2009 - École Supérieure des Beaux-Arts de Tours - Mémoire
NicolasTerrasson
La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
Roxy Paine, Auto Sculpture Maker n°2, 2001 couverture : Francis Picabia, Voilà elle, 1915 dos : Marcel Duchamp, La mariée, 1912
SOMMAIRE Introduction......................................................................................................
Réaction à l’ère machinique et industrielle, perception artistique d’un nouveau mythe.......................................................................
La machine, son analogie avec le corps humain........................................................................................................
Humains mécanomorphes et machines anthropomorphes.............................................................................................................................................. Machines érotisées et sexuées.......................................................................... Machines comme prothèses ou organes du corps......................
La machine, objet d’interrogation de l’acte créatif............................................................................................. Machines productrices d’art.............................................................................. Artistes voulant créer comme les machines (artistes miroirs de la machine)....................................................................................................
La machine, son esthétique et ses spécificités élevées au rang d’arT................ Esthétique machinique : géométrie, abstraction, simplification, couleur, disques, etc......................................................... Spécificités machiniques : métal, mécanisme, mouvement, temps, bruit, lumière, etc..................................................................
La machine, entre utopie et critique du progrès et de la modernité...........................
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Croyance d’un monde meilleur débarrassé du passé.............. Alliance de l’esthétique machinique et du fonctionnel........ Machines inutiles.......................................................................................................... Machines et déshumanisation.........................................................................
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Conclusion.................................................................................................................
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Nouveaux médias, la fin du mythe de la machine comme outil de réflexion artistique ?................................................... Ouverture pour des pratiques personnelles..................................
Références....................................................................................................................
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INTRODUCTION
Réaction à l’ère machinique et industrielle, perception artistique d’un nouveau mythe On pense souvent que l’artiste ne se préoccupe que de questions d’artistes. Il est vrai qu’au cours des siècles, il a souvent, avec ses confrères, procédé à des dialogues de spécialiste sur des questions de forme par oeuvres interposées. Ses incessantes recherches formelles en réaction au travail de ses prédécesseurs sont, pour lui, autant d’échappatoire aux restrictions d’une iconographie imposée jusqu’à la fin du XIXème siècle. Cependant, résumer les préoccupations de l’artiste à ce seul jeu de connivences corporatistes apparaît comme incomplet. L’artiste est aussi le fruit de son époque. Il n’évolue pas dans une sphère d’experts fermée. Vivant dans un contexte social, politique bien spécifique, il est assez certain qu’il réagit à ce qui l’entoure et qu’il transpose consciemment ou non ses réactions dans son travail, ce de manière plus ou moins marquée. Ses œuvres sont imprégnées à divers degrés des résonances extérieures. Ce rappel peut paraître comme une banale évidence, mais est indispensable à la compréhension de certaines conduites artistiques, notamment au cours du XXème siècle si riche en apparitions de nouvelles formes. Si, parmi elles, on veut saisir
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d’où elles émergent, il faut les reconsidérer dans l’art d’une histoire, d’une époque et ne plus exclusivement les appréhender par le seul prisme de l’histoire de l’art. Depuis les années 1880, c’est-à-dire depuis l’origine de notre civilisation technicienne, les artistes ont réagi de manières diverses au nouveau mythe de la machine1. Son reflet dans les pratiques plastiques du XXème siècle est l’objet du présent document. Cette étude s’articule autour de quatre axes, quatre relations de la machine au monde sous le filtre de l’art : le rapport de la machine au corps humain, à l’acte créatif, aux nouvelles formes plastiques, à la société.
Même si le pont de l’art et la science, de l’art et la technique (le premier sens du mot art est technê) est depuis longtemps établi ; de la peinture d’Hans Holbein le Jeune Les Ambassadeurs, aux occupations savantes des humanistes de la Renaissance comme Léonard de Vinci ou Alberti. 1
Léonard de Vinci, Machine volante, 1487
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LA MACHINE, SON ANALOGIE AVEC LE CORPS HUMAIN
Humains mécanomorphes et machines anthropomorphes Pour beaucoup d’artistes des avant-gardes du début du XXème siècle, la révolution industrielle, la fulgurance du progrès scientifique et technique omniprésentes dans la société de l’époque étaient l’occasion de traiter plastiquement du thème du corps-machine. La mécanisation grandissante, l’apparition des automobiles et des avions poussent des peintres, des sculpteurs à considérer l’homme comme une prothèse autant que comme un usager de la machine. Certains voient dans le corps-machine l’emblème, le symbole de la culture née de la technologie et de la grande industrie. Ils poursuivent, sur le plan artistique, les rêves les plus fous des fabricants d’automates qui, de l’antiquité aux Lumières, ont tenté de mettre sur pied l’homme-machine. Mais si les artistes des années 1910-1930 s’emparent de ce thème, c’est aussi et peut-être surtout pour proposer une nouvelle forme de représentation de la figure humaine, trop longtemps sclérosée à l’imitation grécolatine. Il faut en effet rappeler qu’une des raisons qui a contribué à la naissance de l’art moderne naît de la remise en question de la croyance en un modèle de l’art
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hérité d’Aristote, et qui veut que l’imitation, la mimesis, en constitue le sens et la fonction la plus haute. Cette remise en question de l’art comme miroir de la nature, si elle n’est pas nouvelle constitue toutefois le cadre de toutes les révolutions picturales du XXème siècle. De l’abstraction jusqu’à l’art conceptuel, c’est cette crise de la représentation qui est un jeu. Revenons au thème de l’homme-machine comme source d’inspiration artistique. Différemment décliné, allant du registre poétique (les pantins clownesques cubistes) aux aspirations belliqueuses des futuristes, il n’en demeure pas moins une préoccupation plastique commune, celle du mouvement d’un corps assimilé au mécanisme d’une machine. Souvent vidé de tout affect, ce corps n’est plus cet objet sensuel aux courbes douces et chaleureuses. Il perd ses atouts sensitifs au profit d’une recherche plastique portant sur les articulations reliant un membre au tronc. S’il reste quelque chose qui s’apparente à la vie dans les représentations de l’être humain, c’est une vibration, un vrombissement qui sonne comme un cri de détresse au milieu d’une carcasse désarticulée, robotisé. Seuls les portraits échappent à cette généralité, représentant, plus que des visages, des expressions aux volumes écrasés, démantelés, pressés. Outre l’enjeu d’une nouvelle esthétique, le sujet de l’homme machine comme motif artistique est l’illustration la plus frappante de la nécessité, sur un plan symbolique ou métaphorique, d’une redéfinition de l’homme au sein du nouveau monde industriel. Le corps-machine traduit en effet la nouvelle donnée anthropologique inhérente à l’homme moderne. Il désigne, dans toute sa complexité, l’inéluctable redécouverte de la spécificité de l’humain lorsque celui-ci se trouve confronté à la machine. Les artistes utilisent le corps-machine comme la projection instable d’un rêve de puissance, aussitôt contredit par l’éclat de rire d»une intelligence profondément humaniste. Autrement dit, l’image de l’automate
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apparaît tantôt comme le reflet d’une angoisse, tantôt comme objectivation triomphante d’une volonté surdéterminée. La machine anthropomorphe tient en somme du pantin ou du surhomme. Dans les deux cas, l’automate révèle le mécanique dans l’humain. Il témoigne du fait que l’homme moderne ne peut plus se passer de la machine, car celle-ci cristallise désormais une conscience à la fois traumatisante et jubilatoire de son propre corps de chair et de muscles.
Francis Picabia Affiche pour le morceau de musique La nourrice américaine joué lors du festival Dada du 26 mai 1920 Max Ernst Deux figures ambiguës, 1920 Gouache, aquarelle, encre et crayon sur papier, 24,2 x 16,7 cm Collection Michael and Judy Steinhardt, New-York, Etats-Unis
Le corps-machine chez les dadaïstes Entre 1915 et 1920, Francis Picabia réalise une importante série d’œuvres dites «mécanomorphes» consacrées à la plasticité et au symbolisme de la machine. Fasciné par la modernité formelle des moteurs, rouages, réseaux de fils électriques2, il emprunte la plupart de ses modèles et de ses titres au domaine scientifique. Dans l’extrait de texte suivant, il s’explique en partie sur cette période créatrice : «L’homme a fait la machine a son image. Elle a des membres qui agissent, des poumons qui respirent, un cœur qui bat, un système nerveux où court l’électricité. Le phonographe est l’image de sa voix ; l’appareil photographique est l’image de son œil. La machine est sa fille née sans mère. C’est pourquoi il l’aime. Il l’a faite supérieure à lui-même. C’est pourquoi il l’admire. Après avoir fait la machine à son image, son idéal humain est devenu mécanomorphique. La machine est devenue plus qu’un simple appendice de la vie. Elle fait maintenant partie intégrante de l’existence des hommes, peut-être est-elle leur âme. Je me suis emparé de la mécanique du monde moderne et je l’ai introduite dans mon atelier.» Si l’œuvre de Max Ernst relève pour sa majeure partie du romantisme allemand et du surréalisme, il faut se souvenir qu’elle débuta néanmoins sous les auspices dada avec de nombreuses compositions mécaniques. Fortement influencé par Picabia, Ernst l’ironique (signant à cette
Pour illustrer le morceau de musique La nourrice américaine joué lors du festival dada du 26 mai 1920, Picabia crée une affiche où il associe une tête humaine à une ampoule électrique. 2
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époque Dadamax Ernst) humanise des éléments de machine comme dans Deux figures ambiguës en 1920. En 1921, Raoul Haussmann codifie avec sa Tête mécanique, l’esprit de notre temps avec une règle, une montre, des accessoires photo, une plaque numérotée et un cylindre de typographie. Cet esprit est de nature métrique. C’est un persiflage sceptique à l’endroit de ces professions nouvelles où la machine est l’outil de travail de l’homme comme le métier de pilote ou d’opérateur radio. Un an avant, révolté par le carnage de la première guerre mondiale, Haussmann proposait un dessin satirique intitulé Liberté allemande. On y voit un militaire aux articulations mécaniques brandir son arme pour ordonner l’assaut. Mais, empêtré dans son armature, son action semble inefficace tant son mouvement paraît alourdi par ce fatras mécanique. Tel un coucou d’horloge, cet officier voit son corps effectuer d’incessants va-et-vient, toujours ramené à ses jambes littéralement boulonnées au sol. Symboliquement, cette charge antimilitariste dénonce la dépendance aveugle des forces guerrières allemandes aux nouvelles technologies guerrières limitant finalement leur utilité à de ridicules gesticulations aux conséquences pourtant dramatiques. Le corps-machine chez les futuristes, les vorticistes et les artistes russes Une autre approche de l’homme-machine, moins caustique et beaucoup plus favorable, est proposée par les avant-gardes italiennes et russes. Ce ton quasi laudateur est particulièrement présent dans la littérature futuriste. Dans les extraits de texte suivant, l’accent est porté, entre autres, sur une conception du corps-machine comme mythe de l’immortalité, de la vie artificielle. Extrait de L’homme multiplié et le royaume de la machine de Filippo Tommaso Marinetti (1910) : «(…) Il est de Raoul Haussmann Tête mécanique, l’esprit de notre temps, 1919 Support à perruque et objets appliqués, 32,5 x 21 x 20 cm Musée national d’art moderne, Paris, France Raoul Hausmann Liberté allemande, 1920 Encre de Chine sur papier de soie, 32,5 x 25,6 cm Musée national d’art moderne, Paris, France
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Fortunato Depero Mécanique de danseurs, 1917 Huile sur toile, 75 x 71,3 cm Musée d’art moderne et contemporain de Trento-Rovereto, Italie Fortunato Depero Costumes du ballet mécanique Enicham 3000 de 1924 à Milan, Italie Photographie originale Collection privée
notre devoir de préparer l’identification imminente et inévitable de l’homme au moteur en facilitant et en perfectionnant un échange continu d’intuition, de rythme, d’instinct et de discipline métallique. Nous aspirons à la création d’un type non humain, affranchi de la douleur morale, de la bonté, des sentiments et de l’amour qui ne sont que des poisons corrosifs dans l’inépuisable énergie vitale, des interrupteurs de notre puissante électricité physiologique. Nous croyons possible la perpétuelle transformation humaine, et déclarons sans ironie aucune que dans la chair des hommes dorment ses ailes.(...) Pour préparer la formation du genre non humain et mécanique de l’homme multiplié à travers l’extériorisation de sa volonté, il faut réduire le besoin d’affection, encore impossible à détruire, que l’homme porte en lui. L’homme du futur réduira son cœur à sa véritable fonction distributrice.(...) L’homme démultiplié dont nous rêvons ne connaîtra pas les peines de la vieillesse !» Extrait du Manifeste technique de la littérature futuriste par Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo, Giacomo Balla et Gino Severini (1910) : «(…) Après le règne animal, voici l’avènement du règne mécanique. Avec la connaissance et l’amitié de la matière, dont les scientifiques ne peuvent connaître que les réactions physico-chimiques, nous préparons la création de l’homme mécanique aux éléments modifiables. Nous le libèrerons de l’idée de la mort, et ainsi de la mort elle-même, définition suprême de l’intelligence logique.» Quand aux œuvres futuristes abordant le corps-machine, on peut retenir deux peintures de Fortunato Deperro (1917 et 1924) associant le dynamisme saccadé de la machine aux mouvements d’un danseur de type nouveau, mi-homme, mi-robot. En 1913, Jacob Epstein se passionne brutalement pour les machines à tel point qu’il fait l’achat d’une foreuse. Initialement, il réalise, en plâtre et haut de près de trois mètres, une sorte de robot avec une visière qui tient et protège sa progéniture, un marteau piqueur faisant office de socle. Il souhaite introduire de l’air comprimé dans cette sculpture pour la mettre en mouvement mais se contente de faire couler la partie supérieure en bronze. C’est l’œuvre que nous connaissons aujourd’hui. Il
Jacob Epstein Foreuse, 1913 Bronze, 70,5 x 44,5 x 58,4 cm Galerie Tate, Londres, Angleterre 10
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existe cependant une reconstitution du projet original. On trouve dans ce projet l’influence du vorticisme, mélange spécifiquement anglais de futurisme (idée de dynamisme, de mouvement, de vibration propre à la vie et à la technique moderne) de cubisme (à mi-chemin entre l’art africain et les formes angulaires de la machine). Epstein déclare à propos de cette sculpture à la fois chevalier en armure, mineur et démon du progrès : «Telle est la triste forme blindée du présent et de l’avenir. Elle n’a plus rien d’humain, c’est le monstre, le Frankenstein que nous avons fait de nous-même.» L’idée d’associer un corps mécanique à une figure humaine monstrueuse est aussi présente dans une peinture de Heinrich Hoerle, Les invalides, 1930 où trois mutilés de guerre sont réduit à l’état de machines. Chez les russes, citons notamment Kasimir Malevitch représentant le corps et la figure humaine dans un style tubiste fait de surfaces métalliques polies. Préfigurant l’idée du robot, l’armure s’est substituée à la chair. Alexandre Rodtchenko, dans une optique naturellement constructiviste, appréhende le fonctionnement des membres comme autant d’éléments mécaniques de base aux formes géométriques minimales, cercles, triangles, quadrilatères. La figure du robot dans l’art contemporain L’homme-machine étant progressivement passé dans la culture populaire par la figure du robot, un artiste comme Nam Jun Paik présente dans les années 19801990, non sans humour et poésie, des sculptures anthropomorphes faits d’assemblages de téléviseurs ou d’autres éléments technologiques du quotidien.
