Kiblind 83 - Vertige

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M agazine Numéro Vertige
KIBLIND

LE PRINTEMPS DU DESSIN CÉLÈBRE LE DESSIN

CONTEMPORAIN PARTOUT EN FRANCE !

@printempsdudessin printempsdudessin.com info@printempsdudessin.com
E
S
JUIN Direction artistique : KIBLIND Agence
L E PRI N TEMP S DU D
SSIN DU20 MAR
AU 21

L’ÉCOLE DES MÉTIERS DU DESSIN

Enseignement supérieur

> Prépa Dessin / LYON & ANGOULÊME

Formation en 1 an

> Dessinateur Praticien / LYON

Formation en 3 ans / Diplôme visé de niveau 6

> Dessinateur 3D / LYON

Formation en 3 ans / Diplôme visé de niveau 6

> Spécialisation en édition multimédia, cinéma d’animation ou jeu vidéo / LYON

Formations en 2 ans après bac+3 / 1 titre RNCP et 2 certificats d’école de niveau 7

> Storyboard & Layout / ANGOULÊME

Formation en 2 ans / Certificat d’école

Formation continue

Pour développer ses compétences en storyboard, illustration traditionnelle et numérique, narration et mise en scène de personnages, création de décors, mise en couleur pour la BD.

Organisme de formation référencé

Ecole membre

Tom Bravi,
de 5 e
étudiant
année cinéma d’animation
jeu vidéo illustration BD cohl.fr
3D animation

KIBLIND Store

Illustrations à emporter

CENTQUATRE PARIS

Pour une nouvelle saison illustrée, retrouvez la sélection de livres et posters de nos artistes préférés sur kiblind-store.com

Vous pouvez aussi nous croiser dans notre boutique parisienne au Centquatre 5 rue Curial - Paris 19e -

Horaires :

Du mardi au vendredi : 12h > 19h

Les week-ends : 11h > 19h

KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Directeur de la publication : Jérémie Martinez / Direction Kiblind : Jérémie Martinez - Jean Tourette - Gabriel Viry

Comité de rédaction : Maxime Gueugneau - Elora Quittet - Jérémie Martinez - Jean Tourette

Team Kiblind : Guillaume Bonneau - Agathe Bruguière - Romane Chevallier - Magda Chmielowska

Léa Coisssard - Léa Guiraud - Margot d’Hérouville - Guillaume Huby - Mélodie Labbé - Romane Lechleiter

Lara Mottin - Alanis Olivier - Solène Pauly - Guillaume Petit - Charlotte Roux - Morgane Samson - Léa Santoro

Déborah Schmitt - Éva Spalinger - Sara Thion - Olivier Trias - Marlène Zablocki

Réviseur : Raphaël Lagier

Direction artistique : Kiblind Agence

Imprimeur : Musumeci S.p.A. / www.musumecispa.it

Papier : Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fedrigoni / Couverture : Symbol Freelife E/E49 Country 250g

Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g, Arena natural Bulk 90g et Symbol Freelife Gloss 200g

Typographies : Kiblind Magazine (Benoît Bodhuin) et Lector (Gert Wunderlich)

Édité par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon

27 rue Bouteille - 69001 Lyon / 69 rue Armand Carrel - 75019 Paris - 04 78 27 69 82

Le magazine est diffusé en France et en Belgique. www.kiblind.com / www.kiblind-atelier.com

ISSN : 1628-4146

Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. Merci à Matthieu Sandjivy. THX CBS. Contact : magazine@kiblind.com

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ÉDITO — 8 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

NORAH JONES

JOE BONAMASSA

MELODY GARDOT

PAT METHENY

SELAH SUE

MARCUS MILLER

MEUTE

DEE DEE BRIDGEWATER

SNARKY PUPPY

LOYLE CARNER

JACOB COLLIER

ELECTRO DELUXE

JACOB BANKS

GRUPO COMPAY

SEGUNDO

INCOGNITO

GORAN BREGOVIĆ

LEE FIELDS

OXMO PUCCINO & YARON HERMAN

SAMPA THE GREAT FAADA FREDDY CIMAFUNK

DOMi & JD BECK… Programme

complet sur jazzavienne.com Licence L-R-19-899
SOMMAIRE — 10 08 10 12 21 28 32 38 47 48 54 58 60 61 62 73 86 Édito / Ours Sommaire In the mood Intro Vertige Invitation Romain Bourceau En couverture Óscar Raña Créations originales Citations Dossier Perspectives cavalières Invitation Pierre Maugein La bibliothèque idéale des Others Citations Playlist Vertige Molécule Takanari Takazi Sélection Kiblind Square2 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige ��
THEATRE13.COM Design  →  Marc Armand

IN THE M��D

Vous croiserez dans cette entrée quelques objets rencontrés par bonheur ces derniers mois lors de nos pérégrinations visuelles.

Et pourrez apprécier, au détour du chemin, le va-et-vient de souris bien agitées, joliment dessinées par l’illustratrice polonaise

�� IN THE MOOD — 12 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Magda Chmielowska.

FANZINE ■ Jérémiades De Margaux Bigou margauxbigou.com

■ VINYLE (LP)

AllofThisWillEndde Indigo de Souza (Saddle Creek Records)

→ Artwork par Kimberly Oberhammer @kimoberhammer indigodesouza.bandcamp.com saddlecreek.bandcamp.com

AFFICHE ■ Atelier “1 historia / 2 imágenes” Par Begoña García-Alén pour GRAF comic @begonagarciaalen grafcomic.com

VINYLE (LP) ■ Pray4Tomorrowde Dumb (Mint Records)

→ Artwork par Bráulio Amado badbadbadbad.com dumbband.bandcamp.com mintrecs.com

AFFICHE ■ Kaboom Animation Festival

→ Illustration par Leyla Ali

→ Design graphique par Lynn Gommans byleylaali.com lynngommans.nl kaboomfestival.nl

■ PORTE-CLÉ Banana Split Par Kristina Micotti kristinamicotti.com

IN THE MOOD — 13 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

selbyhi.com

Développer une passion pour les chats n’est pas la chose la plus originale du monde, certes. Mais en tisser la silhouette autour d’éléments de mobilier l’est beaucoup plus. On se devait de demander à Selby H.I comment cette obsession était née.

Salut Selby. Tu réalises des meubles tissés essentiellement en forme de chat. D’où vient cette passion pour les félins ? Bonjour ! Ma pratique s’articule essentiellement autour de la maison et de l’espace domestique. J’ai toujours été très intéressée par le mobilier et par les sensations que les différents types de meubles peuvent nous procurer. Les chaises-chats me sont apparues pendant les différents confinements, lorsque je regardais mon chat choisir son siège chaque jour et y dormir sans bouger avant l’heure du dîner. Au-delà du fait d’être simplement obsédée par les chats, je pense qu’ils vont de pair avec l’idée qu’on se fait de la maison. Je me suis donc dit que c’était amusant d’allier ces deux éléments : l’animal et le mobilier.

Comment t’est venue l’idée d’utiliser des assises existantes et de les envelopper de laine pour créer des objets illustrés ? Pour revenir à mon intérêt pour les espaces intérieurs, c’est parce que dans ma pratique créative, je m’intéresse aussi au banal. Je ressens une vraie connexion avec les objets, j’ai l’impression qu’ils sont vivants et anthropomorphes, ce qui fait que je peux parfois me sentir désolée pour eux lorsque je ne les utilise pas ou quand je les casse. Quand j’ai eu l’idée de la chaise-chat, en rentrant chez moi plus tard dans la journée, j’ai vu une chaise dans la rue et c’était comme une évidence. Alors je l’ai nettoyée, je l’ai améliorée et je l’ai transformée en chaise-chat. Je me suis dit que ça serait plus sympa comme ça.

Peux-tu nous expliquer ton processus de création entre la chaise brute et le produit fini ?

Je fais beaucoup d’écriture et de dessin. J’aime marcher, penser et regarder les choses, j’ai commencé à intégrer cela dans ma pratique. Mais je commence essentiellement par des écrits, ils ont tendance à être basés sur ma propre vie, puis se transforment en une histoire fantastique avec une réalité étrange, à partir de laquelle je vais dessiner et colorier, puis je vais traduire cela en laine et créer la pièce. Les titres de mes œuvres sont des parties de mes écrits. Avec les chaises, j’aime avoir un peu plus de plaisir et de liberté créative, certaines portent le nom de mes amis, d’autres portent le nom d’histoires ou de comptines.

As-tu eu une formation plutôt orientée vers le textile/l’artisanat ou vers l’illustration ?

Ma mère était une artiste textile, le tissu a donc toujours occupé une place importante dans ma vie. J’ai étudié les beaux-arts au Central Saint Martins College of Art and Design à Londres. Je savais qu’un cours de beaux-arts me serait plus adapté et serait moins contraignant que le reste. Comme vous l’avez mentionné, j’aime beaucoup expérimenter, j’avais donc besoin de quelque chose qui me permettrait de répondre à tous mes désirs.

Céramique, tissage, illustration...

Tu sembles aimer créer sur de nombreux supports. Quel objet rêverais-tu de réaliser ? Pour le moment, je travaille toujours sur des thèmes liés à la maison ; mais je m’éloigne davantage des espaces communs comme les salles à manger, et je me déplace vers des endroits plus sensibles comme la chambre. J’aime l’idée que les couvertures, les couettes et les lits soient un espace sûr au sein de nos maisons. Je pense que nous sommes davantage nous-mêmes dans nos chambres, c’est presque une maison dans une maison, il y a une ambiance différente. Je travaille donc avec ces idées en ce moment. Je suis également intéressée par les fenêtres.

�� IN THE MOOD — 14 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
■ MOBILIER
TISSÉ
SELBY H.I
↑ Troy's blue eyeshadow, 2022 Laine sur toile de jute sur chaise en métal ↑ The Ginger Kitty Wants Me To Sit On His Knee, 2021 Laine sur toile de jute sur chaise en plastique ↑ Squeeze in, you're just in time, 2022 Laine, toile de jute, carton, cure-pipes, métal, fil de fer et bois Aux côtés de diverses chaises et tabourets-chats ↑ Stripey mog; 2022 Laine sur toile de jute sur chaise en plastique

■ VINYLE (LP)

ManOutOfTimede Friendly Rich (We Are Busy Bodies)

→ Artwork par Michael DeForge michael-deforge.com friendlyrich.com wearebusybodies.com

SURCHEMISE GENDERMORE ■ Par Julien Delcourt pour The More Project @zoulette_jul @themoreproject.co

AFFICHE ■

ASufficientyGrotesqueElfishAspect:NewWork Exposition solo à librairie Heavy Manners → Par Patrick Kyle patrickkyle.com heavymannerslibrary.com

■ CARTES POSTALES Par Marco Quadri pour Raum Fuer Illustration marcoquadri.com rfiworld.de

■ AFFICHE Festival Pop Meufs Au Pavillon des Canaux

→ Artwork par Gabrielle Monceaux @gabriellemonceaux pavillondescanaux.com

SCOTCH IMPRIMÉ ■ Par Nadhir Nor nadhirnor.com avivamaiartzy.com/thewashistation

IN THE MOOD — 15 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

■ VINYLE (LP)

WhichLife,TheFriendsde Sierra

Manhattan (AB Records, Another Records & Fun Club Records)

→ Artwork par Structure Bâtons @structurebatons @sierramanhattan abrecords.bandcamp.com

■ FOULARD EN SOIE TheLadyofShalott n°1/5 Par Aless MC alessmc.ca

■ EP DIGITAL ChâteauForte(Château Record)

→ Artwork par Louka Butzbach @loukabutzbach @chateauforte

AFFICHE ■ Exposition PrintingtheFuture,TheRisoRevolution À la galerie dieFirma

→ Artwork et curation par Panayiotis Terzis panterzis.net diefirmanyc.com

PORTEFEUILLE ■ Par Discovery Much @discoverymuch

�� IN THE MOOD — 16 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
FANZINE ■ Eggs De Joseph Curle @yozph_

lazercao.bigcartel.com

Insectoïdes , le dernier gros projet d’édition du collectif angoumoisin Lazer Cão, nous plonge dans l’univers foisonnant des insectes grâce à la merveilleuse association de 14 illustrateur.rices. On y pénètre dans un monde gluant, peuplé de créatures plus ou moins sympathiques dissimulées entre les hautes herbes. De quoi piquer notre curiosité.

Salut Lazer Cão !

Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?

Hello, nous, c’est Quentin Dufour, Robin Pouch et Thomas Carretero. Nous sommes originaires du célèbre triangle du Sud : Hourtin/Montpellier/Guéthary, mais nous nous sommes rencontrés à Paris lors de nos études en illustration, puis nous nous sommes retrouvés à Angoulême pour y croupir. Nous sommes maintenant dans un atelier avec huit autres personnes, du milieu de l’animation et de la bande dessinée.

Quel est le lien entre Lazer Cão et le Hibou Print Club ?

C’est bien simple, toutes les éditions de Lazer Cão sont imprimées au Hibou Print Club, qui est notre atelier d’impression en risographie, que nous partageons avec d’autres personnes de l’atelier, ici à Angoulême. Il nous permet d’abord d’imprimer nos projets mais le reste du temps, on répond aussi à des commandes pour d’autres gens. C’est souvent des connaissances, des gens du coin ou des ami·es étudiant·es qui font appel à nous.

Votre dernier livre, Insectoïdes , rassemble 14 petites bandes dessinées réalisées par 14 artistes sur le monde bourdonnant des insectes. Comment cette envie de projet est-elle née ?

C’est parti d’une discussion dans l’herbe, un midi de printemps. À la base, c’était l’idée de Valentin Seiche : créer un tout petit fanzine autour des insectes. Petit à petit, le projet a pris de l’ampleur et des ami·es qui venaient nous dire bonjour à l’atelier repartaient avec des pages à faire. Finalement, on est passé d’un petit fanzine à un « vrai » livre. On savait qu’on voulait imprimer le tout en monochrome vert, qui nous paraissait être une évidence par rapport au thème. On venait juste d’acheter la couleur en plus, donc on était pressé de l’utiliser.

Les illustrateur·rices ayant participé au projet ont-ils eu certaines contraintes graphiques ou narratives à respecter ?

Non, il n’y a pas eu de contrainte particulière. La seule directive était clairement sous-entendue dans le titre de l’ouvrage : « Insectoïdes » à savoir « en forme d’insecte ». À partir de là, nous avons juste

fait confiance aux auteur·ices. L’agencement qui s’est fait ensuite avec toutes les productions était assez naturel. On avait un peu peur du côté fourre-tout et souvent déséquilibré des fanzines collectifs qu’on peut faire en études mais au final tout s’imbriquait très bien. C’était assez satisfaisant de le constater en cours de construction, sachant qu’on n’avait justement pas donné plus de contraintes que ça.

Avez-vous d’autres projets de microédition en cours ?

Pour être honnêtes, nous avons un vieux projet, bloqué dans les tuyaux depuis trop longtemps... Et si ce bon vieux Thomas se décide enfin à finir ses pages, on pourra peut-être le sortir un jour ! *Thozmas se cache le visage de honte*. À part ça, on fait comme chaque année notre calendrier, l’Organizer, qui pour 2024 mêlera image et musique. On aimerait aussi éditer d’autres petits livres prochainement, des projets plus faciles à mettre en place qui nous permettront d’en sortir plus régulièrement.

La risographie semble avoir gagné votre cœur. Est-ce que d’autres techniques d’impression pourraient vous faire de l’œil ? Pour l’instant, la risographie est ce qui est le plus adapté à nos besoins. Nous sommes à l’aise avec cette machine et elle reste disponible grâce au Hibou Print Club, ce qui nous facilite quand même bien la vie. Mais sinon nous songeons, pour des projets plus gros, à tenter l’impression offset un de ces jours. Après, il nous arrive de nous intéresser ponctuellement à la sérigraphie mais ça reste compliqué vis-à-vis de notre espace de travail.

IN THE MOOD — 17 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige ■ FANZINE → LAZER CÃO
↑ Organizer 2023

■ ARTWORKS → PIA-MÉLISSA LAROCHE piamelissalaroche.fr

Armée de son aérographe et de son graphite, Pia-Mélissa Laroche rend le monde un peu plus beau. Sa pochette à la composition folle récemment réalisée pour Domotic nous a fait retomber amoureux du travail de l’artiste parisienne et nous a également servi d’excellent prétexte pour discuter un peu musique et illustration avec elle.

Salut Pia-Mélissa ! Tu as réalisé la pochette de l’album Palazzo de Domotic. Quelles étaient les contraintes/orientations données par le label ici ?

C’est le musicien qui m’a sollicitée et m’a aiguillée sur le contenu qu’il souhaitait. Il a conçu son album un peu comme la visite dans un palais, le jardin en face A et le palais en face B, et il tenait à ce qu’on retrouve cette narration suggérée dans son album. Je me suis appuyée sur ce qu’il m’a décrit de son projet.

Comment as-tu travaillé la composition de cette image ?

L’album est un peu comme un scénario avec des événements qui se juxtaposent. J’ai donc choisi de concevoir une image qui soit entre le photogramme et la bande dessinée.

Tu as d’ailleurs réalisé des illustrations pour plusieurs acteurs majeurs de la scène musicale indé (Sonic Protest, Ventoline). Qu’est-ce qui te plaît particulièrement dans ce genre d’exercice ?

C’est toujours très enthousiasmant de travailler sur des supports musicaux et avec les acteur·ices de ce domaine. Jusqu’ici, c’est sur ce type de commande que j’ai eu le plus de liberté, et même quand ce n’est pas tout à fait le cas, j’y prends beaucoup de plaisir.

