou une aisselle peut scinder le monde en deux. Le poil n’est pourtant qu’une production filiforme de notre corps, et se trouve présent de manière plus ou moins visible sur la peau de tous les êtres humains. Quoi de plus normal, pour un artiste, de représenter ce qui se trouve sous ses yeux. Oui, mais voilà, en cette matière comme en bien d’autres, l’homme et la femme ne sont pas traités de la même manière. Et si on peut vanter le pelage masculin pour d’obscures raisons virilistes, les poils de la femme doivent eux rester cachés. Drôle d’abcès que

nous sommes allés observer avec certaines de celles qui l’ont crevé, de la podcasteuse et écrivaine Klaire fait Grr, autrice de Au Poil ! en 2014 (chez Jungle), aux illustratrices Anna Uru, Marie Boiseau et Kine Andersen.

Marie Boiseau résume plutôt bien ce qui coince dans le regard qu’on porte sur le poil féminin : « pour encore beaucoup de gens, une femme ça n’a pas de poil, ou alors ça les enlève ». Cette invisibilisation du poil féminin, aussi sèche que définitive, contribue largement à la persistance d’une sorte de tabou. Comme bien d’autres aspects du corps des femmes (le poids, les règles, la couleur de peau, etc.), il est soumis à la pression d’une société qui peine à voir la moitié de sa population s’émanciper totalement. « Ce n’est pas étonnant qu’on demande aux femmes adultes de gommer ces poils qui font d’elles… des adultes, puisqu’il s’agit de dominer », analyse Klaire fait Grr, qui enfonce le clou : « Mon regard là-dessus est que la haine des poils féminins est ↑ Sagatarius, Kine Andersen

« CE N’EST PAS ÉTONNANT QU’ON DEMANDE AUX FEMMES ADULTES DE GOMMER CES POILS QUI FONT D’ELLES… DES ADULTES, PUISQU’IL S’AGIT DE DOMINER.»


👀 49 — DOSSIER

→ Daddy’s little girl ain’t a girl no more Kine Andersen,

une construction totalement artificielle avec un objectif très clair de déstabilisation des femmes à travers le modèle d’un corps féminin totalement faux. Parce qu’une femme soumise au doute, à l’inconfiance, est fragilisée. Et donc plus facile à dominer. » Le constat est sans appel pour l’autrice et podcasteuse et il faut bien dire qu’il est partagé par l’ensemble des illustratrices que nous avons interrogées. Cette entreprise de domination passe donc par le poil, en lui imputant tous les défauts du monde, finissant par devenir un facteur de honte pour les femmes : « Ce n’est pas quelque chose que les gens ont envie de voir. Tu dois être honteuse d’avoir

« MON REGARD LÀ-DESSUS EST QUE LA HAINE DES POILS FÉMININS EST UNE CONSTRUCTION TOTALEMENT ARTIFICIELLE AVEC UN OBJECTIF TRÈS CLAIR DE DÉSTABILISATION DES FEMMES À TRAVERS LE MODÈLE D’UN CORPS FÉMININ TOTALEMENT FAUX. PARCE QU’UNE FEMME SOUMISE AU DOUTE, À L’INCONFIANCE, EST FRAGILISÉE. ET DONC PLUS FACILE À DOMINER.»

« JE PENSE QUE LE POIL EN LUI-MÊME N’EST PAS DU TOUT VALORISÉ. TROP SOUVENT DANS LE REGARD DES HOMMES COMME DES FEMMES, IL PEUT Y AVOIR UNE CONNOTATION UN PEU SALE OU QUI NE VA PAS FORCÉMENT GÉNÉRER LE DÉSIR DES HOMMES. UNE FEMME QUI ASSUME SES POILS EST CONSIDÉRÉE PEUT-ÊTRE COMME ARROGANTE OU PAS DÉSIRABLE[...]. »

Les images érotiques d’Anna Uru, les portraits de Marie Boiseau et les saynètes stylisées de Kine Andersen n’ont pas grand-chose en commun. Les références et objectifs ne sont pas les mêmes et leurs rendus graphiques diffèrent en tout point. Pourtant, elles ont toutes les trois franchi le Rubicon de la représentation du poil féminin. Pour certaines, comme Kine Andersen, c’était une évidence. « J’ai toujours dessiné des poils corporels, nous dit-elle, ce n’était pas un choix volontaire que j’ai fait, plus quelque chose de naturel. Les femmes ont aussi des poils. » Pour d’autres, il a fallu des pionnières,

↑ Furry Legs, Kine Andersen

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des poils au pubis ou sous tes aisselles. Les gens pensent que c’est dégueulasse et non hygiénique. C’est complètement fou. On ne reproche pas aux hommes d’avoir de la barbe », se fâche l’illustratrice norvégienne Kine Andersen. Les hommes, dont on ne questionne jamais la pilosité, deviennent pourtant les gardiens de la bienséance duveteuse des femmes. Ainsi Anna Uru pointe-t-elle l’obligation pour la femme, et donc, sa représentation, de correspondre au désir de l’homme. « Je pense que le poil en lui-même n’est pas du tout valorisé. Trop souvent dans le regard des hommes comme des femmes, il peut y avoir une connotation un peu sale ou qui ne va pas forcément générer le désir des hommes. Une femme qui assume ses poils est considérée peut-être comme arrogante ou pas désirable. C’est aussi un attribut de

la féminité le fait d’avoir la peau douce etc., peut-être qu’on a tendance à représenter ces attributs par mimétisme. » Et donc, le poil passe à la trappe, au moins dans la représentation des femmes. « Personne ne nous les montre. Ce n’est pas quelque chose que les gens ont envie de voir », conclut Kine Andersen, rendant d’autant plus important son travail et celui des deux autres illustratrices que nous avons interviewées. Car elles, elles les montrent les poils.


👀 DOSSIER — 50

← Illustration de Marie Boiseau

voire d’autres illustratrices oser poser les poils sur les jambes et les dessousde-bras des femmes. Pour Marie Boiseau, l’un des déclics fut le travail de l’Australienne Frances Cannon : « C’est une des premières illustratrices que j’ai vues qui représentaient des poils. Et là je me suis dit, ah tiens, c’est possible de faire ça. » De même pour Anna Uru, qui fut

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« J’AI TOUJOURS DESSINÉ DES POILS CORPORELS, CE N’ÉTAIT PAS UN CHOIX VOLONTAIRE QUE J’AI FAIT, PLUS QUELQUE CHOSE DE NATUREL. LES FEMMES ONT AUSSI DES POILS.»

soufflée par les dessins de certaines de ses camarades. « La première personne qui m’a sensibilisée à ça est Maïc Batmane. Elle questionne beaucoup les représentations de genre et elle dessine des corps féminins et masculins avec des poils. Il y a aussi Sofie Birkin qui dessine pas mal de femmes avec des poils, qui se masturbent etc. J’ai consommé ces images que je trouvais chouettes et petit à petit, ça a fait son chemin. »

À ces inspirations peuvent également s’ajouter des circonstances particulières. Il semblerait qu’on en ait vécu une, il y a pas longtemps, qui a décidé Anna Uru. « Ça date du premier confinement, la première illustration où j’ai commencé à représenter graphiquement des poils. Je pense déjà que c’était très lié à la période, au confinement, au fait d’être chez moi, donc de pas forcément prendre le temps de m’épiler, etc. » Mais bien sûr, la représentation du poil féminin répond surtout à une évolution des mentalités, à une exigence d’égalité et de respect qui souffle fort dans les esprits de nos trois dessinatrices.

Au cours des dernières années, on a pu constater l’utilisation de plus en plus fréquente d’un terme bien spécifique, celui d’« injonction ». Ce terme, initialement appliqué au seul domaine juridique, a été malgré lui adapté au langage courant pour signifier les ordres implicites faits aux femmes. « Sois belle », « sois mince », « épile-toi » sont autant d’injonctions archaïques sur le physique largement induites par notre société. En réponse à ce mot tristement tendance, des femmes réussissent le pari de faire bouger chaque jour un peu plus les choses. Parmi elles, les artistes jouent un rôle de premier plan.

L’ŒUVRE À POILS LA PLUS MARQUANTE SELON : MARIE BOISEAU 👀 → GUSTAVE COURBET, L’ORIGINE DU MONDE, 1866 C’est très bateau mais je dirais que le tableau le plus marquant sur ce sujet est L’Origine du Monde de Courbet, tout simplement parce que c’est une représentation qui contraste tellement avec les autres représentations féminines dans la peinture de l’époque ou d’avant, des Vénus toutes glabres et lisses, que ça marque forcément beaucoup la première fois que tu le vois !


👀 51 — DOSSIER

L’ŒUVRE À POILS LA PLUS MARQUANTE SELON : KINE ANDERSEN 👀 → GUSTAVE KLIMT, GIRLFRIENDS, 1916 / 1917 Je dois dire que la peinture Girlfriends de Gustave Klimt fait partie de mes tableaux préférés sur ce sujet. Ma mère avait accroché une affiche de l’œuvre dans le salon quand j’étais enfant, et je me disais que ces femmes étaient extrêmement belles. Et à cette époque, je ne pensais même pas au fait qu’une des femmes avait des poils au pubis. C’est quelque chose dont je me suis rendu compte en devenant adulte. Je pense que ça en dit beaucoup de ce que la société nous apprend, tout au long de notre éducation !

