Distribué avec
Salut les artistes ! Une exposition au Palais de Tokyo, met en scène la nouvelle et provocante avantgarde russe P.12
Le grand retour de l’icône Ces images tradtionnelles de l’orthodoxie connaissent un net regain d’intérêt
Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux
P.11 ITAR-TASS
Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Mercredi 19 mai 2010
Moderniser
ensemble
Le sommet Russie - Union européenne de la semaine prochaine à Rostov-sur-le-Don devrait consolider les nouvelles bases des relations qui avaient pâti des événements de Géorgie. GALINA MASTEROVA
Le sommet, placé» sous le thème d’un « partenariat de modernisation », signera la première visite de Herman Van Rompuy en Russie en qualité de président du Conseil européen, qui sera accompagné de José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et de Catherine Ashton, haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères. La Russie sera représentée par son président, Dmitri Medvedev, et son ministre des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov. Après une rencontre à Stockholm en novembre dernier, le sommet de deux jours, qui s’ouvrira le 31 mai, ne sera que le deuxième grand rendez-vous UE-Russie depuis le refroidissement des relations occasionné par la guerre russo-géorgienne en août 2008.
DMITRY DUHANIN_KOMMERSANT
SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
En marge de la modernisation, on évoquera aussi l’adhésion de la Russie à l’OMC, le gaz et les visas.
Selon Andrew Wilson, un expert en politique auprès du Conseil européen pour la politique extérieure basé à Londres, les pourparlers devraient porter sur « l’investissement de l’État : contrôlé par le haut à la manière soviéti-
que ou du bas vers le haut, comme le souhaiterait l’Union européenne ; la liberté d’entreprise et la chasse à la corruption ». Un partenariat Union Européenne Russie pourrait, entre autres, porter sur le développement des
nanotechnologies au service de nouveaux produits, la coopération en matière d’assistance technique dédiée au secteur industriel et la recherche, a indiqué pour sa part Denis Daniilidis, porte-parole de la délégation de
l’Union européenne à Moscou. Mais si l’ordre du jour donne la priorité au « partenariat de modernisation », trois autres grands dossiers, plus politiquement sensibles pour deux d’entre eux, seront évoqués en marge : l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’accord gazier russo-ukrainien et les visas. Sur le premier, Moscou avait causé surprise et déception l’an dernier en liant son entrée à l’OMC à celles du Kazakhstan et de la Biélorussie. « Il semble que la Russie fasse machine arrière en la matière », commente Andrew Wilson ; « pour autant, ses intentions quant à l’avenir de l’union douanière ne sont toujours pas claires ». La décision russe, en mars dernier, d’ouvrir un poste douanier réservé aux automobilistes à la frontière russo-finlandaise, et de maintenir les taxes sur le bois à leur modeste niveau actuel audelà du 1er janvier 2011, peut être considérée de bon augure pour les discussions qui s’ouvriront à l’OMC. SUITE EN PAGE 2
Portrait Sur un marché en dents de scie, Nicolas Megrelis a créé son réseau de boutiques pour les soins du corps
« Puisses-tu vivre au temps des changements » : le Français Nicolas Megrelis semble avoir suivi en Russie ce précepte chinois, négociant avec un égal bonheur les envolées et les crises de l’économie postsoviétique. ANNA VARENOVA
SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Si vous n’avez pas vécu dans la Russie du début des années 1990, vous aurez bien du mal à vous représenter cette époque. Deux putsches, une inflation galopante, la destruction de l’économie planifiée, des règlements de comptes publics entre bandits, et les premiers pas incertains du capitalisme. Aujourd’hui,
on les appelle les « folles années 90 ». En ce temps-là, il était aussi rapide de tout perdre que de monter une affaire en or. C’était une époque bénie pour les veinards au cœur bien accroché, sachant surmonter l’insurmontable avec une persévérance bornée et ne craignant pas de fonder des entreprises en Russie. Nicolas Megrelis est justement de cette trempe. « Vous comprenez », raconte-t-il, « tout était possible alors. Tout ! Il n’y avait aucune concurrence et le marché était énorme ». À l’origine de son histoire, un gros coup de chance : « La boutique Nina Ricci a été ouverte à Moscou en 1992, mais dès 1993, avec le début de la privatisation, les responsables ont sim-
plement abandonné le magasin, en me le laissant gratuitement ». C’est comme ça que Megrelis commença à vendre des produits de beauté dans une boutique luxueuse en plein cœur de Moscou sous une enseigne prestigieuse. Il débarquait alors tout frais émoulu d’une université américaine. Il était arrivé en Russie à l’invitation de son père consultant, dont le carnet d’adresses et le réseau de relations couvraient les étrangers comme les Russes. On faisait tout sauf s’ennuyer à Moscou. La chance et les expériences excitantes se cueillaient à tous les coins de rue. La boutique Nina Ricci devint un terrain d’entraînement pour
« Le peuple a gagné la guerre »
PSA construit à Kalouga
Dans un entretien accordé au quotidien Izvestia, Dmitri Medvedev rejette le culte de Staline mais souligne le rôle de l’Armée Rouge.
Le constructeur français assemble des véhicules dans la région de Kalouga
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RIA NOVOSTI
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ANNA ARTEMEVA
Le parcours en beauté d’un Français en Russie
Megrelis vit en Russie depuis 1993
Megrelis. Sans crainte des changements incessants des règles du jeu dans la vie et dans les affaires, il étudia attentivement
toutes les ficelles du métier d’importateur et de vendeur de cosmétiques. Il décrocha le gros lot avec la crise de 1998. « En 1998, mes affaires ne tournaient pas très bien. Je voulais distribuer aussi d’autres marques, j’étais en pourparlers avec The Body Shop, L’Occitane et d’autres, mais ils ont tous refusé. J’ai donc décidé de créer quelque chose à moi », raconte Megrelis. C’est alors que l’économie tout entière s’écroula. « Il nous manquait des financements », se souvient-il. « Je venais de recevoir un crédit de 100 000 dollars de la Bank of Austria, la veille de la crise. Et là, imaginezvous... » SUITE EN PAGE 4
Avant-poste du changement Des secousses politiques agitent depuis plusieurs mois l’enclave de Kaliningrad (ex Königsberg). Des milliers de Russes participent à des meetings antigouvernementaux dans cette région singulière et isolée. ALEXEÏ LEVCHENKO GAZETA.RU
Un samedi soir, à un carrefour du centre de Kaliningrad, la BMW X5 d’un entrepreneur local lancée à pleine vitesse a renversé un jeune homme sur un passage protégé. Le cortège du gouverneur régional Gueorgui Boos, qui passait par là, a stoppé net. Au grand étonnement des témoins, la portière de la limousine s’est ouverte, le gouverneur est sorti et a appelé lui-même les services d’urgence. PHOTOXPRESS
Diplomatie Européens et Russes cherchent à relancer leur coopération économique et politique
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DÉBATS ET OPINIONS
L’histoire qui nous sépare Les nations font du passé une interprétation parfois bien divergente, commente le politologue Fyodor Lukyanov. PAGE 8
Nos alliés : Japon et Allemagne Selon l’expert Dmitri Trenine, la Russie a besoin de deux alliés solides en Asie et en Europe pour moderniser le pays. Ce sont deux anciens ennemis... PAGE 8
Kiev se rapproche de Moscou, mais pas trop ! Gaz moins cher contre base navale russe prolongée, mais prudence de l’Ukraine sur la portée de l’accord
PSA PEUGEOT CITROËN
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RIA NOVOSTI
International
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI fr.rbth.ru communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO
Espace Un programme russo-européen simule un vol vers la planète rouge
Drogue Après l’alcool, les problèmes de l’Afghanistan contaminent la société russe
De la bouteille à la seringue
Mars comme si j’y allais
Le gramme d’héroïne qui a failli coûter la vie à Sveta Makhnenko venait des champs de pavot afghans.
Romain Charles va réaliser son rêve d’être astronaute. Enfin presque. Avec six autres volontaires, il vivra dans les conditions d’un vol habité vers la planète rouge.
anna nemtsova
spécialement pour la russie d’aujourd’hui
En chiffres
veronika dorman
la russie d’aujourd’hui
afp
Nasrat SAFI_afp
Sveta Makhnenko se rappelle vaguement avoir repris conscience, étendue sur le sol, le nez cassé, les membres engourdis, assaillie pas une douleur intolérable tiraillant chaque muscle de son corps décharné. Une infirmière a alors lâché : « Celle-là, elle rejoindra l’autre monde avant demain matin ». Il y a dix ans, à l’école de Nizhny Novgorod où elle enseignait l’histoire, Makhnenko était connue pour sa finesse d’esprit et de goût. Mais en une décennie, elle s’est vue réduite à l’état d’une toxicomane totalement démunie : « J’ai perdu mes dents. J’ai perdu mes amis. J’ai vendu mon appartement », confie-t-elle. Aujourd’hui âgée de 42 ans, elle a survécu grâce au traitement dispensé par Exit, un centre de réinsertion de Nizhny Novgorod. L’année dernière, 30 000 personnes dans toute la Russie n’ont pas eu cette chance et ont succombé à des overdoses d’héroïne. Les autorités russes attribuent quelque 100 000 décès supplémentaires à des problèmes liés à la drogue. Il y a une vingtaine d’années, pour les Russes, l’héroïne était un fléau qui sévissait à l’Ouest. Dans des villes comme Nizhny Novgorod, c’est la consommation de vodka et un alcoolisme à grande échelle qui faisaient des ravages. Ces temps-ci, aux abords de l’usine GAZ durement frappée par la crise économique, alors même que le quartier se vide de ses âmes, les cages d’escaliers sont jonchées de seringues. Impossible de prendre le métro sans se voir proposer une dose d’héroïne pour la modique somme de 2,5 dollars. Une injection d’héroïne est désormais moins chère qu’une bouteille de vodka. La dose qui a failli tuer Makh-
La Russie veut la destruction immédiate des champs de pavot afghans contre l’avis des américains
nenko ne représentait qu’un gramme sur les 70 tonnes d’héroïne sortis des champs de pavot afghans et qui envahissent le territoire russe. La drogue traverse l’Asie centrale dans de petits sacs plastiques de poudre blanche, que certains contrebandiers dissimulent à l’intérieur de jeunes oignons ou de jeunes choux, laissant le légume pousser tout autour jusqu’à recouvrir complètement l’enveloppe des sacs. D’autres « mules » placent plus simplement les sacs dans leurs vêtements et leurs bagages à main. La position de la Russie, qui affirme qu’il faut immédiatement procéder à la destruction des champs de pavot afghans, constitue un point de tension avec les États-Unis, qui considèrent, pour leur part, qu’une éradication du pavot pourrait nuire à l’opération militaire en cours en Afghanistan. Cela provoquerait la colère des paysans, qui pourraient ensuite décider de soutenir les talibans. La Russie ne doit donc compter que sur elle-même pour réparer les dégâts. Or, les cures de désintoxication pratiquées en Russie restent très en retard sur ce qui se fait à l’Ouest. Le pays rejette les méthodes de substitution et dans certains centres, les patients sont encore enchaînés à leur lit, hurlant et laissés à leur souffrance durant les premiers jours de manque. Le centre Exit de Nizhny fait figure d’exemple en Russie. Les patients y reçoivent le traitement
Expert
L’opium : un mal nécessaire Pierre-Arnaud Chouvy
Géographe chargé de recherche au CNRS
Si les insurgés afghans bénéficient désormais, dans une certaine mesure, de l’économie de la drogue, c’est principalement en raison de la grande pauvreté de l’Afghanistan et de sa population majoritairement rurale. Le recours à la culture du pavot constitue en effet une des seules alternatives dont une grande partie de la paysannerie dispose pour tenter d’assurer sa sécurité alimentaire. Au grand dam de la Russie, les États-Unisont récemment renoncé à l’éradication forcée du pavot, désormais jugée doublement contreproductive. Car, outre le fait que l’éradication n’est pas viable,
nécessaire dans huit unités résidentielles de soins différentes en périphérie de la région de Nizhny Novgorod, au milieu d’un cadre idyllique : une déclinaison de la campagne russe en champs d’orge et forêts de bouleaux. Leurs pires journées de souffrance passées, les patients d’Exit s’entraident pour réapprendre à vivre au quotidien, selon la méthode dite des « Douze étapes », et à guérir de leur dépendance
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Le deuxième de ces trois dossiers concerne indirectement les intérêts de l’Union européenne. Il s’agit de la proposition de fusion entre les deux géants gaziers, russe et ukrainien, Gazprom et Naftogaz. Officiellement, l’Union européenne considère que la question relève de la compétence des pays concernés. Mais elle va en étudier les conséquences possibles pour ses consommateurs. Car plusieurs coupures d’approvisionnement en gaz de ces dernières années, causées par des conflits entre la Russie et l’Ukraine, ont beaucoup agacé les Européens. L’amélioration des relations entre Ukraine et Russie consé-
cutive à l’élection du président prorusse Viktor Yanoukovitch, rassure déjà à Bruxelles. Sur la question des visas, l’Union européenne et la Russie déclarent œuvrer pour la libre circulation des personnes, mais vingtcinq ans après la disparition du rideau de fer, les Russes désirant se rendre en Europe continuent de se heurter au coût des visas et aux lenteurs administratives. « Pour l’opinion russe, une seule chose importe : la libre circulation des personnes », affirmeVyatcheslav Nikonov, député du parti majoritaire Russie Unie. S’ajoutent de nouvelles craintes, comme la crise grecque ne détourne l’attention de l’Union européenne vers des sujets plus pressants. Les observateurs critiques en-
vers la politique intérieure et étrangère russe déplorent l’effet induit des soucis liés à la dette publique étranglant plusieurs pays de la « vieille Europe », et d’une Pologne obnubilée par son récent rapprochement avec la Russie dans le sillage de l’accident aérien de Smolensk : ils en concluent à l’absence de toute volonté de critiquer la Russie sur les droits de l’homme, la liberté de la presse ou encore sur la violence qui continue de ravager le Nord-Caucase. « La Pologne a quelque peu basculé du côté du pragmatisme, ce qui donne davantage de poids au concept de partenariat de modernisation », résume Andrew Wilson. Il suggère que l’Union européenne envisage d’emprunter le
elle pousse les paysans afghans d’opium, privés de cette ressource, dans les bras des talibans et accentue la pauvreté, qui est la cause première du recours à la production d’opium. Ce dont l’Afghanistan a désormais le plus besoin, notamment pour diminuer et enrayer sa production d’opium, c’est de paix et de développement économique. Éradiquer, par contre, reviendrait à supprimer brutalement un tiers de l’économie d’un des pays les plus pauvres du monde s’attachant à sortir de 30 ans de guerre. Cela aggraverait l’instabilité de l’Afghanistan et risquerait de mener à l’augmentation de sa production d’opium. Pierre-Arnaud Chouvy est l’auteur de Les territoires de l’Opium (Ed. Olizane)
psychologique. Ils fendent du bois pour se chauffer, préparent leurs propres repas et prient ensemble autour de leur prêtre. Ce dernier, lui-même ancien toxicomane, estime que « l’héroïne est comparable à une arme chimique, capable de détruire notre société tranquillement, presque en silence ». La version complète sur www.lefigaro.fr/larussiedaujourdhui
chemin de la moindre résistance, celui-là même que l’OTAN a privilégié dans ses relations avec la Russie. La nouvelle façon de procéder pourrait être de moins s’apesantir sur les sujets controversés tels que les réformes démocratiques et les droits de l’homme. « Il n’y a personne en Europe, y compris dans la ‘nouvelle Europe’, pour se soucier de ce qui se passe en Russie », constate Lilia Chevtsova, une spécialiste du Centre Carnegie de Moscou. « Tout le monde a décidé de courber l’échine à chaque fois que Moscou fait pression ». Il est fort probable qu’aucun des points figurant à l’ordre du jour du sommet de la semaine prochaine ne débouchera sur un accord engageant les participants. L’événement est considéré comme un moyen d’accélérer une dynamique de relation de travail existante.