Le piano est un élément récurrent dans tes dessins. Quel est ton rapport personnel à la musique ? Je consomme pas mal de musique, ça accompagne beaucoup mon quotidien, comme beaucoup de gens j’imagine. Mais en ce qui concerne le clavier, c’est plus lié à ma méthode de travail. Je dessine dans mes

carnets des éléments composites, reflets de mon quotidien ou de mon imagination. Ces dessins d’objets, de végétaux ou autres, je les associe entre eux jusqu’à ce qu’ils commencent à raconter quelque chose qui m’intéresse. Je me sers de mes carnets comme d’une bibliothèque pour composer ou recomposer des histoires et parfois certains objets deviennent résiduels et apparaissent sur plusieurs projets, puis finissent par céder leur place à d’autres éléments de ma bibliothèque et ainsi de suite. C’est comme ça que le clavier est devenu à un moment récurrent dans mes dessins, je l’utilise jusqu’à ce que j’aie épuisé son potentiel narratif.

Tu utilises beaucoup l’aérographe dans tes dessins, ce qui rend leurs textures si reconnaissables. Peux-tu nous parler un peu plus du fonctionnement de cet outil et des rendus qu’il permet ?

C’est un outil à propulsion qui permet d’obtenir un rendu brumeux comme avec une bombe. C’était très utilisé dans les années 80-90. Il offre effectivement une texture singulière qui peut parfois se rapprocher de celle d’une image digitale. Je l’utilise en l’associant avec des outils secs comme le graphite après avoir posé les couleurs une par une ou deux par deux à l’aide de caches, ce qui me pousse à penser et à préparer l’image comme une sérigraphie.

La pochette de quel·le artiste rêverais-tu de dessiner ?

Je suis déjà ravie d’avoir travaillé sur les projets musicaux pour lesquels j’ai été sollicitée mais je suis toujours ouverte aux nouvelles propositions.

�� IN THE MOOD — 18 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
← Palazzo de Domotic, 2023 (Un je-ne-sais-quoi) ↓ Affiche Sonic Protest 2023 (graphisme : Matthieu Morin)

■ FLYER

Appel à candidatures pour les cours d’été de Colorama Workshop

→ Artwork par Pamela Guest www.paal.world coloramaworkshop.cargo.site

■ VINYLE (LP) LeSalopardVolume3 , compilation du club social indépendant Biennois (Sacred Hood Records)

→ Artwork par Flora Mottini floramottini.com sacredhood.bandcamp.com

CHEMISETTE ■ Par Aysha Tengiz ayshatengiz.com

■ FANZINE

NOW#12:TheNewComicsAnthology (éditions Fantagraphics)

→ Cover par Alex Graham alexngraham.com fantagraphics.com

■ VINYLE (EP)

Visionsde Desmond Cheese (Suitcase Records)

→ Artwork par Koyubi

→ Direction, design et lettrage par After Hours score-drawing.tumblr.com afterhoursstudio.com.au desmondcheese.bandcamp.com suitcaserecords.com.au

■ AFFICHE

Tournée new-yorkaise de Wet Leg

→ Par Karlotta Freier pour Wet Leg karlottafreier.com wetlegband.com

IN THE MOOD — 19 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Les différents types de mouvements

Le vertige correspond à une sensation de rotation ou de déplacement latéral du corps par rapport à l’espace environnant (ou vice versa). Les différents mouvements ressentis lors d’un vertige sont liés à un trouble de l’équilibre.

impression d’être coincé dans une essoreuse à salade

Voilà une expression trompeuse qui pourrait laisser penser que la perte d’équilibre et de repères spatiaux est impossible tant que les deux pieds restent fermement cloués au sol. Pourtant, cet état de stabilité et d’harmonie ressenti lorsque tous les éléments sont à leur place (y compris notre corps) est rendu possible grâce à un travail d’équipe acharné entre trois alliés : notre système vestibulaire (oreilles), notre système visuel et notre sens tactile. Et parce que même notre corps ne déroge pas à la bonne vieille règle de la hiérarchie, ces trois compères sont euxmêmes dirigés par un manager omniscient : le système nerveux.

Ainsi, quand l’un des acteurs œuvrant pour notre équilibre est moins réceptif, alors tout fout le camp – peu importe la position de nos pieds.

Le vertige est souvent associé à la hauteur à tort.

Une sensation de vertige peut être ressentie quand on est allongé, ou sur la terre ferme.

Lorsque l’on se trouve en hauteur, la sensation de vertige peut être ressentie car paradoxalement, les yeux envoient l’information du vide au cerveau, tandis que l’oreille interne continue à percevoir la stabilité des pieds et du corps.

Le cerveau ne parvient alors pas à gérer cette discordance inhabituelle et rompt l’équilibre. Ce qui peut engendrer la sensation vertigineuse et la nausée.

L’acrophobie, elle, est la phobie du vide. Celle-ci peut se déclencher rien qu’en pensant à la hauteur ou même simplement en regardant des images de slackliners fous.

impression de chuter d’un immeuble de 30 ÉTAGES

VPPB

Le Vertige Positionnel Paroxystique Bénin se caractérise par des vertiges ressentis lors de mouvements de tête brusques ou de rapides changements de position.

Il va de pair avec cette phrase à la sortie du lit :

Ouh là là, je me suis levé trop vite de ma sieste.

Vous êtes si vifs au réveil que l’oreille interne s’est laissé surprendre et n’a même pas eu le temps de comprendre le changement de position, et donc le changement de posture de la tête.

BALAN CEMENT

CIRCULAIRE VERTICAL Vertige + Oreille ?

impression d’être bloqué sur un bateau pirate

Dans 40 % des cas, c’est l’oreille interne qui est responsable des problèmes de vertige et donc d’équilibre.

Dans notre oreille interne, tout au bout du canal auditif et après le tympan, se cache un bien étrange machin en forme d’escargot nommé un vestibule (ou organe de l’équilibre). À l’intérieur de ce vestibule se trouvent, entre autres éléments gluants, deux poches remplies de liquide : le saccule et l’utricule. Chacune de ses parties contient un récepteur sensoriel qui informe le cerveau de la position exacte et des déplacements de la tête par rapport à la gravité.

Lorsque les cristaux contenus dans cette fameuse oreille interne se détachent de leurs membranes et vont valdinguer à gauche à droite, alors des dérèglements et donc des vertiges se créent.

INTRODCUTION — 21 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
LE V ER TIG E D ES HA UTEURS
1 2 3 4 Canaux semicirculaires 1 Supérieur 2 Horizontal 3 Postérieur 4 Cochlée Système vestibulaire 5 Utricule 6 Saccule Organes otolithes 7 Ampoules 8 Macule 1 2 5 6 4 7 8 3

LA THÉRAPIE SELON

MILTON H. ERICKSON

Tachycardie, mains moites, jambes en coton ou sensations d’évanouissement, le vertige se manifeste sous diverses formes et à certains degrés. Il est pourtant insurmontable chez une petite partie de la population, les 3 % qui souffrent d’acrophobie et qui tentent de modeler leur vie comme une stratégie d’évitements. L’hypnose, qui traite le vertige comme toute autre phobie, se révèle être un outil thérapeutique résolument efficace pour atténuer ces effets paralysants.

L’histoire de l’hypnose, tantôt condamnée, tantôt encensée, a suscité beaucoup d’intérêt. Quelle que soit sa forme, l’hypnothérapie place au centre de son approche l’état hypnotique, celui qui permet au thérapeute d’entrer en contact avec le subconscient afin de s’adresser directement à ses angoisses. Transe hypnotique, rêve éveillé, crise magnétique, retour sur l’histoire vertigineuse de cette pratique médicale qui a longtemps été associée à un aspect magique et mystérieux.

Tachycardie, mains moites, jambes en coton ou sensations d’évanouissement, le vertige se manifeste sous diverses formes et à certains degrés. Il est pourtant insurmontable chez une petite partie de la population, les 3 % qui souffrent d’acrophobie et qui tentent de modeler leur vie comme une stratégie d’évitements. L’hypnose, qui traite le vertige comme toute autre phobie, se révèle être un outil thérapeutique résolument efficace pour atténuer ces effets paralysants.

L’histoire de l’hypnose, tantôt condamnée, tantôt encensée, a suscité beaucoup d’intérêt. Quelle que soit sa forme, l’hypnothérapie place au centre de son approche l’état hypnotique, celui qui permet au thérapeute d’entrer en contact avec le subconscient afin de s’adresser directement à ses angoisses.

Transe hypnotique, rêve éveillé, crise magnétique, retour sur l’histoire vertigineuse de cette pratique médicale qui a longtemps été associée à un aspect magique et mystérieux.

LA TRANSE HYPNOTIQUE

La vie de Milton H. Erickson, né en 1901 dans le Nevada, attire et intrigue. Elle lui impose plusieurs handicaps, dont une surdité aux rythmes et aux mélodies.

Enfant, il trouve dans la respiration et dans l’étude de son pouls les moyens de suivre le rythme des autres.

À 17 ans, alors qu’il souffre d’une paralysie motrice importante, il regarde par la fenêtre et se concentre sur l’image du mouvement de son corps. Bingo, la chaise se met finalement à se balancer légèrement. Un passage existe donc bien entre la représentation mentale et le corps.

Pour bloquer temporairement la censure analytique de l’hémisphère gauche du cerveau, Erickson met au point plusieurs techniques dont les deux suivantes : le saupoudrage suggestions et associations d’idées subtilement insérées dans le discours

la confusion vise à abreuver le patient d’explications pseudo-logiques extrêmement complexes, ou en faisant allusion à des faits absolument sans importance mais en termes compliqués

Erickson

Enfin, on doit à Erickson la définition la plus courante de l’état de transe, bien loin de l’état vertigineux et des magnétismes magiques et obscures évoqués. L’état hypnotique est un phénomène somme toute assez banal, qui apparaît couramment dans la vie quotidienne et qu’il nomme « la transe commune de tous les jours ». Ce sont ces moments où l’on décroche de notre environnement.

Franz-Anton Mesmer (1734→1815) à la fois médecin et charlatan, est généralement présenté comme l’ancêtre de l’hypnose. Sa pratique, largement répandue dans les soirées mondaines parisiennes, consiste à réunir les patients autour d’une caisse circulaire en bois, le baquet. Les malades, reliés entre eux et au baquet par une corde, sont alors agités par des convulsions apparemment extraordinaires et qui permettent de libérer le fluide universel bloqué en eux.

1843

James Braid, un chirurgien écossais, introduit pour la première fois le mot hypnose. Il qualifie toutes les recherches précédentes sur le fluide animal comme de la supercherie et du charlatanisme.

1850

Ambroise-Auguste

Guérisons de surdité, d’une sciatique ou de rhumatismes, le magnétisme passionne les mesmériens de Lyon qui découvrent le somnambulisme artificiel et décryptent les songes de leurs patients endormis.

Liébault sort l’hypnose du cadre du somnambulisme et suggère aux malades la disparition de leur symptôme.

« Onpense etpensetoutestrelatifmes penséespourlesvôtresetlesvôtrespour lesmiennesetmachaiseesticietpourmoilavôtre estlàparcequemoniciesticietmonlàestlàetpourvous monlàestvotreicietvotrelàestmonici,justecommepourle tempsparcequelemêmetempsestleprésentmaislorsdevotredixhuitièmeanniversaireledix-septièmeétaitpasséetledix-huitièmeétait maintenantetmaintenantvouspensezaufuturoùlefuturseradevenule présentdevotrevingtièmeanniversairequelprésentvousauriezpurecevoir, c’estfaciledes’enallervouspouvezlefaireexactementcommevouslefaites aveclesensdesmotsest-cequecertainsontleurpropresensetd’autres n’ontpasleurpropresensparequelemotcourtestcourtetlemot longn’estpaslongensoienfaitilestmêmepluscourtquecourt etlemotespañolestespagnolmaislemotespagnoln’estpas espagnolmaisfrançaisetenypensantvous savezquevousl’aveztoujourssumais quevousn’yaviezpaspensé…»

�� INTRODCUTION — 22 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
SOIGNÉE PAR L’HYPNOSE
E x t r a i t d ’une m éthodedeconfusionde
D É FINITI O N
Hypnose nom féminin dérivé du grec ancien «húpnos » Désigne le sommeil

Sartre

ou la vertigineuse angoisse

Mais il commence à angoisser alors car ce ne sont que des possibilités. S’il s’éloigne de la montagne, l’homme est en sécurité, mais l’idée de mourir et de s’approcher à nouveau du précipice provoque une crise de vertige : rien ne le contraint à sauver sa vie en faisant attention. Cette scène est une allégorie de la prise de conscience de la liberté et des phobies d’impulsion : j’ai peur de ce que je peux faire.

Jean-Paul Sartre

analyse l’angoisse à travers l’expérience du vertige. Sartre prend l’exemple d’un homme au bord d’une falaise. Dans un premier temps, la peur s’installe ; il a peur de tomber et donc peur de mourir. Cependant, l’homme est encore passif. Il est vigilant, et il sait qu’il peut échapper au danger.

TUTO

atteindre l’extase comme un

Pourquoi s’infliger tant de peur, alors qu’une balade pique-nique autour du lac d’Annecy est si sympa ?

Les activités physiques et sportives à risque tendent à se démocratiser aujourd’hui ; sensationnelles et vertigineuses, elles misent sur un engagement risqué de l’individu en pleine nature. Masochisme ou quête d’identité ?

Le sport de haut niveau relève de l’excès, du fantasme de toute-puissance, du dépassement des limites physiques. Il s’agit de prolonger un effort au-delà de ses propres forces, malgré l’épuisement, le froid, la peur ; il faut « se défoncer ».

La plupart du temps, il s’agit de solliciter symboliquement la mort lors d’épreuves, pour ensuite savourer son existence dans le monde des vivants : frôler la mort pour ensuite mieux ressentir la vie… Les adeptes de ces activités dangereuses provoquent ainsi leur propre survie afin d’en ressentir la puissance. Certains y voient donc une fabrique personnelle de sens et de sacré.

Le flirt avec le danger permet de : rompre avec ses habitudes d’exprimer son « vrai soi » de lutter contre l’ennui et la routine

Ils sont une façon de se défier soi-même et de prouver sa valeur. Ces pratiques permettent également de dominer ses peurs, de garder la maîtrise de soi. Contrairement à ce que l’on croit, loin d’être un acte impulsif et irrationnel, l’engagement dans les sports extrêmes permet de mettre à l’épreuve son sens des responsabilités et ses aptitudes physiques et émotionnelles.

Affronter le danger fournit l’occasion de finalement trouver la frontière entre la vie et la mort… frissons garantis !

1 → Levez les bras tendus pour amener les mains à la hauteur des épaules

2 → Tournez dans le sens des aiguilles d’une montre en gardant les yeux bien ouverts

3 → Ajoutez-y une petite impulsion qui part du bas-ventre

4 → Tournez à l’infini

5 → Atteignez l’ivresse mystique

BÉNÉFICES SANTÉ

La danse derviche ou « danse giratoire » active le mécanisme parasympathique du système nerveux autonome, permettant une régulation et un apaisement de l’organisme. Paraît-il même qu’elle renforce le système immunitaire.

INTRODCUTION — 23 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Grimper la paroi d’une falaise sans aucune sécurité Sauter dans le vide simplement muni d’une combinaison ailée…
Le vertige est angoisse dans la mesure où je redoute non detomber dans le précipice mais de m’y jeter.
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CINÉ CINÉ CINÉ CINÉ CINÉ CINÉ CINÉ CINÉ CINÉ Top 3

VERTIGE

VERTIGE VERTIGE VERTIGE VERTIGE VERTIGE VERTIGE VERTIGE

Requiem for a dream

Darren Aronofsky 2001

Vertical Limit

Martin Campbell 2000

La vie au bout des doigts

Jean-Paul Janssen 1982

The Walk : Rêver plus haut

Robert Zemeckis 2015

Vertigo

Alfred Hitchcock 1958

Reliez ces scènes, révélatrices des vertiges du corps et de l’esprit, avec les films correspondants :

DES MÉTIERS

à ne PAS exercer si vous êtes

D’OÙ VIENT

LE TERME

MANÈGESÀSENSATIONS

« MONTAGNE RUSSE » ?

Les montagnes russes apparaissent au XVIIIe siècle en Russie près de Saint-Pétersbourg. Le concept est simple : des pentes en bois pouvant atteindre 21 mètres de haut et recouvertes de neige pour y glisser à fond les ballons grâce à des luges en osier. Le système de freinage ? Un tas de sable. Efficace.

En Amérique, on voit naître les premières montagnes russes grâce aux mineurs de la Pennsylvanie qui proposent aux touristes de passage d'embarquer dans leurs wagonnets sur rails.

11 GUIDE DE HAUTE MONTAGNE CORDISTE

Cet alpiniste de haut niveau accompagne les personnes qui souhaitent faire des excursions ou des ascensions en montagne.

Ce grand professionnel de l’escalade est aussi un spécialiste des travaux en hauteur ou difficiles d’accès.

CAMPANISTE

Ce spécialiste est un professionnel de la conception, de la réalisation, de l’installation, de la restauration et de l’entretien des cloches et horlogeries d’édifices.

LA MONTAGNE RUSSE LA PLUS HAUTE

Kingda Ka

139 m, soit notre bonne vieille tour Part-Dieu à Lyon (mais sans son toit en forme de crayon, qui fait 23m à lui seul)

OÙ : au Six Flags Great Adventure dans le New Jersey (US)

ANNÉE DE CONSTRUCTION : 2005

VITESSE MAX : 201 km/h

HAUTEUR : 950 m

PARTICULARITÉ : son nom est hérité de celui de l’un des tigres du parc.

