L’abbaye d’Hautecombe
L’abbaye d’Hautecombe
« Et je m’assis rêveur sur une pente sombre D’où le cloître à mes yeux se dessinait dans l’ombre, Et je me demandai : que sont venus chercher Dans cette solitude et sur ce bord austère, Ceux qui peuplent les murs de ce toit solitaire Posé comme un nid d’aigle au penchant du rocher ? »
pour demain
Hautecombe, c’est d’abord, sur les rives du lac du Bourget, un site admirable chanté par Lamartine. C’est aussi une abbaye à la riche histoire, que les cisterciens fondèrent au XIIe siècle, à laquelle, dans les années 1820, Charles-Félix, roi de Sardaigne, donna un nouveau lustre et qui, de nos jours, continue d’abriter une communauté religieuse. C’est encore le « Saint-Denis de la Savoie », où sont inhumés bien des membres de cette dynastie qui, pendant près d’un millénaire, exerça son autorité sur les deux versants des Alpes. Depuis 2003, une vaste campagne de restauration redonne tout son éclat à cet édifice majeur du patrimoine rhônalpin, tout à la fois lieu de mémoire de l’histoire européenne et la plus italienne des abbayes françaises.
patrimoines
#4
Jean-Pierre Veyrat, Station poétique à l’abbaye de Haute-Combe (1847).
isBn : 978-2-84562-273-9
pour demain
12 €
patrimoines
#4
L’abbaye d’Hautecombe
Collection « Patrimoines pour demain » En Rhône-Alpes, collectivités publiques et propriétaires privés consacrent chaque année des millions d’euros à la restauration d’édifices protégés au titre des monuments historiques. Ces investissements ne contribuent pas seulement à entretenir l’héritage reçu des générations passées : ils participent aussi à la vie économique et sociale du territoire, et rappellent utilement que, quelle que soit son ancienneté, le « monument historique » est pleinement notre contemporain et a vocation à survivre à notre temps. Aider un large public à découvrir ou mieux connaître l’édifice restauré et son histoire ; mettre en valeur les compétences et les savoir-faire qui ont permis sa restauration ; révéler le regard sensible qu’un auteur d’hier ou d’aujourd’hui porte sur lui ; offrir au visiteur un guide de visite tout à la fois pratique et complet : tels sont les objectifs de la collection « Patrimoines pour demain ». Chaque titre de la collection fait appel aux meilleurs spécialistes et prend en compte les derniers développements de la recherche historique ; une campagne photographique spécifique permet par ailleurs d’offrir une iconographie abondante et actualisée, donnant à voir en particulier les principales étapes de la restauration. Plan, chronologie, glossaire, bibliographie... contribuent enfin à fournir au lecteur /visiteur toutes les clés nécessaires. Afin de ne pas oublier cette vérité première : conserver des « patrimoines pour demain » suppose que les hommes et les femmes d’aujourd’hui les reconnaissent comme tels et aient appris à les mieux connaître.
Déjà parus 1. L’Abbaye d’Ambronay 2. La Maison de la culture de Firminy 3. Lyon. La cathédrale Saint-Jean-Baptiste L’abbaye d’Hautecombe.- Genouilleux, Éditions La passe du vent, 2015.- 136 p., ill., 21 cm [coll. « Patrimoines pour demain »] – ISBN : 978-2-84562-273-9.
L’abbaye d’Hautecombe
Collection « Patrimoines pour demain » En Rhône-Alpes, collectivités publiques et propriétaires privés consacrent chaque année des millions d’euros à la restauration d’édifices protégés au titre des monuments historiques. Ces investissements ne contribuent pas seulement à entretenir l’héritage reçu des générations passées : ils participent aussi à la vie économique et sociale du territoire, et rappellent utilement que, quelle que soit son ancienneté, le « monument historique » est pleinement notre contemporain et a vocation à survivre à notre temps. Aider un large public à découvrir ou mieux connaître l’édifice restauré et son histoire ; mettre en valeur les compétences et les savoir-faire qui ont permis sa restauration ; révéler le regard sensible qu’un auteur d’hier ou d’aujourd’hui porte sur lui ; offrir au visiteur un guide de visite tout à la fois pratique et complet : tels sont les objectifs de la collection « Patrimoines pour demain ». Chaque titre de la collection fait appel aux meilleurs spécialistes et prend en compte les derniers développements de la recherche historique ; une campagne photographique spécifique permet par ailleurs d’offrir une iconographie abondante et actualisée, donnant à voir en particulier les principales étapes de la restauration. Plan, chronologie, glossaire, bibliographie... contribuent enfin à fournir au lecteur /visiteur toutes les clés nécessaires. Afin de ne pas oublier cette vérité première : conserver des « patrimoines pour demain » suppose que les hommes et les femmes d’aujourd’hui les reconnaissent comme tels et aient appris à les mieux connaître.
Déjà parus 1. L’Abbaye d’Ambronay 2. La Maison de la culture de Firminy 3. Lyon. La cathédrale Saint-Jean-Baptiste L’abbaye d’Hautecombe.- Genouilleux, Éditions La passe du vent, 2015.- 136 p., ill., 21 cm [coll. « Patrimoines pour demain »] – ISBN : 978-2-84562-273-9.
Les auteurs
Direction scientifique
CLAIRE AUBARET CHARGÉE D’ÉTUDES DOCUMENTAIRES DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES
GILLES SOUBIGOU
SŒUR SONIA BÉRANGER ANCIENNE SUPÉRIEURE DE L’ABBAYE D’HAUTECOMBE
MICHEL KNEUBÜHLER
SYLVIE CLAUS DIRECTRICE-ADJOINTE, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE SAVOIE MARIE-PIERRE FEUILLET CONSERVATRICE DU PATRIMOINE DRAC RHÔNE-ALPES, SERVICE RÉGIONAL DE L’ARCHÉOLOGIE SOPHIE OMÈRE CONSERVATRICE DES MONUMENTS HISTORIQUES, DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES PHILIPPE RAFFAELLI CONSERVATEUR DES ANTIQUITÉS ET OBJETS D’ART DE LA SAVOIE JEAN-MARIE REFFLÉ PHOTOGRAPHE, DRAC RHÔNE-ALPES, CENTRE D’INFORMATION ET DE DOCUMENTATION FRANCK SÉNANT INGÉNIEUR DU PATRIMOINE, DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES GILLES SOUBIGOU CONSERVATEUR DES MONUMENTS HISTORIQUES, DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES
Coordination éditoriale
Remerciements Auteurs et éditeurs tiennent à remercier très vivement, pour leur soutien tout au long de ce projet éditorial : Jean-François Marguerin, ancien directeur régional des affaires culturelles de Rhône-Alpes ; Sœurs Sonia Béranger et Pascale Avice, pour leur accueil et leur aide logistique sans faille, sœur Marie Josée, peintre d’icônes de la communauté du CheminNeuf, ainsi que tous les membres de la communauté qui nous ont apporté leur précieux concours tout au long de la préparation de cet ouvrage ; ainsi que, pour leur aide, leurs conseils ou leurs relectures, les personnes suivantes : Caroline Bongard, directrice des Musées de Chambéry ; Delphine Cano, directrice des Musées départementaux de l’Ain
Antonia Coca, responsable du pôle scientifique et technique, Musées de Chambéry ; Julien Coppier, adjoint à la directrice des Archives départementales de la Haute-Savoie ; Loredana Faletti, Soprintendenza per i beni e le attività culturali, Aosta ; Jean-François GrangeChavanis, architecte en chef des monuments historiques ; Frédéric Henriot, conservateur régional des monuments historiques (DRAC Rhône-Alpes) ; Éric-Michel Lafon, assistant de la princesse Clotilde de Savoie ; Jean-François Laurenceau, conservatrice départementale des antiquités et objets d’art de la Savoie ; Isabelle Rosaz, restauratrice de peintures ; Laurence Sadoux-Troncy, documentation-bibliothèque du Musée savoisien, Chambéry ; Joëlle Tardieu, archéologue à la DRAC Rhône-Alpes, Service régional de l’archéologie. Nous remercions encore : la Région autonome Vallée d’Aoste ; le Conseil départemental de la Savoie ; le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Marseille) Enfin, que les membres de la maison de Savoie trouvent également ici l’expression de nos sincères remerciements.
Mode d’emploi Cinq parties composent ce livre : « Toute une histoire » ; « Le chantier en images » ; « Paroles d’expert » ; « Un autre regard » ; « Guide de visite ». Afin de faciliter la visite, un plan de l’édifice figure à la fin de l’ouvrage, dans le rabat de couverture ; chaque partie porte un numéro, reproduit dans le guide de visite. Le signe « + » renvoie à une illustration présente dans la page (ou la double page). Les mots imprimés en bleu et soulignés font l’objet d’une définition dans le glossaire.
