D'un Montmartre l'autre

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Damrémont

Elle est encore trop jeune, puisqu’elle n’a qu’un siècle, pour compter une ribambelle de grands hommes. Néanmoins, c’est au numéro 53 qu’André Malraux poussa ses premiers vagissements. Il a choisi d’être enterré tout simplement au cimetière Montmartre mais le destin l’a réclamé au Panthéon : « Entre ici, André Malraux. » C’était bien son tour. C’est le moment de rappeler qu’étant ministre il a beaucoup fait – à l’instigation de son indéfectible ami le peintre graveur Galanis –, pour sauver la maison de Rosimond et en faire le musée de Montmartre. Une autre façon de concevoir une maison de la culture. Tout près, au numéro 43bis, il ne faut pas rater le chef-d’œuvre en céramique de Poulbot, d’autant que la porte n’est pas blindée façon coffre-fort, puisque le couloir mène à un laboratoire d’analyses. Entrée libre. Alors que beaucoup d’œuvres de ce type ont été massacrées, recouvertes, celle-ci est éclatante et donne un raccourci lumineux du peintre philanthrope. Les poulbots seront toujours là.

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C’est l’un des trésors cachés de l’arrondissement, douze panneaux de faïence, sur le thème des quatre saisons, signés Poulbot datés de 1910. Ils ont été réalisés à la demande du propriétaire, au 43 bis rue Damrémont, pour un ancien établissement de bainsdouches. L’artiste a donné une œuvre fraîche, lumineuse, colorée, qui résume toute sa vie. Le plus étonnant est qu’elle soit restée intacte, et qu’elle soit encore facilement visible dans ce couloir que rien ne signale. Un vrai bonheur ! Il s’est cependant glissé une erreur, un carreau a été monté à l’envers, « au pied levé » si l’on peut dire. Cherchez bien !


Damrémont

This is one of the area’s hidden treasures, twelve ceramic panels, on the theme of the four seasons, signed by Poulbot and dated 1910. They were commissioned by the owner of Nr.43 bis rue Damrémont, for some former public-baths. The artist created a fresh, luminous and coloured work, which sums-up all of his life. The most astonishing is that it should have survived intact, and that it should now, be so easily accessible in this anonymous corridor. A real joy ! What makes it even more human is that, one of the tiles has been laid topsy-turvy. Have a good look !

She is still too young, only a centenarian, to be able to have hosted a throng of great men. However, number 53 did vibrate to André Malraux’s first gurgles. He chose to be buried in the cimetière Montmartre, very simply. But destiny called him to the Panthéon : “Come within, André Malraux”. It really was his turn. Now is the time to mention that, as government minister, he did a lot - prompted by his friend painter and engraver Galanis - to save Rosimond’s house and create the musée de Montmartre. Another perception of what a maison de la culture should be. Near there, at Nr. 43bis, nobody should miss Poulbot’s ceramic masterpiece, what is more, the entrance door is not of the armoured safe type, as the hall leads to a medical analysis laboratory. Entrance is free. Whereas a lot of similar showpieces have been massacred, covered over, this one is brilliant and constitutes a luminous shortcut to the works of this philanthropist painter. The poulbots will always be with us.

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aris est une fête, a écrit Hemingway. Et la fête c’était les boulevards de Rochechouart et de Clichy, de la Belle Epoque aux Années folles. Paris était le centre du monde. On ne l’est jamais pour toujours, mais on peut l’être longtemps. Du Chat noir au MoulinRouge, tout a été inventé sur ces 1 500 mètres uniques au monde, qui ne comptaient que des cabarets, des lieux de plaisirs, de jeux, pour des nuits qui ne finissent jamais et qu’on recommence chaque soir. Le Ciel et L’Enfer, c’est nulle part ailleurs. Les vieilles fortifs qui n’avaient jamais arrêté un ennemi et qui isolaient la ville de ses faubourgs devinrent le train d’union majeur, et le tremplin d’une capitale qui éclatait dans son corset. Combler les fossés créa une ville nouvelle et donna à Montmartre un nouveau terrain de jeux. Et c’est une histoire qui compte beaucoup de récitants et un terrain de jeux qui compte encore plus de règles. Avant les images, dessinées, peintes, photographiées, ce sont les mots qui ont raconté Montmartre. Ces écrivains sont écrivains de Montmartre, c’est-à-dire qu’ils y ont vécu, parfois à contrecœur comme Mac Orlan, de bon cœur comme

