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ISBN 978-2-84562-299-9
9 782845 622999 25 €
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Michel Calzat − Fatoumata Keïta
Je me souviens d’un rêveur qui chantait le fleuve. Il disait que le fleuve est source de bonheur. De bonheur mais aussi d’espoir inouï.
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J’aimais cet homme qui chantait le fleuve
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Photographies de Michel Calzat Textes de Fatoumata Keïta
10/21/16 13:02
Avec la collaboration et le soutien de l’Espace Pandora 7 place de la Paix 69200 Vénissieux
L'ensemble des photographies prises par le photographe Michel Calzat ont été réalisées entre 2012 et 2016 sur les bords du fleuve Djolibà à Ségou, et chez les Bozos du village de Géini. Merci à mon ami et guide, Mamadou Kélépély.
Keïta (Fatoumata).- Calzat (Michel).- J’aimais cet homme qui chantait le fleuve-. « La Callonne » – 01090 Genouilleux, Éditions La passe du vent, novembre 2016 94 p., ill., 20 x 21 cm.- ISBN 978-2-84562-299-9 Ouvrage composé avec la police PT Sans, corps 11, sur papier intérieur Couché Condat Silk/Mat Blanc 150 grammes, couverture Carte/Couché Integra Blanc 300 grammes
J’aimais cet homme qui chantait le fleuve
Photographies de Michel Calzat Textes de Fatoumata KeĂŻta
« Moussa, c'est bien ta pensée et tes fidèles héros, l'inspecteur Habid et son fidèle Sosso, qui m'ont accompagné et guidé vers le fleuve Djolibà, à Ségou et chez les Bozos. Mon Ami Moussa, que la terre Malienne te soit désormais légère ». Michel Calzat
« Nuit, ô nuit, te voilà donc revenue. Même si la lune et les étoiles rayonnent de joie à ta vue, Même si le chacal et le hibou chantent leur bonheur, Même si les hommes exténués se reposent enfin, Nuit, ô nuit, je te dis : va, va-t’en vite, Retourne d'où tu viens. Laisse le soleil inonder le ciel de sa divine clarté, Laisse les oiseaux emplir l'espace de leurs doux murmures, Laisse mon cœur retrouver son sourire […] Nui, ô nuit, va, va pour que la vie, ma vie revienne ». Moussa Konaté, Meurtre à Tombouctou
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Souvenir Je me souviens d’un rêveur qui aimait le fleuve. Il disait que le fleuve est source de bonheur. De bonheur mais aussi d’espoir inouï. Qu’avec lui, la joie ne dit jamais au revoir. Qu’avec lui, chaque matin appelle l’espoir. Le fleuve rassemble ceux qui respirent la vie, pour à leur subsistance pourvoir ; il embellit nos villes et relie les rêves, chantait-il. Cet homme qui aimait le fleuve se nommait grand-père. Il avait toujours un air rêveur. Le soir, me disait-il, quand le soleil se mire dans les yeux de l’eau, avant d’aller mourir au coin du ciel, le fleuve sur ses berges répand la paix et l’amour. Il m’a gavé de joies et d’histoires, cet homme qui aimait le fleuve. Allongé dans son hamac, il nous faisait comprendre que le fleuve unifie les régions qu’il longe ou traverse et apporte les morceaux des uns dans le logis des autres. C’est pourquoi, lui, il le chante ; car il force l’admiration de ceux qui le contemplent et écoutent ses murmures. Il porte sur son flanc le progrès à travers les champs, les rizières et les potagers qu’il nourrit. Il rassemble les êtres vivants et les invite à la fête. Je me souviens de ce sage qui, sa flûte suspendue à ses lèvres, jouait pour le fleuve. Grâce au fleuve, disait-il dans ses refrains, les ponts sont possibles. Des ponts pour nous voir. Des ponts pour nous croiser. Des ponts pour nous rencontrer. Des ponts pour nous écouter. Des ponts pour nous sentir. Des ponts pour nous parler. Des ponts pour nous comprendre. Des ponts pour nous aimer. Des ponts pour nous unir et pour donner à l’humanité ses fruits. J’aimais cet homme qui chantait le fleuve. Il aimait le fleuve qui vivifie les cœurs, abreuve les amours et assure la survie de l’humanité. Moi j’aime les ponts sans lesquels la liaison des rives est pénible. Fatoumata Keïta, Vendredi 15 janvier 2016
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Et si nous faisions le plein ? Le plein d’amour et de romance Pour mieux soigner nos âmes ravagées Par ces vents violents de ces jours poussiéreux ! Et si nous faisions le plein ? De nos cœurs malmenés par les échos malheureux Douloureuses vibrations des moments sans idylle ! Et si nous faisions le plein ? Le plein de force et de résistance Pour croquer ces jours de terreur Que l’on veut maitresse de nos fantaisies Et si nous faisions le plein ? Le plein de photos, de tableaux, de fantaisies Le plein de rêves, d’amour, de rires et de folies Pour mieux rêver nos lendemains !
