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Ballets russes
Diaghilev intime ARCHIVES PERS ONNELLES
Paris se souvient de « Chinchilla » PAGE 10
Édition
À textes français, pinceaux russes Les artistes chassés par la Révolution ont embelli l’édition de l’entre-deux-guerres Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux
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Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Mercredi 17 mars 2010
Privatisations : c’est reparti !
Vologda, la belle discrète
L’État russe cherche à réduire la part qu’il détient dans le secteur économique du pays au cours des prochaines années. Si certains se montrent sceptiques, le gouvernement n’a jamais caché son intention de miser sur la privatisation, à laquelle il va de nouveau faire appel pour gonfler ses recettes. TIM GOSLING SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
THOMAS GOISQUE_FIGAROPHOTO
Le terme « privatisation » reste un mot entaché de connotations négatives pour de nombreux Russes. Le chaos qui a suivi la chute de l’Union soviétique, les chocs économiques provoqués par la libéralisation soudaine du marché et les trafics d’influence qui sont à l’origine de la formation des clans d’oligarques ont profondément marqué la conscience collective. Elles reviennent pourtant, ces mêmes privatisations qui ont vu des actifs de l’État valant des milliards échangés contre quelques poignées de dollars dans les années 1990, et qui donnent encore lieu à des sarcasmes quotidiens à la télévision et en première page des journaux.
gnes aux noms soviétiques se détachent les bulbes dorés des églises de la Sainte Rus ; le vieux Pont de pierre se jette aux pieds d’un indéboulonnable Lénine… A Vologda, les vétustes tramways se font dépasser par d’insolents 4X4 aux vitres teintées ; des étudiantes fashionistas, talons aiguilles et jupes minimalistes, bousculent, à l’heure de pointe, les petites vieilles sans âge
chaussées de feutre qui vendent à la sauvette des mitaines en poil de chèvre. Vologda voudrait devenir la capitale mondiale de la dentelle fine, tressée là depuis des siècles, et le centre régional du cinéma européen contemporain, qui viendra en festival à partir de l’été 2010. LA SUITE EN PAGE 6
Grandes fortunes La Russie compte 28 milliardaires de plus qu'il y a un an
La crise ? Juste un mauvais souvenir ! MAXIM SHMETOV_ITAR-TASS
OLEG NIKISHIN_EPSILON
KONSTANTIN ZAVRAZHIN_RG
Loin de les couler, la crise a fait rebondir les oligarques russes. Le pays compte désormais 77 milliardaires en dollars selon le magazine Finans. L'aciériste Vladimir Lissine arrive en tête du classement avec 18,8 milliards de dollars. ALEX ANICHIOUK THE MOSCOW TIMES
Vladimir Lissine, qui a vu doubler sa fortune en un an, déboule en première position et détrône le lauréat de l’année dernière, le président du groupe Oneksim Mikhaïl Prokhorov. Roman Abramovitch, également aciériste et surtout connu comme propriétaire du club de foot anglais Chelsea, rétrograde en troisième position. Le classement établit par Finans a été confirmé par celui du journal américcain Forbes à quelques exceptions près.
De gauche à droite : Vladimir Lissine, Mikhaïl Prokhorov et Roman Abramovitch.
Même si le leader est différent cette année, il n'y a aucun nouveau visage dans le groupe de tête. La montée soudaine des prix des matières premières l’année dernière a permis aux propriétaires des compagnies pétrolières et mé-
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tallurgiques de refaire du terrain, tandis que ceux qui ont revendu leurs actifs avant la crise ont vu la valeur relative de leurs avoirs chuter dans un contexte de hausse générale des indices boursiers.
Ce nouveau classement marque le retour timide des barons du secteur BTP russe, lesquels avaient presque complètement disparu du palmarès établi par Finans l’année précédente. « Le dégel sur les marchés financiers a fait tomber de leur piédestal les milliardaires qui ont sorti des liquidités au moment de la crise », commentait Finans dans son édition du15 février, ajoutant que « même si les résultats record enregistrés il y a deux ans n’ont pas été atteints, le classement actuel se rapproche de celui de 2007 ». Mikhaïl Prokhorov, qui avait astucieusement revendu sa part de 25% dans le géant russe Norilsk Nickel avant que le titre ne plonge en bourse, a été relégué en deuxième position avec une fortune de 17,85 milliards de dollars, suivi d’Abramovitch (17 milliards), première fortune russe en 2006.
DÉBATS ET OPINIONS Le poids de l’histoire Thierry Wolton et Pierre Lévy divergent sur le rapport que les Russes entretiennent avec leur passé et l’impact de l’histoire sur l’image du pays. PAGE 8
Revue de presse : vivement Sotchi ! Après le cuisant échec de ses athlètes à Vancouver, la Russie fait face aux interrogations sur ses prochains Jeux. PAGE 9
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Politique
Prisons
Portrait
Tournant stratégique Medvedev a trouvé à Paris un partenaire ouvert à une série d’accords-clés
En finir avec le Goulag Réformer pour mettre fin à un système exclusivement répressif
Roses russifiées Une Française fait le pari de démarrer une roseraie en Russie
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ARCHIVE PERSONNELLE
VERONIKA DORMAN SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Paisible, fière mais sans prétentions, provinciale mais pas déprimée, Vologda s’étire paresseusement en enlaçant la rivière du même nom. Les différents passés affleurent, se bousculent. Dans la trame architecturale de façades baroques et de béton moderne surgissent d’anciennes demeures aristocratiques en bois aux bardages finement ciselés ; à l’horizon d’avenues rectili-
ALEXEY DENICHEV_RIA NOVOSTI
Accumulant les vestiges du passé qui racontent la destinée millénaire de la Russie, Vologda semble suspendue dans un temps indéfini, préservée parce qu’à l’écart des routes du pouvoir d’hier et des sentiers battus d’aujourd’hui.
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RU COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO
Politique
À noter :
Visite d'État Medvedev a trouvé à Paris un partenaire ouvert et des accords clés
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Tournant stratégique
La France occupe la 4ème place parmi les pays de l’UE en terme d’échanges commerciaux avec la Russie, qui ont représenté 17 milliards de dollars en 2009. Devant la France figurent, dans l’ordre, les PaysBas, l’Allemagne et l’Italie.
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L’accord de coopération gazière entre la France et la Russie est en place depuis 35 ans. Cette année, le volume des livraisons devrait atteindre 10 milliards de mètres cubes.
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En 2009, le Produit intérieur brut (PIB) de la Russie s’est contracté de 7,9% contre 2,2% pour la France.
La visite d’État du président Dmitri Medvedev à Paris début mars pourrait ouvrir une nouvelle ère dans les relations franco-russes et, au-delà, russo-européennes. Des décisions et des actes concrets se sont pour une fois ajoutés aux politesses habituelles et aux références à Pouchkine, Maupassant et Normandie-Niemen. DIMITRI DE KOCHKO SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
En bref Investissements croisés : les PME réticentes La France est le 6e investisseur en Russie, et le 9e partenaire commercial de ce pays, loin derrière l’Allemagne, a-t-on souligné au cours de la visite de Medvedev au Medef (syndicat patronal français), où le président était accompagné d’une délégation de grands patrons russes. Mais les investissements français ont progressé ces dernières années, atteignant 3,15 milliards d’euros de flux en 2008 et dépassant 10 milliards de dollars en cumulé aujourd’hui. Reste que les échanges sont essentiellement le fait de grands groupes (GDFSuez, Total, EDF, Alstom, L’Oréal). Les PME des deux pays se risquent toujours aussi peu les unes chez les autres. Le régime des visas, l’incertitude juridique et bureaucratique et la corruption en Russie font partie des obstacles que Medvedev a promis de combattre. « Nous continuerons à améliorer la législation. J’y veillerai personnellement. Je vous le dis franchement : je suis très mécontent de ce que nous avons actuellement », a déclaré le président russe au Medef en réaffirmant qu’il compte sur les Français pour l’aider à mener son programme de modernisation de l’économie russe.
SERGEY GUNEEV_RIA NOVOSTI
On se rapproche d’un accord sur la réadmission par la Russie des étrangers entrés illégalement sur le territoire de l’Union européenne, accord qui pourrait conduire rapidement à l’abandon du régime des visas entre Russie et UE.
On a retrouvé, lors de cette visite qui inaugurait officiellement une « année croisée » France-Russie sans précédent, les accents amicaux de l’époque de l’alliance franco-russe au début du XXème siècle. Les deux chefs d’État ont abondamment souligné leur volonté d’en finir pour de bon avec la Guerre froide et d’instituer un climat de confiance permettant un « partenariat stratégique », visiblement mis pour de bon à l’ordre du jour par les deux parties. Des accords économiques d’une grande portée stratégique ont été signés ou discutés, comme le protocole d’accord GaspromGDF Suez qui ouvre la voie à une prise de participation de 9% dans le projet russe de gazoduc Nord Stream d’une valeur esti-
« Le climat transatlantique actuel est favorable et offre une occasion unique de revoir l’agenda euratlantique ».
grâce à un « traité sur la sécurité européenne » en concluant que « le climat favorable de la politique transatlantique actuelle et la consolidation des partenariats au sein du cadre RussieUE-États-Unis offrent une occasion unique de repenser l’agenda euratlantique ». En écho, lors du dîner à l’Elysée, le président Sarkozy a affirmé avec force la volonté française de « tourner la page de la Guerre froide » et rappelé des faits, rarement évoqués et qui sont allés droit au cœur des Russes : les of-
mée à 7,4 milliards d’euros. Au-delà de la sécurisation de ravitaillement en gaz (et d’une clientèle assurée côté russe), cet investissement, qu’il faut rapprocher de celui à hauteur de 10% annoncé précédemment par EDF dans le projet de gazoduc au sud (South Stream par la mer Noire et la Bulgarie, concurrent du Nabucco par la Turquie), joue une relation normalisée avec la Russie, sans s’arrêter aux doléances des pays de transit qui se voient privés de royalties importantes et de moyens de pression sur la Russie et sur l’Union européenne en dernière analyse. En d’autres temps, dans une logique de Guerre froide, on aurait mis en avant les arguments plus ou moins fondés des groupes d’intérêts hostiles au projet. En dépit des intérêts évidents des consommateurs ouest-européens qui devraient se voir garanti un approvisionnement sans à-coups, et à terme une baisse des prix, grâce aux royalties économisées qu’ils payaient jusqu’à présent. Tout le monde se souvient des interruptions dues aux différends avec les autorités ukrainiennes. Le groupe industriel Alstom a confirmé qu’il prendrait 25% du constructeur de trains russe Transmashholding (TMH) - un investissement de départ de 75 millions de dollars. C’est le futur des TGV russes et transeuropéens qui se joue là. Enfin, les discussions ont avancé sur le contrat concernant quatre vaisseaux BPC de type Mistral qui a fait couler le plus d’encre par la symbolique (mais aussi les emplois dans les chantiers de Saint-Nazaire) qu’il représente. Ce serait la première vente de matériel militaire d’un pays de l’OTAN à la Russie. Même sans électronique et sans arme, même si le bateau est à utilisation à la fois militaire et civile humanitaire, cette vente probable augure bien d’une nouvelle vision stratégique de la sécurité de la « maison commune européenne», voire euro-atlantique. Dans une tribune libre du Figaro le 1er mars, au premier jour de la visite, le chef de l’administration présidentielle russe, M.Serguei Narychkine, appelait à « dépasser définitivement des logiques révolues de Guerre froide »
La consolidation des partenariats entre RussieUE-États-Unis offre l'occasion unique de revoir l'agenda euratlantique fensives russes qui ont sauvé la situation sur la Marne et à Verdun lors de la Première Guerre mondiale, sans oublier les sacrifices des soldats russes lors de la Seconde, pour lesquels le chef de l’Elysée a exprimé la reconnaissance de la France. Ce renouvellement d’un partenariat somme toute historique est d’autant plus crédible qu’il est le fait, du côté de Paris, d’une équipe qui n’est pas vraiment russophile. M. Sarkozy luimême avait eu des paroles peu amènes à l’égard des Russes lors de sa campagne électorale. Peu avant la visite, son ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner avait laissé de côté ses réserves habituelles sur la Russie pour expliquer à des journalistes que le Président Medvedev représentait un changement positif, tandis que le ministre des Affaires européennes Pierre Lellouche, l’un des rares défenseurs de George W. Bush en France, est allé dans les pays baltes « rassurer » sur la vente du Mistral à la Russie. Bien sûr, depuis l’élection française de 2007, se sont ajoutés la crise ossétogéorgienne de 2008 et le rôle qu’a pu y jouer Nicolas Sarkozy, l’élection de Barak Obama, la question du nucléaire iranien et la crise économique.
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La visite vue de Paris : bilan « très positif » « La Russie peut d’ici dix ans diminuer sa consommation d’énergie d’environ un tiers. Un tel accroissement lui permettrait de continuer à approvisionner l’Europe mais aussi à se tourner vers la Chine et l’Asie, ce que prévoit la nouvelle stratégie énergétique. D’où l’importance d’améliorer l’efficacité énergétique ». JACQUES SAPIR, économiste, Directeur d’études à l’EHESS RIA Novosti
« Je suis favorable à l’acquisition du Mistral. Il nous apporte de nouvelles technologies et nous rapproche de nos partenaires de l’OTAN ». VLADIMIR KOLESNIKOV Vice-président du Comité pour la sécurité au Parlement russe Radio Svoboda
La première visite d’État en France du Président russe Dmitri Medvedev a démontré une convergence de vues sur les grands dossiers de la coopération franco-russe, mais aussi sur l’Iran. Commentant les résultats de cette visite vue de l’Elysée, Damien Loras, conseiller de la présidence française chargé notamment de la Russie, répond ici aux questions de La Russie d’Aujourd’hui. Quel bilan tire-t-on, côté français, de la visite du président Medvedev ? Très positif. C’était une visite de prestige, avec une dimension essentiellement politique, destinée à souligner le caractère privilégié du partenariat qui existe entre la France et la Russie. Il s’agissait de le montrer à travers tous les symboles s’attachant à une visite d’Etat, mais aussi à travers des projets emblématiques. J’en citerai deux. L’accord Gasprom-GDF-Suez est le signe que la France considère la Russie également comme un partenaire pour assurer la sécurité énergétique de l’Europe et de la France. Ce qui ne veut pas dire qu’on délaisse d’autres projets comme Nabucco, que nous soutenons toujours car c’est une priorité européenne. Mais la diversification des voies d’approvisionnement énergétique, qui est un objectif stratégique pour l’Europe, ne se fait pas contre la Russie. Diversification, cela veut dire Nabucco, mais également d’autres projets, notamment Nord Stream, quand cela contribue à la sécurité énergétique. Le deuxième projet, c’est le BPC (bâtiment de protection et de commandement, type Mistral : NDLR). Pour le Président Sarkozy, on ne peut pas demander à la
Russie de se comporter comme un partenaire, y compris dans le domaine de la sécurité et de la défense, et ne pas le traiter comme tel, y compris dans le domaine de la sécurité et de la défense. Pour nous, l’enjeu est certes économique, mais il est avant tout politique : encourager la Russie à se comporter comme un partenaire, y compris en matière de sécurité et de défense. Nous ne pensons pas que cela remette en cause l’équilibre stratégique. La négociation ne fait que commencer sur le périmètre et le partage de charges de cette coopération.
tisfaisante avec la communauté internationale, notamment avec l’Agence internationale de l’énergie atomique. Reste maintenant à définir le champ des nouvelles sanctions qui pourraient être adoptées, et c’est l’objet des discussions qui se sont engagées à NewYork. Incontestablement, il existe aujourd’hui de réelles convergences entre la Russie et la France sur cette question, ainsi que les deux présidents l’ont relevé publiquement. GERARD CERLES_AFP
Ils l’ont dit
Quelles assurances la France a-telle donné à ses partenaires au sein de l’OTAN ? Nous avons engagé un dialogue approfondi sur ce sujet, en particulier avec les pays alliés ou amis chez qui ce projet suscite des interrogations. Le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Pierre Lellouche, était récemment dans les Pays baltes ; il s’est entretenu également avec le ministre polonais. Nous avons des discussions avec les Géorgiens et les Américains. Nous avons exprimé notre disponibilité à donner, à nos partenaires européens qui le souhaitent, des assurances en termes de sécurité.
tamment au sein de la police et du système pénitentiaire, convaincus de violations de la loi. La Russie a par ailleurs ratifié le protocole 14 à la Convention des droits de l’homme – c’est très important – et elle a confirmé son moratoire sur la peine de mort. Tout cela montre qu’un mouvement est engagé en Russie, et c’est bien sûr un mouvement que nous encourageons.
Comment perçoit-on, à Paris, la situation intérieure en Russie ? Le Président Medvedev s’est, au cours des derniers mois, engagé dans des chantiers de réformes ambitieux, notamment dans le domaine de la justice. Ces réformes visent à renforcer l’état de droit en Russie. M. Medvedev a également pris des décisions courageuses en sanctionnant des cadres de l’administration, no-
SiMoscoun’exclutpasdenouvellessanctionscontrel’Iran,commentParisenvisage-t-il la prochaine étape ? Les Russes vous paraissent-ils prêts à la franchir ? Oui, le président russe a dit publiquement que la Russie était aujourd’hui disposée à adopter de nouvelles sanctions contre l’Iran, dès lors que l’Iran ne se conforme pas à ses obligations internationales et ne coopère pas de façon sa-
La négociation ne fait que commencer.
