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Arango (Gonzalo).- Premier Manifeste Nadaïste et autres textes.© Pour l’édition en langue française.- Genouilleux, Éditions La passe du vent, 2019.118 p., 14 x 20,5 cm.- ISBN : 978-2-84562-345-3
GONZALO ARONGO
Premier Manifeste Nadaïste et autres textes
Sélection de textes et postface par Philippe Ollé-Laprune Préface de Jotamario Arbeláez Traduction du castillan (Colombie) par Vincent Gimeno-Pons
Avertissement du traducteur D’emblée, une petite précision s’impose pour ne pas nous taxer de multiplier les « coquilles », tout du moins l’espérons-nous : des textes originaux de Gonzalo Arango, nous aurons conservé, pour en respecter l’esprit, l’orthographe choisie par l’auteur : ainsi, souvent, des noms propres ne portent pas de majuscules et certaines phrases commencent par une minuscule. Il arrive également que des mots communs prennent des majuscules. Nous avons aussi choisi de traduire quelques néologismes inventés par Gonzalo Arango : ils demeurent en italique dans le texte en français.
Préface Le prophète des nouvelles ténèbres Jotamario Arbeláez – Maman, qu’as-tu fait pour que je naisse ? – Rien, mon fils, tu es le fruit du hasard. – Pourquoi n’as-tu pas fait de ton fils un moine fanatique ou bien un potier exemplaire ? – Mais, fils, on naît poète comme on naît avec un nombril. – Je ne suis pas poète, je suis le prophète des nouvelles ténèbres.1 Ainsi parlait Gonzalo Arango, notre Zarathoustra des Andes, Antioquia (1931-1976), auquel un jour un perroquet souffla la brillante idée de fonder le mouvement nadaïste (1958), sans doute le plus fracassant et inutile des mouvements sur cette terre appauvrie en butte à l’obscurantisme de l’esprit humain. Tué pour la gloire de la nuit par le lever du jour, en raison de ses négations, il se souvient avoir été totalement insignifiant jusqu’à l’âge de vingt et un ans, lorsqu’il fit faire sa carte d’identité : on ne l’avait pas pris en photo. Il s’exprimait exclusivement par le truchement d’un terrorisme verbal – qui, pour peu, nous aurait conduits au procès-verbal d’une guerre – tissé sur les bases du meilleur de Dada de Tristan Tzara2 et de Jan Arp3 et du pire de l’existentialisme de Jean-Paul Sartre4 et d’Albert Camus5, le plus démodé du futurisme de Filippo Tommaso Martinetti6 et d’Ardengo Soffici7, le plus automatique du surréalisme 1. Œuvre noire, Carlos Lohlé, Buenos Aires, 1974, N. 14. 2. « Nous ne sommes pas des directeurs de cirque et nous sifflons dans les vents des foires ». 3. « Blanc signifie la même chose qu’au revoir, ou bien, quand je m’éveillerai comme une fleur avec des œillères ». 4. « Ma passion, c’est d’écouter les hommes ». 5. « Le nihiliste n’est pas celui qui ne croit en rien, mais celui qui ne croit pas en ce qui existe ». 6. « Venez donc, joyeux incendies de doigts carbonisés ». 7. « Jeunesse, tu passeras comme tout s’achève au théâtre ». –7–
d’André Breton8, de René Crevel9 et de Dalí10 et le plus épidermique de la Beat Generation de Kerouac11, Ginsberg12 et Burroughs13, également malnutri par l’unique chose que nous avions reçue de notre patrie, à savoir une littérature vernaculaire et la violence pour seule nourriture. Il le formula dans un modeste manifeste imprimé sous forme de feuillet, assisté par Alberto Escobar (19402009). Ce dernier lui avait présenté Amílcar U (1940-1985), qui était chargé de retracer les mécanismes de démolition des poésies fossilisées et la praxis du nouvel enchantement poétique, tandis que Gonzalo se régalait en concrétisant la philosophie du déchaînement et les méthodes de propagande du scandale. Aussitôt, ils furent accompagnés par une bande de jeunes collectifs messianiques, pour la plupart poètes en âge d’être encore mineurs, kamikazes du mot, prêts à lutter contre toutes les divinités des cieux et de la terre. Un jour, Amílcar en eut assez d’un pays aussi insipide que la Colombie – où l’on commençait pourtant, à le prendre pour un génie –, il partit avec quelques-uns des siens à New York. Il se passa cinquante-quatre longues années après la mise en orbite de notre « génial inventique »14 et trente-six après la mort du prophète15, les survivants de l’aventure ont également disparu. Pour plus d’informations : Amílkar16, Darío 8. « L’acte surréaliste le plus simple consiste à sortir dans la rue en saisissant un revolver et à tirer au hasard dans la foule ». 9. « Et toi, mon corps, maudis les sentiments comme un infirme ses béquilles ». 10. « Considérant que la liberté la plus douce pour un homme qui vit sur terre consiste à pouvoir vivre, s’il le souhaite, sans nul besoin de travailler ». 11. « Zen est la nuit illuminée par la lune quand je me promène jusqu’au lac et que la lune me suit au sud ; et toi tu chemines sur la berge haute du lac et la lune te suit au nord. Lequel de nous deux la véritable lune suit-elle ? ». 12. « J’ai vu les meilleurs esprits de ma génération détruits par la folie ». 13. « Souviens-toi que tout n’est qu’illusion. Mais, dans la mesure du possible, les illusions tâchent de se transformer en faits réels, pour vaincre ainsi sur la durée ». 14. Terme utilisé par tous tout au long de leurs vies pour désigner le mouvement. 15. On a réédité la quasi-totalité de son œuvre : Sexo y saxofón (Sexe et saxophone), Prosas para leer en una silla eléctrica (Prose à lire sur une chaise électrique, Teatro y Correspondencia violada (Théâtre et correspondance violée), dans Intermedio : Última pagina (Intermède : Dernière page), à l’Université d’Antioquia. Et El pensamiento vivo (La pensée vive), anthologie de Juan Carlos Vélez. –8–
Lemos, Guillermo Trujillo, Alberto Escobar, Jaime Espinel, de Medellin ; Diego León Giraldo, Alfredo Sánchez, Samuel Ceballos et Augusto Hoyos, de Cali ; et le Nadaïste de Carthagène : nous poursuivons tous le même discours, sans pouvoir comptabiliser d’autres transformations que celles que nous subissons en nousmêmes. Et je ne parle pas là de celles du temps, qui sont celles du corps – la goutte, la calvitie et la prostate – mais bien plus de ces substrats internes qui se frottent à l’immanence : le soulèvement jusqu’au pacifisme, la sagesse du cœur et les réverbérations de l’âme. Nous n’avons pas réussi à changer le monde, mais nous le fracassons encore mieux que la majorité de nos moines les plus sauvagement réprimés. Et nous sommes là, prostrés dans un coin, avec, pour la plupart d’entre nous, de nouveaux volumes explosifs sous le coude : Eduardo Escobar, Patricia Ariza, Álvaro Medina, Elmo Valencia, Jotamaria et notre éditeur Juan Domingo, à Bogota ; à Medellin x-504, ainsi soit-il, Jaime Jamarillo Escobar ; à Cali, Jan Arb ; à Bucaramanga, Pablus Gallinazo ; à San Andrés, Dina Merlini et, aux États-Unis, Armando Romero, Malmgren Restrepo, Dukardo Hinestrosa et Rafael Vega, chacun s’employant à démontrer qu’il a une œuvre de plus. Et nous avons de jeunes alliés dans toutes les villes de Colombie et, plus encore, dans le monde. Les treize premières années, Gonzalo Arango les consacra avec ses moines – c’est ainsi qu’il nous dénommait – à mettre en route la machine de la destruction, par des manifestes d’artillerie pestilentielle, des épîtres convocables, des actes de panique, des bacchanales cardinales, une littérature dépassée de blasphèmes et un journalisme de survivant, jusqu’à ce que, à l’âge de quarante ans, sous le soleil de l’île de Providence, il se tourne, non vers le dieu de son enfance mais vers tous les dieux, parce que la direction qu’il avait prise était celle de la notion d’un Dieu, avec son acolyte et ami Samuel Ceballos, « Le Pirate », qui, en plus, lui avait donné la communion mais cette fois avec une hostie sous forme de mescaline ;
16. Orthographe conforme au texte original (NdT). –9–
et il crucifia immédiatement l’amour dans la souche d’une passante anglaise nommée Angelita, qui finit par extirper de lui le démon, ainsi que les diaboliques Nadaïstes par la même occasion ; elle brûla les textes d’archives qui sentaient le soufre, elle le supplia jusqu’à ce qu’il arrête la cigarette, la viande et sa qualité originelle, celle qui avait servi à engloutir le monde de la communication à la vitesse des télex : sa noble prose était le rendu pour sa poésie. Dès lors, il n’écrivit plus que des textes convertibles, ni prose ni poésie, mais dans lesquels il pensait sauver le monde. Sa vie spirituelle dura cinq longues années – « dépourvue de toute importance nationale »17 – à base de cannabis plutôt que de tabac, de sexe des anges plutôt que du troisième ennemi de l’âme après le monde et le démon. Il parvint à publier son livre Providencia18, la Bible du nouvel Adam qui, à parution – selon ce qu’il nous prédisait –, ferait disparaître les frontières, ferait que les présidents des nations deviendraient des hippies, que les commerçants donneraient leurs entreprises aux ouvriers, que la haine disparaîtrait sur terre, que l’on enterrerait les bombes, que l’ozone redeviendrait de l’air, et que la terre se transformerait en un jardin fleuri. Seulement, pour la première et dernière fois, l’auteur inspiré et désormais dépouillé volontairement de tout, allait être le témoin d’une pluie d’or. Le marché était saturé par l’œuvre d’un autre imagier contemporain, également fils de télégraphiste et d’une tribu de douze enfants, qui, après tant d’années de servitude à ingérer des excréments, parvint au miracle de les transformer en or, avec Cent ans de solitude19. L’unique fois où les prophéties de Gonzalo Arango ne s’accomplirent pas, ce fut lorsqu’il ne les fit pas en son propre nom, mais au nom de Dieu. Est-ce celui-là même qui demanda à Jonas de prédire la destruction de Ninive, et lorsque le prophète – convaincu par la baleine – le fit à 17. « Ma vie publique a expiré », Œuvre noire. 18. « Providence », avec des dessins d’Angelita, Plaza & Janés, 1972. 19. Son premier article sérieux qui annonçait l’avènement du grand écrivain Gabriel García Marquez fut publié dans El Colombiano par Gonzalo Arango en 1957. Et une autre note avisée pour le génie de Fernando Botero, son condisciple de lycée. – 10 –
contrecœur, Dieu leva la sanction de pluie de feu promise sur la ville hautaine, et il ne resta plus au prophète frustré qu’à aller s’asseoir à l’ombre d’un ricin ? Aux côtés d’Angelita sa rédemptrice, notre prophète des nouvelles ténèbres allait droit au même dessein vers le monastère de la ville de Leyva où tout une communauté les accueillit, en n’espérant plus toutefois le Nobel de littérature mais celui de la paix, lorsqu’un éclair du démon, sous forme d’une fanfaronnade, entra par la fenêtre du taxi et se fracassa sur sa tête. Désormais, le monde est plein de prophètes des nouvelles ténèbres, prêts pour que s’accomplisse l’Apocalypse du Livre où vont l’amble Yahvé et Jésus Christ, adulés par des juifs et des chrétiens, maîtres et voisins de la Grande Pomme, et l’annonce du Jour du Jugement par Mahomet, prophète des croyants mahométans. Dans le Coran, il clame (Sourate 70. Versets 7-1020) : Seigneur, ton châtiment Seigneur aura bien lieu. Nul ne saura l’empêcher. Ce jour-là, le ciel se disloquera totalement, et les monts se mettront en ordre de marche Ô, contestataires, malheur à vous qui vous nourrissez de la discussion ! (Ce jour-là vous serez invités, inexorablement, à vous rendre vers le feu de l’enfer). On leur dira : ceci est le feu auquel vous ne croyiez pas ! Est-ce de la sorcellerie ou bien vous n’y voyiez pas ? Brûlez en lui. Ayez patience ou non. Pour vous autres, c’est pareil : on vous paie pour ce que vous avez fait !