Depuis cinq ans, l’Institut biomédical de Moscou (IMBP) et l’Agence spatiale européenne (ESA) développent de concert le programme « Mars 500 ». Six volontaires (trois Russes, un Chinois, et deux Européens) vont être enfermés pendant 520 jours - le temps d’un aller-retour et d’un bref « amarsissage » - dans des conditions très proches de la réalité, l’apesanteur et les radiations cosmiques en moins. Les six hommes vivront dans un module compact, construit au cœur de l’IMBP, qui reproduit l’espace d’une navette spatiale et la surface de la planète rouge. L’objectif de l’expérience est d’étudier les risques psychologiques et physiologiques que comporte une isolation totale, sur une très longue durée, dans l’espace confiné d’un vaisseau spatial, où tout est strictement rationné, de l’eau au sous-vêtements. Les volontaires prêteront aussi leurs corps à la science : une centaine d’expériences biomédicales seront menées par divers laboratoires. « Tout contact avec l’extérieur sera totalement coupé, plus rien ne pénétrera dans le module une fois le voyage commencé », explique Romain Charles, un ingénieur français de 30 ans, en poussant une lourde porte blindée. L’accès au module se fait par la salle de sport. C’est ici que les volontaires passeront une grande partie de leur temps, pour se maintenir en forme, et procéder à des expériences. Un bonnet muni d’électrodes permettra, par exemple, de mesurer l’impact du sport sur l’humeur. Dans le module d’habitation, les conditions sont spartiates. L’équipement de la cuisine est réduit au micro-onde, celui du salon à la télé. Seules des chambres exiguës de 3 m² composent l’espace vraiment personnel. « Chacun emmène son ordinateur, chargé de musique, photos et films », (se) rassure Romain Charles, qui avoue ne rien craindre dans cette aventure, à part le manque de soleil et de la famille, un peu. Le contact sera maintenu, mais strictement rationné lui aussi. Elena Feichtinger, chef du projet pour l’ESA, sera le médiateur entre les captifs et le monde extérieur. « Ils pourront envoyer des messages succins à leurs proches. On les tiendra au courant de l’actualité dans le monde, mais
l’information sera sélectionnée par des psychologues », préciset-elle. « Mars 500 », c’est un peu un Big Brother scientifique : la vie dans le module fera l’objet d’une surveillance vidéo 24h/24, par un médecin et un technicien, qui agiront en cas d’incident grave. Mais les volontaires sont entraînés pour parer à toutes sortes d’éventualités. « La spécificité d’un vol sur Mars c’est l’autonomie totale de l’équipage, aucun rapatriement précoce ne sera possible, aucune intervention extérieure », insiste Evgueni Demin, le directeur technique de l’IMBP. À partir d’une certaine distance, il y aura un délai allant jusqu’à 40 minutes dans la réception des messages, aucun travail ne pourra être accompli en communication directe avec la Terre. « Nous expérimentons des méthodes de premier secours utilisables sans formation médicale », explique Julien Graf, interne à l’université de médecine de Mayence. « Même s’il y
« Mars 500 », c’est peu un Big Brother scientifique avec une surveillance vidéo 24h/24 aura toujours un médecin parmi les passagers, les membres de l’équipage doivent tous pouvoir se porter secours les uns aux autres ». Les cosmonautes se prêtent très consciencieusement à tous les exercices. Bien sûr, l’impression de participer à un grand jeu de rôles ne leur est pas étrangère. Mais cette conscience de « jouer » ne devrait pas, selon Romain Charles, affecter fondamentalement les résultats de l’expérience. Un vrai voyage vers Mars comporte d’immenses dangers et d’énormes sacrifices. Mais la motivation est à la démesure du risque. La simulation suppose moins de risques et moins de motivation aussi. Pour autant, son impatience de fouler le sol de Mars n’est pas simulée, elle. Lors d’une mission de 30 jours, trois des volontaires débarqueront sur la surface de la planète recréée dans l’une des unités du module, vêtus de vrais scaphandres. Depuis quatre mois, les futurs marsonautes s’entraînent quotidiennement et apprennent à se connaître, en attendant de « décoller » début juin. Que ce soit pour participer aux petits pas de l’humanité ou pour éprouver leurs propres limites, c’est avec satisfaction qu’ils se sont fait les fiers cobayes d’un projet vieux comme l’astronautique.
mars500.imbp.ru
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Les futurs marsonautes s’habituent aux scaphandres « Orlan-E » dans le module qui reproduit la surface martienne.
Société
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI fr.rbth.ru communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO
Entretien Dmitri Medvedev rejette dos à dos stalinisme et révisionnisme antisoviétique
Sport Une première franco-russe à la voile
La guerre a été gagnée par le peuple, pas par Staline L’opinion dominante en Europe est que l’Allemagne fasciste a été vaincue par les Alliés. Le fait que Berlin a été pris par l’Armée rouge et l’énormité des pertes de l’URSS dans la guerre n’y sont quasiment connus que des historiens. La vérité est que l’armée hitlérienne a subi presque les trois quarts de ses pertes sur le front de l’Est, dans les batailles avec l’URSS. Environ 70% de ses pertes matérielles, en matériel militaire, lui ont été infligées par nos soldats.
On ne peut pas ignorer la mémoire historique des peuples, qui varie selon les pays. Que doit-on faire pour que tous soient reconnaissants envers ceux qui ont péri dans la lutte contre le nazisme ?
Dmitri Medvedev répondant aux questions du quotidien Izvestia
Bien entendu, chaque pays a son histoire et il serait par exemple insensé de dire que les événements d’après-guerre n’ont apporté que prospérité aux pays libérés. Nous devons comprendre que si l’URSS et les pays de la coalition antihitlérienne ne l’avaient pas libérée, l’Europe serait tout autre. Elle ressemblerait probablement à un grand camp de concentration qui travaillerait pour un seul État. D’un autre côté, les événements d’après-guerre forment une tout autre période de l’histoire qui a été complètement idéologisée et il est clair que l’URSS avait en tant qu’État ses propres intérêts. Pour parler clairement, le régime qui s’est formé en URSS ne peut pas être qualifié autrement que de totalitaire.
Dans certains pays, des criminels nazis sont actuellement héroïsés. C’est très triste. Personne ne dit que l’URSS d’après-guerre était irréprochable. Mais on n’a pas le droit de traiter les victimes de bourreaux. Ceux qui mettent sur le même plan le rôle de l’Armée rouge et celui des envahisseurs fascistes commettent un crime moral. En ce qui concerne l’opinion officielle des autorités sur Staline, depuis la création du nouvel État russe, elle est claire : Staline a commis de nombreux crimes contre son peuple. Malgré le fait qu’il ait beaucoup travaillé et que le pays ait progressé sous sa direction, ce qu’il a fait à son propre peuple est impardonnable. Les gens qui apprécient ou haïssent Staline ont le droit d’avoir
leur point de vue. Et il n’est pas étonnant que de nombreux vétérans appartenant à la génération des vainqueurs aient une attitude positive envers Staline. Je pense qu’ils en ont le droit. Par contre, ce genre d’attitude personnelle ne doit pas influencer l’opinion officielle.
Le 16 mai , neuf équipages de multicoques de la classe Multi50 ont pris la mer au départ de Saint-Gilles Croix-de-vie, pour la première édition de la course « Vendée-Saint-Pétersbourg ».
Quelle trace la Deuxième Guerre mondiale a-t-elle laissée au sein de votre famille ? Mes deux grands-pères étaient combattants, ils sont tous les deux passés par les épreuves de la guerre. Enfant, j’allais chez mon grand-père Afanasy à Krasnodar, il me parlait de la guerre. Cela m’impressionnait beaucoup. Il s’en souvenait toujours avec émotion, les larmes aux yeux. Il racontait des choses dont on ne parlait pas trop dans la presse. Il a combattu à plusieurs endroits, il a été grièvement blessé et a reçu différentes décorations et médailles. Mon grand-père Veniamine m’a également beaucoup parlé de la guerre, de ses sentiments de l’époque. Il me confiait à quel point il était difficile de tirer sur des êtres humains, éprouvant de commettre cet acte tout en sachant que l’on défendait son pays, ses proches contre les envahisseurs qui avaient fait irruption sur notre territoire et tuaient nos compatriotes, brûlaient nos villes et nos villages. C’est quelque chose de très personnel, une chose à laquelle je ne réfléchissais pas étant jeune. Mais avec l’âge on commence à comprendre ce qu’est la première ligne, le face-à-face avec l’ennemi.
Si d’ordinaire les courses océaniques ont des destinations transatlantiques, la régate « VendéeSaint-Pétersbourg » innove en mettant le cap au nord. C’est une première qu’offre cette course en multicoques lancée sur un parcours atypique qui longe 14 pays, traverse un océan - l’Atlantique -, et trois mers - la Manche, la mer du Nord et la Baltique. Cette épreuve a été imaginée dès 2008 par les autorités vendéennes, pour être disputée tous les quatre ans, en alternance avec leVendée Globe. « C’est une course inédite et sportive qui s’avère être, pour sa première édition, l’événement sportif phare de l’année croisée France-Russie », souligne Marietta Trichet, viceprésidente de la SAEM Vendée Océans. Neuf skippers de grande renommée étaient au départ. Un succès pour les organisateurs qui regrettent cependant qu’aucun équipage russe ne soit présent.
Immigration Moscou réfléchit à une nouvelle politique migratoire
10% des salariés sont des immigrés Les immigrés occuperaient une part bien plus importante de la population salariée russe que ne l’indique le rapport publié le 31 mars par l’ONU. Moscou se penche sur sa politique migratoire. Alex Anishyuk
The Moscow Times
La Russie comptait 2,4 millions d’immigrés officiellement enregistrés en 2008, mais le chiffre réel serait probablement trois fois plus élevé, selon le rapport sur l’évolution de la situation démographique en Russie établi par l’Organisation des Nations Unies. « En prenant en compte les zones d’ombre du marché du travail, les étrangers travaillant actuellement en Russie représenteraient près de 10% de la masse salariale », indique le rapport. « Les immigrés illégaux occu-
pent principalement des emplois mal payés que les Russes refusent ». Les actifs exerçant un emploi sont près de 74,5 millions, soit 52% de la population russe, selon les données de février 2010 du Service national des statistiques. Le rapport félicite les autorités pour la simplification de la procédure d’enregistrement des immigrés et l’amélioration du contrôle aux frontières, mais il précise cependant que le pays ne dispose toujours pas d’une approche systémique. « La Russie est toujours à la recherche d’une politique migratoire efficace pour résoudre son problème démographique », dit le rapport. « La pénurie de maind’œuvre et les risques posés par la migration illégale sont sousestimés ». Une loi régissant le statut des
La Russie compterait environ 7 millions de travailleurs immigrés
travailleurs étrangers est entrée en vigueur en 2007. Elle exige que ceux-ci présentent leur passeport, leur carte de migration et s’acquittent d’une taxe pour obtenir une autre carte les autorisant à exercer une activité professionnelle. La loi permet aux migrants d’obtenir un permis de travail et de changer d’employeur librement, alors qu’auparavant, le travailleur étranger dépendait de son premier employeur pendant toute la durée de son permis de travail. Cette mesure li-
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Maureen Demidoff
spécialement pour la russie d’aujourd’hui
bératoire est remise en cause : Vladimir Poutine a promis d’associer chaque migrant à un employeur particulier pour mieux contrôler les flux de travailleurs étrangers. Les temps ont changé, explique Nikita Mkrtchyan, chercheur à l’École supérieure d’économie : si les premières étapes de la réforme ont permis à la Russie de tirer profit de l’immigration, la récession a forcé le gouvernement à repenser sa stratégie.
« Les Russes n’ont que des monocoques et ne connaissent pas le maniement des multicoques, c’est pourquoi il n’était pas envisageable de constituer un équipage russe. Par contre, nous allons accueillir des navigateurs russes à Saint-Gilles Croix-devie pour les former afin qu’ils participent à la prochaine édition, en 2014 », explique Marietta Trichet. Entre les navigations côtières, la gestion du trafic maritime, les changements de cap, les passages de détroits et une météo aléatoire, l’épreuve justifie pleinement son format de course en équipage de trois marins. « C’est une course tactique et technique. De ce fait, elle sort de l’ordinaire », explique Franck-Yves Escoffier, grand favori de cette édition et leader incontesté de la classe Multi50. Et de conclure : « C’est l’équipage le plus malin qui arrivera en premier à SaintPétersbourg ». Les premiers bateaux sont attendus le 21 mai au pied de la forteresse Pierre et Paul pour une escale de dix jours, avant l’étape retour du 31 mai. Les quais de la Neva accueilleront alors, pour la première fois, une course de multicoques. Un spectacle inédit pour cette capitale culturelle.
notes de lecture
Le regard des universitaires
Propos recueillis par Vitaly Abramov pour Izvestia
Igor Kolikov_Pressphotos
Staline était à la tête du pays qui a vaincu le fascisme. Mais est-ce que cela donne le droit de faire un héros d’un tyran qui a commis des crimes contre son propre peuple ? Hitler, lui, par exemple, a réglé le problème du chômage en Allemagne, il a fait construire des autoroutes. Or, il n’y existe pas d’autoroutes portant le nom d’Hitler. Et on ne brandit pas de banderoles à son effigie. Il y a des choses évidentes : la Deuxième Guerre mondiale a été gagnée par notre peuple et pas par Staline, ni-même les généraux, quelle qu’ait été l’importance de leur fonction. Certes, leur rôle a été très important, mais en même temps la guerre a été gagnée par les gens, au prix d’efforts surhumains et d’un nombre de vies immense.
La Vendée met le cap sur Saint-Pétersbourg
Éditions des Syrtes
vladimir rodionov_ria novosti
À l’occasion du 65ème anniversaire de la victoire sur le fascisme, le président russe a accordé un long entretien au quotidien « Izvestia », dont nous publions quelques extraits.
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TitRe : La Russie Contemporaine Édition : Fayard
Près de 30 chercheurs français travaillant actuellement sur la Russie se sont regroupés sous la direction de Gilles Favarel-Garrigues et Kathy Rousselet, pour livrer leur vision de l’évolution de la vie des Russes à l’époque contemporaine. L’ouvrage imposant a paru en avril à l’initiative de Sciences Po et du CERI (Centre d’études et de recherches internationales, unité mixte Sciences Po – CNRS). La partie chronologique va de la mort de Staline en mars 1953 à l’implosion du système soviétique, puis présente la Perestroïka et ses suites jusqu’à la présidence Medvedev. Le récit événementiel se mêle à des « papiers d’angle », comme disent les journalistes, permettant des études thématiques inscrites dans leur contexte et placées dans une dynamique. Le parti-
pris des auteurs est de livrer un maximum de faits autour de considérations sur le processus de « démocratisation » postsoviétique. Cette construction permet de développer des sujets comme la vie politique au cours des vingt dernières années, les réformes constitutionnelles et administratives, la guerre intérieure et extérieure… Les questions stratégiques, et le retour d’une volonté de puissance sont traitées séparément, de même que la vie économique des années de la révolution libérale, au cours desquelles la dictature bien réelle du marché a pris la place d’une dictature bien théorique du prolétariat… Avec les conséquences sociales qui n’échappent pas à l’examen. L’ouvrage aborde les nouveaux modes de vie, les nouvelles couches sociales, le rôle très particulier et fascinant de Moscou qui siphonne à elle seule les trois quarts de la richesse du pays. La vie sportive et l’environnement ne sont pas oubliés, de même que la vie culturelle. La vie théâtrale, littéraire et musicale de ces dernières années est décrite d’une manière concise mais étonnamment complète. La question religieuse et les identités nationales au sein de la Fédération sont traitées, mais cette fois sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité. On peut regretter quelques impasses mais il n’est sans doute pas possible de parler de tout et le livre fait déjà plus de 500 pages… Préparé par Dimitri de Kochko
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Économie
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI fr.rbth.ru communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO
Une fortune dans la douche Megrelis peignit lui-même les murs de la première boutique de sa future chaîne baptisée « Dlia doucha i douchy » (jeu de mots signifiant « Pour la douche et l’esprit »), n’ayant pas de quoi payer un ouvrier. Son calcul était simple. À l’époque, on ne trouvait pas en Russie de gel douche de qualité à des prix raisonnables. « Des gels douche coûtant entre 20 et 50 dollars, ce n’est pas normal ! », se souvient-il. Il n’a jamais douté que les Russes pensaient de même. C’est avec émotion que Megrelis évoque l’inauguration de son premier magasin sur Tchistye Proudy, dans le centre de Moscou : « Dès le premier jour, nous avons compris que le succès serait au
DOSSIER
Nicolas Megrelis NATIONALITÉ : français ÂGE : 41 En Russie : depuis 1993
business : L’entreprise « Dlia doucha i douchy », fondée en 1998, est composée de 225 boutiques et vend des produits pour le soin du corps et la thérapie aromatique, le bain et le sauna. La chaîne possède également 11 magasins « Au nom de la rose ». État civil : épouse américaine et quatre enfants.
rendez-vous ! » La marchandise partait vite, et la clientèle affluait. Une fois de plus, Megrelis sortait gagnant de la crise, malgré son endettement personnel et les problèmes financiers du pays. Les ventes de la chaîne augmentaient irrésistiblement. Son expérience d’importation des cosmétiques lui fut d’une grande utilité. Les produits venaient d’Italie, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud entre autres. Ses fournisseurs, de petits entrepreneurs étrangers dont certains fabriquaient leurs crèmes à la maison, eurent accès à l’immense marché russe. Pendant ce temps, le pays changeait. C’était le début de la décennie 2000, plus stable. De célèbres concurrents étrangers ouvrirent des boutiques en Russie, mais sans affecter les affaires du jeune homme : « Le marché est tellement vaste qu’il y a de la place pour tout le monde, je ne sens pas la concurrence ». Les bandits en vestes couleur framboise, omniprésents jusque-là, finirent par disparaître ou se ranger. Aujourd’hui, les entrepreneurs n’ont plus affaire à la mafia ou aux fonctionnaires corrompus, ils doivent désormais trouver un terrain d’entente avec le fisc. « En France, l’inspecteur te dit combien tu dois, et tu lui réponds en combien de fois tu pourras payer. Ici, en Russie, ils exigent tout, tout de suite, et peu importe si, au passage, je suis contraint de licencier des gens pour trouver les fonds », s’indigne Megrelis.
