Un jour viendra. Poètes et écrivains, citoyens d'Europe, citoyens du monde

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Avec la collaboration et le soutien de l’Espace Pandora 8 place de la Paix 69200 Vénissieux

Collection « Haute Mémoire »

Les éditeurs tiennent à remercier très vivement MAYA OMBASIC, NIMROD ainsi que XAVIER NORTH pour leur précieuse contribution à cet ouvrage.

La publication de cet ouvrage s’inscrit dans le contexte du

(Ville de Lyon)

Collectif.- Un jour viendra… Poètes et écrivains, citoyens d’Europe, citoyens du monde.© Genouilleux, Éditions La passe du vent, 2019 160 p., ill.- 14 x 20,5 cm.- ISBN 978-2-84562-343-9.- http://www.lapasseduvent.com


UN JOUR VIENDRA… Poètes et écrivains, citoyens d’Europe, citoyens du monde

RENÉ ARCOS • ARISTIDE BRIAND • GEORGES DUHAMEL • VICTOR HUGO • MICHEL KNEUBÜHLER • ALEXIS LEGER • NIMROD • XAVIER NORTH • MAYA OMBASIC • THIERRY RENARD • ROMAIN ROLLAND • JULES ROMAINS • STEFAN ZWEIG


Ouverture

« Créer chez tous les Européens l’obsession quotidienne de l’Europe... » « Ce moment magnifique de l’histoire humaine, nous venons de le vivre dans le plus admirable décor qu’ait enfanté l’imagination des hommes, sous un ciel d’un gris tendre, au milieu d’une foule frémissante et digne, et grandie elle-même par la grandeur de l’acte qui s’accomplissait. Versailles, sans doute, a connu, depuis deux cent cinquante ans, des journées pathétiques : est-ce trop dire que la plus illustre est celle qui s’achève ? Et toute cette foule venue de partout n’en a-t-elle pas eu le sentiment profond ? ». Ainsi commence, sous la signature de Georges Bourdon1, l’article du Figaro daté du 29 juin 1919 relatant la signature, à Versailles, du traité qui mettait fin, près de huit mois après l’armistice du 11 novembre 1918, à la guerre avec l’Allemagne – comme l’a relevé l’historien anglo-allemand Robert Gerwarth, une vingtaine de conflits violents vont encore déchirer l’Europe jusqu’en 1923, qu’il s’agisse des guerres soviéto-polonaise (1919-1921) ou gréco-turque (1919-1922), ou des guerres civiles de Russie ou d’Irlande (1922-1923)2. 28 juin 1919 : naissance de la Société des Nations En ce 28 juin 1919, cinq ans jour pour jour après l’assassinat, à Sarajevo, de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, et de son épouse, la duchesse Sophie de Hohenberg, cette foule qu’évoque le journaliste s’est rendue à Versailles afin d’assister au ballet des personnalités venues signer le traité grâce auquel « l’état de guerre prendra fin » pour faire « place à une Paix solide, juste et durable ». Et Georges Bourdon de décrire ce moment solennel : « [...] Un grand silence dans cette foule. Elle regarde. Elle attend. Elle est immobile. Elle n’a point d’impatience. Elle réalise, dans sa pensée recueillie, le fait immense qui s’accomplit là-haut, derrière 7


ces hautes fenêtres d’où Louis XIV vint si souvent laisser tomber son regard sur les bassins devant lesquels elle est groupée… Trois heures trois quarts. Soudain, à un signal que nul n’a perçu, des salves d’artillerie déchirent l’air, des avions se jouent dans le soleil qui glisse entre les nuages le ruissellement de ses rayons. Une houle fait onduler les têtes, un frémissement secoue les poitrines. Serait-ce donc fini ? Oui, c’est fini. Ils ne savent pas encore qu’à trois heures quinze, les Allemands avaient signé, et que déjà l’acte était consommé »3. Ce traité de Versailles qui vient d’être solennellement paraphé dans la galerie des Glaces – là-même où, le 18 janvier 1871, avait été proclamé le IIe Reich – compte quatre cent quarante articles et il n’est pas anodin que les vingt-six qui composent la section intitulée « Pacte de la Société des Nations » aient été placés en premier. En effet, conformément aux « quatorze points » de la doctrine rendue publique, le 8 janvier 1918, par le président des États-Unis d’Amérique, Woodrow Wilson, l’ambition des négociateurs ne se limite pas à sceller la fin du conflit qui a opposé l’Allemagne aux Alliés ; elle vise aussi à poser les bases d’un nouvel ordre international capable d’empêcher le déclenchement d’un nouveau conflit mondial et de contribuer à assurer la sécurité collective de tous les peuples. D’où ces quelques lignes qui précèdent l’article premier du traité : « Les hautes parties contractantes, considérant que, pour développer la coopération entre les nations et pour leur garantir la paix et la sûreté, il importe : – d’accepter certaines obligations de ne pas recourir à la guerre, – d’entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l’honneur, – d’observer rigoureusement les prescriptions du droit international, reconnues désormais comme règle de conduite effective des gouvernements, – de faire régner la justice et de respecter scrupuleusement toutes les obligations des traités dans les rapports mutuels des peuples organisés, – adoptent le présent pacte qui institue la Société des Nations ». 8


On sait ce qu’il advint de cette première tentative d’organisation internationale vouée à interdire les conflits et encourager la coopération entre les pays. Et, depuis John Maynard Keynes et son livre Les Conséquences économiques de la paix, il n’a pas manqué de censeurs pour évoquer cette « paix bâclée » qui aurait, structurellement, conduit à la Seconde Guerre mondiale. Les historiens sont aujourd’hui plus mesurés dans leur jugement : ainsi, pour Vincent Laniol, « l’échec n’était pas forcément inscrit dans la prose du traité » et « l’ordre versaillais [...] n’était pas forcément vicié dès l’origine ». Et l’historien de poser la question : « que serait devenu le monde si la crise économique de 1929 n’avait pas éclaté ? Aurait-on eu le même jugement sur la paix de Versailles ? »4. 28 juin 2019 : drôle d’ambiance pour un centenaire... De fait, en 1919, elle était déjà ancienne, cette idée que l’humanité devait s’atteler à trouver une organisation à même d’éviter les guerres. Bien des penseurs estimaient que c’est d’abord à l’échelle du continent européen que la solution devait être trouvée. Dès 1713, l’abbé de Saint-Pierre avait élaboré un Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe ; en 1756, Jean-Jacques Rousseau livrait lui aussi ses Extraits et jugements sur le projet de paix perpétuelle ; un quart de siècle plus tard, c’était le tour d’Emmanuel Kant de proposer son Essai sur la paix perpétuelle (1790). Après la Révolution française et l’épopée napoléonienne, le comte de Saint-Simon et son jeune co-auteur, Augustin Thierry, publiaient quant à eux, en 1814, un ouvrage intitulé De la réorganisation de la société européenne, ou De la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique, en conservant à chacun son indépendance nationale, dans lequel ils formulaient la prédiction suivante : « Il viendra sans doute un temps où tous les peuples de l’Europe sentiront qu’il faut régler les points d’intérêt général avant de descendre aux intérêts nationaux ; alors, les maux commenceront à devenir moindres, les troubles à s’apaiser, les guerres à s’éteindre ; c’est là que nous tendons sans cesse, c’est là que le cours de l’esprit humain nous emporte ! Mais lequel est le plus digne de la prudence de l’homme... de s’y traîner, ou 9


d’y courir ? ». Et, dans leur fougue, nos deux auteurs n’hésitaient pas à pronostiquer un avenir radieux : « L’imagination des poètes a placé l’âge d’or au berceau de l’espèce humaine parmi l’ignorance et la grossièreté des premiers temps : c’était bien plutôt l’âge de fer qu’il fallait y reléguer. L’âge d’or du genre humain n’est point derrière nous, il est au-devant, il est dans la perfection de l’ordre social ; nos pères ne l’ont point vu, nos enfans y arriveront un jour : c’est à nous de leur en frayer la route »5. À l’heure où nous écrivons ces lignes, s’approche le jour du « centenaire de la paix »6, dans un contexte à vrai dire pour le moins étrange, voire inquiétant. Le lointain successeur de Woodrow Wilson et actuel locataire de la Maison-Blanche, qui avait choisi comme slogan de campagne : « America first ! », « entreprend avec détermination », pour reprendre l’analyse de Régine Perron, « la déstabilisation du multilatéralisme, afin de le rendre inefficace ». Tant pis si, tirant « les leçons de trois grands événements du XXe siècle : les conquêtes de territoires et la Première Guerre mondiale, la crise de 1929 et la Grande Dépression, la montée du fascisme et la Seconde Guerre mondiale », les générations précédentes avaient su inventer un système de coopération internationale « sur la base de trois piliers [...] : la sécurité et la paix pour l’Organisation des Nations-Unies, la prospérité pour le Fonds monétaire international et le GATT (qui deviendra l’Organisation mondiale du commerce-OMC en 1995) et le bien-être pour la Commission des droits de l’homme [...] qui se base sur la Déclaration universelle des droits de l’homme ». Fragilisées, toutes ces institutions : le président de la première économie mondiale et de la première puissance militaire de la planète – qui est aussi une des plus anciennes démocraties – proclame « qu’à compter d’aujourd’hui, une nouvelle vision prévaudra dans notre pays : ce sera l’Amérique d’abord et seulement l’Amérique. L’Amérique d’abord ! »7. Du côté de l’Europe, le climat n’est guère plus réjouissant : depuis le 23 juin 2016, jour du succès du « Brexit », un pays a, pour la première fois depuis 1957, décidé par voie référendaire de quitter l’organisation mise en place à l’échelle de l’Europe ; dans plusieurs pays du Vieux Continent, des gouvernements flattent leur opinion publique et contestent ouvertement l’Union européenne ; les partis populistes ont partout le vent en poupe et l’on peut craindre que les élections du printemps 2019 consacrent leur audience croissante.  10


« Allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux » « Quand la nuit essaie de revenir », a écrit Victor Hugo, « il faut allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux »8 : c’est forts de cette conviction que nous avons souhaité consacrer un volume de cette collection « Haute Mémoire » au centenaire de la paix. Conformément au principe de la collection, le lecteur trouvera donc dans les pages qui suivent, non seulement une sélection de textes qui, depuis près de deux siècles, plaident pour la coopération européenne et la paix mondiale, mais aussi trois contributions d’auteurs contemporains à qui nous avons demandé de lire certains de ces textes : ainsi, Nimrod s’est vu confier le discours prononcé par Victor Hugo, le 22 août 1849, lors du Congrès des amis de la paix universelle ; Maya Ombasic a lu la Déclaration d’indépendance de l’Esprit publiée, il y a tout juste cent ans, par Romain Rolland, ainsi que les réponses de Stefan Zweig à l’enquête sur « l’esprit européen » menée, en juillet 1936, par les Nouvelles littéraires ; enfin, le texte de Xavier North a été rédigé après lecture des propos d’Aristide Briand tenus à Genève le 5 septembre 1929, ainsi que du Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’Union fédérale européenne composé l’année suivante par son directeur de cabinet, Alexis Leger, alias Saint-John Perse. Comment, d’abord, ne pas dire toute notre gratitude à ces trois auteurs, amis de toujours, et complices pour l’occasion, tous trois exacts au rendez-vous de l’impossible, et ne pas les remercier infiniment pour leurs contributions tellement nécessaires au jour blessé d’aujourd’hui ? Merci, donc, à eux trois d’avoir répondu à l’appel vibrant de cette collection, « Haute Mémoire », collection qui ne pouvait pas rester hors du coup, en cette année d’échéances électorales cruciales. Les enjeux et les défis sont trop importants. Les perspectives, elles aussi. Merci pour leurs messages littéraires, philosophiques et politiques, qui refusent les contraintes de l’actualité immédiate et, surtout, les idées les plus sombres : le repli sur soi, identitaire ; l’aveuglement idéologique et toujours incertain. Il y a les auteurs d’aujourd’hui... mais aussi les plumes du passé. Or, comme elles sont très nombreuses à avoir plaidé la cause de l’Europe et de la paix... le choix, on l’imagine, n’a pas été simple. En définitive, nous avons décidé de ne retenir que des auteurs de langue 11 