Mais depuis qu’on parle de Montmartre on annonce sa fin ! Tout le monde a observé les derniers Montmartrois. De la même manière que les Anglais ont vu les derniers Masaïs en arrivant à Mombasa en 1887. On est toujours pressé de voir le dernier « indigène ». On s’arrange d’ailleurs pour qu’il soit le dernier. Mais le Masaï résiste, et Montmartre est toujours vivant. D’une autre vie. On ne peut raser l’avenue Junot pour ranimer le Maquis, ni aplatir l’immeuble normalement hideux qui a remplacé la maison de Berlioz. Montmartre n’est pas un musée, ni une annexe du musée Grévin avec personnages taxidermisés. Les dégâts datent surtout de la fin du XIXe, donc récents, dans le grand vide des carrières désaffectées et des jardins d’une abbaye qui a résumé la Butte pendant mille ans. On démolit et reconstruit, le pauvre Léon Bloy sera ainsi trois fois expulsé. De quoi aigrir sa bile. Mais la plus grosse construction, et la pire, c’est le Sacré-Cœur, celle que rien ne pourra masquer. Elle est le contraire même de la Butte. Napoléon le mégalo voulait y édifier un temple de Mars. Une reconstitution rigolote, enfin, aurait été une bonne idée. On aurait simplement changé de style de porte-clés, le

Marcel Aymé, à tout cœur comme Francis Carco, qui fut le plus efficace des relations publiques de l’Âge d’or. Ou bien ce sont les écrivains qui ont écrit sur Montmartre. Ils sont nombreux, parfois méconnus, souvent inattendus. Montmartre, c’est Paris. Et c’est une histoire qui compte plus de 2 500 « broquilles », comme dirait le grand Maurice Chevalier, vice-roi du Moulin-Rouge. L’invention des boulevards marque le début de la grande époque : de 1880, l’installation de la IIIe République, à l’été 1914, quand commence la guerre civile européenne, l’odieux massacre. La Grande Guerre va tout changer. Le rôle des femmes évolue et se complexifie. Plus rien ne sera plus comme avant après tous ces deuils nombreux. A cette mutation interne s’ajoute, fin 1918, l’invasion des Américains et des Parisiens en quête d’exotisme facile pendant les Années folles de tout. Cette ruée dénature la butte des rapins et des écrivains, tous faméliques. Cet argent facile attire la pègre. Qui génère et gère la drogue. Après l’absinthe des poètes, la coke des noctambules.

petit commerce n’aurait pas pâti. Figeons d’un côté, mais vivons de l’autre. Le Tertre ne sera jamais Collonges-la-Rouge, Locronan ou Sarlat-la-Caneda, tout en décors – réussis. Lieux de plaisirs, pas écrins pour perles fausses. Le plaisir change avec les générations. Il suffit d’empêcher les excroissances hideuses et sournoises comme ces réfections de toitures qui deviennent exhaussement, et hop ! un étage gagné sournoisement. Celui qui en parle le mieux c’est Jean Renoir, le seul de la bande qui y soit né. Il a joué dans le Maquis. Il a connu tous les modèles. Il a aimé Montmartre mieux que personne, et il le dit en s’aidant des souvenirs de Gabrielle, la gouvernante modèle : il est vrai qu’il n’a pas souffert de la faim, ni du froid comme Mac Orlan. Son enfance heureuse, entre cinq maisons et aux quatre coins cardinaux, est un récit délicieux. Bruant et Salis, les grands hommes de la vie nocturne, n’y ont jamais habité, quand bien même ils y ont vécu et en ont vécu.