Le président Sarkozy a-t-il reçu des assurances de la part de son homologue russe sur le respect des accords de cessez-le-feu en Géorgie ? Le cessez-le-feu est respecté. Ce qui fait débat, c’est le degré de mise en œuvre des dispositions des accords SarkozyMedvedev du 12 août et du 8 septembre 2008. Le président français a demandé à son homologue d’appliquer intégralement ces accords là où ils ne l’on pas été pleinement. Cela concerne notamment l’évacuation de certains territoires, comme le village de Perevi, à la frontière entre l’Ossétie et le reste de la Géorgie. Le Président Medvedev a dit qu’il était disposé à discuter de ces questions avec le Président Sarkozy ou entre leurs collaborateurs. C’est en soi quelque chose de positif. Il y a également accord sur la poursuite du processus de Genève, c’est-à-dire des discussions engagées sur la stabilité et la sécurité dans la région et sur les questions humanitaires, notamment le retour des réfugiés et des déplacés.
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Propos recueillis par Jean-Louis Turlin
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Société
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Prisons Une vaste réforme du régime pénitentiaire pour mettre fin à un système exclusivement punitif
En finir avec la culture du goulag Or, Marina craint que la réforme n'oblige la direction de l’établissement à la transférer dans une prison beaucoup plus isolée pour les deux dernières années de sa peine, ce qui la séparerait des « pensionnaires » avec lesquelles elle partage sa détention depuis de nombreuses années. La directrice, Tatyana Vakhromeyeva, estime que l’isolement de détenus comme Marina dans des institutions pénitentaires de plus petite taille pourrait être un obstacle à leur réinsertion sociale à la sortie.
Après la mort en détention préventive de l’avocat de 37 ans Sergueï Magnitski, qui a scandalisé toute la Russie en novembre dernier, le président Dmitri Medvedev a annoncé une réforme des prisons qui vise à éliminer les vestiges du goulag, de mémoire triste mais toujours coriace. ANNA NEMTSOVA SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Objectif à long terme
DMITRI BELIAKOV
Le bus avance péniblement le long d’une route cahoteuse bordée de champs gelés qui s’étendent à perte de vue, de bois tranquilles parsemés de maisons mal bâties, pour finalement se garer derrière un grand mur blanc entouré de fils de fer barbelé. Le bâtiment est un monastère mais, depuis 1924, il abrite la colonie correctionnelle pour femmes n°3 de Kinechma, une prison située à 320 kilomètres au nord-est de Moscou. La vie des femmes détenues ici n'a guère changé au fil du temps. Comme dans des centaines d’autres prisons situées dans les endroits les plus reculés de Russie, des meurtrières cohabitent avec des délinquantes mineures et des condamnées purgeant leur première peine. Cette population carcérale hétéroclite vit dans des conditions proches de celles que décrivait Alexandre Soljenitsyne dans L’Archipel du Goulag. Pourtant, aucun système, même le goulag soviétique, ne reste pourtant éternellement figé. Reliques de l’époque de Staline, les 755 colonies correctionnelles de travaux forcés sont appelées à disparaître. C'est ce qu'à annoncé Alexandre Reimer, le directeur du Service fédéral d’application des peines, dans une interview récente à la radio « Echo de Moscou ».
Certains experts estiment que la réforme risque de conduire à un isolement accentué pour les détenus effectuant de longues peines.
délits mineurs seront assignés à résidence ou mis en liberté surveillée. Enfin, l'utilisation de détenus pour seconder les gardiens sera abolie car cette vieille institution est connue pour être la porte ouverte aux pires abus. D'innombrables dysfonctionnements rongent le système carcéral russe, mais il a fallu un scandale largement médiatisé pour éveiller l'attention du Kremlin. Le décès scandaleux, en novembre dernier, de l'avocat Sergueï Magnitski fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Détenu en préven-
Vers une réduction de la population carcérale Le gouvernement veut faire baisser une population carcérale qui est la deuxième du monde. Les récidivistes, soit 40% des 900 000 détenus que compte le système pénitentiaire, seront désormais séparés des prisonniers sans antécédent. Les auteurs de
tive, Magnitski s'était vu privé de soins médicaux vitaux parce qu'il refusait de signer des aveux forcés. Dans la foulée, le président Dmitri Medvedev a accéléré la réforme du système pénitentiaire et ordonné le limogeage de vingt dirigeants du Service fédéral d’application des peines.
Résistances internes Les détenus, voire les gardiens euxmêmes, ne réagissent pas tous avec enthousiasme aux réformes. MarinaVyssotskaya, 27 ans, a déjà purgé huit ans de sa peine dans la colonie
correctionnelle IK-3 après avoir été reconnue coupable de meurtre et condamnée à dix ans de prison lorsqu’elle avait 19 ans. Son lit, situé dans un coin près de la fenêtre, est entouré de petits rideaux roses pour respecter son intimité. Comme tous les autres lits, il est identifié à l’aide d’une étiquette portant son nom et la nature de son forfait : « meurtre ». « Mon caractère a changé en prison, ma vision de la vie est différente, plus adulte », explique-t-elle avant d’ajouter : « J’aime l’ordre qui règne dans cette colonie correctionnelle ».
La réforme n'est qu'une étape du projet à long terme de faire baisser la criminalité, précise Tatyana Vakhromeyeva. Un projet qui passe par d’autres réformes et par un effort pour améliorer les possibilités de réinsertion. « Nous assistons à une augmentation significative de la criminalité liée à la drogue, et le nombre de vols est aussi en hausse sensible », déclare la directrice. « C'est parce que le système actuel ne vient pas en aide aux détenus à leur sortie de prison ». Les dirigeants du Service fédéral d’application des peines ont commencé à consulter des experts indépendants spécialisés dans la surveillance des violations des droits de l’homme dans les prisons. Lors d’une réunion en décembre dernier, Lev Ponomarev, ex-dissident soviétique et dirigeant du mouvement « Pour les droits de l’homme », basé à Moscou, a décrit des cas de détenus qui ont dû soudoyer des gardiens de prison pour acheter ne serait-ce que le droit à la survie. « Le goulag n’est pas seulement fait de murs et de fils de fer barbelé », explique M. Ponomarev. « C’est un système reposant sur les injustices, les menaces, les pressions psychologiques et physiques. La réforme est surtout axée sur l’amélioration des installations pénitentiaires, alors qu'elle devrait également viser à changer la culture du goulag ».
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Migrations Le gouvernement veut promouvoir la mobilité professionnelle dans les régions sinistrées
Délocaliser les chômeurs A défaut de diversification, la Russie envisage une réimplantation à grande échelle des populations ouvrières dans des bassins d’emploi plus favorables. La ville de Togliatti, où le géant de l’automobile AvtoVAZ a annoncé une réduction massive de ses effectifs, va servir de projet pilote. MAXIM TOVKAILO, ANATOLY TYOMKIN ET KATYA NAZAROVA
Les employés licenciés du constructeur automobile AvtoVAZ (partenaire de Renault) pourront être réaffectés, sur une base facultative, à une usine de fabrication de wagons ferroviaires dans l’oblast de Léningrad et, si l’opération est positive, elle sera reconduite dans d’autres villes dites mono-industrielles. L’ARIZhK, l’agence gouvernementale des crédits au logement et des hypothèques chargée de ce programme, évalue à plus de 350 le nombre de « mono-villes » héritées du sytème soviétique, dont 17 sont en crise et 60 sur le point de l’être. Les candidats au départ de Togliatti, une ville de plus de 700 000 habitants
VALERII MELNIKOV_KOMMERSANT
THE MOSCOW TIMES
3500 employés d’AvtoVAZ sont candidats à la relocalisation.
sur les bords de la Volga, se verront proposer à Tikhvine un emploi dans la nouvelle usine du groupe financier et industriel IST, qui sera mise en service à la fin de l’année et comptera 3 500 employés. La construction de lo-
editor.france@rg.ru
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gements a déjà commencé pour accueillir 450 à 500 familles de nouveaux arrivants. L’ARIZhK prévoit d’investir entre 400 et 500 millions de roubles (entre 10 et 12 millions d’euros environ) dans l’opération. Après approba-
tion de son dossier, le candidat à la relocalisation pourra immédiatement déménager sur son nouveau lieu de travail où il lui sera fourni un logement provisoire en attendant une installation définitive. Pour lui permettre de réinvestir, l’agence utilisera son ancien logement comme garantie d’un prêt sur deux ans à un taux représentant les deux tiers du taux de refinancement de la Banque centrale (actuellement de 5,8%). Le montant du prêt sera égal à la valeur du bien, moins les intérêts courants sur les deux années de sa durée. L’argent du prêt devra être utilisé pour une acquisition dans la nouvelle région et, au cas où la somme ne suffirait pas, le candidat devra contracter un emprunt complémentaire. Il disposera alors de deux ans pour la vente de son ancien logement, faute de quoi il devra le céder à l’ARIZhK. Le marché est à son avantage : le prix du mètre carré à Togliatti avoisine les 34 700 roubles (853 euros). alors qu’à Tikhvine, il tourne autour de 20 000-30 000 roubles (492-738 euros). AvtoVAZ prépare la relocalisation d’environ 12 000 de ses employés dans ses
filiales mais les candidats au transfert risquent d’être peu nombreux selon Nikolai Karagin, le responsable du syndicat de l’entreprise, qui précise que « dans les bureaux de Samara (la capitale administrative de l’oblast du même nom : NDLR), on élabore déjà des mesures visant à promouvoir d’autres activités à Togliatti. En outre, l’oblast de Leningrad a déjà assez de chômeurs à reclasser, ne serait-ce qu’à Pikaliovo », autre ville mono-industrielle. Il est normal que l’État aide les habitants de villes sinistrées à chercher fortune sous d’autres cieux, estime Natalia Zubarevich, de l’Institut indépendant de politique sociale, qui se déclare néanmoins surprise par le choix de la ville où seront mutés les migrants de Togliatti : « On échange un problème contre un autre, et avec l’argent de l’Etat. Tikhvine correspond au même scénario que Pikaliovo », affirme-t-elle. « Si l’on veut que le programme réussisse, on ne doit pas pas obliger les gens à se réinstaller dans une ville désignée ». C’est là une restriction qui, selon un responsable de l’ARIZhK, devrait être ultérieurement abandonnée.
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Économie
En bref RosAtom défie Areva en se rapprochant d’EDF Le géant du nucléaire russe RosAtom profite des bisbilles entre EDF et Areva pour conclure une alliance avec le premier. Areva, qui s’est déjà vu préféré son ancien associé Siemens comme partenaire stratégique des Russes, essuie donc une nouvel affront. RosAtom et EDF envisagent de « transformer la collaboration existante en une coopération stratégique dans un contexte international », a déclaré Sergueï Novikov, le porteparole de RosAtom. L’objectif serait de créer une alliance pour proposer conjointement la construction de nouveaux réacteurs de type VVER (technologie russe) à des pays tiers. Cette alliance concurrencera de front les réacteurs EPR qu’Areva commercialise à l’international.
Renault assemble des Sandero à Moscou Renault vient d’investir 150 millions d’euros pour doubler la capacité de production de l’usine de Moscou. Le modèle Sandero va désormais s’ajouter à la Logan pour une capacité d’assemblage totale de 160 000 véhicules par an. Le PDG de Renault Carlos Ghosn, présent début mars à Moscou pour inaugurer la nouvelle chaîne d’assemblage, reste confiant à propos du marché russe, dont les ventes ont été divisées par deux en 2009 : « Nous pensons que ce marché va rebondir ». Les ventes de Renault et d’AvtoVaz ont chuté moins brutalement que le marché avec respectivement -33% et -44%. Les experts s’attendent à une lente reprise cette année, à cause du déficit de crédits automobiles à des taux raisonnables.
Lotte Hotel Moscow rejoint l’alliance LHW Lotte Hotel Moscow, un établissement 5 étoiles dont l’ouverture est prévue pour ce printemps, a d’ores et déjà annoncé son entrée au sein de la prestigieuse chaîne « Leading Hotels of the World » (LHW). Le groupement est présent dans 80 pays et l’addition de Lotte Hotel Moscow lui fait atteindre un total de 450 membres. Lotte Hotel Moscow appartient à la chaîne de luxe sud-coréenne Lotte Hotels&Resorts. C’est la première incursion en Europe de cette chaîne surtout développée en Asie. L’hôtel moscovite comprend 304 chambres et a embauché le chef français Pierre Gagnaire, noté trois étoile par le guide Michelin.
Affaires à suivre SITL Europe 2010 Du 23 au 26 mars 2010, Paris Nord Villepinte, Hall 6 La Semaine internationale du Transport et de la Logistique accueillera un pavillon d’exposants russes (№ 6) et mettra la Russie à l’honneur en lui consacrant un programme de conférences. Cellesci porteront, les 23 et 24 mars, sur les thèmes suivants : « Doing Logistics in Russia » (Plateau TV 1) et « Douanes et taxes en Russie » (Salle Ateliers). http://www.sitl.eu/
Pour en savoir plus, consultez notre site www.lefigaro.fr/ larussiedaujourdhui
Privatisations À la recherche de fonds pour moderniser son économie, le gouvernement russe va mettre une nouvelle vague d’entreprises d’État sur le marché
Appel au secteur privé
qui possèdent déjà des intérêts significatifs dans ces entreprises ». On s’attend ainsi à ce que la part de l’État de 25% + 1 dans la société TGK-5 se retrouve aux mains de la partie prenante principale, la compagnie énergétique KES-Holding, tandis que les 25% détenus par l’État dans la compagnie de navigation Sovkomflot seront très probablement repris par un partenaire également. En fait, peu d’entreprises parmi celles citées sur la liste semblent prêtes à
être introduites sur les bourses russes ou internationales, malgré l’affirmation de M. Koudrine en décembre dernier selon laquelle la majorité des privatisations à venir ne se ferait pas par « une vente de parts dont le produit irait directement dans le budget de l’État, mais par une introduction en bourse ». Par exemple, même si une entreprise comme Mosmetrostroi se révélait être attractive, la participation de 100% dont le gouvernement souhaite se décharger serait susceptible
d’excéder les capacités limites des entrées de fonds en Russie et aurait des difficultés à concurrencer les sociétés déjà solidement cotées en Bourse. Par conséquent, même si le gouvernement espère clairement marquer des points en relations publiques par sa campagne de privatisation (le Financial Times cite un fonctionnaire du gouvernement qui suggère que ce mouvement « révèlera au monde entier le libéralisme du gouvernement »), nombreux sont ceux, parmi les investisseurs, qui restent apparemment peu impressionnés par la liste de noms établie jusqu’à présent. Une question majeure concerne les délais que s’accordera le gouvernement pour mettre les principaux actifs sur la table. Les dirigeants politiques devront d’abord réussir à faire adopter la campagne de privatisation en dépit des droits acquis, y compris au sein de leur propre organisation, ainsi que la nécessité de la restructuration avant que ne soit suivie d’effet l’invitation qu’ils ont lancée aux acteurs privés de devenir plus engagés dans les géants de l’État russe et d’autres actifs attractifs. Il faudra également attendre que les flux d’investissements reprennent et que l’appétit pour le risque se renforce. Tout comme les autres États de par le monde qui détiennent des actifs majeurs, les autorités russes n’ont aucune intention de vendre les leurs au rabais. Ce qui toutefois ne fait pas débat, c’est la décision du gouvernement de renoncer à sa participation majoritaire dans les plus grandes entreprises du pays dans un avenir proche. Ce point met les commentateurs dans tous leurs états et, en effet, les droits des actionnaires minoritaires sont fréquemment ignorés en Russie. En réponse, M. Ivanchenko prétend que les actions en justice intentées par les investisseurs ont connu plus de succès récemment : « la situation s’améliore lentement ». En même temps, les géants de l’État russe offrent des revenus si stables et attractifs que peu de gestionnaires de fonds peuvent s’armer de suffisamment d’idéalisme pour les mettre sur la liste noire. De plus, dans un pays où la corruption et la criminalité règnent si souvent sur les entreprises, il est peut-être plus sûr d’être main dans la main avec l’État.
Infrastructures
Secteur bancaire
Groupes pétroliers
Certains analystes comme Angelika Henkel d’Alfa Bank pensent que les infrastructures resteront l’objectif immédiat de la campagne de privatisation. « La compagnie de transport Chemins de Fer Russes (RJD) et la compagnie aérienne Aeroflot pourraient tout à fait être privatisées au cours des quelques prochaines années », suggère-t-elle en soulignant qu’il s’agira d’une lourde tâche pour ces compagnies énormes de se préparer à une introduction en bourse qui constitue « la façon préférable d’entreprendre une privatisation pour les grosses entreprises ». En attendant, RJD a annoncé à la fin février son projet de vendre des parts dans différentes filiales d’ici 2012. Convaincre les investisseurs d’investir dans Aeroflot n’est pas une mince affaire, connaissant les difficultés de l’ancien monopole aérien à faire des bénéfices en situation hautement concurrentielle. Mais au moins Aeroflot est déjà coté en bourse, contrairement à RJD, dont la gestion reste largement opaque.