française, à l’exception notable de Stefan Zweig, sans doute le plus Européen de tous. Parallèlement, à l’exception tout aussi notable de Victor Hugo, nous avons privilégié les écrits parus dans ces deux décennies que l’on a coutume d’appeler « l’entre-deux-guerres » et que certains analystes n’hésitent pas, parfois, à comparer à la période que nous vivons. Enfin, nous nous sommes cantonnés aux textes dus à des poètes ou écrivains, même si nous avons jugé intéressant, dans la mesure où ces deux textes portent la « patte » d’un futur prix Nobel de littérature, de publier des extraits du discours d’Aristide Briand et du Mémorandum d’Alexis Leger. « Un jour viendra... » « Pour commencer », nous avons retenu le texte de Georges Duhamel, « Mission du Poète », paru, le 15 février 1923, dans la première livraison de la revue Europe... Europe, L’Europe nouvelle, La Revue européenne, Europaïsche Gespräche Revue, Pan Europa etc., sans doute n’est-il pas inutile de souligner le rôle qu’ont, dans l’entre-deux-guerres, joué, en France comme dans d’autres pays, les revues : « La plupart des grandes revues culturelles », écrit ainsi Étienne Deschamps, « se font l’écho des interrogations nouvelles sur l’identité et l’unité du Vieux Continent, d’une Europe plurielle, reliée par le sentiment d’une communauté de destin et susceptible de se muer en entité économique et politique mais, en même temps, ouverte à l’ensemble des cultures mondiales »9. Pour sa part, le texte de Georges Duhamel dit bien à quel point, pour nombre de ces écrivains qui furent aussi, quelques années auparavant, des combattants, la littérature peut transcender les frontières et les cultures nationales : « Qu’un poète élève la voix, qu’un musicien saisisse son violon, qu’un peintre ou qu’un sculpteur surprenne et fixe les raisons de la vie, qu’un véritable créateur surgisse en quelque endroit du globe, et je dis que ma patrie est là même où cet homme respire, je dis que ma patrie est en tout lieu que je peux connaître et chérir à travers l’âme d’un poète »10. Douze ans plus tard,  12


les responsables de la revue feront entendre comme un écho de ce texte inaugural : dans la droite ligne de son principal inspirateur, Romain Rolland, Europe y est présentée à la fois comme un « organe de culture française et de liaison internationale [...] une revue littéraire groupant des écrivains français et étrangers, partisans de l’indépendance de l’esprit », s’attachant « à tout ce qui est susceptible de développer en nous la compréhension affectueuse »11. En ouverture du premier chapitre, il nous a semblé que nous ne pouvions faire autrement que de reprendre le discours de Victor Hugo évoqué ci-dessus, en raison de sa puissance – un « très grand Hugo [...] une houle », écrit Nimrod – et de sa capacité à « faire flamboyer l’avenir »12 : « Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées »13. À la suite du discours hugolien et du commentaire inspiré qu’en fait Nimrod, notre choix s’est porté sur un autre texte de la revue Europe déjà citée. C’est en effet dans une livraison postérieure de ce même mensuel que paraît, en avril 1930, un texte dans lequel un autre écrivain appelle de ses vœux l’union des pays du Vieux Continent. Le plus remarquable est sans doute que ce texte, bien que publié en 1930, a été rédigé quinze années plus tôt, en pleine Première Guerre mondiale, par un auteur qui, l’année suivante, en 1916, écrira un long poème précisément intitulé Europe. « Pour que l’Europe soit » : le titre du texte que Jules Romains, futur rédacteur de ce roman-fleuve que sont Les Hommes de bonne volonté (1932-1946), est explicite, de même qu’est forte sa conviction que l’adhésion massive des citoyens européens est indispensable à la réalisation de l’union des différents pays : « Le point capital, c’est que le plus grand nombre d’hommes possible, dans chaque État de l’Europe, prennent conscience et affirment, que leur premier besoin, leur première revendication se nomme : l’unité européenne ». Sans doute fallait-il une bonne dose d’optimisme pour, alors que le conflit s’enlisait dans les tranchées, estimer – au motif que « le contraire naît du contraire, selon les sages antiques » – « que la présente guerre [pouvait être] le point d’origine de l’unification de l’Europe »14 ! 13 


Le rôle... la « mission » des intellectuels Dans son essai, Écriture et culture. Écrivains et philosophes face à l’Europe. 1918-195015, Pascal Dethurens évoque « la façon dont les écrivains les plus célèbres des années [19]20, [19]30, [19]40 » ont fait de l’Europe une « matière littéraire, en élaborant un imaginaire inédit et une nouvelle poétique de la culture européenne ». La liste des noms qu’il déroule est plus qu’éloquente : « Gide, Valéry, Breton, Malraux et Rolland en France ; Th. Mann, Hesse, Kafka et Döblin en Allemagne ; St. Zweig, Broch, Musil, Hofmannstahl, Rilke et Schnitzler en Autriche ; Svevo, Pirandello et d’Annunzio en Italie ; Alberti, Garcia Lorca et Valle-Inclan en Espagne ; Pessoa au Portugal ; Séféris en Grèce ; T.S. Eliot, Lawrence, Huxley et Woolf en Angleterre ; Joyce en Irlande ; Lagerlöf en Suède ; Hamsun en Norvège ; Witkiewicz en Pologne ; Capek en Tchécoslovaquie »... excusez du peu ! Ce sont deux de ces intellectuels que nous avons retenus pour le deuxième chapitre. Le premier, Romain Rolland, tient un rôle éminent, non seulement parce que, dès septembre 1914 – avec son fameux article « Au-dessus de la mêlée »16 –, il a su anticiper le cataclysme qui allait s’abattre sur le continent, mais aussi parce qu’en 1919, dans sa Déclaration d’indépendance de l’Esprit, il a formulé ce que devait être, à ses yeux, la responsabilité des « travailleurs de l’Esprit » : « Notre rôle, notre devoir, est de maintenir un point fixe, de montrer l’étoile polaire, au milieu du tourbillon des passions, dans la nuit. Parmi ces passions d’orgueil et de destruction mutuelle, nous ne faisons pas un choix : nous les rejetons toutes [...] Nous ne connaissons pas les peuples. Nous connaissons le Peuple [...] le Peuple de tous les hommes, tous également nos frères »17. Sans surprise, le deuxième de ces intellectuels, Stefan Zweig, est sur la même longueur d’ondes que son ami Romain Rolland : « L’esprit européen existe, sans aucun doute », écrit-il en 1936, « mais il est encore à l’état latent ». Par conséquent, pour lui, « la tâche des intellectuels est de transformer cette force latente en force dynamique. Il leur faudrait essayer de paralyser les forces contraires qui s’y opposent. Tout d’abord,  14


le nationalisme, qui devrait être en Europe, et depuis longtemps déjà, un phénomène historiquement classé »18. À l’instar de nombre de ses confrères, Zweig sait bien que, pour reprendre l’analyse de Bertrand Vayssière, « le message de l’écrivain, qui pousse à la connaissance de l’autre et à la prise de conscience de la valeur universelle de l’homme, exige qu’il donne la primauté du conscient sur l’inconscient ; la difficulté est que ce message s’adresse à des générations d’Européens auxquelles on a inculqué l’exceptionnalité de chacun de leurs pays, l’unicité de ses origines et de son destin, le culte des héros et la morale du sacrifice »19. Aussi, afin de fortifier à l’avenir le sentiment européen, estime-t-il que le « véritable devoir » des intellectuels consiste peut-être « à mettre en branle nos forces pour que tout au moins la jeunesse d’aujourd’hui soit préservée de cette maladie »20 qu’est le nationalisme. En effet, écrit-il ailleurs, « l’égoïsme sacré du nationalisme restera toujours plus accessible à la moyenne des individus que l’altruisme sacré du sentiment européen, parce qu’il est toujours plus aisé de reconnaître ce qui vous appartient que de comprendre votre voisin avec respect et désintéressement »21. Huit décennies après ces lignes, Maya Ombasic – que, comme Stefan Zweig, la guerre a chassée de son pays et qui, comme lui, a trouvé refuge dans le Nouveau Monde –, dresse – hélas ! – le même constat dans son texte fort émouvant : « Le mal a emporté mon pays dans les flammes. La haine de ‘l’autre’, nourrie par les forces du mal dans la fertile terre de la peur, a gagné la bataille. Hier, j’ai perdu mon pays. Bientôt, je n’aurai plus de continent [...] L’Europe doit résister à la tentation de l’abîme proposée par les réveils ethno-nationaux et centrifuges cristallisés dans cette dangereuse conception mono-ethnique de l’État-nation »22. Afin de lutter contre les conséquences nocives de ce nationalisme, Zweig plaide pour que les intellectuels européens œuvrent dans trois directions privilégiées : – primo, « élaborer une nouvelle forme, une autre conception de l’histoire que celle que nous avons apprise », de sorte que « l’histoire de demain » qu’il appelle de ses vœux oppose « au vieil idéal de la victoire l’idéal nouveau de l’unité, à la vieille glorification de la guerre son mépris absolu de toute guerre »23 ; 15 


– secundo, que les jeunes – et, notamment, les étudiants – aient l’occasion de poursuivre pour partie leur cursus à l’étranger... remarquable anticipation du programme « Erasmus » ! « Il me semble depuis longtemps », déclare Zweig en 1932, « que des conventions internationales entre États et universités seraient nécessaires, qui permettraient aux étudiants d’obtenir la reconnaissance d’un semestre ou d’une année d’études dans une université étrangère [...] Et chaque pays tirerait profit de la présence, dans ses administrations publiques, dans son commerce, dans ses universités, de cette fine fleur de la jeunesse ayant noué avec les pays étrangers, dès ses années d’études, des liens intimes et naturels de camaraderie et d’éducation »24 ; – tertio, Zweig entend lutter contre ce que nous appelons aujourd’hui les « infox », pour reprendre l’heureux terme que la commission d’enrichissement de la langue française a proposé en remplacement de l’expression fake news en usage dans le monde anglo-saxon : « L’expérience prouve que la haine entre les nations, les races et les classes, entre les groupes humains, apparaît rarement de l’intérieur, mais le plus souvent par infection ou par excitation, et que le moyen le plus dangereux de l’attiser est la contre-vérité rendue publique et propagée par les imprimés »25. Si cette période de l’entre-deux-guerres n’a pas vu la concrétisation de ces suggestions de Stefan Zweig, d’autres initiatives, elles, ont vu le jour : outre les nombreuses revues culturelles déjà évoquées ci-dessus, on peut citer : – la fondation, en 1921, sur l’initiative de la dramaturge et poète britannique Catherine Amy Dawson Scott et de son compatriote, le romancier et dramaturge John Galsworthy, futur prix Nobel de littérature (1932), du Pen Club International destiné à rassembler « des écrivains de tous pays attachés aux valeurs de paix, de tolérance et de liberté sans lesquelles la création devient impossible » ; – le développement des rencontres internationales telles que les Décades de Pontigny26, créées en 1910 et reprises à partir de 1922, où la fine fleur de la littérature française – André Gide,  16


Roger Martin du Gard, André Malraux... – croise les Allemands Heinrich et Thomas Mann, l’Anglais Roger Fry, le Russe Nicolas Berdiaev, ou les Rencontres du château de Colpach (Luxembourg), qui accueillent le philologue allemand Ernst Robert Curtius, le sociologue français André Siegfried ou Jean Schlumberger, un des co-fondateurs de La Nouvelle Revue française (NRF) ; – la participation de nombreux penseurs, scientifiques ou écrivains européens aux travaux de la Commission internationale de coopération intellectuelle mise en place en 1922 par la Société des Nations, « l’UNESCO oubliée »27, que préside à ses débuts Henri Bergson et dans laquelle siègent Marie Curie, Albert Einstein ou Robert Andrews Millikan, prix Nobel de physique en 1923. Du côté des politiques et des poètes-diplomates Avec Aristide Briand, président du Conseil à cinq reprises et quasi inamovible ministre des Affaires étrangères au cours de la décennie, et Gustav Stresemann, son homologue allemand – symboliquement, les deux hommes reçoivent conjointement, en 1926, le prix Nobel de la paix –, les années 1920 voient se multiplier les tentatives destinées à mettre l’Europe à l’abri d’une nouvelle guerre. Précédé par les accords de Locarno (5-16 octobre 1925), le pacte BriandKellogg (du nom du secrétaire d’État américain à l’initiative, avec Briand, du texte) est signé le 27 août 1928 à Paris par pas moins de soixante-trois pays, qui déclarent condamner « le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux ». Dans la foulée, le Quai d’Orsay entend pousser son avantage et, le 5 septembre de l’année suivante, Aristide Briand, devant l’Assemblée de la Société des Nations, évoque ouvertement l’hypothèse d’une fédération européenne, une idée, déclare-t-il, « qui a hanté l’imagination des philosophes et des poètes, qui [...] a progressé dans les esprits par sa valeur propre [et] a fini par apparaître comme répondant à une nécessité » ; et à l’oreille des délégués présents dans la salle de la Réformation comme du nombreux public qui, à l’extérieur, entend ses propos reproduits par haut-parleurs, il fait retentir cette phrase : « Je pense qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme les 17 


peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral ». Aux yeux du président du Conseil français, c’est surtout dans le domaine économique que cette association des pays d’Europe peut agir ; mais il affirme être « sûr aussi qu’au point de vue politique, au point de vue social, le lien fédéral, sans toucher à la souveraineté d’aucune des nations qui pourraient faire partie d’une telle association, peut être bienfaisant »28. À en croire le Journal de Genève, la proposition est accueillie avec enthousiasme : « À sa descente de tribune, M. Briand est accueilli par une interminable ovation. À sa sortie de l’hôtel Victoria, il est acclamé par la foule »29. Avant de se séparer, les représentants des différents pays confient au gouvernement français la mission de rédiger un Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’Union fédérale européenne, tâche à laquelle s’attelle le directeur de cabinet de Briand au Quai d’Orsay qui, comme on l’a dit, n’est autre qu’Alexis Leger. Toutefois, quand le ministre français, au printemps suivant, est en mesure de soumettre le texte aux délégués européens, le contexte n’est plus du tout le même : le mois qui a suivi le discours de Genève a vu successivement, le 3 octobre, la disparition subite de Gustav Stresemann puis, trois semaines plus tard, le déclenchement, lors du « jeudi noir » (24 octobre), de la fameuse crise économique à laquelle l’année 1929 reste attachée. Le poète-diplomate a beau affirmer que « toute possibilité de progrès dans la voie de l’union économique étant rigoureusement déterminée par la question de sécurité et cette question elle-même étant intimement liée à celle du progrès, réalisable dans la voie de l’union politique, c’est sur le plan politique que devrait être porté tout d’abord l’effort constructeur tendant à donner à l’Europe sa structure organique »30, les temps ne se prêtent guère, désormais, aux propositions audacieuses. Si bien que cette « première initiative diplomatique de l’histoire en faveur de l’organisation d’un regroupement des nations européennes » (Jean-Michel Guieu) que constituent le discours de Briand et le Mémorandum de Leger va donc s’enliser au cours des années suivantes avant de disparaître. Ici ou là, des intellectuels continuent certes de militer pour l’idée d’une union des pays du Vieux Continent. Mais le cœur n’y est  18


plus vraiment, surtout après l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler (30 janvier 1933). En témoignent ces propos de Georges Duhamel, tenus lors de rencontres organisées, du 16 au 18 octobre 1933, par le Comité français pour la coopération européenne : « Un énorme, un affreux silence est tombé sur le génie européen. Nous avons eu tous cette impression étonnante que l’esprit européen était frappé de stupeur, qu’un découragement infini étreignait les ouvriers de l’Europe future »31. Et aujourd’hui ? Que dire aujourd’hui, un siècle tout juste après le traité de Versailles, la création de la Société des Nations et la publication de la Déclaration d’indépendance de l’Esprit ? Comme le fait observer à raison Xavier North : « Une remarque d’emblée s’impose : au fond, de l’Europe telle qu’Aristide Briand et Alexis Leger l’esquissaient il y a près d’un siècle entre deux grands conflits mondiaux, l’Union européenne d’aujourd’hui est à bien des égards l’héritière [...] n’oublions jamais qu’elle nous a offert la plus longue période de paix et de prospérité de notre histoire »32. Pour autant, peut-on parler en 2019 de « Patrie européenne », comme le souhaitait en 1923, dans la première livraison de la revue Europe, son rédacteur en chef, le poète René Arcos ? « L’idée de patrie », écrivait-il, « comme on la conçoit généralement, n’est qu’une idée d’avare. Harpagon crispé sur son petit bien hait tous ses voisins et redoute son ombre même. L’homme libre vit dans une maison aux fenêtres grandes ouvertes pour que puisse entrer largement le dehors [...] Dilatons-nous jusqu’à l’universel ». Pour lui, le constat était clair : « Au lendemain de l’armistice, une œuvre magnifique nous réclamait. Tous les peuples étaient las de haïr »33... un constat qui s’accompagnait de l’espoir de rebâtir une autre Europe, où, comme l’anticipait déjà Victor Hugo, les particularismes nationaux seraient analogues aux spécificités régionales que connaît un pays comme la France. C’est la même idée que l’on retrouve, à la fin des années 1930, sous la plume fictive d’Antoine, le personnage principal de l’Épilogue des Thibault, le roman-fleuve de Roger Martin du Gard : « Tout peut changer demain, à l’heure de la paix. Parce que tous les pays d’Europe 19 


seront revenus à zéro. Table rase. Épuisés par la guerre, ayant vidé leurs arsenaux, ils auront à recommencer tout sur des bases neuves [...] Il faudrait maintenant que l’immense majorité des hommes qui veulent la paix impose enfin à l’infime minorité de ceux qui ont intérêt à fomenter des guerres, une organisation forte, capable de la défendre à l’avenir – une Ligue des nations [...] Les principales nations de l’Europe ont bien su, peu à peu, forger leurs unités nationales. Pourquoi le mouvement n’irait-il pas en s’amplifiant, jusqu’à la réalisation d’une unité continentale ? [...] L’attachement au sol, au dialecte, aux traditions, n’implique aucune hostilité violente à l’égard du voisin : Picardie et Provence, Bretagne et Savoie. Dans une Europe confédérée, les sentiments patriotiques ne seraient rien de plus que des caractères régionaux »34. Une quinzaine d’années après la parution de ce dernier volume des Thibault, Albert Camus se rend en Grèce dans le cadre des échanges franco-helléniques organisés par l’ambassade de France à Athènes et, durant son séjour de trois semaines, participe le 28 avril 1955 à une discussion sur l’avenir de la civilisation européenne à l’Union gréco-française. À cette occasion, il souligne lui aussi les « caractères régionaux » présents en Europe et observe même que certaines régions relevant de deux pays différents partagent parfois plus de traits communs que deux provinces relevant d’un même État : « Si nous comptons donc sur la seule bonne volonté des peuples européens, et il faut y compter parce que, sans elle évidemment, on ne peut pas avancer, elle ne suffira pas à nous faire avancer. Il faut donc des institutions. Votre objection à ces institutions, qui seraient naturellement des institutions communes, est que la différence des mœurs et des modes de vie entre les peuples européens s’y oppose. Je vous opposerai l’exemple de la France. Un Marseillais est certainement plus près d’un Napolitain que d’un habitant de Brest. Il y a une très grande différence entre un Perpignanais et un Roubaisien. Il n’empêche que l’unité de la France s’est faite et qu’aujourd’hui Perpignan et Roubaix élisent un même gouvernement, qu’il soit bon ou mauvais ». Et il poursuit, car il ne renonce jamais vraiment. Il enfonce même le clou : « Pour moi, le principal ennemi d’une civilisation, c’est d’abord elle-même. Si la  20


civilisation européenne est en danger, c’est sans doute parce que des Empires ou des civilisations exercent sur elle des pressions de l’extérieur, mais c’est principalement parce qu’elle n’a pas en elle assez de santé ni assez de force pour répondre à ce défi de l’histoire »35. Au risque du lyrisme – mais sans naïveté –, affirmons donc que l’Europe n’est pas une denrée périssable, un nuage gris dans le ciel, une passion triste, un souvenir ou un regard flou. L’Europe est un rêve en cours de réalisation, un chemin ambitieux, une promesse de futur. Sans elle, sans cette idée de l’Europe, nous n’inventerons plus rien, et nous resterons à la remorque de l’Histoire avant le déclin assuré. Et sans doute en sommes-nous aujourd’hui, une nouvelle fois, à un moment crucial, une « heure décisive », comme l’écrivait déjà Alexis Leger en 1930, « où l’Europe attentive peut disposer elle-même de son propre destin »36. Alors, l’Europe, oui, l’Europe et ses sentiers sinueux, et ses revers, et ses échecs, même. Mais aussi l’Europe des luttes pour une meilleure justice sociale et pour la liberté, l’Europe des grandes civilisations. L’Europe à tout prendre, l’Europe à tout crin. Quel autre projet en effet, aussi passionnant, pourrait ainsi nous mettre le feu et redonner un souffle à notre élan et à nos espoirs ? L’Europe, oui, l’Europe malgré tout. Et oui à l’Europe des peuples, sans aucun doute, une Europe libre et indépendante. Oui à l’Europe fédérale ou des Nations. Chacun trouvera midi à sa porte. Oui à l’Europe dans sa pleine diversité, et contre toutes les lois de la finance absurde et du libéralisme affirmé. Oui, enfin, à l’Europe du progrès social, des symboles et de l’imagination. 21 


Car nous ne bâtirons rien sur les ruines de mondes maintenant disparus. Et nous n’empêcherons pas davantage les guerres inutiles si nous ne travaillons pas, sans plus tarder, tous ensemble, à l’avènement d’une nouvelle Europe, d’une Europe unie et solidaire. « Le bonheur est une idée neuve en Europe », avait déjà déclaré, vers la fin du dix-huitième siècle, le jeune révolutionnaire Louis Antoine de Saint-Just. Un jour viendra, oui, un jour viendra, c’est certain, où nous n’aurons plus d’autre choix. Où il faudra bien sortir du cadre imbécile et favoriser l’accès du plus grand nombre aux voies, encore impénétrables, de l’avenir. Dès 1915 – 1915 ! –, Jules Romains, déjà, le pressentait : « Il importe de créer chez tous les Européens l’obsession quotidienne de l’Europe »37.

Thierry Renard & Michel Kneubühler Vénissieux, le 24 avril 2019 Lyon, le 3 mai 2019

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Notes 1. Grand reporter au Figaro, Georges Bourdon (1868-1938) fit partie en mars 1918 des fondateurs du Syndicat national des journalistes, qu’il présida de 1922 à sa mort. 2. Robert Gerwarth, Les Vaincus. Violences et guerres civiles sur les décombres des Empires. 1917-1923, Paris, Éditions du Seuil, 2017 [trad. Aurélien Blanchard]. 3. Georges Bourdon, « Autour de la galerie des Glaces », in : Le Figaro, 29 juin 1919. 4. Vincent Laniol, « Versailles : l’échec n’était pas inscrit », in : L’Histoire, n° 449-450, juillet-août 2018, p. 50-62. 5. Claude-Henri, comte de Saint-Simon, et Augustin Thierry, in : De la réorganisation de la société européenne, ou De la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique, en conservant à chacun son indépendance nationale, Paris, chez Adrien Égrou, octobre 1814. 6. Sous cet intitulé, la Ville de Lyon a, sur l’initiative de Jean-Dominique Durand, adjoint au maire délégué au patrimoine, à la mémoire, aux anciens combattants et aux cultes, « souhaité impulser une mobilisation collective autour d’une thématique historique universelle : la paix, les droits humains ». D’où, de l’automne 2017 au printemps 2019, tout un ensemble d’initiatives « originales, sources de réflexion et d’ouverture sur le monde » dans lequel s’inscrit la publication du présent ouvrage. 7. Régine Perron, « La fin du multilatéralisme : une victoire de Donald Trump ? », in : La Revue géopolitique, 4 novembre 2018 [en ligne : https://www.diploweb.com/ La-fin-du-multilateralisme-une-victoire-de-Donald-Trump.html]. 8. Extrait de la réponse faite par Victor Hugo (et publiée par Paris-Journal le 28 février 1877) à l’invitation des organisateurs d’un banquet présidé par Louis Blanc le 24 février 1877 pour commémorer l’anniversaire de la fondation de la Deuxième République (24 février 1848). 9. Étienne Deschamps, « Écrivains », in : Dictionnaire historique de l’Europe unie, Waterloo, André Versaille éditeur, 2009 [dir. Gérard Bossuat, Pierre Gerbet, Thierry Grosbois ; préf. Élie Barnavi]. Créée en 1923 et toujours publiée, Europe a accueilli, dans ses premiers numéros, des textes de Romain Rolland, Charles Vildrac, Luc Durtain, Jean-Richard Bloch ou Léon Bazalgette ; fondée la même année 1923, mais disparue en 1931, La Revue européenne avait pour rédacteurs en chef Edmond Jaloux, Valéry Larbaud et Philippe Soupault ; parue de 1918 à 1940, L’Europe nouvelle, dirigée jusqu’en 1934 par Louise Weiss, a notamment relayé, pendant les années 1920, les positions d’Aristide Briand ; à l’étranger naissent au cours de la même année 1924, à Vienne, Paneuropa, la revue du comte Richard Coudenhove-Kalergi, et, à Berlin, Europaïsche Gespräche, celle que dirige Albrecht Mendelssohn-Bartholdy, proche du ministre allemand Gustav Stresemann ; en Espagne, voit le jour, à partir de 1923, sur l’initiative de José Ortega y Gasset, la Revista de Occidente, cependant qu’au Royaume-Uni, le poète T.S. Eliot fait paraître en 1922 The Criterion ; enfin, dans la ville où siège la Société des Nations, 23 