France Telecom dévoile sa stratégie russe
anna artemeva
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en bref
La dernière crise économique mondiale a touché la Russie plus tard que les autres, mais ne l’a pas contournée. « Avant la crise, nous ne faisions que croître, et maintenant, bien sûr, les ventes ont chuté, de beaucoup en janvier, mais depuis mars la situation est stable. Nous avons dû réduire le personnel, de 1 000 à 800 employés », explique l’entrepreneur avec regret. Mais il remarque aussi que « ceux qui sont restés apprécient davantage la possibilité de gagner de l’argent. Avant la crise, beaucoup saisissaient la moindre occasion pour trouver un autre emploi. Aujourd’hui, ils apprécient leur
Exposition L’innovation russe au-devant du grand public parisien
situation ». Se refusant à des comparaisons entre personnel russe et personnel français, Megrelis note que « partout il y a des gens qui travaillent bien et d’autres qui travaillent mal ». Ce temps des changements a été éclairé par une nouvelle idée. Avant la crise, Megrelis avait acheté deux franchises françaises, « Jeff de Bruges » et « Au nom de la rose ». Le chocolat s’est mal vendu, mais les fleurs ont eu du succès, même en période difficile. Le « truc », c’est que ses roses coûtent 40-70 roubles (1-1,8 euros), ce qui est incroyablement peu pour Moscou. De plus, les fleurs sont toujours
fraîches et le personnel irréprochablement attentionné avec les clients. Megrelis possède onze magasins de fleurs à ce jour, et compte en ouvrir davantage. Il partage volontiers son expérience avec les autres entrepreneurs français qui se sont lancés ou prévoient de se lancer dans les affaires en Russie. Il en parle ainsi : « Il faut absolument éviter de contourner la loi ici, ne jamais donner de pots-de-vin, sinon tu t’embourbes, et c’est terminé. Et toujours se rappeler que tu es un invité. Je dirais la même chose à n’importe quel étranger en France. Il ne faut jamais l’oublier ».
La coopération économique entre la Russie et la France sera au cœur de l’exposition présentée au Grand Palais du 11 au 16 juin prochain.
La construction d’une usine du géant des engrais russe met face à face des écologistes méfiants et les élus locaux, pressés de créer des emplois.
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Fleurons industriels
La chimie russe divise les Dieppois
Paul duvernet
Paul duvernet
Cette « Exposition nationale russe », parrainée par la Russie et inaugurée par le Premier ministre Vladimir Poutine, retrace la longue histoire des rapports économiques et humains entre la France et la Russie. Moscou espère profiter de l’occasion pour montrer un autre visage que celui d’une industrie soviétique délabrée. L’entrée dans la nef du Grand Palais prendra la forme d’une installation ultramoderne évoquant l’art populaire russe. « Ce sera la représentation d’une combinaison organique des symboles connus de l’art appliqué russe à travers les technologies multimédia », dixit le communiqué de presse. Attendez-vous à croiser de monumentales Matriochki de 6 à 13 mètres de haut. L’exposition est divisée en quatre parties : l’histoire des relations franco-russes ; l’industrie de pointe ; la coopération industrielle avec la France ; enfin le potentiel des régional et touris-
Elles ne sont pas légion, les entreprises russes à oser investir dans l’Hexagone. Moins nombreuses encore sont celles prêtes à entrer dans des secteurs politiquement sensibles comme l’industrie chimique. Le leader russe des engrais chimiques Uralchem a relevé le défi en annonçant à la fin de l’année dernière son projet de construire une usine de transformation d’engrais d’une capacité de 250 000 à 300 000 tonnes par an, dont la mise en service est prévue pour l’été 2011. Mais une polémique monte en puissance depuis avril dernier. Les « verts », par la voie puissante de Marie-Christine Blandin, ont fait ressurgir le spectre de l’accident de l’usine chimique d’AZF à Toulouse, qui avait coûté la vie à 31 personnes en 2001. « Uralchem n’est pas sans rappeler AZF, dont les rejets toxiques avaient conduit à l’explo-
spécialement pour russie d’aujourd’hui
LA russie d’aujourd’hui
vous invite :
Le Grand Palais abritera les dernières innovations russes
tique russe. Car il s’agit bien de prouver aux acteurs économiques français et plus largement au grand public que la Russie possède des capacités qui vont bien au-delà de l’exportation des hydrocarbures et des métaux. En matière d’innovation, la Russie va montrer ses dernières réalisations dans les secteurs de l’infrastructure, des technologies de l’information, de la santé et de l’écologie. Ce dernier domaine fait l’objet d’une attention particulière des industriels français, conscients de l’immense marché
ouvert par les efforts russes visant à améliorer l’efficacité énergétique. En matière de coopération industrielle, l’exposition mettra en valeur le lanceur Soyouz à Kourou, la présence de Total et de Gaz de France dans les projets énergétiques russes, et les avancées d’Alstom sur les voies ferrées russes. L’industrie russe a malgré tout un long chemin à faire encore pour démontrer sa compétitivité, mais cette exposition est un pas dans la bonne direction.
sion de 2001 » estime l’écologiste, tandis que son compère, le sénateur vert de Paris Jean Desessard, estime que « laisser Uralchem s’implanter à Dieppe, c’est ne rien avoir retenu de la leçon d’AZF ». Les engrais chimiques restent un sujet explosif... Pourtant, le groupe russe assurent respecter à la lettre la législation sur l’environnement et attend avec impatience le feu vert des autorités françaises après avoir gagné le soutien du maire Sébastien Jumel. Uralchem estime logique une implantation en France, car c’est le marché n°1 de sa production de nitrates d’ammoniaque. Le printemps s’annonce difficile pour le groupe russe. En plus des problèmes posés par son implantation à Dieppe, la conjoncture financière défavorable l’a contraint à renoncer au dernier moment à son introduction à la bourse de Londres. Parallèlement, Uralchem fait l’objet à domicile d’assauts judiciaires de ses concurrents russes FosAgro et Silvinit. Une campagne de presse se déchaîne au plus mauvais moment alors qu’Uralchem doit trouver d’urgence une solution pour refinancer sa dette d’1,4 milliards de dollars.
Le groupe français est courtisé par des partenaires potentiels russes de premier plan. Rostelecom (ex monopole d’État), le n°1 de la téléphonie mobile MTS, CBOSS et d’autres sont intéressés par une collaboration avec l’opérateur dans les pays de la CEI et l’Afrique, dixit un communiqué du ministère de l’Industrie russe. De son côté, France Telecom envisage un changement d’image complet s’appuyant sur la marque Orange dans les deux à trois ans à venir. Le point clé de la stratégie du groupe français est son orientation exclusive vers la clientèle d’entreprise. Il s’agit dans un premier temps d’élargir la gamme de services aux sociétés. France Telecom reste modeste dans ses objectifs et ne prétend qu’à une part relativement faible du marché russe. Le groupe espère aussi prendre part au marché du passage à la télévision numérique.
La consommation repart très vite
SANG TAN_ap
Les enseignes de grande distribution comme Auchan peuvent se frotter les mains : les Russes remettent la main au portemonnaie après une année 2009 particulièrement avare. Magnit, le deuxème distributeur russe, a enregistré une augmentation de 31,5% de ses ventes en mars (glissement annuel). La banque d’investissement Renaissance Capital table pour sa part sur une croissance de 14% des ventes sur l’année 2010. L’alimentaire n’est pas le seul segment concerné. Les ventes de voitures ont progressé de 20% en avril en glissement annuel.
Affaires À SUIVRE pour en savoir plus, notre site
www.fr.rbth.ru
HeliRussia 2010, salon des industries de l'Hélicoptère Du 20 au 22 mai 2010 Crocus Expo, Moscou
Conférence franco-russe sur la collaboration dans la construction et l'exploitation d'hélicoptères, avec des ateliers sur les normes d'aviation américaines et européennes, ainsi que sur les innovations. Ce salon accueillera un pavillon français. ›› http://www.helirussia.ru
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Industrie automobile PSA et Mitsubishi rejoignent le groupe des constructeurs étrangers assemblant en Russie
Kalouga sort ses 1ères Peugeot
Nikita Afanasyev
spécialement pour la russie d’aujourd’hui
Les investissements cumulés dans la construction de l’usine des deux sociétés dans la région de Kalouga ont atteint 470 millions d’euros. PSA Peugeot Citroën détient 70% de l’entreprise et Mitsubishi Motors 30%. L’usine a commencé à produire des automobiles Peugeot 308, qui devraient être suivies par des Citroën С4 et des tout-terrain Citroën C-Crosser, Peugeot 4007 et Mitsubishi Outlander. L’usine devrait atteindre sa capacité maximale de production en 2012. La chaîne d’assemblage devrait alors produire 85 000 voitures Peugeot et Citroën et 40 000 toutterrains des trois marques. L’administration de la région de Kalouga affirme que le site de 145 hectares qui accueille l’usine a été proposé avec les meilleures conditions possibles, notamment des abattements fiscaux prévus par la législation régionale. Lors de l’inauguration de l’établissement, les chefs des compagnies membres de l’alliance ont déclaré qu’ils comptaient continuer à investir dans le développement ultérieur du site de Kalouga et prévoyaient d’attirer des fournisseurs dans le parc industriel Rosva, où s’élève déjà l’usine automobile flambant
neuve. Actuellement, six parcs industriels sont en service dans la région, et trois d’entre eux ont mis sur pied un « cluster » regroupant des constructeurs automobile et des frabricants de composants. PSMA Rus est le troisième grand projet automobile réalisé par une célèbre marque internationale sur le site du cluster automobile. Déjà présent avec son usine, l’allemand Volkswagen a devancé PSA de deux ans. Le volume des investissements directs dans la construction de l’usine VW a atteint 570 millions d’euros, et 774 millions d’euros au total ont été investis dans le projet. Volkswagen Group Rus a réuni en Russie la production de ses marques Skoda et Audi, ainsi que de véhicules légers et commerciaux Volkswagen. La surface totale du site appartenant à la compagnie atteint 209 hectares, dont 147 sont occupés par l’usine de fabrication automobile proprement dite, 52 accueillant un entrepôt d’importation. Le reste du site accueillera des concessionnaires ainsi qu’un hôtel. Dans la foulée de Volkswagen, des producteurs de composants tels que Magna, Gestamp Severstal, et Severstal-Gonvari, Lear et d’autres se sont installés à Kalouga. Aujourd’hui, cette liste s’est allongée grâce à la compagnieYapp Rus, HT&L, HP Pelzer, Scherdel, Faurecia et BECEMA. Dmitri Abramov, directeur général de l’Agence régionale pour le développement de Kalouga, se veut confiant : « On peut avec
En chiffres
470 70% 30%
millions d’euros d’investissement au total des parts de l’usine reviennent à PSA des parts sont détenues par Mitsubishi
dmitry korobeynikov_ria novosti
Fin avril, Peugeot, Citroën et Mitsubishi ont inauguré ensemble une usine à Kalouga. Les experts estiment que la demande pourrait s’avérer en dessous des attentes.
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Chaîne de l’usine PSA-Mitsubishi. Les constructeurs tablent sur une production annuelle de 125 000 véhicules.
Les 4 clusters automobiles russes
certitude affirmer que la crise financière n’a pas mis un point final aux projets : c’est au contraire en son beau milieu que la compagnie Magna a entamé la construction d’une entreprise dans la région de Kalouga. C’est précisément en 2009 que la réalisation de projets de HP Pelzer, Scherdel, et Visteon a commencé sur des terrains en location ». Les effectifs de la nouvelle usine PSMA Rus s’élèvent pour le moment à 350 salariés. Comme l’ont annoncé les investisseurs étrangers lors de l’inauguration de l’usine, les effectifs devraient atteindre le chiffre de 1 820 en 2011
et s’élever à 3 000 en 2012. Le personnel suit une formation dans un centre spécialement ouvert à Kalouga. Toutefois, certains experts signalent différents problèmes inhérents aux perspectives de la nouvelle usine. Le vice-directeur du département des ventes de Torgmash Pavel Liamenkov estime qu’il serait plus profitable pour Mitsubishi de produire non pas des 4x4 Outlander, mais la berline Lancer, populaire en Russie. Ce véhicule était, avant la crise, un succès commercial, mais ses ventes s’étaient effondrées avec l’arrivée de la tourmente économique. La production de ce modèle particulier en Russie et, par conséquent, la baisse de son prix, sont susceptibles d’améliorer significativement les ventes de Mitsubishi sur le territoire russe. L’expert automobile Konstantin Prokhortsev estime quant à lui que le marché russe pourrait n’amorcer son redressement qu’en 2012. Dans ce cas, la nouvelle usine, tout comme les autres entreprises automobiles russes, ne parviendrait pas à atteindre son régime de production optimal dans les délais impartis.
Transports L’infrastructure autoroutière pourrait bientôt connaître une révolution avec la formule du péage
Premier tronçon pour l’autoroute semi-publique
Les autorités ont donné leur accord pour la construction du premier tronçon de l’autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg, à laquelle participe le groupe français Vinci. TIM GOSLING
BUSINESS NEW EUROPE
Se rendre de Moscou à Saint-Pétersbourg par la route en moins de sept heures et sans risquer sa vie en zigzagant entre les poids lourds ne sera bientôt plus un fantasme. Les travaux vont commencer cette année et le premier tronçon de 43 kilomètres au départ du périphérique extérieur
de Moscou va relier la capitale à la route de Saint-Petersbourg, longue de 650 kilomètres. Le chantier, dont le contrat a été signé le 26 avril dernier, devrait être achevé en trois ans. Le projet a été confié à la North West Concession Company, qui est en charge du reste du financement et compte sur l’aide de sa filiale mandataire, la société française Vinci, associée au groupe russe du développement de l’infrastructure N-Trans. Le gouvernement affiche ainsi sa volonté d’adopter une stratégie concertée pour améliorer le climat d’investissement du pays,
car il a négocié récemment une série de réformes pour soutenir les PPP. En même temps, ces réformes serviront de levier pour attirer les financements privés des infrastructures, notamment en faveur de nouvelles routes en Russie, un domaine négligé depuis une décennie. Malgré les inquiétudes concernant l’impact du programme PPP sur le budget fédéral, la structure du financement témoigne de l’engagement des autorités. Il y a trois ans, l’énorme somme d’un trillion de dollars a été débloquée pour le réaménagement des infrastructures rus-
« C’est maintenant ou jamais ! » Le marché financier russe a retrouvé tout son potentiel, estime Alexandre Scheglov, directeur général de la banque Zerich Capital Management. La crise est-elle passée ? D’après tous les indices objectifs – chiffres d’affaires, niveau des prix, etc. –, on peut dire sans crainte que le marché boursier russe est sorti de la crise. Pendant cinq à dix ans nous assisterons à une progression du marché, jusqu’à la prochaine crise. C’est le bon moment de faire des investissements à long terme. C’est maintenant ou jamais qu’il faut entrer en bourse pour prendre des positions solides. Il est évident que le marché ne va pas croître de façon homogène, des corrections importantes sont possibles. Le climat est
créé ici par les spéculateurs, il y a peu d’investisseurs à long terme, il n’y a personne pour contenir la volatilité. Des baisses ou des hausses de 30% sont normales sur le marché russe. Pourquoi l’indice RTS est-il inférieur d’un quart par rapport à son niveau d’avant-crise ? Une bulle s’était formée avant la crise. Dès 2007, certains experts mettaient en garde contre une surévaluation massive. En 2008, tout le monde a compris que la situation était malsaine, mais les investisseurs avaient du mal à croire à l’effondrement du marché dans une situation de croissance continue. C’est pourquoi la chute fut aussi brutale. Il faut se préparer à un retour aux mêmes niveaux élevés qu’avant. Cela ne se produira pas
en une ou deux années. Ce que nous observons actuellement est déjà un très bon niveau. Quellessontlesvaleursintéressantes pour les investisseurs ? Celles qui sont liées à la consommation. Ce secteur a souffert de problèmes d’endettement, mais du point de vue du volume des ventes, le secteur est déjà sorti de la crise. Le pouvoir d’achat commence à se rétablir. De plus, la part du commerce de détail organisé n’est pas aussi élevée en Russie qu’en Europe. C’est pourquoi, même si les revenus de la population n’augmentent pas, les grandes compagnies vont progresser grâce à l’absorption de plus petits concurrents. Propos recueillis par Vladislav Kouzmitchev
ses - principalement dans le domaine des transports. La crise a rapidement gelé cet effort, et les fonds de l’État ont été investis dans les aides sociales et les mesures indispensables pour maintenir l’économie à flot. Cependant, la question des infrastructures demeure essentielle et ce n’est pas un hasard si les compagnies maritimes et les ports font l’objet d’une nouvelle vague de privatisations. Les travaux de construction des routes ont commencé activement l’année dernière, le gouvernement ayant débloqué 42 milliards de dollars à cet effet.