Sommaire Préface La Dame du Lac … FRÉDÉRIC HENRIOT
7
Introduction Le « Saint-Denis de la Savoie » … GILLES SOUBIGOU
8
… Toute une histoire Hautecombe... toute une histoire … GILLES SOUBIGOU Des archives pour une abbaye … SYLVIE CLAUS
12 48
Le chantier en images Le chantier en images … FRANCK SÉNANT
52
Paroles d’expert « Un patrimoine vraiment européen » … JEAN-FRANÇOIS GRANGE-CHAVANIS
60
Un autre regard Un haut lieu de la littérature romantique … MICHEL KNEUBÜHLER Hautecombe en héritage … SŒUR SONIA BÉRANGER
64 71
Guide de visite … CLAIRE AUBARET ET SOPHIE OMÈRE Le décor de l’église … SOPHIE OMÈRE ET PHILIPPE RAFFAELLI FOCUS B Le dépôt lapidaire du cloître … PHILIPPE RAFFAELLI FOCUS C Le décor des appartements royaux … S. OMÈRE ET PH. RAFFAELLI FOCUS D Les sites palafittiques … MARIE-PIERRE FEUILLET FOCUS E La tour-phare … FRANCK SÉNANT FOCUS F La grange batelière … PHILIPPE RAFFAELLI FOCUS G La fontaine intermittente … SOPHIE OMÈRE
78 87 104 111 118 121 125 127
Annexes Pour en savoir plus Glossaire Les auteurs Le chantier de restauration
130 132 134 135
FOCUS A
Les auteurs
Direction scientifique
CLAIRE AUBARET CHARGÉE D’ÉTUDES DOCUMENTAIRES DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES
GILLES SOUBIGOU
SŒUR SONIA BÉRANGER ANCIENNE SUPÉRIEURE DE L’ABBAYE D’HAUTECOMBE
MICHEL KNEUBÜHLER
SYLVIE CLAUS DIRECTRICE-ADJOINTE, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE SAVOIE MARIE-PIERRE FEUILLET CONSERVATRICE DU PATRIMOINE DRAC RHÔNE-ALPES, SERVICE RÉGIONAL DE L’ARCHÉOLOGIE SOPHIE OMÈRE CONSERVATRICE DES MONUMENTS HISTORIQUES, DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES PHILIPPE RAFFAELLI CONSERVATEUR DES ANTIQUITÉS ET OBJETS D’ART DE LA SAVOIE JEAN-MARIE REFFLÉ PHOTOGRAPHE, DRAC RHÔNE-ALPES, CENTRE D’INFORMATION ET DE DOCUMENTATION FRANCK SÉNANT INGÉNIEUR DU PATRIMOINE, DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES GILLES SOUBIGOU CONSERVATEUR DES MONUMENTS HISTORIQUES, DRAC RHÔNE-ALPES, CONSERVATION RÉGIONALE DES MONUMENTS HISTORIQUES
Coordination éditoriale
Remerciements Auteurs et éditeurs tiennent à remercier très vivement, pour leur soutien tout au long de ce projet éditorial : Jean-François Marguerin, ancien directeur régional des affaires culturelles de Rhône-Alpes ; Sœurs Sonia Béranger et Pascale Avice, pour leur accueil et leur aide logistique sans faille, sœur Marie Josée, peintre d’icônes de la communauté du CheminNeuf, ainsi que tous les membres de la communauté qui nous ont apporté leur précieux concours tout au long de la préparation de cet ouvrage ; ainsi que, pour leur aide, leurs conseils ou leurs relectures, les personnes suivantes : Caroline Bongard, directrice des Musées de Chambéry ; Delphine Cano, directrice des Musées départementaux de l’Ain
Antonia Coca, responsable du pôle scientifique et technique, Musées de Chambéry ; Julien Coppier, adjoint à la directrice des Archives départementales de la Haute-Savoie ; Loredana Faletti, Soprintendenza per i beni e le attività culturali, Aosta ; Jean-François GrangeChavanis, architecte en chef des monuments historiques ; Frédéric Henriot, conservateur régional des monuments historiques (DRAC Rhône-Alpes) ; Éric-Michel Lafon, assistant de la princesse Clotilde de Savoie ; Jean-François Laurenceau, conservatrice départementale des antiquités et objets d’art de la Savoie ; Isabelle Rosaz, restauratrice de peintures ; Laurence Sadoux-Troncy, documentation-bibliothèque du Musée savoisien, Chambéry ; Joëlle Tardieu, archéologue à la DRAC Rhône-Alpes, Service régional de l’archéologie. Nous remercions encore : la Région autonome Vallée d’Aoste ; le Conseil départemental de la Savoie ; le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Marseille) Enfin, que les membres de la maison de Savoie trouvent également ici l’expression de nos sincères remerciements.
Mode d’emploi Cinq parties composent ce livre : « Toute une histoire » ; « Le chantier en images » ; « Paroles d’expert » ; « Un autre regard » ; « Guide de visite ». Afin de faciliter la visite, un plan de l’édifice figure à la fin de l’ouvrage, dans le rabat de couverture ; chaque partie porte un numéro, reproduit dans le guide de visite. Le signe « + » renvoie à une illustration présente dans la page (ou la double page). Les mots imprimés en bleu et soulignés font l’objet d’une définition dans le glossaire.
Sommaire Préface La Dame du Lac … FRÉDÉRIC HENRIOT
7
Introduction Le « Saint-Denis de la Savoie » … GILLES SOUBIGOU
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… Toute une histoire Hautecombe... toute une histoire … GILLES SOUBIGOU Des archives pour une abbaye … SYLVIE CLAUS
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Le chantier en images Le chantier en images … FRANCK SÉNANT
52
Paroles d’expert « Un patrimoine vraiment européen » … JEAN-FRANÇOIS GRANGE-CHAVANIS
60
Un autre regard Un haut lieu de la littérature romantique … MICHEL KNEUBÜHLER Hautecombe en héritage … SŒUR SONIA BÉRANGER
64 71
Guide de visite … CLAIRE AUBARET ET SOPHIE OMÈRE Le décor de l’église … SOPHIE OMÈRE ET PHILIPPE RAFFAELLI FOCUS B Le dépôt lapidaire du cloître … PHILIPPE RAFFAELLI FOCUS C Le décor des appartements royaux … S. OMÈRE ET PH. RAFFAELLI FOCUS D Les sites palafittiques … MARIE-PIERRE FEUILLET FOCUS E La tour-phare … FRANCK SÉNANT FOCUS F La grange batelière … PHILIPPE RAFFAELLI FOCUS G La fontaine intermittente … SOPHIE OMÈRE
78 87 104 111 118 121 125 127
Annexes Pour en savoir plus Glossaire Les auteurs Le chantier de restauration
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FOCUS A
Préface
La Dame du Lac La Dame du Lac a bien des attraits. Elle s’offre aux regards dans un FRÉDÉRIC HENRIOT paysage superbe, romantique à souhait ; quelque écrivain célèbre l’a CONSERVATEUR RÉGIONAL bien remarqué. Elle séduit par son grand âge, ce n’est pas si courant. DES MONUMENTS Elle a aimé s’implanter sans le savoir près d’un site palafittique, un mot HISTORIQUES (DRAC RHÔNE-ALPES) que les enfants aimeront déguster. Elle a toujours vécu avec son temps, évoluant et se transformant sans cesse. Abbaye longtemps cistercienne, elle a séduit des comtes, ducs, princes et rois qui n’étaient pas ceux des contes et qui pour elle ne comptaient point ; ils l’ont donc richement dotée et en ont fait leur nécropole, c’est son côté nostalgique et solennel ; ce fut aussi sa façon d’unir foi et politique. À chaque époque, prête à mourir ce phénix a ressurgi de ses cendres, différente. Elle peut revendiquer d’être un conservatoire de divers styles, elle ne laissera pas dire qu’il s’agit de modes. Ainsi, elle peut montrer tous les visages qu’elle a présentés. Elle a épousé successivement, alternativement même, deux pays, la Savoie et la France ; elle en a gardé un statut particulier, elle y tient, comme à son nom, altier et rond. Aujourd’hui, même si elle cache un peu sa date de naissance, à près de neuf cents ans, vieille dame fière mais coquette, elle aime qu’on la respecte et qu’on prenne soin d’elle. Avec attention, réflexion, après des discussions pleines de mots savants, on la restaure, on la soigne au quotidien, il ne faut point abîmer ses beaux restes. Voire ses bijoux, car elle abrite de nombreux trésors qu’elle ne montre pas facilement ; elle tient à ses secrets, c’est sans doute pour cela que ses papiers sont dispersés. Elle est connue, mais pas trop. Elle est donc heureuse d’apprendre qu’elle entre dans une collection, « Patrimoine pour demain », auprès d’autres collègues prestigieuses ; ça ne la froisse pas d’être la quatrième, elle est unique en son genre. Elle dit qu’elle se sent valorisée, elle a raison, c’est le but de cet ouvrage. Au fil des pages qui suivent, découvrons, pour la connaître un peu mieux avant de lui rendre visite, la Dame du Lac. •
