Soif de Montmartre

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L' a u t r e

vie de

MontMartre

Poèmes de

Bernard Dimey Illustrations et commentaires de

Claire Dupoizat PrĂŠface de Juliette


Photo : ©Michel Célie

Bernard Dimey est né le 16 juillet 1931 dans la ville de Nogent en HauteMarne (anciennement Nogent-en-Bassigny). Ce grand poète montmartrois s’inscrit dans la lignée des Jehan Rictus, Aristide Bruant et Gaston Couté. Pourtant peu de gens savent aujourd’hui qui était ce « célèbre » inconnu. Certains de ses proches l’avaient surnommé l’Ogre car il dévorait la vie à pleines dents sans souci du lendemain. Mais peut-être aussi parce qu’il savait mieux que personne s’inspirer de la vie quotidienne, de l’ambiance citadine, des personnages qu’il côtoyait tous les jours dans les bistrots de Montmartre. Il les croquait avec gourmandise pour en faire des poèmes et des chansons à la fois populaires et ciselés avec soin. C’est en effet tout le paradoxe de Dimey : écrire avec des mots parfois très simples, utiliser même des termes argotiques, tout en réalisant des alexandrins parfaits avec une facilité déconcertante. Il est mort le 1er juillet 1981 juste avant d’atteindre ses cinquante ans. Son répertoire de textes et de chansons reste à jamais inoubliable. Citons entre autres : Syracuse, chanté par Henri Salvador et Yves Montand, Mémère par Michel Simon, Si tu me payes un verre par Serge Reggiani, J’ai le cœur aussi grand par Juliette Greco, La Salle et la Terrasse par Charles Aznavour, Mon truc en plumes totalement indissociable de Zizi Jeanmaire …

BIBLIOGRAPHIE 1954, Requiem à boire - 1956, Les Kermesses d’antan - 1965, Aussi Français que vous - 1967, Monoguide de Saint-Germain-des-Prés - 1967, Monoguide du Marais - 1968, Monoguide de Montmartre - 1973, Les Huit Péchés Capitaux - 1978, Poèmes voyous - 1991, Je ne dirai pas tout - 1991, Le Milieu de la Nuit - 1992, Sable et Cendre - 1998, Kermesses d’Antan (cette édition de Christian Pirot ne reprend pas les mêmes poèmes que celle de 1956 éditée par Seghers) - 2002, Le Marchand de soupe.


« Il suffit de partir sur des souliers trop grands, De marcher sur les eaux, des ail’ autour des tempes, De boire des images et de mordre les vents… »


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Poèmes de

Bernard Dimey Illustrations et commentaires de

Claire Dupoizat Préface de Juliette

LA BELLE GABRIELLE


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« Je vis mon temps comme un roi nègre Superbement désargenté Allant de l’élite à la pègre Sans me plaindre ni me vanter » Bernard Dimey

« À Montmartre où j’habite, les touristes m’enchantent. À Pigalle où je travaille, la rue me nourrit. À Barbès où je flâne, l’enfance me revient. C’est dans ce coin de Paris Que je dessine les boubous, les cœurs en exil Et les microclimats dans les bars de barjots. » Claire Dupoizat

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Sommaire Préface de Juliette .....................................p 8 Soif de Dimey ...........................................p 10 Je suis beau .............................................p 13 L’aventure, la voilà… ..............................p 17 Paris, mon camarade .............................p 23 Les clochards ..........................................p 27 Rue Germain Pilon ..................................p 33 La Pierrette à Pigalle ..............................p 38 Un soir au Gerpil .....................................p 41 La Paresse ...............................................p 45 Au Lux Bar ...............................................p 51 Quand on n’a rien à dire .........................p 55 Les portes de la France ..........................p 59 Les musiciens des rues ..........................p 63 Mimi .........................................................p 67 Les petits plaisirs du jour .......................p 73 La Luxure .................................................p 77

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Ivrogne et pourquoi pas ..........................p 81 Si tu me payes un verre ..........................p 87 Le bistrot d’Alphonse ..............................p 91 Je vais m’envoler .....................................p 95 Mon ombre me courtise .......................p 101 Ma gueule ..............................................p 105 La dame de quarante ans .....................p 109 Je savais bien qu’un jour ......................p 112 Les pavés de la rue Norvins .................p 115 Adieu Gen Paul ......................................p 121 À Paris y a des ponts .............................p 122 Les pieds devant ...................................p 126 Je ne dirai pas tout ...............................p 133 De la plume aux couleurs .....................p 139 Les interprètes de Dimey ......................p 143