Le Kremlin est-il sur le point de réduire sa participation dans les deux principales banques du pays ? Le président de Sberbank German Gref a fait bondir la spéculation sur ce titre en janvier en le laissant entendre. Selon lui, le gouvernement pourrait réduire sa part, actuellement de 57,6% dans la première banque du pays. Jusqu’à une simple minorité de blocage (25%). Il est peu probable qu’il se soit exprimé sur le sujet sans avoir reçu un feu vert préalable. Cependant, Sberbank, qui est bien gérée, ne semble pas une priorité. C’est en tous cas ce que pense le ministre des finances Alexeï Koudrine, qui suggère plutôt de considérer le cas plus urgent de la seconde banque du pays, VTB. La part supplémentaire que le gouvernement a récemment obtenue en échange d’une injection de capitaux à hauteur de 6 milliards de dollars dans VTB pourrait constituer le point de départ idéal pour un placement secondaire. Encore faut-il que la situation sur les marchés financiers se stabilise.
Les géants énergétiques russes sont la force motrice de l’économie russe et resteront sous contrôle du gouvernement. Cependant, ils sont également au centre de la campagne menée par le gouvernement pour inverser la tendance à la baisse de la production de pétrole et de gaz naturel et ils ont des défis de taille à relever : à la fois en termes d’investissement et de capacité technique. Le géant pétrolier d’Etat Rosneft est régulièrement cité comme pouvant faire l’objet d’un placement secondaire. Le poids stratégique des compagnies Gazprom et Rosneft, par l’influence géopolitique qu’elles exercent, est souvent surestimé mais reste une réalité. Mais c’est la compagnie pétrolière Transneft, qui détient et gère le réseau russe d’oléoducs, qui a le poids stratégique le plus important. Toute privatisation serait une déclaration d’intention sérieuse concernant le mouvement de libéralisation de l’économie mais peu d’investisseurs y croient vraiment.
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Malgré cela, les dirigeants politiques actuels ont toujours affirmé que les entreprises privées devraient occuper une place prépondérante dans l’économie. En septembre dernier, le premier vicepremier ministre Igor Chouvalov a prédit que l’on pourrait privatiser au moins partiellement jusqu’à 5 500 entreprises au cours des années à venir, dont 449 qui seraient mises sur le marché en 2010. Le mois dernier, il a annoncé que le plan de privatisation de cette année serait considérablement étendu. Il convient de noter que, parmi les entreprises figurant dans la liste établie initialement, certaines sont à peine rentables et font l’objet de négociations depuis des années sans trouver acquéreur. Maintenant qu’un choix d’actifs plus intéressants va bientôt être disponible, la communauté d’investisseurs devra attendre avant de pouvoir s’emparer d’une plus grande partie des joyaux de la couronne qu’elle convoite : le secteur du pétrole et du gaz naturel, le secteur bancaire et d’autres valeurs de premier ordre. Parmi les sociétés les plus attractives qui sont désormais certaines de faire l’objet de privatisations (par exemple l’actif de production d’énergie TGK-5 et trois grandes compagnies d’assurance), le gouvernement ne renoncera qu’à des intérêts mineurs ou à une minorité de blocage. Parmi les entreprises entièrement détenues par l’État et qui sont certaines d’être mises sur le marché, la société de construction Mosmetrostroi devrait susciter le plus grand intérêt. Dans le secteur des infrastructures, les parts dans les ports maritimes de Mourmansk et de Novorossisk et dans la compagnie de navigation Sovkomflot présentent le plus de chances d’avoir la faveur des investisseurs. Mais elles figurent en principe sur la liste des actifs stratégiques dans lesquels les participations étrangères sont restreintes. Il revient au président russe de rayer ces actifs de la liste. Selon Ivan Ivanchenko, stratège et économiste en chef à la banque VTB Capital, « la crise n’a fait qu’accentuer la volonté gouvernementale prioritaire de sortir de la dépendance à l’égard du pétrole ». Dans cette optique, M. Medvedev a publié en février une liste d’initiatives et de dates limites visant à améliorer le climat des investissements en Russie. La privatisation est un des quelques leviers dont le pays dispose pour attirer les investissements directs étranger en Russie en ce moment. Cela n’a pas toujours été le cas et la participation de l’État dans l’économie russe a considérablement augmenté depuis 2004 : de 25 à 30% à plus de 50% selon la majorité des estimations. C’est en grande partie le fruit d’un effort concerté pour reconquérir les actifs dont s’étaient emparés les oligarques, même si la campagne de renationalisation ne s’est pas faite sans dégâts. En même temps, les dirigeants politiques savent qu’une injection de capitaux ne sera pas suffisante à elle seule. Ainsi cette déclaration récente de source gouvernementale : « Il apparaît évident aux yeux de tous que [les entreprises placées sous la surveillance du gouvernement] sont trop nombreuses. Il est impossible de gérer cette masse énorme efficacement ». Un mode de gestion privé ainsi que l’expertise et la technologie étrangères sont les pierres angulaires du combat que mène le Kremlin pour diversifier et moderniser l’économie. Cela concorde avec l’hypothèse d’Angelika Henkel d’Alfa Bank selon laquelle la plupart des entreprises citées sur la liste « se prêtent plus au rachat par des investisseurs stratégiques
PETER KOVALEV_ITAR-TASS
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Les entreprises qui, comme Sovkomflot, figurent sur la liste des actifs stratégiques ne peuvent, en principe, passer sous le contrôle de capitaux étrangers.
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L’Internet russe tient tête au géant Google
editor.france@rg.ru
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Économie
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Grandes fortunes Vladimir Lissine prend la tête du classement des personnes les plus riches de Russie avec 18,8 milliards de dollars, patrimoine qui a doublé en l'espace d'un an
La crise ? Un mauvais souvenir ! Le nombre de Russes dont la fortune est estimée à plus d’1 milliard de dollars est passé de 49 il y a un an à 77 aujourd’hui, et le total des fortunes réunies des 10 personnes les plus riches de Russie a fait un bond de 84 % entre l’année dernière et cette année, pour atteindre 139,3 milliards de dollars, a annoncé le 15 février dernier le magazine Finans. Mais ce chiffre est bien en dessous du niveau de 2008 où l’estimation du total des fortunes réunies des 10 personnes les plus riches de Russie s’élevait à 221 milliards de dollars. Les éditeurs du magazine ont déclaré avoir été surpris de voir M. Lissine, 53 ans, dont la fortune a plus que doublé par rapport à ses 7,7 milliards de dollars de l’année précédente, arriver en tête du palmarès. « M. Lissine est étonnamment peu connu en tant que multimilliardaire, surtout si on le compare aux chefs de file des années précédentes », rapporte Finans. L’homme le plus riche de Russie a commencé à gagner sa vie comme installateur électricien à Novokouznetsk alors qu’il était encore étudiant à l’Institut de métallurgie de Sibérie, dont il a été diplômé en 1978. Il a travaillé dans l’industrie des métaux pendant toute la période soviétique avant de s’associer à Mikhaïl Tchernoï au sein de l’entreprise Trans World dans les années 1990. Pour devenir propriétaire à près de 85% du groupe sidérurgique Novolipetsk (NLMK), il avait fini par reprendre les parts d’autres actionnaires de NLMK et devenir PdG du groupe, se débarrassant, au passage, de Mikhaïl Prokhorov et de son ancien associé,Vladimir Potanine. Les deux hommes avaient initialement acquis une part de 34 % en 2000, rappelle Finans. Marié et père de famille, M. Lissine fait rarement la Une de la presse « people », à la différence de ses pairs milliardaires. On sait tout juste de lui qu'il est passionné de chasse. À son contrôle de Novolipetsk Steel, M. Lissine ajoute de nombreux intérêts dans la ville de Lipetsk, notamment la holding Universal Cargo Logistics, qui contrôle un certain nombre de grands ports. Il possède également le journal Gazeta et la radio Business FM. Le cours de clôture de l’action de Novolipetsk Steel avait gagné près d’1 % à la Bourse du MICEX, à 88,89 roubles, dans la seule journée du 15 février, une progression correspondant à peu près à celle des cours boursiers mondiaux. Mais ce nouveau niveau représente un bond de 110 % par rapport à l’année précédente, où l’action de NLMK se négociait à 42,26 roubles.
VASSILI CHAPOCHNIKOV_KOMMERSANT
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Gestionnaire prudent, Lissine pourrait rester en tête des fortunes russes.
«La tendance est bonne», estime Oleg Tinkov. «Avant il y avait uniquement des gens ayant participé aux privatisations frauduleuses» Les actions du producteur d’acier avaient chuté jusqu’à 87 % lors de l’effondrement du marché financier à la fin de l’année 2008. Commentant son palmarès, Finans écrit cette année que que M. Lissine perdrait la première place si le cours de son principal actif perdait seulement 5 % de sa valeur. Selon le magazine, la réussite de M. Lissine repose sur un mode de gestion conservateur, concentré sur les investissements plutôt que sur une politique d’expansion agressive à l’étranger, qui a laissé ses concurrents endettés jusqu’au cou. Son règne en tant que premier milliardaire de Russie pourrait donc se prolonger. Mais les mauvais choix de M. Prokhorov seraient à l’origine de sa rétrogradation au profit de Lissine. « Mikhaïl Prokhorov a perdu de l’argent tout au long de l’année. Il a conclu un accord désavantageux avec Oleg Deripaska, acceptant d’acquérir de nouvelles actions de Rusal au lieu d’argent liquide à un prix une fois et demie plus élevé que celui auquel les investisseurs estimaient l’action de Rusal pendant son introduction en bourse », explique le magazine. M. Deripaska, qui a renoncé à sa participation majoritaire dans la société Rusal pendant son introduction en bourse, a connu une année un peu plus pros-
père. En effet, les banques d’État russes lui ont promis de continuer à refinancer la dette du géant de l’aluminium. Rusal a utilisé les 2,14 milliards de dollars levés lors de son introduction en bourse pour rembourser une partie de sa dette, qui s’élevait à 14,9 milliards de dollars. Dans le secteur de l’immobilier, qui a subi une très grosse déprime depuis 2008, le sénateur Andreï Moltchanov, le principal actionnaire du groupe de construction LSR basé à St Pétersbourg, a gagné 52 places pour se hisser en 34ème position avec une fortune de 3,15 milliards de dollars, par rapport à 450 millions de dollars l’année précédente. La présidente de la société Inteko, Elena Batourina, qui est également l’épouse du maire de Moscou Iouri Loujkov et, de longue date, la plus riche femme de Russie, a perdu deux places pour arriver en 47ème position, mais sa fortune a plus que doublé, passant d’ 1 milliard
de dollars en 2009 à 2,2 milliards de dollars dans le classement actuel. Le co-fondateur de l’entreprise de bâtiment PIK Group, Iouri Joukov, est aussi réapparu dans le classement des milliardaires avec un patrimoine d’1 milliard de dollars, en hausse par rapport à 870 millions de dollars l’année dernière. Le sénateur Souleïman Kerimov, qui possède la holding Nafta Moskva et contrôle à présent 45 % du groupe PIK, se situe en quatrième position dans le classement de cette année avec une fortune de 14,5 milliards de dollars. Un autre milliardaire aux portefeuilles très diversifiés, le président du directoire du groupe Alfa, Mikhaïl Fridman, gagne une place pour se classer cinquième avec une fortune de 14,3 milliards de dollars. Oleg Tinkov, un collaborateur de Finans et lui-même chef d’entreprise, recule de 58 places par rapport au classement établi par le magazine en 2006, où son patrimoine était estimé à 2,6 milliards de dollars ; il se situe désormais en 424ème position avec une fortune de 150 millions de dollars. Mais il dit n’en apprécier pas moins la tendance générale affichée en 2010 : « Nous nous souvenons de qui étaient les personnes les plus riches auparavant. Il s’agissait principalement [de personnalités] qui avaient pris part aux privatisations, aux enchères des « emprunts contre actions ». Mikhaïl Prokhorov, Roman Abramovitch et Mikhaïl Khodorkovski étaient de ceux-là », écrit M. Tinkov sur son blog. « M. Lissine constitue une exception bienvenue. Il est ingénieur. Il se soucie réellement de la production et du développement ». Mais M. Tinkov s’est dit déçu de voir toujours les mêmes personnes en tête du palmarès : « Le marché devrait montrer du changement, une redistribution. Les acteurs restent les mêmes malgré la crise et les erreurs qu’ils ont commises ».
Les E-milliardaires déboulent Le palmarès 2010 des milliardaires que publie le magazine Finans se caractérise par une augmentation du nombre d’hommes d’affaires dont l’essentiel du capital est consacré à l’économie numérique. Jusqu’à présent, ces investisseurs n'avaient guère brillé par leur réussite financière. D’une part, les actifs russes dans l’Internet n’avaient pas encore été appréciés à leur juste valeur en 2008 et d’autre part, la structure de leur capital-actions demeurait opaque. En 2009, dans un contexte de pessimisme général, ils n’étaient toujours pas parvenus à percer. Mais, la progression reste impressionnante, même si les E-milliardaires ne figurent toujours pas parmi les cent premiers, à l’exception d’Alexeï et Dmitri Ananiev (respectivement n°43 et n°44) et d’Alicher Ousmanov (n°7). Pour la première fois au palmarès, Evgueni Kaspersky, créateur d’un anti-virus utilisé dans le monde entier, a pris d’emblée la 129e place. Tous les utilisateurs de « Mac » connaissent les sociétés Acronis et Parallels. Finans a évalué le capital de l’un de ses actionnaires, Sergueï Beloussov (n°186), à 430 millions de dollars. Natalia Kasperkaïa (n°177) est désormais la femme la plus riche des NTI. Elle a décroché la deuxième place du palmarès féminin. Les nouveaux milliardaires s’orientent vers les activités de commerce, surtout à l’étranger. Les bénéfices du Laboratoire Kaspersky en Russie ne représentent ainsi pas plus du cinquième de son chiffre d’affaires total. Les entreprises du numérique sont de véritables multinationales qui ne dépendent pas de l'économie russe. Magazine Finans
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Les 10 citoyens les plus riches de Russie 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Évolution
Nom
+2 -1 -1 +1 +1 +2 +3 -4 +5 -3
Vladimir Lissine Mikhaïl Prokhorov Roman Abramovitch Souleïman Keri mov Mikhaïl Fridman Oleg Deripaska Alisher Usmanov Vagit Alekperov Alexei Mordashov Vladimir Potanin
Valeur, Milliards$ 18,8 17,85 17 14,5 14,3 13,8 12,4 10,65 10 9.95
Statut Détient 85% de NLMK, 3ème aciériste russe Unique propriétaire d’Oneksim, holding détenant des actifs dans les secteurs or, finance, électricité Principal actionnaire de Millhouse Capital (Acier, pharmacie, finance) Investisseur financier (Nafta Moskva) Principal actionnaire du groupe Alfa (finance, pétrole, télécom, distribution) Unique propriétaire de Basic Element (RusAl, actifs financiers, BTP, automobile, énergie) Actionnaire majoritaire de Metalloinvest (métaux, internet, télécoms) Actionnaire principal de LUKoil (pétrole et gaz) Détient 76% de Severstal (acier) Actionnaire majoritaire d’Interros (finance, métaux, énergie)
SOURCE: MAGAZINE FINANS
Entretien Pour Jean-Louis Mattei, le pays est « extrêmement riche » et son économie « fait rêver »
La Société Générale muscle sa présence en Russie Le remodelage de notre dispositif en Russie permettra de créer un groupe bancaire de référence, numéro 5 du marché local mais première banque privée et premier établissement financier international en Russie, offrant à ses clients, entreprises et particuliers, l’un des plus vastes réseaux du pays (750 agences dès l’origine, 30 000 collaborateurs), une gamme complète de produits et une qualité de service de niveau international. La Société Générale deviendra actionnaire à 81.5% et le Groupe Interros détiendra l’essentiel des 18,5% restants.
Le groupe Société Générale a annoncé le 18 février dernier, avec son partenaire Interros de Vladimir Potanine, une rationalisation et une meilleure synergie de ses activités par la fusion de ses deux filiales bancaires, Rosbank et BSGV, en un ensemble unique. Elles conservent leurs deux marques distinctes. Les deux autres filiales spécialisées, Rusfinance (crédit à la consommation) et DeltaCredit (crédit immobilier), deviennent filiales à 100% de la nouvelle entité. La Russie d’Aujourd’hui a demandé à M.Jean-Louis Mattei, directeur de la banque de détail à l’international pour le groupe Société Générale, des détails sur cette fusion et les raisons pour lesquelles son groupe faisait le choix du développement malgré la tempête es-
ARCHIVES PERSONNELLES
Le Groupe Société Générale a essuyé en Russie des pertes proches de 190 millions d’euros en 2009 en raison de la crise économique. Mais sa direction ne se laisse pas abattre et mise au contraire sur le potentiel de croissance de la Russie en consolidant l'ensemble des activités de la banque.
