Les secrets du Moulin Rouge

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LA LÉGENDE DE

MONTMARTRE

Secrets du Moulin Rouge Les

Texte de Jacques Habas



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Secrets du

Moulin Rouge

Texte de

Jacques Habas


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Willette (adolphe)

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A

comme Architectures 1889 fut l’ année de l’ exposition universelle : saturée d’ événements et d’ attractions en tous genres, elle fut surtout marquée par l’ inauguration de deux constructions devenues pérennes, deux symboles de Paris : la tour eiffel et le Moulin Rouge. Ce dernier ouvrit ses portes un mois avant la fermeture de l’ exposition. Ces deux constructions de caractère festif correspondent aux attentes de l’ époque. Bonne fille, la capitale offre mille plaisirs aux visiteurs, on vient voir les danseuses qui se trémoussent dans l’ éléphant géant du Moulin Rouge tandis que le Pétomane fait exploser sous les spasmes du rire le corset des Parisiennes empourprées. la fête est bien Le jardin originel, l’ Eden du Moulin Rouge : à côté du gigantesque éléphant, qui abrite les danses du ventre arrosée, Paris, noyée sous (uniquement pour hommes), se dresse la petite des millions de lumières scène du jardin, où se déroulent danses, chants et pantomimes, pour tout public. électriques, plonge la foule en extase. Ce n’ est plus la révolution que l’ on commémore, c’ est un nouvel âge d’ or, de fer et de verre que l’ on inaugure. on verse dans l’ épiphanie, on fête le commencement et la fin d’ un cycle. Le Moulin Rouge, « ourlé de lumières, saignait abondamment », comme Pierre Mac orlan l’ avait remarqué. et puis « quand le Moulin rouge s’ allume, tout prend feu », dixit louis Chevalier. en plein triomphe de l’ architecture fonctionnaliste, qui s’ illustra par l’ emploi du fer avec brio, la cabale menée contre la dame de fer échoua : la tour devint le symbole de Paris. Cette même année, boulevard de Clichy, Charles Zidler et Joseph oller, deux grands hommes d’ affaires 3


entrepreneurs de spectacles (oller avait été ordonnateur des récréations de la ville de Paris), voulurent doter Montmartre d’ un nouvel établissement de plaisir, capable de satisfaire les goûts d’ un public aisé. Il subsistait, place Blanche, dans un jardin sauvage, les ruines d’ un bal fameux, la Reine Blanche, où s’ était illustrée nini-Belle-en-Cuisses : c’ est sur son emplacement que Zidler et oller firent élever le Moulin Rouge, après avoir fait appel au dessinateur montmartrois Willette, l’ artiste qui avait décoré le Chat Noir et de nombreux établissements alentour. le 6 octobre 1889, jour d’ inauguration, tout Paris accourut pour admirer la merveille sortie tout droit Le hall du Moulin Rouge en 1927. Mistinguett, « la Sarah de l’ imagination de l’ arBernhardt du music-hall », triomphe alors dans Ça c’ est tiste, qui fut promu maîParis ! tre d’ œuvre des festivités montmartroises. l’ aménagement ne manquait ni d’ originalité ni de panache : en façade, Willette avait conçu un moulin de fantaisie de couleur rouge, et des petits ânes se tenaient dans le jardin situé à l’ arrière, allusion directe (et déjà historique) à la cohorte de leurs ancêtres qui partaient jadis de la barrière Blanche, portant les belles sur leur dos pour les conduire jusqu’ aux vieux moulins à vent des hauteurs de Montmartre, avec leurs bals champêtres. la configuration intérieure du nouvel établissement nous est connue par les centaines de récits qu’ en ont faits les témoins de l’ époque. Ce qui n’ efface pas de nombreuses imprécisions, car tout a changé et rien n’ est différent, et vice versa. le bal est éphémère, et à peine est-il ouvert qu’ on envisage déjà des modifications. Sur le fond, tout le monde s’ accorde au moins pour décrire ce qui est en partie visible sur les premières cartes postales : l’ architecture intérieure se présente comme une vaste salle à la charpente apparente, recouverte de drapeaux et d’ oriflam4