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Préface Bernard Dimey est né à Nogent (Haute-Marne) ce qui ne l’a pas empêché de devenir le poète de Montmartre, pardon, le poète des gens de Montmartre, ce qui est très différent. S’il était resté à Nogent, il aurait pu, tout autant, être le poète des gens de Nogent, puisque les gens sont les mêmes à Paris et ailleurs. Malgré tout, Montmartre, c’est un peu spécial. En dehors des étrangers visitant Paris, même pour les autres Parisiens, c’est-à-dire ceux qui n’habitent pas ce quartier à cheval sur trois arrondissements (car Montmartre, ce n’est pas que la Butte), gravir la rue Germain-Pilon, par exemple, s’apparente déjà à du tourisme, tant on perçoit rapidement une identité particulière. On a presque l’impression de rencontrer une ethnie aux codes et à la culture différents du reste de la capitale. Mais attention ! il n’y a que les visiteurs pressés et inélégants qui pourraient prendre cette ambiance pour du folklore. Il faut savoir que, même quand le touriste a le dos tourné, les gens de Montmartre vivent en gens de Montmartre. Et comme avec toute peuplade accueillante, il est toujours possible de s’y acclimater, d’en apprendre les codes, d’en partager les valeurs, il n’est pas étonnant que le petit gars de Nogent (Haute-Marne) soit devenu le porte parole en alexandrins des états d’âme du Mont des Martyrs (étymologie probable). Des addicts à l’alcool autant qu’aux bistrots, parce qu’ils sont la fraternité. Des

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lumières un peu glauques du sexe de Blanche à Pigalle, parce qu’on y trouve l’amour. Je ne sais pas si Claire Dupoizat est née à Montmartre, ni même à Paris, mais elle est absolument de Montmartre. Et si elle capte avec grâce les petits coins de rue, les escaliers vertigineux, la terrasse du Lux Bar, le métro aérien vu du Louxor, elle n’est jamais aussi clairvoyante et lucide que lorsqu’elle croque les gens, les trace, les griffe, les aime, indubitablement… (C’est marrant, ça : clairvoyante : Claire voyante. Et Lucide est le troisième prénom à l’état civil de Bernard Dimey. Je dis ça, je dis rien.) Et c’est là, dans ces portraits doux, précis, parfois sévères mais toujours bienveillants, qu’elle révèle comme Dimey dans ses vers la fragile humanité, de Montmartre et d’ailleurs, colorée, fêtarde, toujours digne. Et légèrement désespérée. Bon. C’est pas tout, ça, mais ça va être l’heure de l’apéro ! Juliette

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Soif de Dimey Soif de Montmartre n’est pas un livre SUR Bernard Dimey, mais DE Bernard Dimey. C’est pourquoi nous avons volontairement choisi de faire une biographie assez concise de l’auteur. Le but n’était pas de juger sa vie personnelle mais de remettre en avant son œuvre. Quand nous avons réalisé ce recueil, avec ma petite équipe, nous souhaitions vous faire partager notre émerveillement : cette superbe découverte de textes toujours bien vivants. Claire Dupoizat, ma fidèle auteur-illustratrice, nous a apporté toute la palette de ses couleurs généreuses, pour attester que, oui, les personnages, les situations, l’ambiance montmartroise que décrivait le poète n’ont pas disparu. Il ne fut pas facile de faire des choix parmi les innombrables poèmes : Dimey était très prolifique et se baladait toujours un carnet à la main. Chaque instant vécu pouvait lui insuffler l’inspiration. Nous avons alors souhaité vous raconter une histoire, vous emmener en voyage. Partir sur les pas de Dimey, c’est savoir saisir au vol chaque petit plaisir que la vie vous apporte. Comme nous le raconte Bernard, celle-ci est finalement très courte et nous aurions tort de ne pas en profiter. Cet ouvrage n’aurait pas pu se faire sans l’aide de plusieurs personnes, qui ont été formidables de générosité. Ce fut d’abord Yvette Cathiard, la dernière compagne de Bernard Dimey, l’amour de sa vie. La lecture de son livre-témoignage, la Blessure de l’Ogre, ainsi que les instants privilégiés que nous avons pu passer avec elle, nous ont confortées dans notre démarche. Pour Claire et moi, elle a également ouvert sa malle aux trésors et nous a ainsi fait connaître certains poèmes inédits, que nous vous présentons ici. 10


