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SAHO: JOYAUX DE L’ARCHITECTURE MALIENNE

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Couverture: Saho Sénégal, Kolenzé, novembre 2011

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SAHO JOYAUX DE L’ARCHITECTURE MALIENNE

Annette Schmidt & Geert Mommersteeg (dir.)

© 2013 KIT Publishers, Amsterdam / Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leiden

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TABLE DES MATIÈRES Préface Boubacar Hamadoun Kébé

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Héritage architectural : La gestion du Patrimoine Culturel Annette Schmidt & Yamoussa Fané

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Les maisons communes des jeunes dans le Delta Intérieur du Niger : Histoire et continuité Geert Mommersteeg & Sebastiano Pedrocco

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Bibliographie

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SIRIMOU, SAHO SARI MAKA

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KOUAKOUROU, SAHO BAYON KUBE

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KOUAKOUROU, SAHO JAMONATI

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KOUAKOUROU, SAHO KOINA TURU

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KOLENZÉ, SAHO KADJA BUREAU

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KOLENZÉ, SAHO MAKALA

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KOLENZÉ, SAHO MEMA BUREAU

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KOLENZÉ, SAHO PATAMINALA

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KOLENZÉ, SAHO SÉNÉGAL

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KOLENZÉ, SAHO SEREBENE

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KOLENZÉ, SAHO WOLOFO

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Remerciements

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Colophon

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PRÉFACE Boubacar Hamadoun Kébé, Ministre de la Culture

Depuis 1988, le bien « villes anciennes » de Djenné figure sur la prestigieuse Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Cette inscription au panthéon des biens culturels de l’humanité revêt une importance toute particulière pour nous, Maliens mais aussi pour l’humanité toute entière. Ce bien, connu à travers le monde pour ses valeurs exceptionnelles et universelles, est l’un des sites les plus visités au Mali. Il constitue un créneau majeur de promotion socio-économique et culturelle du pays grâce au tourisme. Le bien « Villes anciennes de Djenné » est très apprécié pour son patrimoine immobilier, un pan de notre identité culturelle qui mérite une attention particulière. La fascinante architecture de Djenné présente des identités structurales et faciales des monuments architecturaux des villages environnants de la circonscription. Le saho, maison communautaire et de socialisation des jeunes en milieu Bozo dans le Delta intérieur du Niger, est un exemple de professionnalisme des maçons de Djenné. Les bâtisseurs savent donner au banco des tons variés, et conférer aux constructions une plasticité. Les modelages des saho reflètent bien la culture, l’énergie juvénile, la virilité exprimée dans la structure en masse et l’extraordinaire élégance des éléments décoratifs. Les saho existent dans les villages bozo du Pondori, notamment à Sirimou, Kolenzé, Kouakourou, Yonga Bozo, Pora Bozo et Nouhoum Bozo. Le projet de restauration et de conservation de l’architecture de Djenné est le fruit du partenariat fécond entre professionnels maliens et néerlandais qui œuvrent en synergie, depuis 1980, dans le cadre de l’inventaire et de la documentation des maisons monumentales de Djenné.

Ce projet de restauration et de conservation de l’architecture de Djenné, outre la restauration de maisons monumentales, s’est étendu aux saho. Les saho, dont l’édification remonte à des décennies et qui ont fait la fierté de la localité, ont perdu beaucoup de leurs valeurs esthétiques. La paupérisation grandissante de la population et la négligence de la jeunesse sont les facteurs substantiels de la détérioration du monument. Les travaux de restauration entrepris par le Musée National d’Ethnologie de Leyde ont permis de restaurer et de documenter, entre 2004 et 2012, onze (11) saho (Sirimou 1, Kouakourou 3 et Kolenzé 7). Ce programme de restauration des saho s’inscrit dans le vaste projet de restauration et de conservation de l’architecture de Djenné dont il est l’une des composantes. Aujourd’hui, les saho restaurés dans les environs de Djenné sont intégrés dans le circuit touristique et les édifices ont recouvré leur label originel. Nos sentiments sincères de profonde gratitude s’adressent à la coopération néerlandaise qui, à travers ce projet, n’a ménagé aucun effort pour la réussite de cette œuvre noble. La conservation et la revalorisation des saho ne doivent être considérées, en aucune manière, comme étant un rebut de la modernité. C’est du moins une impérieuse nécessité de ressourcer la jeunesse en crise d’identité culturelle. Ce livre, je l’espère, nous donnera plus d’informations sur ce patrimoine bâti exceptionnel de notre pays que chacun de nous doit visiter. Bamako, novembre 2012

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1. Saho Jamonati de Kouakourou. Photo: Z. Ligers, 8 julliet 1959 [Ligers 1967, planche xix]

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HÉRITAGE ARCHITECTURAL : LA GESTION DU PATRIMOINE CULTUREL Annette Schmidt & Yamoussa Fané

INTRODUCTION La monumentale architecture en terre du Mali est mondialement connue et constitue une partie importante de l’identité culturelle de la population locale. En général, l’intérêt international s’oriente vers les grands centres comme Djenné, Gao et Tombouctou parce que ces derniers, grâce à leur architecture exceptionnelle, sont placés sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Cependant, le patrimoine architectural du Mali ne se limite pas qu’à ces villes, mais peut également se voir dans un arrière-pays beaucoup plus vaste. Malgré le fait que l’attention pour ces régions soit beaucoup moins grande, elles font néanmoins face aux mêmes défis auxquels sont confrontés les grands centres. Certes, l’architecture en terre offre un cadre de vie agréable et durable, mais elle est également vulnérable. Lorsque l’entretien nécessaire ne s’effectue pas régulièrement, l’édifice se transforme, en un temps record, en amas de terre. Cet entretien est réalisé par des maçons qui, au cours de leur travail, transmettent leurs connaissances et compétences aux jeunes générations. Aussi bien l’entretien physique que la maintenance de ces systèmes de connaissances locales assurent la conservation de ce patrimoine culturel. Il est également important que la population locale soit consciente de la valeur de son architecture monumentale. Outre le rôle que joue ce patrimoine dans le développement d’une identité locale, il peut également fournir une source supplémentaire de revenus. En effet, le tourisme culturel, attiré par la beauté architecturale locale, peut être une source de revenus très appréciable. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt du siècle dernier, la région du Sahel, dont le Mali, a été frappée par une grande sécheresse. A cause de la lutte pour la survie pendant cette période, les travaux d’entretien des édifices en terre ne constituaient pas la première des priorités. Ainsi, dans la période qui a suivi la sécheresse, beaucoup de monuments de cette architecture ont disparu. Le seul endroit où cette détérioration peut être attestée avec des chiffres précis est la ville de Djenné où des recherches avaient été menées par l’architecte néerlandais Pierre Maas. Parmi les monuments qu’il a documentés en 1984, 30% avaient disparu en 1995

(Bedaux, Diaby & Maas, 2003 : 48). En outre, les maçons font face à un sérieux manque de nouvelles commandes de construction, situation qui compromet la formation des jeunes maçons. Aussi bien le patrimoine architectural que les systèmes de connaissances y afférents, qui sont garants de la préservation de ce patrimoine, ont été menacés. Le gouvernement du Mali a reconnu ce problème et a adressé un appel à la communauté internationale pour sauver cette architecture monumentale. Des experts des Pays-Bas ainsi que le gouvernement néerlandais ont répondu à cet appel. Durant la période 1996-2012, en trois phases successives, un projet international de restauration a été mis en oeuvre grâce à un financement du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas. Une centaine d’édifices historiques ont été ainsi restaurés dans la ville de Djenné pendant la première phase du projet, de 1996 à 2003. Une des caractéristiques de ces édifices était leurs façades imposantes. En outre, ce projet a permis que soient réactivées les anciennes organisations locales de Djenné, telles que le système traditionnel de la corporation des maçons (le Barey-ton), et qu’un espace soit créé pour de nouveaux développements. Un bon exemple en est l’entreprise de bâtiment GIE Djenné Barey Construction (DJEBAC), fondée par d’anciens employés du projet. Cette organisation a donc été engagée comme partenaire locale à part entière au cours de la deuxième phase du projet de restauration de 2004 à 2008. Cette phase visait principalement, non seulement à utiliser l’expertise et l’expérience acquises dans la première phase du projet de restauration des monuments à Djenné, mais aussi à les étendre à d’autres monuments en dehors de la ville. La phase finale du projet de restauration, de 2008 à 2012, a été utilisée pour former une équipe d’experts maliens qui, aussi bien techniquement que du point de vue du patrimoine culturel, peuvent, à l’avenir, aider à prendre soin du patrimoine architectural. C’est le gouvernement du Mali qui avait émis le souhait d’engager l’expertise acquise dans le cadre des travaux de restauration à Djenné également en dehors de la ville. La politique nationale, en vertu de la législation nationale, était également de plus en plus orientée vers la protection du patrimoine ne faisant pas partie

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du patrimoine mondial de l’Unesco. A cet effet, les différentes Missions Culturelles qui avaient été mises en place en 1993 par le ministère de la Culture pour protéger le patrimoine in situ ont été engagées. Les objectifs de ces missions consistaient à identifier, documenter, étudier, préserver, valoriser, promouvoir et diffuser les connaissances sur le patrimoine culturel. Ceci n’était possible qu’en sensibilisant les populations locales et en les associant au processus. En outre, il y avait au niveau local à Djenné le désir de maintenir plus longtemps les touristes qui habituellement venaient en ville seulement le jour de marché et aussi de développer la région autour de la ville comme une destination touristique. De cette façon, il était possible de générer à partir du tourisme des revenus dans une zone plus large et pour un plus grand nombre de personnes. Au printemps de 2004 s’effectua une mission de reconnaissance dans le voisinage immédiat de Djenné au cours de laquelle une