« L’art a une responsabilité quant à notre définition du beau, et à ce qu’il nous donne à voir comme réalité. Or l’art, ce n’est rien d’autre que des artistes. D’où l’importance de leur regard », résume très justement Klaire Fait Grr. « Il y a beaucoup de gens qui consomment des illustrations et c’est bien de me dire qu’en tant que créatrice d’images, je dévoile ce que j’ai envie de voir aussi. Je n’ai pas envie de créer une esthétique qui n’est pas valorisante pour les femmes dont je fais partie », surenchérit Anna Uru, en mesurant l’importance significative de son rôle.

Se servant de la visibilité dont elles jouissent, les trois illustratrices que nous avons interrogées ont depuis le début ou peu à peu questionné la « norme » à travers

« QUAND J’AI COMMENCÉ À M’INTÉRESSER À CES SUJETS, AUXQUELS JE N’ÉTAIS PAS DU TOUT SENSIBILISÉE PLUS JEUNE, ÇA S’EST INSÉRÉ DANS MA PRATIQUE. JE ME SUIS MISE À REPRÉSENTER LES POILS FÉMININS EN MÊME TEMPS QUE JE FAISAIS MON CHEMINEMENT FÉMINISTE.»

↑ Illustrations de Marie Boiseau

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« IL Y A BEAUCOUP DE GENS QUI CONSOMMENT DES ILLUSTRATIONS ET C’EST BIEN DE ME DIRE QU’EN TANT QUE CRÉATRICE D’IMAGES, JE DÉVOILE CE QUE J’AI ENVIE DE VOIR AUSSI. JE N’AI PAS ENVIE DE CRÉER UNE ESTHÉTIQUE QUI N’EST PAS VALORISANTE POUR LES FEMMES DONT JE FAIS PARTIE.»

leurs œuvres, comme une certaine Frida Kahlo l’avait fait avant elles. « Quand j’ai commencé à m’intéresser à ces sujets, auxquels je n’étais pas du tout sensibilisée plus jeune, ça s’est inséré dans ma pratique. Je me suis mise à représenter les poils féminins en même temps que je faisais mon cheminement féministe », nous raconte Marie Boiseau. Le fait de se libérer de ces fameuses injonctions qui se font également ressentir dans la représentation graphique de la femme a d’ailleurs donné le courage à l’artiste nantaise de se libérer à titre personnel. « En fait, de représenter des meufs qui “s’assument” – entre gros guillemets –, ça m’a donné du courage. » Celle pour qui c’est un choix affirmé de ne représenter que des femmes qui ne


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← Illustration d'Anna Uru

corporels instinctivement. Si l’illustratrice norvégienne continue inlassablement de les représenter, c’est parce qu’elle souhaite par-dessus tout que la société dans laquelle grandiront ses deux filles prenne un

« C’EST DINGUE QUE LES FILLES QUI ATTEIGNENT LA PUBERTÉ PENSENT QU’ELLES SONT OBLIGÉES D’ENLEVER LEURS POILS. QUE L’IDÉAL SOIT DE RESSEMBLER À UN ENFANT EST INCOMPRÉHENSIBLE POUR MOI.»

s’épilent pas aimerait que cette habitude ne soit plus vue comme un acte militant, « parce que ça voudrait dire que c’est normal et que tout le monde s’en fout ». Pour Anna Uru, le choix ou non de faire figurer des poils sur les corps féminins de ses dessins est devenu quasiment politique.

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« [...] QUAND JE REPRÉSENTE DES FEMMES QUI SONT DANS DES SITUATIONS OÙ J’AIMERAIS ÊTRE À LEUR PLACE, JE ME DIS QUE J’AI ENVIE DE MONTRER QU’ELLES ONT DES POILS, QU’IL N’Y A PAS DE PROBLÈMES AVEC ÇA ET QUE TOUT LE MONDE PEUT S’IDENTIFIER[...].» « Ça dépend vraiment de l’intention que je donne au dessin. Quand je représente des femmes qui sont dans des situations où j’aimerais être à leur place, je me dis que j’ai envie de montrer qu’elles ont des poils, qu’il n’y a pas de problème avec ça et que tout le monde peut s’identifier. C’est un symbole pour dire que c’est ok ». De l’autre côté de la mer du Nord, Kine Andersen, elle, a toujours dessiné des poils

L’ŒUVRE À POILS LA PLUS MARQUANTE SELON : ANNA URU 👀 → GEORGES ROUAULT, FILLE AU MIROIR, 1906 Dans ce portrait, j’aime le regard de défi et l’aplomb avec lesquels cette prostituée nous interpelle au travers du miroir. Elle exhibe une franche toison pubienne et des poils sous ses aisselles ; ses formes et sa nudité sont représentées sans détour. Son corps est débarrassé de toute forme de sacralité, et c’est précisément ce qui me plaît : le poil est là, simplement, il n’essentialise pas la lecture du tableau mais participe à une certaine forme de revendication. Un corps de femme, représenté tel qu’il est devant nos yeux voyeurs, point.


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tournant plus positif. « C’est dingue que les filles qui atteignent la puberté pensent qu’elles sont obligées d’enlever leurs poils. Que l’idéal soit de ressembler à un enfant est incompréhensible pour moi. » Même si les quelques artistes présentées ici œuvrent à bousculer des codes trop ancrés, la grande majorité n’ose pas s’aventurer sur un terrain aussi broussailleux. « Je ne voudrais pas parler pour les autres, mais peut-être que si les poils sont si peu présents dans l’illustration, c’est parce qu’ils sont une prise de risque. C’est un geste politique de représenter les poils, alors que ça ne devrait pas l’être. Ça devrait être tout à fait normal de représenter les poils, puisque de toute façon, ils sont là. J’imagine qu’il y a des gens qui ne veulent pas trop se mouiller ou qu’il y en a que ça ne concerne pas », nous confesse Marie Boiseau. Si l’on observe quelques avancées notamment avec l’apparition de courants féministes et du mouvement body positive, le combat est long et les injonctions à abattre une à une sont nombreuses. Un combat dont la soldate Boiseau s’est

« MES DESSINS C’EST JUSTE DES MEUFS QUI NE SUIVENT PAS LES INJONCTIONS PHYSIQUES QU’ON LEUR FAIT : LE POIL, LE POIDS. IL Y A VRAIMENT CE CÔTÉ REPRISE DE CONTRÔLE SUR SOI-MÊME ET LES GENS N’AIMENT PAS TROP.» Nous, Marie, on adore. Et on ne doute pas que plein de Klaire, Kine, Marie et Anna prendront le relais pour œuvrer pour le bien de l’humanité ces prochaines années.

← ↑ Illustrations d'Anna Uru

« C’EST UN GESTE POLITIQUE DE REPRÉSENTER LES POILS, ALORS QUE ÇA NE DEVRAIT PAS L’ÊTRE. ÇA DEVRAIT ÊTRE TOUT À FAIT NORMAL DE REPRÉSENTER LES POILS, PUISQUE DE TOUTE FAÇON, ILS SONT LÀ. »

→ Rédaction par  : É. Quittet et M. Gueugneau → Mise en page : A. Avice

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faite porte-étendard en dénonçant non seulement la pression exercée sur les femmes liée à l’épilation, mais aussi celle liée au poids. « Mes dessins c’est juste des meufs qui ne suivent pas les injonctions physiques qu’on leur fait : le poil, le poids. Il y a vraiment ce côté reprise de contrôle sur soi-même et les gens n’aiment pas trop. »


👀 INVITATION — 54

Le poil qui pique

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Bras droit de la rédactrice en chef de Trax, Cécile Giraud a fait ses armes en écrivant pour de nombreux médias comme Les Inrockuptibles, Hétéroclite et Society. Nous sommes allés chercher Cécile, particulièrement sensible aux sujets du féminisme et de la vie nocturne, sur un terrain nouveau : la relation passionnelle entre le cheveu et le genre musical.


