La Russie d'Aujourd'hui

Page 1

Produit de Russia Beyond the Headlines

Distribué avec

Des chefs russes pour gourmets français Apothéose à Monaco de la Semaine de la gastronomie russe en France. P. 8

Les trésors souterrains de l’ère soviétique Staline avait voulu faire du métro de Moscou « le palais du peuple ». Avec des stations dignes de musées.

Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux

P. 8 ALAMY/LEGION MEDIA

Ce supplément de huit pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Mercredi 16 novembre 2011

POLITIQUE & SOCIÉTÉ

Politique En Russie comme en Europe ou aux États-Unis, des déçus aux accents xénophobes en ordre dispersé

Le slogan « La Russie aux Russes » rencontre un large écho dans le public. Le repli identitaire s’exprime au grand jour lors de la fête de l’unité nationale du 4 novembre. VLADIMIR ROUVINSKY

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

AFP/EASTNEWS

« Rendons la Russie aux Russes », « Marre de nourrir le Caucase », « Liberté, nation, ordre ». Pendant qu’au cœur de Moscou était célébrée, le 4 novembre dernier, la fête officielle de l’unité nationale, dans une banlieue morne de la capitale, 7 000 nationalistes ont défilé sous ces slogans, encadrés par la police. Dans la Russie actuelle, c’est beaucoup. Pour la septième année consécutive, le principal contingent de la « Marche russe » était formé de jeunes remontés violemment contre les étrangers. Mais cette année, ils ont été rejoints par des nationalistes d’un autre type, d’apparence respectable, plus âgés, se disant modérés. La manifestation n’a pas su rester unifiée. Les nationalistes se sont divisés en multipes colonnes : « skinheads » portant

Plusieurs groupes nationalistes s’approprient le drapeau impérialiste noir, jaune, blanc.

des masques, fondamentalistes orthodoxes, retraités munis d’icônes et simples familles avec des enfants. Le défilé était fermé par les néo-nazis sous un drapeau SS arborant une tête de mort.

Les divers groupes avançaient en clamant leurs slogans respectifs au milieu de discours anticaucasiens, de chansonnettes antisémites accompagnées à la balalaïka, de vitupérations contre

le parti du pouvoir, Russie unie, et contre l’islamisation. La marche avait été autorisée par les autorités et s’est déroulée sans incidents. Selon le centre d’analyse Sova, spécialisé dans

le suivi de la xénophobie en Russie, les slogans scandés pendant la manifestation étaient une forme d’incitation à la haine raciale, punie par la loi. Mais la police n’a pas réagi. Pour le sociologue Lev Goudkov, directeur du centre Levada, la notion de « La Russie aux Russes » est soutenue par 60% de la population, tandis que 50% des habitants de Moscou sont favorables à une limitation de l’immigration des ressortissants des républiques du Caucase et d’Asie centrale dans la capitale. « Le problème n’est pas tant que le sentiment xénophobe remonte des couches inférieures pour se répandre dans la société, mais que la société oppose de moins en moins de résistance », analyse l’expert. À cela, plusieurs raisons. Tout d’abord, de nombreux Russes sont déçus par le pouvoir, estime le directeur du Centre des technologies politiques, Igor Bounine. L’exemple type en est la manifestation « politique » de 5 000 supporteurs de football sur la place du Manège en 2010. SUITE EN PAGE 2

Cinéma Les succès d’une année faste à l’affiche en Normandie

PHOTO DU MOIS

Honfleur : le meilleur de la réalisation russe

Renaissance du Bolchoï

PAUL DUVERNET

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Pour la 19ème édition du festival, sa présidente Françoise Schnerb a récupéré l’un des films russes couronnés dans un grand

festival international : Elena d’Andreï Zviaguintsev, prix spécial du jury à Cannes, qui sortira prochainement dans les salles françaises. Outre cette grande réalisation, le festival permet de découvrir des auteurs encore méconnus en Europe, à travers une sélection très composite de films récents. Huit d’entre eux seront en compétition dans la sélection principale. On retiendra notamment

SUITE EN PAGE 7

PAGE 3

Le combat pour sauver la mer d’Aral

Le scientifique Nicolaï Aladine lutte pour empêcher la disparition de ce qui était le quatrième plus grand lac du monde. Avec quelque succès.

OPINIONS

Le légendaire théâtre d’opéra a rouvert ses portes le 28 octobre après plus de six ans de travaux et une série de scan-

dales liés à des retards et des problèmes de financement. Lire notre article sur le site Internet : larussiedaujourdhui.fr/12903

Aux urnes !

Future technopole

La Venise du Nord

Les législatives du 4 décembre devraient confirmer la domination du parti du pouvoir, Russie unie. Mais le mode de scrutin est contesté.

Skolkovo va accueillir chercheurs et entrepreneurs dans une vaste cité sur le modèle de la Silicon Valley. Un projet qui doit permettre de diversifier l’économie russe.

Saint-Pétersbourg comme les guides touristiques ne vous l’ont jamais présentée... Dans cette ville plate sillonnée par les cours d’eau, il faut savoir prendre de la hauteur... sur les toits !

PAGE 2

PAGE 4

RIA NOVOSTI

La classe moyenne émergente n’attend pas le salut de l’État et retrousse ses manches pour améliorer son modeste niveau de vie. Reportage auprès d’une jeune famille de Sibérie représentative d’une nouvelle génération de battants.

PAGE 3

REUTERS/VOSTOCK-PHOTO

Du 22 au 27 novembre, le Festival du film russe à Honfleur accueille une séduisante sélection des œuvres d’auteur sorties en 2011, fleurons d’un cinéma qui confirme son renouveau.

Gromozeka, où Vladimir Kott met en scène trois amis qui, la quarantaine atteinte, perdent prise sur leur entourage immédiat et leur destin dans ce film sombre et émouvant. On frôle le misérabilisme et la surenchère dramatique, mais la veine réaliste reste la plus forte et sauve l’œuvre. Bedouin, d’Igor Volochine, suit une mère cherchant par les moyens les plus désespérés à sauver son fils atteint de leucémie. « Les jeunes aiment les vampires. C’est un thème immortel, mais surtout très actuel », commente le réalisateur.

Une nouvelle génération de battants

REUTERS/VOSTOCK-PHOTO

Le nationalisme à visages multiples

KOMMERSANT

PAGE 5

Adhésion à l’OMC : le pour et le contre La Russie est sur le point d’accéder à l’Organisation mondiale du commerce après 18 années de négociations. Bon ou non pour l’économie russe ? PAGE 6

HEMIS/LEGION MEDIA


02

Politique & Société

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.fr communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO

Le nationalisme russe rallie les mécontents en ordre dispersé reuters/vostock-photo

La « marche russe » du 4 novembre mêle des nationalistes de tout poil, « skinheads » ou monarchistes.

suite de la premiÈre PAGE

Brandissant des slogans nationalistes, ils exigeaient une enquête sur l’assassinat d’un des leurs par un ressortissant du Caucase. « C’était la première fois que le nationalisme rejoi­ gnait la contestation sociale. C’était une réaction à l’injustice, à l’absence de tribunaux fiables et de moyens de faire pression légalement sur les autorités », explique Goudkov. La seconde raison tient à une politique migratoire incohérente : d’un côté, dans un contexte de chute démographique et de manque de main d’œuvre, on favorise les flux de migrants à partir des régions pauvres du Caucase et d’Asie centrale, mais de l’autre, personne ne contrôle ces mécanismes gangrenés par la corruption. Le pouvoir lui-même nourrit le sentiment nationaliste. Le Caucase est largement subventionné, mais l’argent du

contribuable est dilapidé ou utilisé de manière opaque, ce qui suscite le mécontentement de certains Russes. Les défenseurs des droits de l’homme sont convaincus que les racines de l’extrémisme nationaliste qui affecte la société russe actuelle sont à chercher dans la guerre de Tchétchénie. Avant la guerre, les Russes étaient bien traités à Grozny. Après la première guerre, ils se sont retrouvés dans une situation hostile. Et la deuxième campagne a été portée par une vague nationaliste où les Tchétchènes étaient perçus comme des ennemis de la nation. « La poussée de la haine mutuelle a eu pour consé­ quence un effondrement moral », assure Svetlana Ganouchkina. Une autre raison, soulignée par le politologue Nikolai Petrov du centre Carnegie, a ses racines dans les questions relatives à la quête d’identité russe. Les données du centre Levada indiquent

qu’à la fin des années 1980, le nationalisme en Russie sovié­ tique était plus faible que dans les autres républiques de l’Union. « Les soviétiques avaient une conscience de former un empire, sans exigence d’appartenance ethnique », analyse Goudkov. L’indépendance des anciennes républiques soviétiques s’est appuyée sur des mouvements de libération nationale, comme dans les pays baltes, le Caucase, ou l’Ukraine. Mais les Russes ne se