L’accord prévoit que les investisseurs privés prendront en charge la partie du projet pour laquelle ils possèdent déjà une expertise. Il s’agit de la recherche des partenaires occidentaux et du financement permettant d’établir des liens avec une compagnie nationale qui a l’habitude de travailler dans les conditions climatiques difficiles de la Russie. Le 28 avril, deux jours après la signature du contrat de concession, un projet financier similaire de modernisation et d’exploitation de l’aéroport de Pulkovo, près de Saint-Pétersbourg a été signé pour 1,2 mil-
liards de dollars. Un autre contrat de 750 millions de dollars pour la construction d’une bretelle de contournement de la ville d’Odintsovo, dans la région de Moscou, sera conclu prochainement. Une note dissonante a quand même écorché ce concert de bonnes nouvelles. La BERD et la Banque européenne d’investissement, qui avaient conseillé le gouvernement dans son programme de PPP, se sont retirées de la concession suite aux plaintes des riverains de l’autoroute, dont le tracé passe en effet par une zone forestière protégée...
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Énergie À Ankara, Moscou joue la carte de l’exportation à forte valeur ajoutée
Énergie L’Ukraine cherche un nouvel équilibre entre la Russie et l’Union européenne
Kiev se rapproche de Moscou, mais pas trop !
La première centrale nucléaire de Turquie sera russe
L’élection du pro-russe Viktor Ianoukovitch a fait sauter le verrou entre les deux pays. Moscou se dépêche de transformer l’essai en multipliant les accords avec son ancien vassal ukrainien.
La Russie a signé un accord de 20 milliards de dollars pour construire la première centrale nucléaire turque. Le nucléaire devient l’un des principaux produits d’exportation russes.
Tim Gosling
business new europe
L’accord gazier avec Moscou va considérablement soulager les finances publiques ukrainiennes niennes était inespéré.Yanoukovitch est encore en rodage pour trouver un nouvel équilibre entre Moscou et Bruxelles. Le Premier ministre ukrainien Mykola Azarov a reconnu la nouvelle situation dans les relations entre les deux pays lors d’une réunion du cabinet ukrainien le 5 mai dernier, après que l’accord
Nicholas birch
grigry sysoev_itar-tass
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Viktor Ianoukovitch (ici aux côté de Vladimir Poutine) a clairement indiqué qu’il excluait une fusion ou un échange d’actifs gazier avec les russes sans la participation de l’Union européenne.
EN CHIFFRES
30%
de rabais sur le gaz reçu par l’Ukraine
$ 40mld
de manque à gagner pour la Russie
militaro-gazier a été signé. Il a précisé : « Désormais, nous ne doutons pas que l’Ukraine va renouveler rapidement son potentiel économique ». L’accord sur le gaz va transformer les finances publiques du pays et ouvrir la voie à la reprise des discussions sur le prêt du Fonds monétaire international, qui est resté en suspens. Cette mesure permettra au gouvernement ukrainien, en manque de fonds, de bénéficier de quelque 12 milliards de dollars pour l’aider à redresser l’économie du pays qui s’est retrouvée dans une situation chaotique au cours de la récente crise. Si la fusion entre Gazprom et Naftogaz Ukrainy allait de l’avant - ce qui apparaît désormais plus qu’improbable -, elle mettrait un terme à la querelle qui revient régulièrement sur la facture du gaz entre l’Ukraine et la Russie. Cette solution permettrait également d’assurer l’approvisionnement en gaz des
25 ans
supplementaires pour la base navale russe
pays de l’Europe occidentale sans interruption. Le mécanisme fonctionnera même si la Russie réduit l’approvisionnement pour l’Ukraine, comme cela s’est produit à plusieurs reprises au cours des dernières années. Le principal changement apporté par le nouvel accord consiste
Le Kremlin espère avec cet accord écarter Bruxelles des infrastructures gazières ukrainiennes dans l’énorme rabais accordé à Naftogaz. Moscou accepte de baisser la facture de de 337 dollars actuellement à 250-260 dollars pour mille m3 de gaz. Cette réduction permettra au gouvernement ukrainien de réduire son déficit de 12% du PIB à la fin de 2009 jusqu’à l’objectif de cette année de 5-6%.
L’entente sur le gaz est liée à la demande de la Russie concernant le renouvellement du bail de sa flotte dans le port de Sébastopol en Crimée, la principale base de la flotte russe dans la mer Noire. Cette question était l’une des principales pommes de discorde entre les deux pays. Yanoukovitch a décidé de prolonger ce bail de 25 ans en échange de 40 milliards de dollars. Cet accord a été approuvé lors d’une séance très agitée du Parlement ukrainien fin avril, qui s’est terminée par des jets d’œufs sur le président de l’assemblée, forcé de se retrancher derrière... un parapluie ! Par ailleurs, toute une série d’accords parallèles a été signée. Il s’agit notamment de l’ouverture du marché russe à l’exportation des tuyaux ukrainiens, et l’ouverture du marché ukrainien aux produits chimiques russes. Timothy Ash, analyste de la Royal Bank of Scotland, estime que « suite à l’annonce de l’entente militaro-gazière, les politiques pro-occidentaux ukrainiens vont sans doute exprimer leur colère, car selon eux cet accord n’est qu’une illustration du parti pris pro-russe du nouveau gouvernement, témoignant de l’érosion de la souveraineté de l’Ukraine ».
Télécommunication Le patron de Comstar joue la carte du haut-débit
Intégration fixe mobile Sergeï Pridantsev, président de la société « Comstar-OTC », estime que les gagnants sont les opérateurs qui ont su intégrer les services mobiles et fixes. Quels changements peut-on observer actuellement sur le marché des télécommunications russes ? Le marché des télécommunications russe est susceptible d’apporter pas mal de surprises dans un avenir proche. Le nombre de personnes qui ne peuvent plus imaginer leur vie sans Internet ne cesse d’augmenter. Pour l’instant, les ressources du segment haut-débit sont déjà bien développées. Regarder des programmes télévisés, des films
Sergueï Pridantsev
d’auteur, lire des livres, trouver des statistiques ou des informations, il est désormais possible de faire tout cela sur le Web.
Selon les estimations de diverses agences d’analyse, la croissance du marché des services Internet à « haut-débit » a atteint près de 30% en 2009. La clientèle de la société « Comstar » pour ce segment a augmenté plus vite que le marché lui-même, soit 41% de croissance annuelle représentant 1,3 million d’abonnés. À l’heure actuelle, le principal moteur de la croissance des opérateurs Internet est le haut-débit, tandis que les « communications téléphoniques via Internet » font de plus en plus souvent partie des services complémentaires proposés par les opérateurs. L’événement le plus marquant de l’an passé a été le lancement
du système mobile WiMAX. Cette technologie permet de « rester en ligne » à n’importe quel point de la ville – à part quelques bâtiments particulièrement « sourds » à travers les murs desquels les signaux radio ne passent pas. Le coût de l’abonnement dans ce cas est plus élevé que pour les postes fixes mais ce service cible les classes de revenu moyennes et supérieures. L’utilisateur doit être en possession d’un ordinateur portable muni d’un modem ou d’un « netbook » pour pouvoir avoir accès à ces services. Comstar par exemple a mis cette technologie du « netbook » au point sous la marque ColibriComstar.
Le contrat comporte une singularité : l’Agence nucléaire d’État russe Rosatom sera le propriétaire et l’opérateur d’une centrale sur un sol étranger. L’accord, conclu après un appel d’offre, a été signé par le directeur général de Rosatom Seguei Kirienko, qui faisait partie de la délégation du président russe Medvedev, en visite officielle à Ankara le 12 mai. Le ministre turc de l’Énergie, Taner Yildiz, a indiqué après la signature, que le contrat sera soumis au Parlement turc pour la ratification au cours des dix prochains jours. Le premier appel d’offre pour l’une des quatre centrales nucléaires a été lancé en septembre 2008. La première centrale, d’une puissance de 1,2 GW, sera construite à Mersin sur la côte méditerranéenne par un consortium entre la compagnie d’exportation détenant le monopole des équipements et des services nucléaires, Atomstroyexport, et la compagnie turque Park Teknik. Le terrain pour la construction sera octroyé gratuitement par le gouvernement, selon The Moscow Times. En contrepartie, la centrale vendra la moitié de sa production énergétique à la compagnie publique Tetas pour un prix fixe, le reste étant destiné à être commercialisé selon les
Le succès du nucléaire concrétise la volonté gouvernementale de diversifier l’économie russe leur ajoutée. Le succès du nucléaire apparaît désormais comme la première réalisation concrète du plan gouvernemental de diversification de l’économie russe. Cependant, le contrat turc n’est pas vraiment un accord d’exportation de la technologie nucléaire, mais plutôt un important investissement de Rosatom en dehors de la Russie. L’agence russe va dans un premier temps céder entièrement le site à une filiale, mais pourrait au final vendre 49% à des investisseurs privés. Selon Kirienko : « les investisseurs turcs sont très intéressés. Nous sommes également en pourparlers avec des investisseurs européens ».
nikolay korolyoff
Est-ce la fin de l’interminable guerre du gaz entre la Russie et l’Ukraine ? Le président ukrainien Viktor Yanoukovitch a approuvé l’accord d’entente à la fin du mois d’avril pour maintenir la Flotte de la mer Noire en Crimée pour 25 ans en échange d’un incroyable rabais de la dette de 40 milliards de dollars sur le gaz russe destiné à l’Ukraine. N’allons pas trop vite. Le président ukrainien a presque immédiatement douché l’enthousiasme du Premier ministre russe Vladimir Poutine, qui voulait aller plus loin avec la proposition de fusion du monopoliste russe Gazprom et de la plus grande compagnie gazière ukrainienne, Naftogaz. Le nouvel élu a tenu à renforcer sa position pro-européenne en politique étrangère en affirmant que toute fusion se fera uniquement après des discussions concertées avec l’Union européenne. « Si nous décidons d’entamer des pourparlers [à propos de la fusion] nous devrions à un certain stade y faire participer l’UE, car elle est le principal consommateur du gaz et notre partenaire principal », a déclaré Ianoukovitch. Or c’est exactement ce que veut éviter Moscou, qui tient à tout prix à écarter Bruxelles des infrastructures gazières ukrainiennes. Reste qu’un progrès aussi rapide dans les relations russo-ukrai-
lois du marché. Par ailleurs, 20% de bénéfices iront au gouvernement turc. La Russie caresse de grandes ambitions en vendant son savoirfaire nucléaire à l’étranger. À la tête de RosAtom depuis quelques années, Kirienko peut se targuer d’un nombre impressionnant de succès commerciaux. Derrière les ressources naturelles, le nucléaire est devenu le plus important secteur d’exportation pour la Russie. Et ce qui est primordial, c’est que la technologie et les services nucléaires représentent l’un des rares secteurs d’exportation russes à forte va-
La première centrale nucléaire russe aura une puissance de 1,2 GW
Est-ce que le propriétaire d’un netbook de ce type peut accéder à l’Internet lorsqu’il se trouve a l’étranger ? Bien sûr. Le Netbook est équipé de toutes les techniques de connexion mobile actuelle – 3G, WiMAX, Wi-Fi, EDGE. Et donc le client « reste en ligne » quel que soit le pays où il se trouve. En outre, Comstar élabore activement le projet FON – qui fait partie du système Wi-Fi international FON et compte plus de 1,5 million de « points chauds » dans le monde. Ce réseau peut être utilisé tant par les Russes à l’étranger que par les étrangers séjournant en Russie s’ils font partie d’un réseau. Donc, en voyage d’affaires ou touristique, vous pouvez rester en ligne de façon permanente. Quelles sont les perspectives de développement des communications mobiles et postes fixes sur le marché Internet russe ?
À mon avis, il n’y a pas de compétition entre les marches de l’Internet mobile ou à ligne fixe. Là où l’Internet mobile gagne en confort d’utilisation, il perd en vitesse de transfert d’information et de bande de transmission par rapport aux connections fixes à cause des limites posées par le partage des voies en fréquence, ce qui se répercute de manière négative sur les coûts du service. Les technologies à partir de lignes fixes ont également leurs limites : l’abonné est lié à un point fixe. Par contre, la vitesse de transmission des informations est pratiquement illimitée, ce qui est particulièrement important pour délivrer des fichiers de type lourd. Par exemple, il n’est pas possible de se passer de câble optique dans le cas de transmission de conférence vidéo en format 3D. Propos recueillis par Victor Kuzmin
Régions
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Rédigé avec le concours de Gazeta.ru.
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vadim smirnov
Plusieurs manifestations rassemblant jusqu’à 10 000 personnes - un chiffre énorme pour l’opposition russe - ont pris de court les autorités de Kaliningrad. sergey medvedev_photoxpress
igor stomakhin_photoxpress
Avant-poste du changement Comme cela arrive malheureusement souvent, le gouverneur a dû longuement patienter et parler à plusieurs opérateurs différents. Il a alors décidé d’appeler directement le ministre de la Santé régional, Elena Kliouïkova, qui ne répondit pas. L’ambulance n’arriva qu’au bout d’une demi-heure. Pendant tout ce temps-là, la victime s’était vidée de son sang dans l’hiver glacial. La ministre de la santé fut limogée à la suite de l’accident. « Il y a encore deux mois, c’eût été inimaginable. Le pouvoir a changé de comportement après les manifestations », dit Andrei, un habitant de Kaliningrad. Les opposants au gouverneur l’ont immédiatement accusé d’avoir voulu se mettre en avant alors que son apparition sur le lieu de l’accident était purement due au hasard. Or, c’est un fait avéré que les cortèges de hauts fonctionnaires ne s’arrêtent pas dans ce genre de situations.
Dures années 90
En 2005, quand le Kremlin a décidé de confier la gouvernance de la région de Kaliningrad à un jeune et ambitieux homme d’affaires proche du maire de Moscou Youri Loujkov, cette singulière région souffrait d’une gestion exécrable. Kaliningrad était un lieu de scandales permanent, liés à la corruption, auxquels s’ajoutaient les problèmes consécutifs à l’entrée des pays limitrophes dans l’espace Schengen. « Avant 2004, nous voyagions librement en Pologne et dans les pays Baltes, on n’avait aucun problème pour obtenir un visa. Puis tout a changé », se souvient Vladimir, fonctionnaire du gouvernement régional. Le territoire risquait d’être complètement coupé de la Russie. Malgré les multiples exonérations fiscales et un statut économique particulier, la région souffre d’un vrai sous-développement dû en partie au fait que
dans le passé, les autorités soviétiques l’ont laissée à l’abandon, convaincues qu’elles seraient en fin de compte obligées de la rendre à l’Allemagne, son ancienne propriétaire. Dans les années 1990, on y entendit des voix séparatistes proposant de la rattacher à l’Allemagne et de rendre à Kaliningrad son nom d’origine, Königsberg. Bien que ces propositions n’aient jamais été sérieusement envisagées, les rêves d’une vie européenne heureuse et aisée n’en ont pas moins toujours été présents dans les discussions des habitants, témoins directs du niveau de vie nettement supérieur des pays limitrophes. Pour y répondre, le gouverneur Boos a lancé son plan d’action en faisant construire une autoroute.
Les nouveaux secteurs
Quand on arrive à Kaliningrad, la première chose qui saute aux yeux est l’autoroute à quatre voies, parfaitement plane, sécurisée et éclairée, entre l’aéroport et le centre-ville. U n
937 000 habitants, dont 82% de russes
exemple quasi unique en Russie, pays connu pour la qualité très médiocre de ses routes. Il s’agit d’un tronçon d’un grand anneau qui reliera Kaliningrad aux stations balnéaires de l’ouest et du nord de la région, pour un budget de près de 300 millions de dollars. « Les Kaliningradois croient qu’on ferait mieux de décongestionner les rues de la ville en aménageant les croisements », dit Solomon Ginsbourg, député de l’opposition à la Douma régionale. « Voulez-vous dire que personne ne va jamais à l’aéroport ? », objecte un autre représentant de l’opposition politique, le député Vitautas Lopata.
L’opposition se réveille
La route est, pour le moment, la réalisation la plus visible du gouverneur. Ses projets ambitieux de construction d’une marina de luxe au bord de la Baltique ou d’aménagement d’une piste de Formule 1 sont restés dans les tiroirs. Les autres initiatives ont été anéanties par la crise. Ce sont bien les conséquences de la crise et les décisions prises par les autorités, en janvier dernier, qui ont fait sortir de leur maison des milliers de Kaliningradois pour revendiquer la démission de Boos et de Vladimir Poutine. La hausse des tarifs des services municipaux et l’augmentation des taxes sur les véhicules furent la goutte qui fit déborder le vase. « Autrefois, je ne m’intéressais pas à la politique », explique Constantin Dorochok, l’un des initiateurs du meeting. « Au milieu des années 90, j’avais mon affaire. Il s’agissait de revendre en Russie des voitures européennes d’occasion ». Il y a quatre ans, Dorochok a reçu – comme bien d’autres petits patrons locaux – un avis d’imposition de 750 000 euros. Une taxe introduite par Moscou pour mettre fin à l’importation de voitures étrangères d’occasion a tué son business. D’où sa colère.