mes ; elle est encore en partie éclairée au gaz, avec des centaines de rampes, de globes et de lustres – toutefois, de nombreux auteurs décrivent une salle particulièrement bien éclairée, le Moulin Rouge étant le premier établissement doté de l’ électricité ( Joseph oller, cofondateur du Moulin Rouge, toujours en avance sur son temps et voulant le faire savoir, avait fait installer l’ électricité dans son nouvel établissement). tout le monde s’ accorde aussi sur le mur du fond, recouvert d’ un miroir immense qui reflétait la piste et agrandissait la salle. Sur ce mur, en sa partie supérieure, une sorte de loggia où se tenait l’ orchestre. Sur les côtés, 20 mai 1914, Jean Fabert, directeur du Moulin, des galeries promenoirs que Le fait jouer une revue légère, d’ une grande richesse ceinturaient et soulignaient visuelle, aux décors et costumes variés : intitulée ton nu ! elle bénéficie pour son lancement des centaines de girandoles. Il Cache d’ une voiture publicitaire (ici, garée devant le y avait une entrée prolongée promenoir). d’ un long couloir, un bar, et probablement quelques décors muraux réalisés par Willette. Il faut imaginer cette salle pleine à craquer avec l’ orchestre de Mabille, et des rangées de tables de bistrot pour se reposer et consommer. Pour la belle saison, on disposait du jardin aux arbres centenaires, où se trouvaient toutes sortes d’ attractions, dont le clou était l’ éléphant géant. le pachyderme dissimulait un escalier dans une patte, permettant d’ accéder à la petite salle et à la scène nichées dans son ventre creux. des petits ânes promenaient à travers les allées les « chochottes » de la Belle 5


époque. Plus loin, une petite scène de plein air présentait des spectacles de caf ’ conc’. leur succès incita la direction, un an après l’ ouverture, à construire une nouvelle petite scène à l’ intérieur, en sacrifiant une partie de la salle de bal, afin d’ y produire des artistes à la saison d’ hiver. C’ est sur cette seconde scène, dans l’ enceinte de la salle de bal, qu’ eurent lieu les toutes premières revues du Moulin Rouge, on disait alors « revuettes », les redoutes et les opérettes. la scène était placée sous la responsabilité de l’ ex directeur de l’ Eldorado. en 1902, une société dirigée par Max Maurey obtint de Joseph oller l’ autorisation d’ effectuer des travaux pour construire un théâtre-concert. on fit appel à un architecte hollandais, édouard Jean niermans (18591928), fraîchement débarqué dans la capitale, fort remarqué et décoré pour avoir construit le pavillon néerlandais de l’ exposition universelle de 1889. niermans est présent dans de très nombreuses réalisations de l’ époque, Casino de Paris, Folies-Bergère, Théâtre Mogador, Hôtel Negresco à nice, Théâtre des Capucines… Il a réaménagé quantité d’ hôtels et de palaces en France (l’ Hôtel du Palais à Biarritz) et en europe. naturalisé français en 1895, il est entré à la Société centrale d’ architecture, parrainé par Charles garnier. Gen Paul, l’ enfant de Montmartre, l’ ami de Céline Pour le Moulin Rouge, niermans et de Marcel Aymé, livre ici une aquatinte raffinée en construisit une magnifique salle, clair-obscur. Une œuvre illustrative très éloignée de la virulence de ses futures toiles expressionnistes. un modèle du genre, ensoleillée de velours blanc et orange, agrémentée par des fauteuils spacieux, avec de grands couloirs et des dégagements, des foyers et une galerie dominante derrière les sièges de balcon où l’ on servait à dîner pendant le spectacle, comme au Winter Garten de Berlin. dans les sous-sols, il ouvrit une gigantesque taverne restaurant de nuit, qui périclita. la taverne fut aussitôt transformée en bal avec orchestre tyrolien aux cuivres retentissants, et des séances de boxe réservées aux femmes y furent organisées. 6