Saint Jean n’en est pas moins pathétique ou concordant sur l’île de Patmos, dans le livre de la Révélation (Chapitre 6. Versets 14-1721) :
20. « Alors que Nous le voyons bien proche, / Le jour où le ciel sera comme du métal en fusion, / Et les montagnes comme de la laine, / Où nul ami dévoué ne s’enquerra d’un ami » (NdT). 21. « Le ciel se retira comme un livre qu’on referme / toutes les montagnes et les îles furent déplacées. / Les rois de la terre et les grands, les chefs d’armée, les riches et les puissants, tous les esclaves et les hommes libres allèrent se cacher dans les cavernes et les rocs des montagnes. / Et ils disaient aux montagnes et aux rocs : “Tombez sur nous, et cachez-nous du regard de Celui qui siège sur le trône ainsi que de la colère de l’Agneau. / Car il est venu, le grand jour de sa colère, et qui pourrait subsister ?” » (NdT). – 11 –
Le ciel disparut comme un papier qui s’enroule, et les îles et les montagnes se retirèrent de leur place. Et les rois du monde se cachèrent dans les cavernes et entre les rocs des montagnes, aux côtés des grands, les chefs militaires, les riches, les puissants et tous les esclaves et les hommes libres ; et ils disaient aux montagnes et aux rocs : tombez sur nous et cachez-nous de la présence de Celui qui est assis sur le trône, et de la colère de l’Agneau ! Parce que le grand jour du châtiment est arrivé, et qui pourra y résister ?
Notre comportement n’a jamais rien eu de comparable à celui des fondamentalistes religieux, sauf en créant le Nadaïsme. Rien à voir non plus avec des prédicateurs religieux d’ailleurs, à moins que l’on confonde le Nadaïsme et une religion postmoderne. Si nous avons vécu tant de lustres adossés à la poésie, qui est la langue des religions, c’était pour une raison divine : nous nous étions réservé le dernier mot. Nous nous rendons compte que la guerre qui se déclare contre l’islam n’est pas une guerre de deux puissances économiques et territoriales, comme elle avait cours lors des guerres mondiales et du temps de la guerre froide, mais une guerre de dieux contre des dieux, de dieux contre des démons, de démons contre des dieux, ou de démons contre des démons. Après cette guerre, Allah le solitaire, le clément, d’une part, ou le rab de Yahvé et de son fils d’autre part, finiront par régner pour l’éternité qu’ils auront créée, mais sur les ruines de leur création sans aucun roi en perspective, et les fidèles ou fanatiques d’aucun – les athées encore moins –, ne parviendront à nous dire lequel ou lesquels en sortira victorieux. L’unique vainqueur universel doit être Satan – Iblîs ou Lucifer – qui règne sur l’enfer des deux religions et qui conservera toutes les âmes pour continuer à les brûler, comme elles le furent ces derniers temps sur cette planète maladroite. À moins que le mouvement Nadaïste, qui en a vu de toutes les couleurs avec Dieu et le diable comme tant d’êtres humains et inhumains, se propose d’intervenir dans cette querelle. De la même façon, nous fûmes aussi pieux aux temps de l’influence des révérends Mohamed Ali, Martin Luther King et Robert Zimmermann22, le musulman, le chrétien et le juif nord-américain 22. Un jour, il faudra déterminer s’il s’agit bien de Bob Dylan. – 12 –
avec le plus d’ardeur au cœur. Pour autant, nous avons toujours courbé l’échine pour ces deux livres sacrés. Nous connaissons les écritures et vivons les prophéties. Las des crépitements des flashs du monde, nous finirons par être convertis en une société si secrète que nul ne saura nous dévoiler. Nous ne fûmes pas pour rien compagnons du prophète des nouvelles ténèbres, celui des Andes, que nous avons suivi comme l’Antéchrist et que nous avons enterré il y a trente-six ans comme s’il s’agissait d’un aspirant en odeur de sainteté. Bogota, février 2013.
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Premier Manifeste NadaĂŻste (1958)
I Définition du Nadaïsme Selon un concept très limité, le Nadaïsme est une révolution dans la forme et le contenu de l’ordre spirituel qui prévaut en Colombie. Pour la jeunesse, c’est un état schizophrène-conscient contre les états passifs de l’esprit et de la culture. Si vous me demandiez une définition plus précise, je ne saurais vous dire ce que c’est, puisque toute définition implique sa limite. Son contenu est très vaste, c’est un état de l’esprit révolutionnaire, qui dépasse toutes sortes de prévisions et possibilités. Pourriez-vous me dire ce qu’est le Catholicisme ? ou le Marxisme ? – Qu’est-ce que le choix de l’âme à des fins supérieures ? – Et qu’est-ce que la politique, sinon vouloir fonder une société universelle sur les bases du bonheur humain avec d’identiques opportunités économiques et spirituelles pour tous ? Ces réponses sont partiales, incomplètes, puisque le Catholicisme et le Marxisme sont cela, et tout le reste : un savoir-faire historique de l’homme dont l’existence tend vers des fins supraterrestres ou terrestres, selon son choix pour la terre ou les cieux ; une lutte de valeurs pour conquérir une prééminence au plus proche, ou au plus lointain. Nous, nous ne voulons pas travailler sur du définitif. Le Nadaïsme naît sans systèmes figés et sans dogmes. C’est une liberté ouverte aux possibilités de la culture colombienne, avec un minimum de luttes supposées qui évolueront avec le temps vers une valorisation de l’homme, une forme de beauté nouvelle, et une aspiration sans idéalismes romantiques ni métaphysiques, vers une société évoluée, dans l’ordre culturel et artistique.
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II Concept de l’artiste On a considéré l’artiste comme un être plus proche des dieux que de l’homme. Parfois comme un symbole fluctuant entre sainteté et folie. Nous revendiquons l’artiste en le proclamant homme, simplement homme, que rien ne sépare de la condition humaine commune aux autres êtres. Il se distingue simplement des autres par la vertu de son travail et des éléments personnels avec lesquels il façonne son destin. Nous affirmons notre incrédulité face au Génie. L’artiste n’est nullement un Génie. C’est un être privilégié doté de certains pouvoirs exceptionnels et mystérieux dont la nature l’a pourvu. Il y insinue du satanisme, les forces étranges de la biologie, et des efforts conscients de création grâce à des intuitions émotionnelles ou des expériences de l’Histoire de la pensée. Remettons l’artiste à sa place, en lui rendant sa condition humaine et terrestre, sans supériorités abstraites sur les autres hommes. Son destin est un simple choix ou une vocation bien irrationnelle, ou conditionnée par un déterminisme bio-physico-conscient, qui agit sur le monde s’il est politique ; sur la folie s’il est poète, ou sur la transcendance s’il est mystique.
