La Russie d'Aujourd'hui

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L’art engagé prend ses quartiers dans la cité Un groupe d’artistes replace la politique au centre du champ artistique et bouscule la société. P. 7

Chère restauration Le théâtre lyrique du Bolchoï rouvrira ses portes en octobre, mais la polémique enfle sur les coûts. P. 7 © ruslan sukhushin

Ce supplément est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Moscou, Russie) qui assume seule l'entière responsabilité de son contenu Mardi 31 mai 2011

loisirs

Sécurité sociale Le Kremlin s’attelle à la complexe réforme des soins publics hérités de l’époque soviétique

Sauver le système de santé

Assaut créatif sur les friches industrielles de Moscou

L’État a décidé d’investir 19,3 milliards d’euros dans l’amélioration des infrastructures et des services médicaux. Enjeu : la sauvegarde d’un système de santé public et gratuit. Galina Masterova

La russie d'aujourd'hui

© itar-tass

En sortant de la gare Kourskaïa, traversez la place bruyante, en évitant les chiens errants, longez la petite décharge improvisée, faufilez-vous entre les kiosques déglingués de gadgets bon marché, entre deux murs aveugles, au bout de la rue, vous êtes arrivé. Devant vous : la nouvelle Mecque de l’art contemporain ! PAGE 8 © photoxpress

Quand Evguenia Ivanovna a été hospitalisée récemment, sa fille Zoïa savait intuitivement qu’il lui faudrait régler « au noir » une partie des frais à l’infirmière, bien que l’hôpital soit public. Elle a donné 500 roubles (12 euros). Ce n’est pas tant le montant qui pose problème, disent les sociologues, que la nature de ces pots-de-vin. Sur le papier, le système de santé russe est gratuit. La Constitution russe de 1993 garantit ce droit à chaque citoyen. En réalité, la médecine russe fonctionne à double vitesse, mêlant des services de santé privés et un système public à la traîne. Ce dernier, ravagé par des années de financement insuffisant, se caractérise par des hôpitaux décrépits dont le personnel déprimé et lamentablement sous-payé encourage souvent une rémunération ad hoc de son travail.

Opinions

Il ne suffit pas d’investir dans les équipements : c’est tout le système qui est à repenser pour notamment enrayer le déclin démographique.

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Corruption Dans les milieux d’affaires, les victimes se rebiffent

Photo du mois

Halte aux extorsions, place à la rébellion

Le 1er mai rouge pour toujours

Yana Iakovleva a passé sept mois en prison pour avoir refusé de céder à la corruption. Désormais, elle lutte contre ce fléau et vient en aide aux entreprises les plus vulnérables.

© anna artemeva

La russie d’aujourd’hui

En 2006,Yana Iakovleva était une femme d’affaires ambitieuse, copropriétaire de Sofex, une entreprise de produits chimiques. Elle pensait maîtriser les rouages du business russe. Mais quand des membres d’une unité de police

Iakovleva a été emprisonnée à tort pendant plusieurs mois.

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Revue de presse : la mort de Ben Laden

Une femme salue les partisans communistes défilant sous ses fenêtres lors du traditionnel dé‑ filé du 1er mai dans le centre de

Moscou. Réminiscence sovié‑ tique, le défilé continue de célébrer les droits du prolétariat international.

Familles nombreuses

Bourse en ligne

Îlot de pureté

Le gouvernement russe voudrait voir les Russes avoir plus d’enfants pour contrer le déficit démographique. Mais l’évolution des moeurs va dans le sens inverse.

Yandex, le principal moteur de recherche russe loin devant Google, a fait son entrée en bourse à New York. Les investisseurs se sont rués sur les actions de cette société en plein boom.

Le splendide et gigantesque lac Baïkal offre à ses visiteurs sa nature sauvage et les met en contact avec l’ancienne et riche culture sibérienne. Laissez-vous guider !

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©Julia Vishnevets

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Poutine et Medvedev n’ont pas d’autre choix que d’être candidats l’un contre l’autre car la concurrence aidera à stabiliser le régime, estime le politologue Georgy Bovt.

© afp/east news

Vladimir ROuvinskiy

spécialisée dans la lutte contre la corruption se sont présentés avec des documents pour réquisitionner sa société, ce fut un véritable choc. Les policiers se sont comportés comme s’ils saisissaient un bien qui leur appartenait. À cheval sur ses principes, Yana a refusé de payer pour échapper à la tentative d’extorsion. Cette noble action lui a valu d’atterrir en prison, un univers qu’elle connaissait pour avoir donné des cours de réinsertion dans un centre de détention pour femmes. « C’est une guerre terrible qui est livrée contre les femmes et hommes d’affaires, conduite en premier lieu par certains fonctionnaires russes », affirme Yana Iakovleva.

Candidats obligés aux présidentielles

© itar-tass

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La presse s’interroge sur les conséquences de cette décapitation du terrorisme mondial, sur la capacité du monde à affronter le nouveau désordre et sur le nouveau djihadisme. PAGE 6

© lori/legion media

31 Mai /

Laissez-nous vous présenter la Russie ! www.larussiedaujourdhui.be tous les derniers mardis du mois dans Le Soir

28 Juin


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Politique & Société

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.BE Supplément réalisé par Rossiyskaya Gazeta et distribué avec

Les PME se rebiffent contre les fonctionnaires corrompus

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Le parquet doit réagir face aux cas de corruption publiés dans la presse. Il s’en saisit parfois mais ne fait pas toujours redescendre l’information vers les médias.

© anna artemeva

suite de la premiÈre PAGE

« Ils peuvent s’attaquer à n’importe quel entrepreneur, engager des poursuites pénales pour finalement lui extorquer de l’argent. Et la victime comprend qu’elle va devoir se battre contre cette machine bureaucratique jusqu’à sa mort », explique la femme d’affaires. Aujourd’hui âgée de 39 ans, elle a passé sept mois de sa vie en prison et attend toujours son jugement. « Je n’arrivais pas à croire ce qui m’arrivait. Ma réputation, et tout ce pour quoi j’ai toujours travaillé menaçait soudain de s’écrouler ». Mais son cas a fini par attirer l’attention des défenseurs des droits de l’homme. Cinq ans plus tard, Yana est devenue une figure emblématique de la lutte contre la corruption. Les entrepreneurs en détention provisoire se compteraient par milliers, même si aucune statistique officielle n’existe. Rares sont ceux qui ont été acquittés.

Chiffres clés

17%

des entrepreneurs russes ont l’intention d’émigrer, et 50% déclarent vouloir refuser de céder à la corruption.

70 000

entreprises sont touchées chaque année par les demandes de pots-de-vin qui peuvent atteindre 10% de leurs dépenses totales.

Les investisseurs étrangers ne sont pas les seuls à craindre les fonctionnaires russes en quête de pots-de-vins et spécialistes des arrestations abusives. Selon une récente étude menée par le gouvernement, 17% des entrepreneurs russes ont l’intention d’émigrer, tandis que 50% disent vouloir refuser de céder au chantage. Au lieu d’abandonner son pays, Iakovleva a créé sa propre organisation, le Comité Solidarité Business, pour soutenir les entrepreneurs victimes de ces pratiques. Récemment, Yana a

35%

C’est la diminution du nombre de poursuites liées aux délits économiques en 2010, selon le ministère de l’Intérieur.

également été nommée à la présidence d’un centre anti-corruption russe qui collabore depuis peu avec le syndicat des PME russe Delovaïa Rossia. « Il s’agit de l’union de deux forces, car les autorités sont à la fois contre la corruption et contre le monde des affaires », a annoncé Boris Titov, à la tête de Delovaïa Rossia, et qui co-préside le centre anti-corruption avec Iakovleva. Galina et Evgeni Konovalov font partie des tout premiers entrepreneurs à s’être adressés au centre. Leur société implantée à

Medvedev passe le test de la presse

bunal, mon mari a été arrêté sur de fausses accusations », raconte Galina Konovalov. Les avocats lui ont dit que son cas était sans espoir, mais cette même année, le couple a enregistré deux victoires : en février, le tribunal a reconnu plusieurs violations à l’encontre de l’accusé, et en mars, l’entreprise a été rendue aux époux Konovalov. Pour autant, l’affaire contre Evgeni n’est toujours pas classée, et les biens de la société ont été vendus au cours de la procédure judiciaire. Le centre anti-corruption est la première initiative incitant les entreprises à combattre elles-mêmes le fléau dont le noyau « ne faiblit pas et prend l’économie à la gorge », pour reprendre le discours du 31 mars du président Dmitri Medvedev. « Chaque année, près de 70 000 entreprises sont victimes de corruption en Russie. Les sommes versées en pots-de-vin peuvent atteindre jusqu’à 10% des dépenses totales. Il s’agit effectivement d’un racket à grande échelle et qui touche toutes les institutions du pays », précise le président de Delovaïa Rossia, Boris Titov. Yana Iakovleva estime que le droit pénal constitue actuellement la voie principale de saisie des entreprises : « Auparavant, ces pratiques concernaient principalement les tribunaux d’arbitrage parce que la qualité de la justice et l’indépendance des juges étaient faibles ». De nouveaux amendements du Code pénal atténuant les sanctions en cas de délits économiques sont entrés en vigueur le mois dernier. Les amendes devraient remplacer les peines de prison. « Nombre de nouvelles lois ont été adoptées. Le problème, maintenant, est de les faire respecter », insiste Yana. « Jusqu’à mon arrestation, je n’imaginais pas qu’une entreprise puisse avoir pour rôle d’ agir sur la société, ni qu’elle soit amenée à dénoncer des injustices ».

mesures De Medvedev contre la Corruption

Réduire la charge fiscale dont le niveau élevé peut conduire les entrepreneurs à enfreindre la loi afin de préserver une certaine rentabilité.

Yana Iakovleva est aujourd’hui une militante emblématique de la lutte contre la corruption.

en bref

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Mettre fin à l’anarchie dans l’établissement des normes. Souvent, les ministères adoptent des dispositions légales en contradiction avec une législation existante. Le ministère de la Justice doit y mettre bon ordre.