sont émancipés de personne. De plus, la voie nationaliste est contre-indiquée pour une Russie peuplée 140 ethnies, pense Petrov : « Chaque ethnie en Rus­ sie, contrairement aux Turcs d’Al­ lemagne par exemple, possède un territoire historique ; c’est pourquoi le nationalisme condui­ rait à l’éclatement du pays ». Pour les sociologues, le nationaliste type se perçoit et s’affirme par le rejet des autres groupes ethniques. La question fonda-

mentale que posent les milieux nationalistes russes, c’est : « qu’est-ce qu’un Russe ? ». Certains nationalistes cherchent à se définir selon des notions éloignées de la dimension raciste que revêt souvent leur mouvement. « Le peuple russe, c’est des gens qui, indépendamment de leur origine ethnique, trouvent leur identité dans la tradition éta­ tique russe millénaire, appar­ tiennent à la culture russe, ­par­lent le russe. Celui qui prend le parti de la nation, celui-là est russe », a déclaré l’historien Iouri Kroupnov lors d’un entretien de presse. Cette interprétation est volontiers reprise par le pouvoir. Aujourd’hui, tous les courants nationalistes sont officiellement interdits en Russie. Les nationalistes modérés se réfèrent à l’expérience européenne. « Mais en Europe, il y a des institutions et des mouvements civils qui ré­ sistent à cela, il y a de vastes dé­ bats dans la société qui désa­ morcent largement la violence du nationalisme. Ce qui n’existe pas en Russie », regrette Goudkov. Celui-ci est convaincu qu’après l’incident de la place du Ma­nège, le parti du pouvoir a senti « une forte menace » qui l’a amené à prendre en compte les revendications nationalistes au sein de la société pour les empêcher de déborder. « Le pouvoir ne cher­ che pas tant à les combattre, en solutionnant les problèmes qui les nourrissent, qu’à récupérer ces sentiments, comme cela a été le cas pour la contestation so­ ciale », conclut le sociologue.

Les crises font le lit du nationalisme

en Chiffres

40%

Selon le centre Levada, le nationalisme a commencé à prendre de l’ampleur au milieu des années 1990, devenant très vi­sible après la crise financière de 1998 et la faillite de l’État. Beaucoup perdirent leur travail et leurs économies. « C’est à ce moment là

de Moscovites approuvent les expulsions d’étrangers et les Russes soutiennent le slogan « La Russie aux Russes » dans une proportion de 60%, selon le centre Levada.

L’opposition compte sur l’effritement de Russie Unie Igor viouzhnii

LA russie d’Aujourd’hui

"

président de la Commission électorale centrale de Russie

Sur les 54 États de l’OSCE, seuls 23, ceux de la CEI inclus, ont voté des lois reconnaissant l’institution d’observateurs internationaux. On ne trouve de telles lois ni aux États-Unis, ni en Allemagne, ni en France, ni au Royaume-Uni, ni en Belgique. Cela arrive que ces pays convoquent des observateurs internationaux mais c’est rare et ceux-ci sont toujours en nombre limité. En Russie, les observateurs internationaux ont le droit d’être présents aux commissions électorales à tous les niveaux, dont les commissions de circonscription, les jours de scrutin, les jours précédant les élections, au moment du dépouillement et du comptage ”.

Toutefois, en Grande-Bretagne, considérée comme le pays au système bipartite par excellence, il y a en réalité près de 40 partis (dont cinq sont représentés au Parlement), alors que dans la Russie multipartite, il n’y en a que sept (dont quatre au Parlement). Dans la plupart des pays

européens, ce sont les électeurs et non l’État qui jugent du bien fondé d’un parti politique. Selon Vladimir Tchourov, pour la Russie, les modèles d’un nouveau système électoral seraient « les jeunes démocraties », comme les pays d’Amérique latine, l’Inde, la Corée du Sud.

Il l’a dit

Vladimir Tchourov

vladimir novikov_itogi

La législation électorale ne cesse de changer : rien qu’en 2002, ses textes ont été modifiés près de 150 fois. Aujourd’hui, le pouvoir et l’opposition ont des visions totalement divergentes du système électoral en vigueur. La CEC caractérise le système électoral russe comme « l’un des meilleurs au monde », en insistant sur l’aspect hautement technologique du processus : comptage automatisé des voix, base de données informatisée, caméras vidéo dans les bureaux de vote. Autant de facteurs qui devraient éliminer le risque de fraude, selon Vladimir Tchourov, président de la CEC. Mais pour certains, les dés sont pipés. « En Russie, à ce jour, le système électoral dans son en­ semble ne correspond ni aux

­ ormes internationales, ni même n à la législation du pays », dénoncent les organisations russes de défense des droits de l’homme à l’Assemblée parlementaire du Conseil européen (APCE). Elles reprochent à Russie unie, le parti du pouvoir qui est en charge du remaniement du système électoral depuis ces dix dernières années, de le faire en sa propre faveur. Par exemple : le changement du mode d’élection des gouverneurs, l’interdiction de former des coalitions électorales, l’annulation du vote « contre tous » (les candidats présentés), le taux minimum de participation, la modification de la législation sur l’enregistrement d’un parti politique - le nombre de signa­tures requises passe de 10 000 а 45 000 (pour une population de 142 millions d’habitants). Les adeptes de ces mesures limitatives affirment qu’elles correspondent aux normes des organisations européennes. Ils mettent également en avant les sondages montrant que les ­Russes soutiennent l’idée de trois ou quatre partis forts.

La Russie en route vers l’OMC Après 18 ans de négotiations, l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce est enfin approuvée avec effet à la mi-2012. Au sommet Asie-Pacifique (APEC) ce dernier week-end, Barack Obama a promis à son homologue russe Dmitri Medvedev d’entamer les consultations avec le Congrès visant à annuler l’amendement Jackson-Vanik. Adopté en 1974, celui-ci interdit d’accorder le statut de nation la plus favorisée, et d’octroyer des crédits d’État et des garanties de crédit aux pays violant ou limitant le droit de leurs citoyens à l’émigration. Pour la Russie, l’adhésion à l’OMC signifie des droits nouveaux, mais aussi de nouveaux engagements. (Voir la rubrique Opinions en page 6).

À la conquête de la planète rouge

nasa

que la société a cessé d’imaginer les possibilités de son développement, et il a fallu trouver d’autres fondements à l’affirmation nationale », explique Goudkov. Le nationalisme culmine au milieu des années 2000 avec des émeutes et des crimes à caractère raciste.

Élections législatives La polémique persiste autour du mode de scrutin pour le vote du 4 décembre

Le parti du pouvoir paraît assuré d’arriver en tête du scrutin. Mais rien ne serait joué en cas de forte mobilisation des électeurs, selon l’analyse de la Commission électorale centrale (CEC).

EN BREF

En Russie, les partis sont passés au crible par le ministère de la Justice, auprès duquel ils doivent s’enregistrer officiellement, et ils ne peuvent voir le jour sans l’aval du Kremlin. Beaucoup consi­ dèrent qu’il n’y a vraiment plus aucun suspens quant au résultat des législatives, ni des présidentielles. Le chef de la Commission électorale, Vladimir Tchourov, n’est pas d’accord. Pour lui, le verdict des urnes dépendra du degré de mobilisation des électeurs. Étrangement, une grande partie de l’opposition le soutient sur ce point et affirme que, même dans la situation actuelle, avec une forte participation électorale, il est possible de bousculer Russie unie. Mais les bulletins invalidés ou les voix pour les partis qui ne passeront pas le seuil des 7% seront attribués au vainqueur. En vue d’améliorer le système actuel, le président russe Dmitri Medvedev, tête de liste du parti du pouvoir, envisage d’abaisser de 7 а 5% des voix le seuil de représentation à la Douma. Les critiques n’hésitent pas à dénoncer des mesures dites « cosmé­ tiques », vestige d’une « période de construction démocratique » qui, en Russie, n’en finit pas, depuis déjа 20 ans. Pour en savoir plus : larussiedaujourdhui.fr

Le 4 novembre a pris fin l’expérience Mars-500 destinée à simuler un vol habité vers la planète rouge. Lancée le 3 juin 2010, la mission a confiné pendant 520 jours, dans un « vaisseau » expérimental conçu par l’Institut russe des problèmes médico-biologiques (IMBP) de Moscou, un équipage international composé de six spationautes : trois Russes, un Français, un Italien et un Chinois. L’objectif principal était d’étudier les réactions de l’homme dans les conditions extrêmes qui provoquent une forte pression psychologique. L’expé­ rience a eu lieu dans le cadre de la préparation du vol vers Mars en conditions réelles, un événement qui est prévu à l’horizon 2030.

À l’heure de Moscou : +3

reuters/vostock-photo

Vous qui voyagez entre la ­France et la Russie, faites attention aux modifications horaires en vigueur depuis cette année. La Russie a définitivement abandonné le changement d’heure saisonnier et le décalage avec la France est désormais de 3 heures (au lieu de 2) jusqu’a la fin de mars. Le dimanche 30 octobre, une petite révolution a perturbé certains gadgets munis d’une fonction horloge – l’informatique n’avait pas enregistré la décision du Président Medvedev selon laquelle « l’heure d’hiver » n’existe plus en Russie : le nouvel an arrivera une heure plus tard que d’habitude !