III Nadaïsme et poésie Je tenterais de définir la poésie comme toute action de l’esprit, totalement gratuite et désintéressée de suppositions éthiques, sociales, politiques ou rationnelles que formulent les hommes comme que programmes de bonheur et de justice. Cet exercice de l’esprit créatif, qui est issu de puissances occultes et sensibles, je le restreins au champ d’une subjectivité pure et inutile, un acte solitaire de l’Être. – 18 –
L’exercice poétique ne prétend à aucune fonction sociale ou moralisatrice. Esseulé, c’est un acte qui s’épuise. Au moment où il se produit, il perd son sens, sa transcendance. La poésie est l’acte le plus inutile de l’esprit créatif. Jean-Paul Sartre le définissait comme le choix de l’échec. La poésie est, de par son essence, aspiration à la beauté solitaire. Le vice onaniste le plus corruptible de l’esprit moderne. Sans nul doute, reste-t-il une possibilité de beauté virile dans la poésie colombienne, de beauté inutile et pure, et elle ne peut être que le fruit de l’esthétique Nadaïste. Et la poésie Nadaïste, c’est la liberté qui désordonne ce que la raison organise, tout comme la création va à l’inverse de l’ordre universel et de la Nature. Pour la première fois en Colombie, la poésie est une rébellion contre les lois et les formes traditionnelles, contre les préceptes esthétiques et scolastiques qui sont venus disputer infructueusement la vérité et la définition de la beauté. Dans Les Nourritures terrestres, André Gide rêvait d’un art des mots qui ne tenterait ni d’essayer, ni de rien définir. Une telle prophétie, à l’origine même de la poésie, matérialise la foi créative dans un monde irrationnel et conscient de la poésie Nadaïste, elle qui exclut la polémique, la dialectique, la logique, la rhétorique, le rythme, la rime, la beauté classique, le sentiment, la raison, pour se réduire à la plus simple intuition d’une beauté purifiée et libérée de la satrapie des illusions et des formes, épurée dans un simple schéma, l’onde viscérale de l’esprit créatif irresponsable qui produit simultanément une beauté Consciente-Inconsciente ; Irrationnelle-Conceptuelle ; Onirique-Éveillée ; soit la beauté pur fruit tel un péché originel. Une beauté qui serait protestation et désobéissance à toutes les lois Éthiques-Politiques-Esthétiques-Sociales-Religieuses, un vertige pour braver l’interdit. Parce qu’être poète signifie accepter cette passion coupable et à la fois rédemptrice dérivant de la joie que produit la destruction de l’Ordre Universel. Dans cette destruction, l’esprit se purifie de toutes ses résignations, conformismes divins et révélés qui mènent à la perdition et à l’esclavagisme de l’esprit. – 19 –
Pour la grande cause libre de la poésie, il n’est pas possible, ni licite, ni permis de l’hypothéquer dans des entreprises idéalistes à caractère social ou politique. Ce serait lui donner un caractère légitime, contraire à son genre. La poésie ne saurait se compromettre en s’attribuant des responsabilités spirituelles ou morales au devenir de l’homme et de l’Histoire. Tout à la fois art et science, c’est la politique qui s’en charge ; elle suppose des aspirations de justice et de bonheur, elle est synthèse de valeurs rationnelles. L’émergence de cette nouvelle forme de beauté Nadaïste sera le crépuscule de la beauté classique ; la beauté mesurée et calculée, la beauté posée et inspirée ; le passe-temps de la beauté ; celle enseignée par les professeurs de rhétorique ; la beauté de l’extase céleste ; la beauté lyrique ; la beauté élégiaque ; la beauté épique et pastorale ; cette abomination d’une beauté parnassienne ; celle que conçoivent les poètes imposants et messianiques…, mais surtout, la beauté qui se métamorphose en senteur de femme, cette détestable trahison de la beauté qu’est le romantisme. Séculairement, la poésie colombienne a extrait son caractère divin des pestilences ou des parfums du sexe féminin, ce qui signifie une impureté et une impudeur contre la chasteté de l’art. Plus de concubinage lyrique avec les muses. Ça, ce serait payer la beauté au prix fort, avec de l’argent avili. Comme la poésie Nadaïste est une révolution face à l’esthétique traditionnelle, elle implique la découverte d’une nouvelle esthétique qui s’ouvrira à tous les champs contrôlés sous lesquels un mystérieux monde poétique, occulté, aura survécu : le monde subconscient, tel le réservoir général d’un entrepôt de l’esprit qui pourvoit aux exigences de la conscience. Ces matériaux irrationnels sont des déchets de l’esprit moral, ces bastions rebutants du puritanisme bourgeois. Nous, Nadaïstes, allons les recycler et les ancrer en tant que matière à l’art, tel le gisement d’une richesse inexploitée, avec lesquels nous allons élaborer une beauté pure sans soumission à la dictature de la raison et des interdits d’une rhétorique frigide. – 20 –
La révolution Surréaliste d’André Breton a tenté cette aventure, pour sauver la poésie française de l’académisme ennuyeux où elle était emprisonnée, créant ainsi les bases pour l’expression d’une esthétique libre de suggestions et de préceptes. Breton définissait cette haute mission réformatrice du Surréalisme comme portant la croyance d’une « …réalité supérieure sous certaines formes d’associations dépréciées jusque-là, dans le pouvoir du rêve, dans le jeu désintéressé de la réflexion… ». Dans le poème, afin d’identifier la poésie Nadaïste, il sera nécessaire qu’une raison frigide, de sensibilité intuitive, alterne avec une sensibilité ardente, de Raison Pure déductive. Tout ce qui n’en sera pas sera de la bouillie byzantine, des lourdeurs honteuses de l’académisme ; l’artifice stérile de rhétoriques décadentes ; des résidus rutilants d’esthétiques non encore ensevelies mais déjà pourries ; des cadavres d’une beauté disséquée et conservée pour le mauvais goût, les sens atrophiés, et une propension de l’esprit neutre et eunuque de l’homme colombien pour réagir positivement, virilement, devant les pressantes stimulations de la nouvelle beauté Nadaïste.
IV Nadaïsme et prose Nous comprenons la mission de la prose comme celle d’un instrument expressif au service des concepts. Sa fonction est analytique et dialectique, servant de lit à une réflexion synthétique. Les sciences, la politique, la philosophie, la littérature de thèse, l’économie, le droit et, de manière générale, les sciences expérimentales ainsi que l’esprit en abusent. Notre alarmante question est la suivante : que ferons-nous, nous Nadaïstes, de la prose et de ses insouciants recours à l’expression ? Impossible, ni d’y répondre, ni d’éluder une réponse. Dans la mesure du possible, l’utilisation Nadaïste de la prose consistera en l’emploi d’éléments Non-Rationnels, Non-Conceptuels, – 21 –
ces éléments indéterminés, diffus, égarés dans le monde sensible, pas nécessairement poétiques, pas nécessairement intellectualisés, qui ne sont pas là pour ne pas être perçus mais qui peuvent être induits, et qui passent psychologiquement par une invisible et cependant perceptible ligne équinoxiale de l’esprit. Nous attribuerons à ces éléments des fonctions spécifiques, différentes des coutumes nourries de réalisme empirique, de rationalisme, et de logique académique. Dans la prose Nadaïste, il faut rechercher des contrastes de tons, de couleurs, de significations, d’expressions ; les mêmes effets que recherchent les arts plastiques et la musique pour produire des sensations dépassant la réalité du monde visible et des formes. La prose ne peut continuer d’être un corps de mots organisés dans une conjoncture rationnelle et compréhensible. Il faut qu’elle participe d’une dévertébration irrationnelle. Les exigences rigoureuses de l’intellectualisme et du naturalisme nous ont fait oublier les symboles où réside l’art authentique. La réalité existe déjà immuablement en tant que création divine. Cette réalité divine ne nous intéresse pas par son caractère irrévocable et absolu. Tentation de la liberté face au monde du possible, la réalité humaine constitue la préoccupation intime de l’art véritable, cet art confronté à la Réalité-réelle, celle qui découvre l’esprit créateur. Parce que l’art est en ultime instance, le Non-Divin, le Non-réel, la force qui extrait l’esprit du monde chaotique des éléments diffus de la Nature. Il ne s’agit pas de nous embarquer dans une polémique inutile sur des écoles littéraires pour confronter le symbolisme au réalisme naturaliste. La dispute entre points forts et points faibles ne nous intéresse pas, si elle n’est que comparaison entre écoles. Ce qui nous préoccupe, c’est de rechercher la définition la plus proche du ressenti d’un art nouveau ou les possibilités de le créer. Nous ne voulons pas rechercher des raisons à la réalité, mais ses déraisons. En ce sens, la prose Nadaïste sera l’expression de l’absurde, de l’invraisemblable. Nous aspirons à dénaturer la réalité pour qu’elle – 22 –
livre ses folles et absurdes possibilités, afin de recréer sa réalité au travers de la liberté absurde de l’artiste. Nous n’abandonnerons pas ce monde qui semble, en apparence, tellement irréel mais dont l’essence est réelle. Ne pas abandonner ce monde régi et dominé par un rationalisme vaniteux qui voudrait tout expliquer, mais qui l’explique naïvement par de misérables concepts qui le limitent à des mots, sans se douter que, dans le fond mystérieux de ce monde apparent et bien au-delà des mots, il existe des capacités d’Être frétillantes. Cette suspicion ontologique est dénoncée par Mallarmé quand il dit : Entre l’écume et l’infini Il y a des oiseaux ivres d’existence
Avec un tel usage de la prose, notre mission est d’instruire cette confrontation entre les réalités existantes frappées des sceaux de la raison et du sentiment, et des possibilités de l’absurde. Nous croyons donc en la vérité de l’invraisemblable, et en la réalité de l’irréel. Nous exploiterons ces éléments avec un critère neuf et révolutionnaire : le critère Nadaïste. Qui consiste à décréer ce qui est créé. Opposer la liberté créatrice de l’artiste à celle de Dieu. Et, par cette confrontation entre beauté humaine et Divine, façonner un monde a-Divin qui pût également être probable.
V Nadaïsme : Principe de doute et de vérité nouvelle Partons de la société colombienne exhortée d’une pressante transformation de tous ses ordres spirituels. Cette démarche n’est pas prémisse ni affirmation a priori, mais un corollaire dérivé de l’expérience concrète que nous vivons. En ces temps où les relations humaines sont simulées et accommodantes avec des intérêts hiérarchiques et subalternes, là – 23 –
où la vie de l’homme colombien est un mensonge qui se répète pour soi et dans les relations aux autres, un pacte de conformisme et de résignations scandaleuses, Descartes vit encore en nous de sa sublime lueur, apportant son éclairage sur notre temps. Son grand principe du Doute constitue la meilleure conquête de l’esprit moderne contre la spoliation de la foi et des consolations suggérées par les anciens idéalismes philosophiques et les religions. Son image du monde, qu’il n’admet pas comme authentique sans s’être préalablement confronté à l’expérience, est une formidable image. Nous ferons appel à ce principe du Doute cartésien : toute connaissance, toute vérité ou toute direction de l’homme à ses fins commence par le doute. En notre cas colombien, une image, une représentation véritable de notre situation spirituelle est uniquement possible si nous mettons en doute et entre parenthèses cette image héritée que nous ont léguée les générations antérieures et que, nous, nouvelle génération, ne nous sommes pas préoccupés de savoir si elle était légitime, ou bâtarde, indestructible ou vulnérable. Mouvement révolutionnaire d’une jeunesse qui ne doit rien perdre intellectuellement et matériellement, le Nadaïsme se posera cette question vitale du doute, au nom de cette génération. Et, dans la mesure du possible, il apportera des réponses quant à l’authenticité ou au simulacre de vérités qui nous furent léguées comme certaines, et au travers desquelles, en cette crise de la culture colombienne, nous commençons à douter et les à considérer comme funestes pour l’évolution scientifique et libérale de la culture. Il n’est pas possible d’avoir foi dans le néant, sans courir le risque que cette foi se transforme en mauvaise foi. Et il est vrai que, nous, nous n’avons rien à perdre, puisque cette société ne nous a offert aucune possibilité de nous épanouir indépendamment sans la moindre réserve sur ses préjugés et ses dogmes ; en revanche, nous avons tout à y gagner : le droit d’être libres face au mensonge que l’on nous propose et par lequel la société nous donnerait une rémunération flatteuse en titres, en posture et en monnaie trébuchante.
