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CE N'EST PAS UNE ACTIVITÉ ORDINAIRE QUE DE S'INTÉRESSER À L'ORDINAIRE

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Daniel Bougnoux Philosophe de formation, il s’est longtemps intéressé à la littérature et au théâtre. Professeur émérite en sciences de la communication à l’Université Stendhal de Grenoble, il a publié de nombreux ouvrages dans cette discipline, notamment Introduction aux sciences de l’information et de la communication (La Découverte, 2002) et La crise de la représentation (La Découverte, 2006). Tout récemment, il a publié Empreintes de Roland Barthes (éditions Cécile Défaut, 2009). Il a animé, aux côtés de Régis Debray, la revue

Les cahiers de médiologie. Il dirige également la publication des œuvres romanesques complètes d’Aragon dans la bibliothèque de la Pléiade. Jean-Pierre Chambon Écrivain, il publie des livres de poésie et de courts récits oniriques, plus d’une quinzaine chez différents éditeurs, dont les éditions Gallimard (Le Territoire aveugle, 1990 et Le Roi errant, 1996), L’Amourier (Méditation sur un squelette d’ange, 2004 et Nuée de corbeaux dans la bibliothèque, 2007), Jacques Brémond (Sur un poème d’André du Bouchet, 2004), Voix d’encre (Le petit livre amer, 2008) et Cadex (Corps antérieur, 2003 et Labyrinthe, 2007). Son dernier ouvrage Trois rois, est paru aux éditions Harpo& en septembre 2009. Tout au long de son œuvre, il brouille les frontières entre le réel et le rêvé, le vécu et l’imaginaire. Luc Gwiazdzinski Géographe, il est le fondateur de l’agence Sherpaa spécialisée sur les questions de temps et de mobilité. Il enseigne dans de nombreuses universités en Europe, dont

l’Institut de Géographie alpine de Grenoble. Spécialiste des questions de temporalité, de territoire, de mobilité et de nuit urbaine, il a publié de nombreux ouvrages sur ce sujet, parmi lesquels La ville, 24 heures sur 24 (éditions de l’Aube, 2003), La nuit, dernière frontière de la ville (éditions de l’Aube, 2005) et plus récemment, Périphéries, un voyage à pied autour de Paris (éditions de l’Harmattan, 2007). Bernard Mallet Universitaire, maître de conférence en Sciences du langage à l’Université Stendhal de Grenoble, il s’est spécialisé dans les problèmes d’acquisition du langage et de la relation entre développement de la pensée et développement du langage. Philippe Mouillon Plasticien, scénographe urbain, il est à l’initiative de Laboratoire sculptureurbaine. Il conçoit des projets d’échelle urbaine, sensibles aux singularités sociales, spatiales ou historiques des villes d’inscription. Pour y parvenir, il invite des artistes et intellectuels du monde entier à confronter leur expérience singulière

du monde. Il a ainsi composé des interventions urbaines dans de nombreuses villes du monde, comme Rio de Janeiro (Arcos da Lapa, 1996), Sarajevo (Légendes, 1996) ou Alger (Répliques, 2003). Il est aussi professeur associé à l’université JosephFourier de Grenoble. Henry Torgue Compositeur et sociologue, diplômé de l’Institut d’études politiques de Grenoble, il mène en parallèle composition musicale et recherche. Directeur du laboratoire CNRS “ Ambiances architecturales et urbaines ” à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, ses recherches portent sur l’imaginaire des espaces urbains contemporains. Xochipilli Pseudonyme d’un ingénieur des mines, polytechnicien. Le jour, il s’occupe de marketing et de télécommunications. La nuit, il épingle sur son blog, le “ Webinet des curiosités ”, toutes les bizarreries scientifiques qui l’amusent ou qui l’intéressent.

Éditorial

les auteurs

Maryvonne Arnaud Photographe et plasticienne, elle est cofondatrice de Laboratoire sculpture-urbaine. Sa sensibilité se confronte aux usages urbains contemporains et elle s’attache notamment aux stratégies de survie des populations défavorisées. Elle travaille dans les grandes villes du monde, de Johannesburg (Face to Face, 2000) à Mexico et dans des contextes urbains particulièrement ébranlés, comme le sont Tchernobyl ou Grozny (Tchétchènes hors-sol, 2009).

Les foules sont le terreau du social, une réserve énergétique d’où émergent formes et informations d’apparence chaotique. La foule est un grand corps à la conscience flottante, qui vit et qui respire, s’emporte et nous entraîne, transmettant à chacun de fortes vibrations : au mieux, le sentiment d’appartenance à une communauté ou à un territoire ; au pire, la quête inépuisable de boucs émissaires. Cette apparence instable, ambivalente de la foule explique peutêtre que seule sa masse semble digne de considération. Même bornée et manipulée, elle pèse, par adhésion comme par asservissement. La validation par la majorité, les succès d’audimat ou la mobilisation massive restent le cadre dominant du marketing consumériste et de l’action politique. Un cadre approximatif puisque aucun d’entre nous ne doute au fond que Galilée avait raison, seul, et contre l’opinion du monde entier. En ce sens, la foule appartient aux impensés de l’époque. Elle est notre malaise. Notre hypothèse ici est qu’elle demeure pourtant d’actualité, ou acquiert aujourd’hui une actualité nouvelle. Car si l’idéal révolutionnaire de renversement du cours du monde nécessitait une mobilisation ample et indistincte des masses, les déséquilibres multiformes du siècle qui s’ouvre à nous exigeront une mue beaucoup plus radicale. Seule la conversion patiente de multiples gestes quotidiens chez des milliards d’individus différenciés semble à même de cristalliser les conditions d’une société soutenable, c’est-àdire autorégulatrice et attentive. Une multitude d’intelligences autonomes, désynchronisées et collaboratives devient-elle pensable ? Avant de l’envisager, nous vous proposons ici d’abandonner la masse pour étudier la foule en détail, par ses caractéristiques physiques : sa viscosité ou sa granulométrie, par sa biologie : ivresses, fièvres ou sensualité, par son économie politique : sa malléabilité, sa canalisation et ses paniques, par sa grammaire : son potentiel électrique, sentimental, sacrificiel ou mystique.

Philippe Mouillon


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Il peut être fructueux de penser l’ordre à partir du

Au vingtième siècle, l’urbanisme fondé sur la planifi-

chaos, d’aborder l’information à partir du bruit,

cation, la statistique et la standardisation privatise la

de saisir l’individu au travers de la multitude…

vie sociale en la réduisant au logement. La rue est négligée. Elle cesse d’être un aimant pour la vie sociale.

Les mots employés évoluent au fil du temps et

Le corso, le cours, les ramblas sont exclus de la pensée

cette évolution nous renseigne : le siècle des Lu-

urbaine moderne. La foule n’existe plus comme phé-

mières invente la population. La phraséologie

nomène social ; on la mentionne seulement comme un

révolutionnaire convoque le peuple, notion ma-

flux susceptible d‘engorger la fluidité des échanges.

gnifiée par Michelet et amplifiée par la révolution

La ville devient alors une communauté sans affinités,

d’Octobre. Puis, progressivement, apparaît l’idée

où les liens sociaux sont transférés dans la dimension

de foule, rapidement stigmatisée comme dan-

symbolique par les médias et la technologie. La foule

gereuse, sale et désorganisée. Des foules, nous

se retrouve désorientée devant un espace urbain in-

sommes passés aux masses, puis à la multitude et

confortable et immaîtrisable d’où émerge ce sentiment

symétriquement au public, à l'opinion publique, à

pesant d’insécurité.

l’audimat et aujourd’hui à un espace public principalement virtuel. Ce glissement semble refléter la décantation progressive des corps.