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Préface
La Dame du Lac La Dame du Lac a bien des attraits. Elle s’offre aux regards dans un FRÉDÉRIC HENRIOT paysage superbe, romantique à souhait ; quelque écrivain célèbre l’a CONSERVATEUR RÉGIONAL bien remarqué. Elle séduit par son grand âge, ce n’est pas si courant. DES MONUMENTS Elle a aimé s’implanter sans le savoir près d’un site palafittique, un mot HISTORIQUES (DRAC RHÔNE-ALPES) que les enfants aimeront déguster. Elle a toujours vécu avec son temps, évoluant et se transformant sans cesse. Abbaye longtemps cistercienne, elle a séduit des comtes, ducs, princes et rois qui n’étaient pas ceux des contes et qui pour elle ne comptaient point ; ils l’ont donc richement dotée et en ont fait leur nécropole, c’est son côté nostalgique et solennel ; ce fut aussi sa façon d’unir foi et politique. À chaque époque, prête à mourir ce phénix a ressurgi de ses cendres, différente. Elle peut revendiquer d’être un conservatoire de divers styles, elle ne laissera pas dire qu’il s’agit de modes. Ainsi, elle peut montrer tous les visages qu’elle a présentés. Elle a épousé successivement, alternativement même, deux pays, la Savoie et la France ; elle en a gardé un statut particulier, elle y tient, comme à son nom, altier et rond. Aujourd’hui, même si elle cache un peu sa date de naissance, à près de neuf cents ans, vieille dame fière mais coquette, elle aime qu’on la respecte et qu’on prenne soin d’elle. Avec attention, réflexion, après des discussions pleines de mots savants, on la restaure, on la soigne au quotidien, il ne faut point abîmer ses beaux restes. Voire ses bijoux, car elle abrite de nombreux trésors qu’elle ne montre pas facilement ; elle tient à ses secrets, c’est sans doute pour cela que ses papiers sont dispersés. Elle est connue, mais pas trop. Elle est donc heureuse d’apprendre qu’elle entre dans une collection, « Patrimoine pour demain », auprès d’autres collègues prestigieuses ; ça ne la froisse pas d’être la quatrième, elle est unique en son genre. Elle dit qu’elle se sent valorisée, elle a raison, c’est le but de cet ouvrage. Au fil des pages qui suivent, découvrons, pour la connaître un peu mieux avant de lui rendre visite, la Dame du Lac. •
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PATRIMOINES POUR DEMAIN HAUTECOMBE
Introduction
Le « Saint-Denis de la Savoie » et la plus italienne des abbayes françaises L’abbaye de Hautecombe – qui sera désignée tout au long de cet ouvrage, conformément à la tradition d’élision bien ancrée depuis le XIXe siècle, comme « abbaye d’Hautecombe »1 – est un monument majeur du patrimoine bâti savoyard et rhônalpin. Dans une région riche en monastères, abbayes et chartreuses, elle se signale par une histoire originale qui en fait sans doute la plus italienne des abbayes françaises.
GILLES SOUBIGOU
des biens temporels de l’abbaye, et la seconde à l’historien piémontais Luigi Cibrario, dont l’ouvrage présente une abondante iconographie. Il faut également mentionner, après la réunion de la Savoie à la France, en 1860, l’ouvrage de l’historien savoyard Claudius Blanchard qui, en 1874, publie pour la première fois nombre de pièces d’archives jusqu’alors inédites. Aux côtés de ces ouvrages savants voisinent une multitude de guides touristiques qui se citent régulièrement, depuis celui publié par l’évêque de Maurienne, monseigneur Vibert, en 1826, jusqu’à celui du pharmacien A. Coquerel en 1896.
CONSERVATEUR DES MONUMENTS HISTORIQUES (DRAC RHÔNE-ALPES)
Comme bien souvent, l’historiographie de l’abbaye d’Hautecombe remonte aux premières chroniques, vies des saints et autres recueils hagiographiques qui, au Moyen Âge puis à l’époque moderne, furent rédigés par les moines eux-mêmes pour éclairer les origines de leurs communautés. Les premiers travaux que l’on peut qualifier d’historiques sont ceux de l’humaniste Alphonse Delbène, abbé commendataire d’Hautecombe, qui publie une histoire de son abbaye en 1594, et de Samuel Guichenon, qui l’intègre en 1660 à son Histoire généalogique de la Royale Maison de Savoye. Quelques ouvrages destinés à servir de guides aux voyageurs de l’Ancien Régime détaillent aussi les merveilles de l’abbaye, tel le livre du médecin Jean-Baptiste de Cabias, Les Vertus merveilleuses des bains d’Aix (1623). L’historiographie se renouvelle grandement à partir de la première moitié du XIXe siècle. Deux importantes publications parues en 1843 célèbrent l’achèvement du chantier de restauration de ce que l’on appelle de plus en plus fréquemment le « Saint-Denis de la Savoie ». La première est due au baron Joseph Jacquemoud, sénateur chargé par le roi de Piémont, en 1828, de la conservation
Au début du XXe siècle, l’archiviste de la Savoie Gabriel Pérouse publie un ouvrage grand public illustré par Joanny Drevet (1926) et de nombreux petits guides sont édités à destination des touristes. Le renouveau des études sur Hautecombe doit beaucoup aux travaux menés par les moines bénédictins. Dom Jean Deshusses publie en 1957 une étude sur les peintures anciennes conservées dans l’église. Mais l’essentiel de l’effort historiographique est porté par dom Romain Clair (19282002), entré dans les ordres à Hautecombe en 1948 et qui devint dans les années 1960 l’archiviste de la communauté. En 2010, ses notes non publiées ont été retranscrites et publiées par la Société d’art et d’histoire d’Aix-les-Bains. Cette somme est à rapprocher d’études récentes qui, sous la plume de Pascale Defay (1982), Christian Corvisier (2003), Cécile Randon (2013-2014) et Maria Ludovica Vertova (2009), ont approfondi certains sujets. L’ouvrage que le lecteur a aujourd’hui sous les yeux s’est nourri des travaux et des réflexions de ces divers auteurs. Confié à des spécialistes du patrimoine historique, il a mis ces données parfois anciennes à l’épreuve de la recherche archivistique, de l’archéologie du bâti et des découvertes récentes permises par les chantiers de restauration. Il entend de la sorte proposer un regard neuf et, par endroits, de véritables découvertes qui enrichiront la visite de celles et ceux qui ont la chance de découvrir le patrimoine exceptionnel de l’abbaye d’Hautecombe. •
1. Selon dom Romain Clair, qui fut l’archiviste de la communauté bénédictine, « on dit, d’usage immémorial, abbaye d’Hautecombe, comme les abbayes d’Hautcrêt, près de Lausanne, d’Hauterive près de Fribourg, et la seigneurie d’Hauterives en Dauphiné, le vocable Hautecombe étant considéré comme un mot à initiale vocalique précédée d’un ‘h’ muet devant lequel se fait l’élision ».
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PATRIMOINES POUR DEMAIN HAUTECOMBE
Introduction
Le « Saint-Denis de la Savoie » et la plus italienne des abbayes françaises L’abbaye de Hautecombe – qui sera désignée tout au long de cet ouvrage, conformément à la tradition d’élision bien ancrée depuis le XIXe siècle, comme « abbaye d’Hautecombe »1 – est un monument majeur du patrimoine bâti savoyard et rhônalpin. Dans une région riche en monastères, abbayes et chartreuses, elle se signale par une histoire originale qui en fait sans doute la plus italienne des abbayes françaises.
GILLES SOUBIGOU
des biens temporels de l’abbaye, et la seconde à l’historien piémontais Luigi Cibrario, dont l’ouvrage présente une abondante iconographie. Il faut également mentionner, après la réunion de la Savoie à la France, en 1860, l’ouvrage de l’historien savoyard Claudius Blanchard qui, en 1874, publie pour la première fois nombre de pièces d’archives jusqu’alors inédites. Aux côtés de ces ouvrages savants voisinent une multitude de guides touristiques qui se citent régulièrement, depuis celui publié par l’évêque de Maurienne, monseigneur Vibert, en 1826, jusqu’à celui du pharmacien A. Coquerel en 1896.