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XIII Nous ne laisserons aucune foi intacte, Ni aucune idole en place La société colombienne a besoin de cette révolution Nadaïste. Détruire un ordre est pour le moins aussi difficile que le créer. Nous aspirons à discréditer l’existant par l’impossibilité de faire ces deux choses, c’est-à-dire la destruction de l’ordre établi et la création d’un nouvel ordre. Nous n’avons aucun recours économique, ni de moyens humains pour réaliser une telle entreprise de transformation. En initiant ce Mouvement Révolutionnaire, nous accomplissons cette mission de la vie qui se renouvelle cycliquement et qui, en résumé, consiste à lutter pour libérer l’esprit de sa résignation, et défendre la permanence de certaines adorations dans l’instabilité. Dans cette société où « le mensonge se convertit en ordre », il n’y a personne contre lequel triompher, sinon contre soi-même. Et lutter contre les autres signifie leur enseigner comment triompher d’eux-mêmes. En proposant à la jeunesse colombienne ce Mouvement pour qu’elle se compromette dans la lutte révolutionnaire contre l’actuel ordre spirituel et économique du pays, je sacrifie, autant qu’elle, ce que cette société pourrait nous offrir contre notre silence. À l’alternative de la capitulation pour mériter honneurs et récompenses de la société dont nous allons combattre le mensonge, ou à celle d’y renoncer pour sombrer dans le martyre, nous choisissons le martyre telle une vocation, tel l’acte le plus pur et le plus désintéressé de notre liberté intellectuelle. Cette décision admise, notre mission est la suivante : Ne laisser ni aucune foi intacte, ni une idole en place. Tout ce qui est consacré, adulé par l’ordre qui prévaut en Colombie sera revu et corrigé. Nous ne conserverons que ce qui prend la direction de la révolution et qui, par sa consistance indestructible, fonde les ciments d’une société nouvelle. Le reste sera supprimé et détruit. Jusqu’où irons-nous ? Du point de vue de la lutte, la fin importe peu : l’inabouti ne pourrait-il être l’accomplissement d’un Destin ? – 45 –
Schéma pour une définition de mon existence Âge 26 ans 10 15 3 28
Vie biologique en général Enfance inconsciente (Automatisme-Vie AnimaleVégétal). Endormi (Plus de la moitié d’une vie). Ivrognerie, instincts passionnels, rêves, états d’hallucination Déduction : Je ne suis pas né. J’ai été découvert en 2 ans
Années
Vie intellectuelle
15 5 6
Apprendre à lire et à écrire Oublier ce que j’ai appris Autodidacte et nouvel écrivain (Essai-Roman-Poésie)
26 Années
Vie amoureuse et sexuelle
14 5
Chasteté absolue Onanisme, réflexes d’homosexualité larvée complexe d’Œdipe, flagellations phalliques Romantisme amoureux. Connaissance de l’amour physique dans la prostitution. Amour platonique. Amour véritable avec conscience de faute, remords, fugues idéalistes, désespoir et sadisme.
1 3 1 2 2
Mois Dernière période
Récemment, véritable amour, mais frustré par incompatibilités Nadaïstes avec la femme aimée. Nadaïsme sentimental. – 46 –
Années
Vie religieuse
19 2 2
Catholicisme pratiquant, intransigeance et fanatisme. Agnosticisme, indifférentisme. Panthéisme, inquiétudes transcendantes et spirituelles, Doutes. Aliénation de la foi religieuse. Rationalisme, Positivisme, Matérialisme.
3 Dernière période
Nadaïsme
Années
Vie politique
19 4 1
Conservateur. Anarchiste-Libéral. Communiste-Socialiste.
1 1 Dernière
Fasciste (Dictature Rojas Pinilla4). encore Anarchiste.
période
Nadaïsme
Années
Positions philosophiques
1 1 2 2 3 Dernière période
Thomiste-Aristotélicien. Augustinien-Platonicien. Éclectique Rationaliste-Positiviste-Matérialiste (Descartes-Comte-Marx) Existentialiste, Nihiliste. Hédoniste.
Nadaïsme
4. Gustavo Rojas Pinilla, général et homme politique qui instaura une dictature militaire en Colombie de 1953 à 1957, suite à un coup d’État le 13 juin 1953 (NdT). – 47 –
Années 19
2 2 3 Dernière période
Années 6 5 3 2 3 2 2 2 1
Vie sociale et économique Classe moyenne bourgeoise, « bonne famille » puritaine de province (Andes) ; de père bureaucrate conservateur, démissionnaire en 1930 ; puis de profession agraire jusqu’en 1946 ; de nouveau bureaucrate conservateur jusqu’à sa mort. (1953) ; 300 pesos de revenu, et une famille de 13 enfants… (enfance et jeunesse dans la misère). Étudiant en Faculté de Droit ; relations intellectuelles et universitaires. (Fauché) Abandon des études universitaires ; migration de la ville vers la campagne, activités littéraire et agraire. (Fauché) Bourgeoisie intellectuelle et politique. (Confort relatif). Entre prolétariat et bourgeoisie ; situation équivoque avec haine de la bourgeoisie, mais incapable de solidarité avec la classe ouvrière. (Fauché)
Relations humaines Enfance dans des Écoles de Sœurs et Frères Chrétiens. Camarade de classe moyenne et populaire à l’École Publique. Recrue d’une bande de jeunes. Solitude en raison des études secondaires par aspiration à devenir le meilleur de l’École. Solidarité étudiante à l’U. de Antioquia. Coexistence avec des artistes, prolétarisé par la ville, prostitués. Coexistence avec des paysans. Professeur de Littérature Espagnole à l’U. de Antioquia. (Expulsé pour n’avoir pas invoqué le Saint Cœur de Jésus) Relations avec la classe dirigeante politique et militaire.
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Dernières périodes
Solitude quasi permanente : étranges et hétérogènes amitiés : femmes vertueuses, pècheresses, saintes, prostitués, vagabonds, libertins, pédérastes, intellectuels et artistes de tout poil et qualité ; sportifs, joueurs, politiciens et truands, occultes, mages, trafiquants de bijoux, ami intime d’ex-détenus, fugitifs face à la justice, ma propre amitié peu désirable.
Années
Conduite morale
19
Jaloux, égoïste, soumis, mesquin, aimant les vertus théologiques, respectueux des 15 Commandements de la Loi de Dieu et de l’Église. Dévoué, idéaliste généreux, romantique, sincère, sentiment de solidarité et de sacrifice. Ambition de Pouvoir et de Gloire, séducteur de femmes, enclin à la couardise et à la peur, simulateur d’amitié, solitaire, intraverti, réservé dans les sentiments, mythomane, aberrations sexuelles, (sadique), sensible à la flagornerie et à la vanité, intéressé et ambitieux, bohème, exceptionnel, singulier, glauque, exhibitionniste, despotique, pour imposer idées et émotions, expériences héroïques, du style Baudelaire. Joueur à des jeux interdits. Authentique en amitié véritable et en amour véritable. Cela m’empêche d’être un petit monstre abominable.
5 2
Dernière période
Nadaïste. Espoirs de dépassement grâce à une foi et une beauté nouvelles. Mon ultime opportunité !