le revuiste Paul louis Flers, nommé directeur du théâtre de la place Blanche, inauguré le 5 mars 1903, y présente des revues à grand spectacle. dix mois après, Flers se retire en plein succès et laisse la place à l’ ex-directeur du Châtelet, qui ne connut, ainsi que ses nombreux successeurs, que des échecs. las de cette situation, Joseph oller, propriétaire des lieux, reprit son affaire en main et fit faire des travaux par l’ architecte Boursier, avant de rouvrir en juillet 1906. À cette époque, parallèlement au succès de Mistinguett, le bail est racheté par une société anglaise, dont le directeur, Charles aumont, modifia la salle et fit entièrement refaire la façade. le succès ne fut pas au rendez-vous. Un certain Paul Plan reprit l’ affaire, puis un nommé Fabert lança de nouveaux travaux en 1910 : il réduisit le promenoir et le sépara du hall par une cloison, entreprit l’ isolation de la salle avec une entrée particulière, et remit en place le bal du Moulin Rouge dans l’ ancienne taverne. le nouvel ensemble fut inauguré le 4 novembre 1910. tous les soirs, bal à 22 heures, avec les 40 musiciens d’ olivier Cambau. l’ ex-directeur des Capucines reprit quelque temps les rênes du bal. 1914 : la guerre est déclarée alors que le Moulin Rouge commençait juste à renouer avec le succès. le 27 février 1915, un incendie détruisit la salle et le promenoir. la scène, les loges d’ artistes, les dégagements furent heureusement épargnés, ainsi que la façade. Joseph oller, président de la société immobilière propriétaire, intenta un procès à tous les locataires successifs. Fabert, dernier occupant en titre, fut condamné le 6 décembre 1915 à reconstruire à ses frais le Moulin Rouge. après sept ans de procédure, en 1922, on reconstruisit enfin le Moulin. le célèbre éditeur Salaber et son associé confièrent les travaux aux architectes thiers, Forest et nibeaudeau, qui mirent trop de temps à restaurer le navire. Pierre Foucret, huissier de justice, prit alors des parts dans l’ affaire. Jacques-Charles, après une rupture avec le Casino de Paris, fit son entrée au Moulin, et assura un nouvel âge d’ or des revues jusqu’ en 1929, année où elsie Janis, vedette d’ Allô… ici Paris ! tomba malade, entraînant la baisse des recettes et le départ de Charles. Foucret, resté seul, décida d’ abord de remplacer les revues par des variétés. le 6 juin 1929, il accueillit les Black Birds. Puis il transforma le music-hall en cinéma. 7


en 1937, Pierre Sandrini et Pierre dubout, directeurs du Bal Tabarin, prennent la direction du Moulin Rouge, et l’ architecte robert Hartman transforme la salle en night-club ultramoderne. en 1939, après la déclaration de guerre, le cinéma ferme et revient aux domaines, tandis que la salle offre leur chance aux chanteurs. en 1951, georges France rachète le Moulin et transforme la salle de

Le Moulin Rouge vu par Daragnès, dans sa version Belle Époque. Daragnès (Bordeaux, 1886-Paris, 1950) a été imprimeur-éditeur, graveur et peintre. Installé dans sa demeureatelier de l’ avenue Junot, il a œuvré pour la renaissance du livre illustré dès les années vingt, et jusqu’ en 1950, date de sa mort accidentelle. Il a illustré, entre autres, la Malheureuse histoire du Docteur Faust (1924), de Goethe, Suzanne et le Pacifique (1928), de Giraudoux, Mimes (1933), d’ Oscar Wilde, les Poèmes (1949), d’ Edgar Poe, etc.

fond en comble, avec l’ architecte andré Bazin et le décorateur Henri Mahé : enfin, après tant de métamorphoses et d’ instabilité, le Moulin vient de s’ installer dans sa forme moderne, celle que nous lui connaissons aujourd’ hui. dès leur arrivée, Jean Bauchet, ex-acrobate reconverti dans les 8