Robert de Traz anime dès 1920 la Revue de Genève, qui publie en 1929, sous le titre « Diagnostic de l’Europe », un des premiers essais de la jeune Marguerite Yourcenar. Sur ce sujet, voir aussi Michel Trebitsch, « Les revues européennes de l’entre-deux-guerres », in : Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 44, octobredécembre 1994, p. 135-138. 10. Georges Duhamel, « Mission du Poète », in : Europe, n° 1, 15 février 1923, p. 114-117. Cf. infra, p. 28-33. 11. In : Romain Rolland, Quinze ans de combat (1919-1934), Paris, Les Éditions Rieder, 1935. 12. « Le poète en des jours impies / Vient préparer des jours meilleurs / ll est l’homme des utopies / Les pieds ici, les yeux ailleurs / C’est lui qui sur toutes les têtes / En tout temps, pareil aux prophètes / Dans sa main, où tout peut tenir / Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue / Comme une torche qu’il secoue / Faire flamboyer l’avenir ! / Il voit, quand les peuples végètent !... ». In : Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840. 13. Victor Hugo, Discours au Congrès des amis de la paix universelle (22 août 1849). Cf. infra, p. 36-45. 14. Jules Romains, « Pour que l’Europe soit », in : Europe, n° 88, 15 avril 1930, p. 457-488. Cf. infra, p. 64-75. 15. Pascal Dethurens, Écriture et culture. Écrivains et philosophes face à l’Europe. 1918-1950, Paris, Honoré Champion, 1997. 16. Sous ce même titre, Romain Rolland a successivement publié : le 22 septembre 1914, dans le Journal de Genève, un article rédigé dès le 15 du même mois et dénonçant, dans la « monstrueuse épopée » qu’est déjà devenu le conflit, « le fait sans précédent » qu’est, « dans chacun des pays, l’unanimité pour la guerre » ; et, en novembre 1915, à l’enseigne de la Librairie Paul Ollendorff, un recueil de ses articles consacrés à la Grande Guerre et parus du 29 août 1914 au 1er août 1915. 17. Romain Rolland, « Déclaration d’indépendance de l’Esprit », in : L’Humanité, 26 juin 1919. Cf. infra, p. 78-83. 18. Stefan Zweig, « Réponse à l’enquête sur l’Esprit européen », in : Les Nouvelles littéraires, 4 juillet 1936, p. 3. Cf. infra, p. 92-95. 19. Bertrand Vayssière, « Les écrivains français entre conscience et militantisme européens (1919-1945) », in : Cahier d’histoire immédiate, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003, p. 140. 20. Stefan Zweig, « L’histoire de demain », in : Derniers messages.- Paris, Éditions Bartillat, 2013, p. 35 [préf. Jacques Le Rider ; trad. Alzir Hella]. 21. Stefan Zweig, « L’unification de l’Europe », in : Appels aux Européens, Paris, Éditions Bartillat, 2014, p. 111 [trad. Jacques Le Rider]. 22. Maya Ombasic, « Mal de continent ». Cf. infra, p. 96-99. 23. Stefan Zweig, « L’histoire de demain », op. cit., p. 41 [trad. Jacques Le Rider].

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24. Stefan Zweig, « La désintoxication morale de l’Europe », in : Appels aux Européens, Paris, Éditions Bartillat, 2014, p. 91-92 et p. 94-95 [trad. Jacques Le Rider]. Cf. infra, p. 84-91. 25. Ibid., p. 100 [trad. Jacques Le Rider]. Cf. infra, p. 84-91. 26. François Chaubet, « Les Décades de Pontigny (1910-1939) », in : Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 57, janvier-mars 1998, p. 36-44. 27. Jean-Jacques Renoliet, L’UNESCO oubliée, la Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999. 28. Aristide Briand, Discours devant l’Assemblée de la Société des Nations (Genève, salle de la Réformation, 5 septembre 1929). Cf. infra, p. 102-105. 29. Journal de Genève, 6 septembre 1929, p. 2. 30. Alexis Leger, Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’Union fédérale européenne, Paris, Ministère des Affaires étrangères, 1er mai 1930. Cf. infra, p. 106-115. 31. Georges Duhamel, L’Avenir de l’Esprit européen. Entretiens de Paris, 16-18 octobre 1933, Paris, Stock, 1934, p. 129. 32. Xavier North, « Vingt peuples sous nos lois parlant toutes les langues ». Cf. infra, p. 116-125. 33. René Arcos, « Patrie européenne », in : Europe, n° 1, 15 février 1923, p. 102113. Cf. infra, p. 126-135. 34. Les Thibault. Tome V. L’Été 1914 (fin). Épilogue, Paris, Le Livre de poche, 1962, p. 324-328 [1re éd. Paris, Gallimard, 1940]. 35. Albert Camus, « L’avenir de la civilisation européenne », in : Conférences et discours 1936-1958, Paris, Éditions Gallimard, 2017, p. 231 et p. 232-233. 36. Alexis Leger, Mémorandum..., op. cit. Cf. infra, p. 106-115. 37. Jules Romains, « Pour que l’Europe soit », op. cit. Cf. infra, p. 64-75.

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« Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne » VICTOR HUGO, Discours au Congrès des amis de la paix universelle

(Paris, 22 août 1849)


GEORGES DUHAMEL Issu d’une famille de la petite bourgeoisie parisienne, Georges Duhamel (1884-1966) participe, entre 1906 et 1908, à l’aventure de l’Abbaye, « groupe fraternel d’artistes » regroupé à Créteil autour – notamment – de Charles Vildrac, Albert Gleizes et René Arcos (voir p. 126-135). C’est là qu’en juillet 1907, il rencontre la comédienne Blanche Albane, qu’il épouse deux ans plus tard. Il termine en 1910 ses études de médecine et, quoique réformé, s’engage pendant la Grande Guerre dans le service de santé, au sein des « autochir », ces hôpitaux chirurgicaux mobiles qui secouraient les blessés à proximité du front. De ces quarante-huit mois passés en Champagne, à Verdun ou dans la Somme, « à ramer contre ce torrent de sang et à y repêcher des épaves », il tirera ses deux premiers romans, Vie des martyrs, publié en 1917, et Civilisation, qui obtient l’année suivante le prix Goncourt. Dès lors, Duhamel ne quittera plus le monde littéraire : élu à l’Académie française dès 1935, il livre avec la Chronique des Pasquier un cycle de dix romans qui contribue à sa notoriété. Dès 1919, Duhamel signe la Déclaration d’indépendance de l’Esprit de Romain Rolland (voir p. 78-83) puis publie en 1931 Géographie cordiale de l’Europe, livre dans lequel il relève qu’à « visiter ses frères ennemis, on finit par découvrir leur ressemblance intime » et que « compromis dans la mêlée, il existe pourtant encore le trésor familial, le précieux patrimoine, la commune civilisation ». Deux ans plus tard, l’arrivée au pouvoir des nazis le conduira, à son grand dam, à reconnaître que « l’esprit européen était frappé de stupeur, qu’un découragement infini étreignait les ouvriers de l’Europe future ».  28


Pour commencer GEORGES DUHAMEL

Mission du Poète1 Une baguette à la main, un jeune homme en habit noir circule devant l’écran, où se peignent de belles images. Ce jeune homme est un athlète audacieux, un grand « montagnard ». Portant sur son dos une provision d’oxygène, il s’est aventuré sur les pentes de la plus haute montagne du globe. Il en a presque touché la cime. J’aime la montagne ; j’aime l’Asie dont pourtant je ne sais presque rien ; j’aime l’effort immense et gratuit. Je suis donc venu écouter cet homme, puisqu’il descend du haut pays mystérieux où l’escorta mon rêve, étape par étape. Le voyageur parle simplement, modestement, ainsi qu’il est convenable en un temps où presque tous les jeunes hommes ont éprouvé les plus dures fatigues, les pires angoisses, les plus farouches périls. Le voyageur donne un petit nombre de détails techniques, et il cite des chiffres. Le public écoute, s’amuse, rit, murmure et applaudit aux chiffres. Je m’en retourne avec mon rêve. L’expédition comportait, nous fut-il dit, un général, un colonel, un capitaine, deux médecins. On n’a pas parlé du poète. Dommage ! Si vraiment l’expédition ne comportait point de poète, j’ai peur que ce bel exploit demeure à jamais comme s’il n’avait pas été accompli. J’ai peur qu’il n’ait pas été accompli. J’appelle poète l’homme, le témoin capable d’entrevoir et de révéler cette vérité essentielle que le film et les chiffres sont impuissants à nous faire connaître. Si l’Himalaya veut être l’Himalaya, qu’il appelle ou suscite son poète ; et, s’il l’a déjà suscité, qu’il nous l’envoie. 29 


CHAPITRE 1 « Un jour viendra… »

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VICTOR HUGO Le Victor Hugo qui préside le « Congrès des amis de la paix universelle » en cet été 1849 n’est déjà plus le jeune royaliste qui, deux décennies plus tôt, se pressait à Reims pour assister au sacre de Charles X. Pour autant, ce n’est pas encore l’icône républicaine qu’il deviendra à la fin de sa vie, après les années d’exil dues à « Napoléon le Petit ». Alors quadragénaire – « ce siècle avait deux ans… » –, il est membre de l’Académie française et, après avoir été nommé à la Chambre des pairs en 1845, s’est fait élire, dans les semaines qui ont suivi la révolution de février 1848, député à l’Assemblée législative où, pour quelques mois encore, il siège sur les bancs de la droite. Organisé par plusieurs sociétés européennes et nord-américaines, ce Congrès se tient du 22 au 24 août à Paris, salle Sainte-Cécile, 59 rue de la Chaussée-d’Antin, et rassemble plusieurs centaines de délégués, dont une majorité venus d’Angleterre. Si des divergences sont rapidement apparues entre les partisans d’une instance internationale chargée de régler les différends entre pays avant que n’éclatent les conflits armés et ceux qui, tel Hugo, plaidaient pour un fédéralisme à la manière américaine et donc un Parlement européen souverain, le Congrès anticipa d’un siècle les questions que se posèrent, après la Seconde Guerre mondiale, les pères de la construction européenne.  36


VICTOR HUGO

Discours au Congrès des amis de la paix universelle (Paris, 22 août 1849)

Messieurs, Beaucoup d’entre vous viennent des points du globe les plus éloignés, le cœur plein d’une pensée religieuse et sainte ; vous comptez dans vos rangs des publicistes, des philosophes, des ministres des cultes chrétiens, des écrivains éminents, plusieurs de ces hommes considérables, de ces hommes publics et populaires qui sont les lumières de leur nation. Vous avez voulu dater de Paris les déclarations de cette réunion d’esprits convaincus et graves, qui ne veulent pas seulement le bien d’un peuple, mais qui veulent le bien de tous les peuples (Applaudissements). Vous venez ajouter aux principes qui dirigent aujourd’hui les hommes d’État, les gouvernants, les législateurs, un principe supérieur. Vous venez tourner en quelque sorte le dernier et le plus auguste feuillet de l’Évangile, celui qui impose la paix aux enfants du même Dieu, et, dans cette ville qui n’a encore décrété que la fraternité des citoyens, vous venez proclamer la fraternité des hommes. Soyez les bienvenus ! (Long mouvement). En présence d’une telle pensée et d’un tel acte, il ne peut y avoir place pour un remerciement personnel. Permettez-moi donc, dans les premières paroles que je prononce devant vous, d’élever mes regards plus haut que moi-même, et d’oublier, en quelque sorte, le grand honneur que vous venez de me conférer, pour ne songer qu’à la grande chose que vous voulez faire. 37 


NIMROD Né au Tchad en 1959, NIMROD est poète, romancier et essayiste. Il a publié à ce jour plus d’une vingtaine d’ouvrages, dont Les Jambes d’Alice, Le Bal des princes, La Nouvelle Chose française, Rosa Parks, Non à la discrimination raciale, L’Or des rivières, Babel, Babylone, etc.), qui ont été couronnés entre autres par le prix de la Vocation, le prix Benjamin Fondane, le prix Édouard Glissant, le prix Ahmadou Kourouma, le prix Max Jacob, le prix des Charmettes / Jean-Jacques Rousseau, le prix Pierrette Micheloud. Ses derniers ouvrages sont Un balcon sur l’Algérois (roman, Actes Sud, 2013), Visite à Aimé Césaire (essai, Obsidiane, 2013), Léon-Gontran Damas, poète jazzy (biographie, À dos d’âne, 2014), Sur les berges du Chari, district Nord de la beauté (poèmes, Bruno Doucey, 2016), L’enfant n’est pas mort (roman, Bruno Doucey, 2017), J’aurais un royaume en bois flottés, anthologie personnelle 1989-2016 (Poésie/Gallimard, 2017), 120 nuances d’Afrique, anthologie composée et présentée avec Bruno Doucey et Christian Poslaniec (Bruno Doucey, 2017) et Gens de brume, récit, Actes Sud, 2017. À paraître : La Traversée de Montparnasse, roman, Gallimard, 2020 et Petit éloge de la lumière nature, poèmes, Obsidiane / Le Manteau & la Lyre, 2020.  46