👀 55 — INVITATION KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Tant par le défi gravitationnel qu’elle lance à Newton que par l’esthétique punk qu’elle symbolise, la crête fait jaser depuis 2 000 ans. Oui, cette coiffure qui consiste à se raser les côtés de la tête pour dresser ses cheveux du milieu en Cordillère des Andes se loge dans les coulisses de l’Histoire depuis l’Antiquité. Mais au fait, comment s’est-elle retrouvée à participer au mouvement punk ? Et surtout, les punks portaient-ils vraiment tous la crête ? Une chose est sûre, depuis 40 ans, elle n’a jamais cessé de s’ériger sur les cailloux des jeunes générations en quête d’identité. Punk is not dead, on vous dit. On l’appelle l’Homme de Clonycavan. Son corps a été retrouvé en 2003 en Irlande, près de Dublin et on suppose qu’il y repose depuis 2 300 ans. Son crâne, fendu par trois coups de hache en pierre, a laissé sortir des parties de son cerveau. Mais ce n’est pas sa tête amochée qui pique la curiosité des anthropologues depuis cette découverte. L’homme est coiffé d’une crête iroquoise, tenue grâce à de la résine de pin et des huiles végétales. Cette momie est à ce jour la plus ancienne attestation connue du port de la crête. Hirsute itinéraire Dans son livre Haircults : Fifty Years of Styles and Cuts, l’éminent journaliste anglais Dylan Jones retrace l’histoire de la crête. Baptisée à juste titre par les anglophones mohawk hairstyle, cette coupe de cheveux si reconnaissable a été empruntée à de nombreuses reprises par les civilisations. Je dis « à juste titre », car les Français se trompent en greffant le terme « iroquoise ». Selon Jones, on doit cette appellation hasardeuse à des journalistes qui l’utilisaient pour désigner tous types de coiffure native américaine élevée. En réalité, si les Mohawks sont bien une tribu indienne d’Iroquois du nord-est de la Confédération, ce sont surtout les communautés Huron, Omaha et Osage qui se coiffaient ainsi à l’aide de graisse d’ours ou d’huile de noix. Le long chemin de poils dressés au milieu du crâne représentait un troupeau de bisons sur l’horizon au coucher du soleil. « Allez vous faire foutre ». C’est ainsi que dans Le corps punk, de la transgression à l’innovation (1976-2016), le sociologue Philippe Liotard décrit le message lancé par l’esthétique punk, à Londres. Objectif n° 1 : envoyer valser les teddy boys royalistes sans ouvrir la bouche.


👀 INVITATION — 56 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

« Parmi les nouveautés inaugurées par la construction de ce “fuck you style”, écrit-il, les jeux de chevelure sont sans doute ceux qui ont le plus contribué à l’élaboration de la figure du punk, pour les femmes comme pour les hommes. » Ainsi, c’est bien la crête qui deviendra le symbole par excellence du mouvement punk dès 1976 avec les pics de Richard Hell ou de Sid Vicious. Les cheveux orange de Johnny Rotten prennent le relais aux côtés du blond peroxydé de Billy Idol. Mention spéciale pour Soo Catwoman, dont les mini-crêtes portées de chaque côté de la tête lui donnaient un air de clown malintentionné. Sans le savoir, la papesse du punk underground londonien impulsa des variations insoupçonnées de la crête : 1. La deathhawk, ou « crête de la mort » : portée le plus souvent par les gothiques, cette crête épaisse consiste à laisser de petites mèches sur les côtés, juste devant les oreilles. Elle séduit aussi les adeptes du psychobilly, un sous-genre musical punk et heavy metal aux abords garage et rockabilly. 2. La trihawk : cette crête exige de posséder beaucoup de cheveux, car le but est de faire monter deux crêtes latérales, surplombées d’une crête classique. Lourd. 3. La nohawk ou hawkmo : plutôt que de tout raser pour ne garder qu’un sillon, la noncrête consiste à raser seulement l’endroit où la crête aurait dû être. Peter Gabriel l’arborait en 1973 lors d’une tournée avec Genesis. Quoi de plus punk qu’une crête qui n’existe pas ? 4. La crosshawk traverse le crâne d’une oreille à l’autre plutôt que de suivre la colonne vertébrale. 5. Spike : toute crête dont les cheveux du milieu sont dressés et séparés « en pics ». Tendancieuse symbolique Pour mieux comprendre cette révolution capillaire, reprenons le contexte. Nous sommes à la seconde moitié des années 1970 et le chômage chez les jeunes n’a jamais été aussi élevé depuis la Grande Guerre. En colère, précaires, et furieusement créatifs, ceux-ci s’inspirent des bananes rockabilly des 50’s pour se dresser contre une Angleterre en pleine récession. Enfin, l’optimisme naïf des hippies fait rire jaune. Non, ils n’ont pas changé le monde et non, l’Angleterre n’est pas devenue « free and easy » : on veut donc faire taire ces imbéciles aux cheveux longs et bouclés. Alors, tous les moyens sont bons pour faire tenir droit ses principes anti-hippies. Colle, savon, blanc d’œuf… Ces recettes faites maison ouvrent la voie au marché des cosmétiques ultra-fixants. Objectif n° 2 : choquer les yeux. Le journaliste anglais Paul Gorman souligne dans


👀 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Visuels dans l'ordre d'apparition : Jorge Maya – Oliver Cole – crête Spike – crête Crosshawk – crête Deathhawk – crête Nowhak, Peter Gabriel – crête Trihawk – danseurs de tecktonik – danseur de tecktonik

57 — INVITATION

The Look l’importance de l’image pour la culture punk. Tant dans le style vestimentaire que dans l’art graphique, elle s’inspire de trois principes fondamentaux : le chaos, l’anticonformisme et le do-it-yourself . À l’instar de la crête, de nombreux aspects de l’esthétique punk découlent en effet de ce trépied philosophique : le drapeau de l’Angleterre déchiré ré-assemblé avec des épingles à nourrice, les affiches faites de collages sauvages, ou encore les t-shirts troués à des endroits inappropriés. Mais cette image est si forte que le punk anglais devient vite une attraction touristique dans le quartier de Chelsea à Londres. La crête gagne en couleur et en hauteur en même temps que se vendent en masse les badges, cartes postales et autres souvenirs. Il est même possible de se faire prendre en photo avec un punk pour quelques centimes au sortir des années 1980. Avec le recul, on pourrait se demander si la crête ne permettait pas juste, pour certains, de montrer leur appartenance à une identité. La réponse est oui : « Si tous les punks ne portent pas d’iroquoise, toutes celles et tous ceux qui en portent une s’affichent et se définissent comme punks », analyse le sociologue. En France, par exemple, les groupes punks n’adoptent pas la crête. Les tenues de scène sont peu travaillées, un jean et un tee-shirt composent le plus souvent le costume. Enfin les crânes rasés et les cheveux en bataille sont des démonstrations punk, tout autant que la crête. Quoi qu’il en soit, la miss a déserté Camden Town et Sloane Square mais continue d’influencer les jeunes générations. Quinze ans après la sortie de l’album Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols (1977), on la retrouve dans les raves illégales de sound systems aux quatre coins du monde, comme l’immortalise la photographe Vinca Petersen dans son livre No-System. Dix ans plus tard encore, elle refait surface très brièvement dans l’esthétique Tectonik. Cette fois-ci, on laisse tomber les perfectos noirs et les Dr Martens pour des sweats rose fluo et des Van’s à damiers. Les deux univers ont tout de même un point commun : un look de jeunesse ostentatoire permettant d’afficher son rejet de l’ordre social. À qui le tour ?


👀 LA BIBLIOTHÈQUE IDÉALE — 58

La

e u q è h t o i l bib La Question, Moolinex, Super Loto Éditions, 2014 Moolinex qui s’essaie à la poésie éroticopornographique, c’est un peu comme Coluche qui fait son Tchao Pantin, ça nous change du registre habituel de l’artiste, et il le fait avec brio. C’est un peu ce que « Mooli » (comme on dit chez Les Requins Marteaux) a fait dans ce petit livre format carte postale paru chez Super Loto Éditions. De l’amour, du sexe, de la vie, de la mort, tout ça rassemblé sous forme de grande Question.

2. id éa le

des

Fungirl, Elizabeth Pich, Les Requins Marteaux, 2021 On aurait pu choisir tellement de livres sur le thème dans notre catalogue, n’importe quel BD Cul par exemple, Billy Bob de Nix (dont la couverture est faite de véritables poils jaunes), ou même Touffes & truffes de Besseron & Felder qui paraît ce mois-ci, mais c’était trop facile. On a préféré Fungirl, parce que l’autrice déshabille tous les codes d’un genre normalement éculé, renouvelle un esprit qui colle parfaitement à celui des Requins Marteaux, et est rempli de scènes de sexe hétéro ou homo aussi fun que pop, et d’un grand délire en lama. Une bédé au poil !

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L’amour réussi, François Lourbet & V. Incio, Balland, 1974 Ce livre, sorte de Kâma Sutra à l’occidentale, et en moins beau et moins fun, permet de comprendre toutes les positions sexuelles qu’on pourrait faire si seulement on était plus agiles. En attendant, avec ce texte moins sexy qu’un manuel de montage d’une étagère Gifi et un dessin issu de la frange approximative de l’illustration, cet objet est un régal, et il est dans le thème puisqu’il n’y a pas une seule pièce de vêtements en plus de 200 pages.

3.

x u a e rt a M

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

s n i u q Re

La Fille sans culotte, El Don Guillermo, Misma, 2016 Quoi de mieux, pour démarrer une sélection au(x) poil(s), qu’un effeuillage en douceur ? Dans La fille sans culotte, El Don Guillermo, moitié des éditions Misma et auteur talentueux, prouve sa grande maîtrise de l’érotisme. Moins frontal qu’avec son héroïne lubrique Bernadette dans la collection BD Cul aux Requins Marteaux, le sexe est ici suggéré au travers de plusieurs petites saynètes qui nous rappellent les films sur M6 le dimanche soir, mais en plus drôle.