Notre socialité a régulièrement besoin de se manifester, de se rejouer en certaines occasions où chacun affiche qu’il “ fait société ”. De tous temps, dans toutes les sociétés, il existe des moments collectifs où les gens ont besoin de faire foule : non pas simplement de savoir que leur voisin existe, mais d’aller s’éprouver dans cette expérience primaire mais fondamentale

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d’exister ensemble.


Il existe pourtant un échange constant entre le corps et le lieu. La foule se rassemble dans certains lieux pour prendre sens : la place de la Bastille

je participe de ce moment-là. Cette synchronisation et cette localisation me magnifient. C’est une opération collective de baptême. C'est le lieu qui baptise et dans lequel on s’immerge. La foule attend sa légende, au sens d’une

masse possède une très grande puissance : elle est tout autant en nous qu’en dehors de nous. En nous, la masse c’est le processus primaire, c’est-à-dire tout ce qui ne s’articule pas : le rêve, le magma, la pulsion,

Henry Torgue

L’importance des masses s’est effondrée dans les représentations occidentales, alors que chez Freud, la

Luc Gwiazdzinski

CONDENS Maryvonne Arnaud

attente de labellisation, d’une attente d’identité.

Bernard Mallet

Daniel Bougnoux

C’est une opération d’identification ou de fondation - je suis de ce lieu-là,

Philippe Mouillon

lors d’une manifestation ou l’avenue des Champs-Elysées le 31 décembre.

le sentiment, l’affect ; mais au-dehors de nous, la masse est le siège de la contagion virale. Elle ne pense pas et c’est pourquoi elle peut devenir facilement dangereuse, sacrificielle. Elle piétine et elle est piétinée, éventuellement avec une certaine acceptation fataliste et euphorique. Elle embrasse des leaders de façon absolument déconcertante pour la raison. L’individu est décapité dans la masse : il n’est plus raisonnable, il LOCAL.CONTEMPORAIN 5

devient suiviste, affectif, mimétique, comme dilué dans le grand corps collectif.


Dans une manifestation par exemple il y a une très grande effervescence sensible, qui passe par les chants, par les slogans, parfois par des plaisanteries comme si les gens avaient plaisir à ne pas penser, comme s’ils étaient heureux de cesser d’être des sujets individuels pour se fondre dans un grand corps collectif. La désinhibition des sujets fondus dans le grand corps collectif de la manifestation entraîne une très grande jouissance, parce qu’au fond être un sujet reste fatigant.

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SATION

La foule est visqueuse au sens où elle s’empêche elle-même d’avancer. Le mouvement de foule est un mouvement empêché, qui oblige chacun à tenir compte du corps de l’autre. On assiste au désamorçage du potentiel de la foule quand celle-ci s’immobilise : mais ce qui se perd

Ce corps est l’ultime carte à jouer quand tout le reste devient

en énergie collective se diffracte en d’infinies si-

suspect. À l’âge du virtuel et de la mondialisation, à l’âge du

tuations individuelles. Lorsque la foule est sta-

tout symbolique dans la politique, le corps reste irréducti-

tique, on peut observer toutes ces microscènes

blement actif, il demeure le fondement de la décision, de la

qui sont autant de sous-ensembles d'un théâtre

volonté, du désir, toutes choses maîtresses en politique. Ras-

démultiplié qui se joue dans la simultanéité. Ces

sembler le corps du peuple peut conduire à des opérations

mouvements inter individuels sont désynchroni-

renversantes. La manifestation de masse court-circuite ses

sés, mais ils sont pourtant unis par la situation

représentants : elle ne pense pas, elle ne parle pas : elle pèse.

d’ensemble. Si ces gens étaient tout seuls à ce

C’est pourquoi l’argument principal de la manifestation reste

même endroit, il n'est pas sûr qu’ils ressenti-

le nombre : combien étaient-ils ?

raient autant d’intimité.


Il existe une conjuration instinctive du danger potentiel que la foule

La mondialisation coordonne des

représente pour elle-même. Dans le métro par exemple, il est éco-

foules virtuelles gigantesques.

nomique de baisser les yeux, de ne fixer personne, de ne pas parler

Il est courant aujourd’hui qu’un

aux autres, parce que parler pourrait entraîner des conflits. La foule

million de personnes achètent

est alors muette pour minimiser les conditions de frottement entre les

simultanément le même objet.

individus. Ce sont des phénomènes de précaution et de retenue.

Ce modèle industriel de consom-

La foule se contient, à travers des micro-évitements, des microrégula-

mation de masse qui domine la

tions où des normes et des standards de permissivité et de contrainte

planète repose sur l’adhésion

émergent qui ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, la proximité

collective instantanée. Ce mo-

des corps par exemple. L’absence de conversation et l’évitement des

dèle grégaire laisse peu de place

regards sont en quelque sorte une intelligence mutuelle des masses

à ce temps différé si nécessaire à

pour coexister dans peu d’espace.

la réflexion, au doute et à l’opinion individuelle. Il serait catastrophique que la culture adopte ce modèle consumériste d’accla-

Les informations qu’on peut échanger de façon informelle

n’est pas légitimée par le nombre

de personne à personne préservent un potentiel de rapports

de lecteurs, d'auditeurs, de vi-

sociaux différents. Toutes les prothèses de communication

siteurs, comme le serait un pro-

disponibles aujourd’hui pourraient autoriser des symbioses

duit de consommation. La culture

nouvelles entre territoire et population, agençant certaines

n’est pas la mode : c’est un acte

des modalités collaboratives d’Internet, modalités d’ouver-

de résistance à la mode, d’indivi-

ture d’espaces critiques, de tournois ou d’autocorrections.

duation et de dissidence.

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mation par les foules. La culture


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UNE PHYSIQUE DES FOULES


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La première expérience de la foule, c’est de s’éprouver réduit à son propre physique, entravé. Un embouteillage, une cohue, un “ bouchon ” humain dans l’angine d’un couloir, d’une salle archi-comble ou d’un train bondé me rappellent que je suis d’abord ce corps, désagréablement entouré d’autres corps également patauds, amputés dans leurs élans. Avec la foule, j’entre dans une viscosité, une colle qui n’est pas de mon fait, même si je peux me reprocher in petto d’être venu au mauvais moment, ou d’avoir fait en même temps que les autres les mêmes choix ; le miroir ironique de la foule me renvoie alors mes propres défauts : suivisme, conformisme ou manque d’imagination. Je me sens à la masse, je fais masse, où ma présence chétive pèse d’un poids infinitésimal et contre laquelle mon esprit ne peut rien. La foule m’impose une soustraction, et dans cette mesure une épreuve de mortification. Mais cette réduction physique a des aspects positifs ; la multiplication des contacts, auxquels on peut être allergique, est aussi source d’élation, d’identification de chaque corps individuel au grand corps collectif. Les sujets s’empêchent et se gênent par leur rassemblement. Mais ce que chacun perd en liberté et en projets personnels peut être récupéré et multiplié au niveau de l’énergie collective, chaque fois que mon corpuscule transfère ses initiatives et quasiment son âme sur celle d’un grand corps englobant, aux mouvements synchrones, polarisés, comme dans la marche militaire, le chant choral, la boîte de nuit ou le stade… expériences d’autant plus euphoriques que l’espace contenant a fait le plein de corps et s’en trouve saturé. La foule me dispense d’être pleinement moi, elle simplifie mon jugement, et me recharge en retour d’une formidable énergie, inversement proportionnelle peut-être à l’information qui m’est alors concédée. Le sujet pris dans la foule glisse au on, ou pire au ça, sorte de magma primaire analysé par Freud en termes très physiques ou simplement énergétiques. Or cette régression est source de plaisir (au même titre que la colère, le rêve ou le rire aphasiques) : c’est fatigant d’être un sujet aux décisions responsables et aux propos articulés, c’est difficile de rester longtemps un individu, nous aimons périodiquement redescendre aux limbes du sommeil, ou par la foule refusionner avec la masse acéphale, la soupe des énergies primitives, le banc de poissons.