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Fleuve Niger ou Djoliba Il était une fois une source qui partagea le lait de son sein Juteux entre les enfants d’une partie de l’Afrique Occidentale. Comme un boa majestueux, il serpenta d’abord le Mali Puis se dirigea vers le Niger auquel il donna son nom. Il traversa villes, villages et hameaux et arriva au Nigeria Où il se jetait à l’océan, essoufflé par sa course effrénée. Cette source qui marqua de son pas géant le cours de notre vie S’appelle fleuve Niger, surnommé Djoliba ou Issa beri. Artère nourricières de milles vies que tu ravitailles Ici, on te respecte pour tes bienfaits Et t’appelle Badjoliba, mère Djoliba,
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Là-bas, au levant1, ton autre nom est Issa beri. Sur les routes du possible vers le Sahara, tu charries Pirogues, pinasses chargées de monde, d’animal Et d’articles divers. Djoliba, Issa Beri ou fleuve Niger, Tu restes le même chef-d'œuvre Pour nourrir les vies, et charmer les amours Cavalier à la jambe longue de quatre mille deux cent kilomètres Tu nous combles de joies immenses Et nous remplis d’heureuses romances. 1. Levant pour désigner le Nord du Mali constitué des régions de Gao, de Tombouctou et de Kidal. Ici au sud du Mali, ces trois régions sont désignées par le vocable l’EST.
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La brise du soir promet de guérir les cœurs On ne peut empêcher une voix d’or De chanter d’élégantes beautés Comme on ne peut interdire aux courtisans D’apprécier de gracieuses merveilles Sur les berges du Djoliba, le murmure des flots enchante les cœurs Sur les berges du Djoliba, les pêcheurs tiennent marché Sur les berges du Djoliba, les femmes bozo Marchandent le poisson frais et fumée Capitaines frais séchés, silures fumés, homme courbé1 Voici toute la moisson d’une vie vécue à la dérobée Mais, du présent des hommes Que reste-t-il de leur passé ? Les métiers, les vocations, les passions Les rêves, les habitudes ou les légendes ! On les partage habilement, les passe souvent en héritage Qui peut empêcher le bozo de croire à Bafaaro La déesse de l’eau, faiseuse de belles moissons C’est ça aussi l’œuvre du Djoliba, les croyances Qui se muent en certitude pour l’éternité
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On a toujours la force de faire revivre Les empires glorieux pour s’inspirer des vestiges du passé On ne manque pas de résistance pour tenir éveiller Les convictions qui font respirer l’encens de la sécurité La fraicheur de la jeunesse s’altère sur les ailes des ans Le souffle du passé demeure dans notre vie éternellement. Tant de souvenirs dans le bleu turquoise des eaux du Niger Tant de mélancolie dans le vert cristal des yeux d’Issa Beri Tant de nostalgie dans la démarche du Djoliba qui s’étire Auguste cultivateur qui se dirige vers l’infinie Sans attendre les temps de belles récoltes. Nostalgie et mélancolie sont des amies inséparables Mais la brise fraiche du soir sur les berges du Djoliba Promet de guérir les cœurs et de les remplir de bonheur.
