Shu Cai Le ciel se penche sur nous
poĂŠsie
En vérité je n’en parlerai plus jamais une vie s’est brisée sur l’aiguille de la balance le poids de l’autre côté était trop lourd beaucoup trop lourd quelque chose est arrivé je ne peux rien faire sinon rester tranquille Avril. chaque jour du mois je perds quelque chose 1999.4-2000.10
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En route vers Jiuzhaigou Vite vite vite le minibus file comme un voleur la rivière Min nous accompagne tout au long du trajet grondant gargouillant puis rien rien qu’un murmure minces silhouettes si minces les fils du téléphone dansent dansent comme des démons sur un fil d’un seul coup les champs les arbres et des deux côtés reculent nous montons montons montons nous voici sur un sommet plat si plat la rivière Min pend vers le bas écume au fond du val nous ne voyons plus le pied de la montagne mais nous avons sa cime dans les yeux ce sont partout herbes folles et fleurs sauvages qui se saoulent au vent
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les nuages haussent les sourcils cerfs les nuages s’étirent en bâillant chiens nuages blancs nuages blancs là où siffle un fouet surgit un troupeau de moutons loin de la ville Jiuzhaigou loin de la ville le site est beau loin de la ville vite vite vite plusieurs fois le minibus faillit se renverser. Le chauffeur raconte autrefois il faisait le trajet vers Chengdu souvent il a vu ses camarades chuter dans la rivière Min offrir leurs vies aux poissons aux crevettes un aller-retour prenait cinq jours épuisant mais ça gagnait bien Les passagers somnolent le chauffeur lui chante oh mon plateau du Tibet oh mon plateau du Tibet 1999. 9
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L’absurdité Je ne sais plus si j’ai déjeuné ou pas déjeuné Le soleil comme une jeune fille prise de folie est à deux doigts d’enivrer le monde tant de visages devant moi défilent je me sens comme un peuplier en bord de route insensible aux voitures qui vont et viennent Allongé sur le banc du jardin je dors dans le soleil de midi Je ne comprends pas pourquoi on s’inquiète encore de la fraîcheur du bourgeon quand la pureté s’enfuit comme l’eau de la main au cinéma ce matin j’ai regardé un film qui finit mal en descendant les escaliers avec d’autres spectateurs j’ai parlé j’ai ri et l’air content j’ai sorti dans un monde sincère la cruauté est la seule vérité
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les autres spectateurs se sont alors tournés vers moi les yeux grands ouverts et m’ont dit tu parles comme un poète 1986.4
(Traduit par Yvon Le Men, Li jinjia, Guo Yaoyao et Marine Laurent)
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Par où va le vent Depuis le vide et par la porte-fenêtre le vent s’introduit pénètre dans ma poitrine et dans mon cœur par mes narines traverse mon corps en rafraîchissant chacun de mes poils par où passe t-il ? sans qu’on le voit il agite ses ailes occupe toute la place toute la pièce les feuilles du Dragonnier frémissent on peut dire alors le vent souffle vers l’intérieur on peut dire aussi il bouge dans tous les sens au dehors le vent souffle sur une large étendue les oiseaux chantent les canards crient les hommes bavardent le vent souffle rend le ciel et la terre plus vastes le vent souffle même là où il n’y a pas de vent et s’empare de tous les lieux qu’il traverse le vent souffle où bon lui semble s’il rencontre un mur il le saute un arbre il l’escalade
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un lac il s’en amuse Le vent est la preuve de la vie du ciel le ciel respire grâce aux joues du vent 2014
(Traduit par Yvon Le Men, Li Jinjia, Sylvain Mazingue et Zhao Dengyan)
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Le mont Zhiping Le mont Zhiping là-haut en silence en bas en poussière un sentier nous sépare ma mère et moi nuages en haut champs en bas le mont Zhiping sa vallée est sa porte derrière la porte ma mère le mont Zhiping je comprends le présent de tout amour profond et vain le bonheur n’est pas du côté de la vie pas beaucoup un orphelin de mère de la terre fait son univers 1991