Kasimir Malevitch Le faucheur, 1912 Huile sur toile, 113,5 x 66,5 cm Musée national d’art de Nijni-Novgorod, Russie Kasimir Malevitch Portrait d’Ivan Klyun, 1913 Huile sur toile, 112 x 70 cm Musée de Saint-Pétersbourg, Russie
Alexandre Rodtchenko Construction sur fond blanc (Robots), 1920 Huile sur bois, 17,4 x 94,3 cm Musée Maillol, Paris, France
Nam Jun Paik Famille du robot, grand garçon technique, 1987 Assemblage de téléviseurs Musée d’Akron, Etat-Unis Nam Jun Paik Robot, 1990 Technique mixte, 48,3 x 15,2 x 15,2 cm Galerie Max Lang, New-York, Etats-Unis La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
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Machines érotisées et sexuées On sort ici des analogies formelles avec la figure humaine dans son ensemble pour aborder des métaphores visuelles plus subtiles associant le fonctionnement de certains éléments mécaniques (pistons, etc.) au coït. Ces machines permettent de rêver à des orgies interminables et contrôlées où le va-et-vient de l’acte sexuel serait perpétuel. Motricité, répétition, fréquence et commutation sont à interpréter comme autant de fantasmes relatifs l’acte sexuel. La machine en fonctionnement (s’ébrouant, pilonnant et grondant), l’enclenchement ou l’interruption de son fonctionnement et son rythme régulier rappellent la puissance de l’étreinte physique.. La transposition mécanique de l’organisme humain et de son activité sexuelle constitue une des innovations majeures de Marcel Duchamp. Dans La Mariée, l’artiste, encore sous influence cubiste et futuriste, utilise une gamme chromatique à dominante brune et imprime à une structure d’éléments mécaniques et de plans abstraits juxtaposés un mouvement allant de la gauche vers la droite. Le thème de l’amour machiniste qu’il inaugure sera exploité par les dadaïstes, en particulier par Picabia. Duchamp aimait citer dans ses entretiens et dans ses notes le nom de Descartes, qui prétendait que l’on pouvait voir un corps comme un mécanisme d’automate ; La Mariée serait ainsi le résultat d’un réductionnisme scientifique issu de la pensée du philosophe. Elle annonce, par son thème et sa facture, La Mariée mise à nu par les célibataires, même, dit aussi Le Grand Verre, l’œuvre qui occupa l’artiste de 1915 à 1923. A bien des égards, cette pièce peut-être considérée comme une machine désiranMarcel Duchamp La mariée, 1912 Huile sur toile, 89,5 cm x 55 cm Collection Arensberg, musée d’art de Philadelphie, Etats-Unis. Marcel Duchamp La mariée mise à nue par ses célibataires même (Le grand verre), 1915-1923 Reconstruction de Richard Hamilton 1965-1966, panneau inférieur refait en 1985 Huile, plomb, poussière et vernis sur verre, 277,5 x 175,9 cm Galerie Tate, Londres, Angleterre 12
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te. Elle est divisée en deux parties : la partie inférieure, baptisée par Duchamp «machine célibataire», consiste en une machinerie complexe, celle des 9 célibataires qui cherchent à atteindre la mariée ; dans la partie supérieure du Grand Verre se trouve la mariée (la figure de la peinture La Mariée y est reprise, mais en plus décharnée). La mise à nu électrique décrite par Duchamp dans ses notes devait avoir lieu grâce à un système de pistons envoyant de l’air dans les voiles de gaz de la mariée, de circulation de fluides et humeurs diverses. Il s’agit à vrai dire moins d’une machine proprement dite que de la conception d’une machine (l’œuvre, entièrement symbolique, construisant une vision mécaniste du phénomène amoureux). Dans ses notes, Duchamp mélange du reste les vocabulaires machiniques et biologiques : «Le moteur aux cylindres bien faibles, organe superficiel de la mariée est actionné par l’essence d’amour, sécrétion des glandes sexuelles de la mariée, et par les étincelles électriques de la mise à nu (pour exprimer que la mariée ne refuse pas cette mise à nu par les célibataires, l’accepte même puisqu’elle fournit l’essence d’amour et va jusqu’à aider à une complète nudité en développant de façon étincelante son désir aigu de jouissance).» Duchamp n’a jamais réalisé effectivement la machinerie de la mariée ; la seule oeuvre plastique dans laquelle il ait effectivement employé des «sécrétions des glandes sexuelles» comme médium réel est un tableau réalisé avec son propre sperme et intitulé Paysage fautif. Pour Picabia, à son heure véritable fétichiste des machines, la «rage sexuelle» des manivelles et des pistons devient un symbole érotique animé. L’artiste français met en scène des machines narcissiques et inefficaces, en proie à une spéculation érotique sans issue, alternative en somme à l’emblème progressiste du dynamisme et de l’énergie qu’exaltaient depuis 1909 le poète futuriste Marinetti et son groupe. Si Picabia intègre, par exemple dans Parade amoureuse des éléments mé-
Francis Picabia Parade amoureuse, 1917 Huile sur carton, 96,5 x 73,7 cm Collection Morton G. Neumann, Chigago, Etats-Unis Francis Picabia Voilà la femme, 1915 Huile sur toile Collection privée Francis Picabia Portrait d’une jeune fille américaine dans l’état de nudité, 1915 Page 4 du n° 5-6 de la revue 291 éditée par Alfred Stieglitz Bibliothèque de l’univeristé de l’Iowa, Ames, Etats-Unis
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caniques à une figure féminine, il faut y voir la forte influence de La Mariée de Duchamp, œuvre de 1912. Picabia partage ceci de commun avec Duchamp qu’il conçoit la machine en tant qu’être autonome, né du cerveau de l’homme et non destiné à la procréation. Une ambiguïté s’établit d’emblée, qui investit ce personnage d’un fantasme masculin : l’existence d’un être voué au seul plaisir. Dans Voilà la femme et Portrait d’une jeune fille américaine dans l’état de nudité, Picabia exprime son penchant pour les plaisanteries sexistes basées sur des analogies assez crues entre la femme et la machine. Dans une veine surréaliste, Oscar Dominguez, avec sa Machine à coudre électro-sexuelle détourne la célèbre phrase de Lautréamont3 vers des contrées au climat fantastique et érotique. Dans la continuité de Duchamp et Picabia, la fantasmagorie sexuelle de la machine conduit certains artistes au thème de la masturbation comme Robert Müller avec sa Veuve du coureur en 1957. Dans la tradition de la caricature érotique, Tomi Ungerer aborde dans les années 1970 l’onanisme et l’obsession sexuelle en présentant avec une verve satirique des machines à faire l’amour. Plus récemment, l’artiste canadien Michel de Broin nous propose une machine au titre révélateur Interpénétration Profonde. Elle fonctionne sur un système de sussions et expirations grâce auquel une forme se retourne sur elle-même comme le ferait un gant.