4 RECORDS DANS LES PARCS D’ATTRACTIONS :

4 RECORDS DANS LES PARCS D’ATTRACTIONS :

LA PLUS VIEILLE MONTAGNE RUSSE ENCORE EN FONCTION

Scenic Railway

1912, soit l’année du naufrage du Titanic

OÙ : au Luna Park de Melbourne en Australie

HAUTEUR : 52 m VITESSE MAX : 60 km/h

LONGUEUR : 967 m

PARTICULARITÉ : en 1964, Serge Gainsbourg écrit la chanson « Scenic Railway », clin d'œil au célèbre manège.

LA MONTAGNE RUSSE LA PLUS LONGUE

Steel Dragon 2000

2 479 m, soit 1/220 de la longueur du Rhône

OÙ : au Nagashima Spa Land à Nagashima au Japon

ANNÉE DE CONSTRUCTION : 2000

HAUTEUR : 97 m

VITESSE MAX : 153 km/h

PARTICULARITÉ : la construction de Steel Dragon 2000 a demandé beaucoup plus d’acier que les autres montagnes russes, pour pouvoir résister aux tremblements de terre.

L’ATTRACTION LA PLUS RAPIDE

Formula

Rossa

246 km/h, soit la vitesse record de Guy Martin dans un tracteur JCB

OÙ : au Ferrari World d’Abu Dhabi aux Émirats arabes unis

ANNÉE DE CONSTRUCTION : 2010

HAUTEUR : 52 m

LONGUEUR : 2 195 m

PARTICULARITÉ : le Formula Rossa a été créé dans le but de donner aux passagers les mêmes sensations qu’un pilote de Formule 1.

�� INTRODCUTION — 24 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Aucune des situations vertigineuses représentées dans cette illustration ne vous angoisse ? Bravo ! Vous êtes l’élu.

TO FABULOUS

CITY

INTRODCUTION — 25 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

actionshaut perchées

QUAND ? 9 juillet 2020

QUI ? Des militants Greenpeace

OÙ ? Cathédrale Notre-Dame Paris

À QUELLE HAUTEUR ? 80 mètres

POURQUOI ? Dénoncer l’inaction climatique

Des militants Greenpeace déploient une banderole dénonçant l’inaction climatique d’Emmanuel Macron en escaladant la grue de la cathédrale Notre-Dame de Paris à plus de 80 mètres de hauteur.

QUAND ? 17 octobre 2022

QUI ? Des militants britanniques

OÙ ? Pont Queen Elizabeth II, Londres

À QUELLE HAUTEUR ? 80 mètres

POURQUOI ? Dénoncer l’exploitation du pétrole

Des membres du groupe militant Just Stop Oil ont passé 37 heures en haut d’une des tours du pont Queen Elizabeth II à Londres à plus de 80 mètres du sol pour exiger la fin de l’exploitation des ressources pétrolières.

QUAND ? de décembre 1997 à décembre 1999

QUI ? Julia Butterfly Hill

OÙ ? Forêt de Redwood en Californie

À QUELLE HAUTEUR ? 55 mètres

POURQUOI ? Empêcher la destruction de « Luna », séquoia géant vieux de plus de 1 000 ans, par l’entreprise locale Pacific Lumber

Perchée à 55 m de hauteur, cette jeune fille alors âgée de 23 ans vivra 738 jours sur une plateforme de 3 mètres sur 2 sans jamais poser le pied à terre. Soutenue par une équipe de 8 militants écologistes, elle résistera à la tempête El Niño, à la solitude, au froid glacial ou encore aux pressions incessantes de la compagnie. Elle obtient gain de cause le 18 décembre 1999 et descend enfin de l’arbre : Luna ainsi qu’une partie des arbres de la forêt de Redwood seront protégés.

étudemenéeparTheLancetPlanetaryHealthen2021

75% L’Éco-anxiété, c’est le vertige à grande échelle, un vertige philosophique et abyssal

Comment rester calme quand les écosystèmes meurent à petit feu et qu’une vidéo de Kylie Jenner totalise plus de likes qu’une pétition pour protéger les fonds marins ? (on n’a rien contre Kylie promis mais on préfère les baleines quand même)

Comment rester positif face à un avenir incertain où malgré toute votre bonne volonté, votre cousin continue de faire des Paris → New York tous les trois mois ?

des Français âgés de 16 à 25 ans jugent l’avenir effrayant

Comment avancer quand on sait que 2022 bat à la fois les records de températures mais aussi de dividendes versés aux actionnaires de Total ?

Loin d’être une maladie clinique, l’éco-anxiété est plutôt l’expression saine d’une peur rationnelle et planétaire, un réflexe de survie normal et humain. D’abord paralysante, cette peur impulse une prise de conscience et un changement des comportements.

PERFORMANCES ARTISTIQUE S

Nombreuses sont les pratiques artistiques, certaines plus contemplatives et ingénues, quand d’autres viennent repousser les limites du corps et de l’esprit pour bousculer le spectateur, le choquer ou l’émerveiller. Nous avons sélectionné rien que pour vous deux performances artistiques surprenantes :

Abraham Poincheval , artiste atypique qui imagine des voyages itinérants mettant à l’épreuve ses limites physiques et mentales, a réalisé en 2019 l’œuvre Walk on Clouds. Poincheval se retrouve alors à plusieurs dizaines de mètres d’altitude, suspendu dans le vide grâce à une montgolfière, et se promène sur les nuages à la découverte de la canopée gabonaise. Une performance qui lui permet d’éprouver le temps et l’espace dans des conditions singulières, aussi extrêmes que poétiques. Son objectif ? → Découvrir le monde sous des angles encore inexplorés, quitte à se mettre dans des situations pas hyperconfortables, on ne va pas se mentir. 

Grande figure du Body Art, Marina Abramovic , de son côté, s’est fait connaître dans les années 1970 grâce à des performances artistiques marquantes, voire dérangeantes. Sa démarche artistique ?

Utiliser son corps comme moyen d’expression et explorer les limites de celui-ci en le mettant à rude épreuve.

Pour Rhythm 0 (1974), Marina Abramovic se présente nue à un public et met à sa disposition différents objets qu’il est libre d’utiliser sur le corps de l’artiste. Parmi ces objets : des plumes, du pain, des fleurs, mais surtout des armes. Sans surprise, la performance dérape et certains spectateurs prennent la liberté de la blesser sans pression. Ici l’artiste repousse les limites de son être pour révéler au spectateur sa vraie nature. (Soyez tranquilles, on ne va pas vous demander quel objet vous auriez choisi.)

Le point commun entre ces deux performances ? Se mettre en situation extrême pour défier l’impossible, questionner le monde et ses codes.

�� INTRODCUTION — 26 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
3
EN
ACTIVISME
VIRONNEMENTAL
Plutôt que de le fuir, certains militants écologistes font du vertige une arme politique et prennent littéralement de la hauteur pour alerter sur leurs combats.
ÉCO ANXIÉTÉ
100m 90m 80m 70m 60m 50m 40m 30m 20m 10m 0m

DE L’AMOUR

Dans ses paroles, Bashung évoque « un cœur quireste sourd» aux plaisirs de la vie, un « vertige de l’amour ». On est d’accord Alain, il n’est pas simple d’être confronté à ce vertige et nous aussi, des fois, on préférerait un Netflix&chillsolo plutôt que ce « désir fou que rien ne chasse ». D’ailleurs, les penseurs eux-mêmes ont leur avis sur ce sujet qui fait couler

En 1981, l’un des plus beaux titres d’Alain Bashung devient n°2 des ventes en France. Écoulé à plus de 700 000 exemplaires,

« VERTIGE DE L’AMOUR »

est un morceau qui a trouvé son public et qui a su lui parler. Parce que l’amour est un sujet, on le sait, universel. Parce qu’il convoque en nous des désirs, des névroses, un imaginaire et des sentiments qui nous font perdre pied et font chavirer notre raison.

Roland Barthes, d’abord, dans LesFragments d’undiscoursamoureux, et selon qui dire « je t’aime » est au-dessus de toute force, de la science et de la raison. Selon lui, celui qui ne dit pas « je t’aime » est un « esclave àlalanguecoupée», condamné à émettre des signes incertains de son amour, et donc, à ne pas aimer vraiment. Pire → à ne pas être aimé.

Désirfouqueriennechasse Lecœurtransirestesourd Auxcrisdumarchanddeglaces Nonmaist’asvucequipasse

J’veuxlefeuilletonàlaplace

→ Vertige de l’amour

Considérant les choses comme ça, on est plutôt d’accord avec les déclarations d’Alain et de Stendhal, l’amour, c’est sacrément vertigineux !

Plus fort encore, le discours amoureux serait un symptôme de folie. D’abord intérieure – l’amoureux spécule, il court dans sa tête – la folie se matérialise in fine dans le « je t’aime », tranchant et sans retour. L’amoureux devient compulsif, il projette dans l’objet de son amour une psychose névrotique. Il se risque à la non-réponse qui le transformera en malheureux.

Dans le meilleur des cas, l’amoureux obtient une réponse similaire, la tant attendue. Mais selon Roland Barthes, dire les trois mots magiques après les avoir entendus, c’est du fake. De la triche. L’amoureux primaire, celui qui a bravé ses peurs et qui a balancé ses tripes sur la page, ne pourra jamais être certain de la véracité du « je t’aime » offert en retour. La seule solution tient alors dans une temporalité parfaite : un « je t’aime » simultané. Chips.

On tombe en

On tombe le long d’un couloir de verre, où le temps et l’espace semblent avoir été suspendus, de même que la pesanteur ; si bien qu’il devient difficile de savoir si on monte ou si on descend, si on chute ou si on s’élève. Un vertige vertical, un transport littéralement amoureux.

On tombe aussi en extase. Stendhal en sait quelque chose.

Un jour qu’il voyageait à Florence, il s’agenouille sur un prie-dieu de la basilique Santa Croce pour admirer les sibylles de Volterrano qui ornent la coupole. Il est soudainement pris de vertige, débordé par la sensation, violente, incontrôlable, de toucher du doigt l’infini, le divin. La pure émotion esthétique. Mais si forte qu’il en est malade. Une preuve de la puissance cachée de l’art ? Quoi qu’il soit, ce phénomène se généralise et se manifeste par des troubles psychosomatiques caractéristiques du vertige : accélération du rythme cardiaque, transpiration, suffocation, hallucinations parfois. Les premiers touchés sont les voyageurs passionnés d’art et d’amours florentines. C’est pourquoi on l’appelle syndrome de Stendhal, ou « syndrome de Florence ».

Et ça peut arriver à des gens très bien.

INTRODCUTION — 27 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige



d’encre…beaucoup
☹ 

→ Textes : E.Quittet, R. Lechleiter, M. Samson, S. Pauly, M. Labbé, R. Chevallier & M. D’hérouville → Illustration : G.Huby
  
→ Mise en page : G. Bonneau & M.Zablocki

Bienvenue, vous entrez en transe

Ex-responsable éditorial chez Sourdoreille et journaliste musical chevronné, Romain Bourceau ne fait pas semblant. Pour ce numéro « Vertige », ce dernier décrypte l’état de transe que la musique sait si bien déclencher, grâce à deux chefs de file plutôt spécialistes du sujet : le festival Hadra et l’agence Everybody Trance.

�� INVITATION — 28 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Des premières danses autour du feu aux interminables sets de musiques électroniques, notre espèce se met en douze pour recréer des mondes, pour défier ou oublier le présent. Mais le voyage n’est pas sans risques. Petite histoire tourmentée de la transe et ses témoignages poétiques d’amoureux du vertige, grâce aux équipes du festival Hadra et de l’agence Everybody Trance. La musique n’a pas d’équivalent pour altérer notre perception. Je tiens surtout pour acquis qu’elle règne en maîtresse dans le domaine de la perte de contrôle, la chute libre, le vertigo suprême, et ce plus que tous les autres arts. Il est possible de tomber de sa chaise devant un tableau et il est souhaitable d’oublier le monde qui nous entoure devant un excellent film, mais j’atteste qu’avoir les boyaux déplacés, sans sommation, dans les grandes largeurs, est la chasse gardée de la musique, art collectif et fédérateur suprême. UNE HISTOIRE DE TRANSE Le vertige est une transe. Un état qui vient de loin. Le terme latin transire, devenu transir au Moyen Âge, signifie le départ ou le passage. À partir du Ve siècle, c’est même le sens de « passer de vie à trépas » qui est retenu dans l’hindouisme, c’est vous dire sa capacité à relativiser l’angoisse du trajet vie-mort. Avançons dans le temps. C’est au XIVe siècle que l’expression « entrer en transe » se démocratise. À cette époque, la médecine, la religion et les spiritualités hérétiques pré-chrétiennes cohabitent. En France ou ailleurs, l’état de transe n’est pas nouveau et le récit de ces mages possédés et des cérémonies qui les portent sont bien connus des contemporains de l’alchimiste Nicolas Flamel. Des transes vertigineuses, on en dénombre des dizaines. La plupart du temps, le simple fait que notre être soit traversé par un mouvement incontrôlable et violent suffit à les faire exister : transe orgasmique, haineuse, extatique… Elles sont les résultantes de la montée en intensité maximale de nos sens, comme si un ingénieur du son maléfique avait décidé de mettre tous les potards de nos émotions dans le rouge. Elles évoquent parallèlement des troubles de santé extrêmes, comme les convulsions ou des troubles dissociatifs de l’identité. Une autre partie non-négligeable des transes concerne les prises de contact avec un présupposé divin : dialogues, appréhensions, possessions, visions, divinations. Mais passons. « Je chute. C’est drôle comme on peut tomber, alors que sur le sol, on a les pieds bien ancrés. Reliée à la Terre - pourtant je me sens comme à la dérive. Ma trance n’est pas stable bien que répétitive. Une libre déséquilibrée. Chaque pulsation est un étage supplémentaire que je grimpe. Un pas de plus vers le vide. Le rythme

�� INVITATION — 29 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

est mon partenaire d’escalade. Il m’assure quand je lâche prise. Progressive impression de malaise, agréablement déconcertante. Mon corps traversé par un grand huit – de hauts et de bas, de frissons et de vertiges. Troublée par la cadence, je vacille. J’ai le tourni sonore. Tout tangue. Remuent les vagues dans la danse, remuent les corps dans la trance. De temps à autre, des pauses pour reprendre mes esprits, retrouver le sens. De l’orientation, et de tant d’autres qui tombent avec moi. Une évanescence d’évanouissements. Un grand saut dans le néant, Je chute sur la piste de danse. » MarsO10CEverybody Trance. ENTREZ DANS LA TRANSE À la croisée de l’emballement de nos sensations et de la rencontre avec le surnaturel règne une flopée de transes volontairement recherchées par l’être humain (il n’est en revanche pas exclu que les animaux et les végétaux ne prendraient pas leur petite perche si l’occasion s’offrait à eux mais ça n’est pas le sujet). Elles sont le résultat de transmissions, d’expériences, le plus souvent sous influence et en musique, et nous enjoignent à aborder l’inabordable avec un certain recul : à prendre conscience du délire. Comme il existe une petite musique de nos vies, il existe une musique de nos transes, que l’on soit plus boléro, minimalisme, krautrock, techno, synthpunk, ou même la bien nommée musique électronique… trance, style de musique électronique bien défini, né en Allemagne à la fin des années 80 (et ses sous genres Goa, psy, hard, uplifting, etc). Le point commun entre un chamane sibérien, Maurice Ravel, Philip Glass, Jeff Mills et Vini Vici, c’est évidemment l’instrumentation seule au service de la répétition, la pulsation régulière. Alors est-ce que ce sont l’aspect cyclique de notre système solaire, l’alternance de nos jours et de nos nuits, le battement de notre cœur qui sont à l’origine de cet attrait pour la répétition ? Aucune idée. Mais c’est un fait. Quand des musiques répétitives sont jouées, on pourrait croire que le vertige est impossible. Que du train-train ne peut pas naître la chute libre. Et pourtant, c'est uniquement quand notre esprit entre en résonance qu’il lui est permis d’altérer ses sens. Lancez-vous dans une danse circulaire ou répétez des mouvements réguliers, embarquez dans une musique où mélodies et percussions obsédantes se mêlent, et vous trouverez sur votre route l’ivresse, et pourquoi pas, si vous êtes bien dedans, hallucinations visuelles, troubles de l'oreille interne... On en perd l’équilibre quand vient le vertige. « La première note arrive, le premier frisson est là, avec l'enchaînement des beats par minute. Aveuglé par les lumières, sous une canopée haute comme

�� INVITATION — 30 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

une cathédrale, tu voyages et ton esprit divague. Nous sommes tou.te.s venu.e.s chercher la même chose : la quête du vertige, de la grandeur de l'âme. Nos corps entrent en transe, yeux fermés, paumes de main ouvertes en direction du ciel, tu accueilles cette messe psychédélique. Le réel n'existe plus. Tu as plongé à corps perdu dans cette danse, infatigable. Le repos sera pour une autre fois. Tant que la fièvre n'est pas tombée, il faut continuer à s'agiter.