Citons aussi les éditions Raoul Breton, qui gèrent les droits de la plus grande partie des textes que nous éditons. Laurent Bodin et Caroline Bourgeois ont suivi avec beaucoup d’intérêt notre travail et ont choisi de miser sur notre petite maison d’édition. Enfin il y a bien entendu Michel Célie, qui était l’ancien producteur musical de Bernard Dimey. Plus qu’un producteur, c’était son ami : ils travaillaient tous les jours ensemble. Michel, outre les incroyables anecdotes, les documents rares et les photos qu’il nous a prêtés, nous a été d’un concours précieux. Effectivement il nous a aidés dans certains cas à reconstituer les vers du poète – quelques pieds s’étaient parfois égarés au fil du temps – et à respecter sa manière d’écrire si particulière. Un texte de Dimey, c’est un phrasé qui ressemble à du Bruant et cela se doit de suivre un certain rythme. On peut, et je dirais même plus, il faut les raconter au coin d’un bar, les réciter dans un cabaret ou les fredonner au détour d’une rue. Nous espérons vous donner la soif de chanter Dimey avec nous… Gaëlle André

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Je suis beau Je me suis regardé cette nuit dans ma glace Elle est un peu piquée mais je m’y vois très bien Pour ne pas m’y tromper j’ai fait quelques grimaces J’ai trouvé que j’avais un beau regard de chien J’ai trouvé que j’avais comme un sourir’ de gosse Mon vieux miroir fêlé n’en croyait pas mes yeux Et bien que mon passé ne fût que plaies et bosses Ce que j’ai découvert m’a semblé prodigieux Je suis beau Je suis beau Je suis beau comme un arbre aux premiers jours d’automne Comme un jardin perdu où ne vient plus personne Comme un soleil couchant quand une cloche sonne Je suis beau Je suis beau Je suis beau J’ai gravi peu à peu les escaliers du monde Mais je n’ai sillonné que des sentiers battus J’ai crié tous les soirs sans qu’une voix réponde Ceux qui m’ont rencontré ne m’ont pas reconnu Mais ce soir je suis là tout seul devant ma glace Je respire tranquille et j’ai l’âge que j’ai Le temps sur mon visage a dessiné ses traces Je garde le sourir’ car ce soir je le sais

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Je suis beau Je suis beau Beau comme un vieux bateau qui ce soir appareille Qui repart à nouveau à la chasse aux merveilles Comme un ange égaré que le diable surveille Je suis beau Je suis beau Je suis beau

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L’aventure, la voilà... Je cache l’aventure à l’intérieur de moi J’ai fait trois fois le tour de la rue des Abbesses À l’heure du whisky, à l’heure de la messe On peut toujours trouver beaucoup plus grand que soi. L’aventur’, la voilà… à portée de la main Garde ton cœur à gauche et tes deux pieds sur terre Et tu verras d’un coup s’effacer les frontières. L’aventure est chez toi, mais tu n’en savais rien… Il suffit de partir sur des souliers trop grands De marcher sur les eaux, des ail’ autour des tempes, De boire des images et de mordre les vents De chercher dans le noir des gueules de sa trempe, Il suffit d’être seul et de tenir debout Au milieu de tous ceux qui gueul’ et qui vacillent. Va ton chemin tout droit, l’aventure est au bout Et tu verras que l’or n’est jamais ce qui brille.

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Fais le tour de la Terre avec dix francs sur toi Va-t’en planter des choux au cœur de la savane Fabrique des légendes avec tes gueul’s de bois Va-t’en faire un tabac un soir à La Havane Et puis reviens chez toi avec des rides en plus, La gueule boucanée comme sur les images, Jette ton sac à dos et viens poser ton cul On se partagera le rouge et le fromage. Il m’arrive parfois, rien qu’à te regarder, De franchir d’un seul coup la muraille de Chine, Sauter trois océans sans quitter mon quartier Ce que je ne vois pas, d’ailleurs, je le devine… L’aventur’ se réveille à l’odeur de ta peau, Au milieu de ton lit je trouve des navires, Le vent dans tes cheveux fait claquer des drapeaux Et quand l’amour fleurit, je n’ai plus rien à dire. Voir courir devant soi les bisons de Lascaux Sur un papier de riz écrir’ la Carmagnole Boir’ de la mirabell’ dans les bars de Frisco Le soir à Varsovie danser la farandole, Voir enfin de ses yeux ce qu’on n’a jamais vu À trois heur’s du matin voir des ang’ à Pigalle Mon aventure à moi, c’est ce que j’ai voulu, Être pour tous les cons un objet de scandale. Un soir en descendant la rue du Mont-Cenis, J’avais peut-être un peu forcé sur la bouteille, J’ai vu trois caravell’s cingler sur Tahiti Depuis, cette rue-là pour moi n’est plus pareille J’y vais boir’ l’apéro chez des conquistadors Dont aucun n’a jamais découvert l’Amérique On mélange à plaisir les vivants et les morts Et quand on s’est tout dit… il reste la musique… 19