casinos, et Joseph Clérico, nouveaux propriétaires, agrandissent la salle (en respectant le style et les décors de Mahé) et les cuisines, afin de mettre en place des dîners-spectacles. C’ est à partir de 1960 que Jacki Clérico, le fils de Joseph, resté seul aux commandes, entreprend la remise à flots du Titanic de la place Blanche, en le lançant sur la croisière des revues à grand spectacle (voir C comme Clérico). en juin 2009, la famille rachète les murs du Moulin Rouge et tous les bâtiments annexes. aujourd’ hui, Jean-Jacques Clérico développe la filiale marque Moulin Rouge dans le monde entier. C’ est Véronique allaire-Spitzer qui en a la direction. lorsque les images, les cartes postales du Moulin Rouge défilent sous nos yeux, on devine les combats menés par tous ces entrepreneurs de spectacles successifs, condamnés à se renouveler sans cesse, au gré des modes, du progrès et de la nouveauté, de succès en faillites, de fiascos en triomphes. en témoigne le changement perpétuel de la façade du Moulin Rouge, qui apparaît tantôt avec un pignon gothique à tourelles rondes à gauche du jardin, au début du siècle, puis soudain avec la même architecture néogothique mais de forme carrée. le voici seul, une fois les bâtiments rasés, avec ou sans cinéma… Sans parler du tourbillon continu des transformations intérieures. La Locomotive occupait l’ ancien bal Robinson reconverti en salle de cinéma quelque temps, mais la très grande salle de cinéma située sous le Moulin, avec ses 2 000 places, nous est parvenue intacte depuis les années trente. elle fait office pour l’ instant de salle dédiée à l’ événementiel, avec, entre autres, des émissions de télévision. Seul demeure, inchangé depuis 1889, le symbole le plus important : le moulin rouge de Willette, dressé au-dessus des remous de la place Blanche.

Artisans d’ Art Mine Barral Verges : de toutes les matières, c’ est l’ excellence qu’ elle préfère. À la cour du Moulin Rouge, les plus beaux fleurons des métiers de l’ art parisien contribuent à la magie du spectacle qui se renouvelle chaque 9


soir. le spectateur, qui ne voit jamais les orfèvres à l’ œuvre, imagine rarement l’ ampleur du travail et la mobilisation professionnelle exigées par une telle représentation. Une grande revue, c’ est un chantier titanesque mobilisant des dizaines d’ artisans hautement qualifiés, qui doivent travailler main La Maison Février (Paris) est l’un des principaux dans la main : perruquiers, plumassiers du spectacle depuis sa création en 1929. peintres d’ étoffes, brodeur, Les tâches sont divisées en trois secteurs : l’ atelier de monture, l’ atelier de préparation et le travail de la carcassier, plisseur, moplume. diste, bijoutier, bottier… toutes ces disciplines concernent le costume de scène, et sont placées sous la responsabilité de la costumière, qui assure la liaison avec ces corps de métier, en suivant les indications du créateur-dessinateur des costumes, Corrado Colabucci. la costumière vedette au Moulin Rouge, Mine Barral Verges, de réputation internationale, a aussi pour mission de choisir les matières et d’ effectuer la confection. Ce métier, elle l’ exerce avec la même passion qu’ à ses débuts, en avignon, où est née sa vocation artistique, aux confluents du théâtre, de la mode et de la couture. elle saisit alors sa chance grâce à une commande pour rené alliot, qui monte des spectacles à Montauban, mais c’ est à Paris qu’ elle se fait un nom, en réalisant les costumes pour Peer Gynt, au Théâtre de Chaillot. de fil en aiguille, Mine Barral Verges devient la costumière attitrée des célèbres shows de Maritie et gilbert Carpentier à la télévision. elle croise alors sur sa route Jacki Clérico, qui lui demande de créer les costumes pour sa revue Fantastic, créée en 1969. depuis cette époque, Mine a habillé et déshabillé toutes les revues du Moulin. Pour Féerie, mille costumes sont nés de ses mains expertes. Ce n’ est pas le cri du cancan qu’ elle entend à longueur de journée, mais celui de la soie. elle exige l’ excellence des étoffes, celles qui possèdent un extrême raffinement de la torsion des fils, garant de l’ élasticité qui est le nerf de l’ étoffe. 10


Par la grâce de ces matières et le talent de Mine, les costumes, confortables, légers, « bougent » allègrement. Celui que revêtent les danseuses pour le final de Féerie, avec ses ailes lumineuses, sa beauté, son architecture aérienne, est exemplaire et révélateur de tout le savoir-faire indispensable pour atteindre cette qualité artistique. Mine Verges prépare dans le plus grand secret les costumes de la nouvelle revue, prévue en 2012…