CONSERVATEUR DES MONUMENTS HISTORIQUES (DRAC RHÔNE-ALPES)
Comme bien souvent, l’historiographie de l’abbaye d’Hautecombe remonte aux premières chroniques, vies des saints et autres recueils hagiographiques qui, au Moyen Âge puis à l’époque moderne, furent rédigés par les moines eux-mêmes pour éclairer les origines de leurs communautés. Les premiers travaux que l’on peut qualifier d’historiques sont ceux de l’humaniste Alphonse Delbène, abbé commendataire d’Hautecombe, qui publie une histoire de son abbaye en 1594, et de Samuel Guichenon, qui l’intègre en 1660 à son Histoire généalogique de la Royale Maison de Savoye. Quelques ouvrages destinés à servir de guides aux voyageurs de l’Ancien Régime détaillent aussi les merveilles de l’abbaye, tel le livre du médecin Jean-Baptiste de Cabias, Les Vertus merveilleuses des bains d’Aix (1623). L’historiographie se renouvelle grandement à partir de la première moitié du XIXe siècle. Deux importantes publications parues en 1843 célèbrent l’achèvement du chantier de restauration de ce que l’on appelle de plus en plus fréquemment le « Saint-Denis de la Savoie ». La première est due au baron Joseph Jacquemoud, sénateur chargé par le roi de Piémont, en 1828, de la conservation
Au début du XXe siècle, l’archiviste de la Savoie Gabriel Pérouse publie un ouvrage grand public illustré par Joanny Drevet (1926) et de nombreux petits guides sont édités à destination des touristes. Le renouveau des études sur Hautecombe doit beaucoup aux travaux menés par les moines bénédictins. Dom Jean Deshusses publie en 1957 une étude sur les peintures anciennes conservées dans l’église. Mais l’essentiel de l’effort historiographique est porté par dom Romain Clair (19282002), entré dans les ordres à Hautecombe en 1948 et qui devint dans les années 1960 l’archiviste de la communauté. En 2010, ses notes non publiées ont été retranscrites et publiées par la Société d’art et d’histoire d’Aix-les-Bains. Cette somme est à rapprocher d’études récentes qui, sous la plume de Pascale Defay (1982), Christian Corvisier (2003), Cécile Randon (2013-2014) et Maria Ludovica Vertova (2009), ont approfondi certains sujets. L’ouvrage que le lecteur a aujourd’hui sous les yeux s’est nourri des travaux et des réflexions de ces divers auteurs. Confié à des spécialistes du patrimoine historique, il a mis ces données parfois anciennes à l’épreuve de la recherche archivistique, de l’archéologie du bâti et des découvertes récentes permises par les chantiers de restauration. Il entend de la sorte proposer un regard neuf et, par endroits, de véritables découvertes qui enrichiront la visite de celles et ceux qui ont la chance de découvrir le patrimoine exceptionnel de l’abbaye d’Hautecombe. •
1. Selon dom Romain Clair, qui fut l’archiviste de la communauté bénédictine, « on dit, d’usage immémorial, abbaye d’Hautecombe, comme les abbayes d’Hautcrêt, près de Lausanne, d’Hauterive près de Fribourg, et la seigneurie d’Hauterives en Dauphiné, le vocable Hautecombe étant considéré comme un mot à initiale vocalique précédée d’un ‘h’ muet devant lequel se fait l’élision ».
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‌ toute une histoire
‌ toute une histoire
Patrimoines Pour demain Hautecombe
… toute une histoire
Hautecombe... toute une histoire Hautecombe – Altacumba en latin, Altacomba en italien –, importante GILLES SOUBIGOU abbaye cistercienne des rives du lac du Bourget rayonna, du XIIe au CONSERVATEUR XIXe siècle, sur un vaste territoire partagé entre influences italienne et DES MONUMENTS française. Touchée par les soubresauts politiques qui animèrent cette HISTORIQUES (DRAC RHÔNE-ALPES) région des Alpes, cette communauté reflète également le destin complexe des ordres religieux médiévaux, puis modernes et contemporains. Le choix de la « Royale Maison de Savoye », comme l’appelle Samuel Guichenon au XVIIe siècle, d’y établir une nécropole familiale a été déterminant tout au long de son histoire et c’est aux descendants de cette famille qu’il devait revenir, au XIXe siècle, de restaurer l’abbaye et d’en assurer la préservation et la transmission aux générations postérieures. Les origines (XIIe siècle) Dans les premières années du XIIe siècle, un petit groupe de moines issu de l’abbaye SainteMarie d’Aulps (actuelle Haute-Savoie) fonde un prieuré au lieu-dit Hautecombe, dans le pays de l’Albanais. Au XVe siècle, lorsque les moines d’Hautecombe compilèrent les récits de leurs origines dans un manuscrit aujourd’hui conservé à Turin, intitulé De fundatione sancte religionis Ordinis Cisterciensis et gestis aliquibus Beati Roberti abbatis et de fundatione Altecumbe, ils établirent la chronologie suivante, généralement reprise par les auteurs postérieurs : les moines d’Aulps, installés depuis 1101 dans la montagne de Cessens, reçurent en 1125 la visite de Bernard de Clairvaux + qui les intégra dans l’ordre cistercien. Les moines virent alors une lumière mystérieuse leur indiquer un site situé de l’autre côté du lac du Bourget et décidèrent de s’y transporter pour y fonder leur monastère. La réalité historique est, bien entendu, plus complexe à établir et la chronologie des événements reste floue. Néanmoins, quelques documents permettent de mettre ce récit mythique des origines à l’épreuve de l’Histoire.
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+ copie de la charte de fondation du prieuré d’Hautecombe en 1121, parchemin, XViiie siècle (annecy, archives départementales de la Haute-savoie, sa 180). Le document original, perdu, est connu par cette copie provenant de l’abbaye d’aulps
+ Giovanni martino spanzotti (attribué à), La lactation de saint Bernard, huile sur bois, début du XVie siècle (église abbatiale d’Hautecombe). ce panneau est le seul vestige d’un triptyque qui devait originellement se trouver dans la chapelle d’estavayer. saint bernard porte l’habit blanc des cisterciens, qui leur vaut le surnom de « frères blancs ».
Le plus ancien manuscrit connu relatif à la fondation de l’abbaye est une charte de donation + de 1121, par laquelle Gauthier d’Aix, seigneur savoyard membre de la prestigieuse famille de Seyssel, fait don d’une terre aux moines d’Aulps pour y installer un prieuré. Le texte de cette charte situe le lieu d’implantation au lieu-dit Altacomba, près du château de Cessens, probablement à quelques kilomètres au nord du village actuel. Ce nom de « Haute-Combe » découle d’une caractéristique du
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Patrimoines Pour demain Hautecombe
… toute une histoire
Hautecombe... toute une histoire Hautecombe – Altacumba en latin, Altacomba en italien –, importante GILLES SOUBIGOU abbaye cistercienne des rives du lac du Bourget rayonna, du XIIe au CONSERVATEUR XIXe siècle, sur un vaste territoire partagé entre influences italienne et DES MONUMENTS française. Touchée par les soubresauts politiques qui animèrent cette HISTORIQUES (DRAC RHÔNE-ALPES) région des Alpes, cette communauté reflète également le destin complexe des ordres religieux médiévaux, puis modernes et contemporains. Le choix de la « Royale Maison de Savoye », comme l’appelle Samuel Guichenon au XVIIe siècle, d’y établir une nécropole familiale a été déterminant tout au long de son histoire et c’est aux descendants de cette famille qu’il devait revenir, au XIXe siècle, de restaurer l’abbaye et d’en assurer la préservation et la transmission aux générations postérieures. Les origines (XIIe siècle) Dans les premières années du XIIe siècle, un petit groupe de moines issu de l’abbaye SainteMarie d’Aulps (actuelle Haute-Savoie) fonde un prieuré au lieu-dit Hautecombe, dans le pays de l’Albanais. Au XVe siècle, lorsque les moines d’Hautecombe compilèrent les récits de leurs origines dans un manuscrit aujourd’hui conservé à Turin, intitulé De fundatione sancte religionis Ordinis Cisterciensis et gestis aliquibus Beati Roberti abbatis et de fundatione Altecumbe, ils établirent la chronologie suivante, généralement reprise par les auteurs postérieurs : les moines d’Aulps, installés depuis 1101 dans la montagne de Cessens, reçurent en 1125 la visite de Bernard de Clairvaux + qui les intégra dans l’ordre cistercien. Les moines virent alors une lumière mystérieuse leur indiquer un site situé de l’autre côté du lac du Bourget et décidèrent de s’y transporter pour y fonder leur monastère. La réalité historique est, bien entendu, plus complexe à établir et la chronologie des événements reste floue. Néanmoins, quelques documents permettent de mettre ce récit mythique des origines à l’épreuve de l’Histoire.
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+ copie de la charte de fondation du prieuré d’Hautecombe en 1121, parchemin, XViiie siècle (annecy, archives départementales de la Haute-savoie, sa 180). Le document original, perdu, est connu par cette copie provenant de l’abbaye d’aulps
+ Giovanni martino spanzotti (attribué à), La lactation de saint Bernard, huile sur bois, début du XVie siècle (église abbatiale d’Hautecombe). ce panneau est le seul vestige d’un triptyque qui devait originellement se trouver dans la chapelle d’estavayer. saint bernard porte l’habit blanc des cisterciens, qui leur vaut le surnom de « frères blancs ».