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POIDS, MASSE, FLUX, DENSITÉ, VISCOSITÉ, GRANULOMÉTRIE, MÉCANIQUE DES FLUIDES, COAGULATION, ABSORPTION, Daniel Bougnoux TEMPÉRATURE, PHASAGE, SURVOLTAGE, PRESSION, TENSION, DISJONCTION, SIMULTANÉITÉ, ACCUMULATION, POLARITÉ, INTENSITÉ,


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Comment définir une foule ? Par la présence simultanée de nombreuses personnes en un même lieu ? Par la coagulation d’individus sans ordre, ni organisation ? La foule est-elle un rassemblement sans affinités ? Des individus poursuivant des trajectoires aléatoires ? Des individus tendant vers une même direction ? De nombreuses personnes impliquées dans un comportement collectif ? Une foule est-elle forcément une masse d’individus occupés à faire une même chose ? Une coïncidence d’actions dans un même endroit ? Un encombrement ? Un défaut de fonctionnement d’un espace urbain qui serait de meilleure qualité s’il était vide ? Pourquoi les gens décident-ils parfois de “ faire foule ” ? Prennent-ils plaisir à faire le plein de monde ? Quel confort trouvent-ils dans le lâcher-prise que provoque cet engorgement ? Qu’est-ce qui différencie les foules choisies des agrégats involontaires ? Un rassemblement sans mots d’ordre ni lieux de rassemblement fait-il foule ? En quoi les foules passives sont-elles différentes des foules actives ? Une foule est-elle nécessairement nonorientée, non-polarisée ? En quoi le public diffère-t-il de la foule ? L’idée de


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faire partie d’une foule de spectateurs n’est-elle pas plus excitante que le spectacle lui-même ? Peut-on dessiner une pyramide des rassemblements, au sommet de laquelle il y aurait le public alors qu’à sa base se trouverait la cohue ? Dans la foule vacante, les électrons vont-ils dans tous les sens sans se focaliser, comme un tourbillon qui s’organise circulairement, entraînant à la fois une très grande énergie et un étourdissement ? Y a-t-il nécessité à faire foule régulièrement dans la ville ? Est-ce une forme de projection du collectif dans le futur ? Le rituel nécessaire pour appartenir ou posséder un territoire ? Un outil pour faire société commune ?


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Tout comme le banc de poissons ou la nuée de sauterelles, le vol d’étourneaux est un superorganisme, souple et fluide, capable de modifier instantanément sa vitesse ou sa direction sans perdre sa cohérence. Un prédateur en vue ? Il se divise en un clin d'œil pour se reformer aussi sec une fois le danger passé. Puis, arrivé près d'un champ, il se désagrège tout aussi soudainement, transformant ses organes constitutifs en autant d'individus autonomes. Si les étourneaux, poissons et autres criquets font des prouesses en matière de déplacement collectif, pourquoi la foule humaine n’en serait-elle pas capable ? Avouons humblement que nos réussites les plus spectaculaires dans ce domaine se bornent à de catastrophiques mouvements de foule paniquée.

AVEZ-VOUS DÉJÀ OBSERVÉ UN VOL D'ÉTOURNEAUX ?

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Xochipilli

Observons d’abord ce qui se passe dans une foule " normale ", caractérisée par une circulation alternée et des oscillations régulières. Pour les voitures comme pour les piétons, l'analogie avec la mécanique des fluides trouve très vite ses limites. Il y a certes quelques points communs : par exemple, la vitesse de circulation au milieu d'un couloir de métro est plus grande que si l’on rase les murs de ce couloir - comme dans un écoulement visqueux. Mais il se passe des choses autrement plus étranges dans un couloir de métro ! Dès qu'il y a un peu de monde, on voit spontanément émerger des lignes de circulation alternées. Plutôt que de chercher à se frayer chacun un chemin à travers le flux circulant en sens inverse, les individus tendent naturellement à se regrouper lorsqu'ils vont dans le même sens. C'est moins fatigant et c’est surtout plus rapide que de remonter seul à contre-courant. On peut modéliser ce phénomène de bandes alternées en attribuant à chaque individu une vitesse "de confort" couplée à une force de répulsion qui lui évite de rentrer dans ses congénères. Sur le même type de modèle très simple, on reproduit l'alternance du sens de circulation à travers une porte - lorsqu'elle sert aussi bien aux entrées qu'aux sorties. Cela s’explique par "l'équilibrage des pressions" de chaque côté de la porte : quand trop de personnes s'accumulent d'un côté, elles commencent à grogner puis cessent de laisser passer le flux en sens inverse pour emprunter à leur tour le passage. La file d'attente grossit alors de l'autre côté de la porte jusqu'à atteindre un seuil critique où la circulation s'inverse de nouveau. Et là, soyons attentifs… Ces stop-and-go à travers un petit interstice ne nous rappellent-ils rien ? Mais bien sûr ! Ce sont les mêmes facéties qu'un sablier, qui s'interrompt lorsqu'on pose les mains sur l'ampoule du dessous et qui reprend son écoulement quand on les en retire ! L'analogie n'est évidemment pas le fruit du hasard : pour un observateur placé en hauteur, nous ressemblons quand même plus à des grains de sable qu'à du liquide ou du gaz : il est somme toute logique que l'on retrouve certaines propriétés des écoulements granulaires dans nos flots de circulation.