D’AUJOURD'HUI Force est de constater que nous avons besoin du vertige, d’avancer notre pied au plus près de la falaise, de sentir notre petite mort, ou l’idée d’une autre vie. Pour nous sentir vivre, nous avons le désir de tromper notre vie. À ce propos, les pratiques new age à grand renfort de folklore aseptisé, de gourous en plastique, de start-up méditation, et d’appropriation culturelle se portent à merveille parce qu’elles peuvent compter sur la corde sensible d’une multitude. Mais attention, il y a matière à se réjouir. Si en 2023, les dancefloors des clubs, des raves et des festivals sont plein à craquer de gens ayant un besoin presque vital de se perdre et faire valser leur oreille interne, c’est parce que dans ce même geste apparemment anodin, ils font voler en éclat leurs a priori, leurs schémas, leur héritage. Ça n'est pas rien. En cela, le vertige n’est plus uniquement un trouble, il devient un geste radical, émancipateur, flamboyant. « Entrer en transe, être trans, transition de genre, transgressions des normes de genre, transition musicale, transpiration scénique, trance. Oui, le mot tran(s)ce fait partie intégrante de ma vie, sa signification se déploie au maximum en moi. Entre mon genre, mon art, mes états d’âme, ce mot me colle à la peau. Dans la trance que je joue, je cherche la mélancolie, la perdition, un moyen euphorique et à la fois vertigineux de se rattraper, de se raviver, d’effacer la pression du monde, d’oublier les normes, d’explorer des frontières sonores et sensorielles. Encore chercher plus loin pour être encore plus près de soi-même. » Desire - Everybody Trance

Hadra Festival. LA TRANSE

�� INVITATION — 31 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Visuels dans l’ordre d’apparition : Maurice Ravel - Boléro (1928), James Holden - The Idiots Are Winning (2006), Steve Reich - Drumming (1971), NEU! - NEU! (1972), Robert Hood - Motor Nighttime World 3 (2012), Hallucinogen - Twisted (1995), Juno Reactor - Transmissions (1993), Total Eclipse - Delta Aquarids (1995), Spectral - Diffuse (2000), Jam & Spoon - Tripomatic Fairytales 2001 (1993)

Óscar Raña

�� EN COUVERTURE — 32 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Est-ce lié à son environnement quotidien ?

Est-ce dû aux paysages de rochers abrupts qui surplombent la côte galicienne ? À sa proximité avec Cynthia Alfonso, talentueuse camarade déjà croisée dans Kiblind "Mystique", avec qui il échange chaque matin au soleil ascendant au sein de Rapapawn, leur studio d’animation ? Le constat est là, le verdict limpide, Óscar Raña nous file un sacré vertige. Du genre de celui qui vous colle le cerveau à la paroi pour ne jamais le lâcher. De celui qui vous prend par le bas-ventre pour mieux vous retourner. Son travail à l’intuition, son mélange de techniques digitales et analo -

giques, ses combinaisons géométriques aux détails subtilement figuratifs, sa gamme de couleurs aussi restreinte qu’efficace, ses trames riso magnifiquement animées, tout converge vers la même direction… Là-haut, tout là-haut, vers les sommets.

EN COUVERTURE — 33 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Comment

t’est venue l’envie de travailler autour des questions de perspectives et des formes géométriques ?

C’est quelque chose qui est apparu assez progressivement et involontairement. Peut-être est-ce dû à l’influence que la pein -

ture abstraite de la seconde moitié du XX e  siècle a exercée sur moi (minimal, hard edge, neo geo, etc.), mais je ne peux pas en être sûr...

C’est drôle, car j’ai toujours détesté le dessin technique et je suis vraiment nul dans ce domaine. Tu travailles avec une gamme de couleurs assez restreinte et remarquable.

J’ai toujours aimé travailler avec ce type de palette car elle permet d’obtenir des effets visuels intéressants et attrayants.

J’avoue que le RVB numérique est pour moi un grand espace d’exploration chromatique.

Est-ce lié à l’utilisation récurrente de la risographie ?

La vivacité et l’impact des couleurs de la risographie sont fous.

J’aime beaucoup travailler la couleur avant l’impression et créer les mélanges de toutes pièces sur le support numérique. Ça génère des approximations à partir des Pantone et du profil choisi.

�� EN COUVERTURE — 34 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Peux-tu nous dire quelques mots sur ta formation ?

J’ai fait une licence en beaux-arts à l’université de Vigo en Espagne, puis un master en animation et livres illustrés au même endroit. J’ai terminé en 2016, si je me souviens bien.

Tu travailles beaucoup en binôme avec Cynthia Alfonso. Comment trouvez-vous l’équilibre entre vos travaux personnels et ceux que vous réalisez en duo ?

Nous partageons le même studio et nous avons une communication directe en permanence. Il s’agit de s’organiser et de combiner les différents travaux sans en prendre trop : nous devons parfois refuser des commandes pour nous concentrer sur ce qui nous motive le plus, que ce soit des projets perso ou souvent en duo.

Avec Rapapawn, votre plateforme de projets animés par exemple ?

C’est vrai que Rapapawn est, entre autres, l’occasion d’expérimenter ensemble le graphisme et l’animation, également sur des projets de commande. Ça crée une dynamique de travail agréable et ça vient rythmer notre routine personnelle.

EN COUVERTURE — 35 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Quelle est la place de l’improvisation dans ta façon de travailler ?

L’improvisation et l’intuition sont devenues des éléments centraux de ma méthodologie de travail au fil du temps. Cynthia et moi-même, nous donnons souvent la priorité aux possibilités offertes par le hasard et l’accident. Parfois, il s’agit simplement d’une dose d’impro dans un projet bien ficelé ou alors, souvent, l’improvisation constitue la base de l’œuvre elle-même.

Ajoutes-tu une petite dose de figuratif aussi parfois ?

Il m’arrive de travailler avec des personnages et des éléments de narration, mais j’aime les diluer dans l’abstraction et ne pas les présenter de manière évidente ou conventionnelle, afin qu’ils ne conditionnent pas trop le récit et le regard du lecteur. Laissez une libre interprétation dans l’image. Un exemple d’une œuvre qui te donne le vertige ? La dernière fois que j’ai ressenti quelque chose comme ça, c’était en voyant la fin d’ Aftersun de Charlotte Wells.

Quels sont les projets qui t’ont marqué ?

Entre autres : Sopapo , une bande dessinée publiée chez Último Mono Ed. en 2021 et Unha Leira de Millo , qui a fait l’objet d’une exposition à la galerie Svt (Vigo) l’année dernière ; deux projets coécrits avec Cynthia Alfonso. Et sur quoi tu travailles actuellement ? Sur une longue bande dessinée (interminable) et sur de nouveaux projets d’animation et d’autoédition, comme le collectif de bande dessinée Fénomeno , avec lequel je vais faire une publication semestrielle avec plusieurs auteurs espagnols qui sont incroyables. Quelques mots sur cette couverture et son animation ? L’idée de « vertige » m’a renvoyé directement à un dessin de Jack Kirby qui, pour une raison quelconque, est resté dans mon esprit (une couverture des 4 Fantastiques d’il y a mille ans), et c’est à partir de là que j’ai commencé à travailler sur cette horreur vertigineuse. C’est vrai que je travaille aussi beaucoup sur le principe de la citation et de l’appropriation des œuvres.

�� EN COUVERTURE — 36
EN COUVERTURE — 37 �� Magazine → 83 → Vertige

CRÉA TIONS ORIGI NALES

Dessiner un bonhomme. OK, ça se fait. Une pipe, évidemment. Une voiture ? C’est déjà plus chaud. Mais la demande que nous avons transmise aux différents artistes des prochaines pages est bien plus sournoise : retranscrire une sensation. Et pas n’importe laquelle, la sensation du vertige, celle qui nous perd, nous déstabilise, nous rend fous.

Ah les salauds, pourriez-vous dire si on avait élevé quelques porcs ensemble. Oui, mais non. Car en traduisant l’intraduisible, ces artistes nous ont montré la puissance du dessin. Là où la langue trahit sa faiblesse, l’image peut, elle, s’en sortir haut la main.

Tel est le défi que nous avons proposé à ces huit talents, illustrateurs et illustratrices de l’extrême, sorte de A-Team de l’art dessiné qui n’a peur de rien et surtout pas de l’impossible.

Merci, donc, à Chih-Yi Wu, David Adrien, Linwei Studio, Gyayu Wang, Paul Descamps, Lou Buche, Tim Goschnick et Arthur Sevestre d’avoir accepté de prendre part à la galerie.

KIBLIND Magazine → 83 → Vertige CRÉATIONS ORIGINALES — 38 ��
CRÉATIONS ORIGINALES — 39 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
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Chih Yi Wu l Vertige
�� CRÉATIONS ORIGINALES — 40 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
David Adrien l Planètes et Pylones davidadrien.com
CRÉATIONS ORIGINALES — 41 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Linwei Studio l Vertige instagram.com/linwei.studio

instagram.com/gyayu.wang

�� CRÉATIONS ORIGINALES — 42 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Gyayu Wang l 3D Game Swirl
CRÉATIONS ORIGINALES — 43 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Paul Descamps l Vertige instagram.com/polobabybambino
�� CRÉATIONS ORIGINALES — 44 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Lou Buche l Vertigo instagram.com/loubuche
KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Tim Goschnick l Vertigo instagram.com/tim_goschnick
�� CRÉATIONS ORIGINALES — 46 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Arthur Sylvestre l Le plongeoir instagram.com/arthursevestre

« On peut comparer l’angoisse au vertige. On a le vertige quand on plonge le regard dans un abîme. Mais la raison du phénomène n’est pas moins l’œil que l’abîme, car il suffit de ne pas regarder. L’angoisse est ainsi le vertige de la liberté survenant quand l’esprit veut poser la synthèse et que la liberté, scrutant les profondeurs de sa propre possibilité, saisit le fini pour s’y appuyer. La liberté

haut / L’extase et l’immensité / Je vertige d’être vivant » – Mylène

succombe dans ce vertige. » – Søren Kierkegaard, Le Concept de l’angoisse, 1844

Farmer, Vertige, 1995

« L’éveil d’un sens / L’instinct d’une danse / Je vertige de vivre / Plus loin, plus
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Les pieds ont beau être solidement arrimés au sol et la chaise qui nous accueille plutôt stable, nous sommes pris. Nous ne nous balançons pourtant pas au bord du Grand Canyon, comme cet acrobate qu’on pouvait trouver dans les Guinness Books de notre enfance. Nous sommes devant un bureau, lui-même tenu sur un sol auquel nous faisons toute confiance. Face à nous, un livre, une page à peu près plate, et un dessin. C’est celui-là le grand responsable, le coupable de cette sensation qui nous prend, de ce déséquilibre des sens. Comme happés par sa profondeur, nous tombons et sortons de la dimension habituelle dans laquelle nous possédons nos repères. L’artiste a tapé dans le mille : nous sommes pris de vertige. Les nullards de la main et de l’esprit, comme nous, ne comprennent pas, ne parviennent pas à s’imaginer l’intention et les techniques qui sont responsables de cet effet bœuf. Alors, on s’est dit qu’on allait demander à quelques-uns des brillants dessinateurs et dessinatrices qui ornent nos murs et bibliothèques pour savoir d’où venait la magie. Et si Maxime Mouysset, Léa Murawiec, Marie-Anne Mohanna et Jean Dalin ont en commun de maîtriser les arts de la perspective, de la dynamique et du mouvement, ils possèdent chacun leur formule secrète. On vous propose un plongeon dans leurs profondeurs.

Nous, grands ronfleurs devant l’éternel, nous posons d’abord la question : pourquoi ? Pourquoi s’embarquer dans des dessins d’une complexité inouïe qui demandent à la fois de la technique, de la connaissance de son art et de l’imagination pour twister la rigueur de deux savoirs précédents ? Jean Dalin, spécialiste des compositions architecturales fournies, l’avoue d’ailleurs sans problème. « Une illustration, ça me prend beaucoup de temps,

mais c’est mon problème, c’est moi qui décide de faire comme ça. » Mais avant l’amour du trop-plein de travail, il y a cette envie de reproduire ce que, eux-mêmes, en tant que spectateurs, ont déjà vécu. Pour Jean Dalin, « les prises de vue en hauteur, c’est pour pouvoir montrer plein de choses. J’avais entendu que Mœbius disait qu’il était nul en composition et que donc, la solution était de mettre des trucs partout. Comme ça, ça fait

une image qui fonctionne même si elle est mal structurée. » Marie-Anne Mohanna, autrice de Dans son ombre (Warum) fut, elle, profondément marquée par l’art japonais. « Je suis vachement inspirée par les estampes japonaises, la manière dont ils ont travaillé la perspective, la façon dont ils ont pensé la profondeur et l’organisation de la nature ou des paysages d’intérieur. Ce sont des choses qui m’ont beaucoup parlé et qui m’ont beaucoup nourrie dans mon travail d’illustratrice. » Le Japon semble être un point du globe vers lequel nos artistes ont toujours un œil tourné. Si Jean Dalin cite Akira Toriyama, créateur de Dragon Ball, pour Maxime Mouysset c’est plutôt Yūichi Yokoyama, « une référence qu’on sort tout le temps aux Arts Déco [la HEAR de Strasbourg, ndlr]. En termes de vitesse, c’est limite un peu trop. Il faut s’arrêter toutes les trois pages pour bien digérer le truc. C’est bordélique car il a une démarche d’auteur à travers ses mangas. Mais c’est très inspirant de voir comment il traduit le mouvement et le temps ».

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« Je suis vachement inspirée par les japonaises,estampesla manière dont ils ont travaillé la perspective »
↑ Illustration de Léa Murawiec réalisée pour Inktober, 2018

Léa Murawiec, éditrice chez Flûtiste et autrice du Grand Vide (Éditions 2024), acquiesce. « En dessinant Le Grand Vide, je me suis plus directement inspirée de scènes de manga comme Akira que j’ai découvert à ce moment-là, dont la scène d’intro sur des motos est très dynamique, ou encore la course dans Gunnm, et quelques plans de Taiyō Matsumoto ou des poses de Jojo’s Bizarre Adventure. » Mais cette recherche de nouvelles règles, de nouvelles façons de donner la vie à son dessin, les illustrateurs et les illustratrices vont les chercher partout. Dans les comics, pour Jean Dalin et son amour de Jack Kirby, et même dans les dessins animés qui ont rythmé leur enfance.

« Depuis que je suis enfant, les BD que je dessinais avaient en plein milieu de l’histoire une case avec une énorme perspective pour zéro raison. Les perspectives étaient souvent fausses, c’était juste pour créer quelque chose de dynamique. Ça vient sans doute des dessins animés que je regardais comme les Tex Avery, Totally Spies ou Teen Titans. » nous confie Léa Murawiec. Une inspiration qui est toujours d’actualité pour Maxime Mouysset, tombé lui amoureux d’un compte Instagram tout à fait spécial.

« Ça s’appelle @one.perfect.frame. C’est un mec qui s’amuse à faire des arrêts sur image dans les cartoons américains type Tom & Jerry. Ce sont des stops qui traduisent des côtés assez abstraits qui m’inspirent beaucoup. Il va s’arrêter sur une image pendant un mouvement, une réaction et tu te rends compte que c’est énormément d’abstraction pour traduire un mouvement assez précis. » Cette référence aux anciens n’est pas qu’une parade de name-dropping. Si toutes ces images sont convoquées, c’est qu’elles participent d’un langage auxfonctions particulières dans lequel lesartistes piochent pour amadouer le spectateur.

Il y a évidemment une intention de surprendre le lecteur, de le prendre par le colbac pour l’emmener avec soi, pour lui mettre dans la face les ressentis du personnage. Dans la déformation des corps et des perspectives, Léa Murawiec a tenté de toucher le lecteur physiquement.

« Le Grand Vide est un livre qui génère pas mal d’émotions. J’ai vraiment insisté dessus. J’ai essayé de pousser à l’extrême la rapidité,

le dynamisme de ce personnage et aussi ces moments où elle se sent submergée par des émotions fortes. J’ai voulu donner une forme aux émotions qu’elle ressent. J’ai beaucoup exagéré le côté déformé, liquide de certains passages. Quand on vit une émotion intense, on oublie qu’on a un corps, on perd ses repères. » Marie-Anne Mohanna cherche, elle, à partager ses propres émotions, voulant donner aux spectateurs le même sentiment qui l’avait gagnée à la vue d’un paysage ou d’un bâtiment. « En gros, j’essaie souvent de me demander ce qui a fait que c’était si impressionnant et comment je peux essayer de retranscrire ça dans mon dessin. Ça passe par le choix du cadrage, de la composition et des couleurs aussi. » Plus pragmatique, Maxime Mouysset s’attache à l’environnement dans lequel son dessin apparaît. « Il y a un côté immédiat qui est important. Dans la presse, c’est ce qu’on me demande tout le temps : comment rendre une image intéressante. Choisir une perspective bien dynamique ou un cadrage bien précis, ça permet de donner mon point de vue.

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« Les étaientperspectives fausses,souvent c’était juste pour créer quelque chose de dynamique »
↑ Couverture de la BD Le Grand Vide de Léa Murawiec, Éditions 2024, 2021 → Comics SQUARE² de Maxime Mouysset pour Kiblind, 2022 ↑ « La salle des machines », illustration extraite de la BD de Jean Dalin à paraître chez Sarbacane ↑ Illustration de Maxime Mouysset pour Bloomberg Businessweek, 2022

C’est une des raisons pour laquelle on fait appel à moi : parce que ma règle d’or c’est de mettre le plus possible de mouvement sur une image arrêtée. Comment résumer un article et mettre du mouvement en seulement deux images. » Pour le dessinateur parisien, cette obsession du mouvement et de la dynamique est aussi tout simplement quelque chose qui vient de loin. « C’est un intérêt difficile à expliquer depuis le début. Je suis un énorme fan de sport donc le mouvement, c’est quelque chose qui m’intéresse depuis toujours. J’étais en graphisme aux Arts Décos et j’ai axé mon diplôme sur le sport. Ça part de là et puis ensuite c’est un style qui se développe. J’ai peut-être aussi un côté affichiste. J’ai fait des études de graphisme donc il y a un attachement à ce genre d’image. Je cherche tout le temps à avoir un côté impactant à la manière d’une affiche. La vitesse permet d’avoir ce côté impactant. »

Bien qu’ils officient dans des domaines et des styles qui diffèrent franchement, le point commun de ces quatre artistes est

effectivement d’offrir au lecteur des images fortes, prenantes et agissantes. Un savoirfaire qu’ils ont acquis au fil du temps, avec des techniques bien précises.