La Maison Février, enjoliveuse de la vie parisienne toujours une plume entre les doigts, les équipes de chez Février créent des œuvres d’ art pour la cour des plus grands depuis plus de trente ans. la maison peut être qualifiée d’ institution de la plume. Créée en 1929, elle fournissait les modistes réputés sur la place de Paris. C’ est en 1977 que nicole Février en a pris les rênes et le nom, suite au décès de sa fondatrice, Mme gisèle gueton. autrefois, pour exercer le métier de parurier, il fallait le diplôme au titre somptueux de « maître plumassier, panacheur, enjoliveur de la cour de Paris ». aujourd’ hui, la Maison Février, par son savoir-faire unique, est devenue en matière de plumes une magicienne de haut vol. on ne jure à Paris que par ce personnage haut en couleur, une artiste qui n’ en finit pas de répondre aux interviews des journalistes du monde entier. outre les grands cirques et music-halls, elle fournit les institutions les plus prestigieuses, l’ académie française, la garde républicaine, et bien sûr le Moulin Rouge, depuis les années quarante. À cette époque, le matériau représentait plus de cent kilos de plumes d’ autruche et de nandou en Les plumes sont préalablement traitées, puis teinturier passe à l’ action : il commence le provenance d’ afrique du Sud, le délignage (le tri). La plume est ensuite « frimatée » une époque de rêve où les à la vapeur, développée avant d’ être travaillée. 11


faisans royaux chinois dits « faisans vénérés », dont les plumes atteignaient deux mètres, étaient nourris au riz, royalement, à la main. aujourd’ hui, la basse-cour de la maison comprend l’ autruche, l’ autruche nandou, le coq, l’ oie, la dinde. la convention de genève, qui régit les espèces, déclaUn travail artisanal raffiné pour un savoir-faire rant que les plumes utilisées inégalable. doivent provenir « exclusivement d’ oiseaux comestibles », les plumes d’ aigrette sont interdites. Un bicorne, de nos jours encore, représente un mètre quatre-vingts de plumes ! le costume d’ une revue dure quatre ou cinq ans. entièrement réalisé à la main, il répond à des impératifs très précis : il doit être « léger », facile à porter et à ranger. les armatures sont recouvertes de peau pour ne pas blesser les artistes, les paillettes sont cousues par des spécialistes, centimètre par centimètre, souvent sur des métiers qui ressemblent à ceux des brodeuses. les équipes passent un temps fou à calibrer et trier les couleurs des plumes. Pour un seul tableau de Féerie, il faut plus d’ un millier de plumes. toutes les plumes sont ramassées et non arrachées, pour en préserver la qualité. « Avec une plume bien séchée, sinon elle est trop maigre, on peut créer quatre ou cinq effets, et un large choix de couleurs. Je peux obtenir une envergure d’ 1,50 m à partir d’ une plume de 15 cm, et la faire tenir le temps d’ une revue. C’ est mon secret », explique nicole Février. Y a-t-il plus joli métier ? Le Moulin Rouge a racheté la prestigieuse Maison Février, qu’ elle a installée rue lepic, préservant ainsi une profession rarissime : non, heureusement, les métiers d’ art ne vont pas tous disparaître. Son nouvel et splendide atelier abrite les trésors de plumes de la Maison Février, qui a fait suivre son âme, avec ses vieux tiroirs en chêne pleins de charme montant jusqu’ au plafond, et leurs étiquettes aux noms magiques. 12


Pierre Annez de Tabouada, bijoutier créateur étonnante carrière que celle de Pierre annez de tabouada, passé de l’ autre côté de la rampe des cabarets pour lesquels il dansait. devenu metteur en scène, il s’ est pris de passion pour les accessoires et les costumes qu’ il a décidé de créer lui-même. Pour cela il a dû apprendre la soudure et l’ art du métal, devenant bijoutier créateur. rubis, saphirs, smocks, topazes… voilà désormais son pain quotidien. le strass, les cascades de pampilles, les broderies de pâtes de verre, il les soigne jusqu’ au plus petit détail. Le Moulin Rouge lui a commandé les bijoux de la prochaine revue, c’ est une consécration.