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Créer une institution responsable des investissements qui suivra et solutionnera les problèmes des investisseurs.

5

Avant le 15 mai, consolider un graphique de la privatisation des gros portefeuilles d’actions au sein du domaine fédéral.

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Les ministres et représentants de l’administration présidentielle doivent quitter les conseils des chefs des entreprises nationales avant le 1er octobre 2011.

Krasnodar a subi une descente des autorités locales. « En 2008, nous avons appris que le propriétaire avait mystérieusement été remplacé, et lorsque nous sommes allés porter plainte au tri-

Le 18 mai dernier, Dmitri Medvedev a tenu sa première grande conférence de presse dans la future Silicon Valley russe de Skolkovo. Lors de son intervention, le président russe est revenu sur la nécessaire rénovation du gouvernement après 2012, et un possible retour aux élections pour les gouverneurs et les conseillers de la Fédération. Concernant la coopération avec les États-Unis autour du projet de bouclier anti-missile, le chef d’État a menacé ces derniers et l’occident d’un retrait du traité Start si une entente n’était pas trouvée. Il a en outre promis de ne pas appuyer les sanctions de l’ONU concernant la Syrie. Le volet des deux grandes affaires judiciaires de Khodorkovsky et Magnitsky a également été évoqué. Les résultats de l'enquête sur la mort en prison de l'avocat Sergeï Magnistky, arrêté après avoir dénoncé une affaire d'évasion fiscale au sein de l'Hermitage Capital organisée par de hauts fonctionnaires, devraient être connus sous peu.

Une ville utopique en Sibérie

© service de presse

Près de Tomsk, une ville d'un genre entièrement nouveau et réservée à l'intelligentsia verra bientôt le jour. Imaginée par l'homme d'affaires Alexandre Kravtsov, "Ruyan-ville" devrait être achevée d'ici 5 à 6 ans. La ville pourrait accueillir jusqu’à 2000 habitants et 10 000 touristes. Cette ville sera avant tout une plateforme d’échanges intellectuels.

Émigration Les jeunes diplômés sont de plus en plus tentés par les perspectives offertes à l'étranger

De nombreux jeunes Russes s’expatrient pour acquérir une précieuse expérience, voire pour émigrer définitivement. Un grave problème de déficit de cadres se profile pour la Russie. Max seddon

Spécialement pour la Russie d’aujourd’hui

Anton, 25 ans, occupe un poste clé à Moscou, dans un important groupe pétrolier. Mais il postule pour un emploi à Londres, qui sera moins rémunéré, ou pour une formation à l’étranger. Car pour lui, « la Russie est trop triste, surtout en hiver ». Les pays occidentaux attirent les jeunes diplômés russes qui y trouvent de plus grandes chances, de meilleures formations, ou tout simplement un climat plus doux. Cette dernière raison peut paraître dérisoire, mais nombreux sont ceux qui plient bagage pour vérifier si l’herbe est effectivement plus verte ailleurs. « Cha-

que année, je demande à mes étudiants ce qu’ils veulent faire dans 3 où 4 ans. En septembre 2010, ils ont été une bonne moitié à répondre qu’ils projetaient de déménager à l’étranger, notamment en Allemagne, en GrandeBretagne, en Irlande et en Argentine », note Alexandre Auzan, professeur d’économie. Dmitri Medvedev s’en inquiétait en juillet 2008, lors d’un sommet du G8 : « Nous devons créer de bonnes conditions pour nos citoyens. C’est le manque de telles conditions qui les pousse à partir ». Selon les dernières indications, ce discours n’a pas convaincu. D’après Sergueï Stepachine, président de la Cour des comptes de Russie, plus de 1,25 million de Russes ont quitté le pays ces dernières années, ce qui, couplé à la chute de la natalité et au niveau élevé de mortalité, entraîne une importante baisse démographique. L’émigration continue inquiète

les autorités, alors que la Russie connaît une croissance constante sans précédent, avec un PIB en forte progression annuelle depuis 1998, un niveau de pauvreté réduit de moitié et une économie en hausse de 7% par an en moyenne. Mais selon les experts, c’est l’atmosphère du pays qui fait fuir. « La raison principale est le manque d’air frais, ainsi que le décrivait Blok dans son poème consacré à la mort de Pouchkine », estimait récemment Dmitri Orekhov dans le journal d’opposition Novaya Gazeta. « Il devient de plus en plus pénible pour une personne libre et indépendante de respirer dans la Russie de Poutine. On n’y trouve pas sa place ». Qu'est-ce qui provoque cette lourde atmosphère ? Comme le montrent les résultats de l’étude accompagnant l’article de Dmitri Orekhov, 62,5% des lecteurs de Novaya Gazeta attribuent la vague d’émigration ac-

« La raison principale est le manque d'air frais, comme au temps du poète Alexandre Blok » « Quitter le pays permet d’acquérir de l’expérience [...] mais cela vaut la peine de rentrer » Le point de vue d’Anna, 32 ans, commissaire d’exposition dans un important centre d’art de Moscou, tranche avec cette vision. Après plusieurs stages en Europe, elle est finalement rentrée en Russie : « Cela peut paraître paradoxal, mais vous trouverez plus de possibilités de carrière ici si vous le voulez vraiment. Quitter le pays pour un temps permet d’acquérir de l’expérience et d’élargir ses horizons, mais cela vaut vraiment la peine de rentrer ».

© afp/east news

La fuite des cerveaux continue d'accentuer le déficit des cadres

tuelle à la situation personnelle, notamment l’activité, l’âge, la connaissance de langues étrangères, la situation familiale et le niveau d’éducation. Dans l’espace russophone du site LiveJournal, il existe même une communauté nommée « Time to go ? » où l’on s’échange expériences et conseils en matière d’émigration.

1,25 million de Russes ont quitté le pays ces dernières années.

Sondage

« Partir pour toujours ? » Les sondages montrent que quatre russes sur cinq n’envisagent pas de quitter le pays.

levada.ru

Le nombre d’émigrants potentiels russes n’a pas augmenté depuis 2000, d’après le Centre Levada. Mais les moins de 35 ans sont deux fois plus nombreux à vouloir partir. Certains citent les chances de carrière et un salaire plus élevé comme principales raisons d’émigrer, tandis que la plupart mettent en avant les facteurs culturels et de meilleures conditions de vie.


Société

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Orphelinats La charité ne suffit pas

L'aide publique s'amenuise pour les défavorisés Bruxelles réduit ses activités de financements des programmes d’assistance en Russie. L’aide financière européenne sera désormais remplacée par des fonds privés étrangers ou russes. SOFIA IZMAÏLOVA

LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI

CHIFFRES CLÉS

51,6% Le gouvernement russe doit investir 19,3 milliards d’euros dans la réforme du système de santé.

© RIA NOVOSTI

des Russes décèdent suite à des accidents cardio-vasculaires, 24,4% de cancers. Viennent ensuite les accidents, les homicides, et les abus d'alcool.

SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

C’est l’une des grandes contradictions de la société russe : elle compte de très bons médecins et chercheurs originaires d’un pays où, à quelques centaines de kilomètres de Moscou, les familles des patients sont tenues d’acheter à leurs frais les pansements, seringues, poches de solution saline et tout le nécessaire pour un séjour hospitalier. La presse décrit des hôpitaux où les instruments sont stérilisés dans des casseroles posées sur des serpentins électriques. Le gouvernement russe se lance donc dans une immense réforme qui prévoit d'injecter 19,3 milliards d’euros pour doter les hôpitaux du pays d’équipements dernier cri et revaloriser les salaires du personnel médical. La Russie devrait accroître ses dépenses de santé de 3,9% à 5% par an pour se rapprocher de l’Union européenne. Le piteux état du système de santé, doublé d’indices de mortalité alarmants, ont servi de catalyseur. « La Russie a un taux

Dépenses de santé jusqu’en 2020

médecine préventive pour les hommes. Il a obtenu des financements du ministère de la Santé et du Développement social pour importer des équipements opératoires robotisés dans quatre hôpitaux du pays, mais il estime que le problème n’est pas seulement financier. « Il revient à la société elle-même de délivrer le message », dit-il. « La société, c’est tout le monde, le président, le Premier ministre, les travailleurs. Une société unie doit déclarer que nous comprenons ce que cela signifie d’être un bon docteur et à quel point c’est important ». Le système soviétique, gratuit pour tous, se concentrait sur les spécialistes et les soins, négligeant la prévention. Les Russes sont aujourd’hui peu nombreux à faire confiance à leur système de santé. Les classes aisées préfèrent se faire soigner à l’étranger. Soulignant l’aspect moral du problème, Pouchkar conclut : « Il est impossible de réformer en un an, mais nous pouvons commencer par reconnaître qu’il y a de bons et de mauvais médecins. Nous devons soutenir les bons ».

de natalité de pays développé, c’est-à-dire bas, et un taux de mortalité de pays en développement, c’est-à-dire élevé », commente Macha Lipman, une spécialiste du centre de réflexion Carnegie de Moscou. Elle ajoute qu’il y a « plusieurs causes à la forte mortalité, dont l’une est la mauvaise qualité du système de santé ». Les démographes les plus pessimistes prédisent que la population russe pourrait chuter de 142 millions à 100 millions en 2050. Mais il n’y a pas de tendance irréversible : si les Russes s’investissaient dans une vie plus longue et plus saine, ils seraient peut-être enclins à avoir plus d’enfants. Le gouvernement construit une série de centres médicaux dans tout le pays, en mettant l’accent sur la lutte contre les maladies cardio-vasculaires et les cancers. Dmitri Pouchkar, 47 ans, est le principal urologue de la Russie. Ce chirurgien de réputation internationale est à l’avant-garde de l’utilisation de technologies pour le traitement du cancer, et en Russie, c’est un pionnier de la