équipe d’experts maliens et néerlandais a procédé à l’inventaire des édifices à l’architecture exceptionnelle qui pourraient entrer en ligne de compte dans le cadre de la restauration. Bien avant la mission, il avait déjà été décidé que le projet devrait être limité à une catégorie spécifique d’édifices, c’est-à-dire les saho, les maisons communes des jeunes. Sur la base du peu de littérature disponible sur le patrimoine architectural de la région, les saho se dégageaient comme un groupe intéressant de monuments. Ces édifices avaient également été durement touchés par la sécheresse des années quatre-vingt parce que les habitants étaient partis et aucun travail d’entretien n’avait été réalisé. Dans ces conditions, la survie de ces édifices était menacée. En outre, parce qu’ils sont très spécifiques et authentiques pour la région, ces édifices constituent une destination touristique très prisée. Ces maisons traditionnelles, le plus souvent joliment décorées, représentent et accentuent l’identité et la personnalité des groupes de garçons de quartier vers le monde extérieur. Cependant, tous les saho ne sont pas pareillement spectaculaires. C’est précisément la diversité architecturale qui rend ce groupe de monuments intéressant. Malgré le fait que les objectifs du projet visaient principalement la conservation du patrimoine architectural, son orientation sur les saho a conduit au fait qu’un groupe habituellement difficile à atteindre - les adolescents - pouvait être soutenu. On trouve les saho tout le long du Delta intérieur du Niger. Pour la mission de reconnaissance, les villages suivants avaient été initialement sélectionnés : Kouakourou, Senoussa, Sirimou, Kobassa, Yebe, Toun, Taga, Kolenzé et Fagassa. En fin de compte, seuls les villages de Senoussa, Sirimou, Yebe et Kouakourou ont été visités lors de la mission. Les autres villages étaient trop loin en dehors du circuit touristique. Dans un certain nombre de villages, il est apparu que les saho dont il est fait mention dans la littérature n’étaient que des maisons ordinaires. Malgré le fait que Kolenzé fut inaccessible par voiture pendant la mission à cause des hautes eaux, la littérature disponible sur les saho dans ce village était si intéressante que nous l’avons gardé dans la sélection. Pour la sélection finale des villages en vue du projet de restauration, il a été fait usage d’une matrice d’évaluation selon les critères suivants : • l’aspect monumental (pas forcément déterminant toutefois) • des saho appartenant autant que possible à des groupes ethniques différents, • la sauvegarde de la fonction du saho après la restauration, • une préférence pour les villages où tous les saho pouvaient être restaurés,

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2. Saho Kondo Turu à Kouakourou

3. Gouro Bocoum de GIE et les architectes néerlandais Pierre Maas (au milieu) et belge Philippe Lemineur (à gauche) discutent les anciens photos des saho.

• la disponibilité de la documentation afin de pouvoir recons truire l’apparence et éventuellement le plan de l’édifice, • la possibilité d’intégrer le village dans un circuit touristique autour de Djenné. Sur la base de ces critères, les saho dans les villages de Sirimou, Kouakourou et Kolenzé ont finalement été retenus. A Sirimou, les deux saho étaient initialement sélectionnés : les saho Sari Maka et Sénégal. Malheureusement, la restauration du saho Sénégal n’a pas été acceptée par la population locale. A Kouakourou, il y avait quatre saho : les saho Bayon Kube, Jamonati, Koina Turu et Kondo Turu. Le saho Kondo Turu a probablement été construit en 1935 par Bakomani Jena de Djenné. [Voir ill. 2] On suppose que ce saho est tombé en ruine dans les années quatre-vingt et qu’il a été reconstruit dans les années quatre vingt dix par les frères Molaye et Badara Salamantao de Djenné. Les carreaux de terre cuite et le ciment dont les murs extérieurs de

l’édifice actuel sont vêtus ont été appliqués au début de ce siècle. Lors de la mission de reconnaissance, le saho se trouvait dans un assez bon état. Il était habité et n’avait pas besoin de restauration. L’implication du maire de Kouakourou dans tout ce qui concerne ce saho a été déterminante. En effet, il a lui-même passé une partie de son enfance dans ce saho. Il est également fier de l’état de bonne conservation dans lequel se trouve l’édifice. Pour ces raisons, le saho Kondo Turu n’a pas été sélectionné pour le projet de restauration. A Kolenzé, sept saho ont été recensés : les saho Sénégal, Makala, Kadja Bureau, Mema Bureau, Serebene, Pataminala et Wolofo. Ce village était connu pour ses saho exceptionnels qui étaient présentés comme des exemples archétypaux du phénomène dans la littérature. Quand, en 2005, nous pouvions finalement visiter le village, il s’est avéré que l’état de conservation des saho était bien pire que prévu.

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Construire des saho était probablement à l’origine une tradition Bozo. Néanmoins, il a été possible aussi d’inclure dans le projet quelques saho non Bozo. Il y a dans la sélection au total quatre saho Bozo (Bayon Kube et Jamonati – à Kouakourou ; Serebene et Patamina – à Kolenzé), trois saho Somono (Koina Turu – à Kouakourou ; Mema Bureau et Kadja Bureau – à Kolenzé), deux saho Marka (Makala et Sénégal – à Kolenzé), un saho Bozo / Marka (Sari Maka – à Sirimou) et un saho privé utilisé par des forgerons Bozo (Wolofo – à Kolenzé). La restauration de ces saho constitue une tentative de conservation de ce patrimoine architectural pour les générations futures. Cela passe non seulement par la préservation des édifices, mais aussi en garantissant la durabilité à travers l’implication des maçons locaux dans la mise en œuvre et enfin par le maintien de la fonction du bâtiment. Le processus a été documenté par la Mission Culturelle de Djenné. Après la restauration, les saho ont été inscrits à l’inventaire des biens culturels par Décision No09-000173 / MC – SG du 12 octobre 2009 donnant ainsi à ce patrimoine bâti la reconnaissance et la protection juridique qu’il mérite.

RÉPARTITION DES TÂCHES ET PRINCIPES DE BASE Les activités dans les villages de Sirimou, Kouakourou et Kolenzé ont commencé au cours de la deuxième phase du projet de restauration en 2004. Les travaux ont été achevés à la fin de la troisième phase du projet en 2012. Dans la période de 2004 à 2008, les saho de Sirimou et Kouakourou ont été restaurés et ceux de Kolenzé ont été documentés. Dans la dernière phase du projet, de 2009 à 2012, les saho de Kolenzé ont à leur tour été restaurés. Le Musée National d’Ethnologie de Leyde, responsable de projet, a apporté son appui financier. Mais la plupart des travaux ont été exécutés par les partenaires maliens. Le ministère malien de la Culture a été représenté par le chef de la mission culturelle de Djenné. Il était responsable de la sélection des saho, de la supervision de l’exécution des travaux, de la constitution des dossiers, de l’information de la population locale et du maintien des contacts entre les différents acteurs maliens (GIE DJEBAC, les chefs des différents saho, les comités de pilotage et le Conseil Consultatif National). Les travaux ont été effectués par un entrepreneur local, le GIE DJEBAC, qui à son tour a sous-traité en grande partie l’exécution avec des maçons locaux. Initialement, le GIE a été assisté par les architectes néerlandais Pierre Maas et belge Philippe Lemineur. [Voir ill. 3] Mais dans la dernière phase du projet, cette tâche a été

exécutée par l’architecte malienne Mariam Sy Macalou du bureau ArchiTerre. Donc toute l’expertise nécessaire pour assurer la conservation de ce patrimoine architectural était disponible au Mali. Dans la ville de Djenné et aux environs, il n’est pas habituel que les édifices anciens soient conservés. Quand ils deviennent inhabitables, ces édifices sont habituellement démolis et remplacés par de nouveaux. Il n’y avait pas de tradition selon laquelle on accordait une valeur à la préservation des édifices anciens. Cependant, la compétence et le savoir-faire, même dans le domaine de la construction, sont reconnus et valorisés. C’est pourquoi, pour construire des saho, les villageois faisaient souvent appel à des maîtres maçons venus d’ailleurs pour qu’ils supervisent la construction de saho techniquement complexes et richement décorés. Un exemple en était le maître maçon Bakomani Jena de Djenné. Ce dernier a construit aussi bien le saho Jamonati de Kouakourou que les saho Kadja Bureau et Serebene de Kolenzé. Les frères Mama, Ali et Bocari Fatamania, étaient responsables de la construction des saho pour les Marka (Makala et Sénégal), mais aussi pour les Bozo (Patamina) de Kolenzé. Inviter un spécialiste externe et construire un saho richement décoré donnaient du prestige au quartier et à ses habitants. Dans le cadre du projet de restauration, cette tradition a été maintenue en confiant la responsabilité de l’exécution des travaux au GIE DJEBAC de Djenné. Traditionnellement, ce sont les jeunes du quartier qui constituaient l’essentiel de la main-d’œuvre lors de la construction et de l’entretien des saho. Dans la conception du projet, il avait été initialement proposé de maintenir cette tradition. Des engagements avaient été pris avec les jeunes, les chefs de saho, les maçons locaux et le GIE DJEBAC. En retour, les jeunes, pendant la période où ils travaillaient pour le projet, devraient être payés en nature sous forme de repas. Le projet essayait de créer, à travers l’implication de la population, un sentiment de responsabilité locale pour le résultat final et l’entretien futur des saho. Malheureusement, cette conception du projet n’a fonctionné dans la pratique que dans le cadre de la restauration du saho de Sirimou. Sirimou est une petite communauté traditionnelle dans laquelle il était encore possible de faire des accords sur le travail collectif. A Kouakourou, cela était beaucoup plus difficile parce que le programme serré de l’entrepreneur, le GIE DJEBAC, ne pouvait pas être concilié avec l’approche beaucoup plus détendue des jeunes des saho. De plus, dans ce village, les travaux étaient beaucoup plus volumineux. De septembre à décembre, les saho sont utilisés de manière plus intensive parce que le Delta intérieur est inondé et les zones de