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Biographie – de Gonzaloarango5 –
poète un bon mètre de haut peintre cicatrices dissimulées vagabond 2 pieds dormir 2 mains amoureux 2 oreilles charmeur 2 yeux battu à coups de crosse de fusil conférencier en drames et soliloques mathématicien en relativité tuberculeux un brin de folie vicié de sainteté buveur de boissons fortes gourmand porte-drapeau de quelques déroutes faux ami amour de l’hiver ennemi fidèle et dévoué acheteur de parapluies grandiose vocation politique scandaleux poseur de jantes de voitures paresseux amateur de tir à blanc lauréat d’affaires parasites ressusciteur de morts ex-fiancé thaumaturge chrétien ex-amant danseur ivre fraprophète cassé
5. Orthographe conforme au texte original (NdT). – 50 –
psychanalyste en exercice sauvé du suicide par lâcheté frénétique dans le lit… des rivières bienheureux et aventurier ex-écrivain gigolo ex-étudiant en droit flamme de chalumeau oxhydrique inspirateur de haine ex-professeur de rhétorique cerveau galvanisé par le génie quarantenaire activité amoureuse au repos paysan par vocation nombril minuscule barque sexe fort protégé stationomètre inconnu et possession de mystères trampoline chasseur à sarbacane substance en souffrance assassin en mode pause soleil roue « pelton » prolégomènes de tous les échecs incitateur d’effets et de propos excommunié faux serments blessé à l’arcade sourcilière dans un bal agoniste cul de bouteille incrusté dans la peau enrôlé pour mener la révolution déserteur de la « patrie naïve » de la beauté narcisse photogénique cliché dépoussiéré dans les journaux 48 kilos de poids organisme défaillant
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L’intention maléfique vous, pour être en train de lire la chronique sociale… les recettes de cuisine et le manuel pour bien se conduire en société… en société… pour demeurer dans le vague en regardant la télévision ou les étoiles… et baver face à des poésies pour miss univers… vous, vous autres, les poètes qui construisez, avec le dictionnaire de rimes, un poème quinzomadaire… vous autres, intellectuels conformistes pour lesquels le nihilisme est plus confortable… vous autres, bureaucrates libéraux et conservateurs qui avez déjà perdu le sens du merveilleux… vous autres, inspecteurs de la morale qui confondez un « ouh la la » avec le marquis de Sade… vous autres, sexologues aux idées figées qui représentez le « ouh la la » comme un phallus abstrait et circulaire… (nous, nous protestons contre vous autres qui vous opposez à la satisfaction des instincts naturels et au droit de légitimer ces instincts par les voies légales de l’imagination)… vous autres, académiciens royaux et spécialistes de la forme, qui ne savez pas ce qui se niche dans les cloaques et qui n’avez jamais regardé un lever du soleil depuis une bouche d’égouts… vous autres, étudiants en civilité et rhétorique qui savez déjà faire rimer un vers pour une prostituée et vous curer le groin avec élégance… vous autres, dames aristocratiques qui dansez sur du Elvis Presley en club et qui levez la jambe pour scandaliser les notaires et les sénateurs de la 2de république… vous autres, magistrats et juges qui légiférez la vie et qui tuez dans l’œuf les instincts vitaux avec de vieilles recettes…
– 53 –
vous autres, notaires qui usurpez la terre aux pauvres pour les riches, avec vos mains d’usuriers et vos cerveaux grisonnants… vous autres, citoyens exemplaires qui vous soûlez dans les bordels et qui faites pénitence religieuse… vous autres, qui vous flagellez à la lueur du soleil devant des tombes et qui accomplissez des actes de pédérastes la nuit venue… vous autres, ceux de la « ligue de la décence » et de la « pureté de l’esprit » qui se scandalisent devant la gorge d’une sculpture et qui ne ressentent aucune horreur à chier dans la céleste cuvette des toilettes… vous autres, prédicateurs, qui empestez de tant d’éloquence, en sueur sous vos soutanes de velours… vous autres, politiciens, qui ne croyez pas en la révolution et qui vous faites rémunérer votre manque de foi… vous autres, politiciens, qui ne savez comment les poètes enfantent avec les roses… vous autres, critiques d’art et de littérature, qui avez lu la cytologie et Kant, et qui confondez aisément gonzaloarango avec un patient du psychologue, garcilazo avec don blas de lezo, l’ « union libre » de breton et l’ « union nationale » d’ospina perez, une crise cardiaque avec la crise de la poésie… vous autres, en général, qui ne connaissez rien à rien et qui vous faites une fausse idée de ce qu’est le Nadaïsme lorsque vous pensez que nous sommes une menace matérialiste pour l’ordre bourgeois… nous n’allons ni voler le chéquier du capitaliste, ni même dévaliser son cellier au beau milieu de la nuit ; que les bourgeois crèvent tranquilles dans leur opulence… nous n’allons pas non plus, par une nuit de pleine lune, enlever les écolières du « mary mount »6, le Nadaïsme n’est pas une histoire de prostitution : que ces dernières crèvent avec leurs préjugés, leur puritanisme angélique, et qu’elle gardent chaste leur sexe jusqu’au mariage, ou qu’elles le conservent telle une momie pour le consacrer à Saint Louis Gonzague… 6. École privée libérale (NdT). – 54 –
nous ne souhaitons pas non plus troubler votre conception du monde dans lequel vous vivez à renfort de stabilité économique, de vertu et de respect social, en transition vers l’éternité… nous n’avons rien à envier à ceux qui n’ont aucun problème, ni doute, eux sont déjà sauvés… mais nous voulons confesser notre intention maléfique à la bourgeoisie. Messieurs les bourgeois : le Nadaïsme a été fondé pour pervertir vos enfants, nous allons couper court à votre rêve, en éveillant d’inquiétants et horribles germes d’angoisse dans vos alcôves ; vos enfants reviendront un soir vous demander des comptes, ivres et possédés d’une terrible colère. Redoutez-les : je les connais, ils sont dangereux… J’ai déjà prévenu ma mère de soixante-dix ans : ma vieille, si tu ne me laisses pas libre, je dirai à la police que tu es communiste… et elle m’a répondu : « tu sais bien que c’est faux, ne le fais pas, parce qu’ils me banniront de l’église… ».
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Ceux qui viennent de mourir Aujourd’hui, à l’heure où bureaux et magasins se vident, je flânais dans la Séptima7. Il y avait une foule incroyable, un vacarme assourdissant. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu peur, comme si cette multitude allait m’engloutir. Affligé, je me suis souvenu d’une plage sur l’île de San Andrés, d’un palmier. Sa verdeur m’attirait comme un phare, mais il était loin, si loin… En raison de l’agitation, je pouvais à peine avancer. Pour laisser passer le flux, je m’abrite sous un auvent, sur le côté. Et pour ne pas perdre de temps, je me mets à contempler les visages, à les examiner. Comme ils semblent étranges, stupides, sordides, affreux, magnifiques. L’horreur et la pureté mêlées, la bonté et la cruauté, la joie et la peine. Je les observe et ils me semblent venir d’un autre monde, d’une autre faune. Certains se donnent des airs d’empereurs, d’autres, de mendiants. Les uns écrasés par un poids tragique, d’autres flottent librement, comme des nuages. Tout d’un coup, je me sens mortellement triste, abasourdi par cette multitude de visages, de destins. Je me demande d’où ils viennent, qui ils sont, où ils vont. Je sais seulement qu’ils vont mourir… mourir… Cette idée m’emplit tout autant de dégoût que de pitié. Pour échapper au gouffre du mépris et de la commisération dans lequel me plonge ce tumulte, en regardant une belle inconnue qui passe, je me dis : tout cela existe parce qu’un homme et une femme n’avaient rien de mieux à faire que de défaire un lit. Un grand mystère que la vie, mon frère. J’ai du mal à me voir en eux comme l’un de leurs semblables. C’est terrifiant. À force de vouloir être objectif, je reconnais que ce sont des hommes, que c’est cette ville où ils habitent, qu’ils reviennent du travail et qu’ils vont 6. La Carrera Séptima est l’une des principales artères qui traverse Bogota du nord au sud, en passant par le centre ville et le quartier des affaires (NdT). – 56 –
quelque part, ce peut être un salon de thé, un bar, un théâtre, un lit, ou un arrêt d’autobus. Oui, leur existence est un simple mystère, mais elle m’étonne. Le lendemain, après le thé, après avoir bu une bière, avoir travaillé huit heures, avoir embrassé leur aimée, ils finiront par s’arrêter au cimetière, s’épaulant entre familles et amis affligés. Les pauvres défunts n’iront plus au bar, au bureau, au salon de thé, ni même se promener sur le cours Séptima de Bogota, à sept heures, comme ce soir. Ils partiront avant l’heure, sans que nous ayons pu prendre un café ou boire un coup ensemble, sans nous être dit adieu. On meurt avant l’heure, c’est un fait. Je n’ai jamais pu baiser les lèvres de cette belle, elles doivent avoir une senteur, et que dire du parfum de son corps, de sa voix que je n’ai jamais entendue. Elle mourra sans ce souvenir, seule et sans moi, dans le réconfort et les pleurs des autres qui l’auront aimée. Avec sa mort, je serai le vide de ce qui n’est pas venu, mais qui ne pouvait pas venir. Pour le reste, chaque passant mourra et personne ne remarquera son absence. La vie continuera sans lui, comme si de rien n’était. Peut-être était-il poète, notaire, coiffeur, ou bien monsieur personne. L’histoire ne s’arrêtera pas là, avec ce pauvre bipède qui aura cassé sa pipe et qui croupira bien seul sous sa pierre tombale. Le fleuve poursuivra sa course sans s’arrêter, eaux troubles de l’éternité… Cette foule aveugle qui s’agite en mouvements de poulpe, c’est ce qu’Hegel désigna pompeusement : « L’Histoire ! ». De la gélatine humaine, oui ! quelle saloperie ! Plus fastidieuse qu’une huître, Patricia doit m’attendre. J’abandonne ce gratte-pied de philosophie absurde.