Prenons maintenant une foule sous l’emprise de la panique : on se rend compte que plus vite elle veut avancer, plus ça coince… Qu’observe-t-on quand on comprime le sable pendant qu'il s'écoule dans un entonnoir ? Non seulement il ne passe pas plus vite, mais il arrive même que son écoulement se bloque si le trou est trop petit ! C'est ce qui se passe avec les issues de secours en cas de panique : les gens poussent, mais comme avec le sable, la poussée est automatiquement transmise latéralement. Il se forme alors comme des "arches" s'appuyant très fortement sur les côtés qui bloquent littéralement tout mouvement et ralentissent considérablement l'évacuation. On observe le même phénomène dans un couloir à double sens : en cas de panique, sauve qui peut ! Les gens accélèrent, se bousculent et le couloir finit par se boucher totalement sous l'effet des trop nombreux chocs entre les personnes. C'est ce que Helbing, le pape de l'étude des foules, a appelé "freezing by heating" (la congélation chaude) : quand les esprits s'échauffent, l'écoulement se fige subitement. Récapitulons : en cas de panique, plus on est pressé, plus on pousse et moins on avance. Et moins on avance, plus on pousse. Rien d’étonnant donc à ce que des barrières en acier ou des murs de briques ne résistent pas longtemps à une foule paniquée ! En ajoutant à cela le fait que les gens paniqués se suivent les uns les autres et cessent de chercher des voies alternatives, on obtient tous les ingrédients nécessaires à la fabrication d’une catastrophe : plus de 1400 morts dans un tunnel à La Mecque en 1990, 300 blessés à Düsseldorf en 1997, 200 blessés lors d'une évacuation en urgence d'un stade de Rio en 2000, la liste est longue… Pour ce qui concerne l’auto-organisation, il est frappant de retrouver ici encore les mêmes caractéristiques que pour les bancs de poissons ou les nuées d'oiseaux, à savoir différentes "phases", comme en physique : granulaire/solide pour les foules, fluide/cristallin pour les poissons et les oiseaux, anarchique/rythmé pour les applaudissements ; mais aussi des effets de seuil sur certains paramètres, qui font basculer d'une phase à l'autre : nervosité pour les foules, densité pour les poissons. On constate encore l'émergence bizarroïde de comportements collectifs qui semblent animés d'une vie intérieure propre et enfin, l'apparition d'ondes traversant ces masses en mouvement . Pour les poissons ou les oiseaux, ce sont les changements de direction provoqués par la vue d'un prédateur. Pour la foule, il y a bien sûr les flux et les reflux, comme dans les manifestations un peu houleuses, mais on peut aussi citer l’exemple plus joyeux de la ola qui propage ses ondoiements dans les stades.

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Vous pouvez découvrir simulations et modèles mathématiques sur le site http://webinet.blogspot.com/2009/05/foule-paradoxale.html


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UNE BIOLOGIE DES FOULES


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La foule est-elle un organisme collectif, au sens animal du terme, où les phéromones échangées nous rassurent et nous conduisent ? La foule estelle amorphe ou malléable, dépourvue d’autonomie et simplement guidée par addiction réflexe vers des slogans ou des logos ? D’où vient la peur engendrée par les masses ? Pourquoi la foule favorise-t-elle les mouvements de panique ? Toute foule fonctionne-t-elle comme un milieu contagieux ? Microbien ? Euphorique ? Sacrificiel ? Le sentiment d’appartenir à un grand corps anonyme engendre-t-il une désinhibition individuelle ? De quelle manière la manifestation court-circuite-t-elle ses représentants ? La force d’une manifestation tient-elle à ce que ces corps mobilisés sont le réel même et non plus sa symbolisation ? Que disent ces corps en état de risque et d’exposition ? Demeurent-ils l’ultime carte à jouer quand tout le reste est suspect ? À l’heure de la présence virtuelle mondialisée, pourquoi ces corps restent-ils irréductiblement actifs et efficaces ? Pourquoi cet agrégat de corps qui s’exposent peut-il encore ruiner la force symbolique d’un état ? Pourquoi ce corps du peuple reste-t-il souverain ? Que vient-


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on chercher dans la foule ? Un environnement dans lequel on a plaisir à se frayer un chemin ? Un environnement au sein duquel chacun peut s’éprouver ou éprouver l’autre ? Vient-on dans la foule pour se perdre ? Vient-on dans la foule pour se montrer ? Pour quelles raisons se rend-on délibérément dans un endroit où on sait qu’il y aura foule ? Les individus se joindraient-ils à la foule s’ils n’en avaient pas envie ? La foule aide-t-elle chacun à se resynchroniser par rapport au rythme des autres ? La foule est-elle le lieu où chacun peut participer de la société ? Pourquoi, plongés dans une cohue, n’a-t-on pas le sentiment d’être un simple fragment du troupeau ? La foule est-elle le lieu privilégié de la rencontre ? D’une remarquable quantité d’échanges d’informations? La masse crée-t-elle un anonymat qui est vécu comme une protection ? Pourquoi l’humanité s’est-elle orientée vers ce type d’organisation, de concentration et de gestion du grand nombre ? La foule est-elle un milieu, comme la nature ? La foule résonne-t-elle d’un individu à l’autre ? Cette mise en résonance, qui amplifie le mouvement, est-elle un principe de fermeture sur soi ? La foule est-elle le degré zéro


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de l’être ensemble ? Comment s’articulent actuellement un imaginaire du corps modelé, parfait, et une absence du corps réduit à l’usage du langage ? Peut-on vivre des échanges sans corps ? La mécanique physique concrète du corps est-elle encore impliquée ? Le corps est-il trop encombrant ?


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Qu’est-ce qui circule dans ces grands corps ? La foule met en pleine lumière la différence entre information et communication. Une société, un public, traitent des informations, données critiques à valider ou à réfuter, largement logico-langagières et soumises comme telles au débat, et au principe de réalité ; la masse accède mal à ce niveau “ secondaire ”, mais n’en communique que mieux. Les émotions et les affects y circulent comme le fluide ou l’électricité - métaphore très utilisée depuis le baquet de Mesmer pour décrire un état optimum mais dangereux de l’être-ensemble et de son énergie collective : la transe, le “ transe-faire ”. L’information en d’autres termes pourrait être définie comme ce qui résiste obscurément à la communication ; aux abords du zéro absolu (d’information), la conduction est parfaite, le même fluide règne partout : cas des musiques d’ambiance, des talk-shows débiles et des communications dites “ de masse ” en général. Le grand corps collectif, baptisé par Platon “ gros animal ”, semble doué d’une énorme vie physique qui n’accède pas vraiment à l’énergie psychique. Sur ce point, Gustave Le Bon, relu et développé par Freud à l’occasion des mobilisations de la Grande Guerre, a souligné combien la foule n’est pas mentale, mais sentimentale. Un mot latin exprime bien cet entredeux ou cette ambivalence : turba. La foule est notre état foncier, la tourbe ou l’humus du social où tous s’enfoncent, mais aussi se nourrissent, et d’où les individus comme de jeunes pousses émergent ici et là. Or il arrive que cette tourbe tourbillonne, c’est-à-dire rentre dans elle-même pour s’auto-entretenir. Le tourbillon figure la forme matricielle de la subjectivité, de la conscience ou des mécanismes auto et bio en général : pas de vie sans cette boucle récursive qui nous porte, et nous emporte irrésistiblement. “ Emportés par la foule… ”, comme le chante si bien Piaf. Le vortex vorace de la foule nous engloutit, nous digère, nous brasse et nous recrache légèrement groggy. L’électricité prêtée aux foules dit autrement cet état transitionnel entre physique et biologie ; la foule quand elle est dynamique ou tétanique vibre d’énergies, mille frissons, rythmes ou résonances la parcourent qui dilatent notre propre corps.

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SENSUELLES, SANGUINES, INQUIÈTES, FÉBRILES, VIVANTES, ODORANTES, Daniel Bougnoux DÉVORANTES, ÉTOUFFANTES, ENVOÛTANTES, CONTAGIEUSES, ANIMALES, BESTIALES, ENFIÉVRÉES, COAGULÉES, MATRICIELLES, SENSORIELLES,


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UNE ÉCONOMIE POLITIQUE DES FOULES


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La messe n’est pas la masse, mais combien de fidèles faut-il à une secte pour devenir religion ? Par ses pèlerinages, ses processions et ses fêtes, toute religion convoque les foules. Demandons-nous inversement dans quelle mesure toute foule ne serait pas spontanément religieuse, c’est-à-dire croyante, adorante, sacrificielle et éventuellement cruelle. L’état magmatique ou acéphale ne réalise pas l’idéal de la foule, qui se cherche un leader ou un chef ; la foule plébiscitera et fera son dieu de celui qui la dominera en lui donnant une tête, une orientation ou une raison d’être. L’autorité des chefs ne descend pas, elle monte d’en bas, mécanisme lui-même tourbillonnaire de la servitude volontaire bien analysé depuis La Boétie ; en émergeant de la foule comme son médiateur, le chef sauve celle-ci de la panique ou de la débandade en polarisant la Bindung, la force de désir et d’identification éparse dans la foule.