Peau d’homme, Hubert et Zanzim, Glénat, 2020 Sans contrefaçon, on se met doublement à nu avec cette (malheureusement) dernière petite pépite du duo qu’on ne présente plus : une histoire qui donne envie d’embrasser et de caresser qui l’on veut dans le sens du poil. C’est l’aventure initiatique et révélatrice de Bianca, jeune aristo de l’Italie de la Renaissance, promise à un avenir bien nul et trop bien tracé par son père, et qui va trouver sa liberté et sa sexualité grâce à une peau d’homme. En la revêtant, elle devient Lorenzo, devant qui toutes les portes de la ville réservées aux hommes vont finalement s’ouvrir. On aime beaucoup ce récit super sensuel, auquel le dessin de Zanzim apporte une simplicité graphique qui rend encore plus sexy les moments de luxure vécus par Bianca/ Lorenzo. Bref, le mythe de Peau d’âne remis au goût du jour, où se travestir rend heureux !

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59 — LA BIBLIOTHÈQUE IDÉALE

Ce qu’il y a de bien avec l’expression « À poil », c’est que chacun·e peut l’interpréter comme bon lui semble. Mais il faut avouer que quand on a demandé aux Requins Marteaux de nous donner leur bibliothèque idéale sur le sujet, on était à peu près certains de la direction que cela allait prendre, pour notre plus grand plaisir. Passée experte dans le graphisme charnel avec sa collection spéciale BD Cul, la maison d’édition bordelaise nous livre ses meilleurs tips. On n’en attendait pas moins de ces grands pontes de la bande dessinée alternative française.

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👀 CITATION — 60

« - Et pourquoi « Elle lui avait tant répété que son poil était beau

t’es aussi poilu ? que Moteur en était arrivé à aimer sa toison, même

C’est pour te tenir chaud ? celle qui lui fleurissait les pieds. Il n’y avait qu’une

Draguer les ours ? » chose qu’Earnestine ne pouvait faire, c’était le

L’Origine du Monstre – toucher. Son contact lui rappelait celui d’un chien. »

BD Cul #27, Émilie KIBLIND Magazine → 79 → Poils

- Body, Harry Crews, 1990

Gleason, Les Requins (éd. française Gallimard, 1994, trad. Philippe Rouard)

Marteaux, 2021


Peaches «Talk to Me » Le premier clip sur lequel j'’ai travaillé avec ma propre signature.

INXS « Suicide Blonde » Si un jour je fais une marque commerciale de coloration, mon décolorant s’appellera « suicide blond », car décolorer tes cheveux quand tu n’es pas pro s’apparente à du suicide. Mais j’adore ça.

Les Georges Leningrad « Scissorhands » Les ciseaux sont ma vie, je ne pourrais jamais vivre sans deux choses : mes mains et mes ciseaux.

👀 BbyMutha « Indian Hair » C’est un de mes types de cheveux préférés.

Kap Bambino « Blond Roses » C’est grâce à Kap Bambino et Caroline France Martial que j’en suis là maintenant, ils m’ont tout appris.

Nirvana « Hairspray Queen » Si je n'avais besoin que d’un seul produit, un produit pour pouvoir faire n’importe quelle coiffure, ce serait LA LAQUE !!!! La force totale ! En plus, la chanson est agressive, donc c’est parfait.

TR/ST « Unbleached » Je ne pouvais pas faire une playlist sans le meilleur de tous.

Cardi B « Cheap Ass Weave » Dans l’industrie, il y a beaucoup de « cheap ass weave » et « j'en j’en ai marre ! » CARDI JE TE COMPRENDS.

Shonda « Body Hair » Mes grandes amies Lady Gaga et Peaches m’ont appris tous les jours la beauté des poils du corps.

→ Propos recueillis par : É. Quittet → Graphisme : D. Schmitt

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Fats Domino «Wigs » Les perruques, parce que je pense que tout le monde devrait en avoir une. C’est tellement facile de changer de personnalité avec.

61 — PLAYLIST

La playlist « Poils » de Charlie Le Mindu

La perruque en forme de lèvres dans le clip « Bad Romance » de Lady Gaga, les sculptures capillaires corbeau des danseurs de Mylène Farmer dans « Oui… mais non », la coupe de cheveux réalisée en live dans « Je t’aime encore » de Yelle… Derrière ce palmarès se cache un homme, un seul : Charlie Le Mindu. Faisant rayonner la haute coiffure, ce Français installé à Londres travaille le cheveu comme sa matière première. Vous comprendrez donc sans mal pourquoi nous l’avons sollicité pour cette playlist capillo-centrée.


👀 IMAGIER — 62

IMAGIER Cheveux

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Le cheveu est sournois. Bien planqué sur un coin du crâne où son propriétaire ne peut le surveiller, il s’affiche pourtant sans vergogne. Depuis son abri, il projette aux spectateurs une image que le reste du corps doit bien assumer coûte que coûte. Alors, par le biais de techniques diverses et variées, nous tentons de le maîtriser, de lui faire obéir à l’allure globale que nous voulons affirmer face au monde. Ici prend place le concept de la coupe de cheveux, décret d’obéissance dicté par l’individu sur ce bout de lui-même qu’il sait enclin au désir d’émancipation. Si le cheveu doit parler, alors nous déciderons de sa syntaxe et de son vocabulaire. Ainsi le cheveu devient-il un élément du discours, une forme qui doit définir le fond. Les mille et une variations qu’il prend sur la tête de chacun reflètent la singularité de son porteur. C’est pourquoi nous lui accordons bien plus d’importance qu’à n’importe lequel des autres poils de notre corps. Par lui, c’est nous que nous définissons. Qu’on lui ordonne la neutralité, l’inexistence ou la folie, il se pliera à nos souhaits puisqu’il est un avertissement à ceux qui nous regardent. Mais la mèche est folle et la traduction de nos désirs n’est parfois pas aussi fiable que nous l’aurions voulue. Commence alors une bataille épique qui se réglera à coups de peigne, de doigts et, dans les cas les plus extrêmes, de tondeuse. C’est cette épopée que nous vous racontons dans notre imagier, à l’aide d’illustrations offertes par les plus talentueux dessinateurs dont voici quelques extraits . Qui en sortira gagnant ?


👀 63 — IMAGIER

instagram.com/miyazaki1992

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Miho Miyazaki | Il fait beau aujourd'hui


👀 IMAGIER — 64 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Uli Knörzer | The Future of Black Hair according to Jawara Wauchope instagram.com/uliknoerzer


👀 65 — IMAGIER

instagram.com/bianca_bagnarelli

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Bianca Bagnarelli | Shame


👀 IMAGIER — 66 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Molly Greene | Sutherland instagram.com/mollyagreene


👀 67 — IMAGIER

instagram.com/cellii.bellii

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Celine Raffy | New me


👀 IMAGIER — 68 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Paul Windle | Mother and Child (First Steps)⁣ instagram.com/paulwindle


69 — IMAGIER

Saitemiss | Who

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instagram.com/saitemiss

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👀 IMAGIER — 70 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Erik Mark Sandberg | Girl with Leopard Print Sweater eriksandberg.net



LE POLARIS CORBAS

SCÈNE RÉGIONALE 04 72 51 45 55 • www.lepolaris.org samedi 2 avril

BURNING (JE NE MOURUS PAS ET POURTANT NULLE VIE NE DEMEURA) L’Habeas Corpus Cie cirque augmenté

vendredi 8 avril

LE DERNIER OGRE Cie le Cri de l’Armoire histoires d’ogres

mercredi 27 avril

HIP-HOP, EST-CE BIEN SÉRIEUX ? 6e Dimension

hip-hop générations

vendredi 13 mai

TOUT COMME Cie Virevolt

autrement cirque

mardi 5 juillet

+++ s os exp s forme s e d te peti a s e d iném du c ...