La Société Gérérale montera à 81,5% de Rosbank, laissant 18,5% à Interros.
suyée, et alors qu’un de ses principaux concurrents, BNP-Paribas, renonce à créer de nouvelles agences en Russie. Pourquoi avoir décidé cette opération de fusion de votre filiale la BSGV avec Rosbank, dont la Société Générale était déjà actionnaire ?
Pourquoi maintenir deux enseignes ? Grâce à la fusion de nos deux banques universelles, on ne perd pas de valeur, on en crée ; plus particulièrement pour la clientèle de particuliers : BSGV sera plutôt positionnée sur la partie « haut de gamme » du marché, dans les grandes métropoles, alors que Rosbank a une présence élargie au grand public sur l’ensemble du territoire. En quoi consistent synergies et efficacité opérationnelles dont vous parlez ?
Les synergies sont de deux ordres. Tout d’abord, des synergies de revenus grâce à une coordination renforcée de l’approche des divers segments de marché et des politiques commerciales. Ensuite, des synergies de coûts avec le rapprochement des fonctions et des backoffices bancaires. Par ailleurs, nous allons progressivement faire converger les différents systèmes d’information de nos implantations en Russie, qui seront à terme exploités sur une plateforme unique. La déclinaison simultanée de ces deux axes devrait permettre de réduire le coefficient d’exploitation de la banque à moins de 50%, d’ici à cinq ans. Vous intéressez-vous aux autres activités (non bancaires) de M. Potanine ? La plupart des grandes entreprises, dont le Groupe Interros est un actionnaire de référence, sont déjà clientes du groupe Société Générale et nous continuerons à développer ces relations avec ces grandes entreprises. Bien évidemment, ces relations seront uniquement des relations classiques de banquier à client.
Quel jugement portez-vous sur le paysage bancaire russe, compte tenu de la crise financière qui a cruellement frappé la Russie et votre groupe ? Plus globalement, vous parlez de potentiel à long terme du marché russe. En quoi consiste-t-il selon vous ? La Russie a connu en 2009 une crise significative avec une baisse du PIB de plus de 8%. La crise nous semble aujourd’hui maîtrisée, les premiers signes de reprise apparaissent et les fondamentaux sont bons ; aussi sommesn o u s c o n fi a n t s d a n s l ’ av e n i r économique du pays. Sans faire d’analyse trop détaillée, rappelons simplement quelques éléments : l’extrême richesse du pays (la Russie constitue la première réserve mondiale de gaz), sa réserve de change de 500 milliards de dollars (la balance commerciale est restée excédentaire, même au pire de la crise), et un endettement public de quelque 8% du PIB. Ces derniers chiffres feraient rêver beaucoup d’économies occidentales.
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Propos recueillis par Dimitri de Kochko
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Régions
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points sur Vologda
Selon certaines sources, Vologda aurait été fondée en 1147, la même année que Moscou, même si la ville est mentionnée dans les textes pour la première fois en 1264.
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Il y a plusieurs origines du nom « Vologda ». En finno-ougrien, « valgeda, valkeda » signifie « blanc ». Vologda, c’est la rivière à l’eau claire et pure. L’origine slave fait référence au « volok », le sentier de portage emprunté par les Novgorodiens pour accéder aux rivières Soukhona et Dvina septentrionale.
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Vologda, la belle discrète SUITE DE LA PAGE 1
Vologda, rêves de grandeur. Fondée au XIIe siècle, forte de sa position géographique - carrefour fluvial sur la route de l’Occident - la ville devint le nœud du commerce russo-européen, une cité riche, convoitée par les princes russes médiévaux. Au XVIe siècle, Ivan le Terrible voulut même l’ériger en chef-lieu des terres de l’opritchnina, sa « réserve » personnelle sur laquelle son pouvoir arbitraire n’avait pour limite que la cruauté des opritchniki, une « troupe satanique », dévouée au tsar corps et armes. Mais la légende raconte qu’un funeste présage l’en aurait dissuadé. Venu inspecter les travaux de construction du Kremlin, Ivan IV aurait reçu sur le front une pierre, détachée de la voûte de l’église de Sainte-Sophie. La paranoïa et la superstition maladive du redoutable monarque n’en demandaient pas tant. Il ne remit plus son pied impérial à Vologda, qui continua son épanouissement, à l’écart des passions du pouvoir, mais dotée des ses attributs, une forteresse et une cathédrale. Par la suite, de nombreux étrangers élurent domicile dans ce point de transbordement pour tout le commerce avec l’outre-mer, et Pierre le Grand ne manqua pas d’y passer souvent, fomentant des projets d’essor pour la ville. Au lieu de quoi, finalement, il ne participa qu’à sa marginalisation, lorsqu’il détourna les flux marchands vers sa fenêtre sur l’Europe nouvellement percée.Vologda déclina, jusqu’à ce que Catherine II ne l’institue en capitale régionale, tout en lançant des grands travaux d’urbanisme, qui ont engendré l’actuelle ville en damier.
Des traditions aux souvenirs
Ivan le Terrible aurait érigé Vologda en chef-lieu des terres de l’opritchnina, si un mauvais présage ne l’en avait dissuadé
Au-delà du parc attenant, le vieux quartier de bois de Vologda. Pour les riverains, ces vielles maisons, celles qui tiennent encore, sont l’âme deVologda. L’une d’entre elles abrite aujourd’hui un Musée des objets oubliés, qui cherche à restituer l’atmosphère raffinée mais simple de l’aristocratie de province de la Russie prérévolutionnaire. Sa vestale, Tatiana Kassianenko, enroulée dans un grand châle en dentelle de Vologda, est elle-même la pièce maîtresse de la collection. Dans une langue un peu précieuse, elle raconte l’histoire et la vie du lieu – soirées littéraires, récitals de musique classique, Noëls pour enfants à la mode d’antan – avant de vous servir le thé dans un petit salon, au samovar. Ce musée d’ambiance, qui insuffle la vie à des objets et des décors à jamais perdus, illustre bien la devise que s’est donné la ville : garder les traditions, vivre par le présent, penser à l’ave-
nir. À Vologda, il ne s’agit pas de muséifier, de figer sous vitrine, mais bien de ranimer, de faire surgir le passé dans le présent, et inversement.
sier et manger des blinis par coudées, a l’air authentique de coutumes retrouvées et savourées.
Une terre pleine de ressources Un sens inné de la fête
Vologda est fière du pays qu’elle gouverne, de ses richesses culturelles et historiques, de son terroir. Certains restaurants s’enorgueillissent de servir de l’ours, de l’élan ou du sanglier, chassés dans les vastes forêts. Forêts tellement denses au demeurant, que le bois est une véritable ressource régionale. Mais la spécialité locale absolue, c’est le beurre de Vologda, dont l’arôme et la qualité ont porté le nom de la ville aux quatre coins de la Russie, et même au-delà. Sauf que la recette avait tellement de succès que depuis quelques décennies on produisait plus de beurre de Vologda en dehors de la région qu’à l’intérieur. Ce n’est que depuis le 1er janvier 2010, que l’appellation « de Vologda » est officiellement devenue une Indication géographique protégée, alors que l’usine principale, qui transforme plus de 100 tonnes de lait par jour (en beurre, mais aussi en crème, yogourt, lait fermenté, fromage blanc, etc.), vient de se refaire une beauté, en acquérant de nouveaux équipements Boccard. Enfin, par-dessus tout, Vologda peut se targuer de posséder quelques merveilles absolues du patrimoine national, ont le monastère de Théraponte, décoré par la main divi-
C’est l’heureuse impression que laisse la célébration ici de l’une des fêtes les plus populaires en Russie, la Maslenitsa. Le risque de « kitsch folklo » est pourtant grand. Mélange de culture païenne (culte rendu au soleil à la fin prochaine de l’hiver) et orthodoxe (dernière orgie au seuil du Grand carême avant Pâques), les festivités tiennent à la fois du carnaval, de la fête foraine et de la kermesse, une bacchanale de blinis et de jeux de plein air au son de l’accordéon et de chansons paillardes. Les Vologdiens se rendent, pour l’occasion, à Semionkovo, reconstitution d’un village de la fin XIXe-début XXe à 12 kilomètres de la ville. Quelques milliers de petits et de grands – dont une bonne partie en costumes traditionnels – se fondent dans une liesse générale, s’adonnant sans retenue à des concours de tir, de lutte, de corde à sauter, de corde à tirer, de poteau à grimper, de mêlée à cinquante contre cinquante. Le point d’orgue est l’immolation d’une gigantesque poupée de paille et torchons, la mère Hiver, qui avait présidé les festivités, traditionnellement promenée à travers le village, associée aux danses et aux jeux. Bien que la Maslenitsa n’ait pas été célébrée pendant la période soviétique, le renouvellement actuel ne paraît ni forcé ni artificiel. Tout, des chants et des costumes jusqu’aux rites de renverser la vodka gelée dans le go-
Depuis le XVe siècle, Vologda est une ville d’exil, baptisée « ProcheSibérie ». Parmis les exilés célèbres, au début du XXe siècle, Staline, Molotov, Berdiaev, Lounatcharski.
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L’écrivain Joseph Conrad passa les premières années de sa vie à Vologda, où son père, le poète polonais Apollo Korzeniowski, fut exilé en 1961 pour son engagement dans la résistance polonaise.
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Du 4 au 9 juillet 2010, Vologda accueillera la première édition du festival de cinéma européen « Voices », où la France sera à l’honneur.
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nement inspirée de maître Denis. Ce ne sont encore que de petits sentiers – pas des autoroutes – touristiques qui mènent et qui traversent Vologda. C’est peut-être sa chance. C’est surtout la possibilité de découvrir une autre Russie, tranquille et majestueuse, généreuse et modeste, déployant ses trésors mais ne dissimulant pas ses peines et ses misères. De tout repos après la folie mégalomane de la mégalopole moscovite.
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Un musée peut en cacher un autre La Maison de Chalamov n’abrite pas seulement le musée à la mémoire du célèbre zek. L’ancien presbytère est avant tout une filiale de la Galerie d’art régionale de Vologda, et la modeste collection de peintures russes et européennes des XVIIIe-XXe siècles vaut le détour. Petit abrégé de l’histoi-
re de la peinture régionale et nationale, l’exposition présente des toiles des plus célèbres maîtres russes, de Répine à Vroubel, Vasnetsov, Aïvazovski mais aussi des avant-gardistes du « Valet de Carreau », Machkov et Kontchalovski. Une salle est consacrée à l’art européen. À ne pas manquer.
MITYA ALESHKOVSKY (5)
Il faut venir surprendreVologda au cœur de l’hiver, ouatée, baignée d’une lumière opaline, carte postale en noir et blanc. La rivière prise dans les glaces devient une artère animée de la ville. Des skieurs
de fond contournent d’impassibles pêcheurs, silhouettes voûtées au-dessus d’une trouée obscure. Les gamins dévalent inlassablement les berges en luge. Au pied de la cathédrale Sainte-Sophie, la piste la plus prisée porte le nom de Chalamov. C’est le frère de l’auteur des Récits de la Kolyma qui fut à l’origine de la version nocturne du divertissement de glisse. Varlaam Chalamov est, quant à lui, commémoré dans un émouvant musée, installé dans l’ancien presbytère où la famille vécut jusqu’à la révolution et qui sert aussi de mémorial à toutes les victimes du Goulag.
Une icône de la Vierge de la Tendresse, exposée au remarquable musée d’art religieux et traditionnel du Kremlin de Vologda.
La dentelle fine, tressée à Vologda depuis des siècles, est une fierté régionale. Chaque pièce, faite à la main, est unique.
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Régions
Portrait Une Française fait le pari de démarrer une roseraie au fin fond de la campagne russe
un démarrage aussi lent de sa société, contrainte d’attendre deux ans pour que les serres soient fonctionnelles. Au début, elle avait misé sur six mois. Mais elle a vite tiré d’utiles leçons de son son séjour en Russie : « La première chose que je conseillerais à tous ceux qui ont l’intention de mener leurs activités dans ce pays, c’est d’être patient. La constitution du dossier, la délivrance des autorisations et des permis peuvent prendre entre deux et trois ans, et nécessiter de grosses dépenses. Il vaut mieux préparer techiquement puis commencer progressivement son activité tout en s’occupant des formalités en parallèle ». Autre gros problème : l’absence de personnel qualifié. Florence n’a pu trouver sur place les agronomes dotés de toutes les compétences nécessaires, ayant la connaissance voulue des subtilités de la culture des roses et de l’aquiculture. « L’agronome que nous avions engagé au début était capable de faire fonctionner les serres, mais pas de tout organiser, de lancer la culture des roses à partir de zéro. Il n’avait pas ce genre d’expérience », explique la pépiniériste. Elle a dû faire venir des spécialistes de France, de l’Institut d’agronomie, pour lancer la le démarrage de la production et la formation du personnel. Fatalement, la recherche et l’embauche du personnel allaient également se révéler problématiques. Actuellement, Florence emploie une trentaine
Kalouga, capitale de la rose russe ? C’est en tout cas l’espoir de Florence Gervais d’ Aldin et de ses partenaires. Depuis plus de trois ans, cette ancienne négociante en sucre défie les barrières culturelles et administratives pour fournir aux consommateurs les plus exigeants des roses haut de gamme qui, tenez-vous bien, sentent... à la différence des roses réfrigérées dont se contentent généralement les Russes. ANNA VARENOVA SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
« Un beau jour de 2006, il y a eu un heureux concours de circonstances. Mes partenaires et moi-même avions les fonds nécessaires, le projet et la stratégie d’affaires étaient prêts, puis une réelle chance s’est présentée, ainsi qu’un soutien et un intérêt pour notre activité », se rappelle Florence d’Aldin. « Le plus difficile était de trouver un terrain d’un bon raport qualité-prix et d’obtenir de l’administration locale qu’elle nous permette de travailler en paix ». Le terrain souhaité a été déniché dans la banlieue de Kalouga, une ville d’un peu plus de 300 000 habitants au cœur de la Russie. Puis la jeune Française s’est a tt a qu é e à l a c o n s t r u c t i o n , longue et compliquée, de serres pour la culture de roses à l’abri des intempéries. Ainsi naquit la société « Féïa rosi » [Fée de la rose] qui, depuis le printemps 2009, livre des roses de 13 espèces aux meilleurs fleuristes de Moscou (actuellement, la production journalière atteint 2 000 fleurs). Deux ans ont été nécessaires à la réalisation des serres, un vrai défi en raison du manque de spécialistes qualifiés et de main-d’œuvre tout court. Pendant les travaux, Florence a dû régler dans leur moindre détail nombre de problèmes techniques qu’elle n’avait jamais rencontrés ni imaginés : « Je devais refléchir à tout, contrôler chaque geste des maçons ». En outre, elle a dû faire face à des sous-traitants malhonnêtes qui se sont rapidement rendus compte qu’ils avaient affaire à une femme sans expérience dans l’édification de serres, pas plus qu’eux-mêmes n’en avaient, d’ailleurs. Mais après avoir étudié toutes les questions soulevées et s’être familiarisée avec les matériaux et le matériel de construction, Florence a réussi sa gageure de mettre sur pied de vraies serres professionnelles de qualité. Bien entendu, elle n’avait pas prévu
« La première chose que je conseillerais à tous ceux qui ont l’intention de mener leurs activités en Russie, c’est d’être patient. La constitution du dossier, la délivrance des autorisations et permis peuvent prendre entre deux et trois ans » de personnes. Mais elle a du mal à trouver ne serait-ce qu’une femme de ménage convenable. Le village de Babynino situé à proximité des serres est en voie de dépeuplement : les habitants fuient un endroit sans avenir perceptible, où sévissent chômage et alcoolisme. « On est parfois obligé de licencier des employés qui ne donnent pas satisfaction, même après les avoir formés », se lamente Florence. « Mais d’un autre côté, notre bassin de main-d’œuvre est
ARCHIVES PERSONNELLES
Roses russifiées
La société « Féïa rosi » livre depuis 2009 des roses de 13 espèces aux meilleurs fleuristes de Moscou.
limité. Le pire, c’est qu’ici les gens ne sont pas toujours motivés pour garder un travail stable ». Les employés de Feïa rosi touchent un salaire modique assorti de primes mensuelles de rendement, de nature à motiver tant soit peu les plus ambitieux. Reste un autre enjeu de taille, celui de la commercialisation, qui passe par la collaboration des fleuristes. Actuellement, Feïa rosi n’a pas de concurrent pour ce qui est de la production en Russie. La société propose des espèces qu’elle est la seule à cultiver localement. C’est sa force et sa raison d’être, mais aussi une source d’incompréhension en aval. « Les commerçants et les fleuristes en particulier ont l’habitude d’importer les roses qu’ils vendent. Ils les mettent au réfrigérateur pendant une semaine et écoulent petit à petit des fleurs qui n’ont aucune odeur », explique Florence. Il est hors de question de réfrigérer des roses appelées à conserver leur parfum. Il faut les vendre fraîches, donc immédiatement. En revanche, on aime beaucoup, en Russie, offrir et recevoir des roses : Feïa rosi compte donc promouvoir ses roses odorantes et apprendre aux Russes à les préférer aux fleurs inodores malgré un prix nettement plus élevé. Vendues au détail entre 300 et
500 roubles, les roses de Florence sont assez chères par rapport aux 100 ou 200 roubles que valent les roses standarts. L’entreprise a donc l’avantage d’occuper un créneau unique sur un marché prometteur mais en attendant, les investissements communs que la jeune patronne et ses partenaires ont placés dans l’aventure n’ont pas été encore amortis. Florence a appris à être patiente sur ce terrain-là aussi, considé-
rant déjà comme un succès le fait que « tout fonctionne et que la production soit lancée ». Une production que la société prévoit de stabiliser en 2010. L’objectif est un défi en soi car, explique la pépiniériste, « cette culture est soumise à de nombreux facteurs affectant la qualité et la quantité de bonnes roses, tels qu’insectes ou conditions météorologiques défavorables ». On est en Russie...