1. Expression populaire pour désigner le silure fumé.
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Badjoliba Mère généreuse qui allaite ses enfants et ceux des autres Qui est à l’origine de tant de légendes et de fabuleux contes de fées Qui donnes tant, à tant de choses de plantes et de vies Qui canalises avec charité, l’ardeur de ces pêcheurs bozos Veilleurs solitaires qui, le soir venu, caressent le ventre de la nuit À la recherche de pitance dans ton cours Tu es pour nous la mère de toutes les mers Badjoliba ! Beauté qui souris au rythme des pagaies des pêcheurs Et reçois sur sa poitrine ferme les séants des pirogues J’entends les rires s’échapper de tes rameurs J’entends les pleurs s’élever de tes clameurs Badjoliba ! Cavalier désinvolte À la démarche svelte mais rebelle selon les saisons Au regard émeraude et furieux en quelques régions Pourras-tu dire aux gens de Markala1 pourquoi tu détestes les étrangers? Pourras-tu nous conter l’histoire de tes grandes déchirures ? L’histoire de ces caravaniers courtisans des terres d’Afrique ? De ces tribus que tu as absorbées dans ta course affolée ?
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Badjoliba ! Toi qui as bercé la vie de mille enfants des pays riverains Chante-nous des berceuses pour la mémoire de demain Dis-nous comment ils te courtisent, ces pêcheurs bozos Qui guettent les signes de bafaaro, la déesse de l’eau. Badjoliba ! Toi qui irrigues le cœur des rizières et l’âme des potagers Qui abreuves le cheptel comme une amante généreuse Qui t’offres aux humains et leur accorde un sursis Qui assainis ménages, femmes, hommes et enfants Merci à toi ! Merci pour tes dons pour notre survie.
1. Ville du Mali situé dans la quatrième région, Ségou, du Mali. Dans cette ville, on rapporte que les étrangers se noient fréquemment dans les eaux du fleuve Niger.
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Fils du fleuve à Michel & à Fatoumata « Ce n'est pas pour rien qu'on a surnommé Mopti la Venise du Soudan : toutes ses activités sont plus ou moins liées à la vie du fleuve et au rythme de ses crues. Les Bozos qui sont les plus anciens occupants du lieu, fabriquent à la main ces longues et merveilleuses pirogues que l'on voit fendre silencieusement les eaux et dont certaines sont capables de transporter des tonnes de marchandises. Peuple de pêcheurs et de chasseurs, ils sont les maîtres de l'eau traditionnels de toute la région » Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel, l’enfant Peul « On prend de grands airs, nous les hommes, mais on connaît, dans le secret du cœur, l’hésitation, le doute, le chagrin… » Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage
Nous sommes tous les fils d’un fleuve, c’est certain. Nous sommes, même, les fils du fleuve. À Bamako, à Mopti, et encore à Ségou. Et il n’y a rien à ajouter. Je suis d’ici et pourtant je viens d’ailleurs Les princesses n’ont pas le nez qui coule Terre du Mali terre accueillante divisée et contradictoire J’entends ta musique qui monte de la rue
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C’est la rumeur qui ose dire son nom et au grand jour se montrer Terre du Mali aujourd’hui tu reçois mes paroles et aussi celles de ma fille Arrivée nocturne en Afrique. Jour et nuit se mélangent. Moiteur de l’air. Temps mitigé. Saison des pluies. Retrouvailles entre amis. Odeur de l’air, parfum des vents, couleurs du temps. Ici on dit qu’il a plu quelque part. Et, c’est juste, il a plu quelque part. Jour et nuit se confondent. J’ai retrouvé des visages connus et des souvenirs épars, des kyrielles d’images, folles, légères et troubles à la fois. J’ai gardé la mémoire des lieux, peut-être pas celle des noms. Il y a Senghor, pourtant, en voisin amical. Et il y a cette foule, nombreuse, des anonymes. Bamako, dans sa musique, éclatante capitale où toujours je me sais attendu. Matin de pluie. L’autre visage du Mali et du monde existant. Je n’avais pas connu cela auparavant : courts, imprévus et violents instants de pluie. L’eau traverse le toit et coule dans la chambre. Je me réfugie sur mon lit, le coin est à l’abri. Je ne serai jamais un grand aventurier. Plutôt un observateur attentif, un passant considérable. L’humidité déforme les livres. Là, ils ondulent. Le temps passe, et je suis un écrivain debout. Le temps passe et la pluie cesse. Les fleurs oranges des flamboyants se déposent sur les tables basses de la terrasse extérieure. Moment de répit, de quiétude absolue. Les mouches ne sont pas encore revenues.