Des techniques qui pour nous, jeunes gens issus du monde d’en face – celui où la profondeur se construit grâce à un enchaînement subtil de mots et non grâce à des réflexions mathématiques – sont aussi lointaines que fascinantes. À l’école du dessin comme dans toutes les autres, pourtant, il y a ceux qui suivent les consignes à la lettre, et ceux qui s’en éloignent un chouïa pour adopter la méthode avec laquelle ils se sentiront le plus à l’aise.

Parmi les allergiques à l’application bête et méchante des savoirs emmagasinés figure Jean Dalin. Pour l’illustrateur lyonnais, la création d’une nouvelle image doit rester un moment de plaisir avant toute chose. « Avant, je faisais une grille de perspective par élément pour bien avoir les bons points de fuite à chaque fois. Maintenant, je sais où est ma ligne d’horizon, je sais si mon œil voit d’en haut ou d’en bas, j’ai une grille de perspective à un ou deux points de fuite, ça dépend des fois, et après, je dessine directement dedans ». Si les compositions complexes et multidimensionnelles de Jean Dalin semblent de prime abord être le fruit d’innombrables recherches et de calculs rigoureux, le travail de préparation semble pourtant se faire plutôt du côté du cerveau que sur des carnets de dessin.

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« J’ai voulu donner une forme aux émotions qu’elle ressent. J’ai beaucoup exagéré le côté déformé, liquide de certains passages. Quand on vit une émotion intense, on oublie qu’on a un corps, on perd ses repères ».
↑ « La salle des machines », illustration extraite de la BD de Jean Dalin à paraître chez Sarbacane (Particularité : comme le point de fuite est central et la vue zénithale, elle peut être placée dans n'importe quel sens) ↑ La dernière : « Place of Sport », Adidas, 2019 → Illustration de Maxime Mouysset pour The Economist, 2022

« Je suis tellement obsédé par les trucs que je dessine que je les ai vraiment dans la tête. Ça fait une semaine que j’y pense, je rêve de ça et quand je vais travailler, ça apparaît tout seul », nous avoue l’artiste au sommeil un tantinet léger. Si les techniques de gaufriers et de grilles sont volontairement peu utilisées par l’auteur, la discipline est bel et bien là, et se ressent notamment à travers la justesse des proportions.

« Les proportions, l’anatomie, je fais en sorte que ce soit juste. C’est pas le dessin que j’aime nécessairement mais c’est comme ça que j’aime faire. Les perspectives et les proportions doivent être bonnes », conclut celui qui prépare en ce moment même la sortie d’une BD dont le premier tome sortira bientôt chez Sarbacane.

Lorsque Léa Murawiec travaille sur une illustration qui file le tournis, c’est également souvent l’instinct, plus que l’application scientifique, qui prime.

« J’ai appris deux-trois trucs pour bien placer les éléments et après c’est que du feeling, nous dit-elle. J’ai essayé de renforcer ces sensations

de vertige dans mes perspectives. C’est pas forcément des perspectives hyper justes. J’essaie de travailler à la fois le ressenti et la technique dans mes perspectives, aussi parce que mon dessin, depuis très longtemps, est très narratif. » Si elle avoue suivre « certaines règles élémentaires de perspective, ce qui fait que ce n’est pas complètement pété », l’autrice tient à laisser une part importante à l’improvisation, notamment en essayant de « construire le plus possible les échelles et les proportions à l’œil ». C’est ensuite en retournant très souvent sa feuille à 180° que Léa Murawiec vérifie l’équilibre de sa composition. « Je préfère faire un beau dessin un peu faux et qui exprime une dynamique plutôt que quelque chose d’anatomiquement juste », nous confesse-telle. Un pari gagnant lorsque l’on pense à l’impressionnant dessin choisi comme couverture de sa première BD, récompensée du prix du public au festival de la BD d’Angoulême en 2022. Loin de ne briller que par sa couverture, Le Grand Vide regorge de planches dynamiques aux proportions renversantes. Généreuse, l’illustratrice parisienne nous dévoile quelques-uns des secrets de leur fabrication.

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« Je suis tellement obsédé par les trucs que je dessine que je les ai vraiment dans la tête ».
↑ Salle du parlement de Versailles, Marie-Anne Mohanna, Hémicycle Magazine, 2021 ↑ Étude image pour le prochain roman graphique de Marie-Anne Mohanna à paraitre en octobre 2023
↑ Planches issues de la BD Le Grand Vide, Éditions 2024 de Léa Murawiec, 2021 ↑ Hall Le Bon marché, Marie-Anne Mohanna - projet personnel, 2019

Après avoir dessiné des schémas simplifiés et dynamiques de ses personnages à l’étape du crayonné puis avoir placé des sorties de cases à des endroits stratégiques, Léa Murawiec nous dit essayer « d’accentuer certaines poses pour renforcer une action » et ne pas hésiter « à les redessiner si elles n’expriment pas tout à fait l’effet recherché ». Ce sont ensuite des « gouttes de sueur, traits de vitesse ou des rayons de surprise » qui finiront de « dynamiser les cases » et de « renforcer les expressions des personnages ».

Bon élève, Maxime Mouysset nous avoue utiliser, lui aussi, ces éléments magiques empruntés à la BD appelés traits de vitesse. « Je trouve que ça dynamise tellement une scène en termes de composition », ajoute-t-il. Ceux-ci viennent compléter des images déjà finement exécutées en termes de composition et de proportion. « La profondeur, ça permet de spatialiser la scène. La perspective, avec ses premiers plans, deuxièmes plans, arrière-plans, permet de synthétiser des informations. D’en dire juste assez au lecteur pour que lui aussi entre

dans la scène. Elle permet de raconter dans un ordre précis ce qu’on veut dire », nous explique-t-il. Cette perspective, si étudiée soit-elle, n’est pourtant pas forcément réaliste dans les dessins de Maxime Mouysset. « Souvent, je réadapte un peu la perspective parce qu’elle n’est pas forcément vraie. L’idée dans la presse, c’est d’exagérer les traits pour montrer une idée quitte à ne pas être tout à fait correct. C’est là qu’on voit le style de quelqu’un », nous dit celui qui sait exactement là où il veut aller. Lorsqu’il a réalisé la série de comics Square² vouée à être publiée sur le compte Instagram de Kiblind, Maxime Mouysset s’est par exemple autorisé une petite sortie de route : « Par rapport aux cours de perspective que j’avais pris à l’école, j’ai dû un petit peu fausser les perspectives. Il n’y a pas vraiment de règles. Tous les angles devaient être à 45° et moi j’ai un petit peu triché pour que tout soit clair, au niveau des ombres et des éléments. J’ai dû adapter la perspective militaire. »

Chez Maxime Mouysset pourtant, l’improvisation est rare et c’est justement pour cette habileté et cette rigueur que des marques colossales comme Nike viennent chercher l’illustrateur et graphiste.

L’importance du cadrage et des angles choisis, voilà des sujets que Marie-Anne Mohanna maîtrise également, tant ses dessins tirés au cordeau sont réalisés selon un modus operandi pointilleux. « Lorsque je pars de zero, je me crée cette espèce de grille pour marquer le vide. Une page blanche, ça reste une page blanche, donc c’est

super dur de réaliser le cadrage sans rien. La grille m’aide beaucoup parce que ça me donne cette impression de fond. Une fois le fond posé, je l’approche plus ou moins. Ensuite, je pose les murs et ensuite, je travaille en strates et je travaille vraiment l’accumulation jusqu’à ce que ça me parle », nous explique celle qui n’hésite pas à aller s’assurer de la justesse de ses proportions en recréant ses architectures dans Les Sims. Pour l’illustratrice, le cadrage est là pour « appuyer le sentiment d’immensité voulu ». « Je me servais de cette idée de cadrage ultra-large quand j’avais des envies de créer des immenses bâtiments. On m’a toujours dit que c’était important de créer une espèce d’effet de contraste parce que pour se rendre compte que quelque chose est immense, il faut pouvoir se rendre compte de la taille d’un tout petit élément.

J’avais toujours cette idée-là en tête », nous

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« L’idée dans la presse, c’est d’exagérer les traits pour montrer une idée quitte à ne pas être tout à fait correct ».
↑ Salle des décisions du Conseil constitutionnel, Marie-Anna Mohanna, Hémicycle Magazine, 2020 ← Affiche de Maxime Mouysset pour le match PSG - Bayern Munich, 2021 ↑ Comics SQUARE² de Maxime Mouysset pour Kiblind, 2022

raconte Marie-Anne Mohanna, qui voit là un excellent moyen de « travestir la réalité en rendant gigantesque quelque chose qui ne l’est pas vraiment ». Si, contrairement aux trois artistes précédemment cités, le mouvement n’est pas le premier effet recherché par Marie-Anne Mohanna, d’autres effets soigneusement pensés comme la symétrie permettent d’appuyer une sensation de vertige dans ses images. « Parfois, je crée de fausses symétries pour donner une impression de bizarrerie, et ça donne une profondeur plus grande », nous dit-elle. Aujourd’hui en plein bouclage de sa BD à venir chez Sarbacane, l’illustratrice avoue vouloir bousculer quelque peu sa méthode de travail, même si les perspectives et les points de vue restent au centre de son travail : « J’ai dû

penser tous les espaces de ma nouvelle BD de A à Z. On doit créer des images qui soient reproductibles à l’infini avec plusieurs perspectives, plusieurs points de vue, plusieurs cadrages mais c’est pas possible de faire vraiment ça dans la BD parce que si je mettais des milliards de détails, ça serait super long ; mais j’ai dû penser de nouvelles méthodes pour mieux visualiser. »

Qu’il faille pour cela jongler avec les perspectives et plans de leurs illustrations, en modifier maintes fois les cadrages, y glisser des onomatopées visuelles, ou même acheter Les Sims 4, les quatre dessinateurs dont nous avons recueilli les témoignages sont prêts à tout pour nous faire plonger la tête la première dans leur univers. Et quand, pour une fois, vertige rime avec plaisir, on veut bien y retourner au prochain tour.

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« Travestir la réalité en gigantesquerendant quelque chose qui ne l’est pas vraiment ».
↑ « Castle City », illustration extraite de la BD de Jean Dalin à paraître chez Sarbacane ← Cour du Palais Royal, Marie-Anne Mohanna, Hémicycle Magazine, 2020 ← Affiche du concours Jeunes Talents, BD Colomiers, 2021 ↑ Illustration de Maxime Mouysset pour L’Équipe explore, 2021 ↑ Illustration issue d’une BD réalisée par Jean Dalin, Metal Hurlant n°3, 2022 → Rédaction par : É. Quittet et M. Gueugneau

Se mettre au vertige

Journaliste pour le magazine JV et graphiste indépendant (pour ne citer que deux de ses coquettes activités) : Pierre Maugein est le (kid) caméléon dont nous avions besoin. Il nous raconte comment les jeux vidéos permettent à ceux qui y plongent la tête la première, de se créer leurs propres vertiges.

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Floue, voilà ce qu’est la notion de vertige, à la fois du point de vue physique et de celui de sa définition. Malaise, tournoiement, défaut d’équilibre, choc émotionnel, ces ressentis participent d’un vertige qui revêt autant de formes que les causes qui le déclenchent. Le Syndrome de Stendhal en est une, intense réaction de pertes de repères face à une œuvre d’art qui résonne en soi, ou face à un rassemblement trop dense de chefsd’œuvre. Se crée alors un trouble physique réel, plus ou moins problématique, et qui varie en fonction de sa culture d’origine. Sans provoquer le même type de déconnexion, la plongée dans une forme de création inédite peut amener à ressentir un certain vertige. Non pas du fait de son intense impact visuel ou imaginaire, mais par sa multitude. Mettre le nez dans le jeu vidéo, s’y intéresser vraiment, c’est tenter de saisir un domaine vaste et fluctuant. Les genres s’avèrent de plus en plus poreux, de moins en moins définis. Il est sans doute plus juste de parler de type d’expérience et c’est là que le vertige s’immisce. Tout y semble possible : affronter des dragons géants à dos de cheval (Elden Ring), résoudre l’énigme de sa propre mort sous forme de fantôme (Ghost Trick), optimiser tout un écosystème (Dorfromantik) ou encore gérer l’évolution d’une civilisation entière (Humankind). Et ce n’est qu’une fenêtre minuscule sur l’immensité des univers, des manières de jouer, des récits qui composent le jeu vidéo. Une masse écrasante de choix, de recherches sur ce qui pourrait nous correspondre. Car plus que le cinéma ou la littérature, dans lesquels existent également cette multiplicité de thèmes, il est ici question de types d’interaction avec l'œuvre. Des échanges pas tous évidents à apprendre et imposant un nouvel apprentissage à quasiment chaque occurrence. Et même si certaines productions sont pensées pour s’adapter au maximum à un large public, l’implication nécessaire à la connaissance ou à la maîtrise de ces jeux peut amener à perdre pied. Mais outre le fait de pouvoir s’égarer soi-même dans l’offre et ce que la pratique peut demander, il est aussi souvent question de ce que l’on projette de soi dans une oeuvre interactive. De façon très pragmatique, il s’avère tout à fait possible de choisir son propre vertige. D’une part par le truchement de la caméra. Là où le cinéma définit ses angles et travaille sa mise en scène, le jeu vidéo n’opère le plus souvent cette

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limitation que durant les scènes dites justement cinématiques ou pendant ses cutscenes. Le reste du temps, c’est au joueur de gérer soit la temporalité - il déclenche la progression par la pression sur un bouton - soit le point de vue, en manipulant la caméra. Il regarde alors ce qu’il souhaite, quitte à se causer un vertige physique, en basculant la vision vers le vide ou en subissant un certain malaise devant les mouvements de caméra parfois un peu secs, voire un vertige plus interne, celui de la liberté. Dans des aventures telles que Red Dead Redemption II, The Legend of Zelda : Breath of the Wild ou encore The Witcher III, décrits comme des jeux en « monde-ouvert », la simple action de faire avancer son personnage et de mouvoir le point de vue tout autour de lui amène un vertige, celui d’un monde à disposition, dans lequel les frontières ne semblent pas avoir d’existence. Des montagnes et des vallées à perte de vue, une infinité de chemins à suivre, tout concourt à imposer une immensité où s’évanouir. Et il suffit d’une petite erreur dans le programme, d’un bug, pour que le joueur dépasse ces bordures invisibles mais réelles et se retrouve derrière le décor. Un monde vide où les modèles 3D ne sont que des reliques du terrain de jeu « normal » et où - cette fois techniquement - il n’existe pas d’horizon. Des limbes causant parfois au voyageur qui y tombe une profonde angoisse, séparé de tout repère. Il serait d’ailleurs dommage de se limiter à ces moments d’abandon au-delà des murs, car existent également des vertiges plus intimes. L’un des avantages dans le domaine du jeu vidéo tient dans la construction narrative. De la même manière que le joueur est libre de bouger le point de vue comme bon lui semble et d’avoir par conséquent un dialogue avec l'œuvre, le tissu narratif peut aussi s’adapter à l'utilisateur. Si l’on a une petite connaissance du média, certains codes restent évidents, à savoir qu’il existe des déclencheurs à activer pour finaliser une action : par exemple si un personnage donne une quête, il faut la terminer pour avoir une récompense. Et si l’on n’est pas au fait de ces impératifs, le jeu le fait savoir d’une manière ou d’une autre ; soit par un texte explicatif, soit par une discussion ou autre intermédiaire. Dans tous les cas, en tant que maître à bord - car oui c’est le joueur qui tient la manette ou le clavier - chacun a les pleins pouvoirs et suit la règle du jeu. Et c’est investi de ces certitudes que le joueur devient vite la victime parfaite pour une manipulation. Des productions comme Baten Kaitos ou encore Spec Ops : The Line basent

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en grande partie leur force dans le fait de prendre ce dernier à revers, ou tout du moins d’utiliser l’implication directe comme un levier. Et si la révélation de Spec Ops donne des sueurs froides devant les atrocités commises sur la base d’éléments distillés par le jeu que l’on a pris pour argent comptant - grâce à la confiance aveugle faite à ce qui nous est demandé - celle de Baten Kaitos va plus loin et prive le joueur de son interaction directe. S’opère alors un vertige différent, celui de se sentir dépossédé de la seule manière de participer au jeu. Un moment de prise en compte de l’aspect particulièrement ténu de ce lien, sur lequel tout repose. De maître du jeu, on devient alors prisonnier d’une nouvelle donne renversante et imprévue. Surgit donc un sentiment d’impermanence, comme si tout pouvait arriver à n’importe quel moment malgré une structure qui semble faite pour nous accompagner. Sentiment qui fait d’ailleurs le sel du genre MMORPG (jeu de rôle multijoueur en ligne) où la présence d’humains dans l’équation amène son lot de bonnes ou de mauvaises surprises. L’élément déstabilisant se trouve moins dans la venue de situations imprévues - issues de l’impossibilité de prévoir les réactions d’autant de joueurs simultanément - que dans la micro-société formée, sorte de civilisation indéfinie et virtuellement immortelle tant que les serveurs demeurent actifs. Se forme ainsi l’impression étrange de faire partie ou d’observer un monde où les âges disparaissent, où les métiers ne sont plus. Seuls restent des quêtes, des histoires, et des personnages enfermés dans un infinité à la fois fascinante et terrifiante, rappelant - on y revient - des limbes, mais binaires. Voilà en quoi le vertige s’insinue aisément dans le jeu vidéo, par sa porosité à l’implication totale du joueur dans ses rouages, bien plus que dans n’importe quelle autre expression créative. Il lui offre des terres immenses, une variété totale d’expériences, sachant jouer de sa confiance et de ses attentes. C’est parce qu’il lui donne les clés et lui retire sans broncher que le jeu vidéo dispose de toutes les cartes en main pour brouiller la vision de l'œuvre.