MALLÉABLES, DÉSORDONNÉES, CENTRÉES, INDISCIPLINÉES, ERRATIQUES, ORDONNÉES, CANALISÉES, HARANGUÉES, GUIDÉES, MENÉES, MANIPULÉES, CADENCÉES, MIMÉTIQUES, MYSTIQUES, RELIGIEUSES, COMMUNIANTES, LAÏQUES, ANONYMES, DIFRACTÉES, ASSOCIÉES, CONVERGENTES, CONTRAINTES,

Daniel Bougnoux

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Élias Canetti analyse, à propos des grandes manifestations de masse multipliées par le Troisième Reich, le ressort de sa propre fascination, mêlée de répulsion : il y avait “ de la masse en moi comme hors de moi ”. Le processus primaire théorisé par Freud éclaire la foule, autant que celle-ci les manifestations de l’inconscient. La Massenpsychologie concerne en moi l’archaïque et l’intime, les niveaux micro et macro fusionnent dans le nouage du nous ou du on, le collectif se boucle sur le ça. Notre acquiescement à la foule est un plaisir régressif d’allègement, de dispense : la foule, nous l’avons dit, décapite en chacun le mental au profit du sentimental, elle ne pense pas, elle pèse. C’est le cas par excellence de la manifestation dont le message s’identifie à son poids : combien de participants ? Psychanalytiquement, la foule endort la représentation : elle est moins un objet que nous pouvons tenir en face sous le regard qu’un élément ou un milieu où nous demeurons plongés, aveugles et au contact. Ni objet, ni bon et loyal sujet, la foule piétine notre propre subjectivité - et nos propriétés ordinaires - en agissant sur le mode enveloppant de la participation, par la transe, l’hypnose ou la suggestion (doublée de sujétion). Le mimétisme nous colle à la peau. Perdu dans la foule, je ne peux pas ne pas imiter, ce que révèle l’expérience limite de la panique, où chacun prend l’autre pour modèle : la peur de l’autre me fait peur, sa course me fait courir… Ce mimétisme fonctionne récursivement sur le modèle du tourbillon qui fait rentrer l’effet dans sa cause, la peur que je déclenche augmente ma peur, les ventes en Bourse précipitent les ventes… Par synchronisation et mise en résonance d’acteurs somnambules, la foule accumule une énergie qui côtoie aussi l’explosion, la folie. Le dieu Pan, étymologie de la panique, gouverne ces dangereuses totalisations où les sujets s’annulent en croyant s’étendre.


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Pour quelles raisons le nombre de manifestants reste-t-il l’argument principal de la Préfecture de police et des organisateurs ? La ratification par la foule rend-elle valide une erreur ? Avons-nous du plaisir à ne pas penser seuls ? Nous sentons-nous autorisés à faire n’importe quoi par mimétisme ? La foule creuse-t-elle son défouloir ? Comment calmer, fluidifier et apaiser la foule ? Quelle est la dose de cruauté d’une foule ? Estelle forcément sacrificielle ? L’immobilité, la désorientation désamorcentelles ce potentiel ou l’amplifient-elles ? Y a-t-il deux voies distinctes de psychologie des foules : la foule à chef, qui fonctionne sur le mode de l’identification verticale, et la foule a-centrée, qui fonctionne sur le mode de l’identification panique, horizontale et circulaire ? Toute foule est-elle une proie facile pour des meneurs d’hommes offrant des idoles ou proposant des sacrifices ? La foule canalisée produit-elle une énergie orientée ? Cette canalisation est-elle toujours une manipulation ? Une masse strictement hiérarchisée comme l’est un défilé militaire est-elle encore une foule ? Une masse canalisée en gradins change-t-elle de nature par la mise en place


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géométrique ? Quelles sont les formes possibles de synchronisation d’une masse d’individus ? Comment la pensée des foules réémerge-t-elle ? Comment expliquer le rêve des aménageurs urbains d’attirer des foules toujours plus nombreuses grâce à de nouveaux événements : Exposition Universelle, Jeux Olympiques, Coupe du Monde de football… ? Peut-on parler d’un marketing urbain ou d’un urbanisme événementiel ? Quel est le sens de cette instrumentalisation de la mise en foule ? La foule fait-elle la ville ? Ou est-ce la ville qui invente la foule ? Comment renouveler les formes de rencontre dans l’espace commun ? Une foule se rassemble-t-elle dans un lieu symboliquement puissant comme les Champs-Elysées ou le Stade de France afin d’en être magnifiée ? Suit-elle un certain rituel ? Est-ce l’addition de ce lieu et de ce moment spécifiques qui synthétise son existence ? Peuton parler de baptême de la foule par le lieu dans lequel elle s’immerge ? Est-ce une opération d’identification ? Pourquoi le nombre de participants reste-il une notion clef des imaginaires ? Que signifie la valorisation de ces rassemblements volatiles ? Est-ce un prototype crédible du vivre ensemble ?


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Pour quelles raisons le marketing territorial refuse-t-il d’accoupler territoire et intelligence collective ? N’est-il pas possible de produire massivement de l’autonomie et de la désynchronisation ? Un processus collectif et autocorrecteur, comme les encyclopédies collaboratives, est-il un modèle utile pour penser l’interaction démocratique aujourd’hui ? Les spectateurs du journal télévisé forment-ils une foule ? Les foules virtuelles ont-elles un cheminement plus ciblé que les foules réelles ? Le fait que la mondialisation repose sur une coordination d’individus absents les uns aux autres a-t-il un sens ? Les communautés virtuelles d’aujourd’hui constituent-elles une foule immatérielle soumise au même processus que la foule concrète des corps ? L’apparition de masses virtuelles sur la toile d’internet est-elle le corollaire de la disparition des masses physiques dans la ville ? Tout ce qui est de l’ordre du monde réel devient-il secondaire ? La foule virtuelle est-elle plus incontrôlable que la foule réelle ? Concentre-t-elle plus d’individuation et de potentialité dissidente ?