Politique & Société

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.fr communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO

03

Vie quotidienne Ne se plaignant ni du gouvernement ni de leur sort, ils prennent les choses en main et retroussent leurs manches

La nouvelle classe moyenne : une génération de battants Les Soviétiques se reposaient sur l’État. Aujourd’hui, les Russes se battent pour leur emploi, un appartement bien situé et une place au jardin d’enfants pour leur progéniture.

de l’emprunt, il ne reste aux Frolov qu’environ 630 euros. Le salaire de Vladimir est le seul revenu du ménage car Nastia a repris ses études et s’occupe de l’éducation de leur fils Sergueï. Le budget alimentation tourne autour des 150 euros par mois. Pour sa sécurité financière,Vladimir considère qu’il a besoin d’un salaire mensuel d’au moins 1 000 euros. Mais il ne peut espérer une augmentation sans un gain de productivité de son usine de fabrication de turbines d’aération pour le métro, ce qui nécessite à son tour une modernisation du matériel de l’usine. Coincée entre la lourdeur fis­cale et le coût des emprunts ban­ caires, l’entreprise n’a pas les moyens de réaliser tous les investissements nécessaires. La mondialisation n’arrange rien. « En Allemagne où je vais pour affaires, les gens achètent allemand le plus possible. Nous avons besoin de la même mentalité en Russie », estime Vadimir, dont le patriotisme économique s’accompagne d’une certaine satisfaction person­ nelle : le jeune ingénieur veut rester à Tomsk et travailler à la fois pour le bien-être de sa famille et le développement de son usine. Son ambition ? Une maison en banlieue et trois enfants. Son épouse se contenterait de deux enfants. Son objectif immédiat : envoyer son fils au jardin d’enfants puis trouver du travail. La première étape n’est pas simple : les listes d’attente pour le jardin d’enfants comptent jusqu’à 10 000 noms dans certaines régions et selon le ministère de la Santé, le total pour la

La classe moyenne russe en chiffres

a.molodytch, f.tshapkovski

source: levada

oksana yushko

Les Frolov sont une famille typique de la classe moyenne provinciale émergente. Vladimir a 28 ans, sa femme, Nastia, en a 22. Ils sont originaires de la région de Tomsk, en plein cœur de la Sibérie, ville située à environ 3 000 kilomètres à l’est de Moscou et qui compte 500 000 habitants. Une fois ses études supérieures terminées, Vladimir a trouvé du travail dans une usine électromécanique de Tomsk, où il a rencontré Nastia. Son premier salaire s’élevait à 10 000 roubles (environ 250 euros), ce qui n’est pas énorme, même à Tomsk. Mais le jeune ingénieur prometteur est resté : sa société lui a offert un prêt sans intérêt sur 25 ans, qu’il a utilisé pour acheter un appartement T1 (une chambre) dans un im­meuble moderne au bord du fleuve. Seule condition : s’il est congédié ou s’il démissionne, il devra non seulement rembourser son prêt immédiatement, mais aussi payer les intérêts sur tout ce qu’il a emprunté jusque-là.Vladimir est donc lié à son employeur pour un quart de siècle, mais se met volontiers à sa place : sans cette clause restric­ tive, « les gens seraient nombreux à se procurer des prêts avantageux sur le dos de l’entreprise, sans contrepartie. Nous sommes peutêtre liés à l’entreprise, mais c’est le prix à payer pour avoir notre propre appartement ».

gaia russo

rousski reporter

Les Frolov joignent à peine les deux bouts mais restent optimistes.

Le couple a eu de la chance. La majorité des jeunes familles ­russes n’ont pas les moyens d’obtenir un prêt, que ce soit d’une banque ou de leur employeur. En effet, soit les candidats ne ­peuvent présenter les garanties nécessaires, soit leur employeur refuse de les aider par le biais d’un prêt à taux zéro. C’est une des raisons pour lesquelles la part de l’immobilier russe acquis grâce à une aide financière ne représente que 15%. Une fois versées les mensualités

Russie atteindrait 1,5 million. Si elle obtient une place pour Sergueï, Nastia souhaite travailler dans le secteur des services sociaux. Elle espère gagner 20 000 roubles par mois, mais se satisferait de 15 000 (400 euros). Vladimir et Nastia font partie d’une nouvelle génération : ils n’ont pas pour habitude de s’en prendre au gouvernement et cherchent eux-mêmes des solutions sans compter sur l’ État. Il est vrai que le couple n’a pas la folie des grandeurs. Les voyages ? Nastia voudrait aller à Sébastopol où elle a de la famille. Des destinations plus exotiques ? Les pyramides d’Égypte, les plages de sable fin thaïlandaises, mais aussi l’Allemagne, parce que Vladimir lui en a dit beaucoup de bien. En somme, la famille a besoin de sortir de chez elle. Ce que le couple ne fait que trop rarement, n’ayant pas les moyens de payer une « baby-sitter » pour s’occuper de son enfant. Sa dernière sortie au restaurant ? « Il y a neuf mois », répondent d’une seule voix Vladimir et Nastia. Le salaire modeste de Vladimir est imputable au faible taux moyen de la productivité en Russie, qui est quatre fois inférieur à celui des États-Unis. Un nouvel emploi dans une autre ville pourrait permettre au ménage d’améliorer sa qualité de vie grâce à une augmentation significative de ses revenus. Avec ses compétences, Vladimir aurait d’excellentes perspectives d’avenir dans la région de Saint-Pétersbourg, où l’économie est plus dynamique. Mais son emprunt l’oblige à rester à Tomsk. Comme d’autres dans son cas : en Russie, seuls six employés sur mille déménagent dans une autre ville chaque année, soit quatre fois moins qu’aux États-Unis. Vladimir ne s’inquiète pas d’un éventuel accident qui le priverait de son emploi : « Si quelque chose m’arrivait, une compagnie d’assurance rembourserait mon emprunt. Pour être honnête, j’ai une chance incroyable. Des millions de Russes sont probablement jaloux de moi ».

Écologie Un scientifique russe mène un combat acharné visant à réparer une erreur d’aménagement catastrophique pour l’écologie

Le Professeur Nicolaï Aladine lutte pour sauver la mer d’Aral, autrefois le quatrième plus grand lac du monde, aujourd’hui menacée par l’assèchement des fleuves qui l’alimentaient.

En 50 ans, telle une peau de chagrin

christopher pala

La russie d’aujourd’hui

Coincé entre la politique donnant la priorité au coton, qui a entraîné l’assèchement de la mer d’Aral, et l’effondrement de l’Union soviétique, le scientifique russe Nicolaï Aladine a été obligé d’effectuer ses recherches en secret depuis 1978. Son travail a cependant influencé ceux qui tentent aujourd’hui de faire revivre la partie nord de la mer. Nicolaï Aladine s’approche de l’épave d’un petit bateau rouillé où les mots « Otto Shmidt » sont encore lisibles sur la proue. Tout autour, on peut marcher sur ce qui constituait par le passé le fond de la mer d’Aral, qui s’étend désormais à l’horizon et se confond avec le désert qui l’entoure. Ce navire de recherche doit son nom au célèbre scientifique russe qui a exploré l’Arctique dans les années 1930. En 1996, lors d’une dernière croisière financée par des subsides japonais, il était le dernier à naviguer encore sur la mer d’Aral. « J’ai effectué 25 expéditions sur ce bateau », indique Aladine. Professeur à l’Institut de zoologie de l’Académie des

Avant 1960, la mer d’Aral occupait 67 000 km2 et fournissait 50 000 tonnes de poisson par an. Le secteur de la pêche employait alors 60 000 personnes. Près de 5 millions d’hectares de terres étaient cultivées en amont. 1960 : Moscou augmente massivement l’irrigation et veut transformer la mer en un lac d’eau salée, calculant que le prix du coton vaut 100 fois celui du poisson.