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Visuels dans l’ordre d’apparition : Elden Ring; Ghost Trick; Dorfromantik; Humankind, Red Dead Redemption 2; The Legend of Zelda, Breath of the Wild; The Witcher III; Baten Kaitos; Spec Ops; Final Fantasy XIV (mmorpg)

Plonger dans la nature et avoir l’impression de vivre des aventures exaltantes même lorsque vous êtes coincés en ville entre quatre murs ? Voilà la promesse tenue par Les Others qui, grâce à un média, un magazine et un podcast nous baladent d’un bout à l’autre du globe. Les hédonistes qui se cachent derrière ça nous racontent cinq livres illustrés qui filent le vertige.

Silamontagneetsesvertigesontlargementététraités dans la littérature classique et dans les récits dits « de montagne », elle a plus rarement fait l’objet de livres illustrés, de romans graphiques, de bandes dessinées ou de livres de design. Hormis le célèbre

manga Le Sommet des dieux de JirōTaniguchi, que l’on ne présente plus, il est parfois difficile de trouver des ouvrages récents avec une approche originale du sujet. Voici une sélection éclectique qui mérite le détour.

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4. 3. 2. 1.
LA BIBLIOTHÈQUE IDÉALE — 58
5.

Ailefroide, altitude 3954, par Jean-Marc Rochette & Olivier Bocquet, ed. Casterman (2018)

Ailefroide, c’est le récit initiatique d’un gamin qui se rêvait guide de haute montagne et qui devient dessinateur. Après avoir connu la célébrité grâce à l’adaptation au cinéma de sa bande dessinée Le Transperceneige (par le réalisateur coréen Bong Joon Ho), l’auteur français Jean-Marc Rochette a choisi de revenir à son premier amour : la montagne. Dans cet ouvrage autobiographique publié en 2017, il nous emmène à l’assaut des grandes voies des Alpes, entre virées à mobylette, bivouac sous les étoiles et (gros) accidents de parcours. L’histoire d’une vie dans un monde tout en contraste tracé au pinceau noir. Il faut avoir du Jean-Marc Rochette dans sa bibliothèque, la montagne a rarement été peinte de cette manière !

Glaciers, par Aurore Bagarry, H’Artpon (2015)

Aurore Bagarry est sans aucun doute l’une des photographes françaises les plus talentueuses du moment. Chaque année, de 2012 à 2017, après la fonte estivale des glaces, elle a arpenté le massif du Mont-Blanc, prenant part à l’ancienne et méticuleuse tradition de représentation des glaciers. Avec une chambre photographique, elle parvient à retranscrire avec précision les reflets, couleurs et lumières subtils de ces géants de glace et de leur environnement proche dans ce premier livre, ainsi formé de cet inventaire symbolique de 74 photographies et 67 glaciers aux couleurs douces et profondes à la fois. Un ouvrage beau et triste, qui nous laisse espérer que ces glaciers puissent continuer de vivre ailleurs que sur papier.

4. In Search of Appropriate Images, par Mattia Balsamini,

Skinerboox (2021)

1. 2. 3. 5.

Yokoyama, ed. Matière (2011)

Explorations, par Yûichi

Ilfauttoujoursavoirdes livresétrangesdanssa bibliothèque,pourtrouver desidéesnouvelles.Ça tombebien,leJaponaisYûchi

Le photographe italien Mattia Balsamini a profité du confinement pour explorer son environnement proche sous tous les angles. Sa maison, son jardin, les champs autour de chez lui et les alentours de son travail... de près, de loin, le jour, la nuit. Un exercice pour former son œil et continuer de créer malgré les contraintes. L’objet imprimé est façonné comme deux livres qui se font face, que l’on peut feuilleter pour créer les diptyques de son choix. De quoi fabriquer soi-même une multitude d’univers. Malheureusement, l’ouvrage, que l’on a découvert à l’occasion de la publication d’une partie des clichés dans notre quinzième volume papier, est désormais sold out. Il va falloir guetter les sites d’occasion pour trouver la pépite !

Labibliothèque i d é a l e desOthers

Yokoyamaenasortitoute uneflopée,publiésenFrance aux éditions Matière. Dans Explorations,unouvragede 128pagesennoiretblanc–au sensdelecturejaponais–, il nous emmène au cœur de vastespaysagesdéserts,où depetitsgroupesd’hommes masqués mettent en œuvre desdispositifsd’exploration et d’observation diversement sophistiqués.Unmissileappareilphoto,unecabine enpaille,unrondindebois aménagéenembarcation,une tente canadienne en tube sont quelques-unesdesinventions déployéespourassouvirleur communepassion:observer lemondequilesentoure. Pourleslecteurs,çadonne quelquechosed’original, muetettoutenlignesdroites, avecdesonomatopéesqui recouvrentlescases.Ons’y perdvolontiers!

Les Pizzlys, par Jérémie Moreau, ed. Delcourt (2022) Chauffeur Uber nuit et jour à Paris, Nathan enchaîne les courses pour subvenir aux besoins de ses frères et sœurs. À bout de forces, en plein burn-out, il n’arrive plus à réfléchir. Quand son téléphone et donc son GPS tombent en panne, il plonge dans un vide assourdissant... et il a un accident. Annie, sa dernière cliente, lui propose de venir vivre avec elle en forêt, au fin fond de l’Alaska. Transplantée dans un monde totalement inconnu, la famille va devoir apprendre à s’adapter à ce nouvel environnement, beau mais hostile, à se reconstruire et à s’adapter à ses us et coutumes dans un décor dépaysant, où le changement climatique est au centre du quotidien. Dans ce roman graphique aux couleurs sublimes paru chez Delcourt fin 2022, l’auteur Jérémie Moreau – récompensé du Fauve d’or au festival d’Angoulême en 2018 pour la Saga de Grimr – tape une nouvelle fois dans le mille. La narration et le découpage sont parfaitement menés, et certaines planches mériteraient une expo à elles seules. Un voyage en pleine nature face aux vertiges de la vie citadine... à avoir dans sa collection.

KIBLIND Magazine → 83 → Vertige �� LA BIBLIOTHÈQUE IDÉALE — 59

« […] comme si, pour saisir un éclair de bonheur, la jeunesse et la beauté avaient besoin de s'étourdir jusqu'au vertige et de s'enivrer de mouvement jusqu'à la folie. »

« Vertige de l'amour / Désir fou que rien ne chasse / Le cœur transi reste sourd / Aux cris du marchand de

— Alphonse de Lamartine, Graziella, 1852

— Alain Bashung (paroles de Boris Bergman), Vertige de l'amour , 1980

KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Kiblind Magazine → 83 → Vertige �� CITATION — 60
glaces »

VERTIGE DE

Peu effrayé par les déménagements, Molécule déplace son studio d’un bout à l’autre du monde pour capturer in situ les sons immaculés que nous offrent les éléments. Peu importe qu’il faille pour cela naviguer sur un chalutier chatouillé par la houle et les tempêtes dans l’Atlantique Nord, dormir dans le phare hanté de l’île bretonne de Tevennec et survivre cinq semaines à - 22,7° dans un village inuit du Groenland. Ça ne faisait pas l’ombre d’un pli : c’est la playlist « Vertige » de Molécule dont nous avions besoin pour ce numéro.

01 LIGETI – ATMOSPHÈRES

Micro-polyphonie angoissante...

Une musique en mouvement permanent qui rend instable, fragile. Un voyage dans les profondeurs qui ouvre des portes...

02 MAURIZIO – M06A

Minimal, hypnotique, vaste, vertigineux... Le son de Berlin au milieu des années 1990. Quel bonheur !

03 MOODYMANN – I CAN’T KICK THIS FEELING WHEN IT HITS

Le vertige, c’est aussi un peu l’ivresse du dancefloor. Une boucle entêtante qui ne s’arrêtera jamais pour notre plus grande joie.

04

05 MOLÉCULE – J 25

Le silence vaste et profond de la banquise lors d’un hiver groenlandais. Flirter avec l’Origine, caresser l’archaïque. Se rapprocher de ses peurs. Ouvrir ses clavicules, accueillir le cosmos tout entier dans son ventre. Entrer en résonance avec l’extérieur.

06 BERNARD HERRMANN – VERTIGO (THÈME)

Dans Sueurs froides, Hitchcock nous questionne sur le vide et l’apparence. Le maître du suspense avait à ses côtés le génial compositeur Bernard Herrmann… maître du vertige ?

07 SOUNDWALK COLLECTIVE W/ PATTI SMITH – ETERNITY (FT. PHILIP GLASS & SUFI GROUP) La transe comme moyen d’accéder à des états de conscience modifiés. Étourdissant et jouissif.

08 VERTIGE – BAD MAN

Simple, efficace, tout est dans le nom du groupe.

09 HELADO NEGRO – 2° DIA

Un vertige de douceur… Un vertige amoureux, aquatique.

10 BRIAN ENO – DEEP BLUE DAY

Parce qu’il faut prendre une certaine hauteur pour avoir le vertige... Vol stationnaire assuré.

�� 61 — PLAYLIST
PINKFLOYD–ECHOES
Untitrefondateuràmesyeux.Unestructure 23 minutesmusicaleinédite,démesurée.Letitredure et35 secondes.Il estconstruitendeux partiesavecensonmilieuunescènesonoretrès sombreet expérimentale...pouvantprovoquer des hallucinationssynesthésiques.
→ Grap h i s m e : A. B r u g u i è r e → C r é d i t p h o t o : G o l e d z i n o w s k i → P r o p o s r e c u e i l l i s p a r : É . Q u i tt e t KIBLIND Magazine → 83 → Vertige LA PLAYLIST

Takanari Tazaki

Voilà quelques années que le travail de Takanari Tazaki s’est fait une place bien confortable dans notre cerveau. Ainsi sur un fauteuil moelleux, la pose élégante et le sourire charmeur, il se rappelle fréquemment à notre souvenir en faisant tinter la clochette de l’amour.

Car c’est toujours de ça qu’il a été question. À la première image apparue sur notre mur Instagram, l’effet fut immédiat. Des prises de vues impossibles, des cadrages renversants et un monde sens dessus dessous nous donnent l’impression d’être dans une boule à neige qu’un enfant de deux ans s’évertue à secouer sans cesse.

Ajoutez à cela une étude fine de l’environnement et des couleurs chamarrées, et vous avez là l’un des plus fascinants dessinateurs qu’il nous ait été donné d’observer. Pour le numéro "Vertige", son nom est sorti de nos bouches, comme un chœur annonçant la venue prochaine du deus ex machina.

Eh bien, le voilà, le sauveur. Il s’appelle Takanari Tazaki et son travail est incroyable.

TAKANARI TAZAKI — 62 ��
KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
TAKANARI TAZAKI — 63 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige Unknown
�� TAKANARI TAZAKI — 64 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige " anyway "
TAKANARI TAZAKI — 65 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
"lobbing" p.2
�� TAKANARI TAZAKI — 66 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige " prank "
TAKANARI TAZAKI — 67 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
good condition
"
"
�� TAKANARI TAZAKI — 68 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
"
" stupid hill
TAKANARI TAZAKI — 69 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige " fetch "
�� TAKANARI TAZAKI — 70 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige " homecoming "

Nuits sonores

17–21

Visuel : Superscript² × Studio Antho
mai 2023
Le Crédit Mutuel donne le

Partager l'espace public pas si difficile ! Lyon vu par camiLle Gobourg et Kiblind

Redonner de la place et du confort aux piétons, favoriser l’utilisation de modes de déplacement actifs, sécuriser les cheminements, végétaliser et adapter la ville aux canicules. L’espace public se transforme pour que la cité favorise le bien-être de tous et toutes.

PLUS D’INFOS SUR LYON.FR

> Sélection Kiblind

ActingClass

MASQUES ■ La réputation de petit prodige a tout de suite rôdé autour de Nick Drnaso. Avec Beverly, son premier livre sorti en 2016 (2017 en France), il impressionnait jusqu’à Chris Ware grâce à un dessin minimal, des cases silencieuses et un découpage chirurgical dépeignant le désespoir de la classe moyenne américaine. Il continuait à fasciner ensuite avec Sabrina, en 2018, qui se penchait sur cette même frange du pays, cette fois en proie au complotisme et à la paranoïa. On ne change pas totalement l’équipe gagnante avec Acting Class mais on passe la vitesse supérieure avec une réalité qui nous file totalement entre les doigts. Nick Drnaso continue sa descente dans les eaux troubles de l’Amérique moyenne avec une simple histoire de cours de théâtre amateur. Il réunit une troupe de gens aux profils psychologiques différents mais tous pas ouf. Un traumatisme, une socio-pathologie ou un simple mal-être les a poussés là, parce qu’après tout, ça ne peut pas faire de mal. Le professeur John Smith a effectivement plus d’un tour dans son sac pour les faire sortir de leur corps et gratter leurs plaies. Entre le jeu et la sincérité, le faux et le vrai, les rôles s’échangent, s’interpénètrent, se dissolvent. Jusqu’au point où le lecteur luimême se demande si tout ça n’est pas qu’une grande mascarade avec tous ces visages similaires et ce grand gourou au nom trop commun pour être vrai. Là, Nick, il semblerait que tu aies noué mon cerveau pour de bon. Le (toujours) jeune auteur américain se la joue magicien du 9e art. Avec ce même découpage bien sous tout rapport et son dessin quasi artificiel, Nick Drnaso nous a délicatement plongés dans une histoire lynchienne qui va nous perdre. Qui sont tous ces gens ? Existent-ils vraiment ? Qu’est-ce que je viens de lire, en fait ? On s’enfonce en profondeur dans chacun des personnages, on scrute leurs peurs et leurs désirs, on glisse doucement du plaisir au traumatisme, tout ça pour ne finalement reposer que sur un sol mou, sur lequel le lecteur peine à rester debout. Patient, maître de son dessin et méticuleux dans la narration, Nick Drnaso est encore parvenu à partir de tout en bas pour nous donner le vertige. Le qualificatif de « prodige » pour ce type est un euphémisme.

→ Acting Class de Nick Drnaso, Presque Lune, 268 pages, 30 € → presquelune.com

SÉLECTION PRINT — 73 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Les Daronnes

EMBROUILLES ■ Le carcan explose dès les premières pages. Un texto injurieux envoyé au milieu de la nuit par l’héroïne So-yeon et la baston pathétique qui en découle donne le ton de ces Daronnes, manhwa brillant et premier titre traduit en français de Yeong-shin Ma : la vérité sera crue et les situations décrites sans filtre. Mais attention à ne pas se laisser avoir par ces débuts tapageurs. Le livre du Coréen est loin de la comédie burlesque que laissent entendre le langage fleuri et le ridicule de la situation de départ. Si ses personnages sont bruts de décoffrage, Les Daronnes est avant tout une réflexion profonde et touchante sur la société dans son ensemble et la place qu’elle laisse aux femmes de plus de cinquante ans en particulier. L’auteur, très inspiré par sa propre mère, suit le parcours d’une mère de famille et de ses copines, toutes en proie à une vie intime et professionnelle peu aimable. Des amants volages et toxiques, un patron dégueulasse, des rejetons collés à leurs basques et un système patriarcal qui leur laisse à peine ce qu’il faut d’oxygène pour pouvoir survivre : voilà les poutres que la vie a mises dans leurs roues. Oui mais voilà, si les turbulences sont nombreuses et du genre mastoc, il subsiste chez elles la volonté farouche d’être libres malgré tout. Une puissance qui force le respect et vient frapper en plein cœur. Grâce à un dessin qui sait se mouvoir entre finesse et cartoon et un choix méticuleux des scènes décrites, Yeong-shin Ma parvient à mettre la tonne de sel adéquate sur les cicatrices coréennes. Évitant habilement l’écueil du misérabilisme et la superficialité d’une comédie sans saveur, l’auteur virevolte entre humour et messages forts à destination de ses compatriotes aussi bien que des lecteurs du monde entier. Ceux-là risquent de trépigner intensément face aux choix parfois irrationnels de son héroïne et surtout aux nombres de chutes qu’elle subit. Mais en creux se dessine surtout l’image de femmes au courage phénoménal qui savent user des failles de leur quotidien pour s’inventer leur propre vie. Critique des errances de son pays et amoureux farouche de ses personnages, Yeong-shin Ma livre un ouvrage drôle et sérieux, libre et incroyablement touchant.