NIMROD

Par-delà la houle (naître en exil) « […] Car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle » VICTOR HUGO

I J’ai écrasé une larme. Le premier paragraphe du Discours au Congrès de la Paix m’a ébranlé. M’est alors apparu que j’ai lu un très grand Hugo. Le titre que je cherchais pour mon article s’est imposé dans la foulée. Je contemplais maintenant tel un portrait liquide l’auteur des Travailleurs de la mer. Lorsqu’il les prononça, ces mots lui valurent des applaudissements. Victor Hugo est un orateur-né. Sa fonction tribunitienne est poétique, romanesque, dramaturgique. Elle se déploie par masses liquides. Au contact de la pierre, du granit, elle vibre à la manière de l’orgue : les voûtes de la cathédrale s’en émeuvent. Le discours hugolien est une houle. Il crée une géométrie de flux et de reflux, d’où sa faculté à engendrer l’émotion à vif. Nous sommes retournés, médusés sans même comprendre comment. Hugo n’est pas seulement le premier romantique de nos écrivains, il est aussi l’unique baroque de notre littérature. Il fait mouche à chaque syllabe. 47 


JULES ROMAINS Né Louis Farigoule en 1885, il passe son enfance en Haute-Loire puis à Paris, où son père a été nommé instituteur. Reçu à l’École normale supérieure en 1906, agrégé de philosophie en 1909, il enseigne successivement à Brest et à Laon avant d’être versé, de 1914 à 1916, dans les services auxiliaires et de retrouver, dès 1917, l’enseignement à Nice. Proche du « groupe de l’Abbaye », il se lie avec Charles Vildrac, Georges Duhamel et René Arcos (voir p. 28-33 et p. 126-135), et publie avant le déclenchement du conflit La Vie unanime (1908), Mort de quelqu’un (1911) et Les Copains (1913). Quittant l’enseignement, il connaît le succès au théâtre, donnant au cours de la même année 1923 Monsieur le Trouhadec saisi par la débauche et Knock ou le Triomphe de la médecine, puis en 1928 – en collaboration avec Stefan Zweig (voir p. 84-95) –, Volpone. Entre 1932 et 1946, il s’attelle à son grand œuvre, les vingt-sept volumes des Hommes de bonne volonté, qu’il rédige partiellement à Mexico, où il a trouvé refuge pendant la Seconde Guerre mondiale. Pacifiste convaincu, Jules Romains prend parti dès les années de guerre pour l’union des pays européens. En 1915, il rédige à l’intention du public nord-américain – les États-Unis ne sont pas encore entrés dans le conflit – une série d’articles qu’il regroupera en 1930 sous le titre Pour que l’Europe soit (voir ci-après) ; l’année suivante, il écrit Europe, un long poème publié par les Éditions de La Nouvelle Revue française dans lequel s’expriment à la fois son refus de la guerre et son espoir de fraternité entre les peuples : « Europe ! Je n’accepte pas / Que tu meures dans ce délire [...] Europe ! Europe ! / Je crie : Ne te laisse pas mourir... ».

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JULES ROMAINS

Pour que l’Europe soit1 (décembre 1915 – extraits)

[Avertissement de l’auteur lors de la publication de ses propos en 1930] Les pages qui suivent furent écrites en décembre 1915. Nous les publions aujourd’hui sans en changer une ligne [...] Il convient donc en lisant ces pages de penser constamment à la date où elles furent écrites. Elles contiennent quelques erreurs d’appréciation et de prévision, que le temps a fait apparaître, et que le premier venu aujourd’hui peut juger assez grossières [...].

I — La grande misère de l’Europe [...] Il peut paraître inopportun de parler d’unité européenne, par le temps qui court ; et le mot lui-même a un son chimérique, pour ne pas dire saugrenu. La présente guerre ne démontre-t-elle pas jusqu’à l’évidence que les divisions, que les haines entre les nationalités du vieux monde sont irréductibles ? Loin de se résoudre dans les nouvelles harmonies de la civilisation, elles s’invétèrent et s’aggravent. Elles s’inscrivent plus profondément. Ce qui était jadis querelle de rois ou de diplomates semble être devenu corps à corps passionné de peuples ; comme si chaque nation, dans tous ses individus, avait acquis la conscience de sa solitude essentielle, en dépit des alliances précaires ; et de la nécessité d’une compétition sanglante, en dépit des conventions pacifistes ou des traités d’arbitrage ; dès que l’objet du litige a plus de valeur qu’une noisette, et surtout dès que l’occasion d’attaquer l’adversaire paraît favorable. 65 


CHAPITRE 2 « Nous ne connaissons pas les peuples. Nous connaissons le Peuple […] le Peuple de tous les hommes »

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ROMAIN ROLLAND Né à Clamecy (Nièvre) en 1866, Romain Rolland est reçu à vingt ans à l’École normale supérieure et à l’agrégation d’histoire en 1889. Passionné de musique – et notamment d’opéra, art auquel il consacre sa thèse de doctorat –, il publie en 1903 une Vie de Beethoven puis, entre 1904 et 1912, son roman-fleuve, Jean-Christophe, dont le personnage principal est un musicien allemand ; déjà, dans ce cycle romanesque, apparaît l’espoir d’une Europe unie et d’une humanité réconciliée. Se trouvant en Suisse en août 1914, Il choisit d’y rester et publie dès les premières semaines de la guerre Au-dessus de la mêlée, recueil d’articles dans lequel il s’alarme de la catastrophe en cours, signe selon lui de la faillite de la civilisation européenne. Après l’armistice, il s’affirme comme une des grandes consciences du Vieux Continent, cherchant à associer intellectuels et artistes du monde entier – Maxime Gorki, Gandhi, Sigmund Freud, Albert Einstein, Panaït Istrati, Rabindranath Tagore... – à son combat en faveur de la fraternité et de la paix mondiales. Un temps proche de l’URSS et des communistes, il s’en éloigne au moment du pacte germano-soviétique (1939) et s’éteint à Vézelay en 1944. Au cours de la Grande Guerre, Romain Rolland – qui, au titre de l’année 1915, a reçu en novembre 1916 le prix Nobel de littérature – accueille dans son exil suisse de nombreux militants de la paix, à l’image des écrivains et poètes Pierre-Jean Jouve, René Arcos (voir p. 126-135) et Stefan Zweig (voir p. 84-95). Rien d’étonnant donc à ce que, le 26 juin 1919, soit deux jours avant la signature du traité de Versailles et la création de la Société des Nations, il publie dans L’Humanité – un an et demi avant le congrès de Tours, le journal n’est pas encore l’organe du Parti communiste français – cette Déclaration d’indépendance de l’Esprit dont, en 1934, il dira que, rédigée dès le 16 mars précédent, « elle fut la première, et non la moindre, des expériences décevantes dont les premières années d’après-guerre ont été pour [lui] le champ ».  78


ROMAIN ROLLAND

Déclaration d’indépendance de l’Esprit [Texte paru dans L’Humanité en date du 26 juin 1919 sous le titre « Fière déclaration d’intellectuels » avec, en surtitre, « Un Appel »].

Nous avons reçu de notre ami Romain Rolland la fière déclaration qu’on va lire ci-dessous. Travailleurs de l’Esprit, compagnons dispersés à travers le monde, séparés depuis cinq ans par les armées, la censure et la haine des nations en guerre, nous vous adressons, à cette heure où les barrières tombent et les frontières se rouvrent, un appel pour reformer notre union fraternelle – mais une union nouvelle, plus solide et plus sûre que celle qui existait avant. La guerre a jeté le désarroi dans nos rangs. La plupart des intellectuels ont mis leur science, leur art, leur raison, au service des gouvernements. Nous ne voulons accuser personne, adresser aucun reproche. Nous savons la faiblesse des âmes individuelles et la force élémentaire des grands courants collectifs : ceux-ci ont balayé celles-là, en un instant, car rien n’avait été prévu afin d’y résister. Que l’expérience au moins nous serve pour l’avenir ! Et d’abord, constatons les désastres auxquels a [sic] conduit l’abdication presque totale de l’intelligence du monde et son asservissement volontaire aux forces déchaînées. Les penseurs, les artistes, ont ajouté au fléau qui ronge l’Europe dans sa chair et dans son esprit une somme incalculable de haine empoisonnée ; ils ont cherché dans l’arsenal de leur savoir, de leur mémoire, de leur imagination, des raisons anciennes et nouvelles, des raisons historiques, scientifiques, logiques, poétiques, de haïr ; ils ont travaillé à détruire la compréhension et l’amour entre les hommes. 79 


STEFAN ZWEIG Voilà sans doute le plus européen des écrivains du XXe siècle. Né en 1881 dans une famille de la grande bourgeoisie juive de Vienne, il publie très jeune dans des revues et voyage beaucoup – Berlin, Paris, Bruxelles, Londres... mais aussi Inde, États-Unis, Canada... ; polyglotte confirmé – outre l’allemand, il lit et parle le français, l’anglais, l’italien et l’espagnol –, il traduit Verlaine, Baudelaire, Verhaeren, Keats, Pirandello... et, après la Grande Guerre, se fait essayiste – sur Balzac, Dickens, Dostoïevski, Casanova, Stendhal, Tolstoï... – et biographe – Joseph Fouché (1929), Marie-Antoinette (1932), Marie Stuart (1935)... Ses romans et nouvelles – Amok (1922), La Confusion des sentiments (1926), Vingt-quatre heures de la vie d’une femme (1927) connaissent le succès mais l’arrivée de Hitler au pouvoir l’amène, dès 1934, à prendre le chemin de l’exil, d’abord à Londres, puis aux États-Unis et enfin au Brésil où, le 22 février 1942, désespéré devant l’ampleur du désastre, il se suicide en compagnie de sa seconde épouse. Dès novembre 1932, avant même l’installation du régime nazi en Allemagne, Stefan Zweig, invité par l’Accademia d’Italia à prononcer une conférence sur « La désintoxication morale de l’Europe », se contente d’en envoyer le texte aux organisateurs, préférant ne pas se rendre à Rome pour, comme il l’écrit à son ami Romain Rolland (voir p. 78-83), ne pas être « obligé de serrer des mains que je n’aimerais pas toucher » – parmi les participants se trouvent en effet Hermann Goering et Alfred Rosenberg, futurs hauts dignitaires du Troisième Reich. Dans ce texte, l’auteur développe une idée qui lui est chère et qu’il reprendra lors d’une autre conférence donnée aux États-Unis en janvier-février 1939 : « l’histoire de demain que nous demandons ne doit [...] plus servir à glorifier telle ou telle nation particulière, mais l’humanité tout entière » : aussi, « en vue de désintoxiquer la sphère morale de la jeunesse », convient-il à l’avenir « de passer de l’histoire politique et militaire à l’histoire culturelle ».  84


STEFAN ZWEIG

La désintoxication morale de l’Europe1 (conférence pour le Congrès sur l’Europe, Roma, Accademia d’Italie, novembre 1932 – extraits)

