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Christian Poirier
Cet infini, l’autre pas Poésie
Préface de Joël Vernet
Poirier (Christian).- Cet infini, l’autre pas.Genouilleux, Éditions La passe du vent, 2019.128 p., 14 x 20,5 cm.- ISBN : 978-2-84562-336-1
Préface La nuit derrière la fenêtre
Le langage délivre. La poésie appelle le calme, le silence pour que s’entende le cri qui a souvent l’apparence d’un simple murmure. Ainsi sont les poèmes que vous lirez ici. Une masse, un bloc, un mur, un mur ou une steppe où l’évasion deviendrait le possible sous peine de la mort. Ce livre de Christian Poirier, parcouru de méandres, nous entraîne dans de nombreux détours pour nous amener à l’arête cruelle de la pierre, au cœur de ce qui vibre dans la nuit de tout enfermement. Il appelle à la relecture, au lent cheminement, à la saisie d’images qui sont cachées dans les broussailles, les ronces de cette vie que quelques-uns traversent les mains et le cœur déchirés, tout un tas d’invisibles qui, s’ils ne sont pas morts, marchent sur ces rivages à la recherche de leur langue pour en extraire l’espoir, peut-être l’espérance. L’œil aussi est un mur sans fin où se heurte et s’exaspère la mémoire Vingt et un ans de mort à être vivant ; le front contre les façades. On voudrait toucher parfois l’argile que les prisonniers malaxent, leurs ombres qui longent des prairies qu’ils ne voient même pas. Le Silence est le Grand Seigneur du lieu et parfois murmurent quelques voix indicibles. Une clef que l’on tourne. Des pas feutrés. Un appel dans les soirs qui tombent.
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La chaise est nue comme les mains où s’est prise la tête ; Ils parlent à la bougie ; au ballon rouge ; à la flaque ; à la pierre qu’ils y lancent L’enfermement pourrait conduire à la folie ou à l’expérience du langage qui peut épargner justement de la folie, dessiner une issue. Les mots sont de pauvres choses, mais savent témoigner pour nous tous qui nous retrouvons souvent engoncés dans le silence, prisonniers de nos naissances, de nos familles, de tout ce qui nous accompagne au long des années. Puis il y a ce monde terriblement mis à mal par des affamés d’argent, sans scrupule, qui détruisent, anéantissent et paradent. Leurs bras se tendent ; leurs mains se donnent pour l’entretien de leurs domaines que connaissent-ils des affres plurielles des cités ; le tapage,la laideur et la peur ; ils ont pillé le meilleur du monde ; prêché le don et la misère d’autrui ; L’enfermement est multiple. Il peut être une source, lorsqu’il est choisi par quelques-uns, derrière des murs, portant le monde seulement par le cœur et l’esprit. Toute leur vie, ils cherchent, ils attendent, ils accueillent, et ce qui les fonde, c’est tout ce qui leur manque.
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C’est ce qu’on ne trouve pas qui fait l’œuvre de souffrance ; qui justifie la grandeur et la faiblesse inhérente ; Il m’est arrivé de marcher dans les rues et ruelles de Rennes avec Christian Poirier, familier des lieux puisqu’il vit alentour. Nous avons traversé des parcs, admiré des jardins, notamment des rosiers à la beauté exceptionnelle et mon cœur s’est tendu lorsqu’il évoqua le souvenir d’un proche, héros invisible, qui a donné sa vie pour nous tous, et s’en est vu privé à Mathausen par les barbares nazis et leurs acolytes d’ici. Je crois pouvoir dire aussi qu’à travers les poèmes de Christian s’élève la douce voix de cette résistance afin que le monde demeure un plus bienveillant. Sa poésie est au cœur de cela. Et c’est beaucoup pour moi, qui m’interroge de cette même façon, le cœur souvent déboussolé. Écrivant ces quelques phrases, je m’assois au soleil et recopie ces vers qui sont dans le livre que vous ouvrirez peut-être dans vos mains et le jour m’apparaît meilleur, la lumière efface ce qui rôdait de noir dans mon esprit. Les vrais livres aident à vivre, c’est si banal de dire cela et une telle phrase nous invite à cette espérance sans dieu, que célèbrent la lumière, les pierres, la solitude, l’infinie compassion pour tout ce qui est vivant. Ceux d’ici parièrent la vie défaite des rues ; des boutiques et des trains ; simplement une herbe pour amie ; une odeur de sève et de miel imaginaire aux origines de vivre
Joël Vernet
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Cet infini, l’autre pas
I L’éternité verticale