1987 : la superficie de la mer a diminué de deux tiers. La surface irriguée a doublé, la salinité a triplé, le secteur de la pêche a disparu. Les maladies intestinales et cancers de la gorge se multiplient. 2011 : le nord de l’Aral, dont la superficie est aujourd’hui de 3 300 km2, a été ramené à la vie grâce à une digue qui a permis une chute de la salinité et le retour des poissons.

s­ cien­ces de Saint-Pétersbourg, il a étudié la mer d’Aral plus longtemps que n’importe qui. Il la découvre en 1978 quand, en va­ cances après avoir soutenu sa thèse, il se rend à Aralsk, le port du nord, pour faire de la plongée. Quatrième plus grand lac du

monde, la mer d’Aral est située dans le désert à l’est de la mer Caspienne - Aral signifie « île » en kazakh. Elle est alimentée par les deux plus grands fleuves coulant vers l’ouest de l’Asie cen­trale, le Syr-Daria et l’Amou-Daria, dont les eaux proviennent des glaciers des montagnes du Pamir, voi­sines

de l’Himalaya. Mais à partir de 1960, les autorités soviétiques commencent à détourner l’eau des deux fleuves pour produire du coton, en sachant pertinemment que la mer disparaîtrait. « Lorsque je suis arrivé à Aralsk, se rappelle Aladine, le port était asséché et la mer à plus de 30 km ». De retour à Saint-Pétersbourg, il se lance dans des études qui démontrent les désastreuses incidences de la politique suivie sur l’écologie et les populations locales, mais qui heurtent les autorités. Aladine était parfois autorisé à lire les conclusions de ses recherches, non à les publier. Tout change avec la « glasnost ». Mais peu de temps après, l’Union soviétique s’effondre et ce qui restait d’Aral – trois lacs – est divisé par la frontière entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Les autorités scientifiques russes se désintéressent du problème et enjoignent à Aladine d’« étudier la Caspienne ». En 1993, le chercheur convainc un gouverneur kazakh de construire, avec une poignée de bulldozers et un minimum d’expertise, une digue rudimentaire pour garder l’eau du Syr-Daria dans la partie nord de l’Aral. Résultat : la salinité baisse et certains poissons reviennent. Mais la digue se fissure chaque fois que le niveau de l’eau monte. La ­Banque mondiale décide finale-

Christopher Pala

La mer d’Aral n’est peut-être pas perdue

Nicolaï Aladine devant l’ancien navire de recherche Otto Schmidt.

ment de financer la construction d’une digue en terre et d’une ­écluse en béton de près de 13 km, qui se révèlent très efficaces. Dès 2005, la digue est achevée et permet d’accumuler l’eau dans la mer et de restaurer progressivement les écosystèmes originaux. Six ans plus tard, la quantité de poissons est passée de 3 500 à ­18 000 tonnes, selon Zaualkhan Iermakhanov, responsable du secteur local de la pêche. Les pêcheurs attrapent 6 000 tonnes de poisson par an en utilisant des filets rudimentaires. Les villages de la région construisent de nouvelles maisons, des écoles et des an­tennes satellite, et une usine de transformation du poisson à Aralsk a permis de créer 41 emplois. « Le premier barrage était expérimental, indique Aladine.

Nous voulions prouver que les désastres perpétrés par l’homme pouvaient être réparés par ­l’homme ». Aujourd’hui, le gouvernement kazakh, financièrement à l’aise grâce à ses pétrodollars, envisage d’accélérer la réhabilitation de la mer d’Aral. Deux projets sont à l’étude. Le premier prévoit de relever la digue de Kokaral, et par ­là-même le niveau de la mer d’environ 6 mètres, la surface aquifère passant de 5 500 à plus de 8 000 km2. Le second consiste à creuser un canal au nord pour détourner le Syr-Daria et ramener la mer à Aralsk, rendant à la ville son rôle de port. Aladine, qui continue à se rendre tous les ans dans l’Aral, participe à des conférences scientifiques où il presse d’adopter les deux projets, l’un après l’autre.


04

Économie

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.fr communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO

Innovations Une cité des sciences pour accueillir les chercheurs et les entrepreneurs qui inventent et construisent le monde de demain

Skolkovo : la Silicon Valley russe À une quinzaine de kilomètres de Moscou, une technopole futuristique est en train de voir le jour. Avec pour objectif la diversification et la modernisation de l’économie russe.

5

Située à 3 km du périphérique de Moscou, la technopole Skolkovo se compose de 5 pôles : informatique, biomédical, spatial, énergétique et nucléaire.

alexandre vostrov

La russie d’aujourd’hui

L’État assume la quasitotalité du financement mais devrait progressivement passer le relais aux investisseurs privés

service de presse

Skolkovo est un centre d’inno­ vation dont la mission est de créer les conditions idéales qui permettront aux entrepreneurs comme aux chercheurs et aux scientifiques de se consacrer à la conception, la réalisation et le développement de projets d’avenir liés aux nouvelles tech­ nologies. Le chantier n’est pas encore terminé mais les « rési­ dents » ont déjà répondu pré­ sent à l’appel. En Russie, depuis la chute du régime soviétique, bien des ­choses ont changé mais certains secteurs de l’économie n’ont pas réussi a bénéficier pleinement de ces transformations. En tout premier lieu, c’est le cas de la science. L’URSS pouvait pré­ tendre à la suprématie mon­diale dans ce domaine, mais dans le contexte d’une économie de mar­ ché, le secteur scientifique russe n’a pas su affronter la concur­ rence. Or, aujourd’hui, la Russie n’a plus le choix. Sa lutte pour son indépendance ne peut rester tri­ butaire des fluctuations du mar­ ché des hydrocarbures - les re­ venus énergétiques créent une dépendance et découragent les investissements dans les secteurs porteurs d’avenir. Le dévelop­ pement du secteur scientifique doit fournir les rails de l’expan­ sion. La Fondation baptisée « Skol­kovo » est justement la locomotive qui devrait tirer le convoi. Le chantier du site, dont la conception a été confiée à des Français (le bureau d’études et d’architecture Arep de Jean-Ma­ rie Duthilleul et Étienne Tri­ caud), est en pleine efferves­cence. L’achèvement des travaux est prévu pour 2014. La technopo­ le accueillera une population de 15 000 habitants : des cher­ cheurs, des scientifiques, des hommes d’affaires et leur fa­ mille. Mais le contexte privilégié ­qu’offre Skolkovo n’est pas le seul critère. Le principal atout réside dans les conditions fis­

progressivement s’effacer entièrement et laisser la place à des investisseurs ­extérieurs ». Les propos de Naoumov peuvent paraître ambitieux mais tout est possible. À ce jour, les investisse­ ments extérieurs représentent 234 millions d’euros, et parmi les par­ tenaires principaux, figurent des géants mondiaux comme Sie­ mens, Boeing, EADS, Intel, Nokia, General Electric et IBM. En outre, la fondation maîtrise les règles du marché : il s’agit d’attirer l’in­ vestisseur et d’en faire un parte­ naire. En le faisant par exemple participer à la genèse d’une nou­ velle entreprise. Pour cela, Skol­ kovo et l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) ont signé un accord jetant les bases de la création de l’Institut de science et de technologie de Skolkovo (SIST), première université inter­ nationale qui i­ntègre l’entreprise et l’innovation dans les prog­ rammes d’enseignement et de re­ cherche. Des professeurs d’éta­ blissements prestigieux tels que le MIT, Harvard et Stanford vont former 200 professeurs et 300 chercheurs et scientifiques russes et étrangers. Encore une ombre au tableau : les observateurs ont tendance à considérer Skolkovo comme le « bébé » du président actuel, Dmitri Medvedev. Le projet se­ ra-t-il soutenu avec autant de détermination par son succes­ seur, Vladimir Poutine ?

en Chiffres

Vue panoramique de Skolkovo, un site conçu par un cabinet d’étude français.

cales particulièrement attrac­ tives proposées aux 200 sociétés « résidentes » (250 prévues d’ici la fin de l’année). La fondation promet de dépenser plus d’un milliard de roubles pour la créa­ tion de 30 jeunes pousses (des « start-ups »), tandis que 40 ont déjà été financées pour un mon­ tant de 4,7 milliards de roubles (plus d’1 milliard d’euros). Toutefois, selon le directeur de Strategic Investment Group, Jack Barbanel, le secteur scien­ tifique n’est pas assez intégré au monde des affaires et ce qui manque à Skolkovo, c’est un ­centre générateur d’idées nova­ trices pour attirer un flux mas­ sif de capitaux. Drew Gaff, président de Sigu­ ler Gaff, est plus optimiste. Il considère que le nombre de par­ ticipants au projet va s’ac­croître considérablement, grâce surtout aux avantages fiscaux proposés : « Aux États-Unis, nous ne pouvons que rêver de telles conditions. Le plus important pour Skolkovo et pour le secteur de l’innovation en général est de jouer le plus possible sur des exemples de réussite ». Mais pour intégrer Skolkovo, il faut faire ses preuves et con­ vaincre la commission que votre

tiateurs de la fondation veulent en faire une plateforme techno­ logique géante qui attirera autant les investisseurs que les chercheurs. Des accords ont déjà été signés avec de grosses socié­ tés comme Boeing, Intel, Cisco, Nokia, IBM, GE, Siemens et bien d’autres.

jeune pousse est celle qui mé­ rite un financement plus qu’une autre. Pour le moment, Skolkovo est composée de cinq pôles de com­ pétitivité : efficacité énergétique, biomédecine, télécoms et aéro­ nautique, technologies de l’in­ formation et nucléaire. Les ini­