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Jean-Pierre Chambon

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IMPRO VISATION AU BORD DU MUTISME

Je n’avais aucune envie de prendre la parole, j’aurais préféré garder le silence. Comment faire à présent pour se taire du haut de ce piédestal, au sommet de cette chaire ? On m’a prié, on m’a demandé, on m’a pressé de me tenir là devant vous. On m’a obligé, je ne voulais pas. Je ne voulais pas monter sur cette estrade. Je suppose que vous aussi, on a dû vous inviter, vous prier, vous convaincre, et peut-être même vous contraindre. Et qu’au fond, vous n’aviez nulle envie de m’écouter. Est-ce que vous m’entendez ? Je sais que vous êtes là, l’un d’entre vous a toussé. Les projecteurs m’éblouissent trop pour que je puisse vous discerner, mais j’ai tout de suite senti votre présence. Pardon de faire tout ce bruit, de déranger votre silence, de troubler votre recueillement, et pardon encore de décevoir votre attente. A travers les mots que je prononce, j’entends la rumeur de votre silence. Si je parvenais à me taire, je pourrais même probablement deviner votre respiration et tout à l’heure, quand je me serai accoutumé à cette clarté aveuglante, je pourrai peut-être entrevoir la lueur de vos yeux. Je perçois votre masse nombreuse dans le noir. L’espace doit être immense, j’éprouve sa profondeur où ma voix se perd. Ma voix rebondit contre les parois lointaines comme une chauve-souris sous les voûtes. Les mots que je prononce se perdent dans la profondeur de votre écoute. J’ignore depuis combien de temps vous êtes là, assis dans le noir. J’aurais préféré être à votre place et vous, l’un de vous aurait pu se trouver à la mienne. C’est plus facile d’être assis en rang parmi une foule et de devoir se taire. J’aurais préféré être avec vous confondu dans la masse, caché dans la multitude muette, mais on m’a contraint de passer de l’autre côté du grand rideau. Quelqu’un, hâtivement, m’a poudré le front et arrangé le col de ma chemise, m'a aidé à enfiler une veste. Puis on m’a conduit doucement mais fermement par le bras, on m’a prié, on m’a pressé de m’engager dans la pénombre d'un couloir. Et maintenant qu'on vient d'allumer le faisceau des lumières, vous me voyez sous la chaleur des lampes. Vous constatez que la poudre n’a pas empêché ma sueur de couler. Je commence à apercevoir moi aussi vos fronts luisants à travers l’obscurité. D’où je me tiens, ils forment une sorte de pavage étrange, et je crois que je pourrais m’avancer vers vous, m’élancer et marcher, courir sur vos têtes comme sur une route. Je finirais sans doute par me tordre un pied sur l’un de vos crânes de pierre et je ne sais pas où leur alignement infini pourrait me conduire, et la lumière me paralyse : elle dresse entre vous et moi comme un mur transparent, infranchissable. Je suis contraint de rester debout devant vous, appuyé à ce pupitre. Je n’ai pas été préparé à cette situation et je ne sais pas ce qu’on attend de moi. Je ne sais pas ce que vous attendez. Qu’est-ce que vous voulez entendre ? J’ai osé croire un moment que tout serait facile lorsque je serai devant vous, que mon discours alors s’écoulerait naturellement de mes lèvres. Que je n’aurais qu’à lire la liasse de papiers posée sur le lutrin.


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Mais je vois que toutes les pages sont blanches. Elles sont comme vous qui n’avez pas de visage, seulement un front qui luit dans la pénombre. C’est sans doute cela, ce silence des pages blanches, que vous voudriez que je vous énonce. Et c'est sans doute parce qu’on savait que je me révélerai le plus piteux des orateurs que cette tâche m'a été confiée. Que dans mon extrême maladresse, dans ma confusion et mon ignorance de l’art de la parole, je saurais lire ces pages blanches, pénétrer ces fronts butés. Je ne suis qu’un scribe devant des feuilles vierges. Un instrument qui attend qu’on le mette en marche. Alors qu’on me dicte les premières bribes du brouillon de l’allocution que je dois prononcer. Ainsi je vous écoute. Dites-moi seulement un mot, donnez-moi une idée, une seule. Que l’un d’entre vous au premier rang me souffle le premier mot. Qu’on m’indique le thème autour duquel je pourrais broder. La direction que je serais censé emprunter. Qu’on me lance une amorce et je me contenterai de suivre l’étincelle le long de la mèche. Les mots s’enchaîneront, une phrase en appellera une autre, puis une autre. Comprenez-moi, je ne dois pas m’interrompre, pas briser le fil du discours. Ce fil, je l’ai lancé dans le vide, espérant qu’il s’accroche au hasard à quelque réseau d’idées fortes. Qu’il s’entortille autour de belles métaphores ou déroule de complexes figures de rhétorique. Ne m’obligez pas à continuer à l’agiter au-dessus de vous comme un pauvre bout de ficelle effilochée. J’aimerais tant qu’il claque comme un fouet, qu’il cingle, qu’il fouette vos esprits jusqu’au sang. J’ai cru sentir passer parmi vous comme un frisson à cette évocation. Je ne chercherai pas à savoir si l’idée du fouet suscite chez vous la crainte ou le désir. Si vous aimez baisser la tête et courber l’échine et prêter le flanc. Ce serait à vous de me stimuler. On m’a demandé d’être convaincant jusqu’au bout. J’espère l’être, l’avoir été. Je devine qu’un autre orateur attend déjà son tour derrière le rideau. Il ne dira rien de mieux. Rien de moins. Il maniera peut-être la langue avec plus d’élégance. Ou bien le mépris avec une sûre arrogance. Et pourquoi pas l’insulte ? Bande de larves, cloportes, excréments ! Je savais que vous ne broncheriez pas. Moi non plus je ne bougerai pas. Qu’on vienne me chercher, me déloger de ce crachoir, m’enlever de cette tribune. Si vous ne voulez pas m’écouter, je me tairai. Je me draperai dans mon silence. Je ne dirai plus une phrase, je ne prononcerai plus un mot. C’est cela qui vous fait peur, n’est-ce pas ? Cela qui vous glace, qui vous terrifie. C’est le silence que vous refusez d’entendre. Vous feignez même de croire qu’au début il y avait le verbe, comme on vous l’a appris. Vous voulez rester sourd au petit bruit des pages blanches qu’on feuillette. Au vent de nulle part, au souffle du rien. Mon silence vous rappellerait trop votre néant. Celui que vous couvrez de paroles. Je vais me taire pour que vous l’écoutiez enfin. Je vais faire un trou dans ce murmure, ce vacarme, cette clameur. Je vais mettre ma menace à exécution. Ecoutez.


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UNE GRAMMAIRE DES FOULES


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Existe-t-il un langage des foules ? Ou une multiplicité de microlangages pour diverses sortes de foules ? Une foule silencieuse est-elle plus bruyante qu’une foule vociférante ? Une foule qui décide de manifester son humeur se réapproprie-t-elle son histoire ? S’individualise-t-elle dans le collectif ? Se différencie-t-elle ? Les gens prennent-ils plaisir à cesser d’être des sujets pour se fondre en un grand corps collectif ? Peut-on être seul dans une foule ? Peut-on comprendre la foule comme un medium ? Toute foule estelle spontanément religieuse ? Pourquoi dit-on de la personne qui est sur l’estrade qu’elle est en communion avec la foule ? Pourquoi la foule aspiret-elle à la fascination ? Le leader est-il celui qui fait émerger la foule ? La foule émerge-t-elle par elle-même ? Comment le leader charismatique entre-t-il en résonance avec la foule ? Comment s’individualise-t-on dans la foule ? Pourquoi certaines figures émergent-elles de la masse des autres ? La foule est-elle un fond sur lequel certaines figures trouvent appui pour se détacher ? Comment certains individus se distinguent-ils par leur simple présence ? Quelle place la foule occupe-t-elle aujourd’hui


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dans nos imaginaires ? Pourquoi ce désintérêt pour la foule après un vingtième siècle fasciné, modelé et hanté par les masses ? Ce glissement reflète-t-il une décantation progressive des corps, des citoyens, des rues, du bruit et du chaos au profit d’un nouvel ordre social ? La foule est-elle une survivance désuète, encore active dans les seules mégapoles du sud, ou est-elle une forme d’être en commun qui peut encore séduire ? La représentation médiatique apprivoise-t-elle la foule réelle ? La rend-elle plus familière ? Plus effrayante ? Dans quels récits les médias inscriventils les phénomènes de foule ? Epopée ? Histoire ? Roman ? Faits-divers ? Quelles grandes images de foule habitent notre mémoire collective ? Existet-il des phénomènes de civilité et de coopération intéressants à repérer dans les situations de foule ? Pourquoi le territoire peine-t-il à agencer de l’intelligence collective en initiant des processus collaboratifs ? Comment le territoire est-il impliqué dans l’émergence d’une intelligence commune ? Est-ce parce que tout acte d’individuation produit de la dissidence ? Parce que l’intelligence collective reste une notion illusoire ?