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Pari sentimental sur la Russie Florence d’Aldin n’a jamais envisagé d’autres variantes que de lancer son projet en Russie. Bien sûr, ce n’est pas facile ici, mais avec de la persévérance, le succès est au rendez-vous. Florence conseille de ne s’étonner de rien en Russie, même si le pays et ses habitants s’acharnent à vous surprendre... « Il faut savoir s’adapter et comprendre qu’il y a parfois une différence entre la norme, qui est a priori applicable, et la meilleure façon de faire quelque chose », conseille-t-elle.
La jeune Française a également noté que le statut d’étranger, utilisé à bon escient, peut être un sérieux atout en Russie. Par exemple, dit-elle, « j’ai souvent été sauvée par le fait que je suis une femme française. De plus, Florence a remarqué dans ses contacts avec les Russes qu’ils « sont plutôt honnêtes avec les étrangers. Ils ont honte d’abuser de la confiance d’une femme française. Je pense donc que le statut de femme étrangère m’a aidée à de nombreuses reprises ici ». Pour rien au monde elle n’envisage de partir.
Voyage virtuel Google et les Chemins de fer russes s’associent pour vous faire visiter la Sibérie
Découvrir la Sibérie vous a toujours taraudé, mais vous rechignez à rester cloîtrés sept jours dans un train ? Google a trouvé la solution. 150 heures de vidéo couvrant plus de 9 000 km ont été filmés et sont accessibles par un simple clic. Vous pouvez désormais traverser la Sibérie à votre rythme et sans quitter votre divan !
VLADIMIR SAYAPIN_ITAR-TASS
Le Transsibérien vient à vous
AARON MULVIHILL THE MOSCOW TIMES
Le train prend un long virage et file comme un éclair vers la ville de Slioudianka, située à environ 5 200 kilomètres de Moscou sur la ligne de chemin de fer du Transsibérien. Progressivement, le lac Baïkal déroule son étendue sous vos yeux. Sa surface azur scintille au soleil levant pendant que le train poursuit son chemin vers l’est, longeant au plus près les rives du lac le plus profond du monde, puis passant devant un groupe d’ouvriers qui saluent en agitant leurs pelles. À ce stade du voyage, la coutume veut que l’on sorte la vodka et les harengs fumés tout en portant un toast à la santé de ses compagnons de voyage.
Rendez vous sur www.google.ru/intl/ru/landing/transsib/en.html (en anglais).
Mais ce rituel peut être considéré un tantinet excessif lorsque l’on est assis devant son ordinateur dans le 20ème arrondissement de Paris.
Au terme d’un projet ambitieux mené en collaboration avec les Chemins de fer russes (RJD), Google met ce voyage extraordinaire sur la plus célèbre
ligne ferroviaire du monde à la portée des aventuriers de salon. En cliquant sur un endroit de la carte, les passagers virtuels peuvent passer directement à une autre étape du trajet et voir les montagnes, les steppes et les villages de l’Extrême-Orient défiler sous leurs yeux en haute définition. Ils peuvent également descendre du train pour explorer des villes bordant la ligne du Transsibérien, que commente la présentatrice, mue en guide, Yelena Abitayeva. Google se donne un visage humain au passage. On peut ainsi suivre un très populaire DJ de la radio Europa Plus entre Tioumen et Ulan-Ude, où l’on entend psalmodier des mantras bouddhistes. On peut également voir, tout au long du parcours, des photos spectaculaires de paysages saisi par l’objectif du célèbre photographe Anton Lange. En un mois, 150 heures de séquences superbes ont été filmées de jour depuis la fenêtre d’un train, couvrant quelque 9 000 kilomètres de voie ferrée à travers sept fuseaux horaires, 12 régions et 87 villes. « Ce projet revêt pour nous une gran-
de importance », déclare Konstantin Kouzmin, directeur commercial de Google Russie. « Nous souhaitons montrer que la Russie est vraiment un pays hors du commun, fascinant, qui a beaucoup à offrir à un touriste désireux de s’investir. Nous espérons que ce programme de voyages virtuels marquera aussi un point de départ pour des voyages bien réels dans tout le pays ». En attendant, ce voyage virtuel au cœur de la Russie met en valeur ingénieusement les dernières avancées des applications hébergées par Google. Citons par exemple une vidéo offrant un « balisage géographique » qui permet au voyage d’être suivi point par point sur une carte en temps réel, et l’introduction récente du support YouTube dans la vidéo 1080 ultra haute définition à balayage progressif. Le nouveau produit reflète aussi, à sa façon, les ambitions de Google, qui livre actuellement bataille pour disputer au leader incontesté qu’est Yandex la suprématie sur le marché lucratif des moteurs de recherche russes.
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RU COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO
Débats et Opinions
L’HISTOIRE PÈSE SUR L’IMAGE
Sondages Cote de popularité : l’écart se réduit entre Medvedev et Poutine
SOURCE: WWW.WCIOM.RU
L’indice de confiance a été calculé sur la base de sondages hebdomadaires auprès de 1 600 personnes. Il était demandé aux personnes interrogées d’indiquer les hommes politiques auxquels elles faisaient le plus confiance.
Les Russes jugent l’Union européenne L’UE REVIENT DANS LE CŒUR DES RUSSES APRÈS UN PLONGEON CONSÉCUTIF À LA GUERRE AVEC LA GÉORGIE
SOURCE: WWW.LEVADA.RU
Selon ce même sondage, l’opinion des Russes envers les États-Unis, qui s’était fortement détériorée à l’automne 2008 après la guerre russo-géorgienne, s’est progressivement rétablie depuis l’investiture du président Barack Obama pour atteindre aujourd’hui le niveau de 2006-2007 : 54% des personnes sondées se disent bien disposées à l’égard des USA.
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L’image de la Russie en France reste largement négative en dépit de la proximité culturelle et d’intérêts croisés en pleine évolution. Ce problème d’image s’explique au moins en partie par une lecture de l’histoire différant profondément de part et d’autre. Qui donc est responsable du désamour : un Kremlin « crispé sur les valeurs nationales » ou bien un Occident oublieux des immenses sacrifices effectués par l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ?
PAS D'IMPASSE SUR L'HISTOIRE THIERRY WOLTON SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
On sait combien la géographie influence l’histoire qui, à son tour, conditionne le présent. Les cas comparés de la Russie et de la Chine sont sur ce point édifiants. L’Empire du Milieu a pu s’autoproclamer ainsi car le pays est géographiquement au cœur de l’Asie. De par sa taille et sa multitude, il domine la région et se présente comme un « modèle » de développement dans un monde en crise. La Russie est le contre-type du cas chinois. L’image de l’ex-empire soviétique est aussi mauvaise qu’est bonne celle de la Chine. Le pays encombré d’ un lourd héritage reste divisé entre Orient et Occident, d’autant plus qu’une grande partie de ses richesses sont à l’Est quand son élite rêve d’intégrer l’Ouest mais sans en adopter les valeurs, de crainte, justement, de perdre le contrôle de l’immensité du territoire. Le pouvoir actuel a revêtu les habits de l’autocratie d’antan, mâtinés de reliefs communistes. Il guerroie même avec ses voisins étrangers pour maintenir la cohésion de l’ensemble. Le pays continue de plus à souffrir de son retard chronique sur l’avancée du monde, freiné dans sa marche par son gigantisme. Hier, il a raté le train de la révolution industrielle du XIXe siècle pour l’emprunter plus tard sous la terreur communiste en sacrifiant ses paysans par millions. Aujourd’hui, il peine à trouver sa place dans la mondialisation en se crispant sur des valeurs nationales, par crainte de voir son unité se dissoudre. Bref, la Russie continue d’entretenir avec le monde extérieur des sentiments à la fois d’attirance et de répulsion, révélateurs de son problème identitaire. Le Kremlin souhaite d’un côté multiplier ses marchés avec l’Ouest, en lui vendant notamment ses richesses naturelles, tout en développent par ailleurs un complexe obsidional qu’illustre une diplomatie de nuisance, à ses frontières immédiates (Georgie, Pays Baltes) ou plus loin (Iran, Syrie, Chine,Vénézuéla…). En somme, faute d’avoir pu se positionner, la Russie n’a jamais su se vendre à l’extérieur comme le fait si bien la Chine.
DESSIN DE VICTOR BOGORAD
LE 2 MARS DERNIER, DMITRI MEDVEDEV A CÉLÉBRÉ LE DEUXIÈME ANNIVERSAIRE DE SON ÉLECTION À LA PRÉSIDENCE. CE JOUR-LÀ, LE CHEF DE L’ÉTAT RUSSE SE TROUVAIT EN VISITE OFFICIELLE EN FRANCE.
Le jour où un consensus apparaîtra dans la population pour solder l'Histoire, la Russie commencera à sortir de sa crispation identitaire A ce handicap de fond s’ajoute une erreur d’appréciation. L’actuelle équipe dirigeante n’a pas réalisé combien l’époque a changé. L’URSS n’a pas cessé de se cacher derrière sa glorieuse victoire contre l’Allemagne nazie pour rayonner à l’étranger, aidée par des caisses de résonance – PC, compagnons de route – qui relayèrent sa propagande. La chute du communisme, la libération des pays d’Europe centrale et orientale du carcan soviétique, ont fait apparaître une histoire moins glorieuse, où domine le ressentiment des peuples qui ont eu à la subir. Le Kremlin refuse d'en tenir compte. Mais le Kremlin ne dispose plus de ses réseaux d’antan et la moindre tentative de reprendre pied dans cette région (par l’influence ou le gaz, notamment) apparaît désormais comme une agression contre le reste du continent. Le centenaire des Ballets russes et l’année Fran-
ce-Russie qui vient de s’ouvrir montrent que l’intelligentsia russe a souvent regardé de notre côté avec les yeux de l’amour, mais la réciproque n’est pas vraie. La seule lueur que les élites occidentales aient perçue à l’Est fut celle du communisme, on sait au prix de quel aveuglement. Cet attrait désormais dissipé, le pays laisse au mieux indifférent, au pire, il fait peur à cause de ce qui s’est passé au XXe siècle. La fatalité n’existe pas, toutefois. Il tient aux Russes eux-mêmes que l’opinion sur leur pays évolue. Le jour où un consensus apparaîtra dans la population pour solder l’Histoire, où l'on entendra parler de repentance pour ce qui fut un crime incommensurable, alors la Russie commencera à sortir de sa crispation identitaire. Elle finira par s’ouvrir d’elle-même et par changer de mode de gouvernance. Cela dépend de ses autorités civiles et religieuses mais plus encore d’une volonté générale de regarder son passé en face. Ce pas en avant vaudrait toutes les campagnes marketing et permettrait enfin à ce grand pays d’améliorer son image pour retrouver son rang dans le monde. La géographie influence peut-être l’histoire, mais ce sont toujours les hommes qui la font.
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Thierry Wolton est essayiste et historien des pays communistes
LA RUSSIE N’A PAS À ROUGIR DE SON PASSÉ PIERRE LÉVY SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Nul pays n’est au-dessus de la critique. La Russie pas plus qu’un autre. Dans son cas cependant, on est frappé par la tonalité caricaturalement négative qui domine souvent informations, analyses et commentaires. La politique extérieure ? Celle d’un empire finissant, brutal, agressif. L’économie ? Repliée sur l’exportation des hydrocarbures, gangrénée par la corruption, incapable de faire face aux défis de demain. La vie quotidienne de ses habitants ? Soumise à l’arbitraire et à l’autoritarisme. Certes, tous les travers décrits ne sont pas imaginaires. Mais étrangement, aucune bonne nouvelle, aucun fait sympathique ne semble jamais pouvoir parvenir de chez notre grand voisin oriental. On chercherait vainement un pays comparable qui soit l’objet d’un tel traitement. Difficile de ne pas voir là le poids de l’histoire – en l’espèce, du vingtième siècle. Pourtant, sont-ce les Russes qui ont déclenché la terrifiante tragédie que fut la Seconde Guerre mondiale ? Qui ont utilisé l’arme nucléaire, pour la première (et espérons la seule) fois dans l’histoire de l’humanité ? Qui ont mené d’interminables guerres coloniales, afin de maintenir le pillage de pays, voire de continents entiers ? Non, les Russes n’ont pas, plus que d’autres, à rougir de leur passé. Peut-on décemment oublier que le sort de la Seconde Guerre mondiale bascula à Stalingrad ? C’est-à-dire sur le « front de l’Est » où, au prix d’indicibles souffrances, l’héroïsme d’un peuple et de son armée amorça ce
qui allait aboutir à l’écrasement du IIIème Reich (la seule bataille de Stalingrad élimina deux fois plus de divisions de la Wehrmacht que celles qui furent mises hors de combat à l’Ouest entre le débarquement et la capitulation ; 85% des pertes militaires allemandes durant toute la guerre sont dues à l’Armée rouge). Dans de tout autres domaines, ce qui était alors l’URSS fut capable de promouvoir l’éducation, la science, la culture au sein du peuple, à un rythme et sur une échelle dont peu de pays peuvent se targuer. Accès massif aux études supérieures ; premier vol non habité dans l’espace, puis premier cosmonaute ; prix dérisoire pour la fréquentation des théâtres ou des salles de concert… (estil permis d’ajouter que la promotion de la langue française fut spectaculaire : aujourd’hui encore, qui parcourt la Russie rencontre force interlocuteurs, notamment de milieux populaires, qui parlent la langue de Molière et connaissent souvent notre littérature bien mieux que nous-mêmes). Sans doute les actuels dirigeants russes n’attendent-ils pas que l’Union européenne renvoie une autre image de leur pays que la caricature évoquée plus haut. Aucun espoir de ce côté-là. Pour trois raisons notamment. D’abord, certains paysmembres de l’UE ont à leur tête des responsables dont la raison d’être est historiquement la russophobie (pour ne prendre qu’un exemple, les gouvernants lettons mettent en œuvre des politiques de discrimination, de vengeance judiciaire et de révisionnisme historique, dont on a peu idée ici). Ensuite, l’Union européenne est née de, dans, et pour la Guerre froide, un baptême qui la rend définitivement siamoise de l’OTAN (quarante ans
plus tard, Javier Solana est passé directement du secrétariat général de l’Alliance au poste de Hautreprésentant de l’UE, et personne n’imagine que la baronne britannique qui lui succède fasse quoi que ce soit qui pourrait s’éloigner de cette consanguinité, au demeurant rappelée explicitement par le traité de Lisbonne). Enfin et surtout, l’essence même de l’intégration européenne est de former un bloc par-dessus la tête des peuples et de leur souveraineté. À l’inverse, les Russes ont tout à gagner à coopérer avec les Français en tant que Français, les Allemands en tant qu’Allemands (et, serait-on tenté d’ajouter, entre autres : les Grecs en tant que Grecs…). Et vice versa. S’il en était besoin, l’expérience vient de le confirmer : ce n’est sûrement pas grâce à Bruxelles que les salariés des chantiers navals de Saint-Nazaire pourraient voir conforter leur emploi – bien au contraire, si l’on observe le tollé qu’a soulevé dans certaines capitales la perspective de commandes russes de bâtiments militaires. Et ce n’est pas quelque improbable musée communautaire, mais bien le Louvre, qui propose les remarquables richesses de « la Russie éternelle ». La « belle et bonne alliance » dont parlait le Général de Gaulle passe nécessairement par les peuples. L’année de la Russie en France (et de la France en Russie) ne devrait pas manquer d’y contribuer.
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Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel BastilleRépublique-Nations, secrétaire genéral de l’IRICIN (Institut de Recherches Internationales pour les Coopérations et l’Indépendance des Nations).
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RU COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO
Perspectives Ces sacrés Français...
Entretien L’académicien Alexandre Tchoubarian appelle à ne pas faire d’amalgame entre stalinisme et nazisme
L'URSS n'a pas déclenché la guerre laquelle j’attache une aussi grande importance au projet de manuel d’histoire russo-allemand contenant les documents et les faits que les deux parties jugent nécessaire de faire connaître aux jeunes.