Le talon d’Achille de ce projet est le financement. En effet, pour le moment, il est dans sa quasitotalité assuré par le gouverne­ ment russe, ce qui l­aisse scep­ tique quant à sa compétitivité sur le marché mondial. Mais les initiateurs de la fondation ­restent persuadés du potentiel de l’opération. Le vice-président, Stanislav Naoumov, relativise : « Dans un pays où l’on a l’habitude de critiquer toute nouvelle initiative de l’État, rien d’étonnant que la mentalité conservatrice russe ne soit pas prête pour un projet aussi novateur. Très prochainement, la participation de l’État tombera à 50% pour

Un tremplin pour l’innovation médicale Une nouvelle valve cardiaque artificielle et une technologie pour la thérapie du cancer : deux projets importants et ambitieux de grande valeur pratique.

a plus de vingt ans par les Amé­ ricains. S’ouvre alors pour cette nouvelle génération de pro­thèses cardio-vasculaires un très vaste marché, dont trois sociétés amé­ ricaines avaient jusque là le mo­ nopole. La fabrication de ces prothèses paraît d’une simplicité enfan­ tine : trois feuillets ouvrant une petite mitre noire. Mais pour leur fonctionnement, il a fallu employer des technologies de pointe : sur une année, ces feuillets devront s’ouvrir et se refermer près de 40 millions de fois. « Notre valvule est composée de trois nanomatériaux, explique

Tatiana Toropova

SpÉcialement pour La russie d’aujourd’hui

Au sein d’une entreprise mos­ covite, un groupe de scienti­ fiques a mis au point une valve cardiaque artificielle à triple ailette nommée Tricardix. C’est un véritable bond en avant si l’on considère que, jusqu’à ce jour, on n’utilisait que des ­valves à double ailette, inventées il y

de la thérapie du cancer : la mise au point d’une nanotech­ nologie pouvant générer des mé­ dicaments capables de cibler exclusivement les cellules can­ céreuses et les détruire, tout en épargnant systématiquement les cellules saines. Pour sortir ce produit sur le marché, il faut effectuer des essais cliniques très coûteux et financer la procé­dure d’obtention de la li­ cence par l’organisme fédéral régulateur. Le bureau Translek a sollicité une bourse d’un mon­ tant de 364 000 euros auprès de la Fondation Skolkovo, et autant auprès d’investisseurs privés.

Alexandre Samkov, l’un des in­ venteurs. Nous avons travaillé avec un équipement spécial assurant une exactitude de me­ sure allant jusqu’à 150 nano­ mètres. En accélérant les ions de car­bone et les implantant dans la surface du titane, nous obtenons une biomatière compatible avec le tissu vivant ». La prothèse, qui a passé les essais techniques et cliniques et obte­ nu des brevets en Russie, en E­u rope, aux États-Unis, en Chine et au Brésil, est déjà uti­ lisée par 40 personnes. Autre innovation révolution­ naire à laquelle participe Skol­ kovo, cette fois dans le do­maine

Questions & Réponses

biographie

alexandra bazdenkova La russie d’aujourd’hui

Les scientifiques russes ont mis au point un appareil de mesure de radioactivité intégré au télé­ phone portable. C’est une pre­ mière sur le marché mondial, mais les scientifiques n’étant pas férus en affaires, ils ont été confrontés aux problèmes de financement et de commercialisation du pro­ jet. La Russie d’Aujourd’hui a in­ terrogé le concepteur, Vladimir Eline, sur son invention et sur les solutions apportées aux questions financières.

Comment est né Do-Ra ? L’idée m’est venue en mars 2011, suite à la commande qui m’a été faite d’un article sur la catas­ trophe de Fukushima. La devise de l’Université technique d’État de Moscou-Bauman, où j’ai fait mes études, est la suivante : « Si tu ne comprends pas, cherche ; si tu doutes, vérifie ; si tu es sûr, agis » ! Et c’est précisément ce que j’ai décidé de faire. Quant à l’appellation Do-Ra, c’est sim­ plement l’amalgame des pre­ mières syllabes des mots dosi­ mètre et radiomètre. À quel genre de difficultés sont confrontés les chercheurs russes et comment les surmonter ? Au tout début du projet, nous avons eu du mal à rassembler une équipe de concepteurs. Ce

n’est qu’au bout d’un à deux mois, grâce à un heureux ha­ sard, que nous avons trouvé les bonnes personnes. Un autre pro­ blème : le financement des pro­ jets scientifiques. Les banques russes ne sont pas prêtes à ris­ quer leur capital pour ce genre d’aventure. Et les fonds d’inno­ vation viennent tout juste d’ap­ paraître sur notre vaste marché. Malheureusement les chercheurs n’ont pas ­d’argent, tandis que ceux qui en ont ne veulent pas le risquer. ­Les moyens sont in­ suffisants pour élaborer les pro­ jets innovants. Mon conseil à tous les concepteurs russes : multiplier les démarches pour obtenir des bourses d’innova­ tion, comme auprès de la ­Fondation Skol­k ovo, par ­exemple.

nom : vladimir ieline ÂGE : 54 ans rôle : fondateur service de presse

Après Fukshima, Skolkovo donne aux chercheurs un coup de pouce pour le lancement de Do-Ra, un appareil de mesure de radioactivité intégré au téléphone portable.

itar-tass

Détecter les radiations, et les financements !

Le fonctionnement de Do-Ra qui mesure la radioactivité.

Quel rôle a joué Skolkovo dans la réalisation de ce projet ? Sur leur site Internet, j’ai pu concevoir un plan de concep­ tion, de réalisation et de com­ mercialisation du projet, dé­ tailler les étapes de son évolution. Puis le projet a été entériné par une commission composée d’ex­ perts russes et étrangers. Je suis devenu membre à part entière du programme fédéral d’inno­

vation et obtenu des avantages fiscaux au sein de la techno­pole. L’opérateur du projet, la socié­ té Intersoft Evrasia, étant rési­ dent de Skolkovo, ne versera que 14% des charges salariales et sera exempté du reste des im­ pôts. La seule condition pour obtenir ces avantages fiscaux en Russie est de correspondre au statut de chercheur scienti­ fique.

Après ses études à l’Université technique d’État de Moscou-Baumann (Systèmes et appareils radio-électriques), Vladimir Ieline travaille comme chercheur. La fondation de Do-Ra coïncide en 2011 avec la publication de son ar­ ticle « Notre monde radioactif » où il ­avance des arguments pour la création d’appareils de mesure de radioactivité intégrés au télé­ phone portable. Depuis le soutien du projet par Skolkovo, quelques dizaines d’exemplaires de Do-Ra ont été créés, tandis que le logiciel pour des plateformes numé­ riques est en cours d’élaboration.


Régions

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

05

Insolite Visite guidée d’un autre type pour découvrir la « Venise du Nord » : sur les toits de Saint-Pétersbourg Voir notre diaporama sur larussiedaujourdhui.fr

Promenade au raz des nuages Dans la vie « d’en-bas », il est employé de banque. En trois heures de balade, nous avons gravi quatre toits situés dans le centre historique de la ville. Nous avons évolué dans un rayon d’à peine deux kilomètres carrés ; c’est pourtant comme si nous avions visité une autre ville, un autre pays, une autre planète. Chaque toit est différent et offre un paysage et une ambiance qui lui est propre. Depuis l’immeuble du quai de la Fontanka, face au Cirque, on surplombe un carrefour où ondulent et se croisent les serpentins des phares de voitures et les lumières des bateaux-mouches en un ballet synchronisé. Mouvement hypnotique qui vous plonge dans un état méditatif. Vers la rue Mokhovaïa, le paysage est tout différent. Les nombreuses cheminées et lucarnes forment l’encadrement d’un tableau hallucinatoire. À l’horizon,

PAULINE NARYCHKINA

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Saint-Pétersbourg se situe au niveau de la mer, sans dénivelés, et si l’on veut prendre de la hauteur, l’une des solutions consiste à rechercher les élévations architecturales du haut desquelles la ville vous appartient l’espace de quelques heures : elle tient dans la paume de votre main, elle se donne. C’est parti pour une virée sur... les toits. Mon guide, Dmitri, a 22 ans. Il fait partie de la nouvelle génération de ces accros des hauteurs : « Le toit, c’est TOI. C’est l’endroit qui donne la possibilité à ton monde intérieur de se révéler. Ici, tu peux être toimême, loin des conventions du monde d’en-bas ».

les coupoles des grandes cathédrales illuminées (Kazan, SaintIsaac, Saint-Sauveur-sur-lesang-versé, et la flèche de l’Amirauté) sont alignées telles des boules dorées posées sur la ligne de crête des toits. Si l’on se penche de l’autre côté de l’immeuble, on distingue le dédale des ruelles et le labyrinthe des sombres cours intérieures. Un monde parallèle contrastant avec l’éclairage vif et la circulation effrénée du Liteïnyi Prospekt. Puis nous nous hissons sur le toit d’une bibliothèque abandonnée, un immeuble de briques rouges aux fenêtres sans carreaux, pareil à une bouche édentée. À quelques minutes de là, nous visitons le toit d’un immeuble grand standing, entre l’Ermitage et le Palais de marbre. Et là, c’est l’apothéose : une vue panoramique sur la Néva, dans toute sa majesté. Sur la gauche, la Pointe de l’île Vassilievski avec ses

Nocturnes Les bals de St-Pétersbourg ne se démodent pas

On y danse comme à la grande époque Saint-Pétersbourg ne manque pas de boîtes de nuit modernes, mais tient avant tout à préserver sa réputation de capitale russe des grands bals, qui remonte au XIXe siècle.

