C’est culte
Zap Mama
TEXTE : NICOLAS ALSTEEN
Corps et âme de Zap Mama, Marie Daulne vient de sortir un neuvième album, son premier entièrement chanté en français. Intitulé Odyssée, l’objet est à l’image d’un voyage hors du commun. Partie de Bruxelles avec ses chants a cappella, l’artiste s’est élevée à la faveur de sa culture “afro-péenne”. Entre collaborations avec The Roots ou Erykah Badu, trip hollywoodien avec le compositeur Hans Zimmer et engagement humanitaire qui l’amène à travailler au Congo avec le docteur Mukwege, la chanteuse est assurément l’une des voix les plus emblématiques du pays.
B
ruxelles, 1990. Le label Crammed Discs vient de souffler ses dix premières bougies avec quelques cerises sur le gâteau. Au rayon post-punk et new wave, notamment, l’enseigne bruxelloise tire son épingle du jeu grâce à Tuxedomoon, Minimal Compact, Aksak Maboul ou The Honeymoon Killers. En marge de ces sorties, la structure met sur orbite SSR Records, refuge étudié pour publier des trouvailles new beat, techno, house ou hip-hop. « La signature de Zap Mama va ouvrir un nouveau chapitre, retrace Marc Hollander, le patron de Crammed Discs. À partir de là, nous avons été perçus comme un label spécialisé dans ce qu’on appelait alors « world music » chez les Anglo-Saxons et « musiques du monde » dans la francophonie. » La connexion avec Zap Mama arrive via Fanchon Nuyens, chanteuse d’un groupe new-wave (Des Airs) et productrice bruxelloise. « Un jour, elle débarque dans nos locaux et nous parle de Zap Mama, un quintet vocal formé par une certaine Marie Daulne… Au même moment, mon ami Vincent Kennis, qui jouait avec The Honeymoon Killers, m’apprend qu’il la connaît lui aussi. Puisqu’il écoute des disques de chants pygmée avec elle… » Sur les conseils de Fanchon Nuyens et Vincent Kennis, le boss de Crammed Discs s’aventure dans le quartier des Marolles. « Zap Mama y jouait un concert à La Samaritaine, un petit cabaret-théâtre aujourd’hui disparu. La prestation reposait sur une proposition a cappella, appuyée par quelques percussions. » Sur scène, Marie Daulne est épaulée par Cécilia Kankonda, Céline ’T Hooft, Sabine Kabongo et Sylvie Nawasadio. « Ce n’était pas un groupe de musique traditionnelle, avertit Marc Hollander. Les filles s’inspiraient du gospel, du reggae, mais aussi des cultures indiennes, marocaines ou espagnoles pour redessiner les contours d’influences typiquement congolaises. C’était de l’ordre du fantasme créatif. De plus, elles avaient un truc un peu trash et irrévérencieux, très bruxellois. »
Larsen
Novembre, décembre 2022
Zap Mama, Sabsylama, Cramed discs, 1990
Le rêve américain Le premier album de Zap Mama voit le jour en décembre 1991. « Quelques mois plus tôt, le groupe avait fait sensation au Printemps de Bourges. Rien qu’avec leurs voix, les chanteuses pouvaient emporter le public. À l’époque, tout le monde voulait les voir en concert. » C’est ainsi que Zap Mama atterrit à New York, le 20 juin 1992, à l’affiche du mythique Summerstage, en plein cœur de Central Park. « Nous cherchions une structure pour distribuer l’album aux États-Unis, poursuit Marc Hollander. Nous avions invité Yale Evelev, le directeur de Luaka Bop, le label fondé par David Byrne des Talking Heads. » Emballés par la performance, ces derniers prennent Zap Mama en licence avec l’idée de lancer une série discographique baptisée Adventures in Afropea. « Ils voulaient mettre l’accent sur des productions portées par des afro-descendants européens. En 2019, l’écrivain britannique Johnny Pitts s’est d’ailleurs emparé de ce sujet dans un livre intitulé Afropean : Notes from Black Europe. » Vêtu d’une nouvelle pochette, rebaptisé Adventures in Afropea n°1, le premier album sort aux USA en 1993. Le succès est immédiat. Zap Mama reste onze semaines en tête des ventes du classement «World Music» du Billboard. « Comme leur répertoire se construisait autour d’une vision fantasmée du Congo et, plus largement, du continent africain, leur musique a rencontré les préoccupations de toute une partie de la population américaine. » Un an plus tard, Marie Daulne poursuit son périple avec Sabine Kabongo et Sylvie Nawasadio. « Le titre du deuxième album, Sabsylma, est d’ailleurs une allusion à leurs trois prénoms. » Zap Mama réinvente cette fois la musique africaine au contact du jazz de Miles Davis, du funk, de la culture punk et du gospel. Nominées aux Grammy Awards dans la catégorie «Best World Music album», les Bruxelloises voient le trophée tomber aux mains de Ry Cooder et Ali Farka Touré. Au lende-
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