« Un grand sommeil noir Tombe sur ma vie : Dormez, tout espoir Dormez, toute envie ! Je ne vois plus rien Je perds la mémoire Du mal et du bien … Ô la triste histoire ! » Paul Verlaine Sagesse
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I C’est la parole empêchée : entre la pierre, les pierres ; la hauteur ; le peu d’espace ; de lumières et de temps autre que pâleur ; froidure où tout glisse, s’estompe et se meurt en toute ignorance Chaque jour on dit ; redit ; se persuade sans fin qu’autre est impossible ; que l’œil aussi est un mur sans fin où se heurte et s’exaspère la mémoire Plus qui n’ait de sens ; rien ; de courbure L’espoir est une parcelle d’ombre ; un haillon de l’azur ; un copeau de la lune ; un brin du rien et des pâleurs dans le halo de l’huis étroit Puis une clameur ; parfois bouge du nuage Ici on broute nuit à nuit l’herbe rase des ombres ; la patience ruminée dans les coins et les recoins des jours repliés sans fin dans le pli noir des nuits et des paumes malaxées
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On attend et guette sur la porte l’Azur ouvert ; la moiteur apprise d’un printemps ou d’un été ; le nom d’un hiver quand tout se meurt dans l’épaisseur opaque du silence sur les choses Le bruit ; le moindre a l’ampleur du désert comme une clé sur l’absence envisagée ; car n’être plus sollicite les rêves et les éveils ; l’œil hagard ; le cœur battant ; les joues vidées de leurs cris Le corps de l’âme défait ; les pieds et les mains rivés à la souillure ; l’esprit lointain ; si loin de la peine ; à gauche de la raison et des paroles humaines qui sanctionnèrent la chair
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II De vide le vide plein
« Tu n’es plus ici depuis longtemps, ombre ayant absorbé l’ombre. Quelqu’un a pris ta place que tu ne connais pas, qui habite ton corps, parle avec ta voix et meurt peut-être à côté de toi qui t’es absenté sans y prendre garde, un jour où la lumière hésitait un peu trop à troubler le brouillard » Max Alhau D’asile en exil
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I Ce qu’ils sont ne se sait guère ; ne se divulgue pas Ils sont ; hésitent ; s’épuisent à rechercher cette part d’absence extraite d’un corps Ils se posent et affligent l’évidence d’une intrigue
L’ailleurs est à leurs pas ; les exile ; et la main qu’ils tendent touche une étrange lumière Ils parlent à la bougie ; au ballon rouge ; à la flaque ; à la pierre qu’ils y lancent Ils murmurent autrement
Ce qui les désagrège a de la lassitude dans leur regard et leurs épaules ; de la lourdeur aux talons ; de la fuite des chemins Aller n’a de retour ; ils vont ; s’écartent et s’obstinent
Ils arrangent la matière ; s’arrangent des choses là où ils ne savent aller D’aucuns les montrent du doigt qui s’en effraient ; les effraient D’autres s’indiffèrent de n’être pas identifiables
Mais les pierres à la pierre s’indiffèrent Homme, voix lointaine ; peut-être morte ; peut-être tombale ; sans doute majeure dans les bois et les correspondances où germent bruits et parfums
Leurs corps débordent d’eux-mêmes ; les exaspèrent et les outragent Ils sont mais ne seront autres qu’un instant lointain qui les regarde et qu’ils regardent sans yeux pour les foules Ils sont loin
Leurs mots sont des gestes ; leurs gestes démentent leurs mots ; ne se partagent guère et meurent sur la paille d’une chaise ; oreille sacrifiée et décharge foudroyante Ce qu’ils font est à côté
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III De différences et d’unisson
« tu es l’oiseau et le miroir tu es l’image et la syllabe imprononcée » Lionel Ray Comme un château défait
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I Secret ; pour secréter la justesse d’aimer ; les bras et les épaules couverts de roses rares et d’or et de nacre et du hasard d’un souffle Même l’aurore a rosi le front des mots
Dire ce jour ; sa rosée ; la splendeur des oublis dans les choses nommées ; l’envie du jour à tisser de cendres les lumières épuisées pour se réduire jusqu’aux sources où la vie s’acharne
Peut-être est-ce cela ou autre chose encore ; qui sait du mur ou du rêveur les chairs exposées ; les gestes ; les yeux clos ; le froissement des murmures du satin ; la lumière suffisante
Comme une vocation pour rendre disponible la corolle au « butinement » des baisers et la parole à l’élaboration des corps désirant ; le début d’être un être ; la durée