Descendre à l’hôtel et dans le passé

Pour vous imprégner de l’atmosphère historique de la ville en restant tout près de l’avenue principale - la perspective Nevski -, descendez au Grand Hôtel Europe comme la plupart des visiteurs de renom depuis près de deux siècles. Au début du XIXe, à sa place se trouvaient deux immeubles lo-

catifs. L’un des propriétaires, de concert avec le marchand français Jean Coulon, y avait ouvert un hôtel-restaurant réputé, sous l’enseigne à consonance française La Russie. Cette tendance francophile s’est pérennisée et, aujourd’hui encore, les habitués peuvent savourer sur leur terrasse un petitdéjeuner à la française : un croissant frais avec leur café du matin. Suite à un incendie ravageur, le bâtiment a été fortement endommagé. L’hôtel rouvre en 1875 sous le nom actuel de Grand Hôtel d’Europe. La toute dernière rénovation a été réalisée en 2008 sous la direction de l’architecte d’intérieur français Michel Jouannet.

et sont donc ouverts au public. Alors, si vos projets vous conduisent à Saint-Pétersbourg pour les fêtes de fin d’année, ne manquez pas le Bal du Nouvel An de Tsarkoïe Selo ! La nuit du Réveillon, un équipage vous amènera de votre hôtel au palais. Vous serez accueillis par un orchestre à vent et un tapis bleu vous guidera jusqu’à la salle de bal. En chemin, des hussards du tsar vous feront le salut militaire et une coupe de champagne vous sera servie. À minuit, sous les voûtes du palais

retentiront les douze coups. Que la fête commence ! Polka, polonaise, valse, chant d’opéra. La danse de la Fée Dragée cède la place aux danses cosaques. Un tourbillon de musique, qui culminera par un feu d’artifice. Pour terminer, la troïka, au son des grelots, vous ramènera à travers les rues enneigées jusqu’à vos appartements. Le voilà, le bal « à la russe ». Comme le disait Catherine II : « Un peuple qui danse et chante ne pense pas à mal ». Et elle savait de quoi elle parlait.

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Imaginez l’écho retentissant à travers d’immenses salles, le froissement des crinolines, les notes mélodieuses de la musique de Mozart et le parquet brillant, poli par les siècles. C’est SaintPétersbourg au XIXe, capitale des bonnes manières, des cérémonies et des bals. « Les bals, en Russie, sont apparus assez tard, explique Irina, directrice d’une société spécialisée dans l’organisation de telles manifestations. C’est Pierre le Grand, le tsar novateur, ouvert sur l’Europe et grand amateur de femmes, qui a lancé ces festivités à la Cour. Les bals de celle qui était alors la capitale se distinguaient par un faste et une magnificence sans pareil. Et c’est toujours le cas ». Aujourd’hui, nous assistons à une véritable renaissance des bals. Même au XXIe siècle, l’élégance et les grandeurs d’une autre époque font rêver. La plupart des cérémonies se déroulent au Palais Catherine de Tsarskoïe Selo ou au Palais Ioussoupov. Souvent, ces bals sont organisés à l’occasion de fêtes tradionnelles,

SERVICE DE PRESSE

IOULIA PETROVA

La mode... et la sécurité ! Les sites Web proposant des promenades sur les toits, y compris les sites d’agences touristiques, se multiplient. Cette tendance est portée par des bars, clubs et restaurants huppés qui, l’été, installent leurs terrasses en hauteur pour offrir des vues imprenables. Il convient cependant de respecter certaines consignes de sécurité, et de porter notamment des chaus-

sures confortables avec semelles antidérapantes (mesdemoiselles, oubliez vos talons !), de garder les mains libres (sac à dos de rigueur), de se munir d’une lampe de poche et de ne pas s’accrocher aux fils électriques. À chacun de trouver SON toit. Une chose est sûre, vous en descendrez tout sens dessus dessous et jamais déçu(e).

colonnes rostrales, à droite le pont Troïtsky, guirlande scintillant, et en face, dardant sa flèche vers le ciel, la forteresse Pierre-et-Paul, symbole de la ville. La hauteur peut donner le vertige, même à ceux qui ne l’ont pas. Un vertige de liberté, de beauté. Une sensation de toute

puissance mêlée à l’adrénaline que font naître le risque et l’interdit. Les immeubles du centre-ville étant limités à six étages, au-delà, on accède directement au septième ciel. Encore faut-il le mériter. Bien sûr, certains sommets ne se donnent pas si facilement, il faut les prendre d’assaut. S’ac-

À NOTER

crocher et franchir l’obscurité des greniers poussiéreux, se hisser à la force des bras à travers une étroite lucarne, crapahuter sur les arêtes des tôles glissantes entre les cheminées décrépies. Sans compter les gardiens, les caméras de surveillance et les voisins aux aguets. Mais le jeu en vaut la chandelle. Dmitri raconte que ses quartiers favoris « au raz des nuages » sont situés dans le cœur historique : Nevski, Fontanka, Griboedov, la Place Sennaya, mais aussi l’île Vassilievski et, surtout, le quartier de Petrogradskaïa qui recèle un potentiel infini et permet des balades de plusieurs heures sans toucher terre. Les amateurs de sensations fortes trouveront leur compte sur les grandes tours des quartiers périphériques. « Du haut d’un immeuble de 25 étages, par temps dégagé, on a une vue imprenable et inédite sur la ville ».

Idée promenade Ponts, quais, îles, canaux

Pour s’y rendre Chaque jour, plusieurs vols directs entre Paris et Saint-Pétersbourg arrivent à l’aéroport de Poulkovo (situé à 1 heure de route du centre-ville). Si vous êtes à Moscou, vous pouvez également prendre l’avion (le trajet dure 40 minutes) ou un TGV qui part de la gare Leningradski et arrive à la gare Moskovski en plein cœur de la capitale du nord.

Où dîner Le restaurant Palkine, avenue Nevski, est l’un des plus anciens de la ville. Étoilé dans les guides du XIXe, il comptait parmi ses clients Dostoevski, Leskov, Tchekhov, Mendeleev et Tchaïkovski. Fidèle à ses origines, Palkine a été récemment rénové dans son style historique par les mêmes décorateurs que ceux de l’Ermitage et son intérieur vaut à lui seul une visite. Quant au menu, il séduira les plus fins palais avec des plats traditionnels russes, mais aussi des classiques français, un choix de 120 vins haut de gamme et une chocolaterie propre au restaurant.

HEMIS/LEGION MEDIA

Les Saint-Pétersbourgeois le savent bien : leur ville se révèle sous une autre dimension à qui sait prendre de la hauteur...

FOCUSPICTURES

Saint-Pétersbourg vue au fil de l’eau Après la vue d’en haut, celle d’en bas : les bateaux-mouches de Saint-Pétersbourg invitent à découvrir les 75 canaux, 800 ponts et les quais infinis de cette véritable Venise du Nord. IOULIA PETROVA

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Pierre le Grand est connu pour être un grand plagiaire. Il a « copié » la flotte hollandaise, l’architecture française et conçu la planification de sa ville sur le modèle italien. Saint-Pétersbourg n’a pas volé son surnom de « Venise du Nord » : sillonnée par quelque 75 canaux, la ville est répartie sur plus de 100 îles, presqu’autant que la « vraie » Venise. Pierre le Grand avait eu l’idée d’en faire une véritable « fenêtre sur l’Europe », permettant à Saint Pétersbourg d’acceuillir les navires marchands et les paquebots du monde entier. Le tsar, désireux d’épater d’emblée les

visiteurs par la magnificence de sa ville qui porte son nom, fit en sorte que l’ensemble architectural, monuments et façades, soit tourné vers l’eau. Après les glaces hivernales, la navigation reprend en mai : rivières et canaux pullulent de barques, bateaux et vedettes. « À Saint-Pétersbourg, les promenades au fil de l’eau sont incontournables, souligne Iana Khroustovskaia, directrice d’une agence de voyages, cela permet de voir la ville sous un autre angle ». Au crépuscule, les palais et les ponts s’illuminent. Le jeu des ombres et des lumières met en valeur les détails architectureaux. Les « nuits blanches » voient la foule se masser sur les quais ou prendre d’assaut les bateaux sur la Neva pour assister, vers deux heures du matin, à la levée des ponts laissant alors passer de gigantesques paquebots de croisière. Un instant magique à l’image d’une ville qui ne l’est pas moins.