Le plus ancien manuscrit connu relatif à la fondation de l’abbaye est une charte de donation + de 1121, par laquelle Gauthier d’Aix, seigneur savoyard membre de la prestigieuse famille de Seyssel, fait don d’une terre aux moines d’Aulps pour y installer un prieuré. Le texte de cette charte situe le lieu d’implantation au lieu-dit Altacomba, près du château de Cessens, probablement à quelques kilomètres au nord du village actuel. Ce nom de « Haute-Combe » découle d’une caractéristique du
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PATRIMOINES POUR DEMAIN HAUTECOMBE
Le chantier en images
Le chantier en images L’abbaye d’Hautecombe a fait l’objet d’un très important chantier de reconstrucSÉNANT tion par la maison de Savoie à partir de 1824. Depuis cette époque, les nombreux FRANCK INGÉNIEUR DU PATRIMOINE bâtiments du site ont bénéficié d’un entretien courant et, au début du XXIe siècle, (DRAC RHÔNE-ALPES) la question de leur restauration est devenue une priorité. En effet, les toitures de l’abbaye, certaines maçonneries, les menuiseries, les sculptures et des peintures présentaient un état sanitaire et de conservation préoccupant, engageant un risque pour la pérennité du site. Des problèmes de sécurité sont également apparus, tant pour les personnes que pour les différents immeubles qui constituent l’abbaye. Un programme d’ouverture au public de certains espaces a nécessité des travaux de mise aux normes. Voilà maintenant dix ans que l’abbaye d’Hautecombe fait l’objet d’un grand chantier de restauration exceptionnel qui assurera sa sauvegarde et sa transmission aux générations futures.
Un diagnostic est commandé à l’architecte en chef des monuments historiques, Jean-François Grange-Chavanis, en 2003. Ce travail permet d’identifier l’ensemble des pathologies et des désordres qui menacent l’édifice. Des solutions adaptées sont alors proposées pour le projet de restauration. Le principal chantier de l’abbaye concerne la restauration des charpentes et couvertures des bâtiments conventuels et de l’église. Compte tenu de l’ampleur des travaux à réaliser, l’opération doit être réalisée en plusieurs phases divisées en plusieurs tranches fonctionnelles. Ce chantier, débuté en 2004 par l’aile Est, devrait s’achever par le clocher de l’église en 2018. La connaissance de l’édifice est complétée par un diagnostic sanitaire des appartements royaux. Des sondages stratigraphiques en recherche de décors et une analyse des papiers peints du XIXe siècle qui habillent l’enfilade des chambres et salons de l’appartement alimentent cette étude.
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Le chantier en images
Le chantier en images L’abbaye d’Hautecombe a fait l’objet d’un très important chantier de reconstrucSÉNANT tion par la maison de Savoie à partir de 1824. Depuis cette époque, les nombreux FRANCK INGÉNIEUR DU PATRIMOINE bâtiments du site ont bénéficié d’un entretien courant et, au début du XXIe siècle, (DRAC RHÔNE-ALPES) la question de leur restauration est devenue une priorité. En effet, les toitures de l’abbaye, certaines maçonneries, les menuiseries, les sculptures et des peintures présentaient un état sanitaire et de conservation préoccupant, engageant un risque pour la pérennité du site. Des problèmes de sécurité sont également apparus, tant pour les personnes que pour les différents immeubles qui constituent l’abbaye. Un programme d’ouverture au public de certains espaces a nécessité des travaux de mise aux normes. Voilà maintenant dix ans que l’abbaye d’Hautecombe fait l’objet d’un grand chantier de restauration exceptionnel qui assurera sa sauvegarde et sa transmission aux générations futures.
Un diagnostic est commandé à l’architecte en chef des monuments historiques, Jean-François Grange-Chavanis, en 2003. Ce travail permet d’identifier l’ensemble des pathologies et des désordres qui menacent l’édifice. Des solutions adaptées sont alors proposées pour le projet de restauration. Le principal chantier de l’abbaye concerne la restauration des charpentes et couvertures des bâtiments conventuels et de l’église. Compte tenu de l’ampleur des travaux à réaliser, l’opération doit être réalisée en plusieurs phases divisées en plusieurs tranches fonctionnelles. Ce chantier, débuté en 2004 par l’aile Est, devrait s’achever par le clocher de l’église en 2018. La connaissance de l’édifice est complétée par un diagnostic sanitaire des appartements royaux. Des sondages stratigraphiques en recherche de décors et une analyse des papiers peints du XIXe siècle qui habillent l’enfilade des chambres et salons de l’appartement alimentent cette étude.
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Paroles d’expert
« Un patrimoine vraiment européen » Jean-François Grange-Chavanis, architecte en chef des monuments historiques, s’est vu confier depuis 2003 la restauration de l’abbaye d’Hautecombe. Consacré à un ensemble patrimonial exceptionnel, un chantier singulier sur lequel – entre analyse des spécificités du lieu et considérations sur le métier qu’il exerce – il revient dans cet entretien.
L’architecte en chef est un peu le médecin des monuments historiques. Quand, en 2003, vous avez été chargé de l’abbaye d’Hautecombe, quel diagnostic le praticien que vous êtes a-t-il posé ? L’abbaye d’Hautecombe a été fondée il y a plus de huit siècles et si, depuis le grand chantier mené au début du XIXe siècle par le roi Charles-Félix, des travaux avaient été menés, globalement, les bâtiments avaient surtout souffert d’un manque d’entretien. Les toitures, en particulier, n’avaient pas été vraiment restaurées depuis 1830, si bien que la dégradation des charpentes et couvertures avait entraîné de très nombreuses infiltrations. À côté de ces désordres lourds, de nombreux chantiers secondaires étaient nécessaires, s’agissant par exemple, en termes de sécurité, des circuits électriques, la plupart fort vétustes.
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JEAN-FRANÇOIS GRANGE-CHAVANIS ARCHITECTE EN CHEF DES MONUMENTS HISTORIQUES
Vous l’avez dit, l’histoire de l’abbaye couvre plus de huit siècles. Comme tous les monuments anciens, les bâtiments ont conservé des « strates » de différentes époques : cette « stratigraphie » vous a-t-elle posé des problèmes particuliers ? Pour l’essentiel, non, dans la mesure où les toitures datent des XVIIIe et XIXe siècles... les « strates » les plus anciennes ont donc été recouvertes, en quelque sorte, par les grands travaux de Charles-Félix. Reste qu’il s’agit bien d’une abbaye ancienne, et non d’un édifice du XIXe siècle ! Au demeurant, si les architectes sardes ont « revisité » à leur façon l’art gothique dans l’église, il ne s’agit pas là du gothique réinventé un peu plus tard par Eugène Viollet-le-Duc, mais d’un gothique décoratif contemporain de ce style qu’en peinture on appelle « troubadour ». D’ailleurs, le futur roi
est venu à Hautecombe avant même la Révolution française – il est né en 1765 – et il a autant été influencé par le XVIIIe siècle finissant que par les mouvements apparus après 1800. En revanche, le sentiment patrimonial dont il témoigne est bien de son temps, comme l’attestent les fouilles qu’il a fait entreprendre dans l’église, transformée en faïencerie pendant la première « annexion » française. L’abbaye est un ensemble monumental qui, non seulement a conservé sa fonction d’origine – elle est toujours occupée par une communauté religieuse – mais qui accueille aussi, chaque année, des dizaines de milliers de visiteurs. Quelles contraintes entraîne le fait que le site soit ainsi occupé ? Dans un site occupé, les entreprises doivent naturellement tenir compte des personnes qui y vivent ou qui y viennent à titre temporaire ainsi que des activités qui s’y déroulent. À Hautecombe, le chantier s’est adapté aux horaires de la communauté – ainsi, les travaux sur la couverture de l’église s’arrêtent au moment des offices – et les entreprises quittent les lieux au moment de la pleine saison touristique ou lors des grands rassemblements qu’accueille l’abbaye. En réalité, c’est une question d’organisation et je me félicite que nous ayons pu trouver avec la communauté du Chemin-Neuf un mode de fonctionnement harmonieux.
Si certains chantiers en site occupé peuvent poser des questions complexes, ce n’est pas le cas à Hautecombe, dans la mesure où, en dehors de la belle saison, le site est très calme ; par ailleurs, un des avantages – et non le moindre ! – est que, compte tenu de la présence de la communauté, nous sommes assurés de toujours trouver quelqu’un de compétent sur le site... c’est appréciable !
« Il ne s’agit pas là du gothique réinventé un peu plus tard par Eugène Violletle-Duc, mais d’un gothique décoratif contemporain de ce style qu’en peinture on appelle “troubadour”. »
Quelles ont été, depuis 2003, les différentes phases de travaux ? Et quelles sont les phases restant à réaliser ? Après l’étude préalable, qui a mis en évidence la nécessité d’intervenir sur l’ensemble des charpentes et couvertures, nous avons commencé par les bâtiments qui regardent vers le lac et par le phare ; nous avons ensuite traité la grande aile et intervenons désormais, en cette année 2015, sur l’église ; d’ici à 2018, nous espérons bien terminer ce chantier des couvertures en restaurant le clocher. Ensuite, il faudra s’occuper des statues de la façade XIXe siècle de l’église : la fragilité de la pierre – un calcaire trop tendre du Midi – a imposé
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Paroles d’expert
« Un patrimoine vraiment européen » Jean-François Grange-Chavanis, architecte en chef des monuments historiques, s’est vu confier depuis 2003 la restauration de l’abbaye d’Hautecombe. Consacré à un ensemble patrimonial exceptionnel, un chantier singulier sur lequel – entre analyse des spécificités du lieu et considérations sur le métier qu’il exerce – il revient dans cet entretien.