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Lotus J’ai passé beaucoup de nuits calmes et sans espoir Croisant mes pieds pour méditer J’aspire et expire comme tout le monde – Oh, le monde ? Il existe à peine Mais l’autre monde existe L’autre vent, les autres agneaux sacrifiés Et les autres visages pas sûrement vivants En un mot ils appartiennent à l’autre monde Mes mains ouvertes sont le seul lotus que je possède Vous dites qu’elles poussent mais dans quelle direction ? Vous dites qu’elles suivent leur chemin mais pour quelle destination ? Je ne fais qu’apprendre à oublier Pour que l’immense univers Ne soit pas touché par nos yeux nus 1994
(Traduit par Henri Deluy, Liliane Giraudon, Audrey Jenkinson, Jean-Jacques Viton, Ji Dahai et Hélène Sanguinetti)
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Un moment privilégié
Conversation avec Shu Cai
Propos recueillis par Thierry Renard Vénissieux, le 20 juillet 2018
– Thierry Renard : Mon ami, pour refermer la page de ce trop court échange, peux-tu nous dire quels sont, dans l’immédiat, tes nouveaux projets — parmi ceux, bien sûr, que tu considères parmi les plus notables ? – Shu Cai : Je viens de sortir cette année mon anthologie de poèmes de trente ans, 1986-2016. Je n’ai plus de poèmes à publier en Chine. C’est une bonne chose. J’affronte un nouveau vide, car ces poèmes déjà écrits ne m’appartiennent pas vraiment. Un poète ne possède pas ses poèmes. Sa tâche est d’écrire un autre poème qui se cache entre ciel et terre, entre eaux et montagnes. Depuis 2014, j’initie souvent des enfants de 5-10 ans à écrire un poème sur place avec moi. Je fais cet effort dans des librairies et des écoles. J’ai ainsi écrit des poèmes avec mes amis poètes-enfants, et je compte les publier dans un autre livre l’année prochaine. J’ai également un autre projet, celui d’écrire une série de poèmes sous le titre d’Éducation sur la Mort, car je vois que chez nous il manque terriblement cette éducation sur la mort, on a très peur de la mort, mais on ne veut pas du tout en savoir davantage sur sa présence. La Chine est un pays sans religions et les pouvoirs obligent les gens à vivre dans le mensonge sous toutes ses formes. On évite de parler de la mort, on ne la touche pas, cependant cette vérité est fatalement liée à chaque instant de la vie quotidienne. C’est une cruauté insupportable pour moi de laisser déformer cette vérité. – Thierry Renard : Mon ami, encore un mot, pardon, un mot qui serait ton seul mot, celui qui compte le plus, au monde et à tes yeux, une manière de slogan… – Shu Cai : Enfant. Un enfant est un autre. L’enfant est le futur.
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L'auteur
Shu Cai Poète et traducteur, est né en 1965, dans un village de la province du Zhejiang, en Chine. Issu d’une famille de paysans, il a fait ses études universitaires à l’Université des langues étrangères de Beijing de 1983 à 1987. Diplômé de langue et littérature françaises, il a été diplomate de 1990 à 1994 à l’Ambassade de Chine au Sénégal. Chercheur en poésie française à l’Institut des littératures étrangères de l’Académie des sciences sociales de Chine, il vit actuellement à Beijing. En 2008, il a obtenu le titre de docteur après avoir soutenu sa thèse sur la traduction de la poésie. La même année, il a reçu la médaille de « chevalier dans l’ordre des Palmes académiques ». Traducteur de Pierre Reverdy, René Char, Saint-John Perse et Yves Bonnefoy, Shu Cai est l’un des fondateurs de l’école de la poésie « la Troisième Voie » et s’investit particulièrement dans l’étude des littératures et cultures étrangères. Il est aussi l’un des fondateurs de la revue trimestrielle Du shi (Lire la poésie) et de la revue annuelle Yi shi (Traduire la poésie), créées en 2011. Ses poèmes ont été traduits en français et en anglais.
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Quelques-unes de ses publications Recueil de poésie : Le Seul, 1997. Choix de courts poèmes de Shu Cai, The Milky Way Publishing Co. Hongkong, 2003. Choix de poèmes de Shu Cai, 2011. Exercices de rythme, 2015. Le printemps n’a pas de direction, 2018. Retour-aller, 2018. Des traductions en français de ses poèmes sont parues dans Action poétique (automne-hiver 1997), Noir sur blanc, une anthologie (Fourbis, 1998), l’anthologie Le Ciel en fuite (Circé, 2004) et la revue Europe (n° 1003-1004, nov.- déc. 2012) dans le dossier « Poètes chinois d’aujourd’hui : une poésie en quête du réel ».