06

Opinions

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.fr communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO

entrée À l’OMc : le pour et le contre un handicap pour l’économie russe Felix Goryounov

La russie d’Aujourd’hui

M

ieux vaut tard que jamais.Telle pourrait être la réaction des investisseurs et hommes d’affaires à l’Ouest comme à l’Est à l’annonce que la Russie arrive au terme d’un parcours de 18 années pour intégrer l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). L’entrée de la Russie sera ratifiée par le Conseil général de l’OMC à la mi-décembre. Le long marathon de l’adhésion n’a toutefois pas été inutile. Les t­ermes arrachés par les négociateurs russes à leurs partenaires sont largement favorables à la Russie. Ils assurent un accès sans discrimination des produits r­usses aux marchés étrangers, ce qui s’appelle en langage international statut « de la nation la plus favorisée ». La Russie peut aussi avoir recours au mécanisme de règlement des litiges de l’OMC. L’adhésion va créer un climat plus favorable aux investissements étrangers en R­ussie, et inversement, ouvrir pour les investisseurs r­usses les marchés des pays ­membres de l’organisation. Mais il serait imprudent de dire que « tout est bien qui finit bien ». L’économie russe n’est pas compétitive et l’adhésion à l’OMC n’y changera rien. La base des exportations russes se détériore pro-

gressivement. Un rapport de la Banque mondiale explique : « Le pétrole et le gaz composaient moins de la moitié des exportations totales en 2000. En dix ans, ce chiffre est passé aux deux tiers, 15% sont représentés par d’autres minéraux, et 9% seulement de haute technologie, essentiellement dans l’industrie militaire ». Depuis vingt ans le Kremlin parle de diversifier et de moderniser l’économie, mais celle-ci repose toujours sur les industries d’extraction. Les revenus pétroliers composent la moitié du budget fédéral. En adhérant à l’OMC, la R­ussie accepte son rôle secon­daire dans la division internationale du travail en tant que fournisseur de matières pre­mières. Le Premier ministre Vladimir Poutine a expliqué que la Russie avait besoin de l’OMC pour éliminer ses pertes de revenus sur les exportations qui s’élèvent à 1,8 milliards d’euros annuellement. Mais les principaux perdants sont les magnats de l’acier et des métaux non ferreux, qui ont poussé le Kremlin à re­joindre l’OMC, tandis que leurs oligo­poles n’ont rien fait pour aider leurs entreprises à affronter la concurrence internationale. La majeure partie des firmes industrielles, agricoles et de ser­vice russes, sans parler des petites entreprises, ne sont pas compéti­tives, même sur le marché local. Sans un soutien étatique fort, interdit par les

r­ ègles de l’OMC, elles seront per­ dantes. La corruption endémique a placé les entre­prises russes sous un ­double impôt qui les rend non compétitives dès le départ. Et nombre d’entrepreneurs sont des proies faciles pour les bureau­ crates et les policiers qui exigent une part du gâteau ou des potsde-vin en échange de leur protection. Cette pratique empêche les grandes compagnies de distribuer leurs produits à l’échelle nationale, parce que les fonctionnaires des régions privilégient les entreprises lo­cales. Rien de surprenant à ce qu’un tel climat e­ntraîne une fuite des capitaux. La Banque centrale de Russie estime que cette année, 70 milliards d’euros auront quitté le pays, s’ajoutant au trillion d’euros partis depuis le début des années 1990. L’économie russe a désespérément besoin d’un soutien beaucoup plus fort à l’entreprenariat national. Et ce besoin est beaucoup plus urgent que les avantages procurés par une entrée au sein de l’OMC. Felix Goryounov est un journaliste économique.

des avantages immatériels Andreï Netchaïev

T

Itogui

entons de démêler les avantages et les inconvénients de cette adhésion à l’OMC sans céder aux émotions. Il faudra définitivement faire une croix sur les méthodes primitives de la politique douanière telles que les droits prohibitifs sur les importations de voitures étrangères ou la réglementation administrative directe des investissements étrangers et des importations. Leur longue utilisation n’a pas sorti l’industrie automobile natio­nale de son état comateux. Le climat d’investissement favorable ne s’obtient pas par une limitation artificielle de la concurrence. Il voit le jour grâce à la protection des droits de propriété, à l’indépendance et au professionnalisme du système

sergei yolkin

Les racines de notre racisme Margarita Simonian

J

The Moscow Times

’ai entendu à la radio il y a quelques jours que « Neuf immigrés du Caucase ont attaqué un journaliste à Ekaterinbourg ». Triste, j’ai passé le reste du trajet à tenter de me rappeler la dernière fois que j’avais entendu parler de migrants venant de la région de Vladimir, tabasser quelqu’un dans une autre région. Dans ma région natale de Krasnodar, un groupe ethnique entier, les Turcs meskhets, a été opprimé. Pendant des années, ils ne pouvaient ni obtenir de papiers en règle ni

travailler, ils étaient diabolisés à la télévision. En somme, ils étaient haïs.Tellement qu’un jour ils ont fait leurs valises et sont partis aux États-Unis, tous, donnant une image terrible de la Russie aux yeux du monde. Le fait est que les habitants de la région ont toujours justifié leur haine des Turcs meskhets en clamant qu’ils étaient des criminels. En faisant un reportage dans le coin, j’avais demandé à la police de me fournir des statistiques officielles, pour découvrir que seulement 1% des crimes commis dans la région étaient impu­tables à des Turcs meskhets, alors que ceux-ci représentent 10% de la population. De plus, ils n’avaient

pas été responsables de délits g­raves depuis de longues années. L’immigration n’est pas le vrai problème, qui est beaucoup plus grave : l’intolérance et la haine de groupe autochtones. On peut interdire l’immigration, mais que faire des groupes ethniques non russes qui vivent sur leurs ­terres natales en Russie ? La semaine dernière j’ai été témoin d’une scène écœurante à la gare de Kazan. Trois jeunes gens du Caucase interpellaient des responsables du service dans les wagons, des femmes en l’occurrence, sur le quai. « Eh les poulettes, elles sont toutes belles comme vous les femmes à

Moscou ? », s’esclaffaient-ils. Puis ils se sont pris par la main en hurlant : « Nous sommes du Caucase ! ». Pourquoi certains Caucasiens se comportent-ils ainsi à Moscou? En font-ils autant chez eux ? Bien sûr que non. Ils respectent leurs compatriotes. Mais pas les Moscovites, ni les Russes en général. Les garçons du Caucase sont nombreux à avoir été élevés avec l’idée que les filles russes sont dépravées. Ils se sentent supérieurs aux Russes parce que c’est ainsi qu’ils ont été éduqués. Inversement, les gamins r­usses grandissent dans des foyers où on leur apprend que les gens du Caucase sont arriérés. Résultat,

lu dans la presse la russie et la crise de la zone euro

En Russie, la crise de la zone euro inquiète mais ne menace pas. Selon les experts, le pays est en mesure d’affronter une crise économique mondiale sur le court terme. On s’interroge en revanche sur la capacité de l’Union européenne à survivre en l’état. Dans l’aide financière qu’elle pourrait apporter à l’UE, la Russie voit l’occasion d’accroître son rôle sur la scène internationale en général et au sein du Fonds monétaire international en particulier. Préparé par Veronika Dorman

souveraineté limitée

on ne dépose pas les armes

Le crédit russe

vedomosti

gazeta.ru

kommersant

La Grèce offre un exemple représentatif de la limitation de la souveraineté qu’impose l’UE. Le référendum proposé par Papandréou a suscité une telle vague d’indignation au sein des élites européennes et sur les marchés qu’il a fallu immédiatement y renoncer, car les Grecs auraient clairement voté contre. Un débiteur qui ne rembourse pas ses dettes risque de perdre de sa souveraineté au profit du créancier. Hors de l’UE, la Grèce aurait fait faillite. Mais on change de gouvernement pour l’éviter. C’est comme si, lors de la crise de 1998, le gouvernement de Kirienko avait démissionné sous la pression des pays de la Communauté des États indépendants.

La crise de la dette publique et de la croissance n’est pas une raison pour renoncer à la démocratie ou à l’intégration, qui favorisent l’augmentation de la consommation et le nivellement du développement économique des pays. Mais la Grèce est allée trop loin dans l’intensification de la consommation, elle va devoir « redescendre sur terre ». Elle devrait adopter une posture plus active, en exigeant plus et en élaborant ses propres mesures unilatérales. C’est parce qu’elle est restée dans la position de l’observateur extérieur, dans la discussion sur les aides, qu’elle a reçu si peu au final, le minimum qui ne règle rien, mais « suspend » le problème.