© DMITRY MARKOV

Cure indispensable pour le système de santé

Sacha a vécu jusqu’à l’âge de 16 ans dans les rues de Saint-Pétersbourg. Son père est mort quand il était enfant, sa mère est alcoolique. Sacha a alors arrêté l’école, s’est mis à errer de refuges en refuges, et puis ont commencé ses problèmes d’alcool. Au printemps 2007, Sacha a été recueilli par « Enfants des Rues de Saint-Pétersbourg », un programme de réadaptation des enfants et adolescents sans abris, subventionné par l’Union européenne. Sacha a été placé dans un centre de « Doctors to Children », une ONG à l’initiative de ce programme. Médecins, psychologues et professeurs ont alors pris en charge l’adolescent. Très vite, Sacha est retourné à l’école. Au centre, il s’est découvert une passion pour la photographie. Aujourd’hui, il étudie à l’université d’État du Cinéma et de la Télévision de SaintPétersbourg et vit avec sa grandmère, retrouvée grâce au centre. L’UE a dépensé 300 000 euros pour soutenir ce programme qui est venu en aide à plus de 1 600 enfants russes. Selon Denis Daniilidis, porte-parole de la Commission européenne à Moscou, le programme « Enfants des Rues de Saint-Pétersbourg » est l’une des initiatives européenne les plus

abouties. Le programme est toujours en vigueur, bien que les fonds proviennent désormais de la ville. « Lorsque les fonds provenant de Bruxelles sont remplacés par ceux d’une administration locale à l’issue du projet, on peut dire que c’est une réussite », a-t-il déclaré. Depuis 2002, l’UE a dépensé 42 millions d’euros dans des programmes d’assistance liés à la protection des droits des enfants en Russie. Mais les financements diminuent chaque année, explique M. Daniilidis. « Avant, la Russie était considérée comme un pays en voie de développement, c’est pourquoi un budget important lui était allouée ». La deuxième cause sont les révolutions arabes. La pauvreté dans laquelle ces populations vivent oblige la Commission européenne à faire de ces pays une priorité. Aujourd’hui, les organisations non gouvernementales russes trouvent de plus en plus de donateurs privés. Cependant, les Russes ont commencé à compenser eux-mêmes le manque de financement. « Ces derniers temps, on observe une préoccupation plus sérieuse vis-à-vis de la société civile. Des particuliers achètent des fauteuils roulants, un enseignement de base sur la vie en société se met en place dans les orphelinats », explique IrinaYasina, économiste et membre du Conseil des droits de l’homme. « Des changements colossaux se sont produits ces dernières années. Nous commençons à ressembler à l’Europe », conclutelle.

L'UE a dépensé 42 mln d'euros depuis 2002 pour l'aide à l'enfance.

Démographie Le gouvernement russe veut des familles plus nombreuses, mais l’évolution des moeurs a l’effet inverse

Famille nombreuse, famille heureuse ? ELENA NOVIKOVA

LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI

Dans un film soviétique de 1968, «Vivons au moins jusqu’à lundi », une écolière nommée Nadia raconte en classe que son idéal de bonheur, c’est d’avoir quatre enfants. Cette affirmation audacieuse met dans une colère noire sa prof, qui défend avec fermeté les valeurs soviétiques. Le film a plus de quarante ans aujourd’hui, le pays a radicalement changé. Néanmoins, les mères de familles nombreuses doivent toujours faire face à un mur d’indifférence. Maria Ipatova, 25 ans, est mère

de deux garçons : Oleg a presque deux ans et Trofim a six mois. Avec son mari, ils envisagent d’avoir un troisième enfant. « Mon fils aîné est né très faible, les médecins disaient qu’il ne survivrait pas. C’est là que nous avons compris que nous aurions beaucoup d’enfants. Un enfant unique devient égoïste ; deux deviennent rivaux ; mais trois forment une famille ». Mais Ipatova est déjà une exception. Seuls 3% des couples en Russie ont plus de deux enfants et 48% - presque la moitié – n’en ont pas du tout, selon les statistiques. Psychologues et sociologues sonnent l’alarme depuis longtemps, en parlant d’une « crise » et même de l’extinction de la famille en tant qu’institution. Il ne s’agit pas que des divorces. De plus en plus

de couples vivent en concubinage, plutôt que de se marier, ce qui était impensable en URSS. Une autre tendance récente parmi les mères est de faire des bébés toutes seules, sans mari ou compagnon : plus de 30% des enfants russes sont nés hors mariage. Ajoutez à cela une chute sérieuse de la natalité, et l’avenir de la famille nucléaire parait sombre. Le nombre moyen d’enfant par femme en Russie est de 1,59, contre 1,9 en 1990. La Russie est toujours l’un des leaders mondiaux en termes d’avortements, même tardifs ; 60 % des grossesses sont interrompues. Les sondages indiquent que les Russes refusent d’avoir des enfants pour des raisons économiques et à cause d'aides insuffisantes de l’État en terme

40% des divorces ont lieu durant les 4 premières années de vie commune

© JULIA VISHNEVETS

Le nombre de couples sans enfants augmente tandis que les familles nombreuses deviennent une exception.

Combien de temps ensemble ?

Voir un diaporama sur larussiedaujourdhui.be

22%

Voir une famille de quatre enfants est désormais une rareté.

d'infrastructures. Il existe un déficit énorme de place en maternelle. L’État encourage uniquement la maternité en offrant un « capital maternel », un chèque de 8980 euros, à la naissance du deuxième et du troisième enfant. La natalité a augmenté de 22% depuis 2006, mais pas assez pour enrayer la crise démographique.

L’année dernière, des députés de la région de Tcheliabinsk ont proposé de réintroduire l'impôt sur les familles sans enfants qui existait entre 1941 et 1991. Signe qu'à ce jour, l’État n’a pas trouvé d'idée plus efficace.

entre 10 et 19 ans

28%

entre 5 e 9 ans

10%

après 20 ans


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Économie

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Internet L'introduction en bourse à New York du principal moteur de recherche russe a rencontré un énorme succès

Yandex, moteur de recherche... et de profits Yandex prouve que l'économie russe n'est pas qu'une histoire de pétrole et de gaz. Ni les risques politiques, ni la concurrence de Google n'ont eu raison de l'appétit des investisseurs.

tim gosling

© photas

Ce fut la ruée. Les investisseurs ont demandé dix fois plus d'actions que Yandex n'en proposait. Résultat, le "Google russe" a relevé ses prix au dernier moment et est parvenu le 24 mai à lever 1,3 milliards de dollars sur le Nasdaq de New York. La franchise de Yandex a payé, car dans son prospectus de 2.000 pages destiné aux investisseurs potentiels, le groupe n'a pas caché encourrir des risques politiques, dont celui d'une OPA par des oligarques proches du pouvoir. « Les entreprises russes de haut niveau comme la nôtre sont particulièrement vulnérables aux manoeuvres politiciennes », précise Yandex. Il existe toujours le risque que quelqu'un interprête le traitement de l'actualité comme « politiquement biaisé, ce qui pourrait entraîner des représailles », poursuit le prospectus. Yandex affirme concentrer 64% du trafic de recherche en Russie, contre 22% pour Google, et constitue la plus grande entreprise Internet basée en Russie en termes de recettes. Ce qui place le groupe au sommet d'un secteur très porteur. Les dépenses de publicité surfent sur l'accélération de la reprise économique. Quoi qu'il en soit, le prix reste nettement en dessous de ceux des moteurs de recherche d'autres marchés émergents, ce qui est lié en au risque découlant d'investisse-

©itar-tass

business new europe

Yandex a été fondée en 1993 et le moteur de recherche proprement dit en 1997. L'essentiel des revenus du groupe proviennent de la publicité. La société vient d'ailleurs de relever ses tarifs de 30% cette année.

chiffres clÉs

60 mios de Russes, soit 40% de la population, utilisent Internet, soit la 7ème audience mondiale.

64%

des Russes utilisant internet préfèrent Yandex, très loin devant le leader mondial Google (22%).

ments dans une entreprise de ce type. Selon la loi russe, tous les fournisseurs de services Internet doivent permettre au FSB, le Service russe sécurité, de fixer sur leurs serveurs une "boîte noire" capable de surveiller le trafic e-mail. En avril, le FSB a fait monter la pression, en demandant l'interdiction de Skype et de Gmail, arguant prétexte qu'ils constituaient une grave menace pour la sécurité. Le président Dmitri Medvedev, réputé pour ses affinités avec le Web, a rejeté la demande, mais la discussion met en relief les relations complexes entre l'État et l'autoroute de l'information. Figure de l'opposition, Boris Nemt-

Échanges La perception de la Russie auprès de ses partenaires

Mieux qu'un simple marché émergent La Russie n'est plus un marché émergent. C'est du moins l'opinion de l'UE, qui cherche à mettre fin au traitement commercial de faveur mis en place dans les années 1990.

Ben Aris

business new europe

L'exécutif de l'Union européenne a annoncé son intention d'exclure les pays à revenu intermédiaire comme la Russie et le Brésil des droits de douane spéciaux introduits conformément au Système de préférences généralisées (SPG) de l'UE. « Les équilibres économiques mondiaux ont connu d'énormes bouleversements », a déclaré le Commissaire européen au Commerce Karel De Gucht aux journalistes. « Si nous accordons des préférences douanières dans cet environnement concurrentiel, ce sont les pays les plus nécessiteux qui doivent obtenir le plus d'avantages ». 176 pays ont actuellement droit à des tarifs douaniers spéciaux qui, au total, représentent 4% de l’ensemble des importations vers l’UE. Selon les propositions de Bruxelles, cela permettra de purger la liste d'environ 80 pays. Cette proposition constitue la reconnaissance la plus explicite par Bruxelles de la puissance

économique croissante de la Russie. L'Union Européenne est de loin le partenaire commercial le plus important de la Russie et le volume des échanges a augmenté bon train au cours des dix dernières années. L'UE représentait 49% des échanges commerciaux de la Russie en 2010, après que le chiffre d'affaires total eut plus que quadruplé, passant de 46,8 milliards d'euros en 2000 à 216 milliards en 2010.