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pêche sont encore proches des maisons. De novembre à février par contre, les jeunes des saho, en tant que pêcheurs nomades, suivent le poisson et abandonnent de ce fait temporairement les saho. Janvier / février sont généralement la période des récoltes auxquelles tout le monde participe. Il est évident que les populations donnent la préférence aux activités nécessaires à leur subsistance. Mais un entrepreneur doit aussi pouvoir compter sur la main-d’œuvre promise. Le GIE devait être en mesure d’atteindre les villages et de transporter le matériel à partir de Djenné. En outre, le niveau d’eau dans le Delta intérieur devait être assez bas pour que les terres où l’argile est extraite soient accessibles. Malheureusement, à cause de ces raisons logistiques, il n’était pas possible de poursuivre ce partenariat et des contrats ont dû être conclus avec la main-d’œuvre nécessaire. Dans ce projet, ce sont les maçons locaux qui constituent les experts. Après tout, ce sont eux qui sont responsables de la conception de l’architecture locale et ce sont également eux qui, à l’avenir, continueront à l’entretenir. Sur la base de l’approche occidentale de l’architecte accompagnateur, il est possible de procéder à des réparations selon des méthodes qui sont inconnues dans la région (comme l’étayage des murs porteurs). Cette approche n’est cependant pas toujours possible dans le contexte local. Cela signifie que lors des réparations, une solution locale devait être recherchée dans un esprit de concertation. Les nouvelles technologies offrent des résultats uniquement quand elles sont localement réalisables. Après la restauration, la communauté est responsable de l’entretien des édifices restaurés et il devrait être possible de réaliser cet entretien avec les maçons locaux. En principe, pour ce type d’architecture de terre, tous les matériaux de construction sont localement disponibles. Le projet a fait le choix de ne pas augmenter la durabilité en introduisant des produits externes qui doivent être importés de l’étranger. Cela aurait eu comme résultat la création d’une dépendance qui, après la fin du projet, n’aurait pas pu être satisfaite. Le choix a donc été fait de travailler exclusivement avec des experts locaux et des ressources locales. En outre, il y a eu, entre le GIE DJEBAC et les maçons locaux, un échange de connaissances porteur. A Kouakourou, les populations utilisent en principe une autre procédure de crépissage. Ici, l’argile n’est pas mélangée avec du fumier animal et on ne laisse pas non plus le crépi fermenter comme c’est le cas à Djenné. Cependant, le résultat est beaucoup moins durable et est facilement emporté par la première grande pluie. Ces dernières années, les prix de deux matériaux de construction

ont considérablement grimpé : le bois pour la construction des plafonds et la balle de riz qui est mélangée à l’argile pour l’élasticité et pour une meilleure adhérence. A cause de la désertification croissante et du surpâturage, il y a de moins en moins de grands arbres dans les environs immédiats et le bois de grande taille doit donc être apporté de zones de plus en plus lointaines. En outre, les femmes utilisent de plus en plus des machines pour le décorticage du riz au lieu de la méthode traditionnelle avec un mortier et un pilon. La machine coupe la balle trop juste, ce qui fait perdre la propriété élastique de la balle dans l’argile. Etant donné que seuls dans les petits villages éloignés on utilise encore le mortier, le prix de la balle de riz a augmenté de façon significative et le GIE DJEBAC a été obligé d’importer de loin ce produit. La restauration des édifices est gérée par les règles internationales de restauration (Charte de Venise). Cela signifie par exemple que l’on part sur la base d’une période bien documentée dans l’histoire d’un édifice pour la restauration. Par documentation, on entend généralement la disponibilité de photographies, de dessins, de croquis ou d’autres supports d’information qui sont liés au bâtiment concerné dans une période donnée. Toutefois, Il s’agit là d’une approche très occidentale. Dans le contexte rural africain, ces sources d’information sont rarement disponibles et quand elles le sont, elles sont pour la plupart de provenance occidentale. Dans le transfert de l’information à la manière africaine, la tradition orale joue un grand rôle. En outre, beaucoup d’informations concernant la construction avec l’argile existent dans les systèmes de connaissances locales et sont transmises oralement au cours de la formation des jeunes maçons. Ceci devint en partie évident lors de la restauration du saho Bayon Kube. De ce saho, des photographies avaient été conservées, photographies qui avaient été prises en 1980 par l’architecte et photographe italien Sandro Spini. Sur ces photos, on voyait un édifice qui correspondait nettement à celui qu’on avait trouvé. Cependant, la population locale indiquait que le bâtiment initial comportait également une véranda au premier étage. Quand, ensemble, nous avons bien examiné notre documentation, nos partenaires ont reconnu, sur une photo de 1959 de Ziedonis Ligers, une phase antérieure de construction du même bâtiment. Dans un premier temps, cela ne semblait pas réaliste parce que le nombre d’arcs de la façade ne correspondait pas au nombre d’arcs de la façade actuelle. [Voir ill. 5] Pourtant, nos interlocuteurs avaient une explication pour cela. Les piliers de la façade de l’ancienne construction avaient été tellement étroits qu’ils ne pouvaient plus

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4a. Un saho en paillote. Photo : Z. Ligers, la séconde moitié des années 1950, lieu inconnu [archives Ligers]

supporter le poids de l’édifice. Ce qui a conduit à l’effondrement de la façade. Après cela, une grande partie de ce saho avait été reconstruite. Lorsque la structure interne du bâtiment a été encore une fois bien examinée, on pouvait en effet constater qu’il y avait des différences de niveau entre les deux étages. Ce qui rendait plausible l’affirmation que le saho avait précédemment été plus grand. Pour éviter que le tout s’effondre à nouveau, nous avons choisi de restaurer le bâtiment dans sa dernière forme. Après tout, c’est sur cette dernière forme que nous avions le plus d’informations. Les propriétaires et utilisateurs de Bayon Kube étaient déçus par cette décision parce qu’ils appréciaient mieux l’ancienne version de leur saho et avec elle ils pouvaient mieux rivaliser avec les autres saho de Kouakourou. Au niveau du saho Jamonati également il a été possible, sur la base des images disponibles, de déduire l’histoire de la construction du saho. Sur la plus ancienne des images [Voir ill. 1] on voit très clairement que le saho était composé d’un seul niveau. Sur la photo plus récente de Spini (années 1980) [Voir page 50], l’on voit qu’un autre

4b. Une jeune fille de Kolenzé qui a brodé, sur sa robé vue de dos, les palmiers rôniers du village, ainsi que deux saho en paillote, surmontés d’un faîte décoré. Photo : Z. Ligers, 1967 [Ligers 1959, planche vii]

étage a été ajouté au saho. Il se peut que le nombre de jeunes utilisant le saho ait augmenté dans l’intervalle, mais il se peut aussi que la prospérité du quartier se soit accrue et que les populations aient voulu montrer cet état de fait en agrandissant le saho. La participation au projet de restauration avait lieu sur une base volontaire. Cela a permis aux populations de refuser de participer au projet même si un saho était admissible pour la restauration, comme le cas du saho Sénégal à Sirimou. La condition de participation était en effet que le saho fut restauré selon les règles de la restauration et qu’après les travaux de restauration, les propriétaires devraient assurer l’entretien. On ne pouvait donc pas ajouter de nouveaux éléments aux saho. La restauration signifie rétablir autant que possible, de façon documentée, un bâtiment d’une période bien définie dans son état antérieur. Si cela n’est pas possible, alors il est plutôt question de nouvelle construction et il n’y a pas de place pour cela dans un projet de restauration. En refusant, les propriétaires des saho gardaient leur liberté d’adapter leur saho selon leurs propres souhaits.

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5. Saho Bayon Kube de Kouakourou. Photo: Z. Ligers, 27 novembre 1959 [Ligers 1967, planche xi]

Dans un seul cas, au niveau du saho Mema Bureau à Kolenzé, nous avons choisi de limiter la restauration strictement à l’essentiel. Ce saho est situé à la périphérie du village qui est coupé par le fleuve Niger. D’où le risque que l’édifice soit sérieusement endommagé par l’érosion hydrique. Il était difficile d’éviter cela dans le cadre de ce projet. Etant donné qu’il avait été décidé de restaurer autant de saho que possible dans un village, et que ce saho était toujours

bien habité, la décision avait été prise de l’inclure dans le projet. Les travaux réalisés peuvent être classés en différents degrés. Dans le pire des cas, les saho étaient tombés en ruines et il était donc question de reconstruction : une reconstruction totale par laquelle le saho a été à nouveau refait de bout en bout (Patamina et Kadja Bureau). Dans d’autres cas, une partie (parfois très petite) du bâtiment pouvait être conservée, mais le reste devait être restauré

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6a. Le devant fermé de la plate-forme oblique à la poupe d’une pirogue, decoré de motifs ajourés, représentant les fenêtres d’un saho. Photo : Z. Ligers, 1958 [Ligers 1969, planche xi]

6b. Saho Pataminala, 1979. Photo : S. Spini 1979 [Locati & Spini 1983, p. 110]

(Sénégal, Makala, Serebene, Jamonati, Bayon Kube, Koina Turu et Sari Maka). Dans ces cas, il était question de travaux de restauration. Parfois il était seulement question de quelques réparations et de l’entretien régulier (Mema Bureau et Wolofo). A l’extérieur des édifices l’état de conservation était difficile à voir. Certains saho avaient l’air plus impressionnant avant la restauration qu’après, comme le saho Sénégal. Toutefois, avant la restauration, ce bâtiment, qui était sur le point de s’effondrer, constituait un danger pour l’entourage et n’était encore que très peu habité. Après la restauration, le bâtiment semble très droit et angulaire. Cependant, ce qui est typique de l’architecture de terre c’est que les édifices sont de forme arrondie, forme qui s’est progressivement développée après des années de crépissage. L’état des saho qui n’étaient pratiquement plus habités s’est beaucoup détérioré entre 2005 et 2009 . De sorte que dans certains cas on a dû faire plus de restauration qu’initialement prévu. C’est ainsi que par exemple lors des travaux de restauration du saho Makala une partie du bâtiment s’est effondré à cause de son état désastreux. Ainsi le contraste entre l’aspect monumental du saho avant et après la restauration est parfois important. Pourtant, avant la restauration, ces mêmes édifices étaient dangereux et inhabités. Après la restauration, ils sont à nouveau pleinement et amplement utilisés,

et ils peuvent, s’ils sont correctement entretenus, durer encore des années. Il n’est pas utile de commencer un projet de restauration sans impliquer la population locale. Grâce au statut Unesco de leur ville et des divers projets de restauration, les habitants de la ville de Djenné sont déjà familiers avec les principes de la restauration et de la conservation du patrimoine culturel. Les nombreux rapports, livres, articles, films et reportages qui ont été produits ces dernières décennies sur Djenné, les activités de la Mission Culturelle de Djenné et de l’association Djenné Patrimoine ainsi que les milliers de touristes qui visitent la ville chaque année, ont fait que les habitants sont conscients de la valeur de l’architecture monumentale unique de leur ville. Dans les villages de l’arrière-pays cela était inconnu. Par conséquent la sensibilisation de la population locale était une partie importante des tâches du chef de la Mission Culturelle. Sirimou est un petit village traditionnel rural où existe encore un esprit de communauté qui peut être utilisé pour éduquer la population locale. A Kouakourou, un village situé sur la rive du fleuve Niger et qui tient une position de foire régionale importante, la situation était plus difficile. Cette expérience à Kouakourou nous a montré l’importance de commencer à temps le processus de sensibilisation dans le village de Kolenzé. Sans la

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7. Saho Makala. Photo : S. Spini, 1979, [Locati & Spini 1983, p. 111]