→ Les Daronnes de Yeong-shin Ma, parue chez Atrabile, 368 pages, 25 €

→ atrabile.org

Blood of the

SANS TRUCAGES ■ Il en est ainsi de certaines légendes underground : on connaît mal ou très peu leur travail. Tel est le cas de Sammy Harkham, auteur et éditeur révéré mais dont la bibliographie est plutôt succincte : en français, seul Culbutes, recueil paru il y a dix ans chez Cornélius, est disponible. Il était dit que l’année 2023 serait celle où nous pourrons mettre un dessin sur un nom, un art sur un mythe. Avec la parution de Blood of the Virgin, dont le gros de l’histoire a été prépublié en 2011 et 2022 dans les propres revues éditées par Harkham Crickets et Kramer’s Ergot, Cornélius rend un fier service à tous les amateurs de bande dessinée qui n’attendaient que de pouvoir lire, sur la longueur, le travail de cet acteur capital de la bande dessinée américaine. Le résultat ne s’est pas fait attendre et plus les pages se tournaient, plus l’amour a enflé. Durant ces trois cents pages, nous suivons – avec moult digressions – le parcours d’un monteur, scénariste et, il l’espère en tout cas, réalisateur, au sein d’une industrie sauvage : le Hollywood des nanars dans les années 1970. Le fil rouge en est le tournage d’un film dont il croit détenir les rênes, une série B nommée Blood of the Virgin, pour lequel il va s’arracher pour des clopinettes et une reconnaissance proche de zéro. Sur le chemin, son couple et sa santé mentale se délitent dans un beau parallèle avec le visage du héros, sur lequel les cocards et tuméfactions écrivent le grand roman de sa déchéance. Le principal spectacle de cet album, c’est qu’il n’y en a pas. Malgré ce titre grotesque et le milieu qu’elle chronique, la bande dessinée de Sammy Harkham sait garder son sang-froid. Dans un rythme régulier, le dessin propre et sans fioriture de Sammy Harkham construit sa cathédrale sans flonflon ni trompette. Si l’Américain impressionne, c’est précisément grâce à cette science du petit pas et de l’anecdotique qui peint, sans qu’on s’en aperçoive, non seulement les aléas d’une existence mais également toutes les faiblesses d’une nation qui se croit forte mais qui est surtout sans pitié. Faire le gros plan pour évoquer l’ensemble et voilà que Sammy Harkham se lance dans une litote fascinante de cette société qui n’offre que des miettes aux vaincus, à qui il ne reste plus qu’à vivre malgré tout. Sammy Harkham débarque rarement dans les bibliothèques mais quand il le fait, il ne fait pas le voyage pour rien.

→ Blood of the Virgin de Sammy Harkham, parue chez Cornélius, 304 pages, 35,50 €

cornelius.fr

�� SÉLECTION PRINT — 74 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Cornélius
ah ! ah ! ah ! aah… aaah… han. aaah- han !  PAS AUTANT LES SOURCILS, D’ACCORD ? TU M’AS RAPPORTÉ LES BOBINES DU CAMION, AU  FAIT ? ET LA BOÎTE DE EN RAB, ET TU NE M’AS TOUJOURS PAS REMBOURSÉ. TU AS BU OU QUOI, EVERET ? SALUT, SEYMOUR ! VIENS NOUS VOIR ! SALUT, SCÈNE ? EN L’ÉCRIVANT, J’AVAIS QUI TRANSPARAÎT DANS SES INTONATIONS, MÊME QUAND APPORTE UNE ÉNERGIE SEXUELLE ET UNE PRESTANCE ABSOLUMENT UNIQ TÉLÉPHONE ! SEYMOUR ! JOY. TU LA JOUES LA PERFECTION. LES DIALOGUES PRENNENT VIE MERVEILLE. FORMIDABLE, CETTE PREMIÈRE SEMAINE. VAL EST AUX ANG TÉLÉPHONE. AH, D’ACCORD. VAL, NOUS AURONS QUITTÉ À 15 HEURES PILES. ARRÊTEZ UN PEU DE ET FERAI UN  PLAISIR DE E LE FACTURER ! OÙ EST TERRY POUR TU PEUX M’APPORTER  TES RÊVES, MON POTE. Virgin
Sammy Harkham

Défense

d’entrer ici feignante,pâle et pensive

Mary-Pain,

CONFINEMENT ■ Bienheureusement, il reste quelques globules de fougue adolescente qui circulent dans notre sang ; des relents d’interdit d’interdire qui se nichent là, dans un coin toujours actif de notre cerveau. Ainsi, nous avons pu passer outre l’avertissement qui figure en couverture de ce premier livre traduit en français – sauf erreur – de l’immense auteur et illustrateur Patrick Kyle, Défense d’entrer ici. Et à cette désobéissance primale, l’auteur répond avec un livre fascinant. Le décor et l’atmosphère de ce livre, pourtant sorti à l’origine en 2016, ne seront pas sans rappeler les souvenirs douloureux du printemps 2020. Le personnage principal ne sort pas de son appartement, ce qui permet à Patrick Kyle de décliner toutes les angoisses et hallucinations que provoque la vie en milieu confiné. Tout au long du livre, le héros se trouvera confronté aux problèmes inhérents à la location précaire (cafards, poussière, petitesse) et à la solitude. Ses seuls interlocuteurs seront un ordinateur particulièrement retors et une étrange créature vivant dans les murs. Cet environnement anxiogène offre à Patrick Kyle l’occasion d’élargir sa narration au domaine du fantastique et, par là, de multiplier les effets graphiques. Car le dessinateur anglais n’est pas du genre à se cantonner au réalisme. Son trait aime à flirter avec l’abstraction et donne au lecteur le droit d’entrer dans un monde pareil à nul autre. Défense d’entrer ici en est la déclinaison romancée, celui-ci faisant se confronter le graphisme frugal des murs avec les coups de pinceau généreux formant l’univers mental du héros. Nous sommes là face à une expérience troublante où le fantastique erratique se mêle avec la sordidité du quotidien, une forme de suspens en plein milieu de la routine. La folie se trouve cadenassée, enfermée dans une boîte aux contours aléatoires dont la mouvance n’empêche pas le sentiment d’enfermement. Défense d’entrer ici prend l’allure d’un laboratoire dont les idées débordantes amènent aux expériences les plus hypnotisantes. Pas d’inquiétude, vous êtes les bienvenus.

→ Défense d’entrer ici de Patrick Kyle, parue chez Frémok, 264 pages, 23 €

→ fremok.org

ERRANCE ■ Le début du livre est duraille pour son héroïne. Mary-Pain, artiste de 34 ans, est contrainte de revenir vivre dans son village natal. À peu près perdante sur tous les fronts de la vie, elle se débat contre la double offensive du manque d’argent et du manque d’inspiration. Alors, bien malgré elle, c’est le retour aux sources. Des sources croupies par le suicide de sa mère dans la piscine de la maison familiale et par une population qui la tient très majoritairement pour responsable. En guise de cerise sur ce gâteau à la merde, elle doit s’occuper d’un grand-père mourant et capable de bien peu de choses. On part donc de très bas. Mais c’est souvent à ce moment-là que d’un coup de pied sur le carrelage sale d’une piscine abandonnée, on tente de remonter à la surface. D’autant plus si les quelques âmes gentilles traînent autour du trou. Si les mains qui se tendent ne sont pas nombreuses, elles ont au moins le mérite d’exister. Et Mary-Pain s’y accroche tant bien que mal. Il y a Chris, le meilleur ami qui n’a pas su se tirer du village. Il y a le petit voisin Andreas qui collectionne les vierges Marie, ces mères éternelles. Il y a aussi le grand-père qui, bien que mal en point, est un des derniers liens de Mary-Pain avec sa famille. Une fine équipe bientôt rejointe par son père, sorte de deus ex machina bof, mais qui lui tire une fière chandelle du pied et qui lui offre aussi un demi-frère. L’autrice espagnole Lola Lorente, dont le premier album La Chair de ma chair a paru en 2011 chez Cambourakis, accompagne cette errance rédemptrice avec un trait qui sait choper les tribulations mentales de cette fille plus que patraque. Tantôt rude, tantôt grandiose, le dessin de l’artiste donne à ces aventures le goût amer qui leur va si bien. Misant sur une mise en scène libre, optant pour le dessin pleine page aussi bien que pour le gaufrier le plus classique, Lola Lorente parvient à nous faire vivre les affres d’une pensée en plein questionnement. La réalité la plus crasse et la mystique la plus déconnectée dialoguent cordialement, dans un livre où la folie guette sérieusement son héroïne. À la dernière page, le bout du tunnel est encore loin et les fantômes pas tout à fait disparus. Mais le voyage du lecteur aux côtés de Mary-Pain a fait son taf : le cœur a été violemment touché et il aura bien du mal à s’en remettre.

→ Mary-Pain, feignante, pâle et pensive de Lola Lorente, disponible aux éditions Actes Sud BD, 244 pages, 28 €

→ actes-sud.fr

SÉLECTION PRINT — 75 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Patrick Kyle FRMK FRMK Patrick Kyle

Oiseaux de nuit Tous les

NYCTALOPE ■ On ne ressort que très rarement grandi d’une soirée passée à écumer les bars. Surtout quand aucune occasion ne s’y prête et que la fête n’est pas au rendez-vous. Ces sorties à deux, prévues parce qu’on en ras le cul d’à peu près tout et qu’on ne sait jamais, la magie combinée de la Pelforth et d’une amitié historique peut valoir le coup. Il reste que pour certaines personnes, il s’agit d’un moment indispensable. Dans cet espacetemps aux contours flous, la parole se libère, le quotidien prend du recul et cet écart prend les habits d’une dépressurisation salvatrice. Jaroslav Rudiš et Nicolas Mahler viennent ici nous raconter l’une de ces nuits anecdotiques où l’éthylisme et la raison se combattent durement avant de se tomber dans les bras. Le plaisir de cette bande dessinée tient précisément dans cette acuité avec laquelle les auteurs décryptent ces moments peu glorieux. Des deux personnages principaux, nous ne savons rien au départ. Ni comment ils s’appellent, ni comment ils se connaissent. Et puis, par bribes, des éléments nous viennent, amenés naturellement au fil des conversations saoules qui s’enchaînent. Leur moteur est un désespoir latent, endurci par le temps qui file et les regrets qu’ils traînent. Derrière eux, la ville de Prague surgit pour y ajouter un peu de son histoire chaotique, comme un troisième larron un poil timide. Les sujets s’enchaînent, se coupent la parole, disparaissent et reviennent dans une confusion à laquelle seul l’alcool est capable d’offrir une cohérence. Les amours, les rêves impossibles, la grande Histoire et l’amitié se chevauchent et s’entrecroisent pour laisser finalement percer un sentiment d’impuissance ravivé d’une once d’espoir, représentée ici par chaque bar encore ouvert, comme un phare de plus dans la nuit. Pas d’intrigue, pas d’effusion, pas de morale, mais la banalité touchante de deux personnages à la croisée des chemins. Jaroslav Rudiš parvient avec une troublante justesse à rendre à ces discussions de fin de soirée leurs vérités et leurs fantasmes, leurs absurdités et leurs éclairs de génie, en un mot leur humanité. Nicolas Mahler avec un dessin minimal et un très bel usage du noir exprime avec brio le poids d’une existence qu’on espérait sublime et qui se révèle imparfaite. Avec humilité et sans lourdeur, les deux artistes parviennent à allumer ici ou là quelques petits lampions pour éclairer la chambre noire dans laquelle nous nous perdons.

→ Oiseaux de nuit de Jaroslav Rudiš et Nicolas Mahler, parue chez L’Association, 144 pages, 26 €

→ lassociation.fr

vivants

FANTÔME ■ Il y a quelque temps, une jolie fleur d’idolâtrie a poussé dans le champ de notre amour de la bande dessinée. Nous l’avons dédiée à Roman Muradov et, livre après livre, elle s’est étoffée pour devenir aujourd’hui un arbre imposant qu’il sera bien difficile de déraciner. Après Aujourd’hui demain hier (2016) et Les Aventures de Munich dans Marcel Duchamp (2020), l’auteur new-yorkais d’origine arménienne revient faire un tour chez Dargaud pour nous proposer une troisième bande dessinée. Comme à son habitude, celle-ci goûte la singularité et le savoir-faire pour ajouter une nouvelle réussite à une fort charmante carrière. Dargaud continue donc, et c’est un bonheur, le pari éditorial entamé il y a sept ans avec cet auteur qui ne ressemble décidément à aucun autre. Cet album pourrait bien être le plus accessible des trois, celui de la modération au service d’un récit continu. Mais il ne faut pas pour autant s’en attrister. Car si Roman Muradov tente moins, c’est également qu’il s’éparpille moins. Et ce qu’on entend chez lui par modération vaut mille expérimentations pour d’autres. Ainsi, nous retrouvons son dessin aux multiples facettes, simple voire maigre au premier abord mais qui recèle de multiples tentatives et techniques pour lui offrir à la fois poésie et aspérités. Ici, ce style si particulier lui est d’un grand secours car l’histoire qu’il nous raconte se fait tour à tour désespérante et rêveuse. Pensez donc, l’histoire commence par le suicide de son héroïne principale. Pourtant, par un sombre jeu de loterie organisé par les gardiens de l’enfer, la voilà qui retourne sur terre, avec un petit bonus : elle peut voir les fantômes, dont le sien qui habite désormais chez elle. Pour cette femme seule, au travail aliénant et à la vie bien trop morne, son fantôme fera office de confident, d’aide et de meilleur allié. Ce n’est pas l’histoire d’une éclaircie salvatrice que nous conte Roman Muradov. La situation ne s’améliore pas radicalement. Mais ici et là, de nouvelles graines sont posées et, qui sait, peut-être iront-elles jusqu’à se développer. En murmurant, sur la pointe des pieds, Roman Muradov ramasse des éclats de vie, les dépoussière un peu tout en marchant sur la fine ligne qui sépare la vie de la mort, le désespoir d’une tête relevée. Sans moral, sans sentence définitive, l’auteur nous livre une réflexion subtile sur le suicide. Ce qui est assez rare pour être lu avec attention.

→ Tous les vivants de Roman Muradov, parue chez Dargaud, 160 pages, 22 € → dargaud.com

�� SÉLECTION PRINT — 76 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Oiseaux_maq.indd 12

Saison 1

Un coffret inédit, édité à 200 exemplaires, qui rassemble tous les strips réalisés chaque dimanche sur Instagram par les 16 artistes de la saison 1 de SQUARE². Une contrainte comme point de départ : un carré dans un carré. Les pochettes sont disponibles individuellement.

À découvrir dans nos ateliers à Lyon et Paris ou sur www.kiblind-atelier.com

Astra Nova

DÉCOLLAGE ■ La dernière fois que nous avons croisé le travail de Lisa Blumen, la Terre allait exploser. Ce sont des choses qui arrivent. Et tant mieux d’ailleurs puisque sa BD sur le sujet, Avant l’oubli, était formidable. Apparemment, la jeune artiste a su s’en remettre avec aplomb (et le prix de l’ADAGP) puisque la voilà de retour, même pas deux ans après, avec Astra Nova Comme quoi l’apocalypse, on dit des trucs et puis, hein, bon. Toutefois, on remarquera une certaine cohérence dans les sujets traités par l’ancienne étudiante de la HEAR. Si, dans Astra Nova, le monde va plutôt bien, c’est le destin de l’héroïne qui est sans retour. Une fin du monde perso, en quelque sorte. Nova, c’est son nom, s’apprête à s’envoler pour une mission spatiale bien trop longue pour qu’elle puisse en revenir. Elle ne s’en émeut pas, elle est même volontaire pour l’affaire. Sauf qu’avant de partir, les dispositions juridiques de ce futur plus ou moins proche obligent Nova à se rendre à une fête d’adieu avec des amis qu’elle avait perdus de vue. Quelle galère. Nous sommes d’accord avec Lisa Blumen. Pourquoi tant s’intéresser aux premières fois quand ce sont les dernières qui nous révèlent. Ces moments de latence où l’on sait que tout va finir sont ceux où l’on prend conscience du sens de notre vie, de notre rôle sur Terre, ceux où l’on tente de séparer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. Au petit jeu de faire intervenir le grand tout pour mieux scruter l’intimité, Lisa Blumen est sacrément fortiche. Les petits riens, les dialogues, les moments d’échange et d’introspection sont les pièces de son puzzle pour mieux faire le bilan de l’espèce humaine. Une fois encore, avec Astra Nova, elle étudie avec minutie et bienveillance le moment absurde de l’attente de la fin. Grâce à son dessin aussi simple que doux et son usage toujours plus subtil des couleurs, Lisa Blumen nous dessine le chaos en pente douce. Tout va finir, mais son trait rappelle la douceur d’un monde qui vit encore. Et peut-être, à force de caresser la feuille de son feutre, une touche d’espoir va-t-elle revenir ? Peut-être que la solitude que Nova s’est imposée était un mauvais choix ? Les autres ont parfois du bon et Lisa Blumen s’attache à nous le prouver avec tendresse et intelligence.