Le revenu par tête de la Russie a été multiplié par près de dix au cours de la dernière décennie, pour atteindre 15.900 dollars à la fin de l'année 2010, selon le CIA Factbook, faisant de la Russie un «pays développé à revenu moyen». Les entreprises d'Europe occidentale ont réagi à la hausse du revenu disponible par une ruée sur la Russie et en tirant profit d'un marché de la consommation à croissance rapide.

Balance commerciale des échanges de la Russie

sov a affirmé dans une interview que l'État ​​fait pression sur les fournisseur d'accès à Internet pour qu'ils bloquent les sites d'opposition. Les choses ont pris une mauvaise tournure début mai, quandYandex a annoncé que le FSB l'avait contraint à fournir des détails concernant les utilisateurs deYandex.Dengi, son système de transfert d'argent. Concrètement, le FSB réclamait des informations sur les contributeurs financiers du célèbre militant anti-corruption Alexeï Navalny. Une semaine plus tard, le Comité d'enquête de Russie, le plus haut organisme d'enquête du pays, a ouvert une instruction sur Navalny, le soup-

Le fondateur de Yandex Arcadi Voloj vient d'empocher plus de 96 millions de dollars grâce au placement.

çonnant d'avoir utilisé sa position en tant que conseiller d'un gouverneur régional pour forcer une entreprise de scierie à conclure un accord défavorable. Avides de se lancer sur un Internet russe à forte croissance, les investisseurs attendaient depuis trois ans que Yandex mette en vente ses fonds propres. Cependant, ils souhaitent un rabais en raison du risque lié à la Russie, plusieurs compagnies ayant été forcées d'annuler leurs IPO sur les marchés internationaux cette année. « Le risque politique lié àYandex est déjà intégré via la réduction russe plus générale, que nous comptabilisons à hauteur de 37%

de l'ensemble du [marché émergent] », estime le stratège d'Otkritie Financial,Tom Mundy. Alexander Vengranovich, analyste chez Otkritie, abonde dans ce sens. « Les investisseurs avec lesquels nous avons parlé n'attachent pas beaucoup d'attention aux histoires de risque politique. Ils sont plutôt intéressés par la croissance de Yandex. Les parts de Yandex rattrapent celles de Mail.ru. En novembre, ce dernier à enregistré le seul résultat vraiment impressionnant d'une IPO russe au cours des trois dernières années. Tous deux offrent une exposition au segment russe d'Internet, qui devrait afficher une croissance rapide et soutenue ».

Finance Les banques étrangères continuent à quitter la Russie

Retour en force de l'État dans le secteur bancaire Avec l'acquisition de la Banque de Moscou, VTB confirme la consolidation du secteur financier au profit de l'État, au détriment du secteur privé et des établissements étrangers. Ben Aris

Business new europe

La banque d'État VTB, deuxième établissement du pays après Sberbank, a finit par prendre le contrôle de la Banque de Moscou, la cinquième banque du pays. Cette dernière était depuis les années 1990 la banque de poche du gouvernement de Moscou. Suite au limogeage en septembre de l'ancien maire Iouri Loujkov, l'avenir de la banque était incertain. VTB-24, la filiale de détail deVTB, est déjà leader dans l'octroi de crédits et d'hypothèques aux particuliers. L'absorption des 500 agences de la Banque de Moscou placeraitVTB juste derrière Sberbank, qui possède la part du lion sur le marché de la banque de détail en Russie. Mais l'accord autour de la Banque de Moscou n'allait pas de soi, la direction de l'établissement ayant ralenti un accord sur la vente de 20,3% de ses parts àVTB. Le président de la Banque de Moscou Andreï Borodine était

alors impliqué dans une enquête pour corruption à hauteur de 440 millions de dollars autour de prêts flous à une société immobilière contrôlée par l'épouse de Loujkov, Elena Batourina. Convoqué pour un interrogatoire en avril, Borodine s'est enfui à Londres et a été hospitalisé. Une semaine plus tard, il acceptait de vendre sa participation à un prix que les analystes disent inférieur aux taux du marché. «  Le

rachat par l'État des banques de poche est, quoi qu'on en dise, une bonne chose pour le secteur bancaire  »

« Ce qui s'est réellement passé est clair », a déclaré une source. « Les anciens dirigeants n'étaient pas contents d'être évincés de la banque et insistaient sur un prix élevé pour leur part, un prix que VTB n'était pas prêt à payer. La direction a tenté de jouer le bras de fer, mais ils ont eu les yeux plus grands que le ventre ». L'acquisition de VTB suit la reprise par Sberbank du leader russe de la banque d'investissement, Troika Dialog. Les deux

banques d'État ont adopté des stratégies très agressives après la crise de 2008, tandis que plusieurs banques étrangères ont déjà quitté la Russie en raison d'une concurrence croissante. La dernière en date est HSBC. Cette tendance a semé l'inquiétude dans le secteur. Oleg Viouguine, PDG de la banque privée MDM, estime que l'expansion de l'État freine la croissance des banques privées. Il souligne que les établissements publics profitent d'un accès bien plus facile au crédit bon marché que les banques privées. Certains experts se réjouissent toutefois de voir les deux banques d'État augmenter en taille. « D'un côté, l'État rend plus difficile le fonctionnement des banques privées, mais de l'autre, nous commençons à voir les prémisses d'une consolidation qui faisait cruellement défaut dans le secteur bancaire », estime Roland Nash, PDG deVerno Capital. « La reprise de banques qui n'étaient clairement pas administrées dans une optique commerciale mais pour le bénéfice de ses propriétaires est, quoi qu'on en dise, une bonne chose ». Des sources au Kremlin affirment que l'augmentation de la part de l'État dans le secteur n'est que temporaire et que la direction de l'État est impuissante à l'empêcher. «Techniquement, cette opération a augmenté la part de l'État dans le secteur bancaire, mais l'objectif est de vendre les parts de l'État [dans VTB et Sberbank] et d'accroître la concurrence dans le secteur », a indiqué Arkadi Dvorkovitch, conseiller du président Dmitri Medvedev.


Régions

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Tourisme Dans son écrin de beauté, le mythique et gigantesque plan d’eau place les visiteurs au contact de la riche culture sibérienne

Le lac Baïkal entre nature et civilisation

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Surnommé « la perle de Sibérie » et connu dans le monde entier pour ses richesses naturelles, le lac Baïkal demeure un lieu intemporel mais menacé par le développement. EVA HUA

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Niché dans le sud de la Sibérie, loin des destinations touristiques classiques, le lac Baïkal offre à ses visiteurs un paysage exceptionnel, avec près de 31 000 kilomètres carrés de pureté et de charme naturel. Sur ce site cohabitent des dizaines d’espèces de flore et de faune sauvages uniques, dont les fameux phoques sans oreilles ou encore l’omul, un poisson qui constitue l’une des principales ressources alimentaires des riverains.

Réputé le plus profond du monde (1 637 mètres), le lac Baïkal constitue aussi un cinquième des réserves d’eau douce de la planète. Classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1996, il est ainsi devenu un lieu d’expédition pour les scientifiques. Ce qui a provoqué un engouement touristique pour la région, et certains habitants craignent que les nombreux voyageurs ne détruisent à terme la beauté sauvage du site. Aujourd’hui, la haute saison touristique débute en juin pour se terminer en août. Une période qui offre aux visiteurs des conditions idéales pour la randonnée, le vélo, le camping, le canoë-kayak et la pêche. Mais l’activité favorite reste le traditionnel « bania », un sauna à la russe, avec toute la culture qui lui est propre. En hiver, les

touristes peuvent profiter des promenades en traîneau et de la pêche sur glace. Pour certains, le lac Baïkal sera l’une des escales du voyage à bord du Transsibérien. Le plus souvent, les voyageurs descendent à

Ceux qui sont venus sur l'île d'Olkhon ne l’ont jamais regretté. Le temps semble y avoir retenu son souffle Irkoutsk et choisissent le village le plus développé de la région, Listviyanka. Ce lieu est presque devenu le confluent de deux continents, car on y croise de nombreux Asiatiques et Européens. L’île d’Olkhon, située à en-

viron 300 km au nord d’Irkoutsk, reste l’un des sites les plus purs et sauvages de la région. Accessible en bus ou en taxi, Olkhon est la plus grande des 27 îles qui entourent le lac Baïkal. Pour atteindre Khoujir, la capitale de l’île, il faut compter une demijournée sur des routes rocailleuses, ainsi qu’une traversée en bac. Pourtant, ceux qui se sont aventurés sur l’île d’Olkhon ne l’ont jamais regretté. Le temps semble y avoir retenu son souffle, protégeant ses quelques 1 500 habitants de la vie stressante et mouvementée des grandes villes et de la civilisation. Ici, l’électricité n’est installée que depuis 2005. Les peuples de Sibérie se différencient des autres habitants de la Russie par leur exposition permanente aux éléments naturels.

Un super-télescope au fond du lac pour scruter les trous noirs du cosmos ANTON KOUTOUZOV

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Le futur super-télescope, qui entrera en service d’ici six ans, devrait offrir une vision plus précise des phénomènes cosmiques. Orienté vers le grand trou noir au centre de notre galaxie, il pourrait en extraire des neutrinos, ces particules issues de différentes réactions atomiques et porteuses d’informations. « En une année de travail, on ne parvient à récupérer que quelques dizaines de particules uniques », explique Alexandre Avrorine, ingénieur en chef du projet. Mais elles peuvent fournir nombre d’explications sur la formation du cosmos. Le physicien russe Pavel Tcherenkov a découvert qu’à travers une certaine épaisseur d’eau ou de glace, ces particules émettent une légère lueur

bleue. Ce qui explique le choix d’un plan d’eau comme base du futur télescope. Les anciens modules n’ont permis d’enregistrer que les neutrinos nés dans notre atmosphère. Le nouveau télescope, perfectionné et 100 fois plus grand, repérera des objets plus éloignés. La forme du télescope rappelle celle d’un filet de pêche. Les modules optiques, qui peuvent être

En raison des conditions naturelles uniques du lac Baïkal, le télescope russe reste moins cher que ses analogues étrangers. Deux télescopes comparables sont déjà en activité dans le monde : Antares en Méditerranée, construit par la France, la Russie, les PaysBas, l’Espagne et la Grande-Bretagne, et Amanda en Antarctique,

développé par des spécialistes américains, suédois et allemands. Selon Igor Belolaptikov de l’Institut russe des recherches polaires, l’observation ne peut se faire que dans une direction, et les objets les plus intéressants sont précisément dans la future ligne de mire du télescope du Baïkal.