AVANT-PREMIÈRE SAISON 22/23


n i tt e Y l l Le Gu

Print par Maxime Gueugneau

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> Sélection Kiblind

ENCHANTÉ ■ Pour ceux qui avaient déjà eu le plaisir de

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goûter au fruit Joe Kessler, nul besoin de les convaincre. Ils avaient bien senti, dans La Lucarne, les mille et une saveurs que le Britannique infuse dans son travail et ils se jetteront, assurément, sur ce nouveau festin. Pour ceux qui n’ont pas l’honneur de le connaître, sachez donc que nous avons affaire là à une perle de la BD, maître mécanicien dans l’articulation des styles, des traits et des couleurs. Le Gull Yettin vient confirmer tout le bien qu’on pensait de celui qui est également directeur artistique de la maison d’édition Breakdown Press. Il suffira d’une seule double page pour convaincre les mous du regard et désabusés du merveilleux. On y voit une maison brûler dans une cascade de coups de feutres fluo, magistrale explosion de couleurs prenant aux tripes, hypnotique et sensationnel. On y suit aussi un enfant qui s’enfuit de cette maison perdant ses parents, sa chambre, son âme, en même temps que ses proportions et sa figuration. C’est le tournant du Gull Yettin, son manifeste graphique en même temps que le passage en seconde pour embrayer sur la véritable histoire. Car c’est ici qu’intervient le Gull Yettin, sorte d’oiseau livré avec bras et jambes, qui se met alors à veiller sur le rescapé, à l’emmener loin d’ici, loin du désastre. Ange gardien, il le restera, aussi bien pendant l’installation de l’enfant chez sa mère adoptive ou lors de ses pérégrinations dans le vrai monde. Joe Kessler se fait le drôle de conteur de cette sorte de Pinocchio, où on observe un enfant et son tuteur monstrueux déambuler sur le terrain miné de l’enfance. Il y sublime son appréciable manie de mélanger les styles, de les voir s’affronter et d’en assumer les contrastes. Le dessin de Joe Kessler embrasse ainsi tous les contraires, du réalisme à l’abstraction, du trait fin au geste grotesque, du noir et blanc aux couleurs en fusion. Un miracle visuel et une aubaine pour l’histoire qu’il nous raconte, dans laquelle les joies immenses et les peines abyssales dansent la ronde à une vitesse folle mais sans jamais se lâcher la main. → Le Gull Yettin de Joe Kessler, L’Association, 216 pages, 20 € → lassociation.fr


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Aujourd'h

ui

RENTRÉE ■ À l’heure fatidique de 8h30, le parent est obligé

de lâcher la main de son enfant et de le laisser pénétrer dans l’école, terra incognita de la vie en société. Il frémit, à l’idée de sa progéniture attisant loin de lui une haine irrationnelle. Il tremble de le voir s’acoquiner avec les enfants des autres, et pire à ces professeurs-là, ces mutants mi-humains mi-lunettes à écailles qui ne se parlent qu’entre eux et qui auront l’audace de réprimer les humeurs du petiot. « Mais que se passe-t-il vraiment entre les murs de cette machine à éduquer ? » hurle-t-il dans sa tête, alors qu’il voit déjà son bambin béni se faire avaler par le bâtiment républicain. Loïc Froissart a tenu à rassurer tout le monde. Pour sa première BD, lui l’habitué des livres jeunesse, nous raconte heure par heure, minute par minute, les agissements de toute cette petite bande qui fait tourner l’école. Et en fait, ça va. Les enfants sont fous, drôles, étonnants, absurdes, incompréhensibles comme tout enfant se doit de l’être et les adultes essaient de maintenir tout ça à flot sans devenir complètement zinzins. Et vous pouvez faire confiance à Loïc Froissart parce que ce qu’il nous raconte, il l’a vu de ses yeux pour avoir travaillé un an dans une école en 2019. Mais il y a plus, dans Aujourd’hui, qu’un simple résumé des faits : il y a le regard d’un adulte fasciné et le savoirfaire d’un artiste qui brosse en quelques traits la vie vibrionnante de tout ce petit monde. La simplicité du dessin de Loïc Froissart, sa naïveté même, colle parfaitement au sujet du livre en même temps qu’il permet la multiplication de détails. Le bruissement incessant de la cour d’école, les couloirs silencieux et les explosions de voix et de joie trouvent ici une retranscription parfaite. Loïc Froissart parvient en instantanés à nous faire sentir physiquement l’atmosphère de l’école, bien aidé par un usage finaud du phylactère, ici créateur d’ambiance plus que conteur d’histoire. Récit pourtant il y a, qui se construit dans la succession de ces petits zooms. Un récit de l’école d’aujourd’hui, de ses problèmes, de ses victoires, de ses pleurs et de ses bonheurs. Une école qui, malgré ses défauts, reste un des piliers de notre communauté et le quotidien formidable de nos enfants. → Aujourd'hui de Loïc Froissart, L’Articho, 72 pages, 19 € → articho.info

Goliath ALTERNATIF ■ Finalement, on ne sait pas bien qui était Goliath. Si on regarde à froid, c’était avant tout un soldat, embarqué dans une guerre de territoire entre les Philistins et les armées d’Israël. Et un soldat, en pleine guerre, ça ne fait pas autre chose qu’obéir. Alors, si Goliath n’est plus responsable de ses faits et gestes, s’il n’est qu’un rouage de la machine de guerre philistine, peut-être n’était-il pas vraiment consentant à la baston avec David et peut-être aurait-il préféré rester au calme ? Qui sait. Tom Gauld le sait, car il sait tout. Dans Goliath, qui date de 2012 mais dont les éditions 2024 viennent tout juste de sortir la traduction française, l’histoire est racontée du point de vue du vaincu. Goliath y campe un soldat parmi d’autres – voire plutôt moins que d’autres – qui se trouve là parce qu’il n’avait pas trop le choix. Au bruit des armes, il préfère pourtant celui de la paperasse et à la brillance des lances, celle des étoiles. Et il se trouve que l’épisode est tout aussi concevable comme ça. Tom Gauld nous suggère ainsi que nous nous serions trompés de salaud. Que Goliath est victime plutôt que bourreau, victime des décisions lumineuses de rois et conseillers qui ne s’approchent des champs de bataille que pour y récolter les lauriers. Poilu avant l’heure, Goliath se fait donc victime expiatoire de l’absurdité de la guerre. En quelques pages de cette courte histoire longue, la magie de Tom Gauld opère et provoque en nous la franche tendresse envers ce géant mou. Usant à merveille du rythme lent que lui permet le long format, Tom Gauld éteint le spectaculaire habituellement offert par cet épisode et lui rend toute son humanité. Comme à son habitude, le style minimaliste de Tom Gauld colle à la poésie de son propos et renforce cette atmosphère de douce tristesse, nous attachant à un personnage dont on connaît dès le début la fin misérable. Brillant de simplicité et touchant au possible, Goliath vient nous prouver que ça fait dix ans, déjà, que Tom Gauld est un maître de la bande dessinée. → Goliath de Tom Gauld, éditions 2024, 17 €, 96 pages → editions2024.com


👀 BREAK ■ « Encore un qui devient fou », lâche le gardien après avoir entendu Cornélius Dark se marrer tout seul dans sa cellule. Peut-être a-t-il raison, d’ailleurs. On le serait aussi, après dix ans dans une prison qui a l’air tout sauf salubre. Mais, si le doute persiste, l’enjeu des petites histoires de Breccia et Trillo se situe ailleurs. Ce que célèbre le recueil édité par Revival, c’est la liberté, l’expérience, l’aventure artistique. Parus entre 1977 et 1980, Les Mystérieux voyages de Cornélius Dark nous racontent l’histoire d’un prisonnier qui parvient, par les forces de l’esprit, à s’échapper un court instant. Faisant fi du temps et de l’espace, il peut tout aussi bien combattre les Mongols dans la Chine du XIIIe siècle que se faire le messager entre Vincent Van Gogh et une prostituée. Sont-ce des rêves ? Sincèrement, c’est pas sûr. Les sensations sont trop fortes pour Cornélius Dark, la matérialité de ce qui l’entoure est trop réelle. Et puis, à quoi bon savoir s’il parvient réellement à se transmuter dans des lieux et des époques différentes, le principal c’est qu’il s’évade, enfin, de son noir cachot. Réalisées en dehors des habituels carcans éditoriaux par le jeune Carlos Trillo et l’expérimenté Alberto Breccia, ces courtes nouvelles révèlent tout le talent des deux Argentins pour casser les habitudes et partir vers l’ailleurs. Dans un dessin qui glisse du trait réaliste aux grandes surfaces de gris, d’ambiances cotonneuses aux furieuses scènes d’action, Alberto Breccia prend le plaisir qu’il oublie trop souvent sur d’autres séries plus commerciales. Et dans ce grand élan de liberté, la légende de la BD sud-américaine (Mort Cinder, Dracula) embarque le scénariste Carlos Trillo qui lui offre l’écrin voulu. Partant de la plus sèche des situations, celle de l’incarcération, il offre au dessinateur des décors et époques fastes dans lesquels Breccia peut s’étaler comme il le souhaite. Et quand Breccia peut respirer un peu, c’est redoutable. → Les Mystérieux voyages de Cornélius Dark de Carlos Trillo et Alberto Breccia, 96 pages, 20 € → editionsrevival.fr