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JOUISSEUSES, SENTIMENTALES, IRRATIONNELLES, DÉRAISONNABLES, ORIENTÉES, DÉSORIENTÉES, ÉPOUVANTABLES, VIOLENTES, PASSIONNÉES, AMNÉSIQUES, PANIQUÉES, EUPHORIQUES, DÉSINHIBÉES, ÉLECTRIQUES, IVRES, GRÉGAIRES, NARCISSIQUES,NOSTALGIQUES, MEURTRIES, MEURTRIÈRES, SACRIFICIELLES, ABATTUES, PANIQUÉES, ÉCLECTIQUES,


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Un moteur à explosion n’explose pas. Tout le problème de même, avec l’énergie potentielle des foules, c’est de les mettre au travail ou de les faire rendre. Cette question est celle du chaos organisateur et de l’ordre à partir du “ bruit ”, au cœur de l’épistémologie de la physique et de la biologie modernes, ainsi que des sciences sociales. Elle recoupe évidemment aussi l’énigme ou le nœud gordien de la démocratie : comment passe-t-on du tas au tout, comment fait-on entrer les multitudes dans ce qui fut le “ conseil du Prince ” ? L’émergence des foules centrées (églises, armées, états et nations…), à partir de magmas ou de masses acéphales, constitue une première et capitale organisation. De même, une typologie précise devrait distinguer les degrés d’articulation secondaire des foules, depuis la masse aphasique jusqu’aux publics, en passant par la multitude, le peuple, les audiences… Je placerai le public au sommet de l’échelle, dans la mesure où son concept repose sur une auto-affirmation : un public se rend dans des lieux choisis, il s’attroupe autour de manifestations culturelles qui le valorisent et dont les contenus donnent lieu à diverses déclinaisons - conversations, éditions et publications, répertoires… ; l’audience, moins active, reste chez elle, on la sonde, on la ventriloque… Le peuple désigne un énorme potentiel d’énergie et d’affirmation, mais comment se manifeste-t-il, comment le faire parler ? Tout le problème de la démocratie est justement de ne pas escamoter le peuple derrière ou au profit de ses “ représentants ”. Épineux et vaste programme ! D’une façon générale, notre modernité démocratique et médiatique-technologique analyse les masses en les fragmentant, en les articulant. La masse, comme la messe, “ est finie ” dès lors que des publics, des cultures, des communautés en ont émergé – grande intuition de Gabriel Tarde : les médias modernes fragmentent et façonnent le “ gros animal ” en divers publics, qui fonctionnent comme autant de communautés d’interprétation. Des médias comme internet, et par exemple Wikipédia, confirment pleinement le paradigme démocratique, bien repérable depuis Tarde, d’une “ foule intelligente ” et de la raison critique identifiée au partage et à la mise en réseaux. Nul n’a raison tout seul, et notre raison ne peut être que collective, donc connective, définie par notre capacité de faire lien. On aura soin néanmoins de toujours distinguer une raison du grand nombre ou de la majorité, incontournable dans le domaine de l’élection, mais aussi de la mode, des mœurs, du culte ou de la consommation, et une raison de la culture et de la science : une idole autour de laquelle beaucoup s’attroupent devient automatiquement “ vraie ”, mais la même foule ne suffira jamais à faire d’un livre ou d’une œuvre une valeur culturelle. Les sophistes qui mettaient la vérité aux voix confondaient donc la science avec l’opinion ou la marchandise, et la culture avec le culte ; inversement, Galilée, condamné par le Saint-Office, ou Semmelweiss par les médecins de son temps, n’en avaient pas moins raison tout seuls, et contre tous.

Daniel Bougnoux


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LA FOULE, ENCORE…

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Bernard Mallet

Le problème de la foule est un problème de corps, de rassemblement de corps. La synchronisation des corps implique, à des degrés divers, une synchronisation des pensées. Cette communion - ou du moins l'idée de cette communion - est à la fois source d'exaltation et de malaise pour l'individu immergé dans le cortège, comme pour celui qui le regarde passer. La circulation instantanée et incontrôlable des affects, démultipliée par la mise en phase des énergies singulières est un objet de fascination et de frayeur pour tous les pouvoirs. Ces derniers succombent tous à la tentation de récupérer ce potentiel à leur profit ; en cas d’échec, ils tentent tout pour le contenir, ou même le supprimer. La peur de l'au-delà, combinée à celle du soudard, a longtemps donné de bons résultats mais n’a jamais abouti à une solution définitive, en dépit de constantes améliorations. Les corps ont obstinément continué de résister. Alors, la panique et la bêtise aidant, naquit une ultime et monstrueuse pensée. Puisque les corps étaient incontrôlables, il fallait en venir à une solution radicale : les éliminer… Plus de corps, plus d'idée. Mais, même morts, les corps ne cessaient de faire signe. Les corps faisaient foule : leur entassement, leur empilement, leur quantité même, résistaient, protestaient, submergeaient ceux qui les avaient mis là, dans les fosses, dans les charniers ou sur les bûchers. Supprimer les corps reste une solution coûteuse et de toute façon imparfaite. L'idéal serait d’en faire l'impasse, de contourner ces corps encombrants, et de réduire les trois dimensions de la réalité aux deux dimensions de l'image. Sans corps, la pensée pourrait enfin se mouvoir à la vitesse de son jaillissement, libérée du temps et donc de l'Histoire dans laquelle se meut la pesanteur des corps. L'idée n'est pas nouvelle. Au XVIIe siècle, le " vieux Berkeley ", comme disait Lénine, évêque de son état, en avait fait la théorie. La vie humaine, telle que nous l'éprouvons, serait conditionnée par le flux des sensations qui parviennent à notre entendement. Au fond, la réalité pourrait ne pas exister et n'être rien d'autre que l'image résultant de ce flux, quelle qu'en soit la source. Pourquoi pas Dieu directement ? L'idée parut farfelue aux meilleurs esprits de l'époque, mais déjà Diderot notait que l'esprit humain avait les pires difficultés à trouver les arguments propres à combattre le solipsisme, ainsi que l'on nomme la théorie de Berkeley. Et si l'évêque avait raison, au moins dans le principe ? Les travaux en neurosciences montrent qu’une bonne part de l'activité du cerveau repose sur des représentations auto-engendrées par son activité autonome et non sur une réflexion objective de la réalité. Le cerveau ne se contente pas d'enregistrer la réalité, il la crée. Mais, au-delà de cette actualité neurocognitive, le principe solipsiste ne sous-tend-il pas la pratique des nouvelles foules virtuelles ? Les cyberfoules ressemblent à un vol d'étourneaux, ou de sauterelles, c'est selon. Pas plus tôt formées que défaites, aléatoires, éphémères et capricieuses, elles se déplacent à la vitesse de l'électron, tempérées tout de même par l’agilité des doigts sur le clavier, ce à quoi se réduit désormais l’intervention du corps. Enfin débarrassé du vieux sac ! Et ce n'est pas là seulement la revendication intéressée de quelques managers ou hommes politiques à la recherche de techniques de contrôle des foules, mais tout le monde en est : jeunes, vieux, hommes, femmes… et les bambins à quatre pattes sont juste derrière ! Voilà les nouvelles foules incorporelles. Pendant ce temps, qu'en est-il des corps sensibles, innombrables, ignorés, mais non disparus ? Quand et comment resurgiront-ils ? Pour nous signifier quoi et de quelle manière ? Les foules d'aujourd'hui rêvent d'incorporéité : modernité ou vieillerie ? Qu'en sera-t-il demain ? Par-delà les soumissions et les révoltes anciennes et par-delà les utopies modernes de toutes-puissances désincarnées, la foule est là encore…