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sont de retour dans les saho, ils peuvent également assurer l’entretien nécessaire. Cela augmente la durabilité des restaurations. Toutefois, des difficultés surviennent parfois dans des circonstances extrêmes. Pendant les périodes de grande sécheresse, d’insécurité et de manque de travail, les jeunes les plus âgés quittent leurs villages pour chercher leur salut ailleurs. Par conséquent, seuls les plus jeunes restent derrière eux. Ces derniers ne sont pas toujours en mesure de prendre en charge l’entretien des saho. Néanmoins, s’ils sont correctement entretenus, ces saho peuvent encore durer 50 à 60 ans. La préservation des édifices anciens n’est pas une tradition locale. Normalement, les édifices inhabitables sont démolis et remplacés par d’autres plus «modernes» comme c’était le cas avec le saho Kondo Turu. En rétablissant les saho dans leur état antérieur, sous la supervision des maçons du GIE DJEBAC et en collaboration directe avec les maçons locaux, s’est produit un échange d’informations, de connaissances et de compétences. Ainsi s’opéra un renforcement des capacités locales et les connaissances liées à la construction en terre ont pu être échangées. Grâce à l’intérêt que le monde extérieur a montré pour ce patrimoine, les populations locales ont également pris conscience de la valeur de ces monuments. Il est intéressant de constater qu’à Kouakourou les populations locales accordent désormais plus d’importance aux trois saho restaurés qu’à celui, plus «moderne», qui est recouvert de terre cuite. Ainsi, nous voyons un changement dans l’appréciation de la tradition moderne (l’utilisation de carreaux en terre cuite) pour un patrimoine culturel plus traditionnel, les saho d’origine. Cette prise de conscience par rapport à l’importance de sa propre tradition contribue au renforcement de l’identité propre. Il est par conséquent important que la population locale (active ou passive) participe à toutes les étapes de la restauration. L’appréciation locale et la base locale pour la préservation de l’architecture traditionnelle sont ainsi considérablement augmentées. Après la restauration, les saho ont été inscrits à l’inventaire des biens culturels du Mali par Décision No09-000173 / MC – SG du 12 octobre 2009. Ainsi l’importance du saho comme patrimoine architectural a été reconnue au niveau national. Avec l’achèvement de ce projet, une nouvelle étape est franchie où la responsabilité de la préservation du patrimoine culturel local incombe principalement aux acteurs maliens. Il est important que le processus soit mis en place et que les données primaires soient accessibles à la Mission Culturelle de Djenné. Un projet de collaboration international est toujours un parcours d’apprentissage pour les responsables du

coopération de la population locale, dont l’implication du maire et des dignitaires locaux, ce travail aurait été impossible. Les complications concernaient principalement la méconnaissance du concept de «restauration». Le Chef de la Mission Culturelle a, au cours de plusieurs visites à Kouakourou et Kolenzé, parlé avec tous les acteurs locaux afin de résoudre tous les malentendus qui étaient apparus. Aussi, le fait qu’en 2006 le ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko, ait pris la peine d’étendre sa visite de Djenné en une visite surprise aux saho de Kouakourou a bien profité à l’avancement des travaux.

RÉSULTATS Au début, ce projet visait un certain nombre d’objectifs : l’application de l’expertise de la restauration acquise à Djenné dans la région environnante, la préservation de l’architecture monumentale pour les générations futures, la participation de la population locale afin de renforcer leur implication et en assurer la durabilité, la préservation des systèmes de connaissances locaux et les techniques traditionnelles de construction, la sensibilisation locale à l’importance du patrimoine culturel, le rôle que la population locale peut jouer dans la définition de l’identité et l’augmentation des revenus par le tourisme. Les résultats tangibles de ce projet de restauration sont faciles à déterminer : au total onze saho dans trois villages du voisinage immédiat de Djenné ont été réhabilités, restaurés et restitués à leur ancienne gloire. Ainsi, la préservation du patrimoine architectural, s’il est correctement entretenu, est assurée pour les générations futures. Ceci a été rendu possible grâce à l’expertise acquise dans la restauration des monuments de Djenné, expertise qui a pu être déployée dans les zones environnantes. Ainsi fut accompli un vœu du ministère malien de la Culture et cela a été rendu possible grâce au soutien financier du ministère néerlandais des Affaires étrangères. Mais qu’est-ce que cela signifiait-il pour le contexte social immédiat, le patrimoine immatériel, dans lequel fonctionnaient les saho localement? Ce qu’on pouvait tout d’abord noter était que tous les saho, une fois restaurés, ont directement été utilisés de façon maximale. Les jeunes des quartiers envahissaient à nouveau les chambres et les saho servaient à nouveau de lieux de rencontre pour la jeunesse locale. Ceci est important parce que ces dispositifs sociaux font partie de l’identité locale et assurent la cohésion sociale dans ces communautés rurales. Etant donné que les jeunes

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projet, les exécutants et les personnes directement impliquées. C’est justement ce processus d’apprentissage, en plus des résultats tangibles que le projet produira, qui est d’une importance capitale. En rendant des comptes à travers des publications et des expositions (à Djenné, Bamako et Delft), nos expériences peuvent être partagées avec un plus grand public. Les développements récents qui ont lieu au Mali, l’instabilité politique dans le sud et la sécession du nord du Mali, ont eu, dans la période écoulée, une grande influence sur le tourisme à Djenné et environs. Le tourisme est un marché fragile et la concurrence est féroce. La situation incertaine dans laquelle se trouve le Mali aujourd’hui continuera à affecter longtemps ce secteur. Cela a un impact majeur sur l’infrastructure touristique locale existante. L’ambition d’inciter les touristes à rester plus longtemps à Djenné et aussi de mettre l’arrière-pays de la ville sur le parcours touristique n’est pas réaliste en ce moment. Espérons qu’une solution rapide soit trouvée pour tous les problèmes politiques afin que chacun puisse jouir de la richesse architecturale et culturelle que le Mali a à offrir.

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8. Vue générale de Kolenzé, montrant les saho de plusieurs quartiers. Photo : Z. Ligers, 1959 [Ligers 1967, planche iii]

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LES MAISONS COMMUNES DES JEUNES DANS LE DELTA INTÉRIEUR DU NIGER : HISTOIRE ET CONTINUITÉ Geert Mommersteeg & Sebastiano Pedrocco « Sur le chemin du retour, ils parlent évidement de leur nouvelle maison commune et chacun essaye de l’apercevoir de loin, le premier. Dès qu’ils peuvent la voir, chacun la montre à l’autre, en disant : « Voilà notre sâhô »! En effet, un édifice monumental, à plusieurs étages, richement décoré de colonnes sculptées et d’autres ornements, s’élève majestueusement au-dessus de leur village, dominant le quartier tout entier. C’est leur nouveau sâhô. Aussitôt, un jeune homme demande aux filles de chanter. Elles entonnent tout de suite des chansons pour la danse des hommes et le jeune homme qui l’a proposé produit un bruit de tambour, en frappant la main sur sa bouche. En tête de la procession, un jeune homme danse, tout en marchant. Il est relayé par un autre un peu plus loin. Tous les jeunes gens dansent ainsi, un à un, tout en avançant. » (Ligers 1967: 44) C’est ainsi que décrit l’ethnographe letton Ziedonis Ligers un groupe de jeunes bozo sur le chemin du retour dans leur village de la région du Delta intérieur du Niger. Plus tôt dans la journée – dans la seconde moitié des années cinquante du siècle dernier – ils avaient raccompagné jusqu’à son domicile le maçon qui avait construit leur nouvelle maison commune. Maintenant, à l’approche du village, ils apercevaient de loin, pour la première fois, à quel point leur saho s’élevait au-dessus des autres maisons. Ils sont tellement excités qu’ils se mettent à chanter et à danser. Ligers consacre plus d’une centaine de pages de sa volumineuse ethnographie, Les Sorko (Bozo) Maîtres du Niger, composée de sept volumes1, à la description des maisons des jeunes qui ornent les villages bozo, ainsi que tout ce qui se passe dans et autour de ces édifices. Sur la base des « enquêtes les plus intéressantes, prises dans le vif » (Ligers 1967: 38), il se consacre de façon très détaillée à la description de sujets allant de la construction d’un nouveau saho à l’hospitalité avec laquelle les jeunes d’autres villages sont accueillis dans un saho; des origines du premier saho dans le village Nouhoun jusqu’au « plat de punition » que doit servir à ses camarades celui d’entre eux qui aura transgressé les règles de la société des jeunes gens ; du rôle et des tâches du petit garçon-adjudant qui se tient à côté du chef jusqu’aux diverses danses specta-

culaires qui se déroulent devant le saho lors des célébrations de mariage (où il explique avec précision les secrets derrière le tour de magie permettant à un danseur de transformer son bandeau en un serpent vivant). Dans le premier paragraphe où Ligers commence sa description du saho, il fait remarquer : « on comprend alors qu’à l’ombre de cet édifice monumental, la vie en commun ait conservé maint trait ancien. » (Idem). [Voir ill. 9] Une description antérieure et plus concise de l’institution du saho peut être trouvée chez Malzy (1946). Dans son article intitulé Les Bozos du Niger et leurs modes de pêche (région de Diafarabé), il écrit : « Suivant leur nombre, les jeunes gens construisent, par quartier, une ou plusieurs cases qui constituent la base du sakho-duon (association d’âge). Ils se réunissent dans ces cases et les garçons y passent la nuit. Ils se donnent une initiation et une éducation mutuelles sous la direction du plus âgé d’entre eux et le contrôle des anciens. Ils acquièrent là les qualités morales et le sentiment d’entraide nécessaires au maintien des traditions ancestrales : aide aux gens âgés, aux beaux-parents d’un camarade, dons aux nouveaux mariés, réjouissances aux fêtes. Ces associations constituent, en fait, une organisation sociale des plus intéressantes.» (Malzy 1946: 112). Bien qu’appartiennent désormais au passé beaucoup de faits de ce que Ligers avait noté lors de son séjour dans la région entre 1954 et 1959, l’institution du saho n’a pour autant pas disparu. Dans les villages somono et bozo de la région du Delta intérieur, il existe encore des saho qui sont plus ou moins utilisés. En particulier à Kouakourou et à Kolenzé plusieurs grands saho avaient encore partiellement conservé au début de ce siècle leur caractère monumental. Ce texte écrit à quatre mains se veut la synthèse de deux recherches ethnographiques : Pedrocco, dans son mémoire de maîtrise obtenue à l’Université Ca’ Foscari de Venise, a mené, de février à avril 2002, une recherche sur le terrain dans les villages situés le long du cours du Niger de la zone de Mopti jusqu’à Diafarabé, dans la plaine intérieure (zone du Kotya) et aux alentours

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de Dia et de Djenné. En octobre 2005, dans le cadre du projet de Conservation du Patrimoine Culturel du Mali, Mommersteeg est resté une semaine à Kouakourou pour collecter des données ethnographiques sur les saho dans ce village de 3 000 habitants (principalement des Bozo et des Somono).2