Machines comme prothèses ou organes du corps Oscar Dominguez Machine à coudre électro-sexuelle, 1934 Huile sur toile, 100,2 x 80,8 cm Collection privée Tomi Ungerer Sans titre, dessin préparatoire pour l’album Fornicon, 1965 Encre de Chine avec rehauts de feutre rouge sur papier calque contrecollé sur papier millimétré, 35,2 x 33,5 cm Musée Tomi Ungerer, Centre international de l’illustration, Strasbourg, France
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Certains artistes jusqu’au-boutistes ont traité de l’analogie corps-machine en insistant plus particulièrement sur certains éléments de machine agissant comme prothèses du corps. La prothèse mécanique donne naissance à un être hybride et, au fond, monstrueux : un
Beau comme la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection.» 3«
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Michel de Broin Interpénétration Profonde, 2003-2008 Réfrigérateur, boîtier de plexiglas, tube, valve, contrôleur Musée d’art contemporain du Val de Marne, Vitry-sur-Seine, France
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Raoul Haussmann Tatlin à la maison, 1920 Collage et gouachae, 41 x 28 cm Musée d’art moderne, Stockholm, Suède Raoul Haussmann Festival Dada, 1920 Collage, 36,2 x 28 cm
être fait du couplage et de l’accouplement de la chair et d’un appareil. Dans ce même corps, cohabitent le vivant et le mort, deux temps incompatibles, celui de la chair, irrémédiable, celui de la machine, interchangeable. Devant cette possibilité, l’homme éprouve un mélange de gêne et de fascination perverse. A l’état de fantasme du temps d’Haussmann, de Picabia, l’homme appareillé est aujourd’hui réalité du fait de l’accélération exponentielle des progrès de la technologie appliquée à chirurgie en l’espace d’un siècle. L’homme à la prothèse symbolise l’homme en sursis sur la mort et le temps donc un homme en performance. Sous-forme de performances, l’artiste australien Sterlac utilise son propre corps pour tester des prothèses qu’il considère non comme des signes de manque mais comme des dispositifs, améliorant, amplifiant les fonctions du corps. Il ne faut cependant pas réduire ces actions à une transposition littérale du fantasme, déjà ancien, de l’hybridation corps-machine et du rêve du cyborg4. Derrière le côté spectaculaire de la démarche de Sterlac, on peut déceler une volonté de désensibiliser son corps, de le traiter comme un objet inorganique, pour redéfinir la notion même d’humain. Dans un registre plus léger et poétique, notons un prototype de siège conçu par Panamarenko, le Knikkebeen (Jambes fléchies). Réalisé à partir de pattes mécaniques de volatile de deux mètres de haut surmontés par un siège, cet engin, s’il fonctionnait, se substituerait à la marche humaine. Remote Control de Jana Sterbak se présente sous la forme d’une robe-machine montée sur roulettes et téléguidée. En reprenant le principe de la crinoline, l’artiste dévoile comment un élément emprunté à la mode peut être également un objet de contrainte et de soumission. Avec Cloaca, Wim Delvoye engendre une œuvre-machine dotée d’une fonction inédite, celle du tube digestif artificiel. Il y a quelque chose de prométhéen dans cette
Le terme cyborg, contraction de cybernetic-organism, a été inventé en 1960 par deux médecins américains pour désigner un humain amplifié. 4
Francis Picabia L’oeil caméra, 1919 16
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entreprise d’invention qui consiste à fabriquer une créature et, à la manière de Dieu, à lui insuffler une raison d’être en même temps que le mouvement. Cloaca est tout entière tendue vers sa fonction métabolique: absorber, digérer, évacuer. Par la conjonction de la science du vivant et de la technologie, elle rejoint le mythe de l’artiste cherchant à restituer la vie à son oeuvre, tel Pygmalion qui finit par tomber amoureux de sa statue, ou le peintre du Chef d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac, qui sombre dans la folie pour avoir voulu réaliser un tableau qui serait la vie même. Par là, l’artiste rejoint un des grands rêves de la science, celui de créer une vie artificielle à la manière du docteur Frankenstein géné-
Wim Delvoye Cloaca n°5, 2006 Technique mixte, 390 x 70 x 330 cm Pièce itinérante
Sterlac Le troisième bras, 2000 Photographie tirée d’une performance Propriété de l’artiste Panamarenko Essai du siège Knikkebeen, 1994 Tirage limité, 57 x 45 cm Galerie Dessers, Leuven, Belgique
Jana Sterbak Remote control 1989 Musée de Rochechouart France La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
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LA MACHINE, OBJET D’INTERROGATION DE L’ACTE CRÉATIF
Machines productrices d’art L’art est produit, en principe, par les artistes, mais qu’arrive-t-il lorsque des machines se mettent à créer de l’art ? Les artistes deviennent-ils des ingénieurs ? Que signifie le retrait de l’artiste de l’acte créatif, et quelles en sont les conséquences pour l’originalité et le caractère unique de l’œuvre d’art ? Et, en fin de compte, qu’est-ce que l’œuvre d’art : la machine, le produit final ou le processus de création ? La confiance qu’a l’être humain dans la machine est à la base de la révolution industrielle et de notre bien-être ; mais elle est foncièrement étrangère à l’essence intrinsèque de l’art, raison pour laquelle ce dernier n’a eu que rarement recours aux machines pour sa création. Confier l’acte créatif à un appareil pose la question des frontières entre la sphère individuelle et la technologie, hautement d’actualité aujourd’hui. Ne devraitil pas revenir seulement aux artistes et non aux machines la possibilité de créer de l’art ? Il ne faut pas oublier que la machine est conçue en fonction de qualités telles que la reproductibilité des processus de production alors que l’art, selon la compréhension traditionnelle qu’on en a, se définit par son caractère unique (artiste individuel et œuvre unique). Cette question mérite en tout cas d’être posée avec sérieux ou avec ironie.
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Créer une machine en tant qu’œuvre d’art et lui confier la responsabilité de développer d’autres oeuvres d’art est un pas radical. C’est confier l’acte créatif à un appareil. Est-ce que de telles machines à produire de l’art possèdent alors une «âme» ? En fait, elles développent une dynamique indépendante et produisent une oeuvre qui est en soi indépendante – sans pouvoir toutefois la mener à terme. Il manque à la machine et à son processus automatisé la faculté de décision et la possibilité de sélection. Il s’ensuit des oeuvres d’art produites de manière mécanique et auxquelles manque l’élément d’irrévocabilité mais qui sont non moins l’expression de la souveraineté de la machine et de la croyance fondamentale dans les possibilités de création artistique au-delà de l’action individuelle. En outre, la machine à produire de l’art permet une participation du public et une production en masse, rompant par-là avec l’aura de l’œuvre d’art non reproductible. Et même si le spectateur n’est pas directement impliqué dans certains processus, il en a un aperçu, et cela incite à la réflexion : où commence l’œuvre d’art ? Jamais l’artiste ne pourra-t-il réussir à s’effacer définitivement de l’œuvre. La machine à produire de l’art demeure un outil tant qu’elle fonctionne selon les paramètres fixés par l’artiste. Ce n’est qu’à partir du moment où elle agira de manière indépendante et réagira aux situations de manière autarcique que l’on pourra parler d’un changement dans la relation d’auteur. La créativité de la machine à produire de l’art ne sera manifeste qu’au moment où elle créera sans contrôle de l’extérieur et selon le hasard. La machine peut produire sans la présence de l’artiste, mais elle ne peut pas exister sans le concept de l’artiste. Jean Tinguely récuse l’absolu et la finitude de la peinture : en 1955, il anime avec un système d’engrenage les surfaces de ses tableaux. Des compositions abstraites se
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Jean Tinguely Cyclograveur, 1960 Eléments de cycles, éléments et feuilles de métal, cymbales, support papier, 225 x 410 x 110 cm Maison de l’art de Zurich, Suisse
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Giuseppe Pinot-Gallizio La machine à faire de la peinture industrielle vers 1958,1959 Atlelier de Giuseppe Pinot-Gallizio, Alba, Italie Collection privée Giuseppe Pinot-Gallizio Rouleau de peinture industrielle vers 1958,1959 Collection privée
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déplacent à l’intérieur de leur cadre. Audace encore plus grande, à travers les Méta-matics (1959), des machines à faire de la peinture abstraite, le mécanisme devient l’œuvre en soi. Ces machines mettent directement en accusation les débordements de l’abstraction lyrique et gestuelle alors au comble de la mode. Mais ces œuvres ne parodient pas seulement l’automatisme du geste tachiste, elles peuvent se lire comme une réflexion plus globale sur le devenir du geste créatif de l’artiste, homme évoluant désormais dans un monde de plus en plus automatisé, mécanisé. En 1960, avec son célèbre Cyclograveur au comble de cette réflexion, Tinguely permet au public de produire lui-même de l’art grâce à l’énergie qu’il déploie à pédaler. Membre actif du mouvement situationniste entre 1957 et 1960, proche de Guy Debord et Asger Jorn, le pharmacien Giuseppe Pinot-Gallizio débute en 1955 une carrière de peintre. Dans le cadre d’un projet situationniste il élabore sa pittura industriale (peinture industrielle, 1958-1959) au laboratoire expérimental d’Alba. Les toiles «industrielles» sont peintes à l’aide d’une machine, conçue par l’artiste sur le principe d’un bricolage d’éléments mécaniques épars (chaînes de vélo, poulies, etc.) qui permet de concilier une fabrication industrielle avec la création d’œuvres uniques et expressionnistes. Les peintures industrielles se déroulent et s’enroulent sur plusieurs de grandes longueurs et sont vendues au mètre. Par ce procédé radical, Pinot-Gallizio détourne les pratiques du marché de l’art et celle de sa circulation. Il nie les normes de valeur de l’œuvre, fondées sur le caractère unique du geste de l’artiste, ici remplacé par celui d’une machine. Cet engagement poursuit l’objectif situationniste de dépasser les formes artistiques convenues et de créer un nouveau rapport avec le réel. Selon les conclusions de l’artiste lui-même, les peintures industrielles furent «la première tentative réussie de jouer avec les machines et le résultat fut la dévalorisation de l’œu-
Nicolas Terrasson, mémoire de recherche
vre d’art». Outre une attaque de la valeur marchande de l’œuvre d’art, le dispositif de Pinot-Gallizio se veut aussi une critique de la machine, en particulier des dangers liés à l’automatisation. A ce sujet, il déclare dans le 3ème bulletin de l’internationale situationniste de décembre 1958 : «En ce moment, l’homme fait partie des machines qu’il a créées. Il est nié et dominé par elles. Il faut renverser ce non-sens, ou bien il n’y aura plus de création. Il faut dominer la machine en la vouant au geste unique, inutile, anti-économique. Cela aidera la formation de la nouvelle société, inutile, anti-économique.» Avec ses Compressions, César Baldaccini supprime le geste de la sculpture traditionnelle. Ses compressions peuvent être perçues comme le contraire même d’une sculpture traditionnelle où l’enveloppe cachait ce qu’elle contenait. Ici, les compressions ramènent la sculpture au bloc originel, avec ceci de paradoxal qu’elles constituent l’aboutissement d’une vie d’objet. Par ce dispositif, César pousse à l’extrême le doute sur la question du potentiel créatif des machines. Réduisant au minimum son intervention, il ne fait que se réapproprier, à l’extérieur de l’atelier ou de la galerie, une machine déjà existante, se bornant à la détourner de son usage. La machine en question est une presse hydraulique employée par les casses automobiles et les ferrailleurs. Fabriquée en série, cette machine industrielle devient machine à produire de l’art par le seul choix, la seule volonté de l’artiste. L’attitude radicale de César sonne donc comme une réponse à Tinguely et autre Pinot-Gallizio qui réalisaient eux même leur machine à créer en un unique exemplaire, leur conférant implicitement le statut d’œuvre d’art. Rebecca Horn, Olafur Eliasson, Roxy Paine ont poursuivit cette tradition de création de machine à créer.