ARKADII KILYBALOV_RG
Pourquoi, d’après vous, prétend-on aujourd’hui qu’Hitler et Staline auraient étéégalementcoupablesd’avoirdéclenché la guerre ? Cette question n’est pas scientifique mais politique. L’idée même d’égalité entre le stalinisme et le fascisme n’est pas nouvelle. Elle est née en Allemagne, où il existait autrefois toute une école révisionniste conduite par le professeur Ernst Nolte selon qui le totalitarisme allemand était moins dangereux que le stalinien. Les historiens n’étaient pas tant préoccupés par les invectives contre Staline que par le besoin qu'ils avaient de justifier le nazisme. Sur le plan de la politique intérieure, certaines caractéristiques permettent de comparer le nazisme allemand et le régime soviétique, notamment un régime à parti unique, une idéologie dominante. Mais il y a aussi des distinctions. Le nazisme poursuivait des objectifs de génocide racial. On ne les retrouve pas chez Staline. Le régime allemand a causé un immense malheur pour toute l’Europe, et dans le monde entier. Alors que les répressions staliniennes ont frappé en premier lieu notre pays. Elles n’ont pas affecté les pays de l’Ouest, tandis que l’Allemagne a exterminé des millions de citoyens d’autres pays. Il n’y a pas non plus de raison de ranger notre pays, sous Staline, parmi les responsables du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit aussi de la fin de la Seconde Guerre, lorsque les pays d’Europe orientale se sont vus imposer des régimes de type soviétique. Attention, ces régimes n’ont pas été imposés uniquement de l’extérieur. Ils ont été soutenus par de nombreux citoyens de ces pays, en premier lieu par les communistes locaux et leurs sympathisants. Leurs élites et infrastructures politiques d’après-guerre étaient d’origine locale. Et puis, il y a une chose à ne pas oublier : « le régime soviétique » y est arrivé après la libération des territoires occupés par les nazis. Le fait que l’Europe de l’Est ait été libérée par l’Armée rouge est reconnu par tous. Il faut ajouter que toutes les décisions concernant ces pays ont été adoptées conjointement avec les alliés. Toutefois, personne en Pologne, en Tchéquie ou en Slovaquie ne reproche aujourd’hui
L'URSS n'a pas à payer seule la facture
aux Américains ce qu’ils ont signé en 1945 à Yalta, personne ne les accuse d’avoir fait ce que voulait Staline. Le sort de l’Europe orientale a été défini collectivement. L’idée d’insister pour que l’Union Soviétique paie la totalité de la facture me semble destructive et en contradiction avec les faits historiques. En Europe de l’Ouest comme aux ÉtatsUnis, on trouve des jeunes qui pensent quedanscetteguerre,l’UnionSoviétique a combattu aux côtés d’Hitler... C’est un grand problème. Je connais bien les manuels d'histoire occidentaux. Le rôle de la Russie dans cette guerre n’y est presque pas présenté, les faits sont réduits au minimum.Vous n’y trouverez pratiquement pas, par exemple, d’information sur les événements du front soviéto-allemand. Les Américains et les Anglais veulent faire ressortir le rôle de leurs troupes en Italie, et c’est leur droit. Mais ils déplacent un peu trop facilement les points importants de l’histoire de la guerre. À en juger par les sondages d’opinion, les jeunes ne voient en général pas très bien ce qui s’est passé à l’époque : le tableau émotionnel de la guerre que gardaient les générations précédentes est déjà parti, il reste très peu d’anciens combattants. Il ne s’agit pas d’imposer ses visions à qui que ce soit. Il est toutefois nécessaire de se mettre en accord avec les partenaires sur un minimum d’informations relatives à la plus grande tragédie du XXe siècle. C’est la raison pour
LePacteMolotov-Ribbentropa-t-ildonné un avantage quelconque à l’URSS ? Un gain de temps. Mais ce temps a été très mal utilisé. On pensait être désormais en sécurité. Or, c’est dès le milieu de 1940 qu’Hitler a commencé à nous évincer de toutes les sphères de coopération, l’Allemagne procédant énergiquement aux préparatifs de guerre. Pour ce qui est des pays baltes entraînés dans la zone des intérêts soviétiques en vertu du Protocole secret, notre attitude a été clairement exprimée en 1989 par nos députés. Toutefois, il y a d’autres facteurs à prendre en compte, comme la situation intérieure dans ces pays. Il s’agissait d’États autoritaires et pas du tout démocratiques. Dans la population mûrissait un grand mécontentement face aux mesures socio-économiques et surtout politiques de leurs gouvernements. Dans les années 90, le chancelier allemand a dû présenter publiquement ses excuses à la Pologne. Faudrait-il que d’autres pays en fassent autant ? Pour l’heure, nous n’avons qu’un seul exemple, le repentir allemand. Personnellement, je suis par principe contre l’idée de se repentir des fautes historiques. Nous risquerions d’aller trop loin. Par exemple, pourquoi la France ne demanderait-elle pas pardon pour l’expédition de Napoléon en Égypte ? Pourquoi l’Angleterre ne devrait-elle pas présenter ses excuses à l’Inde ? Il n’est dit nulle part – ni dans les manuels, ni dans la presse occidentale – que nous avons déjà présenté nos excuses. Lorsqu’il était président,Vladimir Poutine a critiqué nos opérations de 1956 en Hongrie et celles de 1968 en Tchécoslovaquie. Nous avons également reconnu officiellement que notre intervention en Afghanistan était une grande erreur. Mais on veut que nous le fassions en permanence, à l’occasion de chaque grand anniversaire.
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Propos receuillis par Elena Novosselova
Un fumeur contrarié... NATALIA GEVORKIAN SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Je reviens de Moscou. - « Écoute, commande, moi je vais sortir fumer une cigarette ». Nous sommes au restaurant avec un ami. Il me regarde avec compassion. - « Et tu vas où comme ça ? Reste tranquille et fume autant que tu veux. Tu n’es pas à Paris, ma chère ». C’est vrai. En cela, Moscou rappelle Paris d’avant le 2 janvier 2008. J’appartiens à la caste des fumeurs, en voie d’extinction, aux sens propre et figuré. Je partage aussi l’ironie d’un grand fumeur, le réalisateur Otar Iosseliani, qui rappela aux non-fumeurs dans son « Lundi matin » que même sans mauvaises habitudes, la quantité d’air pollué inspirée rend très concrète la thèse selon laquelle la vie, c’est mauvais pour la santé. Le projet d’interdire la cigarette dans les lieux publics existe aussi en Russie. Un de mes collègues essayait de prouver, l’écume aux lèvres, qu’un tel tour ne passerait pas. « Si même les Français sont devenus dingues quand on leur a interdit de fumer dans les bars et les restaurants, alors imaginez de quoi seraient capables nos compatriotes dans la même situation ! » Il est vrai que j’ai cru, jusqu’à un certain moment, qu’empêcher les Français de fumer là où ils veulent, c’est un peu comme leur interdire de manger du fromage ou de boire du vin. Mais le paradoxe, c’est que je ne me souviens pas qu’ils se soient particulièrement révoltés quand on chassa les fumeurs dans la rue. Je ne réponds pas des pensées de chaque clopeur, mais tout semble s'être passé très paisiblement. Mes collègues russes sont pleins de commisération : « Et comment tu fais, toi la grande fumeuse, pour vivre làbas ? » Je dois avouer que c’est un grand plaisir. J’aime bien me trouver dans un bureau ou un restaurant qui ne pue pas la cigarette. J’ai moins mal
Lu dans la presse
Vivement Sotchi !
Après le score piteux de la Russie à Vancouver, Dmitri Medvedev a appelé les hauts responsables à assumer leurs responsabilités. Les espoirs reposent désormais sur Sotchi, où la Russie espère revenir au sommet du podium, quel qu’en soit le prix.
On les aidera à démissionner s’il le faut Sergei Alexeev, Andreï Petoukhov
Dmitri Medvedev a exigé que tous les responsables de la préparation de l’équi-
En quoi Sotchi battra Vancouver ? Alexeï Lebedev
A Sotchi, presque tous les sites sont construits à partir de zéro. Ce qui a ses avantages et ses inconvénients. Le principal problème à Vancouver, c’était la distance entre les différents sites. À Sotchi, la question devrait être réglée : pour la première fois dans l’histoire des JO, toutes les patinoires seront conjointes. Le centre « Roza Khoutor » est remarquable en ce que l’aire d’arrivée sera la même pour les
quatre disciplines alpines. Les organisateurs des jeux à venir promettent de tout faire pour ne pas répéter les erreurs commises à Vancouver.
Des records contrariants Kirill Belianinov
Les experts s’angoissent en observant la liste des sites olympiques qui doivent être construits à Sotchi ces quatre prochaines années : il y en a presque 300, et pas seulement des patinoires et des pistes de glisse, mais aussi 8 centrales électriques, 3 aéroports, un terminal portuaire et 10 îles artificielles. Le président de la Cour des Comptes, Sergei Stepachine, fait le bilan : les JO pourraient coûter jusqu’à 17,5 milliards d’euros aux contribuables russes. Selon les experts, aucun pays n’est jamais parvenu à respecter le budget fixé. Vancouver aurait coûté deux fois plus que les 2,5 milliards annoncés. Mais il n’y avait qu’un palais des glaces à construire, alors qu’à Sotchi, c’est 80 % de l’infrastructure qu’il faut bâtir. Préparé par Veronika Dorman
aux yeux, car ils ne sont plus attaqués par la fumée, dont la concentration au cm² était surréaliste dans mes établissements parisiens exigus préférés. Je fume moins le soir. Je commence à perdre le réflexe d’allumer une cigarette dès que je bois un verre de vin. Bref, vous avez devant vous une fumeuse qui soutient l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Mais il faut rendre aux Français ce qui leur appartient. Ils se sont très bien préparés au jour J. Le transfert des fumeurs dans la rue s’est fait en compagnie de radiateurs et de poêles, pour réchauffer leurs âmes sensibles et leurs corps affaiblis par la nicotine. Pendant un hiver plutôt doux, devant les bars et les restaurants, douillettement installé avec un verre de quelque chose ou une tasse de café, le fumeur peut se délecter du plaisir presque défendu, sans grelotter ni se sentir comme un chien chassé à la rue. La Russie n’a ni de tels hivers cléments, ni une telle prévenance. Et surtout, nous n'avons pas chez nous de tels prix astronomiques sur les cigarettes. En Russie, la cigarette reste un des rares plaisirs bon marché. Ce qu’on ne peut vraiment pas dire de la France. Avant la dernière augmentation de 6%, j’avais décidé que si mon paquet dépassait les 5 euros, j’arrêtais de fumer. Parce qu’un tel prix me parait absurde et humiliant. Et c’est arrivé. 5, 10 euros le paquet, c’est 224 roubles, soit 4 paquets à Moscou. Les six paquets que je fume dans la semaine, c’est un plein d’essence à Moscou et un demi-plein à Paris. Et me voila dans mon bureau de tabac rue de Turenne, et je traîne à sortir mon porte-monnaie. Le patron me connaît depuis longtemps, il ne pousse pas, compréhensif. Et tous les deux, nous pensons vraisemblablement à la même chose : les partisans de l’augmentation des prix de la cigarette ont-ils atteint leur but, si l’on part du principe qu’ils se préoccupent avant tout de la santé du fumeur ? L'avenir le dira... Natalia Gevorkian, correspondante à Paris du journal Kommersant
Ces sacrés Russes...
...et un qui vire sa cuti ! FRANÇOIS PERREAULT SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
pe de Russie pour les JO de Vancouver remettent leurs lettres de démission. Il a également appelé à modifier radicalement l’entraînement des sportifs. Le président de la Douma, Boris Gryzlov, a, lui, qualifié les performances de l’équipe olympique d’« échec du système ». « C’est le sportif qui doit être au cœur de la question, pas les responsables de fédérations, qui engraissent comme des pachas », a dit Medvedev, ajoutant que « le temps des conclusions définitives n’est pas encore venu ».
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Fumeur impénitent, Jean-Pierre nourrissait de sombres appréhensions à l’approche de son départ pour Moscou. Deux ans de volontariat international dans un climat sibérien... Les terrasses chauffées de Moscou résistent-elles vraiment aux températures extrêmes ? Il se voyait déjà grelottant à la sortie des cafés pour tirer son clope en vitesse entre l’apéro et le plat de résistance. Bien dressé par l’anti-tabagisme européen, Jean-Pierre ne croyait pas atterrir au paradis. Cela commence dès l’aéroport. Les remugles de fumée froide dans le taxi qu’il a piteusement négocié à 50 euros annoncent la couleur. Et malgré l’autocollant l’interdisant formellement, le cendrier débordant invite notre ami à griller sa première cousue en terre russe. Il va rapidement se faire à l’idée : le politiquement correct anti-nicotine prend fin avec la zone Schengen. Les industriels du tabac l’ont d’ailleurs compris, eux qui se ruent sur les marchés « émergents ». À Moscou, les Goldos à dix francs ne sont pas un tendre souvenir du passé : contre 50 centimes d'euros, Jean-Pierre peut s’offrir un paquet sur lequel l’avertissement du toubib russe est si petit qu’il se confond avec l’adresse du distributeur. Mais quid de la terrasse chauffée, demanderas-tu ? Tiens, fume ! Les restos ont bel et bien des endroits réservés aux non-fumeurs, mais la
distinction des deux zones se perd entre deux volutes de fumée. Et si officiellement les cafés ne peuvent vendre de tabac, les tenanciers ont trouvé une façon toute russe de contourner la législation : il suffit d’acheter un briquet, lequel vient avec, en cadeau, un paquet de sèches... En Russie, le seul endroit préservé de nicotine est l’appartement. Tu peux intoxiquer ton voisin de bar, mais pas ta moquette ! Ce qui, au passage, permet à Jean-Pierre d’améliorer son russe avec son voisin de palier, qu’il retrouve à heure fixe dans l’escalier du troisième étage, à côté de la boîte de thon transformée en cendrier. Enfin, tout cela est du passé. C’est arrivé subrepticement, au lendemain d’une soirée arrosée. Pour faire le mariole, il a acheté en pleine nuit un paquet de Belomorkanal, histoire de frimer devant ses nouveaux copains russes qui le croyaient incapable de fumer la chose jusqu’au bout. Tu te rappelles les Gitanes Maïs du grand-père ? C’est un peu la même chose, en pire : une fumée horriblement sèche, « filtrée » par un simple bout cartonné, lequel laisse allègrement passer les miettes d’une poudre de tabac amer. Le réveil comateux de Jean-Pierre a eu raison de sa dépendance : ses poumons n’ont pas supporté l’expérience. La jeune fille à ses côtés (comment s’appelle-t-elle, déjà ?), qui crapote une horreur mentholée de 150 millimètres comme toute jeune Moscovite qui se respecte, enfoncera le clou. C’est décidé : Jean-Pierre arrête de fumer. François Perreault est expatrié à Moscou depuis quatre ans.
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Culture
GOUMEN&SMIRNOVA
Littérature Savoir tout ou en savoir trop ?
Danse Hommage au génial créateur des Ballets russes
TITRE L’HOMME QUI SAVAIT TOUT AUTEUR IGOR SAKHNOVSKI ÉDITEUR GALLIMARD
CHRISTINE MESTRE
« Il était pauvre en invention, mais il savait attraper tout ce qui surgissait de viable dans la tête de ses amis ».