Un engin 100 fois plus grand captera la lueur d’objets très éloignés émise dans l’épaisseur aquatique plongés à plus de 1 500 mètres de profondeur, sont disposés sur un fil, comme un énorme collier de perles transparentes. À l’intérieur se trouvent des photo-éléments qui fixent la lumière des neutrinos et transmettent des informations par câble au centre d’analyses, situé près du lac.

© SERVICE DE PRESSE

Le lac Baïkal est sur le point d’accueillir l’un des plus grands télescopes du monde, qui devrait aider à percer l’un des mystères de notre galaxie.

L’eau du Baïkal, gelée pendant 6 mois, supportera la plateforme.

Ils disent vivre en harmonie avec la nature, respecter les traditions. Sa situation géographique fait d’Olkhon le lieu idéal pour rencontrer de tels individus, de même que les peuples du Baïkal comme les Bouriates d’Asie. Selon leur culte, le Rocher Chamanka alentours serait sacré. En respect pour les croyances locales, les touristes ne peuvent pas prendre de photos des chamans ni endommager les marquages sur les arbres, ou autres symboles sacrés. L’île d’Olkhon offre aussi des paysages contrastés : des montagnes rocheuses et des forêts, mais aussi des steppes à perte de vue, et même un petit désert. Mais ces lieux préservés ne sont pas pour autant dépourvus de tout confort : de nombreux hôtels accueillent aujourd’hui les touristes, et l’île a son propre musée. Elle offre également des aires de jeux pour enfants, une bibliothèque comportant des livres en anglais et en allemand, et un zoo. L’hôtel Nikita, dirigé par Nikita Bentcharov, résident de l’île et fervent écologiste, reste de loin le plus connu de la région. Contrairement aux stéréotypes sur les Russes et la vodka, Nikita Bentcharov a privilégié un accueil pour le moins différent de la tradition : l’alcool au sein de l’établissement est interdit. À la place, le gérant offre à ses visiteurs une délicieuse cuisine sibérienne, dans la plus pure tradition. Les habitués de la vie chère de Moscou sont souvent étonnés par les prix locaux : 750 roubles (20 euros) pour une nuit d’hôtel et trois repas au buffet en libre-service. Si vous choisissez de prendre une chambre au Nikita, vous recevrez un repas offert par l’établissement. Le développement du tourisme dans la région, notamment l’hébergement, a cependant contribué à la destruction des ressources naturelles. Le risque serait qu’à terme, le tourisme submerge l’île et la fasse disparaître. Mais, donnant raison aux anciennes légendes, c’est l’esprit du lac qui attire les visiteurs, venus de plus en plus nombreux du monde entier contempler le site et communier avec la nature : le signe, peut-être, que quelque chose restera éternel...

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© LORI/LEGION MEDIA

RAISONS DE SE RENDRE AU LAC BAÏKAL

1

C’est le plus grand lac d’eau douce au monde et le plus profond. Il abrite 848 espèces animales et 133 espèces végétales endémiques.

2

Il est l’une des destinations touristiques les plus réputées pour ses circuits aventure : randonnées pédestres et VTT, baignade, rafting, équitation, excursions en jeep, pêche, ou encore séjour exotique dans une yourte confortable au bord du lac.

3

C’est un lieu mythique à la fois du bouddhisme et du chamanisme en Russie. Des centaines de visiteurs viennent découvrir les danses rituelles des chamans, ou méditer dans un monastère bouddhiste.

4

La route menant au lac Baïkal vous fera découvrir des paysages splendides et profiter des équipements offerts par la Sibérie.

5

En 1996, le lac Baïkal a été classé au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, et nominé au concours des sept merveilles naturelles du monde en 2008.

DÉCOUVERTE

Voyage rétro autour du Baïkal Les amateurs de voyages ferroviaires pourront, dès le 14 août prochain, embarquer pour « l’Odyssée transsibérienne », du nom de la nouvelle liaison en train MoscouPékin. Le trajet empruntera notamment la fameuse ligne historique Krougobaïkalskaïa, construite sur les rives du lac Baïkal. Tous les détails sur larussiedaujourdhui. be/12242


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Opinions

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Deux candidatures inéluctables

aborder la douce province Darrell Stanaford

The moscow times

H

Georgy Bovt

spécialement pour la russie d’aujourd’hui

L

es analystes politiques de Russie et du monde entier s’interrogent : qui sera le locataire du Kremlin en 2012, pour six ans contre quatre actuellement (en raison d’ un amendement à la Constitution, adopté au tout début de la présidence de Dmitri Medvedev et portant le mandat présidentiel à six ans, et à cinq ans pour les députés de la Douma) ? Les membres du tandem dirigeant semblent tout faire pour maintenir le suspense à son paroxysme. Les observateurs politiques ne tarissent pas de commentaires sur les divergences supposées entre Poutine et Medvedev. Les deux hommes se sont retrouvés dans une situation complexe, découlant des particularités de la politique russe. Quand un président sortant ne se représente pas, il se produit une vacance qui n’a rien à voir avec la situation américaine. Ce n’est pas un « canard boiteux » (lame duck), c’est un cheval mort, dont le cadavre est piétiné. La politique russe est traditionnellement centrée sur le premier personnage de l’État (ou, dans le cas présent, sur les deux premiers personnages). L’ensemble de la bureaucratie s’articule non pas autour des institutions, des lois et des règles écrites, mais avant tout autour du Chef, de son style, de ses désirs, ses habitudes, ses caprices, ses points forts et faibles. Dès que le Chef part ou laisse entendre qu’il part, il cesse d’exister. Ainsi, si Medvedev déclare aujourd’hui qu’il ne se présentera pas, cela signifiera en pratique que la Russie se retrouvera sans président à un an du scrutin. Si c’est Poutine qui annonce qu’il quitte la politique, cela provoquera une situation dans laquelle toute la machine hiérarchique gouvernementale, déjà peu efficace, cessera complètement de fonctionner. Une machine, qui plus est, bâtie selon les principes d’une stricte centralisation. Poutine et Medvedev ne le comprennent que trop bien, et ne souhaitent visiblement pas prendre un tel risque. Sans oublier qu’ils ont tous deux des ambitions politiques et des visées personnelles sur le siège présidentiel. Une autre question, moins évidente, serait de savoir quelle conception les membres du tandem avaient de cette situation quand ils l’ont créée en 2008. Comment Poutine avait-il prévu les événements ? Medvedev, « gardant au chaud » le siège prési-

lu dans la presse QUELS SERONT LES EFFETS DE LA MORT D'OUSSAMA BEN LADEN ? Le Président Dmitri Medvedev redoute que l’élimination d’Oussama Ben Laden n’ait des répercussions sur la sécurité dans son pays, Al-Qaida opérant aussi sur le territoire russe. La presse s’interroge sur les effets réels de cette décapitation du « terrorisme mondial », sur la capacité du monde à affronter le nouvel ordre (ou désordre) qu’il a instauré et sur l’avenir du djihadisme. Préparé par Veronika Dorman

© dmitry divin

Sondage

25% des Russes préféreraient que ni Poutine, ni Medvedev, ne soit candidat au scrutin de 2012

Présidentielle de 2012 : qui choisira ? Le futur président russe sera-t-il choisi par les électeurs, par le tandem Poutine-medvedev, ou par poutine tout seul ?

Medvedev, « gardant au chaud » le siège présidentiel, devait-il quitter volontairement le pouvoir ? dentiel, devait-il quitter volontairement le pouvoir, en laissant entendre qu’il ne prétendait pas à un deuxième mandat ? Ce n’est pas un hasard si, au début de la présidence de Medvedev, des rumeurs laissaient entendre qu’il devait renoncer au pouvoir avant terme, afin d’éviter la perpétration d’un « président impuissant ». Mais pourquoi Poutine discréditerait-il la présidence, qu’il avait lui-même consciencieusement renforcée et à laquelle, selon l’hypothèse énoncée plus haut, il comptait revenir ? Poutine n’imaginait-il pas qu’en conservant si longtemps le fauteuil de Premier ministre et, constatant que Medvedev s’acquittait de ses fonctions et des engagements pris, il risquait de se retrouver sur le bas-côté bien avant 2012 ? Une telle hypothèse rend toutefois incompréhen-

sible cette forme d’« exil » pour un homme politique encore relativement jeune. Il se peut que le scénario de la « tandemocratie » et la façon d’en sortir en 2012 n’aient pas été pensés en détail en 2008. Il se peut que les circonstances aient entraîné des ajustements imprévus du programme. On ignore par exemple si les deux hommes ont pris en compte un facteur crucial de la politique moderne au sein d’un monde changeant : la lassitude de l’électorat face à un pouvoir qui s’éternise. La mentalité moderne privilégie l’évolution permanente. Selon certains sondages, 25% des Russes préféreraient que ni Poutine, ni Medvedev, ne figure dans la liste des

candidats au scrutin présidentiel de 2012. Le problème ne réside pas tant dans l’identité des candidats que dans leur message. La priorité du message permettrait de stabiliser le pays, actuellement en proie à de grandes difficultés en raison de la crise mondiale et de la stagnation du programme de modernisation. Une campagne opposant Poutine et Medvedev, centrée sur les principaux points de divergence les séparant, permettrait au pays de maintenir le cap sur son développement, et de conserver intact son système politique. Georgy Bovt est un commentateur politique basé à Moscou.

une mort symbolique

un personnage secondaire

ben laden n’est pas mort

vedomosti

gazeta.ru

Moskovski Komsomolets

En Russie, nous savons que la liquidation d’un Bassaïev n’a pas réduit la terreur dans le Caucase du Nord. La structure en réseau du terrorisme moderne ne repose pas sur une direction centrale - les combattants sont financés par des sources différentes et visent des objectifs ciblés. La mondialisation est aussi celle des méthodes et les kamikazes du métro moscovite ressemblent à ceux qui faisaient exploser les bus israéliens il y a 20 ans. Ils n’ont rien à voir avec AlQaida et n’ont pas d’objectifs planétaires. La déclaration de guerre au terrorisme mondial remonte à George Bush mais le symbole de ce terrorisme a été éliminé par Barack Obama.