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GÉOGRAPHIE ET CHRONOLOGIE DES IMAGES MARYVONNE ARNAUD

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01 : Paris / 14 juillet 2009 02 : Paris / 14 juillet 2009 08 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 10 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 12 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 16 : Vatican / homélie de Benoît XVI / septembre 2009 17 : Grenoble / match de rugby / septembre 2009 20 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 21 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 22 : Vienne / Festival de jazz / juillet 2009 23 : Vienne / Festival de jazz / juillet 2009 24 : Paris / gare de Lyon / juillet 2009 25 : Paris / gare de Lyon / juillet 2009 26 : Nîmes / mai 2009 28 : Nîmes / corrida aux Arènes / mai 2009 30 : Nîmes / corrida aux Arènes / mai 2009 34 : Grenoble / match de rugby / septembre 2009 36 : Vatican / homélie de Benoît XVI / septembre 2009 38 : Grenoble / fête de la musique / juin 2009 39 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 40 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 41 : Grenoble / concert de Johnny Halliday / juillet 2009 42 : Grenoble / match de rugby / septembre 2009 44 : Rome / cérémonie militaire / septembre 2009 46 : Paris / 14 juillet 2009 48 : Rome / place St Pierre / septembre 2009 50 : Jérusalem / février 2009 54 : Paris / 14 juillet 2009 56 : Paris / 14 juillet 2009 58 : Paris / 14 juillet 2009 60 : Rome / septembre 2009 61 : Rome / septembre 2009 62 : Grenoble / fête de la musique / juin 2009 63 : Grenoble / fête de la musique / juin 2009 66 : Grenoble / fête de la musique / juin 2009 69 : Grenoble / manifestation / avril 2009 70 : Grenoble / manifestation / avril 2009 71 : Grenoble / manifestation / avril 2009 71 : Grenoble / manifestation / avril 2009 73 : Grenoble / manifestation / avril 2009 74 : Beaucroissant / foire agricole / avril 2009 75 : Beaucroissant / foire agricole / avril 2009 77 : Vatican / messe / septembre 2009 78 : Grenoble / piscine municipale / juillet 2009 80 : Péloponnèse / fête de village / août 2009


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LOCAL.CONTEMPORAIN 1, rue Jean-François Hache 38000 Grenoble contact@local-contemporain.net www.local-contemporain.net LOCAL.CONTEMPORAIN est une initiative de LABORATOIRE, 1, rue Jean-François Hache 38000 Grenoble (LABORATOIRE réalise des interventions artistiques d’échelle urbaine dans les grandes villes du monde et conduit des études territoriales, ainsi pour le Plan Urbanisme Construction Architecture en 2007-2008, ou actuellement pour le Musée des Confluences). www.lelaboratoire.net En partenariat avec LA CONSERVATION DU PATRIMOINE DE L’ISÈRE, MUSÉE DAUPHINOIS, 30, rue Maurice Gignoux 38031 Grenoble (La CONSERVATION DU PATRIMOINE DE L’ISÈRE, service du Conseil Général, œuvre pour une nouvelle définition du patrimoine, entre la conservation des vestiges du passé et leur usage au présent). www.patrimoine-en-isere.com PHOTOGRAPHIES ORIGINALES Maryvonne Arnaud TEXTES ORIGINAUX Daniel Bougnoux, Jean-Pierre Chambon, Luc Gwiazdzinski, Bernard Mallet, Xochipilli, Henry Torgue, Philippe Mouillon, Maryvonne Arnaud COMITE DE REDACTION Maryvonne Arnaud, Eve Feugier, Bernard Mallet, Philippe Mouillon, Mireille Parise, Henry Torgue, Manon Valla DIRECTEUR DE PUBLICATION Philippe Mouillon RELECTURES, RÉÉCRITURE, CORRECTIONS Pascaline Garnier COORDINATION PÉDAGOGIQUE PREMIER DEGRÉ Dominique Heissat COORDINATION PÉDAGOGIQUE SECOND DEGRÉ Carmen Ferro CONSEILS PÉDAGOGIQUES Eve Feugier, Yvon Caroff, Christiane Carrier MISE EN PAGE Pierre Girardier, Philippe Borsoi IMPRESSION IMPRIMERIE … ÉDITIONS Le Bec en l’air / Manosque www.becair.com ISBN 978-2-916073-54-5 / DÉPÔT LEGAL OCTOBRE 2009 © LABORATOIRE POUR LE TITRE ET LE CONCEPT, LES AUTEURS POUR LEURS TEXTES, MARYVONNE ARNAUD POUR LES IMAGES

Ce numéro 5 de LOCAL.CONTEMPORAIN est édité avec les soutiens de : le CONSEIL GENERAL DE L’ISERE, la REGION RHONE-ALPES, la METRO, la VILLE DE GRENOBLE.


La foule n’est pas aimée. Elle incarne trop l’exact opposé de l’individu-roi que sacre l’idéologie contemporaine en persuadant chacun qu’il est au centre du monde, parfaitement original dans ses choix, loin de tout suivisme grégaire. À travers les images véhiculées par les médias, la foule physique, coagulée, semble cantonnée à des pays menaçants et jugés d’un autre âge : cohortes politiques en Iran, religieuses en Birmanie, multitudes dévastées par les inondations ou les séismes, ou encore, dans les pays riches, à des survivances nostalgiques d’une vie politique dont elle n’est plus un acteur majeur : défilés protestataires, liturgies d’indignation… Dans la vie quotidienne, le mot “ foule ” n’ose plus qualifier les fréquentations massives des centres commerciaux, les pics de consommation collective, les bouchons à répétition qui rayonnent autour des agglomérations ou encore les engorgements systématiques des transports en commun. Pourtant, même chassée du réel de proximité, reléguée à un “ ailleurs ” ou un “ autrefois ”, la foule ne s’absente jamais de nos vies. Assistances, publics et multitudes ne cessent de rassembler les corps, tandis que médias et nouvelles technologies de communication fabriquent d’autres foules contemporaines. Tentant de nous sensibiliser au fantastique potentiel d’énergie de la vie collective, ce panorama ouvre sur les modalités intelligentes de l’“ être ensemble ” avant son instrumentalisation dans la masse. C’est un enjeu majeur, car nous n’échapperons pas à la foule. Henry Torgue

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