Paris, mon camarade Paris, mon camarad’, pour causer, faut connaître Faut s’y prom’ner la nuit, faut s’y fair’ des copains Faut s’offrir du bitume, en fair’ des kilomètres Y aura toujours un pot’ pour t’offrir un bout d’pain. Paris, si tu connais, c’est comme un’ cour d’école T’es tout partout chez toi si t’as l’cœur bien placé, Si jamais t’as l’bourdon, va voir ceux qui rigolent Et tu verras, l’soleil y en a toujours assez. Paris, mon camarad’, c’est pas tout c’qu’on raconte C’est pas les bulldozers, c’est pas la tour Machin C’est un cœur qui s’allume au hasard des rencontres C’est le petit bistrot où vont tous les copains ; Paris, si tu connais, c’est le vent dans les voiles Roméo et Juliette en blue-jeans à midi C’est le clodo Marcel qui dort sous les étoiles Y a de l’Enfer, c’est sûr, mais y a du Paradis. Paris, mon camarad’, si tu connais, c’est chouette C’est toujours aussi bon, quand j’fous l’camp, quand j’ reviens C’est le sourire en coin quand le cafard me guette C’est l’Opéra d’quat’ sous qu’est pas fait pour les chiens C’est le seul cinéma où y a jamais d’entracte Où j’ai tous mes amours et j’espère vraiment M’offrir un soir la joie d’y jouer mon dernier acte Et d’être parisien jusqu’au dernier moment.

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La Pierrette à Pigalle Le premier qui me dit des mots qui me plaît pas Je l’attrape au colbac et j’y file un’ mandale J’fais quatre-vingts kilos et pas un poil de gras Et c’est moi qu’on appell’ la Pierrette, à Pigalle. J’ai quarant’deux balais, j’ai fait dix ans d’Légion Et si j’aim’ les bas d’soie et les talons aiguilles L’premier qu’est pas content, je les lui plante au fion ! Quoiqu’de mon naturel, je soye plutôt bonn’ fille. C’qu’i’ faut pas dans la griv’ c’est l’imagination On se vir’ sa cuti, comm’ ça, comm’ qui rigole Avec le temps qui passe on se chop’ des passions, On commenc’ comm’ caïd, on se r’trouv’ chez les folles Et pis quoi ? Du moment qu’on est bien dans sa peau, C’est plutôt rigolo de chanstiquer ses fringues, De s’coller des perlouzes... C’est p’têt’ con, mais c’est beau ! Sans c’truc-là, dans l’désert, moi je s’rais dev’nu dingue Alors i’ faut comprendre... Quand t’as joué les costauds Pendant dix ou quinze ans, un beau jour t’en as classe Tu cherch’ ailleurs... Tu trouves ! Et pis… tu chang’s de peau Mêm’ de s’fair’ mettre un peu, je te jure, ça délasse… Ceci dit, moi je tiens à ma virilité Si j’me sape en gonzess’, c’est pas tell’ment qu’ j’adore, C’est que ma clientèl’, y a qu’ça pour l’exciter... Alors je fais c’qu’i’faut, c’est plutôt du folklore

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Et pis moi sur la peau j’ai que d’l’Yves Saint Laurent, Je supporterais pas des trucs qui soy’ vulgaires, C’est comm’ ça que j’me fais dans les vingt briqu’s par an Je n’me faisais pas ça quand j’étais militaire Le seul dram’ de ma vie, c’est que mon p’tit ami, Il a vingt ans d’moins qu’moi, j’ai peur qu’i’s’fass’ la malle C’est pas son intérêt ! Il le sait, j’y ai dit ! Tout l’mond’ saurait qui c’est, la Pierrette... à Pigalle !