César à Villetaneuse, 1960 Photographie de Harry Shunk César Compression Ricard, 1962 Compression dirigée d’automobile, tôle peinte, 153 x 73 x 65 cm Musée national d’art moderne, Paris, France
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Rebecca Hörn La petite école de peinture réalise une chute d’eau, 1988 Tiges de métal, aluminum, brosses, moteur électrique, acrylique sur toiles, 579 x 363 x 241 cm Centre d’art Walker, Minneapolis, Etats-unis
Olafur Eliasson L’étude sans fin, 2005 Bois, métal, papier, stylo-bille, tampon, 235 x 130 x 130 cm Galerie Neugeriemenschneider, Berlin, Allemagne
Roxy Paine PMU (Unité de fabrication de peinture), 1999 Aluminum, acier, valves, pompe, caoutchouc, relais, servomoteurs, électronique, acrylique, 279,4 x 399 x 447 cm Galerie James Cohan, New-York, Etats-Unis
Roxy Paine SCUMAK n° 2 (Auto-sculpteur), 2001 Aluminum, acier inoxydable, extrudeuse, polyéthylène, sytème informatique, 84 x 163 x 52 cm Pièce itinérante Nicolas Terrasson, mémoire de recherche
Artistes voulant créer comme les machines (artistes miroirs de la machine) Depuis la fin des années 50, l’existence d’artistes n’aspirant qu’à la dépersonnalisation et à n’être que des machines objectives (procéder comme si on était soimême une machine) est de plus en plus courante. Ce désir de travailler comme des machines, de procéder de la manière la plus «inanimée» possible et de fabriquer des oeuvres issues d’une mécanique qui, pour humaine qu’elle continuerait à être, ferait glisser la création vers le point d’affect zéro, est décelable dans bien des démarches artistiques. La question du processus de création dans ses rapports avec celui de la production (industrielle) est alors posée. Une machine, en principe, ne crée pas ; elle ne peut que produire. Certains artistes ont alors fait de la mécanisation le symbole d’un art-miroir de la production, qui opère la mise en équation du produit industriel et de l’œuvre d’art, et cherche à combiner le quantitatif et l’insignifiance du contenu dans les objets créés, ainsi que la non-personnalité artistique. Andy Warhol résume bien cette attitude lorsqu’il rêve d’un Deus ex machina qui lui donnerait des ordres qu’il n’aurait plus qu’à exécuter. Il n’aspire qu’à produire des objets ex machina (ex machina Warhol). Warhol se place sous le signe de «l’artiste machine» : non plus créateur mais machine produisant en série. Les icônes du pop art, très souvent réalisées selon des processus tels que la sérigraphie, sont en effet conçues comme, avant tout, reproductibles. Cette technique, qui autorise la reproduction à l’infini d’un même motif, permet à l’artiste d’entretenir une relation «machinique» et non plus affective ou sentimentale avec ses sujets. L’image produite par un artiste-machine, dont l’atelier est une «Factory», donne à voir le nouveau standard des arts visuels, tel que W.Benjamin le définissait déjà en 1936, dans L’œuvre
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Andy Warhol 210 bouteilles de Coca-Cola, 1962 Acrylique, encre sérigraphique et crayon sur toile, 209,6 x 266,7 cm, Collection Daros, Suisse
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On Kawara JUNE 16, 1966, Incendie suite à la collision de deux camions-citernes et de deux remorqueurs dans la baie de New York Musée de la fondation d’art Dia, New-York, Etats-unis On Kawara 5 FEB. 2006, Voir la terre avec une conscience cosmique Acrylique sur toile, 26,7 x 34,3 cm Galerie David Zwirner, New-York, Etats-unis
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d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée : «La technique de reproduction (…) détache la chose reproduite du domaine de la tradition. En multipliant sa reproduction, elle met à la place de son unique existence son existence en série et, en permettant à la reproduction de s’offrir dans n’importe quelle situation au spectateur ou à l’auditeur, elle actualise la chose reproduite». Ce changement de statut remettait en cause, avec la notion d’œuvre, celle de chef-d’œuvre ; l’inanité de critères permettant de juger qu’une image de Marilyn (ou de la Madone Sixtine) est supérieure à celle d’une boîte de soupe ou de Coca Cola, soumises par Warhol au même traitement esthétique, apparaissant clairement. On Kawara est célèbre pour ses Date Paintings (l’écriture à la peinture de la date du jour sur la toile, comme unique sujet de l’œuvre). L’objet fabriqué par Kawara consiste à l’écriture à la peinture de la date du jour sur la toile, ce que l’artiste appelle faire une Date Painting. Le titre des Date Paintings est déterminé par la date, la première s’est appelée JAN. 4, 1966, la cinquième JAN. 16, 1966, etc. Ce travail, la production des toiles, est complété par l’artiste d’un minutieux descriptif des conditions de travail et du cadre social dans lequel est effectué ce travail. Les conditions de travail se définissent d’abord par le temps de travail. L’unité de temps définie par Kawara est la journée de travail. Si une toile n’est pas terminée dans la journée elle est automatiquement détruite le soir par le peintre. Comme n’importe quelle marchandise produite industriellement, les toiles de Kawara répondent en effet à des normes de fabrication précises, qui doivent être respectées. Lorsque le contrat n’a pu être rempli, la toile non conforme est détruite comme n’importe quelle marchandise défectueuse qu’on envoie au rebut. Aucun défaut de fabrication de l’œuvre n’est autorisé par l’artiste. Les conditions de travail se définissent aussi par la quantité de travail et la description du travail. L’artiste tient un journal qui
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recense la production annuelle des Date Paintings sous forme de calendrier où sont répertoriées la date et les dimensions des peintures. Il s’agit bien d’une description presque scientifique du travail et de ses conditions. L’artiste envoie régulièrement des télégrammes à ses proches (intimes ou faisant partie du milieu de l’art), le contenu des télégrammes envoyés par l’artiste faisant état de son maintien en vie ou de ce qu’il n’a pas l’intention de se suicider malgré l’automatisme aliénant de son travail. Il expose aussi des livres nommés One Million Years (past) et One Million Years (future) où sont inscrit sur leurs pages toutes les années composant un million d’années, avec un rythme de 500 ans par page soit 2000 pages par million d’années. Autre façon de procéder au simulacre des machines de production : celle de Roman Opalka. Cet artiste s’impose un rigoureux contrat de travail qu’il respecte scrupuleusement, parce que son simulacre est celui de la machine en train de faire (il ne crée pas de machine, il est la machine), et plus particulièrement celui de son usure. Les machines, les bâtiments, ne sont pas inusables. Si une machine après dix ans d’usage a perdu toute sa valeur, 1/10ème de sa valeur sera passée chaque année dans les marchandises qui auront été produites. A terme, totalement usée, elle sera bonne à jeter et à être remplacée, sa valeur initiale aura été traduite dans les objets fabriqués et revenue sous forme de plus-value. Tinguely nous montre ces machines vieillies par l’usage, dans leurs derniers instants ; Opalka décrit lui l’usure de ces machines, leur vieillissement progressif. Ses 1/100ème de blanc ajoutés à chaque toile au fond noir, sont l’équivalent des 1/10ème d’usure des machines, de même qu’à terme celles-ci ne fonctionneront plus, dépouillées totalement de leur vigueur et de leur énergie, de même l’œuvre miroir de la machine Opalka aura atteint son terme lorsque l’artiste sera parvenu au point ultime où il peindra blanc sur fond blanc. Le vieillissement de l’ar-
La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
On Kawara Un million d’années (passées et futures) 20 volumes de pages dactylographiées. Chaque volume documente le passage du temps année par année de 998031 av. J.-C. à 1969 apr. J.-C. et de 1996 à 1001995 apr. J.-C. 31,1 x 25,4 x 8,3 cm Galerie David Zwirner, New-York, Etats-unis
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tiste visible sur les autoportraits décline le même thème. L’écriture des nombres sur les toiles est à comprendre comme la comptabilité de l’usure, que tient scrupuleusement l’artiste-agent comptable. Lorsque le nombre final 1 + n aura été atteint, le livre des comptes pourra être refermé. Au terme de l’usure il y a la mort, de la machine et de l’œuvre miroir de la machine. C’est pour cette raison aussi qu’Opalka ne peint pas des toiles, mais les détails d’une seule et même oeuvre : celle-miroir de la machine intitulée 1965/1976, dont le titre se lit comme une épitaphe. Roman Opalka Détail de 731451 à 734918, 1965 Encre sur papier, 33 x 24 cm Collection privée
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LA MACHINE, SON ESTHÉTIQUE ET SES SPÉCIFICITÉS ÉLEVÉES AU RANG D’ART
Esthétique machinique : géométrie, abstraction, simplification, couleur, disques, etc. Toutes les relations entre l’art et la machine au cours du XXème siècle s’établissent sur un mode métaphorique. La machine fournit à l’art des représentations ou des modèles abstraits du monde que celui-ci transfigure en images sensibles ; l’art opère par substitution analogique, transfert et déplacement de sens. La machine donne des idées, propose des conceptions du monde, de la réalité, inspire, suggère, travaille l’art par-dessous. Les artistes y trouvent souvent la confirmation de certaines intuitions ou une stimulation de l’imagination. Il faut distinguer la machine comme aide à l’acte créatif, comme outil technique et la machine comme source d’inspiration. L’outil technique propose en effet des processus pour transformer et produire le monde, des manières de le percevoir. Il n’agit pas en proposant des idées, des visions abstraites, il agit sur la perception4. Mais la machine comme source d’inspiration a par exemple à offrir pour un artiste du début du XXème siècle, son formidable potentiel de forme plastiques nouvelles. La conscience accrue des potentialités esthétiques des formes géométriques, tant au niveau de la machine qu’à celui des constructions engendre alors au sein des avantFrancis Picabia Réveil matin, 1919 Page de titre du n° 4-5 de la revue Dada Bibliothèque de l’univeristé de l’Iowa, Ames, E.U Man Ray Sans titre, 1908 Encre et crayon sur papier, 22 x 19,3 cm Musée d’art moderne de New-York, E.U
Directement, quand il procure aux artistes des moyens de figuration, telle la photographie, dont les répercussions sur la peinture sont très importantes. 4
Man Ray Roues d’horloge, 1925 Rayographie, 28,3 x 22,9 cm Galerie de l’université de Yale, New Haven, E.U 28
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gardes européennes de grandes nouveautés plastiques. La machine inspire ni plus ni moins un nouveau vocabulaire formel. Au départ simples détournements de la beauté austère des engrenages, ces recherches aboutissent à des formalisations rigoureuses à la limite de l’abstraction. Paradigme de maîtrise et de rigueur formelle, la machine permet de nouvelles valeurs de clarté, de synthèse d’agencement et de construction plastique4. Le détournement des formes mécaniques colle parfaitement avec l’esprit des dadaïstes. Leur style mécaniste traduit bien une posture anti-art, anti-convention qui renonce aux attributs traditionnels du peintre : absence de choix subjectif, de «style» personnel, remplacé par la froideur des lignes industrielles et des mécanismes. Les figures du disque, de l’engrenage, de la poulie, de la rotation comme allégories du mouvement mécanique sont omniprésentes5. On les retrouve chez Picabia, Man Ray, Ernst mais aussi chez d’autres artistes comme Franz Kupka et Fernand Léger. Ce dernier, fasciné par l’esthétique des machines («La belle machine, écrit-il, c’est le beau sujet moderne.»), introduit l’élément mécanique en peinture comme «une arme offensive permettant de brutaliser la tradition». A ses débuts, sa forme préférée est le tube, ce qui conduit le critique Vauxcelles à le qualifier de «tubiste». Certains de ses tableaux montrent de gigantesques formes robotisées se mouvant dans une forêt de tube foisonnante comme une jungle. La puissance dynamique de Léger se caractérise dans de grandes surfaces de couleur venant s’intercaler entre des hommes-tubes. Les paysages, les figures, les natures mortes et escaliers des années qui précèdent la première guerre mondiale se condensent en corps stéréométriques présentant de rudes contrastes, dont les volumes ne sont pas cachés mais soulignés. Les couleurs lumineuses bleues, rouges, jaunes, et vertes sont employées comme des éléments constructifs non comme des éléments
La figure de l’engrenage qui s’emballe pour broyer, aliéner l’individu sera choisi par Charles Chaplin comme symbole critique des temps modernes dans son film du même nom. 5
Max Ernst Paysages glacials, glaçons et minéraux du corps de la femme, 1920 Gouache et crayon, 45,5 x 43 cm Musée d’art moderne, Stockholm, Suède Max Ernst Sans titre, 1919 8ème lithographie tirée du receuil Fiat modes pereat ars, 41,2 x 29,6 cm Musée d’art moderne de New-York, Etats-Unis Franz Kupka La machine de forage, 1927 Huile sur toile, 73 x 85 cm Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid, Espagne
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chromatiques, elles sont d’une dureté toute métalliques. Léger a appliqué la célèbre formule cézanienne à la lettre, transformant tout ce qui passait sous son pinceau en cône, en sphère et en cylindre. Quoi qu’il peigne, il en sort toujours un monde mécanique. Pour Léger, la violence de la modernité prend la forme de la concurrence que livrent à l’art les machines, belles en elles-mêmes et pourvoyeuses d’une beauté d’un nouveau genre. Elles mettent désormais l’artiste au défi de faire aussi bien ou mieux, sous peine de disparition. Il y va donc ni plus ni moins de la survie de la peinture qu’elle tienne compte à travers ses propres opérations des valeurs nouvelles que la machine et ses produits imposent : l’exactitude et la précision, le fini et le poli, la raison géométrique sousjacente. La peinture surmontera le risque d’obsolescence qui la guette à la seule condition que l’on puisse l’évaluer selon les mêmes critères que les produits de l’industrie5. Une approche plus littérale de l’esthétique mécanique est présente chez certains peintres qui représentent des machines pour ce qu’elles sont : des objets par essence objectifs. Parmi eux, certains peintre de la figuration narrative des années 1970 comme Sergio Sarri ou Konrad Klapheck. Ce dernier, avec une précision méticuleuse, peint des objets techniques du quotidien, les détourne pour les transformer en acteurs de la comédie humaine par des combinaisons étranges. Très tôt et sans se laisser influencer par les courants plus ou moins abstraits de son époque, Klapheck suit, en peignant exclusivement des machines, un chemin d’outsider avec une logique remarquable. Par une facture picturale impersonnelle, glacée, Klapheck représente dans une atmosphère d’étrangeté et de solitude des machines à écrire incarnant l’autorité et le pouvoir au sein d’une bureaucratie à la Kafka. Enfin, Thomas Ruff, dans la tradition de la straight photography d’un Paul Strand, renouvelle ce parti-pris d’objectivité au début des années 2000 par sa série des Fernand Léger Les disques, 1918 Huile sur toile, 240 x 180 cm Musée d’art moderne de la ville de Paris, France Fernand Léger Elément mécanique, 1924 Huile sur toile, 146 x 97 cm Musée national d’art moderne, Paris, France Konrad Klapheck La super mère, 1969-1994 Huile sur toile, 280 x 240 cm Galerie Lelong, Zurich, Suisse 30
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Machines.