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Manifeste poétique Cette beauté n’est pas coupable d’être ainsi. Elle ne s’excuse pas d’être tellement antibelle. Innocente comme l’olivier face au déluge, elle ne demande pas le pardon pour survivre à la mort de l’ancien Mythe. Elle n’est pas faite pour des âmes platoniques, équilibrées, ou raisonnables. Elle n’a rien à voir avec la nostalgie d’un monde meilleur, ni même avec le rêve d’un autre monde. Elle s’est imposée dans son temps, parce que c’était là qu’elle devait s’imposer, sous des cieux de douleur, de brutalité et d’agonie. En tant que telle, elle est plus proche de la confusion que de l’ordre, de la morbidité que de la santé, de la folie que de la raison. Et c’est pour une raison objective : la subjectivité du siècle est bouleversée, et rompu le vieil ordre de l’Univers, et dévaluées ses échelles de valeurs, et finie la conception platonique de l’homme et des choses. L’Histoire est en liquidation. Elle se déplace avec ses épaves axiologiques et ses ustensiles inutiles, et met entre les mains de l’imposteur le plus fort les meilleures traditions de l’esprit, les beaux talents de l’âme, leur extase, leur solitude, leurs charmantes libertés et leurs gloires. Désormais, l’Histoire n’évolue plus, mais elle saute comme un crabe fou contre le rythme des vagues du temps. Sa frénésie n’indique pas qu’elle progresse dans ses sauts mortels. L’évolution est un mouvement continu, constructif. Mais l’Histoire contemporaine va de guerre en guerre à la recherche du progrès, inutilement. La guerre n’est pas la révolution. Notre monde actuel n’a rien de salutaire, de serein ou de sensé. Une multitude de fous, de lubriques et d’aliénés résident dans cet asile. La Civilisation est la tombe dans laquelle nous vivons. Les crises de l’âme qui, auparavant, étaient nobles et invisibles, se mesurent aujourd’hui, se pèsent, se calculent avec des appareils électroniques : ses vieilles désespérances méta-physiques, les – 71 –
mystiques arrogances se sont transformées en névrose, en épilepsie, et en terreurs issues de violences physiques et en contraintes pour les âmes. Au fond de ces âmes opprimées, d’innombrables forces rivales luttent pour une suprématie inconnue. La guerre est dans les âmes, sous forme de passions et d’idéalismes contradictoires qui ne finissent pas par adhérer à une foi salvatrice, ou à un idéal face à notre sombre réalité. Et ces forces frustrées périssent dans la lutte, dans l’hostilité, pour finalement abdiquer au bord du nihilisme. À ce stade de chavirement et de perpétuelle bêtise, la réponse du poète est cette image de beauté colérique, rompue, douteuse, fidèle au reflet des succès et du chaos qui nous submerge. Un monde en crise et en désintégration produit une beauté de transition, provisoire dans l’Absolu, et qui correspond à la déconvenue qui l’inspire. La poésie n’est pas différente de la vie, mais elle est bien plus que la vie, puisqu’elle est création, témoignage du monde et, dans le même temps, transcendance. La poésie Nadaïste ne s’excuse ni face à une tradition promulguée tel un dogme de beauté absolue, ni face à l’hostilité des âmes qui résistent à confondre l’ancien prestige du mythe classique et romantique. Qui s’excuse d’être en vie ? Cette poésie est ainsi faite, comme la vie : viscérale et animée tel un organisme dont la racine se noie dans ses convulsions, et qui, en respirant l’air vicié de ce siècle, croît vers des cieux sans salut. Elle croît vers les cieux, mais elle-même est Enfer. En tant que sourcier d’images, le poète est désemparé pour créer un monde unifié. À travers des déroutes et des délires, il cherche son guide dans des signes paradoxaux. Peu d’esprits répondent aujourd’hui à son message. Le cri a déplacé le silence là où l’homme se réconcilie avec sa nature plus durable et plus pure : le silence est ce dialogue des âmes avec leur destin. Cette poésie n’est pas rare, ou bien elle l’est, dans la mesure où notre temps l’est aussi. – 72 –
Elle est tout simplement nouvelle. Elle assume le parti de l’esprit au nom duquel elle s’exprime et se rebelle. En tous les cas, sa raison d’être consiste à ne pas se soumettre à la grossière domination du pragmatisme héroïque, et à résister aux mortels ennemis de la raison civilisée. Elle dénote une autre vision du monde : un changement de cieux, et un changement dans le regard porté vers les cieux. En tout temps et tout lieu, chaque poète a perçu, sous d’autres formes, le phénomène singulier de son existence. La poésie est la réponse de cette perception. On ne reproche ni au Christ, ni à Eschyle, ni à Dante, ni à Goethe, l’inspiration fastueuse de leurs univers poétiques respectifs. Avec une fidélité irrécusable et une rébellion métaphysique, eux ont décrit la transition de l’homme sur cette terre vers un destin supérieur. Ils ont perçu le vieux miracle toujours renouvelé de l’homme face à l’Univers et face à lui-même. À chaque génération sa manière d’exprimer, en termes de rejet ou de réconciliation, le monde humain et le divin, la liberté ou le Destin. Sacrifier une expression de beauté nouvelle pour trancher avec la précédente, c’est de la mauvaise foi, un dogmatisme esthétique. Elles ne peuvent être identiques parce que l’inspiration leur parvient d’enfers différents, bien qu’ils puissent s’inspirer de sources de traditions vives, purifiées dans le feu de différentes putréfactions. Le monde change, l’Histoire se mobilise, la poésie se déplace avec ses évolutions. La science a volé son enchantement au mystère du cosmos. Les cieux ne sont plus l’obscur objet d’inspiration. Le rideau bleu et l’au-delà de l’intuition métaphysique ont été dévoilés : tout était humain, et les dieux n’habitaient pas l’au-delà. La connaissance est entrée triomphalement dans la beauté de la réalité mystérieuse. Les territoires invisibles et la divination des étoiles ont été découverts par de simples lentilles de longue vue. La fantaisie et le mythe ne sont plus désormais des fantasmes de l’imagination, mais de merveilleuses certitudes des sens. Et les astronautes sont revenus de l’espace lointain pour évoquer l’aventure – 73 –
de leur conquête et affirmer la fin du miracle dans un communiqué de simple objectivité lyrique : « la Terre est une petite boule bleue avec des tempêtes ». Le prestige des cieux est entré dans la décadence. Ses valeurs d’inspiration sont relatives, et plus tard ils s’intègreront dans la domination d’une création nostalgique et flétrie. Gagarine, le Prométhée atomique, a de nouveau volé leur secret à des dieux insoumis, et la lumière aux cieux arcanes. La connaissance humaine s’est illuminée d’une vérité athée : le flambeau de Zeus n’illumine déjà plus la légende des cieux. Ces derniers sont peuplés de vide, de silence, de solitude et d’étoiles. D’autres cieux invisibles, mais réels et d’une grande beauté, nous ont été révélés. L’homme n’est déjà plus un inconnu, ni un acteur perdu dans ses décors. La connaissance de soi s’élève en proportion de la connaissance de l’Univers qu’il habite. La lune et lunik8, les astres et les astronautes, le polaris et l’étoile polaire sont sur la même orbite que l’homme. Et, dans son chant, le poète fusionnera l’ombre et la lumière de ces mariages entre la science du cosmos et la poésie cosmique. Il nous incombe désormais de chanter les exploits des Ulysse du ciel. L’espace a été soumis et les distances raccourcies. L’infini n’existe déjà plus. À présent, l’on peut mesurer avec précision les constellations. Mais il ne faut pas pour autant négliger la sacrosainte parole dont la beauté magique a inspiré tant de siècles. Bien que ses découvertes nous étonnent et qu’elles humilient parfois l’innocence de la raison innocente et la spontanéité du cœur, notre siècle n’en est pas moins magnifique. La relativité de l’infini n’est pas moins admirable que la liberté souveraine de l’imagination. La grandeur de l’âme consistera désormais à découvrir la beauté dans la contingence, et l’éternité dans le périssable. Si les dieux nous ont abandonnés, tant pis pour les dieux. La solitude des cieux est emplie de promesses humaines, et la terre est l’avenir de l’homme, sa riante demeure et son repos. 8. Lunik, sonde spatiale du programme « Luna » (NdT). – 74 –
Rien ne finit jamais, rien ne commence. Tout est présence. En passe de révélation, tout existe. Ce qui n’existe pas existe également dans les infinies possibilités du néant. Et la beauté est inextinguible pour désigner la nouvelle face des choses. Puisque la beauté n’est pas éternelle, si ce n’est dans la mesure où elle meurt pour vivre : elle s’éclipse dans la parole et ressuscite du silence dans lequel elle reprend son énergie créatrice. Elle invoque la vérité et les mille visages de la vie, et elle est éphémère comme la douleur ou la félicité. L’homme exige désormais une réponse du Sphinx. Son mystérieux secret doit être divulgué. L’éternel silence doit être rompu. Le cœur humain ne se résigne plus à un secret aussi suspect. Dans la continuité du débat jamais achevé entre la nature et l’esprit, le poète a le dernier mot, puisqu’il officie doublement à la vérité et à la vie, dans sa condition d’homme divin : rédempteur et crucifié à la fois, la réconciliation définitive de la terre et du ciel, de la réalité et du mythe qui se révèle en lui. Le poète poétise pour devenir Dieu, sans pour autant oublier de rester homme. Dans son métier, l’esprit sain et l’esprit de la vie se saluent. Le paradis perdu est à nouveau récupéré par l’innocence de ses chants et l’exil s’achève, alors « l’homme est empli de mérites, non pour eux mais pour la poésie, il fait de cette terre sa demeure ». Le prestige du mot n’est jamais annihilé. Des tombes et de ses voyages dans les ténèbres il ressuscite, puis revient à la lueur du soleil, fidèle à sa mission de communiquer l’incommunicable et donner du sens à l’inexplicable. La poésie témoigne de ce qui est sous le ciel et après la mort. Elle vit avec les hommes et après eux. Pour cette raison, la poésie tente l’impossible : elle affirme que ce monde est le meilleur des mondes possible, et le seul. Là, le poète devient divin et succède à Dieu, qui a créé l’Univers afin que le poète puisse l’expliquer. Et le poète triomphe ainsi de l’absurde, ou bien il sombre dans la folie. En créant le monde, Dieu a triomphé du néant et a échoué face à l’Être. Un tel acte réunit son Omnipotence et son impotence. Il a fait ce choix pour cette raison, pour que la Création ne finisse pas – 75 –
dans le chaos, à n’être que Néant, mais n’étant pas pour autant devenue Être. Le poète a pour mission de réaliser la réconciliation entre l’être et le néant, et il triomphe dans l’Unité. Et la fonction de l’authentique poésie n’est autre que de convoquer les êtres à l’existence. Peut-être Dieu sera-t-il jaloux de cette tâche consistant à faire exister l’Être, et rendre humain l’univers divin. Par cette audace, le mythe nous révèle que le poète Prométhée fut condamné. La poésie fut toujours, et elle l’est encore aujourd’hui, vie et liberté. Le poète n’a pas d’autre mission : s’assurer de la vigueur de ces deux mots dans ce monde de l’oppression et de la mort.