15 000 km2
90% des réserves mondiales d’ambre
Secteurs clefs de l’économie : Construction mécanique, industrie automobile (usine AVTOTOR), pêche, construction navale, agroalimentaire, transformation du bois.
Le patron de bar Vitautas Lopata, un autre fameux opposant kaliningradois, est lui réputé pour être parfaitement honnête et en règle avec le fisc. « Si j’ai adhéré à l’opposition, c’est parce qu’on m’a harcelé avec des contrôles. L’ancien maire Savenko n’autorisait pas la création de nouveaux cafés », se lamente Lopata, qui s’est fait élire député. « Alors j’ai décidé de me consacrer à la politique pour défendre les droits des entrepreneurs ». À la question de savoir comment il arrive à payer les impôts tout en conservant son aff a i re , i l ré p o n d qu’ i l n e s’agrandit pas, qu’il ne part presque jamais en vacances et qu’il se passe d’acheter une nouvelle voiture. Lopata et les autres représentants de l’opposition reconnaissent que le gouverneur a changé depuis les manifestations. « Si, autrefois, le gouverneur ne pensait qu’à des projets de grande envergure et n’écoutait personne, aujourd’hui, il rencontre régulièrement l’opposition, il prête l’oreille à des problèmes plus banals et réagit à nos idées », admet Ginsbourg. Une des questions les plus épineuses consiste aujourd’hui à identifier les futures sources de croissance les plus pertinentes pour la région. Le tourisme vert semble offrir de belles perspectives. À quarante kilomètres au nord de la ville se trouve le parc national Kourchskaïa Kossa (classé au patrimoine de l’UNESCO) avec ses grandes dunes de sable improbables sous ces latitudes et ses étranges arbres sinueux aux allures d’objets d’art contemporains, connus sous le nom de « forêt dansante ». Dans les années 90, cet espace s’est développé de façon assez chaotique en raison de l’absence d’infrastructures touristiques. Au milieu des cafés jalonnant la route, seule est ouverte une petite échoppe où l’on vend des chips périmées et des brochettes à la fraîcheur douteuse. « Il y a ici de grandes possibilités pour le tourisme », croit
Alexandre Blinov, maire de l’agglomération Yantarnoïé, qui a dû mettre sur pied son projet touristique à partir de zéro. Il y a encore cinq ans, l’endroit était surtout connu pour sa carrière d’ambre, qui a de tous temps attiré les voleurs. On y voit désormais un peu partout des panneaux invitant les touristes à visiter les curiosités locales, et les quartiers allemands sont en restauration. Le maire a trouvé en Allemagne le fils d’un ancien habitant de la ville, qui a investi ici dans la construction d’un hôtel.
« Nous avons misé sur le tourisme événementiel en organisant toutes sortes de festivals et de compétitions sportives, ce qui nous assure un flux continu de touristes. Les investisseurs bénéficient chez nous de conditions particulièrement favorables », estime Blinov. La route de la plage passe toujours par les vieux garages, mais le chantier du futur centre touristique ne s’arrête jamais, même pendant la saison morte. Reste à espérer que les touristes seront sensibles au charme discret de Kaliningrad.
Entretien avec le gouverneur georgui boos
Les manifestations de l’opposition ? « Rien de grave » rg
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en fonction : depuis 2005 ÂGE :
47 ans
parti : russie unie
Quelle est la raison des conflits sociaux dans la région de Kaliningrad ? C’est un phénomène normal dans toute société démocratique. Cela témoigne du très haut niveau de conscience civique des habitants de l’enclave russe. Les récents mouvements de protestation tiennent en outre aux effets de la crise : la baisse du niveau de vie sur fond de hausse
des impôts et des taxes locales. Je ne vois rien de grave dans les manifestations. Mais si l’on veut vivre mieux, il faut travailler. Un meeting ne génère ni plus-value, ni marchandises. Pensez-vous avoir réussi à apaiser la vague de manifestations ? L’une des principales leçons est que nous avons besoin d’une nouvelle forme de dialogue entre le pouvoir et la société. Des possibilités de discussion constructive existent. Ce processus est déjà en cours. Je pense au conseil consultatif qui rassemble les représentants de tous les partis, de la Chambre, de l’opinion publique ainsi que les représentants des médias. L’émission en duplex récemment organisée par la télévision régionale constitue une autre forme de communication avec la population. Au cours de cette émission télévisée en direct, j’ai reçu plus de 1 500 messages en provenance des diverses localités. J’ai passé quatre heures à répondre à certains d’entre eux, les autres ont été classés et recevront obligatoirement une réponse.
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Débats et Opinions
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.rbth.ru communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO
CETTE HISTOIRE QUI CONTINUE DE NOUS DIVISER Fyodor Lukyanov
the moscow times
L
a disparition tragique du président polonais Lech Kaczynski le 10 avril dernier et les circonstances entourant le 70ème anniversaire du massacre de milliers d’officiers polonais à Katyn, nous conduisent à nous pencher une nouvelle fois sur le rôle que tient l’histoire dans les relations diplomatiques. La réaction de la Russie à l’accident de l’avion présidentiel polonais prouve que de bons rapports humains sont en mesure d’apaiser les points de tensions historiques les plus épineux. Il va sans dire que cela ne saurait se faire sans une volonté politique conjointe. Le meilleur exemple est celui du climat chaleureux qui s’est établi dans les relations entre la Russie et la Pologne. Ce processus ne date pas d’hier : il remonte à l’accession de Donald Tusk au poste de Premier ministre polonais, en 2007. D’une manière générale, la politique étrangère russe est réactive, c’est-à-dire qu’elle répond à des stimuli, qu’ils soient positifs ou négatifs. La volonté de M.Tusk de faire preuve de flexibilité à l’égard de la Russie – à l’inverse de son prédécesseur, Jaroslaw Kaczynski qui ne déployait aucun effort particulier pour établir un dialogue – a suscité une volonté analogue de la part du Kremlin. Une conséquence concrète fut le règlement du problème de l’embargo russe sur la viande polonaise en 2008. Les deux pays ont pu ainsi engager un dialogue constructif portant sur di-
Toute discussion sur le prix de la victoire de 1945 ou sur les motivations annexes du Kremlin est jugée blasphématoire
verses questions, dont Katyn. Bien sûr, des facteurs internes, au sein de la Russie, ont également joué un rôle. L’époque où les autorités russes pouvaient se servir du passé soviétique comme d’un outil politique touche à sa fin. Certains membres de l’élite dirigeante, comme le maire de Moscou Iouri Loujkov, continuent à faire usage du thème staliniste afin de servir leurs propres intérêts. Toutefois, rares sont les politiciens recourant à la « carte Staline », dont le potentiel est non seulement épuisé, mais s’avère
aussi politiquement risqué. Exemple type de ce différend aussi exagéré qu’absurde : les objections soulevées par les groupes nationalistes de gauche face à la décision du Kremlin d’inviter les représentants des pays alliés au défilé du 9 mai pour célébrer la journée de la Victoire. La résistance hystérique au projet de donner une signification internationale à cette célébration démontre qu’il y a plus à perdre qu’à gagner en instrumentalisant la Seconde Guerre mondiale.
Japon et Allemagne : les alliés naturels de notre modernisation Dmitri Trenine
VEDOMOSTI
L
’objectif principal de la politique extérieure de la Russie consiste aujourd’hui à attirer des ressources extérieures afin de moderniser le pays. L’Union européenne est le principal partenaire dans la cause de la modernisation. Parmi tous les pays de l’UE, c’est avec l’Allemagne que la Russie possède les relations bilatérales les plus intenses. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le pays qui a déchaîné la pire guerre dans l’histoire de la Russie, il y a 70 ans, en est aujourd’hui le meilleur ami occidental. La situation est différente en Orient. Le plus grand pays voisin de la Russie est la Chine. L’économie chinoise connaît un grand essor ces quatre dernières années. La Chine a mieux supporté la crise économique internationale que d’autres grands pays et a détrôné l’Allemagne comme exportateur numéro un dans le monde. Elle devrait également remplacer bientôt le Japon comme deuxième économie mondiale, en termes de parité de pouvoir d’achat. Le volume du commerce russo-chinois représentait 56 milliards de dollars en 2008, ce qui est inférieur aux chiffres d’affaires du commerce avec l’Allemagne (67 milliards de dollars).
Néanmoins, le niveau technologique actuel de l’économie chinoise n’étant pas suffisamment développé, ce pays ne peut pas jouer un rôle majeur dans la modernisation de la Russie. Les relations avec la Chine sont incontestablement cruciales pour la Russie, mais pour d’autres raisons. En effet, les terres orientales russes, longeant la frontière chinoise sur plusieurs milliers de kilomètres, sont à la fois riches en ressources naturelles et quasiment inexploitées par rapport aux autres territoires chinois contigus. Sans une profonde intégration dans l’espace économique, routier et humanitaire national des régions situées sur la côte pacifique de la Russie, l’intégralité du pays restera virtuelle. Sans intégration de la Russie tout entière, de Vladivostok à Saint-Pétersbourg, dans l’espace économique Asie-Pacifique, le pays continuera de rester en périphérie des économies du monde les plus dynamiques. Pour cela, la Russie a besoin d’avoir un partenaire fiable, tant à l’Est qu’à l’Ouest. Ayant une économie très développée et les technologies les plus modernes, le Japon présente la principale candidature pour ce partenariat. Ce pays ne crée pas de danger militaire pour la Russie, il est géographiquement proche et sa diplomatie est relativement prévisible. Les relations économiques rus-
so-japonaises se développent avec succès, malgré 65 ans de litige territorial concernant les Kouriles du sud. Le volume du commerce entre la Russie et le Japon représentait 29 milliards de dollars en 2008. Les Japonais achètent le gaz de Sakhaline et produisent leurs voitures près de Saint-Pétersbourg. Comme toujours en pareilles circonstances, les questions d’investissements
C’est en coopérant avec ses anciens ennemis que la Russie remportera la plus grande victoire de ce début de siècle étrangers dépendent essentiellement du climat d’investissement dans le pays qui les accueille. Pourtant, le problème territorial en suspens réduit considérablement les perspectives de collaboration. Les relations avec l’Allemagne n’auraient jamais été si chaleureuses aujourd’hui, si le statut de Kaliningrad n’avait pas été défini. D’ailleurs, cela concerne également les rapports avec la Chine. Ce n’est pas par hasard que Poutine a affirmé qu’il considérait le règlement du problème territorial avec la République populaire de Chine comme la plus grande réussite de sa politique
extérieure. À l’époque, le Kremlin a bien réalisé que la Russie n’avait pas intérêt à reporter le règlement de cette question. Dans les relations avec le Japon, une autre logique a prévalu. Comme le consensus n’est toujours pas atteint, ce problème insulaire devra être transmis aux futures générations. Au bout du compte, l’expansionnisme nippon est moins redouté que l’expansionnisme chinois. Cette logique empêchera de saisir les chances qui se présentent. Et même si la Russie peut vivre sans régulariser ses frontières avec le Japon, la situation en Asie du Nord-Ouest continue de changer au détriment de la Russie. Entre-temps, la comparaison du niveau de développement des villes frontalières russes avec la situation des voisins japonais, sud-coréens et même chinois devient de plus en plus incongrue. Le bilan d’une telle évolution peut s’avérer dommageable. La Russie a besoin d’une « Allemagne de l’Ouest ». Le Japon peut et doit jouer ce rôle. Éluder cette question territoriale est peu perspicace, renvoyer la balle aux futures générations est irresponsable. Et même s’il s’avère difficile de trouver un compromis acceptable pour les deux pays, qui pourrait satisfaire tout le monde, il est grand temps d’agir. Dmitri Trenine est directeur du Carnegie Center à Moscou.
Adopter une approche pragmatique peut diminuer l’intensité des désaccords intérieurs et internationaux, mais cela ne les fera pas disparaître. La raison en est que la Russie a une perception de la Seconde Guerre mondiale tout à fait différente de celle du reste de l’Europe. La Russie se concentre sur la guerre elle-même ainsi que sur sa victoire sur l’ennemi fasciste qui menaçait l’existence même du pays. Toute discussion portant sur le prix qu’il a fallu payer pour cette victoire ou sur les motivations annexes que les autorités russes auraient pu avoir est jugée blasphématoire. Qui plus est, la victoire remportée sur Adolf Hitler constitue manifestement la source principale de la fierté patriotique dans l’histoire de la Russie du XXème siècle. Ceci explique la réaction épidermique russe aux tentatives de réécrire le rôle de l’Union soviétique dans la Seconde Guerre mondiale. Toute entreprise susceptible de dénigrer le rôle qu’a joué la Russie dans la victoire est perçue comme une intention d’ébranler les fondements mêmes de l’État. Pour l’Europe d’aujourd’hui, la guerre en elle-même revêt moins d’importance que ce qui allait suivre. Pendant la période d’après-guerre, l’Europe est finalement parvenue à se libérer des politiques désastreuses qui avaient précipité sa chute dans la première moitié du XXème siècle. Deux événements de la plus haute importance se sont alors produits. Le programme d’intégration européenne, commencé dans les années 1950, a marqué la fin des affrontements franco-allemands, ceux-là mêmes qui avaient donné naissance aux deux guerres mondiales. D’autre part, la chute du Rideau de fer et l’effondrement de l’empire communiste ont permis à l’Ouest d’être lavé du « péché » d’avoir rompu les accords deYalta et de Potsdam avec Staline. En d’autres termes, alors que la Russie s’enorgueillit d’avoir
repoussé une menace existentielle et perçoit cette réussite comme un moment de triomphe géopolitique, l’Europe est en proie à la honte d’avoir déclenché une guerre si monstrueuse et d’avoir, par la suite, accepté des compromis peu honorables au demeurant. Ce sont là deux points de vue tout à fait divergents d’un même fait historique. Or, l’histoire est importante pour chaque nation : c’est une source d’inspiration politique. Parce que la Russie et le reste de l’Europe n’ont pas encore une idée bien établie de la place qui sera la leur au XXIème siècle, la tentation est forte de se raccrocher désespérément au passé. En un sens, la position de la Russie est on ne peut plus claire : le pays a souffert d’un grave traumatisme en 1991 au moment de l’effondrement de l’Union soviétique, et cherche aujourd’hui encore à définir son identité géopolitique. L’Europe, dont les progrès réalisés dans la seconde moitié du XXème siècle continuent de définir son caractère politique, souffre de sa perte d’influence mondiale et de se voir reléguée à un rôle de second plan. Ses problèm e s i n t e r n e s n e d o ive n t cependant pas faire oublier les réussites de l’Union, qui a su placer l’intérêt économique commun au-dessus des ambitions nationales, même si ces succès ont été obtenus dans des conditions singulières : menace commune, parrainage américain et homogénéité relative des États membres. Reste que l’architecture mondiale a radicalement changé, jetant un doute sur la capacité de reproduire les succès passés. À cet égard, la Russie et l’Europe sont dans la même situation qui consiste à regarder en arrière. Mais l’interprétation bien différente qu’elles font du passé risque de les séparer plus que les rapprocher. Fyodor Lukyanov, rédacteur en chef de Russia in Global Affairs
Sondage
Les salaires russes attirent les expats Fin 2009 - début 2010, The Network, réseau international réunissant les leaders des sites de recrutement, a réalisé une étude de grande envergure sur les préférences des postulants dans 35 pays différents, sur la base de 66 000 CV traités.
Les pays jugés les plus attractifs sont : les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada. La Russie se classe seulement à la 32ème place, avec 7% des intentions. Finlandais, Lituaniens et Ukrainiens sont les plus nombreux à venir travailler en Russie tandis que 10% des Français souhaitent s’y expatrier. Les spécialistes informaticiens représentent un quart des candidats à l’expatriation vers la Russie.
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Perspectives
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI fr.rbth.ru communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO
Entretien Le rapprochement avec Moscou opéré par l’Elysée porte ses premiers fruits
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Ces sacrÉS FRANçAIS
Paris vous fait femme !
Des relations « amicales et sans complaisance » M Pour Hervé Mariton, député et président du groupe d’amitié parlementaire France-Russie, les deux pays sont parvenus au stade de la « maturité » même si des questions demeurent en suspens.
les Russes, dans un certain nombre d’enjeux, dont le domaine énergétique. Les Russes considèrent qu’il est préférable d’avoir des relations bilatérales et non russo-européennes. C’est à nous, Européens, de considérer que nous devons avoir une relation bilatérale mais aussi une relation Union européenne-Russie. Le dossier OMC, actuellement mis entre parenthèses, est typiquement un dossier européen. On voit dans ce cas que nos amis russes pratiquent un peu le « diviser pour mieux régner ». C’est classique et légitime de leur part. C’est plutôt à nous de mieux articuler nos positions pour défendre les enjeux européens, plutôt que de se laisser diviser par nos amis russes.