Dhiaghilev intime Né dans l’Oural le 31 mars 1872 avec une si grosse tête que toute sa vie il commandera ses chapeaux sur mesure, Serge Diaghilev, alias le « Chinchilla » – surnom dû à sa mèche blanche – fut un Bélier d’envergure ! AGATHE AMZALLAG SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Critique d’art, impresario, fondateur en 1909 des Ballets russes, l’une des plus formidables aventures artistiques du XXème siècle, il avait pour devise « l’art pour l’art ». Dès lors, bousculant conventions et formalisme, planifiant ses entreprises comme un général d’armée, il révèle talents et vocations et par la fusion de toutes les expressions artistiques crée un « spectacle total ». Emerveillé, choqué, séduit, amusé… pendant vingt ans, le public sera tenu en haleine ! « C’était un artiste exceptionnel », raconte son secrétaire, Boris Kochno. « Il créait par personne interposée. On disait qu’il descendait de Pierre le Grand… par la cuisse gauche, mais en un sens il était Pierre le Grand lui-mê-
me, surtout dans son acception dictatoriale, autocratique ! Car, avant même d’être un directeur, Diaghilev était un dictateur ». (1) Dominateur, souvent arrogant, détestant la routine, il avait une personnalité exigeante et sévère se doublant d’une « volonté artistique fédératrice ». « Souvent, les idées elles-mêmes n’appartenaient pas à Diaghilev », note le peintre Alexandre Benois, ami et collaborateur de la première heure. « Il était plutôt pauvre en invention, mais il savait attraper au vol tout ce qui surgissait de viable dans la tête de ses amis et à partir de ce moment, ces projets devenaient les siens ». (2) Sa nature, telle qu’elle allait s’exprimer dans les années à venir, Diaghilev la résume lui-même dans une lettre à sa belle mère : « Je suis : premièrement, un charlatan, d’ailleurs plein de brio ; deuxièmement, un grand charmeur ; troisièmement, un insolent ; quatrièmement, un homme possédant beaucoup de logique et peu de scrupules ; cinquièmement, un être affligé semble-t-il d’une absence totale de talent. D’ailleurs, je crois avoir trouvé ma véritable vocation : le mécénat. Pour cela,
j’ai tout ce qu’il faut, sauf l’argent. Mais ça viendra ! » Organisateur ambitieux, promoteur audacieux, Diaghilev entretenait avec l’argent un rapport peu scrupuleux qui fit de lui un virtuose des emprunts. Acrobate sans filet ? Certes, mais son talent relationnel et son pouvoir de conviction lui éviteront le pire. « C’était l’ami le plus charmant », souligne Coco Chanel. « Je l’aimais dans sa hâte à vivre, dans ses passions, dans ses guenilles, si loin de sa légende fastueuse… Têtu, généreux, avare, puis gaspilleur, ne sachant jamais d’avance ce qu’il va faire, achetant pour rien des toiles sans prix, les donnant, se les laissant voler, il traverse l’Europe en mécène sans le sou, son pantalon tenu par des épingles doubles… » (3) Son domicile ? L’hôtel, avec deux valises et deux nécessaires de toilette, cadeaux de Nijinsky et de Massine. « Il ne souhaitait rien posséder jusqu’au moment où il a commencé à collectionner des livres russes anciens », raconte B. Kochno. En fait, il avait pour tout vêtement un habit, un smoking et le complet qu’il portait sur lui. Et quand
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(1) Interview de B. Kochno parue dans Danser n°21, mars 1985. (2) Souvenirs, d’Alexandre Benois (3) Propos rapportés par Paul Morand dans son Journal inutile (4) Brassaï, Les artistes de ma vie Paris, Denoël 1982) (5) Stravinsky, Conversations, op.cit p. 46-47 (6) Interview de B. Kochno parue dans Danser n°21 mars 1985)
Théâtre « Histoire du Véritable Gribouille » mis en scène à Ekaterinbourg
George Sand anime les poupées russes Émilie Valentin est tombée sous le charme de l’Oural après sa première tournée dans la région en 2007. Les acteurs russes ont fait une telle impression sur la marionnettiste française qu’elle a imaginé un nouveau spectacle spécialement pour la troupe d’Ekaterinbourg. XÉNIA DOUBITCHEVA SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
C’est une rencontre rocambolesque, que le télescopage du « Théâtre du Fust », basé à Montélimar, avec le théâtre de marionnettes d’Ekaterinbourg. Le premier, qu’Émilie Valentin a créé il y a 36 ans, est aujourd’hui reconnu dans le monde entier comme l’un des meilleurs de sa spécialité. Ses spectacles mettent en scène Maeterlinck et Rostand, Ovide et Harms. Émilie Valentin crée elle-même ses marionnettes à partir de matériaux divers et variés, allant du cartonpâte au verre. Ses productions sont caractérisés par l’alliance d’une incroyable maîtrise technique, de poésie et d’ironie. Les derniers donnés à la « Comédie Française » et àVersailles en 2009 ont fait sensation. La mise en scène de la vie des insectes constitue incontestablement un saut
TATIANA ANDREEVA
L’homme qui savait tout, troisième roman d’Igor Sakhnovski, est un livre léger et grave, parfois féroce, souvent drôle, écrit dans un style élégant et alerte qui confirme la réputation de son auteur comme l’un des meilleurs écrivains de sa génération. Finaliste du prestigieux Natsionalny bestseller, l’ouvrage a reçu L’Escargot de bronze pour le meilleur livre de science fiction. Sakhnovski, qui vit à Ekaterinbourg, s’était vu décerner le Prix Décameron russe pour son premier roman Roza (Gallimard 2006). Le lauréat récuse l’étiquette d’auteur de « science fiction », soulignant qu’il produit dans le texte des documents réels, dont des courriels où figurent les adresses réelles du protagoniste et de l’auteur-narrateur qui se met en scène. Il dit s’inscrire davantage dans le genre documentaire. Nous sommes clairement à la croisée des genres : roman d’amour ou d’espionnage ? Science fiction ou reportage ? Au départ, une histoire romantique dans une Russie en pleine mutation : Alexandre Platonovitch Bezoukladnikov, le héros, plutôt en fait l’archétype de l’anti-héros, est un humble chercheur « vieux avant l’âge », ni débrouillard, ni battant, qui perçoit son salaire épisodiquement et dont toutes les tentatives d’arrondir les fins de mois sont vouées à l’échec… Il fera partie, c’est sûr, des laissés pour compte de la Russie en marche ! Il est cérébral, fataliste, passif au point de ne rien tenter pour retenir la femme qu’il aime lorsqu’elle cède aux sirènes consuméristes et le quitte pour un riche mafieux. Bezoukladnikov sombre sans révolte dans une sorte de dépression jusqu’au moment où, frappé par la proximité de la mort soudain évidente, il décide froidement de se suicider. Déclaré mort, Bezoukladnikov est en fait dans un coma profond dont il sort métamorphosé : commotionnée par la décharge électrique qui a manqué lui donner la mort, la structure de son cerveau a été miraculeusement modifiée de sorte que désormais, il peut répondre à toute question dès qu’elle est formulée. Il sait TOUT ! Il est non seulement omniscient : il prévoit aussi l’avenir. Dès lors, dans un monde globalisé où l’information joue un rôle primordial, l’ex-loser intéresse au plus haut point les chercheurs et les hommes politiques. Les services secrets de quatre pays sont à ses trousses, se disputant ses talents. Kidnappé par un ex-colonel du KGB, notre héros est emporté dans une série d’aventures d’espionnage, d’Ekaterinbourg aux Canaries en passant par l’Europe et le Maryland. Bezoukladnikov, le minable, l’homme parfaitement inadapté au monde nouveau traverse les continents, les bars d’hôtels les plus chics, résiste aux pressions des plus puissants. C’est l’anti-James Bond, sans gadget sophistiqué, avec seulement son intelligence, sa culture et cette capacité exceptionnelle de tout savoir. Il traverse les épreuves sans fébrilité, avec le même regard fataliste, la même éthique : « Vaincre la vulgarité universelle est en principe impossible, cela va de soi. Éradiquer la sienne ne relève même pas de la vertu mais de l’hygiène élémentaire. Ne pas brouter l’herbe se trouvant à nos pieds, ne pas se précipiter pour avaler tout ce que brassent les égouts à la mode, respecter la distance entre soi et soi-même. Enfin, savoir écouter le silence et sa propre personne. Tout ce que nous voulons savoir sur notre présent, notre passé et notre avenir se trouve effectivement en nous, littéralement, et ne demande qu’à être entendu. »
AFP
SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
celui-ci n’était plus présentable, il en commandait un nouveau. On faisait un paquet de l’ancien qu’on jetait enveloppé dans un papier journal. Je me souviens même qu’un jour, à Venise, on le lança dans le Grand Canal… » Dans sa pelisse doublée de fourrure sibérienne et sanglée de brandebourgs, flanqué d’une canne dont il n’avait besoin que pour « toucher du bois » ou corriger un danseur, Diaghilev vivait au sein de sa troupe des relations passionnelles qui frisaient parfois la caricature. Un jour, par exemple, alors que Rodin, lui aussi attiré par les charmes masculins, avait dessiné Nijinsky venu poser dans l’atelier de Maillol, Diaghilev fit irruption, fou de rage, et « les deux hommes se brouillèrent à cause du danseur… » (4) Somptuosité des décors, créativité des costumes, chorégraphie avant-gardiste, musiques inédites, danseurs légendaires… Pour le public parisien, les Ballets russes étaient un choc à la fois artistique et culturel ! Et les réactions furent parfois explosives… Témoin, la première en 1913 du « Sacre du printemps » au Théâtre des Champs Elysées. La salle était comble et il y avait ce soir-là tous « les matériaux d’un scandale », souligne Jean Cocteau. Diaghilev, bon tacticien et fin limier, avait distribué aux jeunes de l’avant-garde venus applaudir Stravinsky et Nijinsky des billets de promenade qui mettaient ainsi les élégants à leur portée. Et le « scandale » dépassa ce que l’on pouvait attendre : hurlements, injures, hululements, gifles, coups… l’assistance était déchaînée! « Après la représentation », raconte Stravinsky, « nous étions excités, furieux, dégoûtés et… heureux. Le seul commentaire de Diaghilev fut : « Exactement ce que je voulais ». Il n’y avait aucun doute : il paraissait content. Personne n’était plus prompt que lui à saisir la valeur publicitaire d’une situation et ce qui était arrivé ne pouvait qu’être excellent. » (5). Aujourd’hui, cent ans après leur création, les Ballets russes restent une référence et une source d’inspiration qui ne cessent d’enflammer le public. Pour Diaghilev, le pari est gagné. Pourtant, s’effaçant derrière son œuvre, il osera dire, peu de temps avant sa mort à Venise en 1929 : « Je voudrais vraiment que de moi-même il ne restât rien. Car si par malheur on s’avisait un jour de faire un « Musée Diaghilev », qu’y pourrait-on exposer ? Mon pince-nez et mes charentaises …».(6)
Le Théâtre de marionnettes d’Ekaterinbourg a été fondé il y a 78 ans.
dans l’incongru pour le théâtre de marionnettes d’Ekaterinbourg. Bien qu’il existe une traduction russe de « Gribouille », Valentin a réécrit les dialogues et la traductrice s’est efforcée de préserver dans le texte russe le style du français du XIXe siècle. Les archaïsmes de la langue sont fidèles à l’esprit d’un spectacle de salon à l’époque du Second Empire. Sur la scène, des chaises donnent l’illusion
d’une épaisse forêt, une vieille commode se transforme en château. Les acteurs, en costumes d’époque, sont les doublures en chair et en os de la marionnette car ils font partie – chose courante chez Valentin – de la scénographie. Les marionnettistes russes ont perdu l’habitude de travailler de cette manière : ils préfèrent désormais jouer « en vrai », plutôt que cachés derrière une figurine.
Émilie Valentin bouscule une autre orientation nationale : aujourd’hui, le théâtre de marionnettes russe met plutôt l’accent sur les éléments plastiques, en testant de nouvelles technologies, de nouveaux matériaux et des effets visuels spectaculaires. Valentin prend le contre-pied de cette tendance en présentant des poupées délibérément laides que l’on pourrait croire sorties de l’atelier d’un peintre ou d’un sculpteur cubiste. A côté de Gribouille, les créations « décoratives » qui constituent le répertoire du théâtre d’Ekaterinbourg font figure de tableaux de Vasnetsov côtoyant des toiles de Picasso. La marionnettiste française a choisi pour son spectacle une intonation narrative qui était celle du théâtre des salons raffinés de la Restauration. Émilie Valentin invite le spectateur à faire un effort intellectuel, à réfléchir sur le choix moral et sur la justice sociale. Le monde des goujats que sont les parents de Gribouille n’a aucun avantage sur le monde du Bourdon, celui de la cupidité et du monde capitaliste. En se jetant dans l’eau du haut d’une falaise, le héros réfute chacune des deux alternatives, pour ne plus émerger... C’est au spectateur que revient le privilège de résoudre le problème du choix.
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Culture
Édition Les exilés ont illustré les beaux livres de l’entre-deux-guerres
À textes français, pinceaux russes Les artistes chassés par la Révolution ont embelli et dopé l’édition française des années 1920-1930, contribuant à la deuxième étape d’immersion et d’enrichissement réciproques des deux cultures, après les fameuses Saisons de Diaghilev qui ont lancé la « mode » russe à Paris.
Souvenirs, souvenirs... Boire à la coupe de Sagan NIKOLAÏ DOLGOPOLOV
ARCHIVES PERSONNELLES DE MIKHAÏL SESLAVINSKI (3)
SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
MIKHAÏL SESLAVINSKI SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Dans son article « Livres de luxe », issu de son œuvre de référence, L’histoire du livre en France, le célèbre bibliographe français Antoine Coron présente un très singulier diagramme illustrant l’évolution de l’édition selon les chiffres des tirages. Il montre que pendant l’entre-deuxguerres, le nombre de livres publiés a décuplé plusieurs fois. L’explication est simple : des centaines d’artistes de l’élite russe ont dû émigrer après la révolution d’Octobre, fuyant les dégradations et les représailles. Un certain nombre d’entre eux se sont installés à Paris et ont trouvé du travail dans l’industrie du livre. D'où l'explosion des tirages. La majeure partie des peintres russes étaient d’excellents dessinateurs, prêts à travailler pour des honoraires modiques. Ils attiraient aussi les lecteurs par leurs origines. Ils étaient reconnaissants aux éditeurs pour le travail qu’ils leur proposaient, car ils n’avaient pas été gâtés dans leur patrie. Quand j’en discute avec des Français, ils sont nombreux, alors qu’ils n’ont rien à voir avec le monde de l’illustration, à s’animer et répondre, par exemple : « Oui, bien sûr, je me souviens,que le soir, mes parents me lisaient Michka, de la collection ‘les Albums du Père Castor’, avec des dessins de Fedor Rojankovski ! » Chose curieuse, de toute la remarquable pléiade de peintres russes qui ont illustré des centaines de livres, c’est bien Rojankovski dont on se souvient le plus. C’est dire le pouvoir des impressions d’enfance et des images vivantes ! Ajoutons à ce propos que Fedor Rojankovski, excellent dessinateur, a édité en France dans les années 1930 plusieurs cycles de dessins érotiques très crus, aux images fort réalistes. Il est probable que la plupart des génies de la peinture, de Monet à Léger, n’auraient pu les exécuter aussi minutieusement, car il faut pour cela être doté d’un talent particulier... Outre Rojankovski, Natan Altman, Nathalie Parain, Ivan Bilibine, Alexandra Exter ont apporté un nouveau souffle aux
VICTOR VASENIN_RG
Illustration du conte « Michka », de M. Colmont. Editions Flammarion, 1941.
livres d’enfants illustrés chez Gallimard et Flammarion dans les années 1930. Pour l’illustration d’une série de 25 livres pour enfants chez Flammarion, Nathalie Parain a reçu en 1941 le Prix du centenaire de l’Académie des Beaux Arts de France. Mais c’est dans les véritables éditions de collection à tirage limité, avec de magnifiques gravures et lithographies, créées spécialement pour ces livres, que la contribution des « Russes francisés » a été la plus notable. L’intérêt des lecteurs pour ce genre d’éditions et la mode pour le style russe se sont heureusement entremêlés, et ont permis aux éditeurs de lancer ces projets sans oublier leur composante commerciale. Une vingtaine de maisons françaises environ auraient cultivé, avec plus ou moins de succès, cette tendance dans le monde du livre pendant l’entre-deux-guerres. Mais l’exemple le plus remarquable est celui des Editions de la Pléiade, fondées par un immigré russe d’origine juive, Jacques Schiffrin. Avec André Gide, il a traduit en français nombre d’œuvres classiques de la littérature russe, et pour illustrer ces livres, il a fait appel aux peintres russes, arrivés à Paris, tout comme lui, après la révolution et la guerre civile dans leur pays d’origine. Ainsi naquirent ces éditions, devenues cultes pour de nombreuses générations de collectionneurs. Aujourd'hui plus que jamais. La Dame de Pique de Pouchkine en est un exemple : parue en 1923 en 345 exemplaires, elle est magnifiquement illustrée par le fort talentueux Vassili Choukhaev. Autre exemple : Boris Godounov du même
А. Alexeev. Illustration du roman de F. Dostoïevski Les Frères Karamazov. Editions de la Pléiade. 1929. Autolithographie.
V. Shukhaev. Illustration de la tragédie « Boris Godounov », d’А. Pouchkine. 1925. Editions de la Pléiade. Lithographies, peinture : pochoir à la main.
auteur, avec des pochoirs originaux du même peintre, sorti en 1925. Quatre ans plus tard, c’est au tour des Frères Karamazov de Dostoïevski, traduit par Boris de Schloezer, un parent du compositeur Scriabine, avec un tirage de 118 exemplaires numérotés et de fantastiques lithographies d’Alexandre Alekseev. Cette édition en trois volumes a toujours coûté assez cher, chez les libraires antiquaires comme aux enchères. En juin 1997, par exemple, elle a été adjugée pour 11 550 livres sterling, soit 12 709 euros, par Sotheby’s. Méconnue du grand public, la
contribution des artistes russes à l'édition française vaut néanmoins... son pesant d'or !
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Mikhaïl Seslavinski est bibliophile renommé et directeur de l’Agence fédérale russe pour la presse et les télécommunications. L’exposition et le livre « Rendez-vous. Peintres russes aux éditions françaises » seront présentés sur le stand russe au Salon du Livre de Paris du 26 au 31 mars.