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PROMENADE ■ César se réveille dans un appartement peu rangé, avec un fiston qui se bourrine aux jeux vidéo et un bras qui ne veut plus fonctionner. Pire, il y a un chien dans l’appart et il est même pas à lui. Ainsi commence – sans compter un prologue spécial marketing de la virilité – Hound Dog, deuxième bande dessinée de Nicolas Pegon, deux ans à peine après un excellent démarrage aux éditions Réalistes avec Les Os creux, la tête pleine. Il s’est cette fois attaqué au genre pas facile-facile de la BD noire, et figurez-vous qu’il s’en est tiré plus que correctement. On parle de BD noire, car oui, il y a un mort (au moins) dans cette histoire et que l’ambiance ne se prête pas franchement aux lendemains qui chantent. César, accompagné de son voisin et collègue de loose Alexandre, entreprend de rendre le chien squatteur à qui de droit. Manque de bol, son propriétaire a brûlé dans l’incendie plutôt suspect de sa maison. Mais mince, à la fin, qu’est-ce qu’ils vont en foutre de ce chien ! Nicolas Pegon prend alors un plaisir fou à suivre les deux zigs perdus au beau milieu d’une affaire qui les dépasse et dans une Amérique de trous perdus. Et il faut avouer qu’on marche avec lui. Ce pays de motels et de stations-service bancales, ce pays où Elvis est un Dieu, ce pays où la grande majorité survit tant bien que mal pendant qu’une minorité se fout de sa gueule convient parfaitement à la patte de Nicolas Pegon, faite de plans cinématographiques et d’un regard désabusé. En projetant son récit dans ce qui ressemble à un futur proche, il nous fait le portrait d’un monde occidental en délitement, plongé dans une apocalypse lente et pénible, bien loin des films catastrophes. Et laissez-moi vous dire que ce sera dur et peu glorieux. → Hound Dog de Nicolas Pegon, Denoël Graphic, 200 pages, 24,90 €, disponible le 14 avril → denoel.fr

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Hound Dog

Les mystérieux voyages de Cornélius Dark


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a z i L & r a Pet ATTACHE ■ Une chose est sûre, il faudra y retourner.

Petar & Liza est ce genre d’œuvre dense, profonde, riche à crever qui goûte fort le reviens-y. Le troisième livre du Croate Miroslav Sekulic-Struja comporte 172 planches qui toutes mériteraient une bonne soirée de décorticage, le temps de laisser la lampe frontale marquer de son empreinte votre front pendant que vous vous échinez à reluquer tous les détails, tous les personnages et le moindre élément du décor. L’hypnose ne sera pas longue à prendre, quelques pages suffisant largement à ébaubir même le spectateur le plus blasé. Mais au-delà de l’époustouflante beauté des gouaches, qui empruntent autant au douanier Rousseau qu’à Magritte, il y a aussi le maniement habile de la langue et le souffle continu de la narration. Ainsi le conteur croate emboîtet-il le pas, des années durant, à son héros Petar, poète bohème et sensiblement dépressif, bien que ça dépende des moments. Car une grande part du livre nous le montre heureux, grâce à la présence de Liza, une jeune femme aimant la danse et les films-catastrophe. À eux deux, ils vont tenter de conjurer l’esprit du temps dans ce pays des Balkans miné par la guerre, le chômage et le coût de la vie. On ne sait pas exactement où on est, ni en quelle année, mais on voit plus ou moins. L’amour contre la pauvreté, les bouillabaisses mentales et les conjonctures socio-politiques, voilà ce que nous présente Miroslav Sekulic-Struja sur la carte de son menu. Et pour cela, il emprunte les voies de la poésie, du mot soigneusement pesé et du phylactère opportun. Si le peintre Sekulic-Struja manie avec minutie l’art opaque de la gouache, faisant de chaque case un véritable tableau, le poète Miroslav ne s’en laisse pas conter avec une langue tour à tour pragmatique et onirique, décrivant au plus près la réalité complexe et fugitive d’un homme fragile dans un pays en déroute. Petar & Liza est ainsi l’œuvre d’un artiste multitâche, poète, romancier, dessinateur et peintre. Il faudra donc y retourner dans cette œuvre complète, climax (pour l’instant) d’un maître chimiste dans l’art de faire se combiner textes et dessins. Y retourner, refaire le tour du propriétaire et admirer aussi bien la vue que l’agencement des meubles, et demander les clefs parce qu’on va rester un peu. → Petar & Liza de Miroslav Sekulic-Struja, Actes Sud BD, 176 pages, 28 € → actes-sud.fr Parfois, ça fait comme si ce n’était pas nous...

... je veux dire, comme si on n’avait pas le choix. Certains lieux, certains décors...

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ri o y i h s o t O trésors japonais VERMEIL ■ Comme nombre de nos concitoyens,

Isabelle Boinot s’est prise d’amour pour le Japon. Mais pas beaucoup, comme elle, se sont attachés à en aimer la vieillesse. Et si on peut avoir un but dans la vie, c’est de trouver quelqu’un qui nous regarde comme Isabelle Boinot regarde les seniors japonais. Dans ce qui ressemble moins à une BD qu’à un carnet de voyage du genre monomaniaque, l’autrice balaie les aspects de cette vieillesse qui la font craquer. Ainsi, elle nous emmène longuement dans les Kissaten qui font leur quotidien : des salons de thé où ils fument des clopes et papotent ou lisent des journaux. Là, elle a le temps de les observer, de les sentir et d’échanger avec les tenanciers, représentants parfaits de cette génération que le reste du Japon oublie. De ces gargotes désuètes, elle saute à leurs habitudes alimentaires, leurs vêtements, leurs loisirs, leurs métiers et, finalement, leur place dans la société. Ce portrait touchant et sensible d’une classe d’âge libérée des impératifs de la société, mais aussi condamnée par elle au travail éternel et au silence, révèle la distorsion du temps dans un Japon qui est à la fois futuriste et vieillissant. Pourtant, vous ne verrez que très peu de leçons de morale ou de misérabilisme dans les observations écrites et dessinées d’Isabelle Boinot. Otoshiyori est avant tout un mouvement du cœur, un livre blanc dans lequel l’autrice a consigné ses ressentis, ses crushs, ses espoirs et ses inquiétudes. Ses dessins, grimés comme des croquis, sont comme des polaroïds et les textes qui y sont attachés sont les descriptions de ces moments uniques. Pour nous elle a voyagé sur ces drôles de terres, bien peu arpentées par les guides habituels. Normal, Isabelle Boinot est une exploratrice, et comme toute bonne exploratrice, elle découvre l’inconnu. Et elle le fait sacrément bien. En vitrine, le programme des réjouissances : �hotto-keki � et autres �mikkusu-sando� promettent un petit déjeuner → Otoshiyori, trésors japonais au poil, dans les volutes de fumée de cigarettes, souvenirs d’une époque révolue pour nous autres Français. d’Isabelle Boinot, L’Association, 176 pages, 22 € → lassociation.fr

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Saison 2021-2022 avril - juin

©Fräneck

TNG-VAISE ET ATELIERS-PRESQU’ÎLE

AVRIL

Faillir être flingué

15+

Guillaume Bailliart avec Théodore Oliver Groupe Fantômas, MégaSuperThéâtre 7+

Les jambes à son cou Jean-Baptiste André Association W

MAI

Le Petit Théâtre du Bout du Monde Opus II 14+ Ézéquiel Garcia-Romeu Théâtre de la Massue 10+

Normalito

Lyon Part-Dieu

42, boulevard Eugène Deruelle

Qui n’a jamais rêvé d’une seconde vie ?

1ère exposition artistique d'économie circulaire

Du 2 au 30 avril 2022

Pauline Sales - Compagnie À L’Envi

JUIN

AEVUM

15+

Clément-Marie Mathieu L.I.E - Laboratoire de l’Inquiétante Étrangeté

Abys2Fly • Adventis • Axelle Fernandez Bleg • Gib la Manufacture • Gol3m • MelleA Myet • Nkl • Osru • Polka • Remy Badout Shab • Sly • Tomalater • Tony Noël

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Anna

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GRANDE ■ De tout en haut nous regardons ce village

propret, avec ses petites maisons, sa petite église, ses petites gens. Et puis nous le voyons s’activer, se remuer, s’ébouillanter à la naissance de Anna 1, première de la lignée des trois Anna qui ont toute la même particularité : elles sont grandes. Et apparemment, c’est chaud pour la communauté. De regards soupçonneux en hostilité franche, les voisins sont plus que perturbés par la différence de taille. Et c’est trois générations de jeunes filles qui vont devoir se coltiner ce qu’elles considèrent elles-mêmes bientôt comme une tare. Car le regard des autres a ceci de pernicieux qu’il trouble la perception que l’on a de la personne dans le miroir. La jeune Hambourgeoise Mia Öberlander signe avec cette perturbante histoire familiale une première BD qui vous met deux jabs bien forts dans le plexus. Le premier, immédiat, vient vous prendre dès la couverture. Avec un univers graphique à mi-chemin entre le suranné et le moderne, entre le soigné et le candide, l’autrice fait un net pas de côté par rapport à ses collègues. On n’ira pas s’en plaindre, nous qui profiterons de la puissance visuelle de ses dessins et qui ne rechignerons pas à goûter la cohérence du style avec le propos, puisque Mia aime jouer de l’étirement de ses lignes et des différences d’échelles. Le deuxième K.O. vient à la lecture de cette histoire qui part de l’anodin (une enfant plutôt grande) pour en venir à des sujets plus grands que ce petit village montagnard. Le regard des autres, le regard sur soi, l’acceptation de la différence, l’émancipation des femmes et les rapports intergénérationnels sont autant de thèmes abordés par Anna, avec la finesse des sages et la fougue des jeunes premières. Un commencement est un moment d’une délicatesse extrême, dit le sage ; pourtant avec Anna, Mia Öberlander entre dans le monde de la BD tambour battant. → Anna de Mia Öberlander, Atrabile, 224 pages, 22 € → atrabile.org


jeu vidéo

animati

o 3D D B n illustratio

n

L’ÉCO LE DES M ÉTIER S DU D ESSIN

> enseignement supérieur - Des parcours en 3 ou 5 ans pour se spécialiser en édition multimédia, cinéma d’animation, jeu vidéo et dessin 3D, à Lyon - Un parcours en 2 ans pour devenir storyboarder ou layout artist, à Angoulême - Une Prépa Dessin pour acquérir les fondamentaux - En fin d’études, les étudiants accèdent à un job dating réunissant 60 entreprises de l’image