Comment l’Assemblée nationale peut-elle contribuer à ces relations ? À l’Assemblée, on a souvent évoqué la question des visas par exemple. En règle générale, dans le cadre des contacts réguliers avec la Douma, nous nous intéressons à la situation des entreprises françaises en Russie. L’année croisée ou la préparation de Sotchi 2014 sont de ce point de vue des cadres opportuns de consultations. Il y aura une réunion de la Grande Commission parlementaire le 7 juin à Paris, avec trois sujets à l’ordre du jour : notre relation économique dans le contexte actuel de crise, l’Arctique et l’enseignement du français en Russie et du russe en France. Les relations économiques se sont sensiblement améliorées. Il reste que les PME des deux pays continuent de se heurter à des difficultés. Comment améliorer les choses ? Nous constatons le succès de nombreux projets. En même temps il faut reconnaître que la situation de l’état de droit en Russie n’est toujours pas parfaite pour le climat des affaires. Je regrette que l’entrée de la Russie dans l’Organisation mondia-
Dimitri de Kochko
Qu’est-ce qui a changé dans les relations franco-russes ces dernières années ? Il y a, des deux côtés, une volonté d’aboutir à des résultats. Une nouvelle maturité qui fait qu’on ne prétend pas que tout est parfait, qu’on ne prétend pas faire des miracles et qu’on a l’intelligence de ne pas sous-estimer un certain nombre de difficultés. La relation politique et la relation économique sont liées. Mais ce n’est pas parce qu’on a de bonnes relations politiques que les difficultés économiques s’aplaniront spontanément. Ce rêve qui a longtemps accaparé la diplomatie française me paraît aujourd’hui surmonté. Tant mieux ! On est sorti des simplifications naïves pour entrer dans une approche plus mature des relations. « Personne n’a de leçons à donner à la Russie, mais il n’est pas interdit de poser des questions car notre relation amicale le justifie »
le du commerce (OMC) ait disparu de l’ordre du jour immédiat. Cela n’empêche pas les entreprises de faire des affaires. Mais la Russie, c’est un marché qui n’est pas simple pour les PME. L’exemple de ce que fait Peugeot avec Mitsubishi est intéressant. Le climat de Kalouga a été plus propice que d’autres. Les contextes régionaux sont importants. Il y a d’autres endroits où cela a parfois été plus compliqué, plus laborieux.
pêche que si l’état de droit était mieux établi, ça serait tout de même plus heureux. J’aimerais que la Russie entre dans l’OMC et que cela reste un objectif exigeant mais utile. Personne n’a de leçons à donner à la Russie. Pour autant, il n’est pas interdit de poser des questions et de mettre le niveau assez haut car justement, notre relation amicale avec la Russie le justifie.
L’Europe et la Russie ont-elles intérêt à adopter une position commune face à d’autres puissances, comme la Chine par exemple ? La question qu’il faut évoquer d’une manière amicale et franche est celle des relations avec la Chine. Est-ce que les Russes mesurent l’importance de la dynamique démographique, économique, stratégique chinoise ? Nous la mesurons dans l’Union européenne. Il ne s’agit pas de faire une « alliance » russo-européenne contre la Chine. Je ne suis pas du tout dans cette vision là. En même temps, il y des sujets comme les routes économiques ferroviaires des exportations chinoises vers l’Europe occidentale par la Russie ou le Kazakhstan. Et il y a d’autres dimensions. Il faut en parler d’une manière russo-européenne. Il faut mettre du grain à moudre dans la relation entre la Russie et l’UE. Il me semble que d’autres partenaires de la planète pourraient y être associés. La Russie n’est pas dans l’UE et n’a pas vocation à y entrer. Mais la Russie est évidemment en Europe et nous devons l’assumer comme telle. Cet ancrage, d’un point de vue culturel, intellectuel, scientifique, civilisationnel, est très important. Quand on connaît la Russie, c’est une évidence. Mais ça l’est davantage pour les Russes que pour nous. Nous avons parfois une vision bien trop desséchée de l’Europe. Il faut que nous redécouvrions l’évidence de « l’Européanité » de la Russie.
Il y a parfois des différences pour d’autres raisons : regardez Auchan et Carrefour, deux exemples, l’un d’une réussite, l’autre d’un échec. Je m’intéresse aux transports et je suis le dossier de l’autoroute entre Moscou et Saint-Pétersbourg. L’enthousiasme de Vinci sur l’affaire est parfois tempéré par nos amis russes qui m’alertent sur le fait que les codes forestier, foncier ou rural russes ne sont peut-être pas tout à fait au point pour permettre à Vinci de réaliser l’opération dans les délais espérés … C’est la vie. Le monde est compliqué. Il n’em-
L’Unioneuropéenneéprouvequelque difficulté à adopter une attitude commune dans ses relations avec la Russie. Comment jugezvous son évolution ? L’anti-russisme des pays de l’Europe de l’Est est heureusement en train de s’affaiblir. La Russie a fait intelligemment évoluer les relations avec ces pays-là. L’exemple de la reconnaissance des événements de Katyn est emblématique. Je salue à ce propos la présence du président Medvedev aux obsèques du président polonais. Ensuite, on butte sur des aspects tactiques, ce qui est fréquent avec
les limites de l’anticapitalisme
la chute de la grèce
virer la grèce et accepter l’estonie?
Vedomosti
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Peut-on accepter le slogan « Mort aux banquiers », qui fut agité par les manifestants contre le sauvetage du capitalisme au détriment du peuple laborieux ? Est-il plus acceptable que « Mort aux tsiganes »? Un politologue américain m’a répondu sans hésiter qu’on choisit une profession mais pas une nationalité ou une race. Le tsigane n’y est pour rien, contrairement au banquier qui doit assumer son choix professionnel. L’autodafé de trois employés de banque, dont une femme enceinte, à Athènes, montre les limites d’une telle dialectique.
Ce qui arrive à la Grèce en ce moment présente un intérêt tout particulier pour la Russie. Les deux pays sont unis par le même sentiment de perte d’une grandeur passée. Sauf que nous avons perdu notre empire hier à peine, et avons l’habitude de peser dans l’arêne internationale, contrairement à la Grèce. Mais aucune réalisation historique passée d’un pays n’empêchera un krach politique ou économique. Nous écrivons l’histoire aujourd’hui et maintenant, en cherchant appui sur le passé mais en trouvant aussi de nouvelles solutions à des problèmes inédits.
La crise européenne commence à ressembler fâcheusement à un feuilleton sentimental bien parti pour tenir en haleine le monde entier pour tout l’année, voire plus. Les derniers communiqués venant de la zone euro font l’effet d’une pomme importée hors saison : brillante, appétissante mais désagréable au goût. L’acceptation de l’Estonie dans la zone euro en pleine crise relève d’un esprit de vitrine, d’une volonté de faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais c’est tout sauf une démonstration de force.
Propos recueillis par Dimitri de Kochko
lu dans la presse Grèce : risque d'effet domino ?
La crise qui secoue l’UE peut faire penser à celle qui a mis l’économie russe à plat en 1998, mais la presse n’estime pas le pays particulièrement menacé. Elle observe les désordres en Grèce, dans lesquels elle perçoit un anticapitalisme primaire, l’échec d’un idéal de civilisation dont la Grèce est le berceau, ou encore un épisode de plus dans le feuilleton « Bruxelles, ton univers impitoyable...» Préparé par Veronika Dorman
Maxime Artemiev
Semen Novoproudsky
Anna Kaledina
Natalia Gevorkyan
Spécialement pour la russie d’aujourd’hui
ais regardez comme il fait beau ! Levez donc le nez de votre ordinateur. Je lève le nez et regarde le jeune homme qui vient de m’interrompre dans mon travail. C’est vrai qu’il fait beau. La Place des Vosges est envahie : Parisiens et touristes ont pris d’assaut les pelouses et se prélassent dans les rayons chaud d’un soleil enfin printanier. Tant mieux ! Mais ce n’est pas une raison pour m’empêcher de travailler. Je m’efforce de prendre un air de circonstance, et me replonge dans mon écran. Je sors une cigarette. Le gars me tend son briquet. - On dîne ensemble ce soir ? J’ai vingt ans de plus que lui, je n’en doute pas une seconde. Lui non plus d’ailleurs. Je remets mes lunettes et, avec toute la sévérité maternelle dont je suis incapable, je déclare : - J’ai un fils de votre âge. - Il a bien de la chance, le bonhomme. Alors, ce dîner ? Neuf heures, ça vous irait ? Le soir, je raconte en rigolant l’histoire de l’impertinent à une copine. Réponse : « Mais qu’est ce que tu fais encore ici, tu vas être en retard pour ton dîner ! » Je n’attendais pas d’autre réaction de sa part. Paris a prolongé ma jeunesse, qui, comme je l’ai compris ici, n’a rien à voir avec l’âge. C’est absurde d’essayer d’expliquer à un vendeur que bien sûr qu’elle est jolie cette minijupe, et c’est vrai qu’elle me va bien, mais ce n’est vraiment plus de mon âge… l’âge n’est pas un argument acceptable.Tant qu’il y a des jambes, la minijupe est de mise. Tant qu’il y a de l’éclat dans tes yeux, tu es une femme.
Tout dépend de la manière dont tu te sens. C’est paradoxal, mais certains de mes amis moscovites, de dix ans mes aînés et connus pour ne sortir qu’avec des filles de moins de vingt-cinq ans, commencent à me faire la cour en arrivant à Paris, alors que je n’entre absolument pas dans leur catégorie d’âge. Ils appellent ça : « Paris te va si bien ». Tu parles. Ce qui me va bien, comme à toute femme, c’est d’être femme, de me refléter dans les yeux d’hommes prêts à m’accepter comme je suis, comme aurait écrit Bridget Jones dans son journal. Un jour, au début de mon séjour en France, je m’étais enfuie en Camargue pour m’isoler, nager, me reposer. Sur la plage, un homme me dit : « Une femme en France n’est jamais seule ». C’était une exagération. Il y a plein de femmes seules ici, beaucoup se sentent privées d’attention et d’amour. Mais à 40, à 50 ans, et même audelà, elles continuent à se sentir femmes, si j’en juge par les Françaises que je connais. Elles ne deviennent pas des grand-mères, même quand elles le sont deux fois. Ici, les femmes n’ont pas un certain âge, dans le sens moscovite du terme, c’est-à-dire littéral. J’ai l’impression que je m’habille différemment quand je viens à Moscou, avec plus de prestance, en adéquation avec mon âge, que j’ai vite fait d’oublier en France. Dîner ou ne pas dîner avec un inconnu beaucoup plus jeune que moi… Je doute qu’un tel dilemme soit possible à Moscou. Jamais une question aussi amusante ne se poserait. Alors qu’à Paris, il suffit d’enfiler un jean et un pull, et s’en aller dîner avec le jeune inconnu. Enfin ce n’est pas sûr que j’y aille. Mais je pourrais. À l’aise. Natalia Gevorkian, correspondante à Paris du journal Kommersant.
ces sacrés Russes
Été = mayonnaise + vodka François Perreault
Spécialement pour la russie d’aujourd’hui
E
nfin, l’été ! Après avoir survécu à son premier hiver moscovite, JeanPierre n’y croyait plus. Récemment introduit auprès de sa belle-famille russe, notre ami a reçu une proposition charmante : profiter des premiers beaux jours pour ouvrir la datcha qui hibernait. Quelle merveilleuse occasion de découvrir l’arrière-pays ! Les forêts immenses, les lacs argentés... L’affaire est réglée : samedi, Jean-Pierre viendra chercher le beau-frère Dima et ses potes, direction la Nature. La veille, Jean-Pierre prépare son véhicule : pneus, niveau d’huile, il ne s’agit pas de tomber en panne au milieu de nulle part. Après avoir bouclé un sac avec son nécessaire à trekking – bottes de marche, imper, couteau, boussole –, il se couche de bonne heure ; la route sera longue, il faudra conduire longtemps. À vrai dire, Jean-Pierre n’avait pas tout compris. Le lendemain, les compères font d’abord un arrêt dans un hypermarché. Dima fait l’achat d’une cinquantaine de bières, quelques bouteilles de vodka, trois bons kilos de viande, quinze oignons et un énorme pot de mayonnaise. Sans doute en raison de son russe défaillant, Jean-Pierre n’a pas bien saisi la violente altercation entre Dima et Sacha – chose certaine, il s’agissait de marinade.
Après les emplettes, c’est le départ ! La route sera plus courte que prévu. Après avoir quitté Moscou, Dima indique le chemin : première à droite. À cent mètres des limites de la ville, quelques bicoques fatiguées, dont l’une s’avère être la datcha familiale. Masquant sa déception, Jean-Pierre s’approprie son nouvel environnement. Main droite, un vague étang ; au fond à gauche, la grande tour d’Ostankino, l’antenne géante de Moscou. Un bourdonnement sourd le fait sursauter : c’est l’Airbus qui s’apprête à atterrir non loin de là. Dima et les autres, eux, n’ont pas chômé. Bières en main, ils s’attaquent aux chachliks, qui en préparant le feu, qui en marinant généreusement la bidoche dans une mayonnaise rendue douteuse par le cagnard. Sans doute en raison de son russe défaillant, Jean-Pierre n’a pas très bien saisi la farouche chamaillerie entre Sacha et Dima – chose certaine, il s’agissait de savoir ce qui, de la bière ou la vodka, alimentait davantage le feu de bois. La suite est plus floue. Il y a d’abord eu l’apéro, puis le repas de viande grasse, avalée avec force lampées de vodka. Pour tout dire, il ne se souvient que très vaguement du retour, sinon qu’il n’était plus au volant. Le coup de soleil magistral qu’il arbore sur les épaules lui confirme pourtant qu’il n’a pas rêvé. Rien de tel qu’un grand bol d’air pur dans la verte nature pour bien entamer l’été. François Perreault est expatrié à Moscou depuis quatre ans.
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Culture
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI fr.rbth.ru communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO
Cinéma Les studios profitent du retour du public pour produire des films différents
Billet de l’amitié
La nouvelle vogue du cinéma d’auteur
Tchékhov, ce véritable précurseur de l’absurde Mikhail Chvydkoï
L
Présent à Cannes avec la suite de « Soleil trompeur » (descendue en flammes par la critique russe), Nikita Mikhalkov a de la concurrence. Nora FitzGerald et Peter Van Dyk
Saturé de symbolisme pesant, Soleil trompeur 2 : l’exode ressuscite les personnages - un commandant de l’Armée rouge, un officier du NKVD, et la femme qu’ils aimaient tous les deux – censés être tous morts à la fin du premier film, à l’apogée de la terreur stalinienne. Les critiques russes ont vilipendé l’épopée à 43 millions d’euros, en la qualifiant de voyage sentimental déplorable et raté. Mais Nikita Mikhalkov, le tsar du cinéma russe, fait fi de la critique. Son film fait partie de la sélection 2010 du Festival de Cannes, où la première partie avait remporté le Grand Prix du jury en 1994. Mikhalkov, personnage très controversé, est un pan de l’industrie cinématographique à lui tout seul. Si sa créativité connaît des hauts et des bas, ses affaires fleurissent. Plus largement, c’est le cinéma russe qui traverse une véritable renaissance. Ces dix dernières années lui ont rendu sa renommée, et son succès auprès de l’audience domestique, même si le cinéma russe n’a pas échappé aux effets de la crise. « Certains objectifs des cinq dernières années n’ont pas été atteints », explique Stephen Norris, un historien de l’université de Miami et auteur d’un livre à paraître sur le cinéma russe. « Mais en même temps, les grandes avancées depuis 2000 ont tenu ». Exemple : les milliers de salles de cinéma qui ont ouvert dans les nouveaux centres commerciaux des villes de Russie, et ce n’est pas fini. Depuis peu, les réalisateurs soviétiques et le cinéma d’art et d’essai font un retour discret mais prometteur. Des films tels que l’envoûtant Retour d’Andreï Zviaguintsev (2003), ou l’hilarant Accordeur de Kira Mouratova (2004), témoignent des retrouvailles du cinéma russe avec l’avant-garde soviétique. Parmi les réalisations qui ont eu le plus de succès ces derniers temps, beaucoup étaient ouvertement nostalgiques, ont noté les critiques, mais cette tendance s’épuise. « On observe un rejet net de l’utilisation du cinéma pour débattre de l’identité nationale », commente Norris. Plus intéressante : la réaffirmation des valeurs de l’avant-garde soviétique chez les réalisateurs, dont les meilleurs endossent volontiers les principes moins populistes mais plus esthétiques des grands maîtres russes, de Eisenstein à Tarkovski. Ironie du sort, c’est la chute de
À l’affiche de l’Année Croisée 2010 Tous les détails sur notre site
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Andreï Zviaguintsev a reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1993 pour son film « Le Retour »
l’URSS qui a quasiment paralysé la production cinématographique, avec seulement 13 films sortis en 1997 et 4 millions d’euros au box-office, selon le magazine Kinobusiness. Mais dès la décennie suivante, le nombre de films produits en Russie a augmenté chaque année. En 2004, Night Watch a rapporté plus de 12,5 millions d’euros, et a été suivi par une brochette de gros succès, tels que La 9e compagnie (un film d’action sur des soldats en Afghanistan pendant l’invasion soviétique), Le Gambit turc (un film d’action historique narrant la guerre russo-turque de 1877 en Bulgarie)
Les réalisateurs soviétiques et le cinéma d’art et d’essai font un retour discret mais prometteur en 2005, et Day Watch l’année d’après, qui a rapporté 25 millions d’euros. Les revenus ont chuté brutalemment en 2009, des dizaines de projets furent abandonnés, mais l’économie russe s’est remise sur pied plus vite que prévu, et les spectateurs ont réinvesti les salles obscures dont le nombre augmente tous les jours. Sur un marché très fragmenté, Karo Film est en tête avec seulement 6% des parts. Le réseau possède 120 salles à travers tout le pays, dont la moitié dans des multiplexes, le reste en salles soviétiques rénovées.