LE DELTA INTÉRIEUR La compréhension de l’institution du saho ne peut faire abstraction ni du contexte culturel dans lequel il s’insère ni de la complexité des relations entre les groupes qui en sont les acteurs : Bozo, Somono et Marka. Le Delta intérieur du Niger est en effet une terre de rencontres et d’influences réciproques, une terre d’osmose sociale. Les couleurs, les visages, les idiomes que l’on peut observer tous les lundis à la foire de Djenné représentent une image synthétique mais emblématique des nombreuses facettes de l’interaction humaine de ce territoire. Selon Kassibo (1994: 81) « le flot ininterrompu de migrations humaines a généré une grande diversité du peuplement avec une pluralité de cultures et de civilisations qui se sont fondues successivement dans le même moule ».3 Les exondations du fleuve Niger et des cours d’eau mineurs comme le Bani et le Diaka ont donné naissance à ce singulier écosystème à la forte transfiguration saisonnière: un territoire où aucun obstacle naturel n’empêche le libre cours des influences culturelles et politiques et où les groupes sociaux ne peuvent pas rester isolés, mais sont obligés d’interagir continuellement. Les paroles d’Amselle sont dans ce cas encore plus justes : « le rapport à l’extériorité constitue une donnée immédiate de sa constitution et de sa maintenance » (Amselle et M’Bokolo1985). Le Delta, hier comme aujourd’hui, est un lieu d’échanges mais aussi de particularités. En effet, dans un tel contexte, les ethnies ou les groupes sociaux ont diversifié leurs activités productives en se spécialisant chacun dans un élément différent du même écosystème ou du biotope.4 L’ethnicité, ou plus précisément l’identité, est reliée à l’appropriation technologique d’un milieu spécifique, d’une niche écologique bien définie. C’est, nous le croyons, la bonne clé de lecture pour s’orienter au sein des complexes dynamiques du tissu social de cette région.5 Être Bozo ne signifie pas être un habitant quelconque de la région, mais plutôt être l’homme des marais, le pêcheur semi-nomade des canaux de l’intérieur, des mares peu profondes créées par le reflux des eaux. Des expressions comme : « c’est du poisson que les

Sorko existent » et « il est bien d’être Sorko : si tu ne gagnes rien d’autre, tu peux prendre les poissons et les manger » (Ligers 1966: xi) démontrent la relation étroite entre la pêche et l’identité bozo. Le terme bozo, en réalité, n’est pas un terme autochtone mais une déformation française du nom générique attribué aux pêcheurs non-bambaraphones du Delta intérieur par les Bambara. Selon Smeltzer, Smeltzer & Sabe (1995: 58), « le sens de «bozo» [bo- so] est «maison de bambou». Ceci parce que les huttes temporaires utilisées par les Bozo quand ils suivent la crue sont construites en bambou et en paille ». Le terme se diffuse à l’époque coloniale quand il fut régulièrement utilisé pour des raisons administratives.6 Pour les Somono, il est plus correct de parler de caste professionnelle, créée durant l’Empire du Mali, plutôt que d’ethnie puisqu’il s’agit de pêcheurs et de bateliers d’origine hétérogène. Au cours des siècles, les nouveaux arrivants qui se sont succédé dans la région se sont servis d’eux pour leur approvisionnement en poissons et pour le transport des marchandises et des troupes. Les techniques et les instruments de pêche des Somono sont adaptés à des eaux plus profondes que ceux de type traditionnel des pêcheurs bozo, avec lesquels ils partagent les villages. Présents dans tout le Delta, à l’exception de la région du Macina où ils ne sont présents que dans l’enclave de Dia, et souvent majoritaires dans les centres urbains, les Marka sont un groupe culturel et historique d’origine hétérogène. Considéré par erreur comme une désignation ethnique, le terme ‘marka’ a plutôt une justification sociale qui fait référence à l’important rôle culturel, politique et commercial de ce groupe. Les Bambara, en effet, désignèrent par ce terme les familles présentes dans les centres urbains qui se dédiaient au commerce et qui, malgré leurs diverses origines, adhéraient à la religion islamique. La cohabitation entre Bozo, Somono et Marka dans le Delta intérieur du Niger et en particulier dans les grands villages le long des plus grands cours d’eau a favorisé, comme nous l’avons dit, une acculturation réciproque. Un cas emblématique de ce processus est Kolenzé, où se trouvent deux saho dans le quartier des Marka, trois dans celui des Somono et deux dans celui des Bozo. [Voir ill. 8]

LES SAHO ET LEURS ‘HABITANTS’ Les saho revêtent en effet une importance capitale dans la formation des individus. La permanence des jeunes à l’intérieur de ces maisons représente une période de transition, c’est-à-dire un moment de passage entre deux phases de la vie de tout individu : le

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9. Une réunion de danses devant un saho à Diafarabé. Photo : Z. Ligers, 1954 [Ligers 1967, planche xvii]

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jeune homme, devenu acteur productif de la société, peut accéder à la maison collective des célibataires où il passera les années de la puberté jusqu’à son mariage, un rite qui définit de manière précise la fin de son séjour dans la maison collective et son insertion dans le monde des adultes. La période de transition contribue à la formation d’un nouvel individu en lui permettant d’approfondir, avec les autres jeunes, la connaissance de sa propre culture. Les garçons restent dans le saho depuis leur tendre adolescence jusqu’à l’âge où ils se marient (généralement entre 25 et 30 ans).7 Pendant le temps qu’ils sont au village, (ceux des garçons qui sont pêcheurs suivent les poissons durant la saison de la pêche et restent de ce fait dans des campements; d’autres peuvent s’absenter durant une partie de l’année à cause des récoltes ou de la migration), les garçons passent leur temps libre dans les saho, surtout la nuit, y reçoivent leurs amis et petites amies, et y dorment en compagnie de leurs camarades d’âge. Les filles ne dorment pas dans le saho, mais peuvent, à partir d’un certain âge, passer la nuit en groupes dans la maison d’une vieille veuve qui garde un œil sur elles. L’historien malien Coulibaly, dans une publication récente, caractérise le saho comme « un lieu de rencontre et de partage de toutes les affaires de la vie quotidienne ». Il souligne le fait que dans le saho les jeunes apprennent « à se respecter, à s’aimer et à s’accepter les uns les autres. » Ils « s’éduquent entre eux » (Coulibaly n.d. : 9). Lorsque l’un d’entre nous, lors de sa première visite dans un saho à Kouakourou, posa la question de savoir qui « y habitait », son assistant / interprète lui fit remarquer, avant même de faire la traduction, qu’on ne pouvait pas poser la question de cette manière. On ne peut pas demander : « qui y habite » ? La question est plutôt de savoir « qui y passe la nuit ? ».8 Ainsi soulignait-il le fait que les garçons qui restent dans un saho« habitent » également dans la maison familiale où ils mangent et dont, économiquement, ils font partie jusqu’à ce qu’ils forment une entité indépendante après leur mariage.9 Ligers (1967: 38) donne l’étymologie du saho comme suit : sâ, coucher + hô, maison.10 Les garçons qui demeurent dans un saho peuvent appartenir jusqu’à trois ou quatre groupes d’âge différents. Et chaque groupe d’âge s’étend à peu près sur trois ans. Quand c’est le tour d’un groupe d’âge d’entrer dans le saho, le chef de la société des jeunes gens leur attribue une chambre. Les garçons décident entre eux ceux qui vont dormir dans le saho. Un garçon joue le rôle d’amir, c’est-à-dire président, au sein de chaque groupe d’âge. Il y a plusieurs chambres dans un saho. Généralement, une chambre contient deux ou trois lits. Pour les plus jeunes, il est

possible que deux garçons partagent un même lit. Les lits – composés d’une paillasse (ou dans certains cas d’un matelas de mousse) reposant sur un sommier en nervures de feuilles de rôniers, le tout sur un support de bâtons en bois attachés ensemble - forment le mobilier le plus important des saho, souvent même le seul. Si l’espace le permettait, il y avait parfois une petite table ou une chaise, mais toute l’attention est portée sur le lit. Les lits peuvent être placés côte à côte – en particulier dans les petites chambres il n’y a qu’un espace très limité entre deux lits – ou en forme de ‘L’ ou, s’il y a trois lits dans une chambre, en forme de ‘U’ les uns par rapport aux autres. Les lits sont séparés les uns des autres par de longs rideaux colorés. Une moustiquaire – parfois pourvue d’une structure en forme de baldaquin – assure une certaine intimité. Les rideaux ne forment pas les seules décorations des lits. Sur les matelas sont mis des draps et des couvertures de couleurs vives. Les lits des saho peuvent être richement décorés et en tant que tels, ils contrastent fortement avec les lits et les matelas désordonnés que l’on trouve dans les maisons ordinaires. Autrefois, le saho appartenait à un seul lignage. Mais la sédentarisation et la croissance démographique aidant, dans de nombreux villages, les quartiers sont maintenant caractérisés par plusieurs lignages et les saho sont ainsi liés à plusieurs familles. Locati et Spini (1983: 99) avaient déjà noté que les groupes de garçons dans le saho étaient formés moins rigoureusement par rapport à leur origine.11 Cette tendance s’est accentuée davantage un quart de siècle plus tard. Dans chacun des quatre saho de Kouakourou, dont deux se trouvent dans le quartier des Somono et deux dans celui des Bozo, il y avait en 2005 des garçons appartenant à trois, jusqu’à six patrilignages différents. Jadis, les filles qui rendaient visite aux garçons dans le saho venaient d’autres quartiers. Maintenant, elles peuvent aussi être du même quartier. Mais les garçons font en sorte que leurs propres « sœurs » aillent dans d’autres saho. À ce sujet, un garçon de Diafarabé s’exprimait ainsi : «On peut « causer» avec des filles d’un autre quartier, de même qu’avec des filles de son propre quartier, mais pas avec les filles qui portent le même dyamu (= patronyme), ça c’est exclu».12 La règle est que, plus tard, les garçons ne contractent pas leur premier mariage avec une fille avec qui ils se sont amusés agréablement dans le saho. Et selon le système du mariage préférentiel, un homme se marie avec une cousine (la fille de l’oncle paternel).13 Les filles peuvent passer la soirée et une partie de la nuit dans le saho, mais n’y dorment pas. Le plus souvent, le médiateur des