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> journée portes ouvertes 2022 - à Lyon : mercredi 8 juin Reportez-vous à notre site pour toutes les dates de rencontres : www.cohl.fr

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LE

IN CO

DES KIDZ

histoire le a b a k ï it r La la vé ière m de la pre ute cosmona

Nous aussi, on peut inventer des faits alternatifs. Chez nous, ça ressemblera à des utopies, des uchronies, des mondes meilleurs. Camille Louzon le sait et le fait en prolongeant la vie de la chienne Laïka, premier être vivant envoyé dans l’espace. Cette fois, la fusée n’est pas un tombeau mais plutôt le véhicule vers des cieux plus cléments. Ciao les hommes. Elle rencontre alors sur son chemin de nouveaux amis et réinvente avec eux une société plus belle, plus solidaire, loin de ces terriens fous. En plus de cette histoire folle et très toutou-compatible, Laïka nous permet de renouveler notre amour pour les splendides peintures de Camille Louzon qui gagnent encore ici en souffle et en charme. → Laïka, la véritable histoire de la première cosmonaute de Camille Louzon, éditions Magnani, 80 pages, 22,90 € → editions-magnani.com

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es g a m i s e L libres La décennie 1960 vit débarquer sur les terres mornes de la littérature jeunesse une bande de jeunots assoiffés de liberté. Ils avaient pour noms Nicole Caveloux, Étienne Delessert, Harlin Quist ou encore François RuyVidal. Dessinateurs, graphistes, éditeurs et auteurs, ils fignolèrent un plan imparable : prendre les enfants au sérieux. Durant deux décennies, ces gens-là mirent un point d’honneur à faire jaillir les couleurs et les mots, à offrir à la jeunesse les livres qu’elle méritait et à débroussailler l’horizon pour les futurs artistes d’un champ aujourd’hui formidablement riche. À force d’érudition et d’images d’alors, Loïc Boyer nous conte cette formidable histoire qui changea la littérature à jamais. → Les Images libres, dessiner pour les enfants de 1966 à 1986 de Loïc Boyer, éditions MéMo, 224 pages, 35 € → editions-memo.fr

Opération Bye-Bye Béton Camomille est une petite fille qui a le redoutable avantage d’avoir des plantes sauvages en guise de parents. Ce qui lui donne une certaine appétence pour la végétation. Aussi quand elle doit rentrer à l’école, la voilà qui étouffe sous la grisaille bétonnière. Elle s’en va convaincre son monde de reverdir tout ça. Cette petite histoire écologiste – ça fait pas de mal – a l’idée exquise de rassembler les punchlines de la green guerillera Ophélie Damblé et les mignonneries pop de l’illustratrice Roca Balboa qui signe là son premier format long. Un album pour rigoler et changer le monde, on veut quoi d’autre ? → Opération Bye-Bye Béton de Roca Balboa et Ophélie Damblé, La Ville Brûle, 48 pages, 15 € → lavillebrule.com

Un Lisou Avec le pied, c’est un pisou. Avec la fesse, c’est un fissou. Vous avez capté ? Attendez voir, on va illustrer ça, ça ira mieux. Tiens, voilà Guillaume Chauchat, il illustrera ça comme un chef. Tons directs, travail du trait, gros gros plans sur les zones mentionnées (pied, fesse), jeux avec les pages se faisant face, orgies de motifs, tout y est et tout y est bien. Les éditions Biscoto rangent l’affaire dans un petit livre aussi mignon qu’intelligemment fait. La typographie sublime de Keussel est maniée avec une grande liberté, soulignant les formes et réaffirmant le concept. C’est bon, là, vous avez compris ? Exactement, si un bisou c’est avec la bouche, un lisou, c’est ce genre de livre. → Un Lisou – de Guillaume Chauchat, Anne Vaudrey et Manuel Zenner, éditions Biscoto 36 pages, 10 € → biscotojournal.com


lieu infini d’art, de culture et d’innovation direction José-Manuel Gonçalvès

exposition | vidéo du 02 avril au 29 mai 2022

Clément Cogitore, Élégies, 2013, Vidéo HDCAM, couleur, 6 min Courtesy de l’artiste, Chantal Crousel Consulting et Galerie Reinhard Hauff

Clément Cogitore Project Room

104.fr


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Les lieux vides de Geoffroy y c é r C e d

Geoffroy de Crécy n’est ni un prophète ni un charlatan. C’est un réalisateur qui s’est retrouvé dans une boucle temporelle parfaite : début mars 2020, il termine Empty Places, un court-métrage d’animation dans lequel les Humains semblent avoir disparu ; quelques jours plus tard, le confinement entre en vigueur, nous contraignant à abandonner tous nos lieux de vie publics. Une coïncidence qui aura certainement donné à son film une dimension contextuellement historique.

Geoffroy de Crécy n’a pas fait d’école d’art, mais des études d’Histoire Contemporaine et de Science Politique. Certes, il a toujours dessiné, depuis l’enfance, au sein d’une famille où le dessin se vit comme un héritage ; mais c’est davantage en autodidacte qu’il a forgé sa propre expérience, son écriture. C’est pourquoi, à mi-parcours universitaire, il s’est finalement orienté seul vers le métier d’illustrateur. Sur sa route, le hasard a posé une petite annonce pour un job de graphiste dans une jeune boîte qui commençait à grimper au début des années 90 : Ubisoft. À l’époque, ils recrutaient surtout des autodidactes pour créer les décors de jeux. Mais cette industrie allait connaître une petite révolution : le passage à la 3D. Tout le monde se mit alors à fond sur 3D Max, le logiciel de référence pour la modélisation et l’animation. Et c’est comme ça que Geoffroy de Crécy se retrouva maître dans l’exercice, et commença à bosser sur des décors de niveaux de jeu, comme celui de Rayman 2, par exemple. En 2000, changement de support, mais pas de technique. Son frère Étienne, nouveau héraut de la scène french touch, lui propose de faire un clip pour son album Tempovision. Totalement libre, il se met à l’animation et passe une année sur le film. Un an plus tard, Am I wrong remporte la Victoire de la Musique du meilleur vidéo-clip. Pas mal pour un premier film… Et surtout, un bon coup de projecteur sur son travail. Une grande période d’animation s’ouvre alors, durant laquelle il réalise d’autres clips, des pubs, des films de commandes, toujours en modélisation 3D. Si bien qu’il commence à se lasser un peu : « Au bout d’un moment j’ai eu envie de revenir à l’image fixe, à un travail plus illustratif. Mais en continuant à utiliser l’outil 3D. »


👀 → Plus d’images fixes et animées de Geoffroy de Crécy sur kiblind.com → Extraits de Empty Places - Produit par Nicolas Schmerkin / Autour de Minuit, 2020

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Les thèmes qu’il aborde en illustration sont souvent architecturaux, liés à l’espace, avec des objets, des machines. Et sans jamais d’humains. Des lieux vides de personnages. Peut-être une déformation due à son passé dans les décors de jeux-vidéo ? D’autant plus que ses illustrations, il aime paradoxalement les voir bouger. « Je suis entré dans l’illustration par le jeu-vidéo, par l’image qui bouge. J’aime le mouvement, la répétition dans l’image, et sans que celle-ci soit conditionnée par un avant ou un après, par une narration globale. Juste une boucle visuelle, qui se suffit à elle-même et se répète. » Et ce qui boucle le mieux, c’est-à-dire qui se répète mécaniquement, infatigablement, sur une séquence courte, ce sont les machines. Des machines très basiques, sans IA, sans volonté, qui n’apprennent pas, qui ne progressent pas, qui ne font que reproduire le même mouvement sans le moindre changement de trajectoire, de force, de poids, de rythme, sans jamais aucune interruption, sans interaction, sans sensitivité. Empty Places est le fruit de ces boucles visuelles indépendantes, rassemblées dans une grande boucle, sans commencement ni fin. Rien que des machines, dans leur environnement dessiné par les humains, destinées à les assister, mais sans personne pour les utiliser. Et elles, elles continuent leur mouvement solitaire, mécanique, en boucle. C’est troublant. Où sont passé les humains ? Ont-ils fui ? Se sont-ils évaporés ? Peu importe finalement de connaître la réponse. Car ce qui reste ici, c’est la poésie étrange qui naît de la régularité cinétique, cette imperturbable harmonie sans explication scénaristique, seulement soutenue par la Sonate au Clair de Lune de Beethoven, et qui apporte à ce ballet d’automates l’expression sentimentale de la mélancolie. Comme si la vie qui semble avoir quitté l’espace était conservée dans ces objets faussement animés ; comme si l’émotion pouvait naître à travers ces choses qui en sont absolument dépourvues. Récompensé dans une dizaine de Festival internationaux, nommé pour le César 2022 du Meilleur Court-Métrage d’Animation, Empty Places a déjà fait plusieurs fois le tour du monde malgré cette temporalité bizarre. Et c’est tant mieux : parce qu’il s’en dégage une telle émotion, qu’il aurait été bien dommage que l’Humanité passe à côté.