Si nous considérons l’Europe comme un organisme intellectuel unique – deux mille ans d’une culture édifiée en commun nous en donnent sans réserve le droit –, nous ne pouvons éviter de reconnaître que cet organisme, au moment présent, a succombé à une grave crise psychique. Dans toutes les nations ou presque se manifestent les mêmes phénomènes de forte et brusque irritabilité, malgré une grande lassitude morale, un manque d’optimisme, une méfiance prête à s’éveiller en toute occasion, et la nervosité, l’humeur chagrine qui résulte du sentiment d’insécurité. Pour se maintenir en équilibre, les humains doivent faire constamment un effort psychique, de même que les États ne doivent pas relâcher leurs efforts en matière d’économie ; on ajoute foi aux mauvaises nouvelles plus facilement qu’à celles qui rendent espoir, et les individus autant que les États, plus qu’à d’autres époques du passé, semblent prêts à se haïr [...] Le besoin d’afficher en groupe une agressivité visant d’autres groupes domine l’Europe aujourd’hui encore. On ne peut s’empêcher de songer à cette vieille légende qui raconte comment, longtemps après la bataille, les ombres des morts continuent à se battre dans les airs. Mais cet état fatal d’insécurité, d’inquiétude spirituelle, de méfiance et d’hostilité mutuelle est ressenti, dans tous les pays aussi douloureusement, par tous les intellectuels d’Europe. Voici le problème qui s’impose à nous impérieusement : comment procéder à une désintoxication morale de cet organisme, de quelle manière, par quelle action systématique atténuer la dépression psychique qui pèse sur l’Occident en même temps que la dépression économique – la dépression morale aggravant dans cesse la dépression économique 85 


et inversement ? [...] On ne pourra se contenter de proclamations, d’appels, de conférences, de ligues et de manifestations de bonne volonté à l’adresse de l’humanité du temps présent. Il faut accomplir un travail opiniâtre, mûrement pensé, systématique, pour permettre à l’âme de la nouvelle génération montante de se cristalliser avec plus de pureté, de solidité, de clarté et de netteté que la nôtre, dont la guerre a fracassé la forme originelle sous le poids de son marteau terrifiant. Nous ne devons plus songer à reconstituer ce qui est parti en morceaux, mais seulement à construire ce qui n’a pas encore pris forme en lui donnant de nouveaux traits plus féconds. Cette construction d’une nouvelle génération doit bien entendu commencer au moment de l’éveil intellectuel, à l’école, à l’heure de l’existence où la vie de l’esprit de l’individu en devenir s’offre encore, souple et tendre, comme l’argile du sculpteur, à la main experte de l’enseignant. Tout prendra une bonne tournure si la nouvelle jeunesse d’Europe, dans tous les pays, est éduquée comme il convient. Mais cette nouvelle éducation devra partir d’un changement de conception de l’histoire, c’est-à-dire de l’idée fondamentale qu’il faut insister sur ce que les peuples d’Europe ont en commun plus que sur leurs conflits. Cette conception, qui me semble à moi comme à tant d’autres s’imposer sans conteste, a toujours été écartée jusqu’ici pour faire place à une vision purement politique et nationale de l’histoire. On a enseigné aux enfants l’amour de leur pays natal, une conception que nous ne songeons pas à contredire, mais seulement à élargir, en ajoutant à cet enseignement l’amour de leur patrie commune, l’Europe, et du monde entier, de l’humanité entière, et une représentation de la notion de patrie placée sous le signe, non de sa relation d’hostilité, mais de son imbrication avec les patries étrangères [...] Le changement véritable que je tiendrais pour fécond en vue de désintoxiquer la sphère morale de la jeunesse devrait être beaucoup plus fondamental et profond ; il devrait consister en un remaniement du programme d’enseignement dans tous les États et pays, afin de passer de l’histoire politique et militaire à l’histoire culturelle. On  86


a trop longtemps abusé d’une représentation de l’histoire réduisant celle-ci à une suite de guerres, comme si les hauts faits militaires étaient la seule réalisation héroïque de chaque pays et son idée la plus exigeante de l’humanité telle qu’elle existe intellectuellement depuis deux ou trois millénaires. D’un point de vue supranational et universel, cet aspect de l’histoire en tant qu’histoire de la guerre aboutit à un non-sens complet. Des peuples, des armées battent d’autres peuples, d’autres armées, des commandants en chef l’emportent sur d’autres, des villes sont détruites, des pays s’agrandissent, puis redeviennent petits, des empires enflent ou rétrécissent, les uns après les autres, et c’est une succession interminable sans ligne ascendante, sans vision d’ensemble. Mais, à côté de cette histoire-là, il en existe par bonheur une autre, celle de l’humanité, celle de l’édification de la culture, des grandes inventions, des découvertes, des progrès moraux, scientifiques et techniques. Tandis que la simple histoire des guerres dans leur intégralité n’aboutit qu’à une succession ininterrompue de hauts et de bas, l’histoire de la culture décrit une ascension irrésistible qui conduit vers des hauteurs toujours plus élevées. Alors que l’histoire des guerres met en lumière ce dont les différents pays se rendent coupables les uns envers les autres, comment la France met l’Allemagne au pillage et comment l’Allemagne porte dommage à la France, et la Grèce à la Perse, excitant inévitablement la haine et la rancune des générations suivantes, l’autre histoire, celle de la culture, montre ce qu’une nation doit à l’autre et dresse le registre grandiose de tous les acquis et de toutes les découvertes [...] Si donc nous voulons remplacer l’esprit de défiance par celui de confiance, nous devons, dans l’éducation de la jeunesse, mettre l’histoire culturelle au moins sur un pied d’égalité avec l’histoire militaire et politique. Notre génération a encore appris à l’école, sur Xerxès et Darius, sur Cambyse, sur des rois barbares qui nous laissent totalement indifférents, plus que sur Léonard de Vinci, Volta, Franklin, Montgolfier et Gutenberg. Nous devions connaître par cœur la moindre des batailles, mais on ne trouvait dans nos manuels 87 


pas une ligne sur les constructeurs des premiers chemins de fer ou sur les inventeurs de la nouvelle chimie. Nous étions volontairement tenus dans l’ignorance des réalisations culturelles des peuples qui sont nos voisins, mais nous savions dans quelles batailles et sous le commandement de quels généraux nous les avions affrontés comme des ennemis. C’est là qu’un changement me semble nécessaire et je crois que la nouvelle jeunesse y serait intérieurement disposée, et même de tout son cœur [...] Si l’histoire de la culture prenait dans l’éducation la place centrale, au lieu de l’histoire politique, les nations auraient plus de respect les unes pour les autres et moins de méfiance les unes envers les autres, et la génération montante ferait preuve de plus d’amour pour les choses de l’esprit et de moins d’inclination à la violence. Et surtout l’optimisme si nécessaire se consoliderait et nous ne douterions pas, à quelque nation que nous appartenions, de pouvoir en fin de compte, grâce aux réalisations communes des Européens, maîtriser toutes les difficultés politiques, économiques et sociales, et sauvegarder la supériorité que nous avons su affirmer face à l’histoire, depuis deux mille ans, sur notre « petite péninsule de l’Asie », comme l’appelle Nietzsche. Mais il ne suffit pas d’étudier l’histoire culturelle comme un passé historique. La deuxième exigence préalable à une réelle pacification de l’Europe serait de permettre à la jeunesse de faire aussi l’expérience vécue de l’histoire culturelle. Car les livres et les écoles ne sont qu’une partie de l’éducation morale d’un individu : l’essentiel s’apprend toujours par ce que perçoivent les yeux attentifs et le sentiment vivant. Autant que le déroulement des faits historiques, l’Européen de l’avenir devra aussi apprendre à connaître les réalisations actuelles des autres peuples, se familiariser avec ce qu’ils ont de positif et de créateur, en les observant lui-même directement. C’est ce que permettent aujourd’hui les voyages, jusqu’à un certain point, mais seulement de manière insuffisante, d’abord parce qu’un voyage de vacances ne donne qu’un aperçu rapide, le plus souvent déformé, ensuite parce que c’est seulement à l’âge mûr et non à l’époque décisive de la jeunesse qu’il est donné de voyager à la plupart des gens.  88


MAYA OMBASIC Née à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, elle a fui la guerre avec les siens à l’âge de douze ans. Après un périple clandestin à travers l’Europe, la famille a d’abord trouvé refuge à Genève où Maya a fait sienne la langue française. Après une adolescence suisse, elle a largué les amarres pour le Nouveau Continent et, suite à une longue escale à Ottawa, a élu domicile à Montréal. Mais c’est lors d’un voyage anodin à La Havane que l’envie de vivre et d’écrire dans un pays à bien des égards proche de l’ancienne Yougoslavie l’a amenée à entièrement épouser la langue espagnole. En effet, nostalgique d’une enfance socialiste interrompue et des « glaces au goût du communisme », elle a consacré ses deux premiers romans, Chroniques du lézard et Rhadamanthe, à Cuba et à ses secrets. Son dernier livre, récit autobiographique sur la guerre des Balkans, Mostarghia (Québec : VLB éditeur, 2016 ; France : Flammarion, 2017), a été récemment traduit en espagnol Un dia despues de Babel. Aujourd’hui docteure en lettres, professeure de philosophie, écrivaine et polyglotte, elle s’intéresse aux liens entre la culture, la spiritualité, l’anthropologie et la géopolitique. Ayant également fait des études cinématographiques à l’Institut national de l’image et du son (Montréal), elle a scénarisé et filmé plusieurs courts-métrages et quelques documentaires, dont Sur la route du sel. Véritable touche-à-tout, elle a exploré tous les genres littéraires, y compris la poésie (Étrangers au coin du pourpre, 2011 et Cantique des méridiens, 2017, tous deux aux Éditions La passe du vent). Elle est également, depuis 2017, chroniqueuse littéraire invitée pour le quotidien montréalais Le Devoir.  96


MAYA OMBASIC

Mal de continent J’ai parfois mal de continent. De tout le continent européen. D’une pointe à l’autre de ses recoins poussiéreux et chargés d’histoire, la première et dernière idée du moi sous forme de totalité surgit comme une bouée de sauvetage devant mes esprits éparpillés dans les faux ailleurs. Je souffre du continent comme on souffre du mal de pays. Peut-être parce que je n’ai plus de pays. Il fait partie d’un ex-monde, d’une époque révolue qui ne reviendra sans doute jamais. Quand on me demande : « Que s’est-il passé exactement pour que tant de haine se déverse sur un vivre-ensemble en apparence heureux ? », je monte d’abord aux barricades sur cet « en apparence ». Car si le pays n’a existé qu’en apparence, pourquoi alors fallait-il le massacrer à coups de hache ? C’est parce qu’il a bel et bien existé, dans sa beauté multiculturelle, multiethnique et multiconfessionnelle, qu’il fallait l’enterrer très loin, l’incinérer vivant pour ne plus laisser de traceossuaire, histoire de brouiller les pistes aux futurs archéologues qui tenteront de défendre la thèse selon laquelle le mal n’a pas toujours rongé l’être humain. J’ai encore un continent, lui existe bel et bien, même si les vautours tournent en cercles au-dessus de ses multiples richesses. Mais qui veut du mal au continent européen ? Avant tout, les Européens eux-mêmes, ceux qui n’ont pas encore appris de leçon d’histoire. Ceux qui n’ont pas encore signé de Déclaration d’indépendance de l’Esprit, comme celle proposée par Romain Rolland en 1919. Dans ce texte étonnamment actuel, le penseur interpelle les travailleurs de l’Esprit, tous ces « compagnons dispersés à travers le monde » séparés par la Grande Guerre, tous ceux qui n’ont pas compris qu’on ne peut pas mettre sa science, son art et sa raison au service des gouvernements. 97 


CHAPITRE 3 « [...] entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral »

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ARISTIDE BRIAND Né en 1862 à Nantes, dans une famille de modestes aubergistes, il fait de brillantes études de droit et devient avocat à Saint-Nazaire, puis à Pontoise. Élu en 1904 député socialiste de Saint-Étienne, il est l’année suivante le rapporteur de la loi de Séparation des Églises et de l’État. Se rapprochant du centre, il commence en 1906 une longue carrière gouvernementale, qui l’amènera jusqu’à sa mort, en 1932, à être président du Conseil à onze reprises et vingt-six fois ministre ! Dans la décennie qui suit la Première Guerre mondiale, il occupe ainsi, du 16 janvier 1921 au 15 janvier 1922, le poste de chef du gouvernement, qu’il cumule avec celui de ministre des Affaires étrangères, puis, du 17 avril 1925 au 14 janvier 1932, que ce soit dans les gouvernements qu’il dirige lui-même (28 novembre 1925-17 juillet 1926 ; 29 juillet 1929-22 octobre 1929) ou dans d’autres équipes, règne sur le Quai d’Orsay quasiment sans interruption, militant pour la paix et la coopération internationale. Signés le 16 octobre 1925, les accords de Locarno font de lui le « pèlerin de la paix » et lui valent l’année suivante de recevoir, en même temps que son homologue allemand Gustav Stresemann, le prix Nobel de la paix. C’est du reste dans le contexte ouvert par « l’esprit de Locarno » que, devant l’Assemblée de la Société des Nations, il propose le 5 septembre 1929 de réfléchir à l’établissement d’un « lien fédéral [...] entre les peuples d’Europe », devenant ainsi, selon Robert Boyce, « le premier chef de gouvernement à avoir officiellement soutenu le projet d’une Europe volontairement unie ». L’Assemblée le charge alors de lui proposer dans les mois qui suivent un document connu sous le nom de Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne, que l’on doit à la plume de son directeur de cabinet, Alexis Leger, alias le poète Saint-John Perse (voir p. 106-115).  102


ARISTIDE BRIAND

Discours devant l’Assemblée de la Société des Nations (Genève, salle de la Réformation, 5 septembre 1929 – extraits)