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contacts amoureux est un petit garçon qui appelle les filles et les invite à venir au saho. Locati et Spini (1983: 99) soulignent le fait qu’il n’existe pas de rapports sexuels entre les garçons et les filles qui viennent au saho. « Ils peuvent tout faire, sauf .... », avaientils noté. Ligers (1967: 46-53) décrit comment les filles d’un autre village, qui voyageaient ensemble avec leurs frères, avaient été reçues par les garçons dans leur saho et y avaient passé la nuit. Le chef du saho présentait ses hommages à une des filles étrangères, « la caressant gentiment (sans accomplir le mariage) ». (Idem : 51). Bien qu’il soit préférable de ne pas spéculer jusqu’où peuvent aller les garçons et les filles qui leur rendent visite en ce qui concerne leurs contacts physiques, apparemment l’institution du saho se prête bien à cet égard à un journalisme de voyage à caractère exotique et sensationnel. Un exemple de ce genre se trouve dans le numéro Westafrika (Afrique de l’Ouest) du magazine allemand Geo special (n° 5, d’octobre / novembre 2000). Parmi les faits divers rapportés dans le magazine se trouve un court texte intitulé : «Sexualkunde am Fluss» (Education sexuelle au bord du fleuve). Deux petites photos d’un saho à Kolenzé illustrent l’article. Nous traduisons la première partie du texte: « Les Bozo, ce peuple de pêcheurs vivant le long du fleuve Niger, ont une attitude très éclairée par rapport au passage à l’âge adulte. À l’âge de 13 à 15 ans, les garçons quittent l’environnement oppressant de la case parentale pour aller au saho, qui est généralement le plus joli édifice du village érigé dans le style de l’architecture classique en banco. C’est là qu’ils sont initiés aux secrets de la sexualité. Un homme d’expérience leur enseigne la théorie, tandis qu’ils acquièrent l’expérience pratique avec la jeunesse féminine du village qui vient régulièrement leur rendre visite. Deux ans après (sic), les garçons quittent le saho, se marient et construisent leur propre case. » Cette coutume, poursuit l’auteur, appartient à la tradition animiste des Bozo et devient de plus en plus rare à cause de l’islamisation. Avant de conclure en disant que la disparition lente des saho constitue aussi une perte pour l’architecture : les saho « sont, à côté des mosquées, les plus beaux édifices en banco du Sahel ». Bien que nous soyons d’accord avec cette dernière observation, l’éducation sexuelle dans les saho, telle que décrite dans Geo, nous est inconnue et nous ne la retrouvons pas non plus dans la littérature ethnographique. Outre les grands saho, il peut y avoir dans un village aussi de petits saho. Ces maisons, ou chambres, des jeunes sont moins «officielles», ont une histoire plus récente et ne se distinguent pas en termes d’architecture. Par exemple, elles peuvent être situées dans

un magasin inoccupé qui a été mis à la disposition de quelques garçons comme chambre.14 C’est ainsi qu’en 2005 à Kouakourou, le Groupe Galaxy Boys, le Groupe Titanic Boys et le Groupe Dynamic Boys, entre autres, avaient leurs propres saho. Ces groupes, auxquels adhèrent aussi des filles, ont plus de membres que ceux qui dorment dans les petits saho; de plus, leur adhésion n’est pas exclusive en ce sens que les jeunes sont également membres de l’un des quatre grands saho dans le village auxquels chacun est relié en raison des liens familiaux. Les garçons peuvent déjà dormir dans un petit saho à partir de douze, treize ans. Quand ils ont quinze ans, ils peuvent, s’il y a de la place, déménager dans un grand saho. Les relations entre les différents saho dans un village se caractérisent par la rivalité. La fierté des membres du saho trouve son expression dans la monumentalité de l’édifice. Ligers (1967: 63) note ceci : « la vraie compétition dans la construction d’un sâhô ne commence que quand il y a plusieurs quartiers dans un village et quand chacun veut essayer de dépasser l’autre. » Après, il décrit en détail comment les saho de Togorongo (près de Mopti) ont été construits à l’époque où deux garçons de ce village, résidant chacun dans un autre quartier, étaient engagés dans une rude concurrence. Mais la rivalité entre les saho peut aussi se manifester par d’autres moyens. Encore en 2005 on pouvait entendre à Kouakourou des histoires sur la façon dont, quelque part au milieu du siècle dernier, chacun des quatre saho avait son propre bélier qu’on engraissait. Le bélier du saho Koina Turu était appelé De Gaulle et celui du saho Kondo Turu était appelé Archinard.15 Un jour, alors que les garçons de Koina Turu promenaient fièrement De Gaulle dans le village, celui-ci s’écroula. Il mourut sur le coup. Quand ils l’éventrèrent, ils ne trouvèrent rien d’autre que de la graisse. Si, par le passé, la rivalité entre les saho se jouait autour de la possession du bélier le plus gras, en 2005, les jeunes du saho Kondo Turu racontaient avec fierté qu’ils étaient les seuls à posséder un téléviseur. Pendant les jours de fête, s’il y avait de l’argent pour acheter le carburant afin d’alimenter le groupe électrogène, le téléviseur était placé dans la cour du saho et tout le monde était autorisé à venir regarder. En outre, soulignait-on, le fait que les murs extérieurs de leur saho étaient carrelés – ce qui est également une expression de la modernité – suscitait la jalousie des jeunes des autres saho. Coulibaly (n.d. 11) écrit qu’il existe « une caisse commune » au sein de chaque saho. L’argent que les jeunes gagnent avec le travail collectif comme les travaux champêtres, le transport en pirogue

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des personnes et les projets de construction collectifs, était reversé dans cette caisse. Même le droit d’entrée que « les touristes et autres personnes étrangères qui viennent visiter les saho paient, comme dans les musées » approvisionne la caisse.16 « En cas de problèmes financiers dans les villages » affirme Coulibaly (idem) « les saho viennent également épauler les vieux. » A Kouakourou, il existe une règle selon laquelle ce que les jeunes gagnent avec la vente des poissons les deux lundis ou jeudis consécutifs en novembre ou décembre, est reversé dans la caisse de leur saho.17

ŒUVRES MAJEURES D’ARCHITECTURE Dans son livre Les établissements humains au Mali, le géographe Brasseur (1968: 510-511) a accordé une brève attention aux saho. Quand il note que, surtout à Kouakourou et à Kolenzé, se trouvent « des exemples particulièrement frappants », il fait l’éloge du saho en ces termes : « il s’agit bien de maisons au sens classique du terme (…). Les saho font vraiment contraste avec les cases à terrasses ou les simples huttes voisines ». Mais il ajoutait immédiatement après : « elles ne recèlent d’ailleurs aucune technique originale, si ce n’est l’habileté des chefs maçons qui ont dirigé leur construction ». Vers la fin de sa vaste thèse, Brasseur analyse, tout à fait conformément à l’époque de son étude, les possibilités d’une modernisation de l’habitat rural au Mali. Dans ce cadre, il se demande si l’on peut dire que les saho ici « jouent un rôle d’avantgarde ». Il répond lui-même à la question en écrivant que les saho « restent bien quelque chose d’exceptionnel, produit sous l’effet d’une intense émulation ». Et l’on sait « quelle force d’organisation et quelle puissance économique – relative – ils [c’est-à-dire les groupes des jeunes] représentent, surtout dans ce milieu où le commerce du poisson est capable de provoquer un réel enrichissement ». Bien que les constructions architecturales comme le saho connaissent une plus longue histoire, note Brasseur, il est bien certain que « les conditions de vie actuelles sont favorables à leur développement, dans la mesure où les jeunes restent attachés au village ». Ainsi pose-t-il deux conditions importantes pour l’âge d’or de la construction des saho dans les années quarante et cinquante du siècle dernier : la prospérité économique et l’attachement des jeunes à leur village. Une image ancienne d’une maison commune somono (à l’Est de Ségou) a été publiée dans Voyage dans le Soudan occidental (Sénégambie-Niger) 1863-1866 d’ Eugène Mage. La gravure montre un bâtiment carré dont les angles sont marqués par des colonnes et les

murs des façades sont pourvus de puissants contreforts. [Voir ill. 10] L’édifice est couronné d’une balustrade – plus élevée au-dessus de la porte d’entrée et sur le côté arrière du bâtiment – et d’éléments coniques avec au sommet, selon toute vraisemblance, un œuf d’autruche. Sur les contreforts à côté de l’entrée quelques décorations sont vaguement visibles. Prussin (1986: 133) note que ce saho du milieu du XIXème siècle est « plus modeste » que d’autres édifices plus récents.18 Haselberger (1965: 453) – qui, ailleurs, (1964 : 104) qualifie le saho comme « appartenant aux œuvres majeures du style d’architecture du Haut Niger » – constate que, contrairement aux saho sur les photos anciennes, dans la première moitié des années soixante du siècle dernier de nombreux saho, « comme à Kolenzé et à Kouakourou », étaient composés de deux ou trois étages, et que les décorations en relief n’étaient pas aussi riches qu’avant.19 Comme l’écrit Blier (2004: 200), les saho peuvent être qualifiés de « tours de force conceptuel et technique ». Elle note que ces édifices « semblent défier la nature même de la technique en terre par leur construction. » En tant que tels, les saho « posent une confrontation directe aux idiomes architecturaux d’Europe, comme pour souligner non seulement ce qu’il est possible de faire avec la terre, mais aussi pour montrer que ce matériau a un puissant appel visuel. » (Idem). Il est remarquable que Malzy (1946) n’écrive rien sur l’architecture des saho. Dans son article il fait seulement remarquer que les cases bozo sont en banco, à terrasses, et qu’ils sont d’une construction et ornementation plus ou moins grossières. Par contre, Ligers (1967: v) écrit : « Aucune langue africaine ne possède un vocabulaire technique aussi riche que la langue sorko, pour les détails architecturaux. La plupart des constructions sont l’œuvre d’un travail en commun. Ceci est surtout vrai en ce qui concerne les maisons des jeunes gens (sâhô), l’édifice ayant mieux conservé les anciens éléments d’une architecture africaine monumentale. C’est justement cette prestigieuse architecture qui nous révèlera les Sorko comme de véritables ‘bâtisseurs de châteaux’. » Ligers (1967: 38-45) décrit la procédure de construction d’un nouveau saho. Lorsque les jeunes d’un village ou d’un quartier voulaient avoir leur propre maison commune, ils commençaient tout d’abord à cultiver un champ de riz. Ou bien, s’ils étaient tous des pêcheurs, ils chargeaient les agriculteurs voisins de le faire. Après le battage du riz, que les jeunes eux-mêmes faisaient après la saison de la pêche, ils remettaient le revenu du champ au chef de la

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10. La gravure de ‘la maison commune des Somonos’ publiée dans le récit de voyage d’Eugène Mage (1868 : 375) et considérée comme la première image d’un saho.