L’architecte en chef est un peu le médecin des monuments historiques. Quand, en 2003, vous avez été chargé de l’abbaye d’Hautecombe, quel diagnostic le praticien que vous êtes a-t-il posé ? L’abbaye d’Hautecombe a été fondée il y a plus de huit siècles et si, depuis le grand chantier mené au début du XIXe siècle par le roi Charles-Félix, des travaux avaient été menés, globalement, les bâtiments avaient surtout souffert d’un manque d’entretien. Les toitures, en particulier, n’avaient pas été vraiment restaurées depuis 1830, si bien que la dégradation des charpentes et couvertures avait entraîné de très nombreuses infiltrations. À côté de ces désordres lourds, de nombreux chantiers secondaires étaient nécessaires, s’agissant par exemple, en termes de sécurité, des circuits électriques, la plupart fort vétustes.
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JEAN-FRANÇOIS GRANGE-CHAVANIS ARCHITECTE EN CHEF DES MONUMENTS HISTORIQUES
Vous l’avez dit, l’histoire de l’abbaye couvre plus de huit siècles. Comme tous les monuments anciens, les bâtiments ont conservé des « strates » de différentes époques : cette « stratigraphie » vous a-t-elle posé des problèmes particuliers ? Pour l’essentiel, non, dans la mesure où les toitures datent des XVIIIe et XIXe siècles... les « strates » les plus anciennes ont donc été recouvertes, en quelque sorte, par les grands travaux de Charles-Félix. Reste qu’il s’agit bien d’une abbaye ancienne, et non d’un édifice du XIXe siècle ! Au demeurant, si les architectes sardes ont « revisité » à leur façon l’art gothique dans l’église, il ne s’agit pas là du gothique réinventé un peu plus tard par Eugène Viollet-le-Duc, mais d’un gothique décoratif contemporain de ce style qu’en peinture on appelle « troubadour ». D’ailleurs, le futur roi
est venu à Hautecombe avant même la Révolution française – il est né en 1765 – et il a autant été influencé par le XVIIIe siècle finissant que par les mouvements apparus après 1800. En revanche, le sentiment patrimonial dont il témoigne est bien de son temps, comme l’attestent les fouilles qu’il a fait entreprendre dans l’église, transformée en faïencerie pendant la première « annexion » française. L’abbaye est un ensemble monumental qui, non seulement a conservé sa fonction d’origine – elle est toujours occupée par une communauté religieuse – mais qui accueille aussi, chaque année, des dizaines de milliers de visiteurs. Quelles contraintes entraîne le fait que le site soit ainsi occupé ? Dans un site occupé, les entreprises doivent naturellement tenir compte des personnes qui y vivent ou qui y viennent à titre temporaire ainsi que des activités qui s’y déroulent. À Hautecombe, le chantier s’est adapté aux horaires de la communauté – ainsi, les travaux sur la couverture de l’église s’arrêtent au moment des offices – et les entreprises quittent les lieux au moment de la pleine saison touristique ou lors des grands rassemblements qu’accueille l’abbaye. En réalité, c’est une question d’organisation et je me félicite que nous ayons pu trouver avec la communauté du Chemin-Neuf un mode de fonctionnement harmonieux.
Si certains chantiers en site occupé peuvent poser des questions complexes, ce n’est pas le cas à Hautecombe, dans la mesure où, en dehors de la belle saison, le site est très calme ; par ailleurs, un des avantages – et non le moindre ! – est que, compte tenu de la présence de la communauté, nous sommes assurés de toujours trouver quelqu’un de compétent sur le site... c’est appréciable !
« Il ne s’agit pas là du gothique réinventé un peu plus tard par Eugène Violletle-Duc, mais d’un gothique décoratif contemporain de ce style qu’en peinture on appelle “troubadour”. »
Quelles ont été, depuis 2003, les différentes phases de travaux ? Et quelles sont les phases restant à réaliser ? Après l’étude préalable, qui a mis en évidence la nécessité d’intervenir sur l’ensemble des charpentes et couvertures, nous avons commencé par les bâtiments qui regardent vers le lac et par le phare ; nous avons ensuite traité la grande aile et intervenons désormais, en cette année 2015, sur l’église ; d’ici à 2018, nous espérons bien terminer ce chantier des couvertures en restaurant le clocher. Ensuite, il faudra s’occuper des statues de la façade XIXe siècle de l’église : la fragilité de la pierre – un calcaire trop tendre du Midi – a imposé
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PATRIMOINES POUR DEMAIN HAUTECOMBE
Un autre regard
+ Portrait du jeune Alphonse de Lamartine.
Un haut lieu de la littérature romantique « Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière / Et près des flots chéris MICHEL KNEUBÜHLER qu’elle devait revoir / Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre / CHARGÉ D’ENSEIGNEMENT Où tu la vis s’asseoir ! »... ces vers de Lamartine +, publiés en 1820 (UNIVERSITÉ LUMIÈRE-LYON 2) dans ses Méditations poétiques, sont plus que célèbres. Toutefois, on connaît moins le roman autobiographique que, sous le titre Raphaël. Pages de la vingtième année, il fit paraître en 1849. Transcendée par le souvenir, sa prose poétique y livre le récit de l’idylle que, trente-trois ans plus tôt, alors tombé « dans des abîmes de tristesse », il partagea pendant quelques mois avec la belle Julie Charles, venue soigner sa tuberculose à Aix-les-Bains. L’abbaye d’Hautecombe, encore en ruine en 1816, offre son décor à cette œuvre toute imprégnée du romantisme alors en vogue dans la littérature française.
+ A. Champod, Hautecombe, lithographie publiée par Perrin à Chambéry, s. d. [v. 1860] (collection particulière).
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Soucieux de bien montrer, comme l’affirme l’incipit du livre, qu’« il y a des sites, des climats, des saisons, des heures, des circonstances extérieures tellement en harmonie avec certaines impressions du cœur que la nature semble faire partie de l’âme et l’âme de la nature », Lamartine évoque, dès les premières pages, l’ancien monastère : « [...] L’abbaye de Haute-Combe, tombeau des princes de la maison de Savoie, s’élève sur un contrefort de granit au nord, et jette l’ombre de ses vastes cloîtres sur les eaux du lac. Abrité tout le jour du soleil par la muraille du mont du Chat, cet édifice rappelle, par l’obscurité qui l’environne, la nuit éternelle dont il est le seuil pour ces princes descendus du trône dans ses caveaux. Seulement, le soir, un rayon du soleil couchant le frappe et se réverbère un moment sur ses murs comme pour montrer le
port de la vie aux hommes, à la fin du jour. Quelques barques de pêcheurs sans voiles glissent silencieusement sur les eaux profondes sous les falaises de la montagne. La vétusté de leurs bordages les fait confondre par leur couleur avec la teinte sombre des rochers. Des aigles aux plumes grisâtres planent sans cesse au-dessus des rochers et des barques, comme pour disputer leur proie aux filets ou pour fondre sur les oiseaux pêcheurs qui suivent le sillage de ces bateaux le long du bord [...] ».
Un jour, Julie – dans son roman, Lamartine, alias Raphaël, a conservé pour son héroïne le prénom de sa bien-aimée – demande à des bateliers de l’emmener sur le site de l’ancienne abbaye + ; mais la tempête se lève et l’embarcation, secourue par le bateau où a pris place Raphaël, trouve refuge au pied des ruines ; Hautecombe devient ainsi le cadre plus que romantique d’une des scènes majeures du roman, qui voit les deux jeunes gens découvrir leurs penchants réciproques : « La jeune étrangère s’embarquait aussi quelquefois, au milieu du jour, pour des courses moins prolongées. Les bateliers, fiers de la conduire et attentifs aux moindres symptômes de fraîcheur, de nuage ou de vent qui pouvaient apparaître dans le ciel, avaient bien soin de la prévenir : ils préféraient sa santé et sa vie au
salaire de leurs journées perdues. Une seule fois, ils se trompèrent. Ils lui avaient promis une traversée et un retour faciles pour aller visiter les ruines de l’abbaye de Haute-Combe, située sur le bord opposé. Ils avaient à peine franchi les deux tiers de leur route qu’une rafale de vent, sortant des gorges étroites de la vallée du
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Un autre regard
+ Portrait du jeune Alphonse de Lamartine.