Influences Quand les femmes russes enflammaient les plus grands artistes
À beautés russes, pinceaux français Quelques-uns des plus grands chefsd'œuvres du patrimoine culturel français présentent un singulier exotisme : leur accent russe et leur parfum féminin. Nombre de femmes russes ont lié leur destin à celui de sculpteurs, peintres, et écrivains français. LYDIA CHAMINA
AFP
SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Ils se sont rencontrés en 1932. Terminant alors la copie de son célèbre tableau « La Danse », commandé par le mécène russe Sergueï Chtchoukine, Henri Matisse avait besoin d’une aide d’atelier. Lydia, qui, à ce moment-là, se trouvait à Nice, seule et sans le sou, ne fut que trop heureuse d’accepter sa proposition. Ayant connu la faim dans sa jeunesse, Matisse trouvait toujours une astuce pour remercier, en sus du salaire qu’il lui versait, cette femme chaleureuse et discrète. Il lui demanda un jour de poser… Ainsi débuta la magnifique série de portraits de Lydia Delectorskaya. « Vous allez simplifier la peinture, c’est écrit », prédit un jour Gustave Moreau à son élève Matisse. Ses cadeaux furent d’une valeur inestimable, non seulement pour Lydia, mais également pour le patrimoine culturel mondial. Matisse offrit à son modèle préféré deux dessins originaux : l’un pour Noël, l’autre pour son anniversaire. Des années plus tard, sa muse com-
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Louis Aragon et Elsa Triolet, février 1961.
mença à lui acheter les dessins qui lui plaisaient le plus. Elle fit don de ses acquisitions au Musée Pouchkine de Moscou et à l’Ermitage. Originaire d’Odessa, DinaVierny incarne de manière encore plus saisissante l’exemple d’une vie au service de l’art. Elle entra dans l’atelier d’Aristide Maillol à l’âge de quinze ans, et devint sa muse et son modèle favori… La jeune fille talentueuse s’intéressait à la litté-
rature et à la peinture. Pendant la guerre, elle rejoignit les rangs de la Résistance, avant d’être arrêtée en 1941. Maillol parvint toutefois à délivrer sa muse, qu’il envoya à Nice chez Henri Matisse, où elle posa pour le maître ainsi que pour ses amis artistes, Pierre Bonnard et Raoul Dufy. En 1944, Aristide Maillol perdit la vie dans un accident de voiture. Conformément à son testament, Dina Vierny
hérita de la totalité de ses œuvres et de sa fortune. En vertu de son goût irréprochable, de son opiniâtreté et de son sens des affaires, elle devint très vite une galeriste à succès, l’une des plus célèbres en Europe. En 1995, Dina Vierny créa la Fondation qui porte son nom, et le Musée Maillol. La collection du musée rassemble des œuvres d’Henri Matisse, d’Ivan Pouni et de Vassily Kandinsky. Ilia Kabakov, Vladimir Yankilevski, Oscar Rabine et Erik Boulatov y sont également exposés. Tous doivent leur renommée en Occident à la muse de Maillol. Elsa Triolet était dotée du même talent que Dina : faire connaître les inconnus. À l’instar de sa sœur Lili Brik, Elsa rêvait de devenir la muse d’un éminent poète. Celui-ci fit son apparition en la personne du jeune Louis Aragon. Comprenant que cet homme était l’Homme de sa vie, Elsa eut une idée de génie : elle rapprocha Maïakovski et Aragon, deux poètes de la même génération et du même courant, mais vivant dans deux mondes séparés. Elsa, qui vécut longtemps dans l’ombre de son illustre mari, commença à écrire et obtint même le Prix Goncourt, chose inouïe pour une étrangère. Elsa Triolet a écrit plus de vingt livres, et Aragon lui a consacré un recueil de magnifiques poèmes intitulé Les Yeux d’Elsa, devenu un classique de la poésie d’amour. Car il le lui répétait souvent : « La femme est l’avenir de l’homme ».
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Je les adulais depuis l’enfance, comme le tout-Moscou des intellos : la fantasque Françoise Sagan et son peu de soleil, le maître du roman familial Hervé Bazin, sévère et académique, Maurice Druon, le grand amuseur. Ces éminents Français et leur littérature étaient si compréhensibles et si proches de nous, ne fussent ces noms exotiques... Si vous saviez comme j’ai cherché à rencontrer ma Sagan adorée ! Je quémandais son numéro de téléphone à tous ses amis lettrés. J’appelais un numéro, censé être le sien, pour tomber immanquablement sur un répondeur : « Pressing, bonjour… » Un jour, mon ami d’alors, Edik Limonov, m’assura : « Françoise ? Sagan ? Facile. Appelle demain à l’heure exacte… ». Je téléphonai à l’heure exacte, et le numéro du pressing répondit avec la voix de Sagan. Et nous nous sommes rencontrés dès le lendemain. Au parcmètre, j’ai mis des pièces pour deux heures, effrontément, car madame Sagan m’avait prévenu que le rendez-vous ne durerait que 20-25 minutes. Pieds nus, perchée sur sa chaise comme un moineau, Sagan répondait sans entrain à mes questions, en jetant des coups d’œil à sa montre. J’étais sur le point de partir, quand soudain la grande dame s’enquit : « Que pensez-vous des vins de Loire ? On m’en a livré une caisse. » Les châteaux de la Loire, oui, mais les vins… Nous avons réglé le sort de la première bouteille en vingt minutes, la deuxième est partie un peu plus vite, pour ce qui est de la troisième… Sa langue se délia. Elle m’apprit que Mitterrand s’asseyait toujours à la place que j’occupais. Que c’était le seul homme respectable parmi tous ces… politiciens. Et si ce n’était pour lui, elle ne serait pas là, elle. Je m’enhardis moi aussi et lui demandai si c’était vrai. Elle rétorqua qu’elle prenait des sédatifs, sans lesquels elle ne pouvait ni dormir, ni travailler. « Vous savez ce que c’est, la douleur ? » J’essayais de comprendre, mais elle y mettait un autre sens que nous, les simples mortels et, comme elle, pécheurs, mais dépourvus de génie. Elle souffrait d’être la fierté de la littérature française et de devoir se battre avec les impôts, acculée dans un coin, à payer « à quelqu’un », pas à la France, dans le vide, presque la moitié de ses « maigres » revenus. Elle souffrait que beaucoup de gens, non, presque tous, ne comprennaient pas ses sentiments, et la manière dont elle les apaisait. Elle souffrait que sa vie de famille soit ainsi. Elle ne s’entendait pas avec son fils. Une douleur déchirante. Elle s’était fait dévaliser il y a peu. On lui avait arraché son sac, tant pis pour l’argent, mais ses papiers... Quoi ? Le voleur ne l’avait pas reconnue ? Pourquoi, comment avait-il pu ne pas la reconnaître ? Et maintenant, faire des démarches, faire refaire les papiers, un supplice et la même souffrance. Nous ne regardions plus nos montres. Sagan parlait, et moi j’ai éteint mon enregistreur. Même un journaliste retors doit respecter les règles du jeu de Sagan. Elle sortit m’accompagner dans la rue, toujours pieds nus dans ses chaussons. J’ai eu assez d’esprit pour ne pas prendre le volant. Je vous jure que je ne me souviens pas comment je suis rentré chez moi. Le lendemain, je suis venu récupérer la voiture, garée près de chez elle. J’ai essayé de la joindre pour la remercier de la rencontre, si inhabituelle. Mais, au bout du fil, l’éternel : « Pressing, bonjour… » Nikolaï Dolgopolov est le rédacteur en chef adjoint de Rossiyskaïa Gazeta. Il fut correspondant à Paris de la Komsomolskaïa Pravda entre 1987 et 1993.
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RU COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO
Culture
Cuisine Le tour du monde du bœuf Stroganoff
Rencontre L’écrivain Marek Halter livre sa vision des relations franco-russes
L’année des espoirs croisés Marek Halter, écrivain et journaliste d'origine juive, fondateur des collèges universitaires français à Moscou et à Saint-Pétersbourg, jouit d'une grande notoriété en Russie. Son histoire personnelle et sa grande connaissance de la culture russe en font un observateur privilégié.
JENNIFER EREMEEVA LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
ARCHIVES PERSONNELLES
« Papa, non, je ne peux pas rester
Comment réagissez-vous à l’année croisée France-Russie ? Dans toute l’histoire de leurs relations, les deux pays ne se sont jamais rencontrés sur autant de terrains à la fois. Je trouve cette initiative formidable. Je comparerais les rapports entre nos deux pays aux relations entre des amoureux : il y a de l’admiration, mais aussi de la jalousie et parfois des disputes. Les Russes ont toujours admiré la culture française, dont l’influence est perceptible jusque dans l’architecture de Saint-Pétersbourg, à laquelle mes compatriotes ont prêté main forte, ou encore dans la célèbre sculpture de Pierre le Grand, créée par le Français Etienne Falconet.
Il est frappant de constater que même l’invasionnapoléoniennen’apassuscité de haine envers la nation française. Napoléon était un adversaire, mais un adversaire valeureux qui inspirait le respect. Dans Guerre et Paix, Tolstoï nous parle de l’amour des patriotes russes pour leur patrie, mais également de l’admiration qu’ils avaient pour la France. Nous avons la même attitude envers la Russie. Pour les Français, la Russie reste une énigme, source de fantasmes. Jules Verne l’a remarqué avec justesse, dans son roman Michel Strogoff lu par des générations de jeunes Français. En
À l'affiche de l’Année Croisée 2010
PATRICK KOVARIK_AFP
Nous nous sommes mobilisés pour soutenir tout ce qu'il y avait de bon en Russie et rejeter tout le mauvais.
même temps, une certaine peur régnait, surtout à l’époque stalinienne. Mais au moment où les horreurs du Goulag ont été dévoilées, nous nous sommes mobilisés pour soutenir tout ce qu’il y avait de bon en Russie et rejeter tout le mauvais. J’ai pu échanger avec Soljenitsyne, que j’ai accueilli avec Mstislav Rostropovitch ici, dans mon atelier ; plus tard, j’ai rencontré à plusieurs reprises Andreï Sakharov.
dans une Russie en voie de transformation.
Néanmoins, une partie des intellectuels françaisaconservéunecertaineméfiance à l’égard de la Russie contemporaine. Comment l’expliquez-vous ? Ils n’ont pas encore tout à fait compris que la Russie est passée à la démocratie. Au début des années 1990, le pays a connu une véritable révolution. Ici, beaucoup de gens n’ont pas remarqué que la Russie a changé énormément depuis que de nouvelles générations ouvertes au monde sont apparues. Moi, j’ai eu beaucoup de chance. Grâce à Rostropovitch puis à Sakharov, j’ai été parmi les premiers à me retrouver
Dans nos pays, on a toujours loué l'intelligence et la culture. La notion d'homme cultivé existe en russe comme en français.
« Une fenêtre sur la Russie » 5-31 mars, Le Centre de Russie pour la science et la culture, 61, rue Boissière, Paris
Salon du livre 26-31 mars, Porte de Versailles, Paris
L’exposition de jeunes artistes présente un panorama de l’art figuratif contemporain russe dans toute sa diversité culturelle et ethnique. Elle comprend 122 œuvres de 58 artistes, élèves des plus prestigieuses écoles artistiques de Russie (peinture, art graphique, sculpture), représentant 30 origines géographiques : Moscou et sa région, Saint-Pétersbourg et l’oblast de Leningrad, Tchouvashie, Tchétchénie, Ossétie du Nord, oblasts de Krasnodar et de Kransnoyarsk, d’Orel, de Novgorod, de Kirov, d’Ivanovo et d’autres régions. http://www.russiefrance.org/
Vousavezparlédel’attirancedelaFrance pour la Russie et vice versa. Sur quoi se base-t-elle ? Il y a quand même beaucoup de différences entre les deux pays… Oui, mais je pense que ces différences constituent justement l’une des forces d’attraction réciproque. Les habitants
d’une grande maison et d’un petit appartement n’auront pas les mêmes habitudes. Mais il y a beaucoup de traits communs. Il me semble que la Russie et la France font partie des rares pays où les mots « intellectuel » et « intelligentsia » signifient quelque chose. En
Dans le cadre de sa 30ème édition, ce salon consacrera 350mètres carrés à la Russie. De nombreuses rencontres seront organisées entre les écrivains et éditeurs français et russes. 90 auteurs sont invités, dont 30 figures emblématiques françaises et 30 étrangères, ainsi que 30 bénéficiaires de la politique publique du Centre national du livre en faveur de la création. http:// www.salondulivreparis.com
Tous les détails et bien davantage sur notre site www.lefigaro.fr/ larussiedaujourdhui
France, tous les rois avaient des conseillers philosophes, scientifiques et écrivains. Idem en Russie. Dans nos pays, on a toujours apprécié l’intelligence et la culture. La notion d’« homme cultivé » existe en russe comme en français. Et l’histoire a voulu que les deux peuples se croisent régulièrement, s’imprégnant de sympathie réciproque, sans jamais se mépriser. Victor Hugo a écrit un jour qu’un moment viendrait où les pays européens, la France, la Russie, l’Italie se réuniraient dans une union européenne qui constituerait une fraternité continentale… Hugo était un rêveur et un visionnaire. Nous sommes liés par la culture, la géographie et l’économie. Je me suis battu ces dernières années pour que la Russie fasse partie de cette union. Pour une Europe capable de rivaliser à forces égales avec les États-Unis, avec la puissance croissante de la Chine et de l’Inde.
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Propos receuillis par Viatcheslav Prokofiev
Spectacle « Cannibales » 24-25 mars, Centre Meyerhold/ Novoslobodskaïa 23, Moscou Ce spectacle mis en scène par David Bobée est conçu comme une enquête pour déterminer ce qui a pu pousser un homme et son épouse au suicide… La nécrologie d’un couple devient le prétexte à un bilan politico-social et intime des trente dernières années. Portrait d’une génération et d’une époque, dressé au moyen d'une large palette artistique allant du théâtre dramatique au cirque en passant par la danse… Présenté par le Centre culturel français de Moscou et le Festival du Nouveau Théâtre Européen NET. http://www.netfest.ru
EKATERINA MORGUNOVA_FOTOIMEDIA
Pouchkine, « notre tout » selon la formule consacrée, était qualifié de « français » au lycée pour sa connaissance brillante de la poésie française et pour sa maîtrise de la langue de Molière, qu’il parlait comme s’il avait été né à Paris… Hélas, il est également mort de la main d’un Français… Parfois les relations s’envenimaient. Pierre le Grand a été mécontent de l’accueil qui lui a été réservé à Versailles, et l’affaire aurait même pu tourner au scandale. Mais une fois rentré, il a décidé de faire les choses à la française. Ainsi, la Russie a vu naître l’Académie des sciences et sa propre « Sorbonne » sur la Neva, l’université de Saint-Pétersbourg. Sous ses ordres, tous les boyards ont dû raser leurs barbes, car l’on n’en portait pas en France.
longtemps », dis-je à mon père quand il m’appela l’autre soir. « Je tente un nouveau bœuf Stroganoff. » Mon père grogna, frustré. Les médecins américains ont collé tous les ingrédients du bœuf Stroganoff sur la liste noire de leurs patients sexagénaires. « Quand nous nous sommes mariés avec ta mère », dit-il avec nostalgie, « nous mangions du Stroganoff au moins une fois par semaine… j’adorais ça. » Il soupira avant d’ajouter : « Je n’ai plus droit qu’aux lentilles et au poisson. » Ça m’a fait réfléchir : mon père s’est marié pendant l’acmé de la paranoïa anticommuniste aux États-Unis, connue sous le nom de « Peur rouge ». Comment ce plat tellement russe a-t-il pu devenir un « must » des dîners américains ? La réponse nous emmène presque à l’autre bout du monde, et loin dans le temps, au XVIIe siècle, quand le mets fit son apparition sur les tables des aristocrates russes. Les origines du bœuf Stroganoff sont claires. Le cuisinier français du comte Pavel Stroganoff, un fin gourmet, adapta une recette classique de fricassée de bœuf au palais russe de son maître, en ajoutant de la crème fraîche, et en donnant au plat le nom du comte, selon la tradition qui mariait les riches aristocrates à la riche nourriture.
Cette tradition nous donnera peut-être un jour des raviolis Abramovitch ou une oie Deripaska. La révolution de 1917 éparpilla la noblesse russe et ses traditions aux quatre coins du monde. Les cuisiniers chinois empruntèrent la recette du Stroganoff à la communauté des Russes blancs de Harbin. Ils enlevèrent la crème, ajoutèrent des épices et le servirent sur du riz. De là, la recette fut exportée aux États-Unis dans les années 1940 par des militaires, pour s’établir solidement comme aliment de base dans les dîners, jusqu’à ce que le cholestérol remplace le communisme en tant que démon de l’Amérique. Pour sauver le bœuf Stroganoff, et boucler la boucle autour du globe, nous le ramenons en Europe, restaurons les ingrédients d’origine, et le servons à la russe : avec des pommes de terre sautées et des cornichons au sel.
Retrouvez la recette sur www.lefigaro.fr/larussiedaujourdhui
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