[…] Mon collègue et ami M. Hymans, dans son très beau discours, a abordé un autre problème délicat dont la Société des Nations s’est saisie et à propos duquel elle a réuni une excellente et fort intéressante documentation. C’est le problème du désarmement économique ; car il n’y a pas seulement à faire régner parmi les peuples la paix du point de vue politique, il faut aussi faire régner la paix économique. M. Hymans a proposé certaines solutions que, pour ma part, j’envisagerai avec sympathie. Mais, qu’on me permette de le dire, dans ce domaine aussi, il faut que la Société des Nations se décide à avancer d’un pas ferme. Il ne faut pas qu’elle traite ces questions avec la timidité que pourraient lui inspirer les difficultés de la tâche. Je ne crois pas à la solution d’un tel problème – j’entends une solution véritable, c’est-à-dire de nature à assurer la paix économique – par des moyens de pure technicité. Certes, il faut avoir recours aux conseils techniques ; il faut s’en entourer et les respecter ; il faut accepter de travailler sur la base d’une documentation sérieuse et solide. Mais si nous nous en remettions aux seuls techniciens du soin de régler ces problèmes, nous devrions tous les ans, à chaque Assemblée, nous résigner à faire de très beaux discours et à enregistrer avec amertume bon nombre de déceptions. 103 


ALEXIS LEGER [alias SAINT-JOHN PERSE] Né en 1887 à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) d’un père avocat et d’une mère issue d’une riche famille de planteurs, il quitte son île natale en 1899, fait ses études – baccalauréat, droit, philosophie – à Pau puis à Bordeaux, rencontre Francis Jammes et Paul Claudel et publie successivement, dans La Nouvelle Revue française (NRF), Images à Crusoé (1909) et Éloges (1911). En 1914, il est reçu au concours du ministère des Affaires étrangères puis est mobilisé dans le service de presse du gouvernement. Nommé en 1916 secrétaire d’ambassade à Pékin, il entame une brillante carrière diplomatique qui, de 1922 à 1940, l’amènera à jouer, au Quai d’Orsay, un rôle majeur, notamment comme directeur de cabinet du ministre, puis secrétaire général du ministère. Contraint à l’exil en 1940, il se réfugie aux États-Unis et, se consacrant désormais à son œuvre, ne revient en France qu’en 1957, trois ans avant d’obtenir le prix Nobel de littérature ; il meurt en 1975. Repéré dès 1921 par Aristide Briand (voir p. 102-105), Alexis Leger est un des artisans de la « politique des pactes » par laquelle le Quai d’Orsay s’efforce de prévenir de nouveaux conflits en resserrant les liens entre les pays européens (accords de Locarno, 1925 ; pacte Briand-Kellogg, 1928) : aussi est-ce naturellement que le ministre, à la suite du discours qu’il prononce le 5 septembre 1929, confie la rédaction du Mémorandum à ce diplomate-poète dont Le Mois, en juillet-août 1933, soulignant son « étonnante aisance verbale » et son « amour des mots évocateurs », dira que lui sont imputées « en général toutes les formules de la mystique locarnienne ». Toutefois, l’art du poète montrera ses limites et la crise économique, la circonspection exprimée par la plupart des pays, puis la mort de Briand (mars 1932) provoqueront l’enlisement progressif du projet : après un nouveau conflit mondial, l’Europe devra attendre plus d’un quart de siècle avant que cette union évoquée dès 1930 puisse trouver, avec le traité de Rome (1957), son commencement.  106


ALEXIS LEGER

Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’Union fédérale européenne1 (1er mai 1930 – extraits)

Au cours d’une première réunion tenue le 9 septembre 1929, à Genève, à la demande du Représentant de la France, les Représentants qualifiés des vingt-sept États européens membres de la Société des Nations2 ont été appelés à envisager l’intérêt d’une entente entre Gouvernements intéressés, en vue de l’institution, entre peuples d’Europe, d’une sorte de lien fédéral qui établisse entre eux un régime de constante solidarité et leur permette, dans tous les cas où cela serait nécessaire, d’entrer en contact immédiat pour l’étude, la discussion et le règlement des problèmes susceptibles de les intéresser en commun. Unanimes à reconnaître la nécessité d’un effort dans ce sens, les Représentants consultés se sont tous engagés à recommander à leurs Gouvernements respectifs la mise à l’étude de la question qui leur était directement soumise par le Représentant de la France et qu’aussi bien ce dernier avait déjà eu l’occasion, le 5 septembre, d’évoquer devant la dixième Assemblée de la SDN. Pour mieux attester cette unanimité, qui consacrait déjà le principe d’une union morale européenne, ils ont cru devoir arrêter sans délai la procédure qui leur paraissait la plus propre à faciliter l’enquête proposée : ils ont confié au Représentant de la France le soin de préciser, dans un mémorandum aux Gouvernements intéressés, les points essentiels sur lesquels devait porter leur étude ; de recueillir et d’enregistrer leurs avis ; de dégager les conclusions de cette large consultation, et d’en faire l’objet d’un rapport à soumettre aux délibérations d’une Conférence européenne, qui pourrait se tenir à Genève lors de la prochaine Assemblée de la SDN. 107 


XAVIER NORTH Ancien élève de l’École normale supérieure (rue d’Ulm), agrégé des lettres, il a effectué l’essentiel de sa carrière dans le domaine de la diplomatie culturelle, exerçant notamment les fonctions d’attaché culturel à New York (1980-1984) et de conseiller culturel à l’Ambassade de France à Rome (1990-1995) puis à Londres (1999-2002), où il a simultanément dirigé l’Institut français du Royaume-Uni. Après avoir exercé les fonctions de directeur de la coopération culturelle et du français au Quai d’Orsay (2002-2004), il a animé et coordonné pendant dix ans (2004-2014) la politique linguistique de l’État, en qualité de délégué général à la langue française et aux langues de France (Ministère de la Culture et de la Communication). Xavier North est l’auteur de nombreux articles, parmi lesquels, « Pour une politique culturelle de l’accès » (L’Observatoire, n° 47, 2016), « Shiak, silures et métaplasmes » (Critique, n° 827, 2016), « Politique de la langue : points chauds » (catalogue de l’exposition « Après Babel, Traduire », Actes Sud, 2016), « Dévisager : sur ‘les possibles de la pensée’ de François Jullien » (Hermann, 2015), « Le dialogue des cultures : du vis-à-vis à la métamorphose » (À la rencontre des cultures du monde, Actes Sud, 2013), « L’autre langue » (Atlas de l’influence française au XXIe siècle, Robert Laffont, 2013), « Portrait du diplomate en jardinier » (Le Banquet, n° 11, 1997).  116


XAVIER NORTH

« Vingt peuples sous nos lois parlant toutes les langues » Paris, le 19 avril 2019 Chers amis de La passe du vent, En m’invitant à vous proposer un contrepoint à deux textes fondateurs – le Discours devant l’Assemblée de la Société des Nations, d’Aristide Briand (1929), qui préconise pour la première fois l’établissement d’un « lien fédéral » entre les peuples d’Europe, et le Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne, d’Alexis Leger (1930), qui en détaille les modalités de mise en œuvre –, vous n’attendez pas de moi, je l’espère, un rappel des évolutions de l’idée européenne, puisque je ne suis pas historien, encore moins « une critique des stratégies imaginées dans l’entre-deux guerres » (on ne refait pas l’histoire). Dans le doute, et ne sachant trop quelle forme de distance (ou de proximité) par rapport aux textes proposés vous souhaitez que je prenne – n’ayant par ailleurs aucune légitimité particulière à répondre à votre invitation autre que celle de l’amitié –, je n’ai d’autre choix (vous m’y avez du reste généreusement autorisé) que d’en faire un simple prétexte – au sens le plus propre qui soit – censé me permettre d’exprimer « l’idée » qu’un habitant de ce « petit cap du continent asiatique » (Valéry) peut aujourd’hui se faire de l’Europe. Mais aussitôt, une première question se pose : de quelle Europe doit-il s’agir ici ? De l’Europe politique (celle pour laquelle – ou contre laquelle – nous venons voter en mai, quarante ans après que les citoyens de l’Union européenne ont été invités pour la première fois à élire leurs représentants au Parlement européen), ce que laisse supposer le caractère politico-diplomatique des textes que vous m’avez assignés ? Ou – nous y voilà – d’une « autre Europe », et si oui, laquelle ? 117 


RENÉ ARCOS Fils d’un commerçant, il naît à Clichy en 1880 (et non en 1881, comme cela figure dans certaines biographies) et publie en 1903 son premier recueil de poèmes, L’Âme essentielle ; un deuxième ouvrage, La Tragédie des espaces, suit en 1906, année où il fonde à Créteil, avec Charles Vildrac, Albert Gleizes et Georges Duhamel (voir p. 28-33), le « groupe fraternel » d’artistes et d’écrivains connu sous le nom de « groupe de l’Abbaye ». En tant que réformé, il échappe à la mobilisation en 1914, devient correspondant de guerre pour le Chicago Daily News mais, de peur d’être inquiété en raison de ses convictions pacifistes, choisit en 1917 de s’exiler volontairement en Suisse. Là, il rencontre Romain Rolland (voir p. 78-83) et publie Le Mal. 1914-1917 puis Le Sang des autres, avant de créer, avec le graveur et illustrateur Frans Masereel, les Éditions du Sablier, où paraissent des livres signés Romain Rolland, Émile Verhaeren, Pierre-Jean Jouve ou Walt Whitman ; c’est là aussi qu’il publie en 1920 une anthologie intitulée Les Poètes contre la guerre. Après avoir signé, en 1919, la Déclaration d’indépendance de l’Esprit rédigée par Romain Rolland, il figure en 1923 parmi les fondateurs de la revue Europe, publiée par les Éditions Rieder, qui ont accueilli en 1920 son roman Caserne. Il sera jusqu’en 1929, année où il cède la place à Jean Guéhenno, le premier rédacteur en chef de la revue, affichant au fil des numéros ses convictions internationalistes : « Nous disons aujourd’hui Europe, parce que notre vaste presqu’île, entre l’Orient et le Nouveau Monde, est le carrefour où se rejoignent les civilisations. Mais c’est à tous les peuples que nous nous adressons ». À partir des années 1930, il se consacre à son métier d’éditeur, mais publie néanmoins en 1950 une biographie de Romain Rolland.  126


Envoi RENÉ ARCOS

Patrie européenne1 (février 1923 – extraits) [...] La guerre agonisait depuis d’interminables mois et les nations aux prises semblaient à bout de souffle quand s’éleva la voix du prédicant américain2. Le monde entier tressaillit d’un nouvel espoir. Les peuples décimés, à la veille de s’abandonner au pire découragement, trouvèrent en eux encore assez de force pour une nouvelle exaltation. Les idées dominèrent de nouveau les foules. Qu’on se souvienne des discours de Wilson : « Ce que nous demandons dans cette guerre, ce n’est rien de particulier pour nous-mêmes : c’est que le monde soit rendu pur et qu’il soit possible d’y vivre, et en particulier qu’il soit rendu sûr pour toute nation aimant la paix... Un principe évident apparaît : c’est le principe de justice pour tous les peuples et toutes les nations, et leur droit de vivre sur un pied d’égalité, dans des conditions de liberté et de sécurité les uns avec les autres, qu’ils soient forts ou faibles ». Et encore, et surtout : « Une victoire signifierait une paix imposée au vaincu. Elle serait acceptée dans l’humiliation au prix de sacrifices insupportables, et laisserait du ressentiment et un souvenir amer sur lesquels reposeraient les conditions de paix. Cette base ne serait qu’un sable mouvant, seule une paix entre égaux peut durer ». Cet homme qui était le représentant d’une caste : la grande bourgeoisie, réussit à donner le sentiment qu’il parlait au nom de toute la communauté humaine. On crut qu’il allait assurer l’unité morale du monde. Il fut acclamé comme un sauveur et trouva des partisans dans les milieux mêmes où on ne l’aurait pas cru possible. Rarement un mortel porta l’espoir de tant de vivants. Beaucoup chez nous furent humiliés que le sol national n’ait pas pu produire un tel homme. 127 


« Un jour viendra où l’Europe triomphera de ses misères et de ses crimes, où elle revivra enfin ... Ce jour-là, nous autres Européens, retrouverons avec vous une patrie de plus » ALBERT CAMUS, « L’Europe de la fidélité » (Paris, 12 avril 1951)*

* L’auteur s’adresse aux exilés antifranquistes réunis à Paris, salle Saulnier, à l’invitation de l’Association des amis de la République espagnole.