11. Un saho en paillote dans un campement (daga). Photo : Z. Ligers, la seconde moitié des années 1950, lieu inconnu [archives Ligers]

société des jeunes gens. Ce dernier, un homme marié, servait ainsi d’intermédiaire entre les jeunes et le chef du village et informait celui-ci du désir des jeunes. Une fois que le chef du village donnait son accord, les jeunes se réunissaient afin d’amasser suffisamment d’argent pour pouvoir payer un maçon. Chacun était censé donner sa contribution. Celui qui ne remplissait pas ses obligations se voyait infligé une amende. Afin d’encourager les jeunes à donner de l’argent, le chef de la société des jeunes gens tenait un discours passionné sur les saho qu’il avait vus dans d’autres villages et sur les jeunes d’un autre quartier qui voulaient que leur saho fut le meilleur. Si ces autres jeunes n’avaient pas contribué avec de l’argent, ces saho n’auraient jamais été construits et n’auraient jamais été aussi beaux, concluait-il. Une fois qu’on avait réuni suffisamment d’argent, les garçons consacraient plusieurs dimanches consécutifs à la coupe du bois de construction dans la brousse. Ensuite, un des garçons recevait l’ordre d’aller recruter un maçon. Habituellement, les gens optaient pour les maçons de la région de Djenné en raison de leur grande réputation. Pendant ce temps, les autres garçons commençaient à fabriquer des briques en banco. Avant que le maçon ne vienne dans leur village, les garçons avaient déjà fabriqué assez de briques. Mais l’on commençait la construction du saho seulement après qu’un vieillard eut pronon-

cé des incantations sur une brique, qui était alors posée comme première pierre à l’endroit où se trouvait le seuil. Cette « brique magique » sert à trois objectifs : premièrement, elle sert à retenir les sorciers au-dehors, deuxièmement, elle doit faire en sorte que les filles qui visitent le saho acceptent tout ce que les garçons leur demandent, et troisièmement, elle doit empêcher que les filles placent des objets ensorcelés dans le saho. Pendant la construction, le maçon était aidé par les garçons. Ils lui rappelaient constamment que leur saho devait être plus joli que celui de l’autre quartier et devait comporter une grande quantité d’ornements et de décorations. Locati et Spini (1983: 126) ont noté qu’en fonction de la disponibilité du maçon, des dimensions de l’édifice et de l’aide des garçons, la construction d’un saho pouvait durer de vingt jours à quatre mois. La construction avait lieu entre mai et septembre, la saison pendant laquelle il n’y avait aucune activité de pêche. Bien qu’essentiellement connu sous sa forme architecturale la plus imposante, le saho peut se présenter sous deux aspects différents : en banco dans les villages, en paille dans les daga, ces campements que les pêcheurs occupent durant leurs migrations saisonnières. [Voir ill. 11] Dans le daga, le saho est de petites dimensions (adaptées au groupe, moins nombreux, qui se rend à la pêche) et il se trouve à l’écart par rapport aux autres cases. Au

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12a. Détail de saho Jamonati à Kouakourou, comportant la sculpture d’un bucrane et une forme phallique. Photo : Z. Ligers, 1959 [Ligers 1967, planche xx]

12b. Un grappin et une ancre sculptés dans la masse du mur d’un saho de Kouakourou. Photo : Z. Ligers, 1955 [Ligers 1969, planche xix]

contraire, dans le village, il prend des proportions monumentales aussi bien dans sa structure que dans ses décorations et il occupe une position dominante par rapport à tout ce qui l’entoure de manière à surprendre tous ceux qui arrivent du fleuve. Les saho photographiés par Ligers dans les années cinquante du siècle dernier se caractérisent par une combinaison subtile d’éléments de façade tels que des arcades, des piliers, des colonnes, des ouvertures complexes dans les murs, des bas-reliefs, des motifs géométriques, des poutres de rôniers en saillie et des balustrades ajourées avec des éléments coniques. Le saho, écrit Prussin (1986: 132), « manifeste une préoccupation intense avec les détails architecturaux extérieurs. Au lieu de la forme architectonique, c’est plutôt la surface qui communique ».20 Dans les décorations des saho, on reconnaît des formes humaines et animales, des images inspirées par la pêche ainsi que des

formes ayant une connotation sexuelle. [Voir ill. 12a & b] Comme éléments couronnant les piliers angulaires ou comme bas-reliefs sur la façade, les formes phalliques soulignent la fierté masculine des résidents du saho. Haselberger (1974: 138) écrit que là où, auparavant, les images du harpon sacré du Faro, dieu du fleuve, formaient le leitmotiv des arts décoratifs des saho, celles-ci ont été remplacées par des « phallus representés plastiquement en argile ». Bourgeois (1989: 79) a compté 53 « phallus » sur le saho Kadja Bureau à Kolenzé. Dans une interview sur son travail, le plus vieux maçon de Dia disait que c’était lui qui décidait des décorations pour embellir les saho.21 Les jeunes pouvaient lui demander de le faire d’une certaine manière. Mais c’était lui qui avait le dernier mot. Avant de construire des saho, il avait visité d’autres saho à Diafarabé pour s’inspirer du travail d’autres maçons. Un maître maçon de Kotaka

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indiquait à Locati et Spini (1983: 127) qu’il avait appris le métier de la maçonnerie auprès de son père, mais que les décorations venaient de lui-même : « Des choses comme cela me viennent la nuit sous forme de rêve, je ne les ai jamais vues nulle part ailleurs. Je n’ai visité aucun autre saho. J’ai appris le métier auprès d’un maître : mon père; mais pas les décorations. (...) Dans le passé, nous n’avions même pas de truelle, nous faisions tout à la main ».

CHANGEMENTS Depuis longtemps, on ne construit plus de saho monumentaux et de nombreux vieux saho sont mal entretenus ou abandonnés. Si, autrefois, les grands saho hébergeaient environ trente à quarante personnes, il y réside aujourd’hui exceptionnellement à peine plus d’une dizaine de garçons et dans le pire des cas, ils sont inhabités et oubliés, transformés en un tas de terre.22 Locati et Spini (1983: 98) citent un homme de Dia qui, dans sa jeunesse, avait été chef d’un saho: « Nous étions environ 44. Nous dormions tous ensemble dans un saho. Nous étions tous des camarades de quartier du même âge qui nous réunissions pour dormir ensemble, de père en fils (…). Le soir, les filles vont voir les jeunes hommes. Donc les garçons font de belles maisons qui attirent les filles qui, quand elles viennent, doivent s’y sentir à leur aise. Le saho doit être la maison la plus belle du village ». Les villages sur les rives des plus importants cours d’eau, donc le long des principales voies de communication, sont des lieux où l’institution du saho a démontré, avec le plus d’emphase, la monumentalité de sa structure et la richesse de sa décoration. Mais, toujours en vertu de leur position stratégique, ces villages se sont révélés aussi être des lieux où les changements ont atteint en premier la population et avec le plus de force. En 2002, le chef du village de Koa soulignait: « A Koa, on comptait autrefois sept saho, cinq somono et deux bozo. Aujourd’hui, il n’en reste que des ruines et les jeunes se sont éparpillés. Le premier saho de Koa s’appelait Bengala et il y vivaient environ vingt garçons somono, tous originaires du même quartier ». De la même manière le chef du village de Nouhoun fait remarquer: « Il n’y a plus de grands saho parce qu’après l’écroulement de certains grands saho, les gens se sont éparpillés, les jeunes se sont divisés et ont formé des groupes. Maintenant ils n’en construisent plus tous ensemble; il n’y a plus de grands saho parce que depuis quelques temps les jeunes ne se comprennent plus entre eux ». À Dia, les vieux qui, dans leur enfance, avaient vécu dans le saho de Bamokocourà,

racontaient ceci: « Il y avait vraiment beaucoup de personnes, nous étions tous les uns sur les autres, il y avait même quelqu’un qui dormait ici, dans la cour ; aujourd’hui il y a beaucoup moins de jeunes ici parce que, si autrefois nous restions dans les alentours, aujourd’hui ils vont chercher l’argent ailleurs ».23 Bien que, comme indiqué plus haut, quelques saho, en particulier à Kolenzé et à Kouakourou, n’avaient pas encore tout à fait perdu de leur caractère monumental dans les premières années de ce siècle et étaient encore en usage, l’impression générale était, même dans ces cas, celle d’une décadence progressive.24 Des fenêtres, des parties de balustrades et des vérandas avaient été murées, et les couches de crépi étaient en mauvais état. Les bas-reliefs et autres décorations, un temps considérés comme un élément de gloire pour les jeunes, étaient en train de disparaître, effacés par les pluies et par l’indifférence. Le crépissage, remis à neuf de façon saisonnière après les pluies, n’était plus effectué régulièrement, et les maisons des jeunes tombaient peu à peu en ruine. Les garçons du saho Cinemala à Kolenzé ont dit en 2002: « Nous devons cloîtrer certaines de ces fenêtres décoratives parce que la pluie entre par là et alors qu’en dessous il y a des gens qui dorment. Comme tu peux le voir, le saho est vieux et nous voulons en construire un autre »25. La détérioration cyclique des constructions en banco a convaincu les autorités locales à autoriser l’utilisation des carreaux en terre cuite et des briques claustra en béton, matériaux qui ne nécessitent pas un entretien aussi fréquent. Comme déjà mentionné précédemment, cette technique architecturale a été utilisée également à Kouakourou pour le saho Kondo Turu, construit dans les années quatre-vingt-dix dans le quartier somono. L’accès aux médias et, plus généralement, le processus de mondialisation, a influencé aussi les caractéristiques de la maison des jeunes. A l’évanescente iconographie traditionnelle se sont progressivement ajoutées, accrochées aux murs intérieurs, des images représentant des acteurs et des actrices cinématographiques, des mannequins, des champions de sport, des musiciens africains et des stars afro-américaines du hip-hop : de petites fenêtres ouvertes sur le monde moderne. Comme signalé plus tôt, la prospérité économique qu’apportaient les revenus de la pêche ainsi que l’attachement des jeunes à leurs villages constituaient deux facteurs importants qui ont contribué à l’âge d’or de la construction des saho au milieu du siècle dernier. Divers processus de changements économiques et socioculturels ont eu lieu dans la zone du Delta intérieur pendant les dernières

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décennies. Des facteurs comme la paupérisation des populations, la migration de travail, la fragmentation des groupes de pêche, le refus des jeunes de se plier aux contraintes traditionnelles et la fin du communautarisme ont chacun fait sentir leur influence sur l’institution du saho. Les jeunes du quartier Tieule, à Diafarabé, ont affirmé que « s’il y a un travail collectif à faire pour gagner de l’argent, alors les jeunes s’entendent entre eux. Mais pour dormir ensemble, il n’y a pas assez d’harmonie! » Un vieil homme du même quartier a souligné ceci : « même s’ils (les jeunes) disent qu’ils préfèrent la situation actuelle, moi, je suis convaincu que c’était mieux autrefois parce que nous étions plus solidaires et nous faisions tout ensemble. Avant, régnait l’harmonie, aujourd’hui ce n’est plus le cas, ils se volent les filles les uns des autres ». La nostalgie pour le passé qui émerge des paroles des plus âgés contraste avec ce qu’affirment les jeunes qui sont convaincus que « aujourd’hui, avec la démocratie, chacun fait ce qu’il veut, il n’y a plus d’obligation. Les choses changent encore plus dans les villes. De nos jours chacun peut décider de dormir où il veut et avec qui il veut ».26 A tout cela s’ajoute dans certains villages les idées des autorités religieuses. Locati et Spini (1983: 99) décrivent – déjà – comment une interview à Soroba (dans la région des lacs) avait été interrompue par l’imam qui leur a fait savoir que le « saho n’existait plus afin d’éviter la prostitution ». En ce qui concerne les deux édifices qui constituent – ou constituaient – la vue des villages bozo et somono « malheureusement, l’austère pouvoir religieux de la mosquée ne fait pas le meilleur ménage avec le genre laïc libertin du saho », fait remarquer, à juste titre, le chef de la Mission culturelle de Djenné, M. Yamoussa Fané (2007: 4).