Rien ; comme une envie de tout et de plus dans le moment dépassé de n’être plus rien qu’extase ; et plus qu’extase autre éthéré dans l’absence de soi régnant Là ; ailleurs d’ici ; le transport des sens
Non pas la chance mais le destin ; la fatalité du pas des cœurs dans la brume ; dans l’incertitude des reconnaissances ; pourtant la persuasion évidente du besoin ; la confusion
Tout de langueur extrême au bleu des paupières d’Azur et des méandres savants sur la tempe des collines Infiniment de bleu et de blanc infini et quoi d’autre encore infiniment
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IV Signe de sueur de solitude et de sang
« Notre corps a cela de mauvais, que plus on le soigne, plus il se découvre de nouveaux besoins […] Cette maison est un ciel, si tant est qu’il puisse y en avoir un sur la Terre » Sainte Thérèse d’Avila Le Chemin de la perfection
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I Un peu de rouge au cloître et de blanc sur la prière où tremble une prairie Boutons de sueur qui prirent les hommes dans l’éblouissement ; se recroquevillant d’amour et de contemplation
Comme un buisson ; sa posture ; l’inflexion de la nuque et sa soumission au vent ; l’agenouillement de la misère ; l’humilité ; l’effacement jusqu’à la fusion des baies et des bures
À l’aiguille des matines ; à la génuflexion des grâces ; au recueillement ; à la promesse des fleurs ; quelque part dans l’absolu du temps, des ailleurs sans nom patientent les espérances
L’œil ailleurs ; dans d’autres fièvres ; dans une rémission des instants pour mieux approcher l’Azur dans la solitude de l’Azur ; diversifier les déserts pour n’être plus que rien derrière le cri
Ce qui se dit perpétue le silence ; implore la bienveillance avec le don à même la nudité des feuilles et du vent ; à même l’incarnation du doute sur ce qui se voit
De parole, que celle à poindre sur le bourgeon des saisons ; comme une confiance aux sources qui livrent leur pâleur aux fruits à venir Et cette gourmandise à aimer la terre des dieux
Derrière la muraille on noue un angélus et des sillons pour disposer de la terre depuis la graine jusqu’à la mie ; la vie telle une rumeur d’airain sur la campagne Un vibrement
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V Des mots sous la langue
« On se souvient On compte mal avec tout ce noir sur la vie. On ne peut que se taire » Jacques Ancet La Dernière Phrase
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I La verticalité des croix ; des fleurs et des passants entre les marronniers et les ifs ; la rigidité du temps ; impassible temps qui jamais ne meurt mais va limitant la vie pourtant
Mais qu’est-ce qu’être quand nul ne sait ce qu’est n’être pas Autre chose que patience ; autre chose que lenteur dans l’heure lente où pas à pas pèse un cheminement de la parole et sa perte
Une ombre sur le marbre où patientent des fleurs et les regards plaqués de regrets aux senteurs d’oubli Parfois un oiseau ou une étoile ; un peu d’étrange qui ne tient dans nulle main Aucune
Ils se sont tus qui eux savent à jamais le sein deuxième ; celui des restitutions ; celui de l’absorption par la matière de l’élan du souffle ; du décisif rien qui encombre la vie
On cherche ; se retourne et tourne au fond de soi l’absence ; la légèreté à n’être plus qu’un possible d’avoir été un geste ; un sourire ; un sanglot dans l’autre fois et cette parole à peine
Et tout autour, des murs et des grilles ; pour craindre quelle évasion de l’inertie ; quelle intrusion du vouloir savoir d’une légitime envie du dégoût probable de ces morts incarcérés
Le silence comme des voix dans le dépassement extrême ; l’intrusion de l’extase au cœur du vivant et du battement des pierres L’attente ; l’attente dans la dissolution du vent
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VI Un corbeau ; le blé
« Quelle différence y a-t-il entre un poème Et le lion ailé peint sur le plafond ? L’un et l’autre n’étaient-ils pas semblables […] Lorsqu’ils buvaient la même eau de la fontaine Ou la même tristesse des hommes ? » Yves Namur La Tristesse du figuier
« Quelque chose Tombe de la bouche béante du silence » idem
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I Tout se noue et se dénoue ; tout dans tout comme au-dedans de nous L’élan d’une envie ; l’utile jaillissement ; l’irrémédiable cri ; la persistance du blanc mais toujours l’insuffisance
On regarde et dilue son regard de fluidité en ténacité de formes On reconnaît le soleil ; la pomme ; le vent ; un vase ; on considère la tache ; l’auréole d’une ligne