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Les petits plaisirs du jour Les p’tits plaisirs du jour, les plaisirs de la nuit, Les croissants du matin, la premièr’ cigarette, Une bouffée perdue d’accordéon musette, Un verr’ de beaujolais pour noyer ses ennuis, L’om’lette aux champignons, le soir à la campagne, Le feu dans la ch’minée et l’odeur du calva, Ça vaut tous les châteaux qui s’écroul’ en Espagne, Et quand tout va très mal, moi je vous dis « Ça va » ! Le camembert du siècle et le verr’ de chiroubles, La douzain’ de belons échappée du panier, Le sourir’ d’une fill’ qui, sans raison, me trouble, Le coup du pèr’ François, le coup de l’étrier, Les p’tits plaisirs de rien, c’est du bonheur quand même, J’en ai tout un folklore et vingt-quatre heur’s par jour Je promène ma vie par des chemins que j’aime, Je ne chante jamais la messe pour les sourds. Les p’tits plaisirs du jour, c’est toi quand tu t’éveilles, Quand tu sors de ton rêve et que tes yeux ouverts Conserv’ encore un peu d’incroyables merveilles, Paysage inconnu qu’on regarde à l’envers, Petits plaisirs de rien comme un refrain des rues Qu’on attrape au hasard et qui vous fait trois jours. Offrez-moi dix fois rien, j’en aurai plein la vue. À chacun ses plaisirs, à chacun ses amours.

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Les pieds devant Les pieds devant Lorsque j’irai fortune faite Au ciel organiser des fêtes Comme à présent Avec les copains de mon âge Il me faudra bien du courage Et sûrement Que le plus averti me dise Comment il faut fair’ sa valise En s’en allant Les pieds devant Et le cœur en déséquilibre Débarrassé du mal de vivre Et cependant À regretter cette détresse Qu’on appelait de la tendresse En d’autres temps À l’envers de tous les mystères Se retrouver seul dans la bière La fleur aux dents

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Le cœur au vent J’ai peur que vraiment ça me change Beaucoup trop soudain d’être un ange Il faut du temps Ce sera dur d’être fidèle À mon image avec des ailes Les pieds devant En attendant Moi qui crois toujours aux miracles Je vais continuer mon spectacle En souriant Car pour les gens de mon espèce Le seul trésor est ce qu’on laisse En s’en allant Le plus clair de mon existence Se jouera sur un air de danse Les pieds devant

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De la plume aux couleurs La petite maison bleue, rue Germain-Pilon : voilà mon atelier. Je suis la voisine de Bernard Dimey. Jeannot, un riverain qui à une époque récitait ses textes au Gerpil, m’en avait offert un enregistrement. J’avais découvert le verbe fleuri qui enivrait déjà mon imagination. C’était libre et bien réel, et je trouvais que Montmartre respirait au même rythme que les alexandrins du poète. Dimey, en plus d’être mon voisin, a commencé à apparaître partout autour de moi. Il avait imprégné le Lux Bar, la voix de Jo les soirs où l’on chante, les souvenirs de Lili et de bon nombre d’anciens. Il rendait le sourire aux lecteurs assoiffés. Je ne pouvais plus ignorer sa présence, encore moins son héritage et l’idée d’illustrer ses textes qui me taraudait depuis longtemps est devenue évidente. Une longue opération de sélection et de recherches a commencé. Avec Gaëlle André, ma complice éditrice de La Belle Gabrielle, il nous tenait à cœur de proposer une nouvelle image de Bernard Dimey. Je voulais trouver les justes couleurs, mettre de la peinture fraîche sur les vers qui ont indéniablement contribué à immortaliser l’âme du quartier. Pour illustrer ses mots petits, simples, gigantesques et populaires, j’ai laissé les images se former dans mon esprit en toute liberté. J’ai vu Hisham, gosse de Pigalle élevé par une grandmère tenancière de bars à filles. J’ai vu Malik le généreux, à la pompe de Marlusse et Lapin, l’ancien Gerpil. J’ai vu Ammad, le successeur d’Areski chez qui rien n’a bougé. J’ai vu Zimsky, le comédien au visage buriné. J’ai vu les saltimbanques et les bavards, les feux du boulevard et