NOTES Comme nous avons pu le constater directement dans l’Archive Ligers, l’œuvre se compose de sept volumes au lieu de cinq, comme on le croit généralement. Les volumes VI et VII ont chacun un tome de planches séparé. 2 Voir respectivement Pedrocco 2003, 2005, 2006 et Mommersteeg 2006 3 Kassibo (1994: 84) continue ensuite : « La réalité sociale […] doit être considérée comme un processus dynamique de fusion et de fission des groupes sociaux en interaction permanente; l’ethnie n’apparaît que comme résultat de ce processus et non comme point de départ ». Comme le rappelle aussi Amselle (1990: 85): « Pour comprendre comment se négocient en permanence les identités, il faut envisager la chaîne des unités politiques dans son déroulement spatial. Il paraît difficile en effet de ne pas caractériser l’identité comme un phénomène politique ou comme la sanction d’un rapport de forces […] C’est pourquoi l’identité ne peut être définie comme une substance mais comme un état instable […] ». 4 L’anthropologue C. Fay (1994: 191-207) parle de ‘technotope’: milieu spécifique où une ethnie ou un groupe social œuvre avec ses propres techniques traditionnelles à un certain moment du cycle annuel. 5 Voir aussi Gallais 1984 6 Une autre étymologie du terme peut être reconduite à Daget (1949:14): « Le nom de Bozo utilisé par les Français vient du bambara, Bo~so, terme péjoratif faisant allusion à la saleté et à l’odeur des cases de pêcheurs ». Smeltzer, Smeltzer & Sabe (1995: 58) indiquent que les ‘bozophones’ se divisent en quatre groupes linguistiquement distincts occupant différentes régions du Delta intérieur du Niger. Voir aussi note 10 infra. 7 À l’automne de 2005, les garçons qui demeuraient dans les quatre saho à Kouakourou avaient entre 17 et 27 ans, dont la plus grande partie autour de vingt ans. Le temps que ces jeunes avaient passé en tout dans le saho variait de plusieurs mois à 9 ans. A Kouakourou, la règle est que dès l’âge de 15 ans, les jeunes peuvent aller dormir dans un saho. C’est à partir de 15 ans que commence la période de la jeunesse. « À cet âge, on peut commencer à gagner de l’argent pour sa famille, on peut travailler ». (Entretien avec Kaka Nientao, Mommersteeg 2005). Locati & Spini (1983: 98) ont noté l’expression suivante : « Quand ils peuvent pêcher, alors ils peuvent aller au saho ». Certains auteurs (voir par exemple Beaudoin 1999: 145) font remarquer que les garçons, après avoir été circoncis, vont dormir dans un 1

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saho. Cependant, la circoncision peut avoir lieu à des âges différents (également en bas âge) et de ce fait, elle ne marque pas le passage vers ‘la jeunesse’. 8 Entretien avec Kaka Nientao, Kouakourou, Mommersteeg 2005. 9 Les garçons, qui ont des revenus, les remettent à leur(s) parent(s). Pour les garçons de Kouakourou qui pêchent, la règle est par exemple qu’ils donnent le revenu de tout ce qu’ils ont péché à leur(s) parent(s). À l’exception de ce qu’ils vendent à la foire hebdomadaire. Ils peuvent garder ce qu’ils gagnent ce jour-là. (Entretiens Mommersteeg, Kouakourou 2005) 10 Le sens littéral qu’on donne au mot saho à Kouakourou (entretiens Mommersteeg 2005) est : « là où l’on dort ». Daget, Konipo & Sanankoua (1953: 235-236) à l’entrée saà, donnent la signification : « se coucher (...) ; - saàgõ: lit, chambre à coucher, maison des jeunes gens ». Selon leur liste gõ signifie « là-bas » (idem : 185 & 270). Selon Smeltzer, Smeltzer & Sabe (1995: 83), ‘maison’ se dit hoo dans le dialecte Hainyaho (parlé en amont de Mierou sur le fleuve Niger) et koo dans le dialecte Tièma Cièwè (parlé au nord-ouest du lac Debo). À cet égard, il faut comparer l’orthographe sakho qui est utilisée entre autres par Bourgeois (1989) et Blier (2004). Nb : dans le Sorogama (parlé dans la région de Pondo autour de Djenné et Mopti) ‘maison’ se dit : yãmã (Smeltzer, Smeltzer & Sabe, idem). 11 Les Italiens Annalisa Locati (qui s’est occupée d’anthropologie) et Sandro Spini, architecte (qui s’est occupé d’anthropologie et de photographie) ont visité au total 35 villages bozo dans les régions de Mopti, Dia et Djenné et dans la région des lacs entre 1977 et 1981. Dans leurs études, ils ont recensé 32 saho. Leur publication peut être considérée comme un ouvrage de base sur l’architecture des Bozo. 12 Entretien Pedrocco, Diafarabé 2002. 13 Locati & Spini (1983: 99) décrivent la même règle. A cet égard, il est remarquable que les entretiens que Mommersteeg a menés à Kouakourou en 2005 aient donné une image tout à fait différente. On lui avait dit qu’il n’y avait aucun problème quand les filles rendaient visite à des garçons du même lignage dans leur saho, et qu’il n’y avait d’ailleurs aucune objection au mariage d’un garçon avec sa petite amie du même saho. Un vieil homme a confirmé que c’était aussi le cas auparavant. Ils ont également souligné qu’il y a de plus en plus d’objections contre le système des mariages arrangés au sein du même lignage et que de tels mariages diminuent en nombre. 14 Pour des exemples de telles chambres de garçons à

Djenné voir Marchand 2009: 202. Marchand souligne que la pratique selon laquelle à partir d’un certain âge les garçons partagent une maison commune pour la nuit vient de l’institution saho des Bozo. 15 Charles de Gaulle (1890 - 1970) : général et homme politique français, leader du gouvernement français en exil pendant la Seconde Guerre mondiale et de 1959 à 1969 Président de la République de France. Louis Archinard (1850 - 1932) : général français, qui contribua à la conquête coloniale de l’Afrique occidentale par la France. Il pénétra à Ségou en 1890 et s’empara de Djenné en 1893. 16 Coulibaly (n.d: 11) écrit : « Actuellement, beaucoup d’efforts sont faits pour restaurer les saho dans leurs formes initiales afin qu’après leur restauration, ils soient intégrés dans les circuits touristiques ». Son document non daté contient également deux photos de saho restaurés à Kouakourou (‘Koina Turu’ et ‘Bayon Kube / Soudan’ - respectivement désignent à tort : ‘Kondotrou’ et ‘Jamonati’). Son texte est donc récent. C’est pourquoi il mentionne cette dernière et moderne méthode de génération de revenus pour les caisses du saho. 17 Entretien Mommersteeg, Kouakourou 2005. 18 Bien que des auteurs tels que Prussin (1986: 133), Blier (2004: 199) et Domian (1989: 180) identifient cet édifice comme un saho, Mage, lui, mentionne (1868: 377) simplement que la « maison commune » représentée est une «sorte de hangar qui sert à réparer les filets et à faire le partage du poisson ». Sur la base de la description de Mage, il n’est pas justifié de parler ici d’un exemple antérieur de saho, malgré les ressemblances architecturales et la mention «maison commune». 19 Prussin (1986: 133) montre deux photos de saho (à Nouhoun Bozo et à Diafarabé) dans les années quarante du siècle dernier. 20 Il est remarquable que dans le paragraphe qui suit, Prussin (1986: 132-133) considère, d’une part, le saho comme une «architecture monumentale, qui vise la permanence et l’existence éternelle» et, d’autre part, lui attribue une «fonction éphémère ». Les saho n’auraient que très rarement plus d’une décennie d’existence. « Construits par des jeunes hommes au cours de rites qui les transforment en partenaires de mariage, les saho sont occupés seulement jusqu’à ce que ces jeunes se marient. Avec le mariage du dernier membre de la classe d’âge, il (le saho) est finalement abandonné et, vide et laissé sans surveillance, il se détériore rapidement, laissant peu de reste matériel attestant de son existence antérieure. » La caractérisation de Prussin, rédigée en termes généraux et sans autre précision, est

particulièrement étrange quand on considère l’âge et l’usage des saho à Kouakourou et Kolenze par exemple. Pourtant, ce qu’elle décrit n’est pas entièrement faux. Locati et Spini (1983:126) décrivent que les saho dans la région de Korondougou (au nord de Mopti) sont plus petits qu’ailleurs, et sans étage supérieur, parce que dans ces petits villages chaque nouvelle génération de jeunes gens préfère construire un nouveau saho au lieu de développer l’ancien. 21 Entretien avec Moussa Taita, Dia, Pedrocco 2002. 22 Voir aussi le beau documentaire Saho de Louis Decque (Les Films du Village/Images Plus, 1996) qui montre l’état des saho à Kouakourou, Kolenze et Kotaka en 1995. 23 Entretiens Pedrocco, Koa, Nouhoun Bozo et Dia 2002. 24 Voir aussi Domian 1989: 157-174. 25 Entretien Pedrocco, Kolenze 2002. 26 Entretiens Pedrocco, Diafarabé 2002.

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