Tout ce qui dure depuis la pierre ; la profondeur ; l’obscur étranglement des cavernes et galeries comme un mot unique pour dire l’impossible du tout Le recommencement
C’est tout cela derrière une porte et des grilles sévères ; cela le long de la rue où s’écoule une rivière ; où nul ne s’arrête – ou si peu – dans l’esquisse de vivre et l’estampe des matins
La dissémination sur les manches ; les annulaires ; les corps plus jamais nus ; les murs plus jamais muets ; l’espace plus jamais vide : cruelle illusion de dire qui perpétue les illusions
Qui franchit le seuil connaît l’irrémédiable partage des solitudes et des cruautés ; le risque d’une oreille ou d’une fenêtre ouverte jusqu’à la chute d’un corbeau ; l’oubli du blé
C’est la traînée d’un geste ou la preuve d’existence ; ou la fulguration du sens à l’instant de l’instant ; ou l’éphémère pertinence ; quelque besoin nécessaire pour être sûr du vivant
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VII Pour coller aux ombres – Enfermé sans les murs –
« Le jour entaillé de souvenirs penché sur nous comme une porte avec dans la serrure – on ne sait de quel côté – une clé de lumière » Philippe Mathy Sous la robe des saisons « Le monde est si dénué de sens, mon amour, qu’il me faut souvent me dénuer du monde pour retrouver le sens » idem Un automne au creux des bras
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I On dit partir et on est loin déjà On ne sait pas On dit des mots et encore d’autres que nul ne retient Avancer ; avancer et avancer encore : c’est reculer à d’autres vues
Nous marchons vers la mort qui réduit la chair et les pierres et donne à fleurir aux arbres ; aux algues un goût de sel C’est la matière qui cache nos âmes ; dissémine au hasard les hasards du sang
Du bleu ; beaucoup de bleu : c’est la parole du poète de ce qu’il a dit du ciel ; de ce que nous dirons des pas dans le sable éphémère et de nos cheminements dans l’impatience des eaux
On cherche où on est ; où naître identifia notre histoire : un père ; une mère ou autre envie qui donna le geste ; assura le mouvement ; inscrivit dans la mémoire l’élan de vitalité
Il nous faut une formule pour être plus clos encore ; plus absent au monde des choses dans l’éphéméride des jours et des nuits qui se ressemblent Et nous cherchons le manque dans ce qui donne
Mais où ; c’est ailleurs quand on guettait ici ; c’est ici quand on croyait à l’ailleurs : le bord des mers et l’exil dans la lourdeur ; l’épaisseur ; l’appartenance à ce qui se voit seul et disparaît
On est seul et toujours seul à l’endroit de notre corps ; au lieu unique de la crête ; à l’empreinte des peurs dans la profondeur des neiges ; la poussière de ses cendres antérieures et sans noms
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L’auteur
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Christian Poirier Christian Poirier est né à Rennes en 1952. Enseignant. Il est l’auteur d’une thèse de doctorat sur le poète René Daumal.
Bibliographie Étroitesse du ténébreux, préface de Jean-Luc Steinmetz, Le Taillis Pré, 2017 L’Aubier des jours, poésie, Le Taillis Pré, 2015 Le Bonhomme, poésie, préface de Jacques Ancet, Éditions La passe du vent, 2014 Entre les mots entre les pierres, poésie, préface de Lionel Ray, Le Taillis Pré, 2013 Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres, roman, préface d’Edmond Hervé, Éditions Apogée, 2005 Livres d’artiste : En marge de jour, Éditions La Margeride Aura, Éditions La Margeride Étude : Dossier H, Éditions L’Âge d’Homme (sur René Daumal) Parutions en revues : Nord, Sources, Aujourd’hui Poème, Écrit(s) du Nord
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Table
Page
Préface de Joël Vernet La nuit derrière la fenêtre 5-7 I L’éternité verticale
11-25
II De vide le vide plein
27-41
III De différences et d’unisson
43-57
IV Signe de sueur de solitude et de sang
59-73
V Des mots sous la langue
75-89
VI Un corbeau ; le blé
91-105
VII Pour coller aux ombres – Enfermé sans les murs – 107-121 Christian Poirier Bio-bibliographie
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Illustrations intérieures et de couverture © Christian Poirier Maquette et mise en page Myriam Chkoundali Relecture et correction Michel Kneubühler
Ouvrage composé avec la police AGaramond, corps 11, sur papier intérieur Offset Maestro Blanc 90 grammes, couverture sur papier Olin Regular Ivoire 300 grammes
Achevé d’imprimer par
Dépôt légal 2019