concert russe de l’orchestre philarmonique de Radio france 21 et 29 mai à 20h00 salle pleyel, paris
Retour sur une perle révolutionnaire Les amateurs parisiens de raretés cinématographiques sont conviés à une projection exceptionnelle de Miss Mend (1926) de Fedor Otsep et Boris Barnet. Les aventures rocambolesques de l’intrépide dactylo Miss Mend contiennent toute la créativité et la fougue avant-
gardistes des années 20 soviétiques. Ce feuilleton muet en 3 épisodes (quatre heures au total) sera mis en musique par le quintette improvisation de Aidje Tafial. Cinéma Le Balzac, le 3 juin, de 19h30 à... tard dans la nuit. Détails sur cinemabalzac.com
Le distributeur le plus célèbre reste Rising Star Media, dirigé par l’américain Paul Heth qui, en ouvrant le cinéma Kodak au centre de Moscou en 1996, inaugurait la première salle de standing européen en Russie. Aujourd’hui, l’entreprise est partenaire avec Ikea Mega, et gère des salles dans les grands centres commerciaux du géant suédois. La construction de nouvelles salles, plus vastes et plus modernes, ainsi que l’introduction de la 3D, ont revigoré l’industrie cinématographique en Russie, tout en faisant la part belle aux productions hollywoodiennes. En témoigne le triomphe d’Avatar de James Cameron, qui a ébranlé tous les records au box-office en rapportant 16 millions d’euros le week-end de sa sortie, et plus de 78 millions d’euros au total, et les non moins fulgurants succès d’Alice au pays des merveilles, puis de Dragon et du Choc des Titans. Selon Neva Film, il y a désormais 2 100 salles modernes en Russie, la moitié dans des multiplexes avec cinq
écrans ou plus, et presque 400 avec la 3D. Pour Charlotte Jones, critique de cinéma à Screen Digest, la Russie fait partie des cinq pays européens les mieux équipés en 3D, et accroît ses profits en augmentant le prix des places. L’année a été bonne pour les producteurs russes. Et depuis 2002, les plus importants studios reçoivent un soutien financier de l’État. Par conséquent, les producteurs investissent avec confiance dans des films à gros budget, tandis que les studios internationaux commencent à s’intéresser au marché russe. Le mauvais accueil de Soleil trompeur 2 incitera certainement les réalisateurs russes à repenser la formule du film patriotique, même si Mikhalkov a déjà tourné le troisième volet de son épopée dont la sortie est prévue en 2011. Mais une nouvelle ère se profile à l’horizon. Norris espère que les dizaines de réalisateurs avant-gardistes dont dispose désormais la Russie attireront les gros budgets. Alors le résultat pourrait être gagnant, en attendant Cannes 2011.
russie éternelle, trésors de la danse russe 27 et 30 mai à 20h palais des sports, paris
cadeaux des tsars du 28 mai au 3 octobre, musée national de la marine, Paris
Programme entièrement russe avec des œuvres d’Anatili Liadov, la 2ème Symphonie de Rimski-Korsakov, le 3ème Concerto pour piano de Prokofiev et Francesca da Rimini de Tchaïkovski. Sous la direction de Leonard Slatkin, avec la participation du pianiste Denis Matsouïev.
Le Théâtre National de Danse « Gjel » de Moscou présente des chorégraphies inspirées, une fois n’est pas coutume, du fabuleux héritage de l’artisanat russe tout autant que des merveilleux contes et légendes de la vieille Russie. Fondé en 1998, le ballet est chorégraphié par Vladimir Zakharov.
La « Diplomatie navale » se dévoile à travers les cadeaux des tsars à « la Royale » entre 1891 et 1914. Il s’agit d’objets réalisés par des orfèvres célèbres tels que Carl Fabergé, Pavel Ovtchinnikov et les frères Gratchev, et de bien d’autres pièces précieuses offertes dans le contexte maritime de la fameuse alliance franco-russe.
›› www.sallepleyel.fr
›› www.russie-eternelle.com
›› www.musee-marine.fr
spécialement pour la russie d’aujourd’hui
e 150e anniversaire d’Anton Tchékhov que nous fêtons cette année a eu un impact sur le nombre de mises en scène de ses pièces sur toutes les planches du monde, et a relancé le débat sur l’héritage littéraire de l’écrivain. Chaque pièce de théâtre est la somme du texte original et de ses interprétations, accumulées pendant des années. Dans le cas de Shakespeare ou de Corneille, on compte en siècles. Pour Tchékhov, il s’agit d’un peu plus de cent ans. Quand un metteur en scène contemporain s’attelle à L’oncleVania, La Mouette, Les trois sœurs ou La cerisaie, il doit oublier comment ces pièces ont été montées par Konstantin Stanislavski ou Vladimir Nemirovitch-Dantchenko au Théâtre d’Art de Moscou (MKhAT), ou Giorgio Strehler au Piccolo Teatro di Milano, ou encore Peter Brook dans son laboratoire parisien. Tchékhov ne voulait surtout pas que son œuvre devienne « la très vénérable armoire », dont parle Gaïev dans La cerisaie, mais il ne cachait pas non plus que ses pièces contiennent de nombreux mystères. Stanislavski et les acteurs du MKhAT n’en ont percé qu’une partie (on le sait, Tchékhov se plaignait que Stanislavski ne percevait pas le comique dans sa dramaturgie). Tchékhov n’est pas seulement le dramaturge russe le plus célèbre au monde. Il est aussi, avec Shakespeare et Molière, la personnification même du théâtre. Un art grossier et saint à la fois. Il est devenu une sorte d’icône du théâtre du XXe siècle, par laquelle jurent les dramaturges et les metteurs en scène de tous bords. Aucune étude un tant soit peu sérieuse sur Beckett, Ionesco, Pinter ou Albee ne peut se passer de la déduction que c’est bien l’œuvre de Tchékhov qui fut, à sa façon, à l’origine du théâtre de l’absurde. Il va de soi que les metteurs en scène contemporains qui s’attaquent aux pièces de Tchékhov, surtout en Russie, subissent la puissante influence de la tradition du MKhAT, où le réalisme (voire le naturalisme) psychologique est lié à l’esthétique du sentiment et de l’humeur, voisine de l’impressionnisme. Le « vrai » Tchékhov en Russie, c’est toujours le texte plus
l’interprétation de Stanislavski et de Nemirovitch-Dantchenko, dont Les trois sœurs montées en 1940 furent une sorte d’adieu à la Russie prérévolutionnaire, et au Théâtre d’Art, tel qu’il avait été conçu par les pères fondateurs. Et toute expérimentation, même la plus audacieuse, sur la scène russe, prend en compte cet héritage important du passé, même s’il s’agit de s’en affranchir. En ce sens, les interprètes étrangers, y compris les français, sont beaucoup plus libres. Mais il est important de noter que même dans les versions des metteurs en scènes du Cartel dans les an-
Les interprètes étrangers de Tchékhov sont beaucoup plus libres que les russes de s’affranchir de l’héritage du passé nées 1920-30, et dans des interprétations plus tardives, le théâtre de Tchékhov était aussi perçu à travers l’expérience du théâtre d’art de Paris, je veux dire la mise en scène d’André Antoine. Le festival Tchékhov de 2010 a montré que la nouvelle mise en scène, tout en respectant ses précurseurs, recherche dans les textes de Tchékhov des réponses aux questions du XXIème siècle. Il suffit de regarder le spectacle bouleversant et plein de bravou-
Tchékhov ne voulait surtout pas que son oeuvre devienne « la très vénérable armoire » dont parle Gaïev re du Théâtre-laboratoire de Dmitri Krymov, Tararaboumbia !, créé comme une divagation libre sur le thème des nouvelles et des pièces de Tchékhov, ou bien L’OncleVania puissant et expressionniste de Rimas Touminas au Théâtre Vakhtangov, pour comprendre à quel point l’œuvre du dramaturge est entrée librement et harmonieusement dans notre siècle, qui nous pose de nouvelles énigmes existentielles. Comme toujours, élevées et inchangées à la fois. Mikhail Chvydkoï est Comissaire du Comité d’organisation pour la Russie de l’Année France- Russie et ancien ministre de la culture.
Tchekhov À PARIS ET à MOSCOU soirées Tchekhov à paris Du 21 mai au 21 juin , Théâtre de l’Atalante, 10, Place Charles Dullin
Spectacles créés d’après des nouvelles d’Anton Tchekhov : Ma Vie, Le Pari, La Maison à mezzanine, Le Moine noir,Vladimir le Grand et Vladimir le petit, Le Récit d’un inconnu… Mises en scène du collectif Spectacle.Laboratoire, sous la direction artistique d’Anatoli Vassiliev. ›› www.theatre-latalante.com/
IXème Festival Tchékhov à moscou 29 mai – 30 juillet 2010, divers théâtres
Pièces d’Anton Tchékhov et pas seulement. Présence de troupes russes et étrangères (France, Espagne, Allemagne, Canada, Suisse, Suède, Biélorussie, Arménie, Japon et Taiwan). Du 5 au 7 juillet, le spectacle Création sera présenté au Théâtre Atelier Piotr Fomenko à Moscou, sur une musique d’Alain Mahé et une chorégraphie de Josef Nadj, coproduit par le Théâtre de la Ville-Paris. ›› www.chekhovfest.ru/
Culture
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI fr.rbth.ru communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO
entretien Andreï Makine
Souvenirs, souvenirs...
Bazin et son amour aveugle
Nous n’avons pas créé d’image positive
Nikolaï Dolgopolov
spécialement pour la russie d’aujourd’hui
Le lauréat du prix Goncourt nous
P
rappelle que « les plumes des écrivains et
Cela veut-il dire que les Russes sont plus sincères ? Cette fameuse sincérité peut aussi friser le manque de tact, la grossièreté, le désir de s’immiscer dans l’âme d’autrui. Nous, les Russes, nous prenons toujours une pose de Dieu omniscient par rapport à nos proches, nous jugeons, nous donnons des leçons. Un jour, à Saint-Pétersbourg, j’ai vu un groupe d’hommes et de femmes bien arrosés. Une de ces personnes a rendu une sentence très caractéristique : « Mais tu n’es rien devant moi ». Elle parlait à un petit homme assis par terre. L’homme ne peut être « rien ». Même le plus déchu est « quelque chose ». Même écrasé, c’est un destin. Même défiguré, c’est une personnalité. Les auteurs français contemporains sont tout sauf des rebelles. Et pas seulement les français. Le monde a besoin d’une révolution spirituelle. Une révolution sans destruction de chai-
ses, de palais et de l’héritage de la nation. Il faut bien comprendre que le compte à rebours avant toute une série d’apocalypses – écologique, démographique, nucléaire – est déjà bien lancé. Et que l’humanité, dans son hypostase de destruction industrielle actuelle, n’est tout simplement pas viable. Quant aux Français, puisque nous en parlons, ils devraient commencer par endiguer l’épidémie du politiquement correct. La grande qualité de cette nation est son cartésianisme aiguisé, son
Difficile de trouver dans la presse française des mots gentils sur la Russie (...) Mais c’est de notre faute. esprit analytique. Il serait regrettable que cette puissance intellectuelle se dissolve dans le moût de petites idées mièvres et châtrées. Le modèle social français est-il aussi mal en point qu’on le dit ? Ses qualités sont devenues aujourd’hui des défauts. L’indispensable aide sociale aux faibles et aux malades encourage le parasitisme. Les bénéficiaires de dizaines de types d’allocations ont désappris à travailler. Deux classes infiniment éloignées l’une de l’autre se sont formées : les flibustiers-financiers et l’immense masse d’une lumpen-population, qui engloutit toujours plus une classe moyenne appauvrie. La situation est explosive, comme l’a prouvé la crise.
Jean-Marie Le Clézio a reçu le Nobel de littérature 2008. À quel écrivain russe décerneriez-vous ce prix ? À Dovlatov. Je le place au-dessus de Tchékhov, bien que ce genre de comparaison soit dépourvu de sens. Mais il faudrait lui donner le prix à titre posthume, ce qui ne se pratique pas me semble-t-il. Vous voyagez beaucoup en France. Que pense-t-on des Russes ? Quelle image en est donnée ? C’est difficile de trouver dans la presse française ne serait-ce que quelques mots gentils sur la Russie, sans parler d’un article entier. Mais c’est de notre faute. Nous n’avons pas réussi à créer une image positive du pays. Les Américains ne lésinent pas sur les moyens pour fabriquer leur image. Alors qu’en Russie, entre le glauque littéraire et cinématographique et la clownerie d’estrade, il n’y a que de l’officieux assommant. Et ce n’est pas comme si les occasions de créer une figure héroïque avaient manqué. Prenez Stirlitz [super-espion soviétique en mission à Berlin, ndlr]. Par rapport à lui, James Bond est un sadique arriéré et un vulgaire érotomane, porté sur un trivial cocktail alcoolisé. La Russie peut-elle se passer d’une main forte au pouvoir ? Aucun pays ne peut exister sans un pouvoir et des institutions démocratiques forts, sans une presse indépendante, puissante et professionnellement responsable, sans une culture titanesque. C’est d’ailleurs par la culture qu’il faudrait commencer
Religion Un objet de culte pour les artistes et pour les chrétiens
Le grand retour de l’icône anton belitsky_photoxpress
Les images dorées de saints orthodoxes ont repris leur place traditionnelle dans les cœurs et l’environnement visuel russes : signe d’un large regain d’intérêt pour la peinture des icônes. phoebe taplin
spécialement pour la russie d’aujourd’hui
Aujourd’hui, on voit des icônes partout en Russie : coiffant des puits ou au pied de sources ; au bord des routes et des chemins de pèlerinage ; dans les magasins, les datchas ou les galeries d’art. Elles matérialisent aussi bien le renouveau de la foi nationale qu’un intérêt accru pour l’histoire et l’art russes. Depuis la chute du régime communiste il y a vingt ans, l’Église orthodoxe russe jouit d’une popularité sans précédent. Les pèlerins forment d’interminables files d’attente pour de l’eau bénite ou des bénédictions pascales. Presque chaque village ou banlieue est en train, vient ou projette d’ériger une immense
Cette îcone a probablement appartenu au Tsar Nicolas 2
église en pierre coiffée de dômes étincelants. Les icônes sont essentielles à la décoration de toute église orthodoxe. L’iconostase - une cloison décorée d’icônes, du sol au plafond - sépare l’espace principal où prient les fidèles et l’autel où célèbre le prêtre. D’autres images sacrées recouvrent les murs.
De nombreux foyers orthodoxes possèdent un « angle sacré » : une ou plusieurs icônes accrochées sur un tissu brodé, illuminées par une veilleuse. L’église de la Vivifiante Trinité à Orekhovo-Borisovo symbolise parfaitement la nouvelle orthodoxie russe qui a repris confiance en elle-même. Achevée de
FRANCOIS MORI_ap
des journalistes sont également en acier » Pourquoi certains auteurs classiques russes n’aimaient-ils pas les Français ? Je pense au « misérable Français » [Pouchkine, ndltr] et au « Francillon de Bordeaux » [Griboïedov, ndltr]… Les Russes trouvaient que les Français étaient trop dans la représentation. Dans l’hypertrophie de la forme au détriment du contenu. Souvenez-vous de l’étonnement de Fonvizine quand il remarqua que les aristocrates français portaient des manchettes en dentelle, des plastrons en soie sur leur chemise en toile grossière. « On ne la voit pas sous le pourpoint », lui avaiton expliqué.
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Oui, les Français ont une âme. Elle est différente de la nôtre, plus rationnelle, et c’est tant mieux.