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Manifeste Nadaïste pour l’Homo Sapiens Fragment … Nous fracassons notre pierre tombale et ressuscitons. L’heure est venue de baptiser la terre d’une nouvelle barbarie purificatrice. Des âmes mortes empuantissent le monde. Jamais plus la résignation, jamais plus la paix, jamais plus le défaitisme. Que s’ouvre le procès, nous allons inculper, enterrer les morts, laver la terre d’excréments, nous allons vivre ! notre message est un message de mort, nous serons aussi tendres que des bourreaux. Seuls les vivants seront sauvés de cette apocalypse. La haine est notre effusion. Nous ne pardonnerons rien. Il ne faut pas être complaisant, ni avoir de pitié. Il faut être cruels, incorruptibles au bien. Il faut être pire que vertueux. Il faut consommer la mort de l’humanisme dans cette région de l’esprit où l’homme est mort : ça pue. Une vapeur de putréfaction remonte des pores jusques à l’âme, elle infecte la chair, la vie, le monde… Il faut jeter toutes les valeurs de cette civilisation maxifactorielle et marxiste à la benne, sans exception. De la tête au coccyx, l’homme est corrompu. Il faut déconscientiser la chair, adamiser l’esprit. Notre littérature sera le laxatif de l’homme : au lieu de votre caca, déféquez donc votre raison… Pour que l’homme ne soit pas anéanti, pour que l’esprit ne s’asseye pas sur la chaise électrique, pour qu’un reste de dignité animale ne nous soit pas arraché par cette civilisation d’acier, nous, Nadaïstes, promettons de faire un art d’ignominie qui consistera à écraser l’homme sur un wc jusqu’à ce qu’il s’élève, comme sur un piédestal, dans ses propres excréments, et qu’il sente bien que tout ce parfum que l’on nomme Valeurs n’était rien d’autre qu’un tas de Merde…
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Testament Solennellement, je déclare ne pas écrire pour l’Immortalité. Modestement, j’écris pour cette vie et pour ceux qui vivent ici, et maintenant. Je souhaite une gloire qui m’atteigne dans ma chair et en cet instant, et non plus tard. J’écris à la vitesse du monde, un contre-la-montre face à la mort. Je souhaite conquérir ma vie pour la seule finalité de l’art. Pour cette conquête, je sacrifie volontiers la pureté, la perfection et toute idée d’Absolu. Pour seule gloire, je recherche la plénitude des sentiments, l’extase de mon corps en un autre corps. Je ne prétends pas être un classique du type des « stylistes » qui sacrifient une aventure à une métaphore. En contrepartie, j’abandonne tout, d’Adam à Marx, pour être dans un film de cowboys avec mon amante. C’est en cela que je me distingue de la race bâtarde des intellectuels. J’avoue à la bande de truands qui s’intéressent aux choses de l’Esprit, qu’il m’importe peu de perdurer dans les manuels de littérature pour étudiants en rhétorique. Mes livres n’ont pas cet arôme qui sanctifie les âmes et illumine les sombres cloîtres de la vertu. Je ne laisse rien d’exemplaire pour remettre sur le droit chemin les égarés, puisque je suis la négation de tout chemin. Et si par hasard il restait quelque témoin en ce sens, c’est parce que pour trouver un chemin, je me serais moi-même égaré en l’absence de chemins. Je n’ai rien à enseigner dans les internats de bonnes sœurs et de curés où la morale cuirasse la jeunesse contre les jouissances naturelles de la vie. Je refuse d’être fossilisé, maquillé et momifié dans un pensum du type « Gloire Nationale ». J’invoque mon mépris pour la culture, pour que l’on n’inscrive pas mon nom dans des manuels scolaires, pour que des enseignants en civilité et bonnes paroles ne salivent pas sur mon compte. – 81 –
Au diable, ces idiots présomptueux qui puent la pédérastie des monastères, le spiritualisme de sacristie, la sueur des aisselles, la nicotine, le camphre de chasteté et les milliers d’odeurs pestilentielles du rationalisme chrétien. J’exige l’honneur que l’on m’efface de la mémoire des futures générations. Pour ma gloire, je demande à être maudit, proscrit, excommunié de toute morale, de toute esthétique, de toute espérance. Qu’on me donne plutôt de la gloire dans un lit ! Je veux être oublié définitivement, ardemment ; ou dans le sens inverse, haï avec passion, comme un remords qui ronge la noble cause de l’Esprit humain. Je ne souhaite survivre ni à ma propre horreur, ni au mépris que m’inspirent l’Humanisme et la sensibilité utilitaire et footballistique du XXe siècle. Pour ma mémoire, j’exige de droit de choisir l’ingratitude plutôt que la postérité, puisque avant de mourir j’aurai déjà été ingrat avec ce monde. En contrepartie de mon inutilité, je réclame silence sur ma tombe, mépris et horreur pour mes coupables ossements. Je ne laisse aucune descendance physique ni de patrimoine moral pour être dévoré par les rapines insatiables des rongeurs de l’âme. Mon destin me concerne moi seul, et je coule avec lui par dignité et par indifférence. J’assume mes malédictions et mes dédains avec orgueil. Je n’ai partagé ni pain avec les misérables, ni foi avec ceux qui doutent, ni réconfort avec les patients. J’ai exercé une rare charité, en partageant le dégoût avec les purs et la souffrance avec les malheureux. J’ai propagé le désespoir comme une peste sacrée, puisque cette mission me fut confiée par le Démon pour préparer l’avènement de l’Empire de l’Ignominie. Dans ma mission pour proclamer le désastre, l’absence d’égard, j’ai été irrévérencieux et efficace, et j’ai été décoré des roses de la luxure et de la folie pour accomplir la volonté satanique. Que ma pierre tombale soit celle d’un monstre. De toute façon, je serai déjà pourri avant d’avoir été oublié. Je n’ai nul besoin d’une piété immortelle pour mes asticots. Ils imposeront une vénération – 82 –
silencieuse qui ressemblera au dégoût, et ils feront vomir les compatissants et les cœurs sensibles. Et vous, canailles, ne vous épanchez pas sur ma tombe, n’allez pas en pèlerinage sur mon cadavre. Mon appel à l’oubli est une question de dignité esthétique. Surtout ne pas saliver, ne pas renifler, ne pas prier, ne pas pisser sur ma tombe, aucune offrande florale : ce n’est pas une façon de vénérer le tragique et le guerrier. Ma gloire ne peut être célébrée que dans le chant, la danse, l’orgie, l’ivresse, dans de formidables fornications sous forme d’hymnes comme je les célébrais déjà avec de superbes femmes dans les cimetières métropolitains, lorsque j’étais glauque et élégiaque. Ah, je me souviens des orgasmes sur les dalles funéraires, les parois des tombes tremblaient ; je criais d’un tel plaisir brut que les morts atterrés secouaient leur poussière, pensant que le Jugement Dernier frappait à leurs portes, et que mes extases étaient la sonnerie des trompettes de la Rédemption. Pauvres âmes sans corps ! Dans leur impotence, elles suppliaient d’échanger leur Éternité pour cinq minutes de vie avec ma bien-aimée, comme elles le promettaient sur leur lit de mort : « Ô mon aimée, au travers de ta chair je palperai tes os pour te reconnaître le Jour de la Résurrection ». Ainsi j’allais oublier mon agoniste sous les saules funèbres. Là-bas je me souvenais que l’art ne justifie en rien d’être éternel, que ce qui justifie l’immortalité, c’est cette vie. Que ma gloire soit virile fut toujours ce que j’ai voulu en ce monde. Après, la littérature, semblable à mon âme, que le Diable les emporte, s’il aime tant les cochonneries. Amen.
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Postface Arango ou l’élégance de la négation Philippe Ollé-Laprune
Quelle aventure ! Comment, au sein d’un univers sordide et clos comme celui de la Colombie des années 1950, un homme peut-il se lever et crier sa colère ? Le fait-il pour lui ou pour ceux qui l’entendent ? Ou même pour tous les autres ? Cet homme ne représente que lui, saturé d’amertume et désarmé devant tant de solutions impossibles. Sa voix n’exprime que son mal-être et elle n’est que l’interprète de sa posture et de sa déception face à la vie qu’on lui propose. Plus extraordinaire encore : sa rébellion trouve ses racines au sein du néant, du rien. Sans promesse ou projet, sans utopie ou rêve à partager et à réaliser. L’anéantissement seul lui paraît pur, justifiable peut-être. La négation est la seule action qu’envisage Arango ; construire est déjà entaché d’imperfection et n’aboutira donc qu’à un nouvel échec... La fin des premières illusions politiques a sans doute aidé à l’éclosion de ces réactions face à la violence inhabituelle. Beaucoup se retrouveront dans la colère et la déception de Gonzalo Arango : s’il n’a pas forcément cherché à convaincre ou argumenter, force est de reconnaître que sa position est partagée par bon nombre de jeunes, ce qui prouve surtout que l’« air du temps » ou l’inconscient collectif du moment préparait et provoquait l’avènement du Nadaïsme. L’ébranlement que cherchent à imposer les Nadaïstes est gratuit. Arango et ses amis ont tout de suite adopté intuitivement la haine de tous les pouvoirs ; ces enragés savent d’avance qu’ils ne doivent pas composer, convaincre ou accepter la rencontre. Ils refusent – 101 –
le dialogue car ce début d’échange serait le commencement de leur fin. Le Nadaïsme ne peut que nier, imposer la table rase. Arango impose l’idée d’agitation sans but pré-établi en choisissant des cibles caricaturales. Sa force : ne pas chercher à prendre la place de qui que ce soit. Cet enfermement, cette abscence voulue d’une vision d’avenir sont les garants de la pureté du mouvement et constituent aussi l’annonce précoce de sa mort. Les Nadaïstes sont condamnés à se répéter et cette répétition ne peut aboutir qu’à ne plus rien dire et donc à se dissoudre. Le Nadaisme refuse le système et la rationalité : il ne peut se développer que dans la marge et dans l’irrationnel. Le côté marginal existe déjà dans le propos et le public que touche le Nadaïsme. Arango parle pour ceux qui rejettent la société. Pour les autres, il se doit de faire peur. L’écho des travaux Nadaïstes trouvent naturellement une place bienveillante dans cet espace social, prêt pour acueillir un tel désenchantement. Mais le propre de la marge n’est-il pas de devoir exister en dehors du centre ? Si les acteurs qui la font vivre cherchent à pénétrer le monde, ils se renient et détruisent ainsi ce qu’ils sont et ce au nom de quoi ils cherchent à être enfin reconnus. Les coups de poignard que donne Arango sur les mots et les idées de son temps ne peuvent et ne doivent lui ouvrir aucune porte. La poussée vers l’irrationnel est de même nature. La folie et les drogues les attirent comme l’aimant attire le métal. On ne peut s’empêcher de penser qu’en dehors de toute séduction évidente, cette donnée est aussi une protection qu’ils recherchent contre tout ce qu’ils exècrent. Les Nadaïstes désirent et pratiquent une forme de démence en raison de la terreur qu’elle inspire et de la répulsion qu’elle engendre. « La folie en marche, c’est la récupération qui s’éloigne », semble dire Arango à ses lecteurs tout au long de ses pages. Ces remarques nous rappelent que les Nadaïstes étaient jeunes et que le mouvement entretient une relation étroite avec l’adolescence. En effet, cet âge en équilibre entre deux âges s’incline aussi vers – 102 –