Un haut lieu de la littérature romantique « Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière / Et près des flots chéris MICHEL KNEUBÜHLER qu’elle devait revoir / Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre / CHARGÉ D’ENSEIGNEMENT Où tu la vis s’asseoir ! »... ces vers de Lamartine +, publiés en 1820 (UNIVERSITÉ LUMIÈRE-LYON 2) dans ses Méditations poétiques, sont plus que célèbres. Toutefois, on connaît moins le roman autobiographique que, sous le titre Raphaël. Pages de la vingtième année, il fit paraître en 1849. Transcendée par le souvenir, sa prose poétique y livre le récit de l’idylle que, trente-trois ans plus tôt, alors tombé « dans des abîmes de tristesse », il partagea pendant quelques mois avec la belle Julie Charles, venue soigner sa tuberculose à Aix-les-Bains. L’abbaye d’Hautecombe, encore en ruine en 1816, offre son décor à cette œuvre toute imprégnée du romantisme alors en vogue dans la littérature française.
+ A. Champod, Hautecombe, lithographie publiée par Perrin à Chambéry, s. d. [v. 1860] (collection particulière).
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Soucieux de bien montrer, comme l’affirme l’incipit du livre, qu’« il y a des sites, des climats, des saisons, des heures, des circonstances extérieures tellement en harmonie avec certaines impressions du cœur que la nature semble faire partie de l’âme et l’âme de la nature », Lamartine évoque, dès les premières pages, l’ancien monastère : « [...] L’abbaye de Haute-Combe, tombeau des princes de la maison de Savoie, s’élève sur un contrefort de granit au nord, et jette l’ombre de ses vastes cloîtres sur les eaux du lac. Abrité tout le jour du soleil par la muraille du mont du Chat, cet édifice rappelle, par l’obscurité qui l’environne, la nuit éternelle dont il est le seuil pour ces princes descendus du trône dans ses caveaux. Seulement, le soir, un rayon du soleil couchant le frappe et se réverbère un moment sur ses murs comme pour montrer le
port de la vie aux hommes, à la fin du jour. Quelques barques de pêcheurs sans voiles glissent silencieusement sur les eaux profondes sous les falaises de la montagne. La vétusté de leurs bordages les fait confondre par leur couleur avec la teinte sombre des rochers. Des aigles aux plumes grisâtres planent sans cesse au-dessus des rochers et des barques, comme pour disputer leur proie aux filets ou pour fondre sur les oiseaux pêcheurs qui suivent le sillage de ces bateaux le long du bord [...] ».
Un jour, Julie – dans son roman, Lamartine, alias Raphaël, a conservé pour son héroïne le prénom de sa bien-aimée – demande à des bateliers de l’emmener sur le site de l’ancienne abbaye + ; mais la tempête se lève et l’embarcation, secourue par le bateau où a pris place Raphaël, trouve refuge au pied des ruines ; Hautecombe devient ainsi le cadre plus que romantique d’une des scènes majeures du roman, qui voit les deux jeunes gens découvrir leurs penchants réciproques : « La jeune étrangère s’embarquait aussi quelquefois, au milieu du jour, pour des courses moins prolongées. Les bateliers, fiers de la conduire et attentifs aux moindres symptômes de fraîcheur, de nuage ou de vent qui pouvaient apparaître dans le ciel, avaient bien soin de la prévenir : ils préféraient sa santé et sa vie au
salaire de leurs journées perdues. Une seule fois, ils se trompèrent. Ils lui avaient promis une traversée et un retour faciles pour aller visiter les ruines de l’abbaye de Haute-Combe, située sur le bord opposé. Ils avaient à peine franchi les deux tiers de leur route qu’une rafale de vent, sortant des gorges étroites de la vallée du
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Patrimoines Pour demain Hautecombe
Un autre regard
Hautecombe en héritage Sauf entre 1793 et 1826, l’abbaye d’Hautecombe a toujours abrité SŒUR SONIA BÉRANGER une communauté religieuse. Les cisterciens, qui la fondèrent au ANCIENNE SUPÉRIEURE DE L’ABBAYE XIIe siècle, l’occupèrent pendant plus de six cents ans avant d’en être chassés par la Révolution française puis réinstallés par le roi de Sardaigne Charles-Félix ; les bénédictins prirent leur suite durant sept décennies, de 1922 à 1992, date à laquelle le monastère fut confié à la communauté du Chemin-Neuf. Sœur Sonia Béranger, ancienne supérieure de l’abbaye, évoque dans ces pages la découverte du site par ses actuels occupants ainsi que le dialogue qu’ils entretiennent avec ces lieux tout à la fois chargés d’histoire et de spiritualité. « Crois-en mon expérience : tu trouveras quelque chose de plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers t’enseigneront ce que tu ne pourrais apprendre des plus grands maîtres » : Hautecombe est un lieu où il est aisé de vérifier la pertinence de cette célèbre citation de saint Bernard. Isolée sur la côte sauvage du lac du Bourget, l’abbaye apparaît en effet comme un joyau déposé dans un vaste écrin de nature.
côté du lac, en Albanais, quelques moines reçurent en 1135 la visite de l’abbé de Clairvaux qui les invita à embrasser la réforme de Cîteaux. Par ailleurs, une lumière divine s’élevant la nuit aurait indiqué un promontoire rocheux de la rive Ouest du lac comme étant le lieu où leur communauté devait s’installer. C’est ce qui fut fait : les moines quittèrent leur première retraite d’Hautecombe et en emportèrent le nom de l’autre côté du lac où ils fondèrent un nouveau monastère cistercien.
Sous le signe de saint Bernard On rapporte que ce serait à saint Bernard luimême et à une inspiration divine que l’on doit l’implantation en ce lieu d’un monastère qui fut d’abord cistercien. Installés jusqu’alors de l’autre
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Il est impossible de vérifier la véracité historique de ce récit mais une chose est sûre : dans ce lieu où la beauté de la création invite à la contemplation et conduit à la prière, de très nombreuses personnes ont accueilli une lumière
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Patrimoines Pour demain Hautecombe
Un autre regard
Hautecombe en héritage Sauf entre 1793 et 1826, l’abbaye d’Hautecombe a toujours abrité SŒUR SONIA BÉRANGER une communauté religieuse. Les cisterciens, qui la fondèrent au ANCIENNE SUPÉRIEURE DE L’ABBAYE XIIe siècle, l’occupèrent pendant plus de six cents ans avant d’en être chassés par la Révolution française puis réinstallés par le roi de Sardaigne Charles-Félix ; les bénédictins prirent leur suite durant sept décennies, de 1922 à 1992, date à laquelle le monastère fut confié à la communauté du Chemin-Neuf. Sœur Sonia Béranger, ancienne supérieure de l’abbaye, évoque dans ces pages la découverte du site par ses actuels occupants ainsi que le dialogue qu’ils entretiennent avec ces lieux tout à la fois chargés d’histoire et de spiritualité. « Crois-en mon expérience : tu trouveras quelque chose de plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers t’enseigneront ce que tu ne pourrais apprendre des plus grands maîtres » : Hautecombe est un lieu où il est aisé de vérifier la pertinence de cette célèbre citation de saint Bernard. Isolée sur la côte sauvage du lac du Bourget, l’abbaye apparaît en effet comme un joyau déposé dans un vaste écrin de nature.
côté du lac, en Albanais, quelques moines reçurent en 1135 la visite de l’abbé de Clairvaux qui les invita à embrasser la réforme de Cîteaux. Par ailleurs, une lumière divine s’élevant la nuit aurait indiqué un promontoire rocheux de la rive Ouest du lac comme étant le lieu où leur communauté devait s’installer. C’est ce qui fut fait : les moines quittèrent leur première retraite d’Hautecombe et en emportèrent le nom de l’autre côté du lac où ils fondèrent un nouveau monastère cistercien.
Sous le signe de saint Bernard On rapporte que ce serait à saint Bernard luimême et à une inspiration divine que l’on doit l’implantation en ce lieu d’un monastère qui fut d’abord cistercien. Installés jusqu’alors de l’autre
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Il est impossible de vérifier la véracité historique de ce récit mais une chose est sûre : dans ce lieu où la beauté de la création invite à la contemplation et conduit à la prière, de très nombreuses personnes ont accueilli une lumière
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Guide de visite
« Avec ses effets de clair-obscur, son orfèvrerie de pierre blanche (de Seyssel) et de plâtre, ses tombeaux vides, ses statues, ses bas-reliefs, ses ogives à dentelles, ses colonnes torses, son lacis de nervures et de feuillages aux voûtes à fond d’azur, son stuc, ses fioritures, cet édifice fait une impression indécise et contradictoire. Tantôt on pense à un joujou, à un gâteau de Savoie, à une confiserie, tantôt à une réminiscence de l’Alhambra, à une imitation de Saint-Denis ; cela semble trop coquettement fleuri pour une église, trop jeune et trop battant neuf pour un mémorial des gloires de la Savoie, trop dépourvu de cendres pour sa forme de chapelle funéraire et d’ossuaire princier. D’autre part, cela est élégant, brillant, imprévu [...] » Henri-Frédéric Amiel, Journal intime. L’année 1857, Paris, L’Âge d’Homme, 2012 [coll. « Poche suisse » ; dimanche 27 septembre 1857].