Spécificités machiniques : métal, mécanisme, mouvement, temps, bruit, lumières, etc. Les futuristes qui, dans leur premier manifeste, ont fait une déclaration de principe contre la tradition académique et muséale de l’art ne pouvaient pas être insensibles au spectacle plastique qu’offre la splendeur des machines et de la technique. Marinetti déclare : «Dents et engrenages, pignons et dynamos, les magnifiques architectures de grues et de pont de fer, les hauts fourneaux, les gazogènes et les tours à la mécanique vertigineuse remplaceront le vieux paysage poisseux et blafard, le sujet romantique et les clairs de lune, toute cette piteuse littérature vermoulue si chère aux bourgeois. La ligne droite, ferme et aristocratique, contre le flou nébuleux et impressionniste. L’acier pur et les boulons aux formes plastiques du monde de l’usine, source de notre vie moderne et de notre grande révolte.» Cependant, les futuristes insistent bien qu’il n’est pas forcément question de peindre directement, littéralement des pièces de machines. Il peut y avoir une approche métaphorique ou moins directe qui vise simplement à transposer dans l’œuvre une sensibilité mécanique. Par exemple en s’inspirant des lois de construction et de valeurs formelles de la machine. Mais ce sont surtout les spécificités de la machine (mouvement, lumière) qui allaient servir de source d’inspiration pour les futuristes, et être ainsi élevées au rang de principe créateur. Leurs recherches s’orientent vers le divisionnisme et vers les plus récentes expérimentations scientifiques permettant une approche visuelle des phénomènes de la vie, comme le mouvement et le son. Les découvertes visuelles de la photographie scientifiques (chromophotographie de Marey) leur suggèrent la possibilité de représenter le mouvement dans le temps. Il s’agit d’extraire un nouSergio Sarri Grande chambre mécanique, 1982 Acrylique sur toile, 120 x 120 cm Thomas Ruff Machine 1185, 2003 Procédés C-Print et Diasec (pleximontage), 148 x 113 cm Galerie David Zwirner, New-York, Etats-Unis Paul Strand Double Akeley, 1922 Epreuve argentique, gélatine, 24,4 x 19,9 cm Musée d’art moderne de New-York, Etats-Unis La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
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veau vocabulaire formel des travaux analytiques de la science, dans une attitude semblable à celle du néo-impressionnisme de Seurat. Le déclencheur du mouvement futuriste est sans conteste l’automobile. Cette machine rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, lancée à toute vitesse incarne les paramètres d’énergie et de dynamisme aux quels doit se référer désormais l’art du nouveau siècle. Russolo et Balla cherchent alors à étudier plastiquement le dynamisme de ses nouvelles machines mobiles qui envahissent les villes. Ils cherchent notamment à transcrire les effets du mouvement dans la lumière, les déplacements d’air, la sonorité tourbillonnante du bruit, enfin la sensation éphémère d’un espace happé par la pénétration accélérée de ces nouveaux engins. Le fait que les futuristes essaient de retranscrire le mouvement de la vie moderne dans leurs œuvres a également la signification suivante : c’est une manière d’opposer le statisme et la paisible harmonie des œuvres d’arts rivales comme les natures mortes cubistes à la vitesse, le mouvement, métaphores du progrès et de la modernité. Balla se passionne également pour les phénomènes lumineux, naturels d’abord puis artificiels. La Lampe électrique atteste l’intérêt du peintre pour les conquêtes de la science et est considérée comme l’une des toutes premières réalisations de la poétique futuriste. Ses études du dynamisme d’une automobile nous proposent des compositions pratiquement abstraites faite de la pénétration spatiale et dynamique de plusieurs plans. En 1913, Russolo publie L’Art des bruits. Il y préconise une révolution radicale qui étend le domaine artistique aux sons les plus divers de la nature et du machinisme. Outre un nouveau système de notation musicale, il conçoit pour ses compositions les réseaux de bruits, divers instruments insolites, les intonarumori (glouglouteurs, gargouilleurs, hululateurs, etc.). Les constructivistes, eux aussi, procèdent dans leurs Luigi Russolo Dynamisme d’une automobile, 1912 Huile sur toile, 106 x 140 cm Musée national d’art moderne, Paris, France Giacomo Balla Vitesse d’automobile, 1913 Encre aquarellée sur carton, 46,5 x 60 cm Musée d’art moderne et contemporain de Trento-Rovereto, Italie Giacomo Balla Lumière électrique, 1909 Huile sur toile, 174,7 x 114,7 cm Musée d’art moderne de New-York, Etats-Unis 32
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créations d’une recherche fondamentale sur les matières, le mouvement et la lumière caractéristiques de la nouvelle société des machines. D’ailleurs, ils se considèrent comme des ingénieurs, des travailleurs et non comme des artistes. Avec sa Sculpture cinétique de 1920, véritable hymne à la machine, Naum Gabo présente l’exemple insurpassable de l’art cinétique, qui ne sera pas repris avant les années 30 puis 60. L’oscillation d’une fine barre verticale qu’un moteur fait tourner engendre un volume virtuel, dans l’espace. Cette masse de forme fuselée, fictive, illusoire, impalpable et diaphane est engendrée par la répétition d’un mouvement trop rapide pour que la vision humaine parvienne à le décomposer. Cette œuvre est sans doute la première sculpture mobile importante de l’histoire (les essais des futuristes italiens n’étaient guère convaincants) et illustre dans une simplicité radicale le phénomène de la persistance rétinienne sur laquelle se fonde le cinématographe alors en plein essor. Concernant les effets d’optique induits par le mouvement, notons que Duchamp conçoit aussi en 1920 une machine optique, la Rotative Demi-Sphère (réutilisée dans le film Anemic Cinema de 1926). Il s’agit de disques sur lesquels sont tracées des figures circulaires et qui, mis en mouvement de rotation par un moteur à rhéostat, créent des effets d’illusion optique. Au Bauhaus, Lásló Moholy-Nagy expérimente, avec une énergie et un extrémisme qui effraient bon nombre de ses collègues, les nouveaux matériaux, supports et techniques de son temps. Sa devise, rien que de l’optique, de la mécanique et la mise au rebut de la vieille peinture statique. La combinaison entre l’expérimentation sur des matériaux d’une ère nouvelle, le raffinement technique et artistique et la méthode intellectuelle et constructive définissent assez précisément sa démarche pionnière. Respectant sa profession de foi en faveur de la perfection technique de la machine, il propose un Modulateur espace-lumière. Il s’agit d’un appareil à Luigi Russolo jouant avec ses machines sonores (intonarumori, entonnoirs à bruits), 1913 Luigi Russolo au Russolophone, 1930 Photographie de Michel Seuphor Naum Gabo Construction cinétique, 1920 Baguette métallique vibrant au moyen d’un moteur électrique, 61,6 x 24,1 x 19,1 cm Galerie Tate, Londres, Angleterre La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
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moteur qui fractionne les rayons lumineux en rythmes mobiles, les reflète puis les projette dans l’espace. Réalisé par assemblage de plans de verre ou de métal tramé, de barres et de spirales soumis à des mouvements multidirectionnels, cette machine motorisée était destinée à un usage purement scénique. Elle fut en outre utilisée comme matériau lumineux dans un film expérimental (Jeu de lumière : noir-blanc-gris, réalisé en 1930 par MoholyNagy en personne) pour créer des projections abstraites. Ce film n’est pas sans rappeler celui réalisé en 1924 par Léger, le célèbre ballet mécanique. Dans un esprit voisin, Nicolas Schöffer, utopiste de l’esthétisation urbaine, travaille à l’architecture de lumière en créant des sculptures spatiodynamiques. L’objectif à terme : une ville cybernétique réagissant par la lumière et le mouvement aux heures du jour, aux températures et aux conditions météorologiques. Pour Schöffer, l’art doit intervenir de façon globalisante et faire pénétrer l’esthétique dans l’espace public, la société et l’environnement. Dans ses sculptures-machines telles que Sculpture spatiodynamique en 1959 ou La tour de Paris en 1967, l’œuvre est rendue mobile par l’action d’un moteur camouflé dans son socle, tournoie, et certains de ses éléments ajoutés (tels des disques, tantôt troués, tantôt lisses) sont, à leur tour, entraînés dans un mouvement centrifuge. De telle sorte que des faisceaux lumineux qui peuvent être colorés par des plaques (comme il est d’usage au théâtre), envoyés sur cette structure en mouvement, sont, soit réfléchis, soit tamisés, selon que les disques sont lisses ou troués. En réalité, Schöffer veut émerveiller. Ce qui compte pour lui, c’est l’effet optique, c’est d’atteindre la rétine de l’œil, de fabriquer des machines propres à surprendre. Dans le cadre de ces recherches sur le mouvement et la lumière, certains artistes des années 1960 vont jusqu’à se définir comme des créateurs expérimentateurs voire des artistes ingénieurs au sein de collectifs tels que le Groupe de Recherche d’Art Marcel Duchamp Rotative plaques verre, Optique de précision, 1920 Reconstitution réalisée en 1979 par les ateliers de la régie Renault Plexiglas peint, bois, métal, rhéostat, 170 x 125 x 100 cm Musée national d’art moderne, Paris, France Lásló Moholy-Nagy Modulateur espace-lumière, 1922-1930 (réplique de 1970) Métal, celluloïd, bois, verre, moteur électrique, 201,7 x 78,8 x 69,7 cm Musée Bush-Reisinger, Cambridge, Etats-Unis 34
Nicolas Schöffer Sculpture spatiodynamique, 1959 231 x 80 cm x 66 cm Musée Evoluon, Eindhoven, Pays-Bas Nicolas Terrasson, mémoire de recherche
Visuel (GRAV) en Europe ou le Experiments in Arts and Technology (EAT) crée aux Etats-Unis par Robert Rauschenberg et Billy Klüver, un véritable ingénieur. Plusieurs déclinaisons du mouvement jalonnent l’œuvre de Tinguely. En annexant le moteur à ses créations, l’artiste propose, en autres, des machines hydraulique qu’il nomme Fontaines. Dès son enfance, Tinguely, observateur fasciné par le bruit de l’eau dans les ruisseaux s’amuse à bricoler des machines à son, instruments de percussion mécaniques entraînés par des roues hydrauliques. Entre tragique et comique, à mi-chemin entre théâtre et fête foraine, l’esprit des carnavals planant sur ces fontaines met en lumière un étrange dialogue à priori improbable, celui de l’élément naturel et mécanique, de l’aqueux et du technologique. Le mouvement, c’est aussi l’inexorable, l’éternel, le perpétuel et Tinguely découvre ainsi que ses machines ont peut-être plus de chance de survie que les monuments traditionnels, abandonnés à la nature. Une machine dure car elle exige qu’on la surveille, qu’on l’entretienne, qu’on la graisse ; on peut même en changer les éléments usés ou défaillants pour que le fonctionnement, le mouvement se perpétue. Tinguely déclarera à propos des ces machines sculptures : «l’unique chose stable, c’est le mouvement, c’est le mouvement toujours et partout». L’artiste suisse, allant jusqu’à l’extrême de sa démarche, celle qui, partant de la vie et du mouvement, aboutit à la destruction et à la mort, présente en 1960, dans la cour du musée d’art moderne de New-York, Hommage à New York, machine-happening autodestructrice qui après trente minutes de mouvements imprévus explose. Takis se définit lui-même comme un expérimentateur. Il propose des sculptures se présentant comme des œuvres d’art total où le bruit, la lumière et le mouvement deviennent spectacle. Il sera aussi un précurseur dans l’utilisation des champs magnétiques et de l’énergie électrique en leur donnant une dimension poétique et
Nicolas Schöffer Tour Lumière de Paris, 1967 Acier, 62,7 x 15 x 15,5 cm Collection privée Jean Tinguely Hommage à New-York (machine autodestructrice) Performance du 17 mars 1960 Jardin du musée d’art moderne de New-York, Etats-Unis Jean Tinguely Fontaine de Tinguely, 1977 Ensemble de neuf sculptures-automates Place du musée d’art contemporain de Bâle, Suisse
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ludique (Signals, 1968). Mettant tous les sens en alerte, les environnements de Takis vitalisent l’espace. Avec ses sculptures Télélumières, il déclenche la «libre bataille des électrons» : en inversant les fonctions usuelles d’une cathode, une lumière bleuâtre est émise par une ampoule à vide. Avec Situation du vent IV, Richard Baquié suggère, par le procédé mécanique du ventilateur, le mouvement des flux d’air. A l’instar de Tinguely et ses Fontaines, Baquié interroge l’idée de phénomène naturel reproduit par la technologie.