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les brumes des réveils, les paysages, les trajets, les moments paresseux et les plaisirs qui ont sans doute inspiré l’écrivain, chaque jour et chaque nuit, dans sa soif de Montmartre. Les personnages de ce livre ont tous un lien avec Dimey. Par leur gouaille, leur culture ou leur humour, ce sont ses héritiers. J’ai demandé à chacun de poser et de m’offrir quelques instants de sa précieuse vie. Je peux témoigner de la générosité, de la simplicité et de l’amitié des Montmartrois. Et je ne me suis jamais trompée : ils auraient tous adoré Bernard Dimey, ils auraient été copains ! J’ai aussi eu le grand bonheur de rencontrer Juliette, l’auteur-interprète de Rhum Pomme ou Les garçons de mon quartier. Elle m’a fait l’honneur d’accepter de préfacer ce livre. Dimey a des admirateurs de taille et c’est la preuve que son œuvre continue d’inspirer les artistes. En dessinant les mots du poète, j’ai plongé dans son patrimoine et je m’inscris aussi en héritière. Il nous montre comment regarder le monde depuis la table d’un bistrot, en prenant le temps, en attendant que ça vienne, en comparant les saisons. Il nous souffle qu’il vaut mieux être deux si l’on veut dériver, qu’on pourra toujours en rire, tout du moins on aura partagé. Il me rappelle qu’à l’heure de dormir des miracles voient le jour, et je comprends que la vie est courte et doit être vécue sans modération. Alors imaginez le plaisir de marcher sur ses pas, imaginez les rencontres magnifiques lors des séances de croquis. Voyez la plume et l’aquarelle sur les pavés de Montmartre, avec Bernard qui m’a prêté ses ailes et m’a guidée partout dans l’aventure, jusqu’au petit matin.

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Remerciements Ils ont dit oui : Juliette, Stéphane, Papy hour, Malik, Aziz, Eva, Florence, Anis, Ammad, Corinne, Véronique, Pascal, Armand, Momo, Florin, Lionel, Zimsky, Hisham, Gaëlle, Jean-Pierre, Séverine et Tony des Poulains, Valmy et Belle, Jojo, Manu, Nathalie, Dani, Jean-Vincent, Dominique, Myrra, Mireille, Patrice et Math-Tête Pointue. Ils m’ont accueillie : Le Bar du Lycée, Marlusse et Lapin, Le Bar Jaune (Le Bel Air), Le Petit Café de Montmartre, Le Lux Bar, L’Arsouille, Chez Ammad (Hôtel de Clermont), Chez Plumeau, Le Louxor, Chez Clint (Le Pub Montmartre), La Midinette, La Cave à Jojo, le No Problemo. Ils étaient là : les clients des bars, les touristes, la météo. Claire Dupoizat

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À suivre...


Photo : © François Darras

Claire Dupoizat est auteur de carnets de voyage. Elle vit une histoire longue de dix ans avec Les Carnettistes Tribulants. Ce joyeux collectif d’artistes a publié de nombreux reportages dessinés, sur des sujets aussi bien sociologiques que culturels ou même intimes. Claire est, un beau jour, arrivée par le métro à Montmartre, où elle a posé ses valises. Et depuis elle n’a jamais cessé d’explorer ce quartier poétique et bordélique. Après la parution de son livre I love Montmartre, en 2012 aux éditions de La Belle Gabrielle, la soif de dessiner la Butte s’est faite intarissable. Désormais sa démarche ne cesse de s’affirmer par sa volonté de témoigner de l’esprit particulier de ce village grâce à la complicité bienveillante des Montmartrois.

BIBLIOGRAPHIE 2000, Une Seboa au Caire - 2003, Carnet d’Italie - 2004, Paris, quartier de la Goutte- d’Or - 2005, Banlieue Nomade, collectif avec Les Carnettistes Tribulants - 2006, Le journal de Lisa Manin à Venise, avec H. Cabello-Reyes - 2007, Paris, quartier de la Chapelle - 2008, Tous les enfants du monde, d’ici et d’ailleurs, avec Philippe Godard - 2008, Le journal de Lola Teissier au Maroc, avec Armandine Penna - 2009, Vivre vieux !, collectif avec Les Carnettistes Tribulants - 2011, Gratteciel et soupe de nouilles, collectif avec Les Carnettistes Tribulants - 2012, Paysannes, collectif avec Les Carnettistes Tribulants 2012, I love Montmartre.


Bernard Dimey Claire Dupoizat Bernard Dimey et Claire Dupoizat habitent tous les deux la rue GermainPilon. Ils auraient pu être copains autour d’un verre dans un petit rade du quartier. Mais c’est dans ce livre qu’ils se rencontrent finalement. La soif de Montmartre, leur curiosité pour ce village atypique, l’amour de l’autre, leur appétit pour la vie ont fait sauter les barrières du temps. Grâce à la plume du poète et au pinceau de l’artiste, plongez sans modération au plus profond de la Butte.

Soif de Montmartre : c’est également une page Facebook. Venez y découvrir le monde de Bernard Dimey et Claire Dupoizat.

Prix :

23 e


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