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Annexes
PAtRiMoinEs PouR dEMAin HAutEcoMbE
« Ce lieu rappelle les sites de l’Europe les plus mélancoliques en même temps que les paysages les plus rians [sic] et les plus variés. La beauté du monument élevé dans cette solitude, l’aspect des rochers qui dominent l’Abbaye, sa séparation absolue de tout autre lieu habité, la perspective des eaux immobiles du lac, les majestueux souvenirs dont ces lieux sont remplis, tout, dans cette position vraiment romantique, se réunit pour frapper l’imagination et remplir l’âme des sensations les plus opposées. » François-Marie Vibert Notice historique et descriptive sur la royale abbaye d’Hautecombe, Chambéry, Routin, Bottero et Alessio, 1826.
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PATRIMOINeS POuR DeMAIN HAuTeCOMBe
Annexes
Les auteurs CLAIRE AUBARET
SOPHIE OMÈRE
FRANCK SÉNANT
Titulaire du diplôme de premier cycle et du Master II « métiers du patrimoine » de l’École du Louvre ainsi que d’une licence de lettres modernes, elle est actuellement, à la DRAC Rhône-Alpes, chargée de la protection au titre des monuments historiques pour la Savoie, la Haute-Savoie et la ville de Lyon.
Historienne de l’art, spécialiste des jardins, elle a travaillé à la Conservation départementale du patrimoine de l’eure avant d’être nommée en 2012 conservatrice des monuments historiques à la DRAC Rhône-Alpes. elle a collaboré à deux ouvrages parus en 2013 dans la même collection : La Maison de la culture de Firminy et Lyon. La cathédrale SaintJean-Baptiste (Éditions La passe du vent).
Diplômé de l’École régionale des Beaux-Arts de Rennes (option « design et architecture intérieure »), il est aujourd’hui ingénieur du patrimoine à la DRAC Rhône-Alpes. Correspondant du ministère de la Culture pour le patrimoine maritime, spécialiste de l’histoire des paquebots, il a publié avec Frédéric Ollivier et Aymeric Perrot, À bord des paquebots. 50 ans d’arts décoratifs (Norma, 2011) et a été commissaire de plusieurs expositions.
SŒUR SONIA BÉRANGER
Membre de la communauté du CheminNeuf depuis vingt-trois ans, elle fit partie des quinze jeunes qui, peu après le départ des moines bénédictins en 1992, arrivèrent à Hautecombe pour y vivre la première année de formation proposée dans ce lieu. elle prononce ses vœux définitifs en 2001. Responsable de l’abbaye et du centre de formation entre 2007 et 2014, elle contribue actuellement, à Londres, à la création de la communauté de Saint-Anselme.
PHILIPPE RAFFAELLI
Historien, spécialiste de l’histoire régionale alpine, conservateur des antiquités et objets d’art de la Savoie, il est également, au sein de la Direction des archives, du patrimoine et des musées du Département de la Savoie, conservateur en chef de la Conservation départementale du patrimoine. Auteur d’articles sur le patrimoine savoyard, il est aussi le rédacteur en chef de La Rubrique des patrimoines de Savoie.
SYLVIE CLAUS
Archiviste-paléographe, elle est actuellement directrice-adjointe des Archives départementales de la Savoie. elle a publié sur plusieurs fonds d’archives de ce département et contribue régulièrement à La Rubrique des patrimoines de Savoie. MARIE-PIERRE FEUILLET
Conservatrice du patrimoine, archéologue, spécialiste de castellologie médiévale, elle est en charge de la Savoie et de la Haute-Savoie au Service régional de l’archéologie (DRAC Rhône-Alpes).
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JEAN-MARIE REFFLÉ
Photographe dans les services régionaux de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France (Alsace puis Rhône-Alpes), il rejoint en 2002 le centre d’information et de documentation de la DRAC Rhône-Alpes. Ses photographies ont été reproduites dans de nombreux ouvrages publiés par l’Inventaire ou les Éditions La passe du vent. Il collabore également à de nombreuses expositions ou publications consacrées notamment aux arts du cirque.
GILLES SOUBIGOU
Historien de l’art, spécialiste de l’art du XIXe siècle, il est actuellement conservateur des monuments historiques à la DRAC Rhône-Alpes. Auteur de plusieurs publications françaises et internationales sur les relations entre la littérature et les arts visuels, il a co-dirigé l’ouvrage Visible et lisible. Confrontations et articulations du texte et de l’image (Paris, Nouveau Monde, 2007) et a collaboré aux ouvrages Conditions de l’œuvre d’art de la Révolution française à nos jours (Lyon, Fage, 2011) et Vestiges de guerres en Lorraine. Le patrimoine des conflits mondiaux (Metz, Serpenoise, 2011). Il assure la direction scientifique de la collection « Patrimoines pour demain » (Éditions La passe du vent).
Le chantier de restauration des toitures des bâtiments abbatiaux (2004-2021) Saint-Pierre-de-Curtille (Savoie) Abbaye d’Hautecombe Monument historique classé (liste de 1875)
Entreprises 1. échafaudages : Lyon Échafaudage (Reventin-Vaugris, Isère)
Propriétaire Fondation d’Hautecombe
2. charpentes et couvertures : euro Toiture (Sainte-Hélène-sur-Isère, Savoie)
Début des travaux 2004
3. maçonneries : Jacquet Lyon (estrablin, Isère)
Fin des travaux 2021 (clocher de l’église abbatiale)
4. coordonnateur sécurité protection santé : Franck Dompnier (Fontcouverte-la-Toussuire, Savoie)
Maîtrise d’ouvrage Fondation d’Hautecombe : sœur Marie Mondesert
Coût total prévisionnel des travaux 9 180 000 euros TTC
Maîtrise d’œuvre Jean-François Grange-Chavanis, architecte en chef des monuments historiques
dont État (Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Rhône-Alpes) 3 672 000 euros
Vérificateur Philippe Tinchant
Département de la Savoie 3 672 000 euros
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L’abbaye d’Hautecombe #4 PATRIMOINES
POUR DEMAIN
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Comité de pilotage DRAC Rhône-Alpes : Jean-Pierre Commun ; Frédéric Henriot ; Jean-Marie Refflé ; Gilles Soubigou Éditions La passe du vent : Michel Kneubühler ; Jamel Morghadi ; Thierry Renard Rédaction Claire Aubaret, sœur Sonia Béranger, Sylvie Claus, Marie-Pierre Feuillet, Michel Kneubühler, Sophie Omère, Philippe Raffaelli, Jean-Marie Refflé, Franck Sénant, Gilles Soubigou Secrétariat de rédaction et relecture Michel Kneubühler Crédits photographiques Jean-Marie Refflé (DRAC Rhône-Alpes/CID) sauf : Archives d’Aix-les-Bains DRASSM (Marseille) Musées de Chambéry Claire Aubaret (DRAC Rhône-Alpes/CRMH) Cesare Diego/Archives de l’Assessorat de l’éducation et de la culture de la Région autonome Vallée d’Aoste – fonds du Catalogue, biens historiques, artistiques
et architecturaux/avec l’autorisation de la Région autonome Vallée d’Aoste Jean-François Laurenceau (CDAOA/Département de la Savoie) Juliette Pozzo (DRAC Rhône-Alpes/CRMH) Gilles Soubigou (DRAC Rhône-Alpes/CRMH) Conception graphique et mise en page atelier Perluette, Lyon (www.perluette-atelier.com) Direction scientifique Gilles Soubigou Coordination éditoriale Michel Kneubühler Ouvrage édité avec le concours du ministère de la Culture et de la Communication (DRAC Rhône-Alpes) Achevé d’imprimer en juin 2015 par l’imprimerie Chirat, Saint-Just-la-Pendue Numéro d’imprimeur : 201311.0050 Dépôt légal : juin 2015
L’abbaye d’Hautecombe
L’abbaye d’Hautecombe
« Et je m’assis rêveur sur une pente sombre D’où le cloître à mes yeux se dessinait dans l’ombre, Et je me demandai : que sont venus chercher Dans cette solitude et sur ce bord austère, Ceux qui peuplent les murs de ce toit solitaire Posé comme un nid d’aigle au penchant du rocher ? »
pour demain
Hautecombe, c’est d’abord, sur les rives du lac du Bourget, un site admirable chanté par Lamartine. C’est aussi une abbaye à la riche histoire, que les cisterciens fondèrent au XIIe siècle, à laquelle, dans les années 1820, Charles-Félix, roi de Sardaigne, donna un nouveau lustre et qui, de nos jours, continue d’abriter une communauté religieuse. C’est encore le « Saint-Denis de la Savoie », où sont inhumés bien des membres de cette dynastie qui, pendant près d’un millénaire, exerça son autorité sur les deux versants des Alpes. Depuis 2003, une vaste campagne de restauration redonne tout son éclat à cet édifice majeur du patrimoine rhônalpin, tout à la fois lieu de mémoire de l’histoire européenne et la plus italienne des abbayes françaises.
patrimoines
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Jean-Pierre Veyrat, Station poétique à l’abbaye de Haute-Combe (1847).
isBn : 978-2-84562-273-9
pour demain
12 €
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