Takis Signals, 1968 Deux sculptures lumineuses à deux feux clignotants sur tiges métalliques télescopique, 213,4 cm Collection privée Takis Télélumière, 1966 Ampoules, chassis en métal et objets divers, 60 x 39 x 39 cm Collection privée 36
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Richard Baquié Situation du vent IV, 1983 Sachet Sodium, trépied, ventilateur, 60 x 100 x 100 cm Musée d’art contemporain de Nîmes, France
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LA MACHINE, ENTRE UTOPIE ET CRITIQUE DU PROGRÈS ET DE LA MODERNITÉ
Croyance d’un monde meilleur débarrassé du passé (idéologique et artistique) Au début du XXème siècle, l’enthousiasme que soulève la machine après les événements de la guerre 1914-1918, première guerre technique décidée par la supériorité des machines, peut sembler étrange. Mais à l’époque, bon nombre d’observateurs prônent que seule une utilisation massive des machines promet à l’homme de meilleures conditions d’existence6. Chez certains artistes, la reconstruction industrielle de l’après-guerre, ainsi que l’utopie d’une révolution prolétaire trouvent alors écho dans une glorification de la machine. Ils souhaitent détruire le fossé qui sépare le travail à l’atelier et le monde industriel moderne, monde vécu comme une ivresse, auquel doivent s’ouvrir les tableaux comme les sculptures. Il n’y a que quelques rares rêveurs pour cultiver leur peur de la technique, invoquer le mythe de la nature et affecter une attitude critique envers cette nouvelle civilisation technicienne. Le mouvement futuriste peut être considéré comme un symptôme à la fois fondateur et révélateur du siècle : la haine du passé, qu’il faut abolir, l’exaltation frénétique de la machine et de la vitesse, l’appel à la violence salvatrice contre tout «passéisme», autant de traits qui
Les machines sont désormais affectées à la production de bien de consommation. 6
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dessinent jusqu’à la caricature une forme nouvelle de culte du moderne, celle de l’utopie technique. Au sein de cette avant-garde, la foi en la machine change cependant d’orientation : il y aura passage du modèle initial dionysiaque de l’automobile rugissante au modèle apollinien de la machine ordonnatrice du travail. La machine, célébrée en tant que métaphore de l’énergie émanant du monde moderne laisse maintenant place aux machines de l’usine, à la mécanique en tant qu’outil de production. Cette tendance est présente dès le début du mouvement constructiviste. Les acteurs de ce courant, pensent que l’artiste doit, à travers des convictions révolutionnaires, participer par son travail à l’édification d’un monde meilleur, plus juste et conditionné par l’industrie et la machine. Leurs recherches visent un art mécanique conçu comme témoignage des luttes sociales qui font du prolétaire «d’acier» l’homme du futur. Pour commémorer la IIIème internationale, Vladimir Tatline projette de réaliser une œuvre deux fois plus haute que la tour Eiffel. Le squelette d’acier d’une rampe hélicoïdale de plus de 400 mètres de haut doit maintenir par des câbles sur le même axe oblique trois espaces habitables, vitrés et mobiles, suspendus dans le vide. A la partie inférieure, la salle de congrès est cylindrique et doit tourner sur son axe une fois par an. Au-dessus, le centre du pouvoir exécutif a une forme pyramidale et doit tourner une fois par mois. Quant à l’élément supérieur, le centre de l’information, il a une forme cubique et, par une rotation quotidienne, communique à tout l’univers à travers les nuages les dernières nouvelles et proclamations. Son intention resta au stade d’une maquette en bois de 6 m de hauteur. Au travers de photomontages, Rodtchenko exploite au mieux la puissance suggestive de l’image. Cette technique lui permet de créer un nouvel espace d’investissement idéologique. Rodtchenko offre du monde une
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Vladimir Tatline Maquette pour le monument à la IIIe Internationale, 1919 Bois, acier et verre, 420 x 300 cm Photographie du modèle original à Moscou Alexandre Rodtchenko Illustration pour le poème De ceci de Vladimir Maïakovski, 1923 Epreuve argentique, gélatine d’après photomontage original
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série de visions inédites, où se lit l’apologie des nouvelles structures de la société russe. On sent l’influence de tels photomontages sur l’affiche publicitaire Ruths-Speicher réalisée en 1928 par César Domela. Toujours dans le registre du politique, El Lissitzky assure l’aménagement des pavillons soviétiques dans les grandes expositions internationales. En 1928, à l’exposition de la presse de Cologne, il obtient une consécration européenne. Lors de cette manifestation, on note aussi Le travailleur correspondant de Nikolai Prusakov et Grigorii Borisov, œuvre célébrant la libération du prolétaire par la machine. Dans ces années, un peintre comme Léger peint l’apologie des merveilles du monde technique à sa manière non intellectuelle et plutôt naïve. Le peintre français est, pendant un temps, communiste par conviction. Il rêve d’un art populaire pour tous. Un des aspects de son destin personnel réside en ceci que dans sa peinture tardive, schématisante, qui est peut-être la formulation la plus pure et la plus cohérente d’un réalisme socialiste, l’utopie d’un olympe prolétarien n’ait pas été comprise à ceux-là même à qui elle s’adressait. Léger tente aussi d’aller à l’encontre de la prétendue incompatibilité entre nature et machine. Dans des natures mortes d’une saisissante simplicité, il juxtapose directement des fleurs et de vis, des nuages et des engrenages, signe contradictoire d’un seul et même monde.
El Lissitzky Sans titre, 1928 Page extraite du catalogue du pavillon soviétique pour l’exposition internationale de la presse de Cologne en 1928 Galerie nationale, Canberra, Australie
On aurait tort de croire que les utopistes de la machine, en fétichistes de l’objet, ne plaident pas la cause de l’humain. La machine est plutôt vue comme un moteur qui permet de «changer la vie», comme source et maîtresse d’une nouvelle sensibilité. Marinetti déclare d’ailleurs dans l’introduction à L’Anthologie des Nouveaux poètes futuristes : «En tant que poète, mon propos n’est pas de faire un éloge lyrique de la machine, se serait infantile et sans importance : j’entends par machine tout ce que
Nikolai Prusakov et Grigorii Borisov Travailleur correspondant, 1928 Photographie exposée au pavillon soviétique pour l’exposition internationale de la presse de Cologne en 1928 Centre d’archives de l’état russe pour la littérature et l’art (RGALI), Moscou, Russie
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celle-ci peut signifier de rythme et d’avenir ; la machine enseigne l’ordre, la discipline, la force, la précision et la continuité. Grâce à la machine, j’entends sortir de tout ce qui est langueur, clair-obscur, fumeux, indécis, imprécis, inachevé, négligence, triste, mélancolie pour rentre dans l’ordre, dans la précision, la volonté, le strict, l’essentiel, la synthèse.» La machine fait apparaître l’utopie comme un objet double, une face radieuse et une face sombre. On reprochera notamment aux artistes expérimentateurs de l’art technologique des années 60 (le GRAV par exemple), un aveuglement moral face aux usages néfastes de la technologie.
Fernand Léger Les constructeurs sur fond bleu, 1950 240 x 320 cm Musée national Fernand Léger, Biot, France
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Alliance de l’esthétique machinique et du fonctionnel (la machine au service du peuple) Les avant-gardes russes et italiennes souhaitent une propagation des nouvelles formes dérivées de l’esthétique machinique au monde quotidien. Engager des actions concrètes qui, misant sur la production de l’objet utilitaire et sur la stylisation décorative, forgerait la sensibilité de la société moderne tout entière.
Giacomo Balla Table basse, 1922 Bois peint, 45 x 79 cm Collection privée
Les futuristes pratiquent ainsi l’artisanat, l’art de la propagande, la décoration murale, le design, l’architecture publicitaire, en créant meubles (Table basse de Balla), jouets, affiches, vêtements, objets de toutes sortes, aménagements et architectures d’intérieur, etc. Mais ce sont surtout les constructivistes qui sont le plus militant de cette idéologie allant à renoncer au chevalet pour fournir du matériau artistique utile : design, architecture, décors de théâtre... Leur vision de l’art en général et de la littérature en particulier est éminemment fonctionnaliste, ce qui n’est pas, peut-être, sans faire écho à la nouvelle politique économique mise en place par Lénine. Ils prônent donc, à la place d’un art doublant la vie (même si cet art est un prisme aussi étonnant que le futurisme) une (re)construction de la vie. À ceci s’ajoute la notion de commande sociale qui place l’art officiel au service du collectif. Tatline revendique la limitation de l’activité artistique au seul domaine pratique et se nomme «productiviste». Son slogan «L’art est mort ! Vive l’art de la machine.» reflète une mise en œuvre des idées sociales du moment : Tatline, Rodtchenko aussi bien que Malevitch s’emploient à la production de modèles de céramique, de vêtements d’ouvriers et de meubles pour les clubs de travailleurs. Les ateliers Vkhoutemas dans lesquels Tatline et El Lissitsky furent enseignants tentent de mettre en œuvre cette philosophie. Ces ateliers basés
Vladimir Tatline Chaise, 1927 Acier chromé, cuir, 78,7 cm Conçu et réalisé aux Vkhoutemas Photographie du modèle original El Lissitzky Couverture d’un ouvrage sur l’architecture aux Vkhoutemas, ateliers de design d’avant-garde moscovites, 1927 Typographie et illustration photographique, 24,3 x 16 cm Musée d’art moderne de New-York, Etats-Unis 42
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à Moscou et fondés en 1920 au sein peuvent être justement considérés comme le pendant russe du Bauhaus. Redonner à l’art une fonction sociale en brisant la séparation entre arts libres et appliqués, tel fut aussi l’objectif de l’école d’art du Bauhaus, fondé en 1919 à Weimar (Allemagne) par l’architecte Walter Gropius. L’art ne doit plus être un but en soi, mais une activité responsable. Dans cet établissement, les clases deviennent des ateliers dans lesquels, partant de zéro, l’élève interroge le matériau sous l’angle de son emploi formel et pratique dans la mise en forme de l’environnement. Les enseignants ne sont pas des professeurs mais des maîtres de forme, c’est-à-dire des artisans qui intègrent dans leur réflexion toutes possibilités de la production industrielle en série de modèles créés. La machine n’est pas un démon menaçant mais un auxiliaire bienvenu. Les créations formelles libres, artisanales et industrielles ont même valeur. La hiérarchie des arts est abolie, l’art fonctionnel devint enseignable et peut-être appris. La réflexion de Gropius a la même origine que celle de Le Corbusier qui popularisa le terme de «machine à habiter» : la «révolution machiniste» du XIXème siècle a amené la civilisation à un point de non-retour et nécessite un changement intellectuel profond . Nier la machine équivaut à se condamner, mieux vaut en être le maître et donner à ses produits un «contenu de réalité» : éliminer chaque désavantage de la machine, sans sacrifier aucun de ses avantages. S’il commence à exister une architecture, une peinture, une sculpture modernes, Gropius constate que les objets usuels ne participent pas de ce mouvement : l’artisan, qui a le savoir-faire, plagie les époques révolues, tandis que l’artiste, qui a l’esprit créateur, dédaigne ce travail «subalterne». D’où le principe : créer le compagnonnage de la main et de la machine dans la production ; ne pas faire imiter par la machine des produits faits à la main, mais créer des objets, faits à la main (Lampe de table WG 24 conçue par Wilhelm Wagenfeld et Carl J. Jucker, Costumes de ballet d’Oskar Schlemmer, etc.), qui pourront ensuite être manufacturés. Oskar Schlemmer Costumes de ballet, années 1920 Ecole du Bauhaus, Weimar, Allemagne Wilhelm Wagenfeld et Carl J. Jucker Lampe de table WG 24, 1924 45,7 x 20,3 cm, 14 cm de diamètre de base Réalisée par l’atelier de métal de l’école du Bauhaus, Weimar, Allemagne La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
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Machines inutiles A la différence des futuristes pour qui la machine est synonyme de pouvoir et de libération du passé, les artistes dada s’emparent de la technologie pour en exposer la redondance, l’excès ou l’aspect ridicule voire dangereux (Impossibilité dancer/danger de Man Ray). Dans cet héritage, de nombreux artistes vont créer des machines imaginaires, invraissemblables, parodiques, absurdes, utopiques, poétiques… dont la caractéristique commune est d’être privée de toute utilité pratique.