Ben Laden a créé l’image de l’ennemi idéal, du mal absolu. Tout gouvernement raisonnable se devait de soutenir les Américains dans leur volonté d’en débarrasser la planète. Le leadership des États-Unis, après la fin de la Guerre froide, a revêtu une forme concrète. Dix ans plus tard, le « terrorisme international » quitte la scène politique, mais les questions qui troublent l’ordre mondial ne sont pas résolues. Les institutions internationales du XXème siècle sont inadaptées. L’Amérique va devoir chercher de nouveaux moyens d’assurer sa domination. Ben Laden, légende vivante, puis morte, restera dans l’Histoire comme un moment de transition.

Que nous donne la mort de Ben Laden, au-delà de la satisfaction morale ? Les débats sur les conséquences de cette mort portent en fait sur la vieille querelle du rôle de l’homme dans l’Histoire. Ben Laden a su faire du djihadisme mondial un modèle international. Il est moins l’organisateur de la terreur que son idéologue et inspirateur. Il continuera à tuer longtemps après sa mort. Il est devenu le symbole de ceux qui ont la vocation du martyre. Le ben-ladisme vivra et vaincra tant que n’apparaîtra pas un anti-Ben Laden, un leader spirituel qui pourra apporter une réponse moins sanguinaire aux questions de jeunes gens qui se sentent laissés pour compte.

La rédaction

Fedor Loukianov

Mikhail Rostovsky

istoriquement, Moscou a absorbé la plus grosse partie des investissements et du développement en Russie. Nulle surprise que 90% des investissements nationaux ont été effectués dans la capitale, en 2010. Mais certains signes présagent de la fin de cette hégémonie. Des infrastructures surchargées, une nouvelle équipe au pouvoir, avec d’autres priorités, et des coûts élevés de vie et de business exorbitants sont autant de facteurs qui poussent les entreprises à explorer la Russie au-delà de Moscou. Grâce à la combinaison des forces du marché et de politiques prudentes, en 2020, l’économie sera beaucoup plus moderne, répartie avec plus d’égalité à travers le pays. La capitale elle-même en profitera, en devenant une ville où il fait mieux vivre, et par conséquent plus compétitive en tant que centre financier mondial. Alors que la Russie entre dans une nouvelle phase de modernisation, le mouvement hors de Moscou a déjà commencé, mené par le secteur économique le plus innovant, les TIC. Au moins douze des plus importantes entreprises de TIC ont développé ou délocalisé leurs centres de recherche dans des villes de province, dont Accenture à Tver, Hewlett-Packard à Saint-Pétersbourg, Oracle à Saint-Pétersbourg, Novossibirsk, Toliatti et Riazan, et Intel à Saint-Pétersbourg, Nijni-Novgorod et Novossibirsk. Pourquoi ? Le facteur clé est la possibilité d’embaucher et retenir des employés formés et éduqués selon les besoins de l’entreprise. Comme le savent bien les DRH, les meilleures candidatures viennent souvent des instituts de haut niveau régionaux. Ces écoles forment des spécialistes en s’alignant sur les exigences des établissements moscovites, mais avec des exigences de salaires moindres. Par conséquent, c’est beaucoup plus avantageux de s’installer dans une ville de région, sur le même trottoir que l’institut d'où sortent les spécialistes, sans concurrents et avec un immobilier bon marché. En général, le mouvement des mégapoles vers les régions commence quand ces dernières offrent un cadre de vie et de travail meilleur. De toute évidence, les entre‑ prises ont déjà des raisons de vouloir quitter Moscou. Dans le même temps, le gouvernement est en train de se rendre compte qu’une croissance infinie de la capitale est mauvaise et pour la ville et pour la Russie dans son en­semble. En effet, si Moscou veut devenir un centre international moderne

de décision et de finance, elle tirera profit d’une pression diminuée sur les infrastructures, d’une baisse de la concurrence parmi les travailleurs au sein d’entreprises et industries qui seraient économiquement plus efficaces dans d’autres régions, où plus d’investissements sont néces‑ saires. Qu’ont besoin de faire les régions pour attirer les entreprises ? Les risques et coûts pour les entreprises doivent être plus attractifs que ceux de Moscou. Les risques sont réduits et les coûts sont calculables quand les infrastructures et le parc immobilier sont en place : routes et locaux pour les usines ; routes, électricité et fibre optique pour les bureaux. Les régions qui proposent cela dans un processus trans-

Dans les dix années à venir, on attend une chute drastique de l’afflux des travailleurs régionaux vers Moscou parent et sans corruption gagnent dans la course aux investissements des entreprises en Russie. Kalouga est devenu l’exemple n°1. Quatre parcs industriels, avec des infrastructures financées par l’État à l’aide d’un emprunt à VEB, alliés à une approche transparente d’une équipe impliquée et dirigée par le gouverneur Anatoli Artamonov, ont attiré plus de 3,5 milliards d’euros d’investissements tout en créant un potentiel de 25 000 nouveaux emplois. Des emprunts-logements abordables sont essentiels pour accroître la mobilité. Les grandes entreprises ouvrent des bureaux et des usines dans les régions, tandis qu’une population croissante de professionnels a besoin de toute une série de services modernes. Cette demande, à son tour, représente une opportunité pour le secteur tertiaire, qui appelle ses propres biens immobiliers, infrastructures et création d’emplois. Ainsi, la spirale économique ascendante est lancée. Tandis que de plus en plus de régions cherchent à faire les premiers pas pour mettre en place les infrastructures nécessaires, elles peuvent déjà attirer les entreprises qui peuvent convaincre les jeunes talents de rester sur place plutôt que de voler vers la capitale. Les compagnies ne doivent donc pas attendre que la Russie se modernise avant de se plonger dans les régions. Leur entrée accélérera la modernisation. Darrell Stanaford est directeur chez CB Richard Ellis Russie.

Le courrier des lecteurs, les opinions ou dessins de la rubrique “Opinions” publiés dans ce supplément représentent divers points de vue et ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction de La Russie d’Aujourd’hui ou de Rossiyskaya Gazeta. merci d’Envoyer vos commentaires par courriel : redac@Larussiedaujourdhui.BE

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Culture

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Art contemporain Un groupe d’artistes replace la politique dans le champ artistique

Place à l’art engagé

Entre un phallus de près de 65 mètres sur un pont et une voiture de police renversée dans la rue, le collectif Voïna donne du fil à retordre aux autorités. Et reçoit un prix officiel ! LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Roman en noir et blanc

Un débat agité sur l’art

Rendre à la provocation ses lettres de noblesse. Pour la police pétersbourgeoise, la nuit du 14 juin 2010, qui a coïncidé avec le 82ème anniversaire de la naissance de Che Guevara, fut tourmentée. Neuf jeunes artistes masqués, vêtus de noir et armés d’un pot de peinture blanche, prirent d’assaut le pont Liteyni de Saint-Pétersbourg. Il ne leur fallut que 23 secondes (sur les 40 que prend le levage des ponts de la ville le soir) pour y peindre un énorme phallus de 65 mètres, lequel s'est ainsi dressé juste en face du siège du FSB (ex-KGB) local.

Leonid Nikolaev, un seau bleu sur la tête pour singer le gyrophare des autorités, bloque une voiture officielle au pied du Kremlin.

© PULCER.LIVEJOURNAL.COM(2)

L’action « révolution du palais »

Revendiquée par les activistes du collectif artistique Voïna (« la guerre »), l’œuvre intitulée « Pénis prisonnier du FSB » fit la une des journaux. Si les autres actions du collectif comme « Partouze au Musée biologique » ou « À l’assaut de la Maison Blanche » ont moins fait couler d'encre, cette fois, les exécutions des jeunes artistes attirèrent l’attention du pays tout entier. Créé en 2007, ce collectif d’une soixantaine de membres est dirigé par le philosophe Oleg Vorotnikov et sa femme, la physicienne Natalia Sokol, ainsi que Leonid Nikolaev, un ex-employé de bureau. Ce dernier a passé 48 heures au poste de police, puis il a été relâché, accusé de vandalisme léger. Difficile d’intimider le jeune homme. Peu de temps après, Leonidiona le dingue (son surnom) a été filmé grimpant sur

Banquet dans le métro de Moscou en l'honneur du poète et artiste Dmitri Prigov.

de l’Intérieur. Un soir, le fils de deux ans d’Oleg et Natalia jette son ballon sous une voiture de police. Pour le récupérer, quatre activistes du collectif renversent le véhicule. On ne sait combien de voitures ont subi le même sort cette nuit-là. Le but des artistes: réformer à leur manière la police. L’affaire a donné lieu à des poursuites judiciaires. Après avoir feint l'indifférence, les autorités ont donc décidé de

une voiture officielle au gyrophare bleu, un seau bleu sur la tête. Une dénonciation burlesque de l’abus de pouvoir quotidien de milliers d'officiels russes qui, à l'aide de leur gyrophares, enfreignent le code de la route et provoquent régulièrement des accidents graves. À ce jour, son plus gros coup a été réalisé sur la place du Palais de Saint-Pétersbourg pour dénoncer la réforme du ministère

« Voïna ne fait que refléter l’opinion du peuple », explique le philologue Plutser Sarno, lui aussi membre du collectif artistique, mais qui désormais ne participe que de manière passive aux actions du groupe. Sur Internet, une polémique est née lorsque des artistes qui n’avaient rien à voir avec Voïna prirent l’initiative de nominer son œuvre phallique pour un prix national organisé par l’État : celui de l’Innovation... qui lui a été attribué ! Andreï Erofeev, responsable de l’exposition « Attention ! Religion ! », lui aussi récemment appelé à comparaître devant un tribunal, a déclaré : « Un graffiti géant, c’est un symbole de protestation digne d’un prix ». Les militants de Voïna ont boycotté la remise de ce prix décerné par le ministre russe de la Culture, ennemi juré du collectif. De son côté, le ministère a souligné qu’il n’avait pas pris part aux délibérations ni au choix du lauréat. De grands artistes russes se sont joints à la polémique. Le peintre Ilya Glazounov, dont la galerie est située dans l’enceinte du Kremlin, s’est indigné : « Dessiner un sexe sur un pont, de l’art ? Cela n’a rien à voir avec l’art ! ». Mais le critique d’art Joseph Backstein voit les choses autrement : « Les actions des groupes artistiques ne sont pas toutes univoques. Beaucoup ont un caractère provocateur, mais Voïna renvoie à la Russie des signaux forts ». Oleg Vorotnikov enfonce le clou : « Nous voulons bousculer la société ».