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aris is a (moveable) feast, wrote Hemingway. By feast he meant the boulevards of Rochechouart and Clichy, from the Belle Epoque up to the Années folles. Paris was the centre of the world. This state was not eternal but lasted quite a while. From the Chat Noir to the Moulin Rouge, every possible fantasy was being invented on those unique, fabulous 1.500 meters, made up of cabarets, pleasure spots, gaming houses, places to spend endless nights, only to start over again. Le Ciel et l’Enfer (Heaven and Hell), a cabaret out of this world. The old fortifs, former city walls which never stopped any enemy, and used to cut the city off from its suburbs, became a major link and the springboard for the capital which was busting its corset. Filling in the trenches created a new town and gave Montmartre a new playground. This is a story which has many tellers and a playground where numerous rules prevail. Before the pictures, drawn, painted, photographed, came the words of those writing about Montmartre. These authors were of Montmartre, they lived here, sometimes against their will like Mac Orlan, or of their own devolution like Marcel Aymé, others took Montmartre to

Ever since Montmartre has been talked about, people have predicted its end! Everybody has just seen the last of the montmartrois. In the same way that the British saw the last of the Masai when arriving in Monbasa in 1887. One is always in a hurry to see the last “native”. Even making sure that he really is the last. But the Masai resists and Montmartre is still alive. On the other hand, we can’t bulldoze the avenue Junot to replant the maquis, nor flatten the horrible building which has replaced the house of Berlioz. Montmartre isn’t a museum, nor an annex of Mme. Tussaud’s, full of taxidermised figures. The damages were mostly done at the end of the XIXth, therefore recently, in the big empty spaces left by the big quarries, and the gardens of an abbey which was the Butte for a thousand years. The vandals went in, flattened and built again, in this way, Leon Bloy was thrown out of home three times. Enough to sour his style even more. But the largest, and the worst effort has been the Sacré-Coeur, the one which nothing will hide. This is the antithesis of the Butte. Napoleon, that megalomaniac, wanted to build a temple to Mars there, a humoristic reproduction, that would have been in the spirit of Montmartre. We would have changed the style of the key rings,

their heart like Francis Carco, who was the most efficient of Public Relations officer of the golden age. There again, they could be those who simply used Montmartre as subject material. They are numerous, sometimes little known, often unexpected. Montmartre is Paris. A story made up of more than 2.500 “baubles” as Maurice Chevalier, viceroy of the Moulin Rouge, would have said. The invention of the boulevards marks the beginning of the grande époque: from 1880, to the beginning of the third republic, in the summer of 1914 when the European civil war broke out, that grisly massacre. The Great war will change everything. Woman’s role will shift and become more complex. Nothing will ever be the same after all those numerous griefs. To this internal mutation, one may add the American invasion in 1918, feeding a Parisian quest for easy exotics during the Années folles (crazy years). This rush taints the habits of the hump’s painters and writers, all of them impoverished. Easy money attracts the scum, who in turn bring and manage the drug trade. After absynth for the poets, coke for the revellers.

nobody would have been hurt. Let’s face it, the tertre (mound) will never be Stratford on Avon, nor Hampton Court, host to a “Ye Olde Tea Shoppe”, it’s a place of enjoyment, not a casket of false pearls. Pleasure changes with each generation. It would suffice to stop these hideous, devious excrescences, such as roof renewals which grow into an extension and Bingo! there’s a new storey craftily added. The person who describes it best is Jean Renoir, the only one of the gang who was born here and played in the Maquis. He knew all the models, “Thank you papa”. He loved Montmartre like no other, and he describes it, with the help of nanny Gabrielle’s memoirs: True, he never suffered from the cold nor hunger, as did Mac Orlan. His happy childhood, divided between five successive houses scattered left, right and centre, is a delightful tale. Bruant and Salis, those creators of nocturnal life never dwelled there, even if they lived and made a living out of Montmartre.

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À suivre...



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