Man Ray Impossibilité dancer/danger, 1920 Aérographe sur verre, 60,8 x 35,2 cm Collection privée
Henrich Anton Müller, associé à l’art brut, interné pendant vingt-cinq ans est l’auteur de machines faites de cercles concentriques traduisant une obsession du mouvement perpétuel. Délirantes, ces structures sont réalisées à partir de branchages et assemblées à partir des propres excréments de l’artiste. Dans un esprit proche, l’Allemand Harry Kramer conçoit des structures de fils de fer motorisées par de minuscules poulies. Avec les frémissements, les tressaillements, les indécisions et les vibrations de ces machines-cages, il oppose à l’efficacité standardisée, léchée, des esclaves de la machine, une liberté anarchiste du hasard et de l’irrégulier. Dans les années 30, l’Italien Bruno Munari construit pour le souffle de l’air des Machines inutiles. Il publie en 1952 Le manifeste du machinisme dont nous reproduisons ici l’intégralité : «Les machines règnent aujourd’hui sur le monde. Omniprésentes dans le domaine du travail comme dans celui des loisirs, elles assistent chacun de nos gestes. Si de rébarbatives et pédantes études techniques expliquent leur fonctionnement, que savons-nous en réalité de leur caractère, de leurs humeurs, de leurs faiblesses ? Les machines se multiplient bien plus rapidement que les hommes, et presque aussi vite que les insectes les plus prolifiques. Déjà, entre elles et nous, la relation s’est modifiée. Leur entretien nous fait perdre un temps et une énergie
Heinrich Anton Müller Machine, 1914-1923 Détruite par l’artiste Rétrospective Harry Kramer 18 octobre 2008 - 15 février 2009 Musée de la ville d’Heilbronn, Allemagne Harry Kramer Sculpture de la série Théâtre mécanique, 1961-1963 Fil de fer noué, moteur électrique
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considérables. Un temps et une énergie consacrés à les bichonner, les nourrir, veiller à leur repos et à leur confort, à s’assurer enfin qu’elles ne manquent de rien. Bientôt, nous serons leurs esclaves bien-aimés. Seuls les artistes ont le pouvoir de soustraire l’humanité à ce danger. Il revient aux artistes de renoncer au romantisme poussiéreux du pinceau, de la palette, de la toile et du châssis, pour s’intéresser aux machines. A eux, l’initiative de créer des œuvres d’art en contrariant l’utilisation, la destination, le maniement des machines ! Plus de peintures à l’huile, mais des chalumeaux oxhydriques, réactifs chimiques, chromes, rouilles, colorations par électrolyse, altérations thermiques ! Ni toiles ni châssis, mais des métaux, des plastiques, des caoutchoucs et des résines synthétiques ! Formes, couleurs, mouvements, fracas du monde mécanique, ne seront plus abstraitement décrits, analysés, reproduits, mais combinés harmoniquement. La machine d’aujourd’hui est un monstre ! La machine doit devenir une œuvre d’art ! A nous de découvrir l’art des machines ! La machine doit devenir une œuvre d’art !» Il est évident que Tinguely a libéré la machine vers le domaine de l’inutile, du jeu, et en a fait le support de ses sentiments. La machine est devenue chez lui le théâtre du monde sur lequel la débordante joie de vivre, mais aussi l’angoisse métaphysique se déchargent dans le frémissement et les tressaillements des éléments mécaniques, trouvailles faites dans les décharges et chez les brocanteurs. Ce spectacle pousse jusqu’à l’absurde l’efficacité pratique de la machine et s’adonne en même temps à la fascination de l’univers mécanique. Mais les machines mues par des moteurs électriques appartiennent à une époque déclinante. C’est pourquoi Werner Spies a qualifié l’œuvre de Tinguely de «requiem aux mouvements et aux stéréotypes de l’homme-machine». Au début des années 60, les Baloubas, nom d’une tribu Bruno Munari Machine inutile, 1934 Avec l’aimable autorisation de Miroslava Hajek Bruno Munari Machine arithmétique, 1951-1983 Métal, plastique et plume, 28 x 22 x 28 cm Collection privée, Milan, Italie Jean Tinguely Balouba N°3, 1959 Bois, métal, ampoule, moteur électrique, 136 cm Musée Ludwig, Cologne, Allemagne
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africaine, affublée de plumes, de fourrures, de boîtes de conserves, de cloches à vaches, s’agitent en une danse rapide et saccadée. Pour Tinguely, l’acte artistique est un des derniers actes gratuits, un des derniers gestes de liberté dans un monde où tout doit être fonctionnel, utile. De nos jours, l’artiste américain Arthur Ganson poursuit cette utopie. A l’instar de Léonard de Vinci, le Belge Panamarenko refuse de séparer art et science. Voyageur de l’imaginaire, il construit des machines volantes ou roulantes comme autant de simulacre à même de contenir le rêve. Son oeuvre se présente sous la forme d’un univers prolixe et foisonnant, peuplé de dessins, d’objets, de machines, de calculs et d’écrits théoriques. L’œuvre de Panamarenko semble par-dessus tout reposer sur un rêve immémorial qui l’habite et l’obsède : l’aspiration à voler. Ce rêve remonte aux premiers âges de l’humanité, et est plutôt transculturel par essence que réservé à notre civilisation d’Europe occidentale, axée sur le progrès technologique. Cette chaîne associative: civilisation = domination du monde = progrès technologique = navigation aérienne est foncièrement archétypale par essence. Cela contraste brutalement avec l’iconographie qui caractérise les sculptures de Panamarenko. Son oeuvre n’épouse pas les développements récents dans le domaine de la technologie aérienne ou spatiale. Aucun des engins conçu par l’artiste n’est opérationnel au sens fonctionnel. Scientifique, architecte devenu sculpteur et pionnier de l’art interactif, l’artiste Piotr Kowalski croit aux pouvoirs de l’invention, à la création d’art par la machine, et à la place déterminante que doivent avoir les œuvres dans l’espace public. «Ce qui est au centre de mon travail peut-être, déclarait-il à Félix Guattari en 1989, c’est d’avoir porté un regard critique sur ce qu’est la science, et ce qu’est la connaissance aujourd’hui.» Kowalski conçoit des installations où la machine est utilisée à des fins inutiles et absurdes comme Time Machine. Cette œuPanamarenko Donnariet, 2003 Matériaux divers, 60 x 90 x 48 cm Galerie Clara Maria Sels, Düsseldorf, Allemagne Panamarenko Le canard athlétique, 2003 Matériaux divers Galerie Jamar, Antwerpen, Belgique Panamarenko Prova-Car, 1967 Bois, étain, plastique, tissu, mousse et vis, 95 x 200 x 290cm, Collection privée 46
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vre interactive permet au public de manipuler à sa guise en la retournant l’image venant de la caméra ou d’une télévision. Ainsi peut-il faire coexister, grâce à deux téléviseurs et à des systèmes sonores juxtaposés, le monde «à l’endroit» de l’image et le «monde à l’envers» de sa restitution renversée ultrarapide. C’est une manière de jouer avec le temps avec une machine. Chez Kowalski, les découvertes les plus sophistiquées sont ainsi détournées vers des applications farfelues, élaborées dans un laboratoire d’idées illogiques qui n’est pas sans résonner parfois d’accents pataphysiques. Jacques Carelman dessine et réalise des objets introuvables, imaginaires, absurdes. Particulièrement habile à détourner de leur sens des inventions supposées utiles, Carelman porte un regard plein d’ironie sur la contribution du progrès technique au bonheur de l’humanité. Rebecca Horn met en scène le mouvement. Elle évoque le temps dans ce qu’il a de fugitif et d’infini. Ce qu’elle avait traduit avec son corps dans ses premières actions, elle le transfère dans des constructions mécaniques qu’elle situe et isole dans l’espace pour renouveler la conscience de ce que le temps a d’inexorable et de brutal.
Piotr Kowalski Time Machine II, 1981 Dispositif interactif Musée national d’art moderne, Paris, France Jacques Carelman Machine à calculer, 1969 Tirée de l’ouvrage de Jacques Carelman Catalogue d’objets introuvables aux éditions Balland Rebecca Horn Cuillères, 1990 Moteur électrique et cuillères, 24,8 x 24,8 cm Collection privée La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
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Rebecca Horn Dôme Knuggle pour James Joyce, 2004 Couteaux, construction métallique, moteur, 60 x 110 x 40 cm Collection privée Richard Baquié Sans titre, 1990 Installation : métal, ciment, verre, pompe électrique et eau, 135 x247 x 20 cm Collection du fonds régional d’art contemporain de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille, France
Richard Baquié construit des machines et des dispositifs au caractère poétique et narratif à partir de matériaux de récupération. Ses constructions brutales et fragiles, mettent en jeu des mécanismes de fortune qui combinent l’électricité, l’eau, la glace, le son, le mouvement, la chaleur, l’air et la lumière. Dans sa carrière aux activités multiples, Dennis Oppenheim a engagé depuis la fin des années 1970 d’imposantes installations dont certaines se muent en machines énigmatiques et ludiques, conçues comme des usines (la série des factories) ou des rampes de lancement. Elles sont faites d’éléments de transition (couloirs, tunnels, rampes) permettant de mettre en scène les énergies mécaniques du dispositif. Selon Oppenheim, ces énergies «reflètent la pensée qui les produit». Le cours des choses (Der lauf der dinge) est l’œuvre la plus célèbre de Peter Fischli et David Weiss. Ce film fonctionne comme un sabordage de l’autoritarisme technologique. Il s’agit d’un faux plan séquence de 28 minutes qui tente de suivre, filmé à l’épaule, une suite de réactions en chaîne sur une réalité physico-chimique. Les causes et les effets sont confondus dans une interprétation des lois de la thermodynamique pleine de suspense et de pur plaisir du mouvement des choses. Le film fonctionne comme une machine inusable : lorsque le générique de fin apparaît la bande son continue comme s’il s’agissait d’un extrait d’enchaînement sans fin. En écho à leur sculpture Little Death Machine (Castrated) réalisée en 1993, Jake et Dinos Chapman ont récemment conçu, avec un esprit provocateur et une bonne dose d’humour noir, une série d’improbables machines représentant certaines fonctions humaines comme la respiration, la pensée, les rapports sexuels ou la mort. Par cette série, les deux frères artistes entendent contester la distinction faite entre l’homme et la machine, la prétention du mot «progrès» interroger les «théories mécaniques de l’esprit humain».