Architecture Le théâtre lyrique doit rouvrir en octobre après 6 ans de travaux

Le Bolchoï est restauré, l'addition astronomique MORITZ GATMAN

LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI

Au cours de son illustre histoire, le Théâtre du Bolchoï a vu danser Maya Plisetskaya, chanter Féodor Chaliapin et déclamer Lénine. Il y a près de six ans, un projet de rénovation de grande envergure débutait pour remettre à neuf le monument mythique érigé en 1776. Mais c’est seulement en mai 2009 que les travaux ont réellement démarré. Le théâtre rouvrira ses portes le 28 octobre 2011. La restauration du monument a été longue et parsemée d’embûches. Des rénovations partielles et inadaptées ont causé des dommages terribles. « Il y avait d’énormes fissures de plus de 30 centimètres de longueur sur les murs

porteurs », raconte Mikhail Sidorov, le porte parole de la société Summa Capital, en charge du projet de rénovation depuis 2009. « Il y avait un vrai danger d’effondrement », ajoute-t-il. La première phase de reconstruction a donc consisté dans un premier temps à sauver le bâtiment. Sept mille pieux en acier ont été enfoncés dans le sol, les fondations ont alors pu être retirées. « Le bâtiment tout entier flottait dans l’air », explique Sidorov. Les nouvelles fondations ne furent achevées qu’en septembre 2009, date à laquelle les pieux purent enfin être retirés. À partir de ce moment-là, le chantier s’est transformé en une véritable fourmilière, avec quelque 3 200 ouvriers attelés au même projet, en plein coeur de Moscou, à deux pas du Kremlin. Le théâtre sera doté de la plus grande scène hydraulique d’Europe. Fabriquée par la société allemande Brosch Rexroth, elle s’étend sur une surface de 21 mè-

TITRE : LA TÊTE DE MON PÈRE ÉDITIONS : BORÉAL AUTEUR : ELENA BOTCHORICHVILI TRADUIT PAR BERNARD KREISE

La Tête de mon père est le cinquième roman d’Elena Botchorichvili, jeune auteure russophone d’origine géorgienne et émigrée au Québec, tout comme le narrateur, auteur de cette longue lettre en réponse à son fils, conduit en Géorgie pour son voyage de noce et qui veut en savoir plus sur ses racines. Point de départ des souvenirs, une blessure : « Entre le pays où je suis né et moi il n’y a pas des années et des distances, il y a la mort de mon père, sa tête enterrée séparément de son corps sous un arbre arraché avec ses racines dans un village qui n’existe plus… Ce sentiment me déchire en morceaux ». Ce sont pourtant des moments de vie lumineux que le narrateur choisit ensuite d’évoquer : ses parents, couple improbable, dont l’insouciance et la fantaisie rappellent les héros de Fellini ; la mère, interprète d’un rôle unique et sulfureux, autant que le permettait le cinéma de l’époque, « la plus grande de toutes les actri-

EXPOSITION DE L'ASSOCIATION " LE CARRÉ DU SOLEIL "

L'Association Internationale des Artistes Peintres "Le carré du Soleil" réunit une centaine d'artistes, de renommée internationale pour certains, et représentatifs d'une grande variété de courants artistiques, du post-modernisme à l'abstrait ou à l'expressionisme. Présentant de nombreuses expositions à l'international, c'est cette fois au Centre Culturel et Scientifique de Bruxelles que l'organisation viendra présenter les œuvres de ses membres. Une occasion de découvrir des peintres, débutants ou chevronnés, de différents horizons. › www.centreculturelrusse.be

PANORAMA DU CINÉMA RUSSE DOCUMENTAIRE Voir un diaporama sur larussiedaujourdhui.be

Le célèbre théâtre rouvrira ses portes en octobre 2011.

tres carré. À cette occasion, la fosse d’orchestre a également été agrandie et pourra désormais abriter 130 musiciens. Concernant la décoration intérieure, le plan de rénovation visait à recréer l’atmosphère du théâtre durant son apogée au 19ème siècle. Emblèmes du Parti et revêtements de sol soviétiques ont été remplacés par les armoiries du Tsar et un parquet en chêne massif. Le nombre de sièges dans le hall principal a été ramené de 2 100 à 1 700 places. Début 2009, Dmitri Medvedev

confia personnellement la tâche à un conseiller, avec pour consigne d’achever le théâtre d’ici 2011. Dans le courant de la même année, des poursuites judiciaires ont été engagée à l’encontre de plusieurs parties pour dilapidation des ressources. La Cour des comptes russe a statué que les coûts pour la restauration du projet avaient explosé plus de 16 fois le budget initial prévu. Le suspense est toujours total sur le coût final de ce projet. Il y a encore peu, certaines estimations le chiffraient à 1,5 milliards d’euros.

ces méconnues » ; le père, « citoyen soviétique on ne peut plus ordinaire », rédacteur de discours officiels qui, un jour, ne revient pas d’une banale promenade et dont la tête est enterrée à quarante pas de la datcha qu’il a reconstruite avec les rondins de sa maison natale. Le narrateur déroule le film des souvenirs en noir et blanc comme son sentiment de haine et d’amour pour l’URSS, comme la relation orageuse des parents, entre disputes et réconciliations, comme le cinéma de l’époque auquel il fait référence, comme la nostalgie d’un temps révolu, comme l’URSS même : « Dans le film noir et blanc de l’Union soviétique… les gens travaillaient tous ensemble, ils étaient joyeux… Un sentiment d’unité et d’égalité face à notre avenir, un sentiment de désolation et d’impasse nous unissait. Et la joie de vivre pouvait atteindre des sommets incroyables… ce sentiment d’unité entre les gens, quelle que soit son explication, me manque. Cette frénétique joie de vivre me manque ». La forme « sténographique » (ainsi que l’auteure définit ses romans) permet le « montage » cinématographique d’une narration parfaitement adaptée aux chamboulements de l’Histoire et aux mécanismes de la mémoire : discontinuité, oublis, répétition d’images, d’objets, de bouts de phrases qui reviennent en boucle, points d’ancrage emblématiques qui campent les personnages et contribuent à donner son charme à ce court roman qui évoque des pans tragiques de l’Histoire avec la légèreté, la drôlerie et la poésie d’un film d’Otar Iosseliani. Christine Mestre Découvrez d’autres chroniques sur larussiedaujourdhui.be

À L’AFFICHE JUSQU’AU 5 JUIN CENTRE CULTUREL ET SCIENTIFIQUE RUSSE, BRUXELLES

© RUSLAN SUKHUSHIN

L'illustre monument de l'opéra russe sera bientôt inauguré après de très longs travaux de rénovation. Les polémiques se sont enchaînées pendant que les mélomanes s'impatientaient.

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

sévir. Oleg et Leonid ont passé quatre mois en détention provisoire. Sans la lourde caution versée par le célèbre artiste de rue britannique Banksy, ils seraient encore derrière les barreaux. Ils sont en attente de jugement.

ANASTASIA GOROKHOVA

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DU 6 AU 10 JUIN CENTRE CULTUREL ET SCIENTIFIQUE RUSSE, BRUXELLES

Dans le cadre du Festival international du film documentaire « Millenium » organisé en Belgique, le Centre culturel et scientifique pour la Russie de Bruxelles présente un panorama du cinéma russe documentaire avec une projection de réalisations contemporaines. Une rencontre avec Pavel Petchenkine, réalisateur et président du Festival international de cinéma documentaire de Perm « Flahertiana » dédié à Robert Flaherty qui réalisa en 1922 le premier essai du genre, aura également lieu. › www.centreculturelrusse.be

LA JOURNÉE DU RUSSE LE 6 JUIN CENTRE CULTUREL ET SCIENTIFIQUE RUSSE, BRUXELLES

Cette manifestation est dédiée à la langue russe mais aussi à la culture et à l'histoire de la Russie. Un concours de langue, d'histoire et de culture est ainsi organisé parmi les auditeurs des cours de russe du Centre culturel et scientifique de Russie de Bruxelles. Une projection du film " Le Russe - première langue de communication dans l'espace " est également prévue. Enfin l'évènement sera aussi l'occasion de visiter deux expositions : la première sera réservée aux livres issus de la littérature classique et contemporaine et la deuxième présentera tableaux et photographies autour du thème de l'histoire de la langue et de la littérature. › www.centreculturelrusse.be

« RENDEZ-VOUS AVEC LA RUSSIE » LE 12 JUIN BRUXELLES

La journée « Rendez-vous avec la Russie » propose une rencontre multilingue et inter-culturelle afin de mieux connaître et apprécier les différentes cultures, leurs influences et apports réciproques à travers un programme varié alliant concerts, expositions, ateliers et artisanat. Un Concert de Gala aura lieu à 17h avec entre autre la violoniste Polina Lapteva et le saxophoniste Frank Vaganée. Une exposition d’art décoratif appliqué, une cérémonie d’habillage du Manneken Pis en costume russe et une dégustation de plats traditionnels complèteront ce voyage. › www.eu-ru-festival.com TOUS LES DÉTAILS SUR NOTRE SITE

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Loisirs

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.BE SUPPLÉMENT RÉALISÉ PAR ROSSIYSKAYA GAZETA ET DISTRIBUÉ AVEC

Art L’apparition de centres artistiques génère une nouvelle économie extrêmement dynamique

Assaut créatif sur les usines en friche Depuis quelques années, la Russie s’est éveillée au concept d’industrie créative. Les projets de réhabilitation des friches industrielles se font une place dans le monde des affaires.