Biographie Né à Krasnoïarsk en 1957, Andreï Makine a grandi à Penza. Selon la légende, il est le petit-fils d’une émigrée française arrivée en Russie en 1957. Il a fait ses études de philologie à l’université d’État de Moscou (MGU) et a enseigné à l’université de Novgorod.
cette énumération. Les Anglais parlent d’ « une main de fer dans un gant de velours ». Tel doit être le pouvoir d’un pays pour survivre dans un monde tumultueux et agressif. Mais les plumes des écrivains et des journalistes sont en acier, elles aussi. Il faut de temps à autre le rappeler à nos dirigeants. Le célèbre écrivain Dominique Fernandez a publié récemment « L’âme russe ». Selon lui, les Français n’ont pas d’âme. Je vous assure que si. Elle est différente de la nôtre, plus rationnelle, et c’est tant mieux. La France n’a pas nos vastes étendues où l’on peut s’abandonner au chaos et à l’anarchie, se soulager le cœur. Depuis la
2004, avec un peu en retard pour célébrer le millénaire du christianisme russe, l’imposant édifice aux dômes azurés est l’un des lieux de culte les plus importants de Moscou. Trois mille fidèles peuvent se réunir dans la nef spacieuse, devant une iconostase de marbre et de porcelaine dorés. La paroisse possède son propre atelier d’art et une école de théologie qui enseignent l’iconographie à des classes bondées de petits et de grands, tous les week-ends. « Nous sommes débordés », affirme Svetlana Alexandrovna, une des gérantes, « tout le monde veut apprendre à peindre des icônes ! ». La peinture d’icônes et de fresques religieuses était la principale pratique artistique dans la Russie d’avant Pierre le Grand. Les moines du XVe siècle, comme l’illustrissime maître Andreï Roublev, adaptaient la tradition byzantine. Ces dernières années, un débat tendu s’est engagé sur la question de savoir quel était, des églises ou des musées, le meilleur endroit pour conserver les icônes. Davina Garrido de Miguel, une artiste reconnue et primée, a dû attendre un an et demi avant de pouvoir intégrer une école d’ico-
En 1987, il s’est rendu en France dans le cadre d’un programme d’échange pour professeurs, et a demandé l’asile politique. Il y a quinze ans, Andreï Makine est devenu le premier écrivain russe à recevoir le prix Goncourt pour son roman Le testament français. Ses œuvres sont publiées dans plus de quarante pays. Andreï Makine est l’auteur de douze romans en français.
période gallo-romaine, l’espace est très condensé en France. Au XIIIe siècle, un chroniqueur écrivait : « Le pays est plein comme un œuf de poule ». Est-il aujourd’hui plein au point d’être menacé par l’islamisation ? Tout dépendra de la capacité de la France à assimiler l’immigration musulmane. Dans cent ans, les Français parlerontils un dialecte franco-arabe ? Ou bien le monde s’embrasera dans une guerre des civilisations ? Je ne suis pas sûr que l’humanité ait cent ans pour réfléchir. Il faut agir aujourd’hui. Propos recueillis par Youri Kovalenko pour le quotidien Izvestia
nographie. « Il faut être religieux et pratiquant pour peindre des icônes », explique-t-elle. « Les jours où nous peignons, nous ne mangeons pas de viande et nous prions avant de commencer le travail. Le processus traditionnel consiste à poser une planche à plat et superposer des couches de tempera à l’œuf très diluée, l’une après l’autre, pour construire l’image. C’est ce qui m’attire le plus : une technique ancienne, compliquée, qui s’enseigne forcément par un maître, que l’on ne peut ni improviser ni apprendre dans les livres ». Igor Voziakov, ancien directeur financier de Loukoïl et propriétaire de la nouvelle Maison des icônes, a amassé une collection de trois mille pièces, dont un dixième seulement sont exposées. « Durant le XXe siècle, il était impossible de voir des icônes, ou même de découvrir de quoi il s’agissait », se souvient Marina Katchousova, la directrice du musée : « c’est la connaissance qui est essentielle ». La porte-parole Ekaterina Vassina renchérit : « Nous ne cherchons pas à convertir nos visiteurs. Nous voulons leur montrer la beauté de la foi du peuple russe ».
résident de l’Académie Goncourt et lui même académicien, sacré classique de son vivant (il est mort en 1996), Hervé Bazin avait accepté de me rencontrer immédiatement, en s’excusant de préférer son petit village de Normandie à l’agitation de la capitale. Une ancienne demeure un peu décrépie, où un vieux jardinier guilleret nettoie une petite piscine pour enfants, un tuyau d’arrosage à la main. - Pardon, c’est ici que vit l’écrivain Bazin ? - Vous parlez de celui qui passe son temps à décerner le Goncourt ? - Oui. - C’est moi-même. Et il me tendit la main avec un sourire qui semblait s’excuser de ne pas s’être rendu d’emblée reconnaissable au visiteur. À côté de lui, dans un panier posé sur l’herbe verte, un bébé couinait doucement. Dès lors, j’ai cessé d’avoir des complexes par rapport à ma paternité tardive, alors qu’Hervé Bazin, devenait mon écrivain préféré au monde. Une petite-fille est née le même jour que son fils Nicolas, et Bazin m’avoua fièrement qu’il donnait la vie depuis un demi-siècle : « C’est comme créer un chef d’œuvre littéraire. En laissant derrière vous une trace, vous prouvez votre droit à l’existence. Comment peut-on vaincre la mort autrement ? Il ne faut jamais mourir pour toujours ». Il était simple dans le contact. C’est ce qui le rendait si attirant. Le Matrimoine a été plus lu en Russie que dans sa France natale. Les mauvaises langues françaises prétendaient que son amour de la Russie reposait sur des tirages par millions de ses romans. Mais ces envieux ignorent que l’URSS méprisait les droits d’auteur. Bazin aimait les Russes, les idéalisait un peu trop. C’était l’amour de celui qui ne connaissait de la Russie que sa littérature. Sa foi en nous, en la perestroïka et Gorbatchev, semblait celle d’un génie aveugle. Je lui ai demandé s’il n’avait pas des origines russes. Il y avait bien eu des Russes dans son entourage d’enfance, outre Tolstoï, Tchekhov et Tourgueniev. Et du côté de sa mère, à la sixième génération. Mais il ne savait pas qui, lui dont les archives étaient pourtant rangées si soigneusement, à la grande joie des spécialistes. Dans une lettre, il m’écrivit un jour : « L’année 1989 s’annonce bien. Les dangers, les conflits reculent un peu partout. Une avancée a été faite sur les voies du désarmement et du respect des droits de l’Homme ». Bazin m’invitait aux remises du Goncourt. Ce n’était alors plus un jardinier mais le maître du bal en smoking. L’une des dernières lettres que je reçus de lui commençait ainsi : « J’écris en ce moment la suite du Matrimoine qui eut en URSS autant de lecteurs qu’en France ». Nikolaï Dolgopolov est le rédacteur en chef adjoint de Rossiyskaïa Gazeta. Il fut correspondant à Paris de la Komsomolskaïa Pravda entre 1987 et 1993.
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Culture
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI FR.RBTH.RU COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO
Art contemporain L’Année croisée met en scène la nouvelle avant-garde russe
RECETTE
À voir et à méditer...
Jennifer Eremeeva
AES+F, 1997-2010
Provocation et défi : tel est le signe sous lequel se présente l’exposition des principaux artistes russes contemporains que le Palais de Tokyo accueille à Paris à partir du 11 juin .
Le chachlik : interdit aux femmes
JOHN VAROLI
SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
« Cette exposition va permettre aux publics français et européen de mieux comprendre ce que l’art contemporain russe a créé ces vingt dernières années, depuis la chute de l’URSS », assure Marina Gontcharenko, propriétaire de la galerie GMG à Moscou. « Elle témoigne de la réintégration de la Russie au sein de la scène artistique internationale ». Parmi les œuvres les plus provocantes figure le « Je m’en lave les mains » deYakov Kajdan, une installation qui représente des toilettes publiques assorties de barres de savon. L’artiste a conçu une puissante métaphore de l’hygiénisme maniaque de la civilisation occidentale. Cette propreté compulsive est le symptôme des complexes psychologiques plus profonds d’une nation tout entière, du colonialisme et de l’impérialisme aux guerres mondiales. Les barres de savon sont faites de marbre, et Kajdan joue sur la référence biblique au moment où Ponce Pilate se lave les mains... de l’exécution imminente de Jésus. Intitulée « Leçons d’histoire », l’exposition, en place jusqu’au 27 juin, est organisée par Joseph Backstein, dans le cadre de l’Année croisée France-Russie. Au côté de Kajdan, seront présents
« Septs justes et septs pécheurs » (1997) par les artistes AES+F
les quatre artistes du groupe AES+F, célèbres pour leurs installations et photographies ; Dmitri Goutov, qui fait de la sculpture abstraite en métal et a capturé un jour 2 500 volants de badminton dans un filet de volley-ball tendu entre des arbres ; Ivan Tchoïkov, peintre ; ainsi que des artistes conceptuels tels que Arseni Jilyaïev, Anton Ginsburg, Sergueï Chekovtsov, et le duo Aristarkh TchernychovAlexeï Choulguine. « Backstein est le plus célèbre conservateur d’art russe, et il a réuni un excellent groupe d’artistes qui soulèvent des thèmes sociaux, historiques et politiques essentiels », explique Gontcharenko, consultante en chef du commissaire sur cette exposition.
Laquelle est soutenue par le ministère de la Culture russe, la Fondation Iris et le centre de culture contemporaine Garage de Daria Joukova, devenu le cœur battant de l’art contemporain russe. L’exposition s’ouvre sur des travaux du milieu de années 1980, pendant la perestroïka, et se fraye un chemin jusqu’à aujourd’hui, à travers les œuvres des artistes russes les plus en vogue. « La réaction à l’histoire et à la nostalgie, ainsi que la réflexion et l’interprétation qui en découlent, sont des thèmes constants de l’art russe », précise Backstein. « Les œuvres de ces artistes reflètent les circonstances culturelles, historiques, sociales et politiques dans lesquelles elles
ont été créées ; c’est pourquoi je les ai choisies ». « Les suspects » de AES+F (1997) est une œuvre conceptuelle qui montre des portraits photos de 14 adolescentes. Sept sont de simples écolières moscovites, les sept autres sont des détenues pour crimes violents. Les artistes ne donnent aucun commentaire sur l’identité de chacun des modèles et laissent au spectateur la liberté de décider. Mais l’exercice est presque impossible car toutes les filles sont soigneusement maquillées et souriantes. Cette œuvre d’art nous force à confronter nos préjugés nous portant à désigner qui « a la tête d’un criminel ». Arseni Jilyaïev, un des chefs de file de la scène moscovite, joue avec les concepts d’utopie et de nostalgie. Son « Le temps est du côté du communisme » présente des sculptures fabriquées à l’aide de meubles soviétiques. L’artiste met en parallèle l’idée d’espace personnel pour l’homme contemporain et l’homme soviétique, les différences qui séparent leurs chances et leurs espoirs, sur fond de fatalisme utopique. L’installation « Gesamt » présente le mot Gesamtkunstwerk en néon incandescent sur un fond constamment changeant. Le mot signifie « œuvre d’art universelle » en allemand, ou « la synthèse des arts », et avait été utilisé par le compositeur Richard Wagner en 1849 dans son essai L’art et la révolution. L’enseigne en néon de Ginsburg est une tentative d’atteindre l’harmonie artistique que les générations précédentes ont passionnément recherchée. En vain.
SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
J’ai beaucoup d’affection pour mes lecteurs. Quand Laura m’a écrit pour me demander si je pouvais parler de la salade de betterave, j’étais prête à obtempérer. Mais les lilas m’ont déconcentrée. Le printemps arrive vite en Russie. Un jour, le monde est un pot rempli d’eau sale et de pinceaux boueux, le lendemain, il éclot en une vibrante palette de couleurs pastel. Les premières fraises et tomates mûres arrivent d’Asie centrale et de Crimée, pour être vendues par des blondes peroxydées arborant tabliers et ongles sales. La betterave à cette époque de l’année ? Non, la betterave en Russie vient du butin musqué de l’automne, pas de la promesse bourgeonnante du printemps. Le printemps arrive avec les premières bouffées de la fumée acre du « koster », le feu du barbecue. Alors que fleurissent les lilas, les « perce-neige », ces voitures rouillées et déglinguées, qui ne servent qu’à sortir de la ville en été, prennent le chemin des datchas. Là, qu’il y ait de l’électricité ou non, le menu traditionnel reste inchangé : des brochettes de porc ou d’agneau mariné, grillées sur un feu de bois. Comme beaucoup de mets incontournables, le chachlik n’est pas originaire de Russie, mais les Russes l’ont adopté. Ou
plutôt, les hommes russes l’ont adopté. Les hommes russes ne sont pas des cuisiniers nés : la cuisine, c’est un peu efféminé, rien à voir avec la domination du monde - il faut nettoyer et faire des projets à long terme. Ça ne les fait pas rêver. À l’exception du chachlik, qui « ne supporte pas les mains féminines », assurent les hommes. J’ai remarqué, pour ma part, que le chachlik survit parfaitement à la présence féminine aux étapes de la préparation et du nettoyage post-festin. Toujours est-il que les hommes russes s’adonnent à leur seule expérience culinaire avec passion : des débats animés autour du secret ancestral de la marinade (vinaigre, huile, sel et poivre), et de la bonne manière de disposer la viande sur le feu durent le temps de boire une bouteille de vodka. Avec amour, ils enfilent les morceaux collants de viande sur des broches d’un mètre de long, avant de les déposer lentement entre les flammes. Je me dis parfois que si les hommes russes traitaient leurs femmes avec autant de tendresse, le problème brûlant de la natalité en déclin pourrait être résolu dans ce pays. Servez le chachlik avec des tomates, des concombres, de l’aneth et du pain lavach, la pita du Caucase. Sans autre assaisonnement que du sel. Quand le produit est frais et que le soleil ne se couche pas avant neuf heures du soir ! Que souhaiter de plus ? FOTOIMEDIA
Photographie Anton Lange a sillonné la Russie, son objectif l’a saisie sous tous les angles
Des paysages et des humains vus du train ANTON LANGE ET OAO «RZD»
Rien de tel qu’un périple ferroviaire pour capter les multiples visages de la Russie, qui ont été présentés à Bordeaux. FEDOR KLIMKIN
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
« La Russie vue du train » est un projet commun des Chemins de fer russes et du photographe Anton Lange. Une trentaine de photos ont été présentées à la Foire internationale de Bordeaux. Les clichés ne donnaient pas seulement à voir des paysages, mais aussi des scènes de la vie quotidienne des habitants de Russie : une famille nanaï en costumes traditionnels prenant le frais sur une terrasse à Sikatchi-Alian, un chef de gare d’humeur festive dans un village sibérien... Tout au long de ses périples ferroviaires, y compris à bord du Transsibérien, entre novembre 2006 et décembre 2009, Anton Lange a parcouru les sites les plus remarquables : la péninsule de Kola et le nord-ouest de la Russie occidentale, les régions
Cette voie longeant la Volga, est très impressionnante car le train semble rouler sur l’eau.
du centre, le fameux « Anneau d’or », la Volga, les bords de la mer Noire, le Nord-Caucase, l’Oural, la Sibérie, la magistrale Baïkal-Amour (BAM), le lac Baïkal, l’île de Sakhaline… Selon le photographe, « c’est une aventure dans laquelle le voyageur curieux fait une multitude de découvertes, trouve l’inatten-
du dans le commun ; c’est un voyage à travers la nature, la géographie du pays, son histoire, son ethnographie, sa culture ». Une aventure comme celle qu’a vécue un jour le héros de Jules Verne, Michel Strogoff, qui a fait rêver des générations de jeunes Français. La question la plus fréquemment posée à Bordeaux
était : « Où peut-on acheter un billet pour le Transsibérien ? » L’exposition, qui s’est tenue du 8 au 17 mai, était présentée par le supplément La Russie d’Aujourd’hui, conjointement avec les Chemins de fer russes, avec le soutien du Centre de Russie pour la science et la culture à Paris.
Ingrédients :
1 kilo de porc ou d’agneau 2 oignons coupés en quatre 1 verre de vinaigre de vin rouge Eau froide Le jus d’un citron ou 1 verre de jus de grenade Persil frais haché, aneth frais 4 c. à soupe de poivre en grains 4 c. à soupe de sel 4 échalottes émincées 4 gousses d’ail écrasées 1 poignée de coriandre frais 1/2 verre d’huile d’olive
Préparation :
Débarrassez la viande de son gras et coupez-la en cubes de 5 cm. Placez-la dans un grand plat étanche avec un couvercle. Mélangez vinaigre, jus, persil, poivre, sel, échalote et ail dans un bocal et agitez vigoureusement. Versez la marinade sur la viande en allongeant à l’eau pour recouvrir tous les morceaux. Réfrigérez une nuit,
ou, si vous êtes pressés, laissez quelques heures à température ambiante. Remuez régulièrement pour que tous les morceaux soient bien marinés. Enfilez la viande et les quartiers d’oignons sur de longues broches, aspergez d’huile d’olive et grillez en tournant souvant, jusqu’à ce que la viande brunisse. Débrochez, soupoudrez de coriandre et servez immédiatement. Il y autant d’assaisonnements que de chachliks différents. Les sauces du Caucase allient l’acidité du citrus, le musk du fruit, et les herbes fraîches pour le Tkemali (sauce de prune aigre-douce) ou le goût prononcé de la noix, de l’ail et du coriandre frais pour le Satsivi (sauce aux noix). Dans les Balkans, on penche pour des sauces au yoghourt et à l’ail ou une salsa de tomate. Soyez inventif !
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Julia Golikova golikova@rg.ru Tél.: +7 (495) 775 3114