Dennis Oppenheim Ascendance de Saturne, 1979 Câbles de réchaud à butane, soufflerie à induction, fibre de verre, acier, roche Collection du centre Werner pour les arts, Columbus, Etats-Unis
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Peter Fischli et David Weiss Le cours des choses, 1987 Film couleur, 16 mm 28 minutes Jake et Dinos Chapman Petite machine de mort (Castrée), 1993 Technique mixte, 138,4 x 74,2 x 94,3 cm White Cube, Londres, Angleterre
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Machines et déshumanisation La réalité machinique peut être abordée à travers sa relation multiple et conflictuelle avec la nature humaine. La problématique d’identification de l’homme à la machine, l’éclairage anthropologique de la machine permet de concevoir une sorte de mythologie de la technologie, mythologie lui permettant de dépasser sa condition utilitaire pour lui octroyer une autonomie une existence en-soi allant jusqu’à la possession de pulsion et de désir, bref d’un inconscient. Certains artistes voient dans cette possible humanisation une dimension maléfique de la machine qui menacerait l’homme dans sa survie, sa destinée. Comme vu dans la partie précédente (machines inutiles) cette angoisse est souvent abordée par les artistes sous l’angle de la dérision, de l’absurde et du détournement. Il faut sortir du champ des arts plastiques pour déceler un traitement réellement dramatique. Parmi tant d’autres références7, on peut citer la machine de La Colonie pénitentiaire de Franz Kafka, la machineMoloch de Metropolis de Fritz Lang, jusqu’à l’ordinateur Hal 9000 dans 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
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Voir références bibliographiques et filmiques, pages 54 à 57
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HAL 9000 2001, L’Odysée de l’espace, 1968 Stanley Kubrick
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CONCLUSION
Nouveaux médias, la fin du mythe de la machine comme outil de réflexion artistique ? Les espoirs suscités par le progrès technique (symbolisés par la figure de la machine) semblent aujourd’hui bien déçus. Les lendemains déchantent face au monde industriel actuel qui provoque davantage de méfiance et de réaction hostile que dans la première moitié du XXème siècle. L’homme d’aujourd’hui ressent parfois le monde actuel comme une machine inarrêtable qui broie l’individu au lieu de le soulager. Le cruel paradoxe repose sur le fait que l’homme, dans un dernier élan de masochisme, paraît complètement dépendant aux machines, à la technologie, y compris l’artiste. La machine comme thème d’inspiration artistique ne semble plus avoir autant de souffle alors que la machine comme compagnon technique, outil d’aide à la création semble parfaitement intégré chez de nombreux plasticiens. Que ce soit la photographie, le cinéma, plus récemment l’informatique ou toutes autres sortes de techniques d’enregistrement du réel, ces nouvelles machines ont bouleversé le rapport qu’entretenait l’artiste avec la nécessité d’imiter le réel. Elles agissent comme une prothèse, dans la plupart des cas une prothèse de l’œil. Par rapport à nos sens physiologiques ordinaires, elles nous font voir une autre interprétation du visible même si elles prétendent le reproduire. Mais ces artistes, utilisateurs aveugles des nouveaux médias ne semblent pas réellement s’interroger sur la portée philosophique de leur geste (à l’exception d’un Harun Farocki menant une réflexion critique
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sur le dispositif vidéo tout en l’utilisant). Ceci est particulièrement évident avec l’avènement du numérique : un peu à l’image de leurs prédécesseurs constructivistes qui tenaient la machine pour leur «partenaire» artistique, les premiers artistes à utiliser l’ordinateur semblent avoir été avant tout attirés par une imagerie mécanique ou futuriste (il suffit pour s’en convaincre de constater l’omniprésence des formes géométriques dans les premières œuvres d’art informatique), comme si l’art de la machine se devait de revêtir quelques ressemblance avec la machine elle-même. S’il est difficile de trancher sur l’impact des technologies numériques dans l’histoire de l’art, on peut tout de même tout de même dresser certaines remarques : les principes de temporalité, de stabilité et d’unicité propres à l’art paraissent basculer avec l’essor des techniques industrielles, et en particulier des techniques d’enregistrement et de visionnement dans un nouveau monde fondé sur la multiplicité, la métamorphose, le mouvement et le changement continuel. De plus, la propagation par le truchement de l’informatisation d’une culture numérique (fondée sur le code binaire) modifie le statut de l’image, tel que le définissait Benjamin, car l’image est codée, transmissible. Désormais, l’image est entrée dans l’ère de sa reproductibilité électronique. Par sa multiplication même, elle court à sa perte. Chaque jour, des millions d’images apparaissent et disparaissent, c’est ce que Paul Virillo appelle le «bloc opaque» qui peu à peu nous asphyxie.
Ouverture pour des pratiques personnelles Le présent document constitue une matière théorique et pratique précieuse pour consolider et aprofondir une démarche artistique personnelle ayant trait aux objets techniques (plus précisément aux capacités métaphoriques et picturales des composants électronique du cœur des machines contemporaines). Grâce aux recherches ici présentes, ce choix artistique, initié en DNAP8, me semble délesté de certaines incertitudes relatives à son orientation et son argumentation.
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Pour plus de détails, consulter le site http://n.terrasson.free.fr, année 2008
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Références bibliographiques et filmiques NON EXHAUSTIVES Références bibliographiques Art Du chevalet à la machine de Nikolaï Taraboukine, 1923 (Champs Libres, 1972) La mécanisation au pouvoir, les machines dans la maison de Sigfried Giedion, 1948 (Denoël, 2004) Les machines célibataires de Alain Carrouges, 1954 (Ed. du Chêne, 1976)
Fonctions de la peinture de Fernand Léger, 1955 (Gallimard, 1997) La genèse des formes modernes de Pierre Francastel, 1956 (Denoël, 1975) The machine as seen at the end of the mechanical age (catalogue d’exposition) de Karl Gunnar Pontus Hultén, 1968 (Musée d’Art Moderne de New York, 1968) La ville cybernétique de Nicolas Shöffer, 1969 (Denoël, 1972) Peinture et machinisme de Marc Le Bot, 1973 (Klincksieck, 1973) Les machines célibataires (catalogue d’exposition) de Harald Szeemann, 1976 (Alfieri, 1976)
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New-York délire : un manifeste rétroactif pour Manhattan de Rem Koolhaas, 1978 (Parenthèses, 2002) Les panoplies du corps (revue Traverses) collectif, 1979 (Centre Georges Pompidou, 1979) Electra, l’électricité et l’électronique dans l’art au XXème siècle (catalogue d’exposition) de Frank Popper, 1984 (Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1984) Machines virtuelles (revue Traverses) collectif, 1988 (Centre Georges Pompidou, 1988) Art et nouvelles technologies (revue Art press) collectif, 1991 Corps et Machines (revue Art press) collectif, 1994 La machine à peindre de Maurice Fréruchet, 1994 (Jacqueline Chambon, 1998) Chercheurs ou artistes ? de Monique Sicard, 1995 (Autrement, 1995) Kraftwerk, le mystère des hommes machines de Pascal Bussy, 1996 (Camion Blanc, 2004) L’art et l’éléctricité (Revue Technè n° 12) Collectif, 2000 (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, 2000) David Cronenberg de Serge Grünberg, 2000 (Cahiers du Cinéma, 2005) Art et biotechnologies de Louise Poissant, 2005 (Presse de l’Université du Québec, 2005) Des Images, du temps et des machines de Edmont Couchot, 2007 (Jacqueline Chambon, 2007)
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Philosophie, sociologie, essais L’homme-machine de Julien Offray de La Mettrie, 1747 (Flammarion, 1999) Le Capital de Karl Marx, 1867 (Gallimard, 2008) Milieu et techniques de André Leroi-Gourhan, 1945 (Albin Michel, 1992) La question de la technique de Martin Heidegger, 1953 (Gallimard, 1980) La technique ou l’enjeu du siècle de Jacques Ellul, 1954 (Economica, 1999) L’obsolescence de l’homme de Gunther Anders, 1956 (Encyclopédie des Nuisances, 2000) Du mode d’existence des objets techniques de Gilbert Simondon, 1958 (Aubier, 2001) Pour comprendre les médias de Marshall McLuhan, 1964 (Bibliothèque Québécoise, 2005) Le système des objets de Jean Baudrillard, 1968 (Gallimard, 1990) La technique et la science comme «idéologie» de Jürgen Habermas, 1968 (Gallimard, 1990) Les machines désirantes de Gilles Deleuze et Félix Guattari, 1972 Premier chapitre de L’Anti-Œdipe (Minuuit, 2001) La machine univers de Pierre Lévy, 1987 (Seuil, 1992) La machine de vision de Paul Virilio, 1988 (Galilée, 1988)
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Nicolas Terrasson, mémoire de recherche
L’hétérogenèse machinique (revue Chimères n° 11) de Félix Guattari, 1991 Manifeste cyborg : science, technologies et féminisme socialiste à la fin du XXème sciècle de Donna J. Haraway, 1991 in Des singes, des cyborgs et des femmes : la réinvention de la nature (Actes Sud, 2009) Le quark et le jaguar de Murray Gell-Man, 1994 (Flammarion, 1998) Vie et mort de l’image de Régis Debray, 1995 (Gallimard, 1995) La bombe informatique de Paul Virilio, 1998 (Galilée, 1998) La technique et le temps (3 tomes) de Bernard Stiegler, 1994-2001 (Galilée, 2001)
Littérature Pauliska, ou la perversité moderne de Jacques-Antoine de Révéroni Saint-Cyr, 1798 (Rivages, 2001) Les automates et autres nouvelles de Ernst Theodor Wilhelm Hoffmann, 1815 (Hachette, 1995) Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley, 1818 (Pocket, 2009) L’ève future de Villiers de l’Isle-Adam, 1886 (Flammarion, 2008) Sur le théâtre des marionnettes de Heinrich von Kleist, 1891 (Séquences, 2005) Le château des Carpathes de Jules Vernes, 1892 (Hatier, 2005) Le surmâle de Alferd Jarry, 1902 (Viviane Hamy, 2006)
La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
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Locus Solus de Raymond Roussel, 1913 (Flammarion, 2005) Dans la colonie pénitentiaire de Franz Kafka, 1919 (J’ai lu, 2001) R. U. R. (Rossum’s Universal Robots) de Karel Čapek, 1920 (Editions de l’Aube, 1997) Le meilleur des mondes de Aldous Huxley, 1932 (Pocket, 2002) Achille énamouré mêlé à l’Evergète De Alberto Savinio, 1933 in Le Surréalisme au service de la révolution (Jean-Michel Place, 2002) L’invention de Morel de Adolfo Bioy Casares, 1940 (Domaine étranger, 1992) La France contre les robots de Georges Bernanos, 1947 (Le Castor Astral, 2009) 1984 de George Orwell, 1949 (Gallimard, 2007) Révolution électronique de William S. Burroughs, 1970 (Hors Commerce, 1999) Crash ! de James Graham Ballard, 1973 (Gallimard, 2007) Neuromancien de William Gibson, 1984 (J’ai lu, 2007)
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Nicolas Terrasson, mémoire de recherche
Références filmiques Metropolis de Fritz Lang, 1927 La roue d’Abel Gance, 1927 Alpahaville de Jean-Luc Godard, 1965 THX 1138 de George Lucas, 1971 Tron de Steven Lisberger, 1982 Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, 1983 Videodrome de David Cronenberg, 1983 Tetsuo de Shinya Tsukamoto, 1988 Akira de Katsuhiro Otomo, 1988 Patlabor de Mamoru Oshii, 1989 Ghost In The Shell de Mamoru Oshii, 1995 eXistenZ de David Cronenberg, 1999 Kaïro de Kiyoshi Kurosawa, 2000
La machine dans les arts plastiques du XXème siècle
École Supérieure des Beaux-Arts de Tours - Mémoire