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VERONIKA DORMAN

SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Strelka. L’Institut médias, architecture et design occupe l’un des bâtiments d’une splendide ancienne usine de chocolat, Octobre rouge.

© RUSLAN SUKHUSHIN(3)

Winzavod est une oasis exubérante au cœur d’un quartier industriel lugubre proche du centre. Briques rouges et architecture industrielle, graffitis et jeunes branchés, c’est l’un des clusters artistiques de la capitale, né dans la foulée des Biennales d’art contemporain de 2005 et 2009 et fondé sur le modèle occidental de la transformation d’une fabrique abandonnée en un haut lieu culturel. Moscou, jadis capitale mondiale du prolétariat, abrite nombre d’usines désaffectées, souvent situées dans le centre ville, car la mégapole a depuis longtemps avalé ses premières couronnes. L’État n’a pas encore mis en route de politique économique et culturelle pour une « industrie créative » en Russie, fondée notamment sur la petite et moyenne entreprise, explique Elena Zelentsova, directrice de l’agence de conseil Industries créatives. Ce qui n’empêche pas l’essor de divers centres artistiques d’un type nouveau pour le pays, hybrides, polyvalents, résolument modernes. À Moscou, Winzavod, Strelka, Artplay, Garage, Proekt Fabrika ou encore Flakon, ont investi avec succès des fabriques, s’appropriant des milliers de mètres carrés de hangars.

Winzavod. Fondé en 2007, dans une ancienne brasserie et dirigé par Sofia Trotsenko, ce centre d’art contemporain se consacre à tous les arts visuels, en réunissant des galeries privées, des showrooms et des boutiques.

Ces entreprises sont souvent financées par de richissimes mécènes comme Alexandre Mamut et Serguei Adoniev (Strelka). D’autres (Artplay et Winzavod) affichent des résultats équilibrés en souslouant leurs locaux. De vastes espaces d’exposition accueillent des rétrospectives prestigieuses (Ilya Kabakov en 2008 à Winzavod) ou des expos-ventes pour artistes débutants : le salon annuel « Student Artfair » de Artplay expose des étudiants, en sollicitant galeristes, experts et médias. Ces clusters réunissent des professionnels sous les mêmes toits

et ambitionnent de sortir la Russie de son « provincialisme culturel » pour l’intégrer à la scène internationale. Ils entendent promouvoir et populariser l’art contemporain et ses applications. L’innovation et le design, leur valeur marchande, et les problématiques socio-économiques connexes, sont le ressort de spécialistes qui se sont investis d’une mission civilisatrice. L’Institut média, design et architecture Strelka, présidé par Ilya Oskolkov-Tsentsiper, a ouvert l’an dernier un programme d’enseignement supérieur. « Avant de pouvoir parler d’une

industrie, il faut former une couche solide de professionnels de haut niveau », explique-t-il, installé dans le café cossu de Strelka, autour duquel se structure la vie du centre, tissée de manifestations ouvertes au public. « Notre système éducatif ne prépare pas à penser globalement. Nous faisons appel à des spécialistes de renommée mondiale, Rem Koolhaas ou Reinier De Graaf ». Mais il ne suffit pas de former des créateurs performants. Il faut aussi instruire la société dans son ensemble et susciter une demande pour ces produits nouveaux.

« Nous devons éduquer le regard. L’art contemporain ne va pas de soi », explique Alena Saprykina, directrice artistique d’Artplay, qui rassemble les grandes agences de design et architecture. Les clusters accordent une place de choix aux projets interactifs afin de ne pas devenir des réserves introverties d’experts, mais des fabriques culturelles populaires, des lieux ouverts de transmission. Malgré tous ces obstacles, les centres moscovites sont en développement constant. Le centre de réflexion Strelka a été choisi par la mairie de Moscou pour l’aider à la restructuration de l’immense parc Gorki. « Il y a deux ans, nous avions l’impression d'être les seuls à avoir besoin de cette aventure. Ni la société, ni les autorités n’étaient particulièrement intéressées », se réjouit Ilya. « Le pouvoir comprend qu’il faut évoluer, se moderniser, mais il ne sait pas comment s’y prendre, et c’est là que nous intervenons ».

ZOOM

Les principaux clusters créatifs : Artplay, le pionnier du genre, a été fondé en 2003 par l’architecte Serguei Dessiatov. Il est Installé depuis 2009 dans l’ancienne usine Monomètre, et rassemble architectes, designers et urbanistes. Garage, fondé en 2008, ce « Centre de la culture contemporaine » est le plus à la mode. Proekt Fabrika partage les lieux avec une usine de papier encore en activité et héberge des ateliers et agences de tous les horizons. Flakon : à partir de 2009, cette ancienne usine de verre se transforme en zone mixte de business et de création, partagée entre espaces d'événementiel, bureaux, agences de pub et de design, studios d’enregistrement et show-rooms.

Vie nocturne Descente dans les clubs les plus chics de la trépidante nuit moscovite

Derrière l'épaule du physionomiste, le paradis

Sur les rives de la Moskova, le site de la célèbre chocolaterie « Octobre Rouge » offre un délicieux mix de jolies filles et de clubs branchés. Mais gare aux videurs ! GALINA MASTEROVA

LA RUSSIE D'AUJOURD'HU

Nous sommes samedi, il est 2 heures du matin. Un cortège de 4x4, de luxe et de voitures sportives rutilantes longe l’usine de chocolat désaffectée et transformée en club le plus « hype » de la capitale. Un lieu dégoulinant d’opulence, qu’un blogueur a surnommé, « le cauchemar d’un enfant de 7 ans qui a mangé trop de bonbons et s'est endormi ». Perchées sur leurs talons aiguilles, vertigineux, des centaines de filles se pressent vers l’imposant bâtiment en briques rouges. Certains disent que le « Raï », qui signifie paradis en russe, n’est plus la boîte la plus chaude de Moscou. La longue file d’attente qui se

presse ce soir semble indiquer le contraire. L’entrée est gratuite, mais la sélection est féroce. Le club est connu pour son « face control » impitoyable, un anglicisme devenu le maître mot des nuits moscovites. Votre chance dépend du physionomiste, qui d'un coup d'oeil détermine ce que vous êtes en mesure de claquer ce soir. Une belle jeune femme s’approche de l’entrée du « Raï » et scrute le videur Vladimir du regard. « Pouvez-vous nous laisser entrer, moi et mon amie », demande plaintivement la jeune femme. « Je voudrais aller à l’espace VIP ». « Vous pouvez entrer, mais vous devez réserver une table », répond-il. Une table coûte au minimum 1 250 euros. « On a mal aux pieds », gémitelle, consciente que mis à part le coinVIP, il n’y a nulle part où s’asseoir. « Où est ton amie ? Peut-être qu'elle ne va pas me plaire »,

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Dans la salle principale du club « Raï »...

rétorque Vladimir. La nuit moscovite, heureusement, est variée. À deux pas du « Raï », le « Rolling Stone Bar & Tattoo » est un club rock où le risque n'est pas d'être rejeté mais, si vous

buvez trop, de vous retrouver dans le salon de tatouage. Juste après la crise, les clubs se sont mis à fermer les uns après les autres. Très vite, les magnats de l’immobilier y ont vu des op-

portunités, et ont commencé à investir les locaux. « Les prix ont baissé, c’est pourquoi des clubs ouvrent leurs portes », explique le videur du « Rolling Stone Bar », Fillip Alexeev, qui avoue gagner 5 600 euros par mois pour deux jours de travail par semaine. « C’est un boulot dangereux », prévient-il. « Je reçois des menaces de mort, les gens menacent de m’attendre à la sortie de mon travail. Des gardes du corps me raccompagnent chez moi après mon travail ». Pour ceux qui préfèrent une ambiance plus démocratique et moins branchée, il existe des lieux comme le « Mayak », un bar relié au Théâtre Maïakovski. C'est le lieu de prédilection des journalistes et des acteurs. Quelques heures avant la fermeture du club, Vladimir surveille les noceurs désireux d’entrer au « Raï ». Certains sont encore plein d’espoir, d’autres emplis d’arrogance. Deux jeunes hommes aux montres un peu trop lourdes pour leurs poignets chétifs s’approchent jusqu’à la grille. QuandVladimir leur crie que l’accès est refusé, l’un deux lui lance : « Je connais le propriétaire du club depuis des années. Sais-tu qui est mon père ? ». L’autre, Adam, se frotte le pouce et l’index pour dé-

signer l’argent, et demande « pouvons-nous résoudre ce problème à la manière de Tchékhov ? ».Vladimir comprend l’allusion mais refuse le bakchich.

L'heure de fermeture

Il est maintenant 6 heures du matin, et presque tous les clubs de Moscou ont fermé leurs portes. Quelques fêtards se dirigent vers « Krisha Mira », le Toit du Monde en russe. Au sommet d’une usine désaffectée, le club donne

Votre chance dépend du physio, qui d'un coup d'oeil détermine ce que vous êtes en mesure de claquer une vue imprenable sur la Moscow-City, le centre financier de la capitale. Difficile de mettre fin à cette nuit de folie, même si dans ce club, un cocktail Cuba Libre coûte 15 euros. Alors que le soleil pointe ses rayons, les derniers fêtards viennent finalement s’effondrer sur les banquettes arrières des taxis, les jeunes filles, leurs talons aiguilles à la main. L’entrée est libre. Mais, comme vous l'avez déjà compris, les places sont chères.

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