83 — SÉLECTION ANIMATION

Textes : J. Tourette


👀 SÉLECTION ANIMATION — 84

CLIP

P A CL

Quand le clip vient sublimer une musique qui est déjà de toute beauté, alors là, l’extase est maximale. Chaque mois sur notre site kiblind.com, nous célébrons le clip musical animé. Qu’il soit en 2D, en 3D, en stop motion, ou encore dessiné à la mano, le clip illustré est partout et il a fière allure. On vous présente ici deux clips illustrés récents qui nous ont coupé la chique. Et pour en parler, qui de mieux que les personnes qui les ont illustrés et animés ?

ANNE PACÉO RESTE UN OISEAU ILLUSTRATION/ANIMATION :

JULIETTE BONVALLET

Une jeune fille traverse des fresques pour apprendre à ressentir le passé. Au fur et à mesure de son éveil sensitif, les peintures s’éveillent aussi, puis elle finit par pénétrer dans leur monde.

Léo Suchel, Hugo Blanc et moi. Une fois le storyboard fini, je le leur ai donné et on s’est partagé les plans à animer. En général, chacun exprime ses préférences de plan (car c’est important de faire un plan qui te plaît), et on s’est organisés en conséquence. Il n’y avait pas de rôle attitré par étape : rough (animation de base), clean (peaufinage du dessin), colo… chaque animateur était à charge de son plan du début à la fin, je devais juste valider entre les étapes. Puis j’ai eu les aides précieuses de Léo Sibertin-Blanc pour les animations de décor (vent dans le paysage et lumières dans la grotte qui défilent), de Noémie Cathala qui a intervallé (ajouté des images dans les animations pour fluidifier le mouvement) sur un plan, et Lucas Ansart qui a colorisé un plan sur la fin.

→ La réalisation

→ Les inspirations

Du début de la conception jusqu’au clip fini, 6 mois de travail intense se sont déroulés. Il y a eu toutes les recherches de décors, de design du personnage et du bestiaire. Il y a dans le clip 11 décors dont 2 grandes frises ; 4 personnages dont un qui se transforme ; et 8 espèces d’animaux différentes. Cette étape de préproduction m’a pris 2 mois et a abouti au storyboard qui découpe chaque plan et précise chaque action. Ensuite la production du clip, c’est-à-dire l’animation de tous les plans, a duré 3 mois et demi. Puis j’ai consacré 2 semaines à la post-production qui consiste à corriger les coquilles, faire le générique de fin et les titrages, finir le montage et étalonner (corriger les couleurs). Pour l’animation en elle-même, le clip est animé à 12 images par seconde sur environ 3 minutes donc on atteint assez vite un nombre astronomique d’images !

Dès le départ, on a échangé sur l’idée de grottes préhistoriques avec Anne (Paceo), notamment Lascaux, puis j’ai effectué des recherches de mon côté. Je me suis rappelé la Vallée des Merveilles, située dans le parc Mercantour, dans les Alpes du Sud. C’est une vallée parsemée de gravures, tracées par des bergers. La gravure la plus en altitude fait face au pic qui surplombe la vallée : c’est une figure assez connue dans la région, on l’appelle « le Sorcier ». Ce devait être un lieu avec des intempéries impressionnantes, et les bergers ont inscrit ce Sorcier au plus haut, face à la foudre. Quand on le voit, on s’imagine les tempêtes qui l’ont inspiré et les bergers qui les redoutaient. Cette gravure est inscrite sur un plateau de roches lissées par le temps, c’est un paysage qui m’a beaucoup inspirée pour les décors du clip. Ces fresques et ces gravures, c’est un peu un eye contact avec le passé. Elles dégagent le témoignage d’un ancien temps et c’est une imagerie qui provoque l’imagination.

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

→ L'histoire

Au total on était sept à travailler dessus. Mais un noyau de quatre personnes a géré le plus gros du travail d’animation : Gaby Jimenez,


👀 85 — SÉLECTION ANIMATION

JANE JANE PALATINE ILLUSTRATION/ANIMATION: VINCENT EHRHART DEVAY

→ L'histoire Calamity Jane devient la façade qui cache le vrai sujet de la chanson, l’appropriation du symbole qu’est devenue la figure de Jeanne d’Arc par l’extrême droite.

→ La réalisation Je réalise les clips de Palatine (groupe dont je fais également partie) seul et je favorise ce que j’appelle des « illustrations animées », avec une animation très limitée, ce qui me permet de produire ces clips en un temps raisonnable. C’est un changement d’avis et la reprise de toute la fin du clip qui ont rendu la production plus longue que d’habitude. La fin était initialement plus douce et plus contemplative mais j’ai finalement décidé au final qu’elle gagnerait à être plus sombre et évoquer clairement la violence à laquelle le titre fait allusion. À noter que pour finir à temps, j’ai reçu l’aide de mon camarade Antoine Birot, animateur et background artist pour la conception de certains décors.

→ Les inspirations Les sujets et thèmes des chansons me viennent souvent par hasard mais lorsque le nom Jane s’est invité dans celle-ci, j’ai trouvé le personnage de Jane Cannary, ou en tout cas l’idée qu’on s’en fait, intéressant à exploiter poétiquement. Son histoire est celle d’une personne qui a refusé les limites d’une existence imposée par la société dans laquelle elle évoluait. Son refus d’obéir aux règles régissant la vie des femmes au XIXe siècle et la trajectoire qu’elle s’est elle-même forgée, non sans sacrifices, méritent qu’on s’y intéresse et c’est donc naturellement que j’ai laissé glisser l’histoire vers Jeanne d’Arc, afin de mettre en miroir les images oniriques de ces deux femmes fortes.

Pour vivre la lecture de ce papier de façon optimale, allez donc voir notre sélection mensuelle des clips animés de février sur kiblind.com. Avec le son et l’image, c’est plus sympa quand même.

Propos recueillis par : É. Quittet

KIBLIND Magazine → 79 → Poils

Le comic book m’a paru tout indiqué pour accompagner graphiquement la figure éminemment américaine de Calamity Jane. Elle y a d’ailleurs été souvent représentée. Je suis allé glaner des références indiscriminées de comics des années soixante-dix et quatre-vingt.


👀 SQUARE — 86 KIBLIND Magazine → 79 → Poils

SQUARE² SQUARE² est une nouvelle BD originale publiée chaque dimanche sur le compte Instagram de KIBLIND. Le principe : chaque semaine pendant un mois, un artiste que nous avons choisi dessine un strip qui doit respecter les règles graphiques suivantes : un carré central / 4 côtés / 4 cases / 4 couleurs. Ici, une variation autour du carré rouge proposée par Cristina Daura.

SQUARE² • Chapitre 10 - Partie 2/4 Cristina Daura À suivre sur : instagram.com/kiblind_magazine


Des expositions mêlant œuvres de la collection et artistes internationaux, avec une attention particulière pour le tout jeune public.

Mary Sibande 11.02-10.07.2022 Thameur Mejri Little odyssée Crossover : D. Posth-Kohler × B. Nauman Une histoire de famille, Collection(s) Robelin (à partir du 20.04) Détails de : Mary Sibande, The Locus, 2019. Thameur Mejri, The Walking Target, 2020. Ange Leccia, Arrangement, 1991 © Adagp, Paris, 2022. Annette Messager, Gants-tête, 1999. Droits réservés © Adagp, Paris, 2022

www.mac-lyon.com


HERBIE HANCOCK / GEORGE BENSON / MC SOLAAR / GREGORY PORTER ANGÉLIQUE KIDJO / JAMIE CULLUM / MICHAEL KIWANUKA / YANN TIERSEN MARC REBILLET / BLACK PUMAS / MACEO PARKER / FLAVIA COELHO MARCEL KHALIFÉ & BACHAR MAR-KHALIFÉ / CORY WONG / ROBERT GLASPER DHAFER YOUSSEF / NUBYA GARCIA / DIRTY DOZEN BRASS BAND / LOUIS COLE GENERAL ELEKTRIKS / PORTICO QUARTET / ALFA MIST... PROGRAMME COMPLET SUR JAZZAVIENNE.COM



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