l’irrationnel, le refus de l’intelligence et du dialogue ; contre l’engourdissement, il prône la vitalité et la pureté. Par ailleurs, on ne hait jamais aussi intensément qu’à cette période – Rimbaud est inimaginable avec une barbe blanche. La volonté de néant est une forme de désir d’une conservation de pureté qui anime les Nadaïstes et, souvent, la jeunesse. Arango n’a pas trente ans lorsqu’il rédige son manifeste et le groupe qui l’entoure bientôt n’en a guère plus. Ils ont cette rage qui ne peut s’estomper qu’avec le temps ou plus précisément avec l’exigence qu’accompagne l’élaboration d’une œuvre ; une création a besoin de travail et cette accumulation d’expériences rend vite impossibles les positions défendues initialement. D’ailleurs, l’idée même de travail implique la réfutation du Nadaïsme. Son « époque enragée » dure cinq ans durant lesquels sa réputation s’étend et ses idées se propagent. Le temps du Nadaïsme conquérant. Puis viennent la répétition et le déjà vu ; le Nadaïsme ne peut qu’imploser, comme une jeunesse qui s’engloutit sous un destin qui se dessine. Certains Nadaïstes sont alors attirés par la prise de position politique, l’envie de transformer le monde de l’intérieur. Et comment ne pas l’être à une époque où éclatent des révolutions qui annoncent des lendemains qui bientôt chanteront ? L’agitation peut continuer mais elle devient autre, enfermée dans un projet dépassé. Mais les autres, ceux qui se méfient des embrigadements et de tout ordre établi, ceux qui croient avoir épuisé le monde jusqu’aux confins de l’horizon, ne peuvent avoir de l’attirance que pour l’échappatoire : l’abandon de tout projet, la tentation des gouffres ou l’aspiration vers le haut, le mysticisme. L’abandon se fait sans aucun commentaire : c’est l’issue de secours, l’évasion de cette dialectique. La tentation des gouffres, c’est l’appel à la consumation, l’attirance vers les bas-fonds où drogues et alcools sont les habiles catalyseurs des blessures de l’âme. Arango choisira de regarder vers le haut, vers une transcendance difficile à exprimer. Sa mort accidentelle à – 103 –
quarante-cinq ans achèvera un destin brisé, empreint de cette colère adolescente mêlée à un sens de l’humour qui n’a pu qu’enrichir et défendre ses prises de position. Le secret d’Arango et, peut-être, son actualité sont là : il ne prend rien ni personne au sérieux. Cette dérision est une forme de lucidité, un contre-regard sur lui-même et ses idées ; une façon de montrer qu’il connaît sa fragilité et qu’il la préserve contre les attaques féroces que ses positions auront fait naître. Le rire désarme ; on ne peut que mal lutter contre lui. Par ailleurs, l’esprit de sérieux est l’outil privilégié du militantisme. Conjuguée à l’intolérance du propos Nadaïste et à sa violence, la tentation totalitaire n’est pas loin. Là aussi, l’humour préserve, la satire fait reculer la bêtise avec son florilège d’idées reçues et de solutions pseudo-évidentes. Initiative salvatrice que celle d’Arango, mais salutaire aussi car il en connaît les limites depuis le premier jour. Dans ses mots, il porte un esprit mort-né ; il devine que sa colère est faite pour retomber ; que sa dynamique n’existe que pour faire éclater un présent engourdi. Son premier cri contient le dernier. Il sait qu’il en est mieux ainsi – un refus trop vaste, trop global n’est pas fait pour durer. Une opposition ne sera jamais aussi vaste que le monde : son poids fait crouler ces attaques et les engloutit avec le temps. Et puis, être pape amène tôt ou tard un pouvoir et une inquisition ; on l’aura assez reproché à André Breton. Arango aura pourtant pratiqué un temps ce terrorisme, un refus aveugle et une colère qui condamnent sans discernement ; il n’a voulu que la dynamique de la violence, cette énergie fragile qui retombe lorsque le souffle est passé. Lorsqu’il abandonne le projet Nadaïste tel qu’il apparaît dans le manifeste, les autres adeptes du mouvement ne peuvent comprendre : ils se sentent abandonnés au milieu du gué sans avoir compris que le but de leur révolte est de lutter contre les flots et non de parvenir à une autre rive dont ils ne perçoivent pas les contours. – 104 –
Les avant-gardes ont ce privilège : n’exister que pour s’éteindre vite, avec la certitude que l’incandescence qui a accompagné leur trajectoire continue d’inspirer ceux pour lesquels elles ont agité des valeurs en construction.
Mexico, le 2 janvier 1996.
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Gonzalo Arango Arias (1931-1976) Poète colombien, fondateur du Nadaïsme Né le 18 janvier 1931 à Antioquia (Andes colombiennes), Gonzalo Arango est le benjamin d’une famille conservatrice de treize enfants. Il fait des études secondaires puis entre à l’Université d’Antioquia pour étudier le droit, qu’il abandonne au bout de trois ans. Dans un style provocateur, scandaleux et virulent, il est parvenu à donner une résonance nationale au Nadaïsme. Il commence en tant que critique de littérature dans le journal El Colombiano et fait partie de l’Assemblée nationale constituante en tant que suppléant. En 1953, il rejoint le Mouvement d’action nationale, alors dirigé par l’ancien président général Gustavo Rojas Pinilla. Après la chute de ce dernier, Arango est contraint de quitter Medellin et de se réfugier à Cali, où il se consacre au plus grand travail de toute sa vie : le Nadaïsme. La première expression de cette idéologie a été révélée en 1958 dans son « Manifeste Nadaïste ». Au-delà du contenu même de son écriture, qui l’aura conduit à une renommée nationale, ce sont surtout les actes organisés pour faire connaître son mouvement qui feront scandale : incendies symboliques, sacrilèges dans la cathédrale de Medellin, etc. Symboliquement, ses moines (c’est ainsi qu’il dénommait ses frères d’armes) ont brûlé ce « Prophète des Andes » à deux reprises : la première sur le pont d’Ortiz à Cali en 1963, parce qu’Arango avait dénoncé le Nadaïsme comme un désespoir nihiliste et défaitiste, et à une autre occasion, en 1968, lorsqu’il fit l’apologie du président Carlos Lleras Restrepo en tant que poète. Journaliste, Gonzalo Arango a collaboré au New Press (1963-1964), au journal El Tiempo (1968-1969) et au magazine Cromos (1966-1967). Il écrivait aussi parfois dans Corno Emplumado (Mexique) et dans Zona Franca (Venezuela). Avec Jaime Jaramillo Escobar, il publie huit numéros de la revue Nadaísmo 70. Gonzalo Arango Arias meurt dans un accident de la route à Tocancipá (Cundinamarca) le 25 septembre 1976.
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Bibliographie Essais − Primer Manifiesto Nadaísta (« Premier Manifeste Nadaïste »), 1958. − Los Camisas Rojas (« Les Chemises rouges »), 1959. − El Manifiesto de los escribanos católicos (« Manifeste des écrivains catholiques »), 1961. − El Mensaje a los académicos de la lengua (« Message aux académiciens de la langue »), 1962. − Prosas para leer en la silla eléctrica (« Prose à lire sur la chaise électrique »), 1966. − El Terrible 13 Manifiesto Nadaísta (« Le Terrifiant 13 Manifeste Nadaïste »), 1967. − Boom Contra Pum Pum (« Boum contre Poum Poum »), 1967. − El Oso y el Colibrí (« L’Ours et le Colibri »), 1968. − Obra negra (« L’Œuvre noire »), première édition en 1974, deuxième édition en 1993 et troisième en 2016. Contes − Sexo y saxofón (« Sexe et Saxophone »), 1963. − Providencia (« Providence »), 1972. Théâtre − Nada bajo el cielorraso, HK 111 (« Rien sous le plafond du ciel »), 1960. − Los Ratones van al infierno y La Consagración de la Nada (« Les Souris vont en enfer » et « La Consécration du néant »), 1964. Mémoires − Memorias de un presidiario Nadaísta (« Mémoire d’un détenu Nadaïste »), 1991. Correspondance − Correspondencia violada (« Correspondance violée »), 1980.
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Vincent Gimeno-Pons Après avoir été éditeur durant de longues années, Vincent Gimeno-Pons est désormais délégué général du Marché de la Poésie (Paris). D’origine espagnole directe, il a traduit du castillan : – in : Anthologie poétique. Cultures hispaniques et culture française, Noesis/Unesco, 1988 ; – L’Obéissance nocturne (roman) de Juan Vicente Melo (Mexique), Éditions de la Différence, coll. « Les voies du Sud », 1992 ; – in : L’Invention de l’automne de Javier Lentini (traduction de la préface de Ricardo Cano Gaviria), Éditions de la Différence, coll. « Orphée », 1992 ; – in : Brèves n° 87 « Nouvelles d’Espagne », 2008 (Poisson volant de Eloy Tizón).
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Table Page
Préface – Jotamario Arbeláez Le prophète des nouvelles ténèbres
7-13
Premier Manifeste Nadaïste (1958)
15-45
Schéma pour une définition de mon existence
46-49
Biographie – de Gonzaloarango –
50-51
L’intention maléfique
53-55
Ceux qui viennent de mourir
56-57
Oraison pour tous
58-59
Minuit
60
Femmes de poètes
61
La couronne au Mont-de-Piété
62
Ton nombril, capitale du monde L’enfer de la beauté
63-66 67
Les Nadaïstes
68-70
Manifeste poétique
71-76
Poème Être
77-78
Bulletin numéro néant
79
Manifeste Nadaïste pour l’Homo Sapiens (Fragment)
80
Testament
81-83
Message Nadaïste anti-académique
84-87
Le Terrifiant 13 Manifeste Nadaïste
88-93
Message aux poètes Nadaïstes
94-95
Manifeste au Congrès des écrivains catholiques
96-99
Le testament du prophète
100
Page
Postface – Philippe Ollé-Laprune Arango ou l’élégance de la négation
101-105
Petit lexique non exhaustif des noms cités 107-109 Gonzalo Arango Arias (1931-1976) Bio-bibliographie 110-111 Vincent Gimeno-Pons Bio-bibliographie 113
Maquette, mise en page et couverture Myriam Chkoundali Relecture et corrections Michel Kneubühler
Ouvrage composé avec la police Adobe Garamond, corps 11 & 12, sur papier intérieur Bouffant Premium Ivoire (Salzer) Ivoire 80 g, couverture sur papier Couché Satiné/Mat – Blanc 300 g.
Achevé d’imprimer par Pulsio.net – UE Dépôt légal – novembre 2019