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Grand jeu. Deux heures de retard sur l’Europe. Nous avons connu le calme après l’orage, un peu de temps suspendu. Ouest, grand Ouest africain. Pays sans mer, mais au long fleuve que finissent par remonter toutes les espérances, des plus claires aux plus opaques. Vivre, immobile, sans attache, c’est ça l’idée. L’épreuve de la sieste, vers quinze heures, après le déjeuner. Quelques pages lues avant de fermer les paupières. Quelques idées en tête. Puis c’est l’absence, la vérité. On ne sait plus vers quoi se retourner. Ce qu’on nous raconte à propos d’ici n’est qu’en partie exact, en partie seulement. Ici, nous vivons des temps d’un extrême et durable désordre. L’Afrique, c’est chic. Et le vent chasse les moustiques. Quand le soleil revient, la vie reprend ses droits. Et nous avons navigué, quelques heures durant, sur le fleuve. Lenteur, silence, panoplie des jours oubliés, vaste nonchalance et nomenclature des paysages. J’ai presque tout résumé. Et, encore, comme par magie, nomenclature des visages simplement croisés, ou réellement rencontrés. Depuis hier j’avais totalement perdu la notion du temps. J’étais resté sans écrire et sans lire. Bien sûr, je n’ai pas tout raconté. Cela viendra en son temps. J’ai pris des notes et j’ai, surtout, laissé faire, laissé venir à moi le jour. Nous sommes tous les fils du fleuve… À Bamako, à Mopti et à Ségou. Que peut-on ajouter à cela ? Maintenant, les clichés du photographe et les vers de l’auteure se mêlent pour toujours. Ils nous souhaitent la bienvenue.
Thierry Renard Bamako, le 28 juin 2012 ; Vénissieux, le 21 septembre 2016
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Michel Calzat, photographe
Après l'ouvrage La sentinelle du Fleuve, Édition Hivernage, 2006, avec les textes d'Antoine Martin, après l'exposition Sénégal Pays Sérère, sur les pas de Léopold Sédar Senghor en 2008, après l'édition du livre Les poussieères du vent se lèvent tôt, aux Éditions La passe du vent, 2012, Michel Calzat poursuit son voyage photographique en Terre Africaine. Ses voyages successifs au Mali nous transportent cette fois, sur les rives du fleuve Niger Djolibà entre Bamako et Ségou. C'est une vision apaisée, sereine, du fleuve et de ses populations, les Bozos, que le photographe nous invite à découvrir. Saison des pluies, saison sèche, Michel Calzat joue avec l'harmonie des couleurs, les paysages linéaires du fleuve et les ambiances feutrées de Ségou. C'est une invitation à la découverte d'un Mali authentique, inspirée des écrits d'Amadou Hampâthé Bà et de Moussa Konaté ; c'est dans cet esprit qu' il a souhaité provoquer un écho poétique avec l’auteure Malienne Fatoumata Keïta.
Fatoumata Keita, auteure
Née en 1977 à Baguinéda, au Mali, Fatoumata Keïta est administratrice de l’action sociale. Diplômée en socio-anthropologie et en socio-économie du développement, elle est l’auteure de Crise sécuritaire et violences au Nord du Mali, 2014, Sahélienne ; À toutes les Muses (Éditions du Manden, 2014) ; Sous fer (Roman, Sahélienne/Harmattan 2013) ; Polygamie gangrène du peuple (Nouvelle, NEA 1998 )… Lauréate du 2e prix de la première Dame du meilleur Roman féminin à la seconde édition de la Biennale des Lettres de Bamako, Fatoumata Kéïta est aujourd’hui une valeur sûre de la littérature africaine. Un immense talent confirmé par son premier roman, Sous Fer. Lauréate du prix Massa Makan Diabaté 2015 de la Rentrée littéraire du Mali et du 2e prix du meilleur roman de l’Afrique de l’Ouest.
Maquette et mise en page Myriam Chkoundali Photographies © Michel Calzat
Achevé d'imprimer par Pulsio.net - UE Novembre 2016 Dépôt légal 2016
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ISBN 978-2-84562-299-9
9 782845 622999 25 €
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Michel Calzat − Fatoumata Keïta
Je me souviens d’un rêveur qui chantait le fleuve. Il disait que le fleuve est source de bonheur. De bonheur mais aussi d’espoir inouï.
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Photographies de Michel Calzat Textes de Fatoumata Keïta
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