L’ atelier de couture du Moulin Rouge de la conception à la réalisation d’ une revue, trois années sont nécessaires. la costumière Mine Verges assiste le dessinateur de costumes dans toutes les phases de la création. ensuite la Maison Février commande les plumes qu’ elle fait teindre. Puis le carcassier prend le relais, pour constituer l’ armature qui servira de support à la parure, où les plumes sont fixées une à une. À chaque étape de la fabrication, chaque spécialiste apporte une idée, il faut donc consacrer le temps nécessaire à une mise au point qui se fait par le dialogue. tout sera sans cesse vérifié, entretenu, car les costumes devront résister au rythme trépidant de deux spectacles par jour pendant 365 jours, pour une revue qui Le Moulin Rouge possède son propre atelier de dure plusieurs années. qui coud, recoud, répare, renoue, ravive et Sous la coordi- confection, rajoute… avec des équipes de couturières se relayant nation de la chef cos- jour et nuit. La féerie est à ce prix. 13


tumière Marie Calinski, responsable de l’ habillage, de la couture et de l’ atelier de coiffure, ce ne sont pas moins de vingt personnes qui s’ activent jour et nuit pour soigner les blessures de ce personnage étrange et fragile qu’ est le costume. Il y a les urgences et le grand hôpital-atelier, une ruche où s’ activent les petites mains, armées d’ une aiguille à coudre, de fil et de ciseaux. C’ est toute une série de tâches qui s’ effectuent dans le silence : après la revue, il faut étiqueter tout de suite les costumes destinés à l’ atelier de couture, ceux qui vont au lave-linge, ceux qui vont au pressing et qui doivent revenir le soir même, et toujours avec un soin extrême. Même chose pour les chaussures, qui retournent en urgence chez le bottier, et pour les plumes abîmées. le plus difficile, pour réparer les vêtements atteints par l’ usure, est de mettre la main sur les pièces de remplacement. C’ est une quête permanente à travers le monde pour retrouver la qualité de base de ces matières fragiles. le service d’ entretien des costumes est placé sous la responsabilité de Marie Calinski, qui, avec son équipe, repère et définit dans l’ instant les déficiences d’ un vêtement, ce qui permet d’ effectuer les retouches directement sur les artistes. Il y a peu de cabarets ou de music-halls qui disposent d’ une équipe d’ habilleuses capables de réaliser des travaux haute couture en urgence.

La Maison Clairvoy : au pied du Moulin Rouge la Maison Clairvoy, rue Fontaine, bottiers de père en beau-fils, que le Moulin vient de prendre sous son aile, comme la Maison Février, existe depuis bientôt un siècle. Un nom a particulièrement marqué les quarante-cinq dernières années de la Maison Clairvoy : c’ est celui d’ antoine. après avoir épousé la fille de son patron, il avait mis le pied à l’ étrier pour faire l’ apprentissage du métier auprès de son beau-père. le bouche-àoreille a fonctionné rapidement dans le monde du spectacle, et le musée grévin lui-même a voulu que sa « troupe » soit chaussée par antoine. Sa boutique de la rue Fontaine était recouverte de photos, d’ affiches, de vedettes et d’ acteurs, ses copains de toujours, Carlos, Sardou, Ute lemper, toute la panoplie des souvenirs de Johnny Hallyday, des affiches de cirque, des coupures de presse. 14


À suivre...


LA LÉGENDE DE MONT MARTRE

Secrets du Moulin Rouge Les

Texte de Jacques Habas

Le Moulin Rouge : le plus ancien, le plus célèbre des music-halls, symbole du gai Paris dans le monde entier ! Depuis cent vingt ans, ce temple de l’ivresse de la fête et du plaisir illumine les nuits folles de la capitale, en offrant des chefs-d’œuvre à l’histoire de l’art : affiches, tableaux, livres et films n’ont cessé de le célébrer. Derrière le rideau, camouflés par les paillettes de la légende, se cachent les souvenirs et les secrets des rois et reines de la scène, que l’auteur nous révèle avec humour et tendresse. L’odyssée du légendaire cabaret se trouve ici déclinée sous la forme d’un abécédaire dont chaque lettre invite à un voyage plein de surprises, mêlant anecdotes, secrets de coulisse, petite et grande histoire. Au fil des pages, on rencontrera les visages de stars égrenées en chapelet, de Mistinguett à Yvette Guilbert d’Édith Piaf à Colette, de Jean Gabin à Elvis Presley, tous réunis dans un décor propice aux intrigues et aux fantasmes, grand pourvoyeur de mythes. Sans oublier les pythons géants, les chevaux nains, les saltimbanques mais aussi les personnages qui font le Moulin Rouge d’aujourd’hui. Entrez et découvrez les mille et un secrets de la grande usine à rêves du Moulin Rouge, qui moud inlassablement pour alimenter la légende du Paris éternel.

19,90 €


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