ANNEXE 3

Légendes des illustrations En couverture L’Enlèvement d’Europe, céramique, coupe noire à figures rouges (Pouilles, vers 330-320 avant notre ère), Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche. Page 30 Page de titre du texte de Georges Duhamel, « Mission du Poète », paru dans la revue Europe, n° 1, 15 février 1923, p. 114. Page 66 « Une » de la revue Europe, n° 88, 15 avril 1930, avec, au sommaire, la mention du texte de Jules Romains, « Pour que l’Europe soit ». Page 72 « Une » du livre de Jules Romains, Problèmes européens, paru à Paris, à l’enseigne d’Ernest Flammarion, éditeur, en 1933. Page 80 « Une » du livre de Romain Rolland, Quinze ans de combat (1919-1934), paru à Paris, à l’enseigne des Éditions Rieder, en 1935. Page 95 Portrait de Stefan Zweig, dessin de Frans Masereel, paru dans l’édition en dix volumes des œuvres de l’auteur publiée en Union soviétique en 1927. Page 128 « Une » du livre Les Poètes contre la guerre. Anthologie de la poésie française. 1914-1919, paru à Genève, à l’enseigne des Éditions du Sablier (dir. René Arcos), en 1920. Page 132 « Une » de la revue Europe, n° 1, 15 février 1923, avec, au sommaire, la mention du texte de René Arcos, « Patrie européenne ».

149 


Collection « Haute Mémoire » Rassembler des textes écrits par des auteurs de sensibilités différentes, ayant en commun d’inscrire leur travail dans les réalités du monde contemporain : tel est le principe de la collection HAUTE MÉMOIRE. La célébration d’un grand aîné disparu, ou d’un événement historique majeur, offre prétexte à ces écrivains d’aujourd’hui de faire acte de création. La collection HAUTE MÉMOIRE est animée depuis sa création par Thierry Renard et Michel Kneubühler, qui assurent pour chaque titre les avant-propos et textes de présentation. Louis Darmet, Près du piano fermé suivi de Le Sourire voilé, collectif, 2019 Les auteurs : Charles Bastia, Henri Bataille, Patrice Béghain, Romain Déclat, Gabriel-Joseph Gros, Michel Kneubühler, Marius Mermillon, Frédéric Mistral, Henri de Régnier, Thierry Renard, Élise Trinquier, René Vachia. « Hommes de l’avenir, souvenez-vous de nous ! ». Pour saluer Guillaume Apollinaire, collectif, 2018 Les auteurs : Samantha Barendson, Gabriel Belmonte, Alain Fisette, Alain Freixe, Albane Gellé, Ahmed Kalouaz, Michel Kneubühler, Emmanuel Merle, Raphaël Monticelli, Paola Pigani, Francis Pornon, Thierry Renard, Jean Rouaud. Arthur Rimbaud « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux », collectif, 2018 Les auteurs : Franz Bartelt, Odile Cattalano, Jean-Pierre Chambon, Patrice Duret, Sylvie Fabre G., Cécile Holdban, Emmanuel Merle, Adèle Nègre, Pol Paquet, Marc Porcu, Thierry Renard, Jean Rouaud, Jérôme Thélot. « J’ai cessé de me désirer ailleurs ». Pour saluer André Breton, collectif, 2016 Les auteurs : Frédéric Aribit, Patrice Béghain, Lionel Bourg, André Breton, Stani Chaine, JeanPierre Chambon, Kim Doré, Laurent Doucet, Mohammed El Amraoui, Danielle Fournier, Robert Guyon, Michel Kneubühler, Jean-Charles Lemeunier, Emmanuel Merle, Maya Ombasic, Pierre Péju, Didier Pobel, Nadja Pobel, Marc Porcu, Jean-François Poupart, Denis Pourawa, Thierry Renard, Alain Roussel, Laura Tirandaz, Gilbert Vaudey, Joël Vernet, Christian Viguié. Sébastien Castellion, Conseil à la France désolée, 2015 Texte de 1562 et transposition en français contemporain. Présentation, notes et transposition par Michel Kneubühler. Préface de Thierry Renard. « Un printemps sans vie brûle » avec Pier Paolo Pasolini, collectif, 2015 Les auteurs : Samantha Barendson, Angela Biancofiore, Jean-Baptiste Cabaud, Stani Chaine, Jean Gabriel Cosculluela, Erri De Luca, Vanessa De Pizzol, Luc Hernandez, Frédérick Houdaer, Andrea Iacovella, Jean-Charles Lemeunier, Giuseppe Lucatelli, Paola Pigani, Jean-Michel Platier, Marc Porcu, Thierry Renard, Éric Sarner, Joël Vernet, Francis Vladimir. Guetter l’aurore. Littératures et résistances 1944-2014, collectif, 2014 Les auteurs : Joséphine Bacon, Daniel Bougnoux, Katia Bouchoueva, Michel Bret, Natacha de Brauwer, Olivier Deschizeaux, Carine Fernandez, Stéphane Juranics, Fatoumata Keita, Michel Kneubühler, Mehdi Krüger, Emmanuel Merle, Laure Morali, Dominique Ottavi, Michel Vézina, Sonia Viel. Soleils de midi. Pour saluer Albert Camus, collectif, 2013 Les auteurs : Mouloud Akkouche, Abraham Bengio, Maïssa Bey, Jean-Baptiste Cabaud, Antoine Choplin, Jacques Darras, Charles Juliet, Alberto Lecca, Yvon Le Men, Judith Lesur, Geneviève Metge, Nimrod, Francis Pornon.  150


Rousseau au fil des mots. Dix mots. Dix écrivains. Cent citations, collectif, 2012 Les auteurs : Pierre Bergounioux, Sylvie Fabre G., Philippe Lejeune, Emmanuel Merle, Samira Negrouche, Maya Ombasic, Marc Porcu, Jean-Pierre Siméon, Valère Staraselski, Patrick Vighetti. Pour tous ! 1789 / 2009. Démocratiser l’accès à la culture, collectif, 2009 Les auteurs : Joanny Berlioz, François-Antoine Boissy d’Anglas, Lionel Bourg, Condorcet, Jacques Duhamel, Fantazio, Hassan Guaid, Victor Hugo, Jean Jaurès, Jack Lang, Yvon Le Men, André Malraux, Samira Negrouche, Gérard Noiret, Emmanuelle Pireyre, Jean-Michel Platier, Didier Pobel, Jean-Jack Queyranne, Jacques Rigaud, Romain Rolland, Valère Staraselski, Jean Vilar, Annie Zadek. Amérique, Amériques ! 1608 / 2008. Écrits du Québec, collectif, 2008 Les auteurs 1608-1703 : Jean de Brébeuf, Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Giovanni Da Verrazzano, baron de Lahontan, Paul Lejeune, Marc Lescarbot, Michel de Montaigne, Gabriel Sagard. Les auteurs 2008 : Claude Beausoleil, Jean Charlebois, Isabelle Courteau, Jean-Marc Dalpé, Carole David, Richard Desgagné, Jean-Marc Desgent, Hélène Dorion, Patrick Dubost, Éric Dupont, Renée Gagnon, David Homel, D. Kimm, Catherine Lalonde, Serge Lamothe, Mylène Lauzon, Geneviève Letarte, Gilles Pellerin, Larry Tremblay, Yolande Villemaire. Dans le privilège du soleil et du vent. Pour saluer René Char, collectif, 2007 Les auteurs : Patrice Béghain, Malika Bey Durif, Éric Dessert, Roger Dextre, Sylvie Fabre G., Albane Gellé, Patrick Laupin, Françoise De Luca, Samira Negrouche, Didier Pobel, Marc Rousselet, André Velter, Abdallah Zrika. Départements et territoires d’outre-ciel. Hommages à Léopold Sédar Senghor, collectif, 2006 Les auteurs : Maïssa Bey, Daniel Biga, Jean Charlebois, Odile Cornuz, Amanda Devi, Mohammed El Amraoui, Stéphane Juranics, Moussa Konaté, Werner Lambersy, Samira Negrouche, Nimrod, Marc Porcu, Raharimanana, Jean-Pierre Spilmont, Salah Stétié, Khal Torabully, Yasmina Traboulsi, Patrick Vighetti. Hôtel Oasis. Pour Louise Michel, collectif, 2005 Les auteurs : Michèle Bernard, Jean Baptiste Clément, Pierre Drachline, Victor Hugo, Jean- Louis Jacquier-Roux, Thierry Maricourt, Ménaché, Geneviève Metge, Louise Michel, Jean-Michel Platier, Michel Ragon, Thierry Renard, Jean-Pierre Spilmont, Valère Staraselski, Raoul Vaneighem. J’ai embrassé l’aube d’été. Sur les pas d’Arthur Rimbaud, collectif, 2004 Les auteurs : Jacques Ancet, Daniel Biga, Jean Charlebois, Bernard Giusti, Michaël Glück, Stéphane Juranics, Jean L’Anselme, Martin Laquet, Geneviève Letarte, Samira Negrouche, Jean-Michel Platier, Dimitri Porcu, Marc Porcu, Thierry Renard, Magali Turquin, André Velter, Joël Vernet, Matthias Vincenot. La Couzonnaire de Saint-Georges. Hommage à Prosper Mérimée, écrivain et archéologue, collectif, 2003. Les auteurs : Grégoire Ayala, Patrice Béghain, Abraham Bengio, Chantal Derycke, Michel Kneubühler, Christian Philip, Patrick Vighetti. Actes de naissance. Sur Je naquis au Havre... de Raymond Queneau, collectif, 2003 Les auteurs : Franck Boussarock, Paul Braffort, Marco Casimiro De San Léandro, Bernard Cerquiglini, Mohammed El Amraoui, Mano Gentil, Pierre Giouse, Bernard Giusti, Anne Guerrant, Frédérick Houdaer, Jean-Louis Jacquier-Roux, Ahmed Kalouaz, Martin Laquet, Pierre Meige, Ménaché, Gérard Noiret, Isabelle Pinçon, Jean-Michel Platier, Virginie Poitrasson, Marc Porcu, Thierry Renard, Annie Salager, Jean-Pierre Spilmont, Valère Staraselski, Khal Torabully, Alain Turgeon, Patrick Vighetti, Matthias Vincenot, Francis Vladimir, Annie Zadek, Abdallah Zrika.

151 


TABLE DES MATIÈRES Page Remerciements

2

Sommaire

5

Ouverture THIERRY RENARD & MICHEL KNEUBÜHLER « Créer chez tous les Européens l’obsession quotidienne de l’Europe »

7-25

Citation VICTOR HUGO « Un jour viendra... » Paris, 22 août 1849

27

Pour commencer GEORGES DUHAMEL Mission du poète in : Europe, n° 1, 15 février 1923

28-33

Chapitre 1 – « Un jour viendra... »

35-75

VICTOR HUGO Discours au Congrès des amis de la paix universelle Paris, 22 août 1849

36-45

NIMROD Par-delà la houle (naître en exil) [inédit]

46-63

JULES ROMAINS Pour que l’Europe soit (décembre 1915) in : Europe, n° 88, 15 avril 1930

64-75

Chapitre 2 – « Nous ne connaissons pas les peuples. Nous connaissons le Peuple [...] le Peuple de tous les hommes »

77-99

ROMAIN ROLLAND Déclaration d’indépendance de l’Esprit in : L’Humanité, 26 juin 1919

78-83

STEFAN ZWEIG La désintoxication morale de l’Europe (extraits) conférence pour le Congrès sur l’Europe, Roma, Accademia d’Italia, novembre 1932

84-91


Page STEFAN ZWEIG Réponse à l’enquête sur l’Esprit européen in : Les Nouvelles littéraires, 4 juillet 1936

92-95

MAYA OMBASIC Mal de continent [inédit]

96-99

Chapitre 3 – « [...] entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral »

101-125

ARISTIDE BRIAND Discours devant l’Assemblée de la Société des Nations (extraits) Genève, salle de la Réformation, 5 septembre 1929

102-105

ALEXIS LEGER [ALIAS SAINT-JOHN PERSE] Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne (extraits) 1er mai 1930

106-115

XAVIER NORTH « Vingt peuples sous nos lois parlant toutes les langues » [inédit]

116-125

Envoi RENÉ ARCOS Patrie européenne (extraits) in : Europe n° 1, 15 février 1923

126-135

Citation ALBERT CAMUS « Un jour viendra... » Paris, 12 avril 1951

137

Annexes

139-151

Repères chronologiques

141-143

Orientation bibliographique

145-147

Légendes des illustrations

149

La collection « Haute Mémoire »

150-151

Index des patronymes

152-155


Secrétariat de rédaction, relecture et corrections Michel Kneubühler Coordination éditoriale Michel Kneubühler & Thierry Renard Maquette, couverture et mise en page Myriam Chkoundali

Ouvrage composé avec les polices AGaramond, corps 11, et Goudy Old Style pour les citations. Imprimé sur papier bouffant – Ivoire 80 g. Couverture sur papier Couché Condat Silk/Mat – 300 g.

Achevé d’imprimer par Smilkov Print Ltd — Bulgarie

Dépôt légal – mai 2019



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