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poésie
SERGIO ATZENI
Deux couleurs existent au monde. Le vert est la seconde (traduit par Marc Porcu)
SAMANTHA BARENDSON
Machine arrière
PATRICE BÉGHAIN
Poètes à Lyon au 20e siècle
MARC BLANCHET L’Incandescence KATIA BOUCHOUEVA
Équiper les anges – et dormir, dormir
LIONEL BOURG
L’immensité restreinte où je vais piétinant
JEAN-BAPTISTE CABAUD
Fleurs suivi de Baby fleur
JEAN-BAPTISTE CABAUD
Nouveau Noum (bilingue français-anglais)
SHU CAI
Le ciel se penche sur nous
JEAN-PIERRE CANNET
Mordre la falaise
STANI CHAINE
L’Homme ridé
ANTOINE CHOPLIN
Debout sur la terre
COLLECTIF
Figurines (bilingue français-italien)
COLLECTIF
Blues du requin — Tubarao blues (bilingue français-portugais)
COLLECTIF
L’Heure injuste
COLLECTIF
S’il fut un premier jour
COLLECTIF
Voix de la Méditerranée – Lodève 2011
COLLECTIF
Voix de la Méditerranée – Lodève 2012
COLLECTIF
Voix de la Méditerranée – Lodève 2013
COLLECTIF
Voix de la Méditerranée – Lodève 2014
COLLECTIF
À partir d’un rien – Semaine de la poésie 2012
COLLECTIF
Jusqu’au printemps des mots (Roger Dextre, Patrick Laupin et Marc Porcu)
PAUL DE BRANCION
Rupture d’équilibre
MARC DELOUZE
T’es beaucoup à te croire tout seul
MARC DELOUZE ET LES PARVIS POÉTIQUES
Des poètes aux parvis
poésie
MARC DELOUZE
14975 jours entre Poésies en phase terminale 2011) et Souvenirs de la Maison des mots (1971)
MARC DELOUZE
Yeou – Piéton des terres
GIOVANNI DETTORI
A varia luna errando – Au gré des lunes errant (bilingue italien-français, traduction Marc Porcu)
ROGER DEXTRE
L’Obscur soudain
LAURENT DOUCET
Au sud de l’Occident
BRUNO DOUCEY L’Emporte-voix MOHAMMED EL AMRAOUI
Récits, partitions et photographies
CARINE FERNANDEZ
Les Routes prémonitoires
ALAIN FISETTE
La beauté est incurable
DINU FLAMAND
Inattention de l’attention
LAURENT FOURCAUT
Du vent
MICHAËL GLÜCK Rouge FANNY GONDRAN
Depuis ces lieux épars
FANNY GONDRAN
Traverse
FRÉDÉRICK HOUDAER
Angiomes
FRÉDÉRICK HOUDAER
Engeances
STÉPHANE JURANICS
Dans l’écrit du monde
STÉPHANE JURANICS
La chute libre du jour
AHMED KALOUAZ
D’un ciel à l’autre
CATHERINE LALONDE
Corps étranger, poésie érotique, coédité avec Québec Amérique
MARTIN LAQUET
jour après nuit
PATRICK LAUPIN
Impasse de l’azur
LA TRIBUT DU VERBE – SLAM
Château de cartes
YVON LE MEN
Vingt ans
JOYCE LUSSU
Inventaire des choses certaines (traduit par Marc Porcu)
THIERRY MARICOURT Miel de neige ABED MANSEUR La Cendre des larmes EMMANUEL MERLE Pierres de folie RAPHAËL MONTICELLI Mer intérieure LAURE MORALI Orange sanguine MAYA OMBASIC Étrangers au coin du pourpre MAYA OMBASIC Cantique des Méridiens ROBERT PICCAMIGLIO Mille plaines, mille bateaux PAOLA PIGANI Indovina suivi de Ailleurs naît si vite JEAN-MICHEL PLATIER Quarantaines CHRISTIAN POIRIER Le Bonhomme MARC PORCU En filigrane sur la nuit MARC PORCU Ils ont deux ciels entre leurs mains FRANCIS PORNON Par-delà le grand fleuve JACQUES ROMAN La Chair touchée du Temps MARIE ROUSSET Romarome ÉRIC SARNER Éblouissements de Chet Baker SERGE SAUTREAU Le Sel de l’Éden PIERRE SOLETTI Le Silence, ses rebords JEAN-PIERRE SPILMONT Cinéma muet JEAN-LUC STEINMETZ Les Poètes de l’Île verte FABIENNE SWIATLY Ligne de partage des eaux ROLAND TIXIER Un temps d’hiver ARTURO USLAR PIETRI
L’homme que je deviens
MATTHIAS VINCENOT
Le Bonheur, rappelle-toi
Coordination : Thierry Renard Relecture : Thierry Renard et Michel Kneubühler Maquette, couverture et mise en page – Myriam Chkoundali d’après une création originale de Beau fixe – Manufacture d’images avec la collaboration et le soutien de l’Espace Pandora 8 place de la Paix 69200 Vénissieux © Éditions La passe du vent, 2018 La Callonne, 01090 Genouilleux http://www.lapasseduvent.com isbn 978-2-84562-324-8 14 x 22 cm – 106 pages
Ouvrage composé avec la police Helvetica Neue (TT), corps 11 sur papier Bouffant Ivoire 80 g. Couverture Couché moderne 1/2 mat. Blanc 300 g.
Achevé d’imprimer par Présence Graphique – 37260 Monts Dépôt légal septembre 2018