→ Astra Nova de Lisa Blumen, parue chez L’Employé du moi, 178 pages, 24 €

→ employe-du-moi.org

�� SÉLECTION PRINT — 78 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige

Mars > Mai 23

Une saison aux Ateliers Presqu’île et Hors-les-murs

AVRIL

→Ateliers Presqu’île, Lyon 2

Atomic Alert

FRÉDÉRIC SONNTAG ET THOMAS RATHIERASANISIMASA

Nous étions jeunes alors

FRÉDÉRIC SONNTAG - ASANISIMASA

Sócrates (Gagner ou perdre mais toujours en démocratie)

FRÉDÉRIC SONNTAG - ASANISIMASA

MAI

→Ateliers Presqu’île, Lyon 2

La Germination

D’autres mondes possibles (épisode 1)

JORIS MATHIEU ET NICOLAS BOUDIER EN COMPAGNIE DE HAUT ET COURT

Transformé

FANNY DE CHAILLÉ ET SARAH MURCIA - DISPLAY

Boum Boum Boum

FANNY DE CHAILLÉ - DISPLAY

Une autre histoire du théâtre

FANNY DE CHAILLÉ - DISPLAY

MAI / JUIN

Terces

JOHANN LE GUILLERM

→Chapiteau Parc de Parilly, Vénissieux

TNG-LYON.FR | 04.72.53.15.15

Illustration Fräneck –Graphisme Jeudimidi –Licences d’entrepreneur du spectacle : PLATESV-R-2021-003839PLATESV-R-2021-006785PLATESV-R-2021-003797PLATESV-R-2021-003798SIREN 307 420 463
dès 15 ans dès 15 ans dès 15 ans dès 14 ans dès 15 ans dès 10 ans dès 10 ans dès 7 ans

LECOIN DES KIDZ

Alphabet du grenier

Voilà près de dix ans, le dessinateur Jérémie Fischer était un fringant jeune homme qui sortait un sacré beau livre jeunesse, C’était chez Orbis Pictus Club et c’était tiré à 250 exemplaires. Flûte. Gloire alors à la maison d’édition des Grandes Personnes qui a la riche idée de rééditer et de mieux distribuer ce formidable livre-objet. Jouant de calques, de spirales et de formes abstraites, le livre fait apparaître à chaque page tournée des lettres comme par magie. On retrouve là les obsessions graphiques de Jérémie Fischer, entre rêve et réalité, abstraction et figuration, adaptées tout exprès pour les petits pipous. Manquerait plus que ça leur apprenne à lire.

→ Alphabet de Jérémie Fischer, parue chez Les Grandes Personnes, 26 pages, 15 € → editionsdesgrandespersonnes.com

L'Imagier

Consistant à illustrer des mots du quotidien ou une thématique bien précise, l’imagier est généralement indolore. Ici, Émilie Chazerand, au texte, a choisi de donner aux enfants de quoi manger. Par le choix de certains mots très contemporains (fierté, bar, tatouages, collages, etc.) mais surtout par leurs définitions engagées, elle donne un coup de collier à l’habituelle platitude du genre. Alternant réflexion, humour et tendresse, elle colle au vrai univers des enfants sans les prendre pour des demeurés. À cela s’ajoutent les toujours chics et très accessibles dessins d’Anna Wanda Gogusey pour offrir une réalité palpable à des notions parfois complexes. Ici, comme dans les autres imagiers, nous découvrons le monde. Mais cette fois, c’est le monde d’aujourd’hui.

→ L’Imagier d’Émilie Chazerand et Anna Wanda Gogusey, paru chez La Ville Brûle, 96 pages, 16 €

→ lavillebrule.com

L’être humain, même quand il est mort, garde des réflexes bien curieux. Ainsi en est-il de ce petit fantôme qui hante le grenier d’une maison où vit une petite fille avide de le rencontrer. Pourtant celui-ci fait tout pour la faire fuir, fier de son territoire et rétif à ce qui ne fait pas partie de sa routine. Évidemment, à la fin, tout se passera bien. Pour le lecteur, tout s’est bien passé depuis le début puisque page après page, il a pu admirer le travail au fusain de Mamiko Shiotani, fait de doux granules aux couleurs à peine évoquées. L’atmosphère trouble qu’elle impulse à ses images n’empêche pas la lumière d’émerger des visages ronds et chaleureux, cassant avec la minutie des décors. Ainsi, le chaud et le froid sont soufflés, et nous n’avons plus qu’à nous pelotonner dans la tiédeur rassurante d’un superbe album jeunesse.

→ L’Ami du grenier de Mamiko Shiotani, parue chez La Partie, 40 pages, 15,90 € → lapartie.fr

Alors, oui. Le titre, c’est ça ? Et l’univers scatologique du livre... Je comprends. Néanmoins. Si le chien et personnage principal de Monsieur Crotte est effectivement le propriétaire d’un système digestif singulier, il vaut mieux en rire, c’est fait pour ça. Car l’enjeu du livre est tout autre. Si Hippolyte, le maître, s’inquiète tellement fort de cette situation qu’il enchaîne avec son chien les rendez-vous chez des médecins plus ou moins confirmés, la vérité lui sautera bientôt aux yeux : avec ou sans crotte, c’est son chien préféré du monde. L’entente Simon Bailly-Ella Coutance fait des miracles grâce à ce dessin à la beauté pure et à cette très jolie histoire de tolérance cachée dans un tas de caca. Comme quoi les perles ne se trouvent pas que dans des huîtres.

→ Monsieur Crotte de Simon Bailly et Ella Coutance, Actes Sud Jeunesse, 40 pages, 15,50 €

→ actes-sud.fr

�� SÉLECTION PRINT — 80 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
L'Ami Monsieur Crotte 15,90€ Lami_du_grenier_COUV_def.indd

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Lesfilmsvertigineux de Boris Labbé

On entre dans un film de Boris Labbé comme dans un rêve étrange. Ce genre de rêves sans repères dimensionnels, sans cadre, sans narration, sans espace connu, sans notion de temps. Lorsque les images frappent librement notre esprit endormi, sans règles et sans ordre, dans une joyeuse anarchie libérée du filtre qui retient l’absurde. Ou comme quand on rêve qu’on tombe. La vraie sensation de chute, belle et bien réelle, avec les fourmillements dans les jambes pour attester de sa réalité. Le vertige.

Ce vertige justement, est une notion – ou plutôt une sensation –centrale dans le travail du réalisateur. « Beaucoup d’éléments de mes films viennent d’idées que j’ai à mon réveil. Des rêves de chute. Un vertige qui n’est pas réel, qui est généré par notre cerveau, mais dont les sensations bien réelles m’inspirent. C’est ce qui me plaît dans les rêves : pas le contenu, mais la sensation. » C’est de cette manière qu’il façonne ses films, comme on tisse des songes : dans une sorte d’état de concentration spéciale, qui fait qu’on se projette dans l’objet animé, artificiellement mais pourtant concrètement. « Dans l’animation, on fabrique des choses qui ne sont pas réelles. On fait de l’artifice. Mais un artifice qui permet justement de provoquer quelque chose, une émotion, un ressenti, qui sont bien réels. »

�� SÉLECTION ANIMATION — 82 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
Rhizome
J.
Recherche pour Rhizome
Kyrielle
Il(s) tourne(nt) en rond

La sensation déroutante, elle, est déjà dans les compositions expérimentales de ses courts-métrages, dans les textures organiques, et peut-être plus encore dans les mouvements qui leur sont imposés et qui conduisent inévitablement à la multiplication des formes. Le rythme, hypnotique, mécanique, accompagné par une musique minutieusement conçue, est le vrai conducteur d’une progression envoutante dont l’aboutissement est une sorte de transe, dans laquelle fourmille une myriade de petits acteurs fantasmatiques.

On part de chorégraphies simples, qui se répètent en canon, s’amplifient exponentiellement et deviennent folles. C’est un jeu asymptomatique avec le temps ; parce que l’accroissement de ses modules, de ses formes, de ses personnages, de ses constructions, tend mathématiquement vers l’infini. C’est pourquoi on peut rester des heures devant un film d’animation de quelques minutes de Boris Labbé, tellement il y a de choses à voir, à revoir, comme devant un tableau de Jérôme Bosh. La filiation est d’ailleurs pleinement assumée, notamment dans ses films dessinés à la main, animés à l’encre de chine et aquarelle sur papier : Kyrielle, Rhizome, La Chute Escher, aussi, et ses figures impossibles, n’est pas très loin.

« Quand je commence un projet, je collectionne des images. Je vais en chercher et en accumuler un grand nombre : des images d’artistes, d’auteurs, de scientifiques, etc., pour arriver à un corpus de formes, de possibles. Une lecture d’un livre ou d’un simple passage, un artiste que je viens de rencontrer, un principe abordé dans un précédent projet que je veux développer, des recherches dans toutes les directions… quelque chose se passe. Quelque chose qui me permet de remplir la page blanche et de commencer une nouvelle création. L’image est pour moi plus importante que le texte. Et dans cette recherche d’images proche de la démarche d’un chercheur en sciences dures, j’avance comme un aveugle qui cherche son chemin. Jusqu’à ce que j’arrive à l’image d’appui, qui va déclencher tout le reste. »

Cette démarche, méthodique, compulsive, explique la dimension expérimentale de ses films. Une fabrique d’images, d’objets, de formes, de petites choses sorties plus ou moins du néant et qui attendent à l’écran d’être animées, de recevoir cette énergie particulière qui va transformer leur matière en mouvement, qui va les faire danser devant nous, juste pour le plaisir du rythme, de la création et de la sensation. Et c’est beau, troublant et vertigineux.

FILMOGRAPHIE / CRÉATIONS

Ils tournent en rond, 2010, EMCA.

∙ Cinetique, 2011, EMCA.

∙ Kyrielle, 2011, EMCA.

∙ Caverne, 2011, EMCA.

∙ Danse Macabre, Installation, 2013.

∙ Rhizome, 2015, Sacrebleu Productions.

∙ Any Road, 2016, commande de l’auditorium de Lyon et du GRAME.

∙ Orogenesis, 2016.

∙ La Chute, 2018, Sacrebleu Productions.

∙ Sirki, 2019, série de quatre courts-métrages, commande de la ville de Sapporo.

∙ Monade, 2020, Installation, 2020-2022, coproduction VIDEOFORMES et Bandini Films.

∙ Le Lac, 2020, Scénographie du spectacle Le Lac des cygnes d’Angelin Preljocaj.

∙ Les Nuées, 2021, Vidéo Mapping sur l’église de la Madeleine, Aix-en-Provence.

∙ Cristallogenèse, mapping, sortie avril 2023.

∙ Glass house, Concert immersif, sortie en juin 2023, Ensemble Cairn.

∙ Mono no aware, sortie courant 2024, Sacrebleu Productions.

SÉLECTION ANIMATION — 83 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
On part de chorégraphies simples, qui se répètent en canon, s’amplifient exponentiellement et deviennent folles.
Affiche pour Le Festival d'un jour 2022
Recherche pour Mono no aware
La Chute
Recherche pour La Chute

CLIP CLAP

Quand le clip vient sublimer une musique qui est déjà de toute beauté, alors là, l’extase est maximale. Chaque mois, sur notre site kiblind.com, nous célébrons le clip musical animé. Qu’il soit en 2D, en 3D, en stop motion, ou encore dessiné à la mano, le clip illustré est partout et il a fière allure. On vous présente ici deux clips illustrés récents qui nous ont coupé la chique. Et pour en parler, qui de mieux que les personnes qui les ont illustrés et animés ?

IÑIGO MONTOYA TOTEM

ILLUSTRATION/ANIMATION: ZEUGL

→ L'histoire

Notre intention était d’emmener les spectateurs dans un métaverse utopique nommé « BetterThanLife ». Cette réalité alternative numérique révèle petit à petit sa réelle nature à travers des bugs visuels et par la pollution de différentes fenêtres publicitaires qui nous rappellent que toute cette végétation luxuriante et ces animaux qui se promènent librement ne sont que des pixels sur un écran.

→ La réalisation

Sans révéler tous nos secrets, le principe de base est assez simple : on a choisi d’utiliser les emojis comme outils de dessin, en exploitant les variations de couleurs de chacun d’entre eux pour créer les volumes et tons de nos illustrations. Une fois ces éléments réalisés, nous les avons combinés afin de créer les décors que nous avons ensuite composés en 3D dans After Effect. Certaines séquences, telles que les animaux qui courent, sont quant à elles animées en rotoscopie puis intégrées dans les décors 3D.

On a utilisé environ 140 emojis différents dans la version finale du clip qui nous a pris au moins six semaines complètes de travail pour sa réalisation. En moyenne, chaque séquence d’animal qui court a pris trois heures à dessiner et on compte entre une et deux heures pour les éléments fixes selon leurs dimensions car pour avoir une taille d’emojis homogène (sauf cas spécifiques), chaque élément a été dessiné à son échelle finale.

→ Les inspirations

Pour créer les fameuses fenêtres publicitaires dont on parlait plus haut, on s’est beaucoup inspirés de nos expériences de navigation Internet : elles sont l’archétype du style de pop-ups indésirables qui remplissent nos écrans. Le comble dans tout ça, c’est que la présence de ces messages a causé (et cause toujours) de gros problèmes pour la visibilité du clip. Apparemment, certaines injonctions comme « Cliquez ! », « Hacked » et le faux Windows à la fin rendent notre clip inéligible à la sponsorisation, ce qui est complètement ironique quand on pense au message que l’on véhicule dans cette vidéo.

Enfin, il nous semblait important de mentionner l’artiste japonais Hiro Isono, dont les fabuleuses peintures nous ont servi de références principales dans l’élaboration de la direction artistique de ce clip (et des visuels qui accompagnent la sortie de l’album dont « Totem » est extrait)

�� SÉLECTION ANIMATION — 84 KIBLIND Magazine → 83 → Vertige SÉLECTION 84

BON ENFANT PÂTE À BISCUIT

ILLUSTRATION /ANIMATION : GASPARD EDEN

→ L'histoire

Le vidéoclip ne raconte pas une histoire à proprement parler. Il s’agit plutôt d’une expérience visuelle dans laquelle j’ai tenté de laisser libre cours à mon imagination ; la narration des animations est parfois influencée par les paroles de la chanson sans pour autant les raconter. J’ai envisagé plutôt une trame visuelle d’accompagnement que l’inverse, c’est-à-dire une trame sonore qui accompagne le visuel. De cette manière, l’attention n’est pas détournée de la musique et le support visuel sert de stimulus à la pièce de Bon Enfant.

→ La réalisation

C’est la première fois que je fais de l’animation. Je n’avais jamais touché au medium auparavant. C’était donc une courbe d’apprentissage en temps réel, un défi que ça me démangeait de relever depuis un bon moment. J’ai dessiné chronologiquement tout ce que l’on visualise au cours de l’animation ; le premier plan du clip, c’est le premier que j’ai dessiné, le dernier, c’est le dernier que j’ai dessiné. Il n’y avait aucun storyboard, aucune idéation. J’avais quelque chose en tête et peu de temps (il n’y a jamais assez de temps en animation) pour le faire. J’ai donc travaillé jour et nuit, pendant des mois, sans trop réfléchir. Je voulais simplement me surprendre à travers mes idées et les faire bouger du mieux que je pouvais. Parfois les paroles m’ont influencé au premier degré, parfois au second. À certains moments, j’aimais jouer à répondre à ce que les paroles me dictaient de dessiner, toujours avec des petits clins d’œil, des petites surprises. Parfois, je me suis étonné à faire des liens là où je croyais qu’il n’y en avait pas. Je ne voulais pas nécessairement créer un narratif afin d’accompagner le morceau de Bon Enfant. C’est plutôt l’ambiance de la musique qui m’intéressait. Je voulais créer une autre dimension, une dimension qui est visuelle et qui capte l’attention, qui accompagnerait les couleurs musicales du morceau.

→ Les inspirations

Les « créatures » sont souvent non réfléchies, je me tiens loin de tout ce qui est trop conceptuel. Si j’intellectualise mon travail en l’effectuant, je finis avec une page blanche. Mon envie première était de me dépoussiérer le subconscient et de laisser sortir les petits troglodytes de la caverne encéphalique.

Pour vivre la lecture de ce papier de façon optimale, allez donc voir nos sélections mensuelles des clips animés sur kiblind.com. Avec le son et l’image, c’est plus sympa quand même.

Propos recueillis par : É. Quittet

SÉLECTION ANIMATION — 85 �� KIBLIND Magazine → 83 → Vertige SÉLECTION ANIMATION — 85

SQUARE²

SQUARE² est une BD originale publiée chaque dimanche sur le compte Instagram de KIBLIND. La saison 2 a débuté en juillet 2022. Le principe : chaque semaine pendant un mois, un artiste que nous avons choisi dessine un strip qui doit respecter les règles graphiques suivantes : un carré central / 4 côtés / 4 cases / 4 couleurs. Ici, une variation autour du carré jaune proposée par Jérémie Moreau.

KIBLIND Magazine → 83 → Vertige
À
sur instagram.com/kiblind_magazine �� SQUARE — 86
SQUARE² • Saison 2 – Chapitre 8 – Partie 1/4 Jérémie Moreau
suivre

HIP HOP OPENING

Saïdo Lehlouh & Bouside Ait Atmane

Pôle européen de création | LYON 23 > 26 MAI 23 © D. Aucante1/R-22-1137, 2/R-22-1138, 3/R-22-1139 EN SAVOIR +

Madeleine Riffaud, Résistante

2 FÉVRIER 11 JUIN 2023 Jean-David Morvan Dominique BertailMadeleine Riffaud © Dupuis, 2022. EXPOSITION

UNE TERRASSE AQUATIQUE DES FLOTS DE RENDEZ-VOUS ARTISTIQUES

BLEU 3 MAI → 8 OCTOBRE 2023

LOUS

JOSÉ GONZÁLEZ

JOUE “VENEER” -

(CHLOÉ & BEN SHEMIE)

29 JUIN 8 JUILLET FES TI VAL SIGUR RÓS & LONDON CONTEMPORARY ORCHESTRABEN HOWARDPANDA BEAR & SONIC BOOMOBONGJAYAR
SAMPA THE GREATKEVIN
-
LEON
INTERPOL PERFORMING “ANTICS”
MORBY
AWIR
& AMALA DIANOR, GRÉGOIRE KORGANOW
-
AND THE YAKUZA
-
THYLACINE & L'ORCHESTRE NATIONAL D'ÎLE-DE-FRANCE
HIGH SEASON
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