La Russie n’est pas prête à participer au Fonds européen de stabilité financière dont on ne connaît pas encore le fonctionnement, a déclaré le conseiller du président Arkadi Dvorkovitch. Mais ­elle compte tout de même aider les pays de l’UE via le Fonds monétaire international, dès que cette aide sera nécessaire, car les ressources du FMI suffiront pour une année encore. « Mais nous partons du principe que l’Europe doit prendre elle-même la décision », a précisé Dvorkovitch. Selon lui, l’apport de la Russie au FMI pour aider les économies européennes n’excédera pas les 7,3 milliards d’euros, alors que les besoins s’élèvent à 220 miliards.

Éditorial

Alexei Mikhailov

judiciaire, au refus de toute substitution du « racket fiscal » à l’administration fiscale, à une réduction cardinale du fardeau administratif et bureaucratique pesant sur les entreprises et les citoyens, à un recul de la corruption ainsi qu’à d’autres mesures connues mais encore loin d’être adoptées chez nous. Bien sûr, l’entrée à l’OMC signifie que la concurrence avec les importations sur le marché intérieur pour certains secteurs de l’économie russe va s’accentuer, mais les consommateurs en bénéficieront. Dans le même temps, on notera une amélioration des conditions pour l’exportation des marchandises russes et nos investissements à l’étranger, ainsi que pour l’afflux d’investissements directs en Russie, ce qui constitue une condition importante de la modernisation. On sait que les méthodes de réglementation et de protection du marché intérieur ne se limitent pas aux droits de douane ou aux barrières administratives. Les pays jugeant nécessaire une protection supplémentaire de leur propre marché trouvent des arrangements. Un exemple clas­ sique est celui de la Chine, qui est parvenue à maintenir un système de fixation du cours de sa monnaie nationale non fondé sur la réalité des marché. Notons que les exigences qui nous ont été formulées pendant

les uns et les autres trouvent normal de se traiter mutuellement avec mépris. Je ne dis pas que chaque famille dans le Caucase entretient des sentiments xénophobes, mais c’est trop souvent le cas. Chacun dans le Caucase vient d’une telle famille, ou en connaît une. De même, je ne prétends pas que toutes les familles russes sont racistes, mais un grand nombre le sont. Avant la rue, c’est chez eux que les enfants russes entendent les insultes et les expressions de diffamation raciale à l’égard des Caucasiens. Et le problème n’a aucun lien avec l’orthodoxie, l’islam ou la criminalité. Il relève de perceptions subjectives et de préjugés personnels. Cela dit, nous sommes réellement différents. Telle culture permet d’épouser des non-vierges alors que c’est totalement tabou dans

la phase finale des négociations d’adhésion ne sont pas si dures. Nous avons besoin comme de l’air de la protection de la propriété intellectuelle. Sans elle, inutile de compter sur une économie de l’innovation. Cela dit, il ne faut pas exagérer le bénéfice d’une adhésion à l’OMC. La possibilité d’utiliser ses mécanismes pour contrebalancer les restrictions frappant les exportateurs russes sous forme de procédures anti-dumping, de quotas d’importation et d’autres mesures, nous fourniront des avantages directs se chiffrant entre 2,5 à 4 milliards. Cela profitera principalement à la métallurgie, aux fabricants d’engrais, aux exportateurs de céréales. Les exportations de produits à haute technologie se résument essentiellement au matériel militaire livré aux pays du tiers monde. Mais le principal, ce ne sont bien sûr pas les avantages matériels immédiats des exportateurs : c’est l’accès à l’élaboration de règles communes de fonctionnement de l’économie mondiale et du commerce international, qui est la raison d’être de l’Organisation. Finalement, ce n’est pas une coïncidence si le nombre de membres de l’OMC est comparable à celui des États appartenant à l’ONU. D’ailleurs, aucun membre n’a jamais quitté l’Organisation. Ministre russe de l’Économie (1992—1993). Article paru dans la revue Itogui

une autre. Malheureusement, nous manquons trop souvent de sagesse pour accepter cette diversité. Nous focalisons sur les différences, ce qui nous mène droit à l’autodestruction. Quand nos grands-parents étaient enfants, ils ne faisaient pas attention aux origines ethniques de leurs camarades de classe. Nos parents ont grandi à une époque où le discours haineux contre les autres groupes ethniques est devenu un lieu commun. Aujourd’hui, nos ­frères et sœurs règlent leurs comptes au couteau. Si nous ne stoppons pas cette dérive immédiatement, nous risquons de voir nos enfants recourir à la kalachnikov. Margarita Simonian est rédactrice en chef sur la chaîne Russia Today.

Le courrier des lecteurs, les opinions ou dessins de la rubrique “Opinions” publiés dans ce supplément représentent divers points de vue et ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction de La Russie d’Aujourd’hui ou de Rossiyskaya Gazeta. merci d’envoyer vos commentaires par courriel : redac@larussiedaujourdhui.fR.

Irina Parfentiev

CE SUPPLéMENT DE huit PAGES EST éDITé ET PUBLIé PAR ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), QUI ASSUME L’ENTIèRE RESPONSABILITé DU CONTENU. SITE INTERNET WWW.larussiedaujourdhui.fR EMAIL redac@larussiedaujourdhui.fR TéL. +7 (495) 775 3114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, éTAGE 12, MOSCOU 125 993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DéLéGUé, MARIA AFONINA : rÉDACTRICE EN CHEF, dimitri de kochko : conseiller de la rédaction, ANdreI zaitsev: SERVICE PHOTO, Gaia Russo, Niyaz Karimov : inphographie. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@LEFIGARO.FR). Maria Tchobanov : représentante À PARIS (maria.tchobanov@gmail.com, 06 60 70 11 03). traducteurs : Veronika dorman, chloé valette. © COPYRIGHT 2011, ZAO ‘ROSSIYSKAYA GAZETA’. TOUS DROITS RéSERVéS. ALEXANDRE GORBENKO : Président du conseil de direction, Pavel Negoitsa : DIRECTEUR GéNéRAL, VLADISLAV FRONIN : directeur des RéDACTions. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF à USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR éCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUêTES à redac@larussiedaujourdhui.fr OU PAR TéLéPHONE AU +7 (495) 775 3114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DES RUBRIQUES “OPINION” OU “COMMENTAIRES” RELèVENT DE LA RESPONSABILITé DES AUTEURS OU DES ARTISTES. LES LETTRES DESTINéES à êTRE PUBLIéES DOIVENT êTRE ENVOYéES PAR éMAIL à redac@laRussiedaujourdhui.fR OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYéS. LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES pour UNe MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE.


Culture

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

Honfleur projette les films russes d’une année faste

Cinéma Un scandale sans précédent éclate autour du rôle de Nikita Mikhalkov Retrouvez la vidéo sur larussiedaujourdhui.fr

SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

L’« Oscar » de la pire sélection revient à ... STEPHEN M. NORRIS

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Celui que l’on surnomme le Speilberg russe, Nikita Mikhalkov (Les Yeux noirs, la Barbier de Sibérie), prend un malin plaisir à dresser l’opinion contre lui. Membre influent de la commission chargée de désigner la candidature russe à l’Oscar du meilleur film étranger, il a fait choisir sa propre réalisation : Soleil trompeur 3 : la citadelle, qui complète une grande fresque d’inspiration patriotique sur la Seconde Guerre mondiale (après Soleil 2 : l’exode). Les positions citoyennes du réalisateur font scandale - déclarations royalistes, nationalistes et impérialistes, sans parler du droit revendiqué d’enfreindre le code de la route en utilisant un gyrophare illégal. La Citadelle fait suite à L’Exode, présenté au dernier festival de Cannes. Les deux derniers volets de la fresque ont coûté plus de 36 millions d’euros (largement subventionnés) pour n’en rapporter que 7. La critique unanime parle de ratage artistique. Ratage qui contraste avec une année faste pour le cinéma russe. Elena d’Andreï Zviaguintsev a obtenu le prix spécial du Jury à Cannes et Faust, d’Alexandre Sokourov, a raflé le Lion d’or à Venise. Le comité n’était donc pas à court de bons candidats pouvant prétendre à l’Oscar. Les médias russes ont vu dans

le choix du comité un signe de népotisme avancé où l’influence de la politique gagne le monde de la culture. Mikhalkov ne manque d’ailleurs jamais une occasion de louer Vladimir Poutine. La Citadelle est le cinquième long métrage du réalisateur à être choisi pour les Oscars. Urga

En question : l’influence d’un réalisateur à forte réputation qui n’hésite pas à promouvoir son propre film (1991) était arrivé en finale, Soleil trompeur (1994) avait gagné l’Oscar du meilleur film de langue étrangère. En 1998, Le barbier de Sibérie avait été disqualifié à cause d’un retard technique. Mais en 2007, un « remake » de Douze hommes en colère de Sidney Lumet, 12, était allé à Hollywood. Depuis 1992, seuls trois autres réalisateurs russes ont pu concourir aux Oscars... les années où Mikhalkov n’avait rien à proposer... La Russie envoie en compétition à Hollywood soit des films d’art et d’essai, soit des productions très grand public. Le retour de Zviaguintsev (2005), L’Italien de Kravtchouk (2005) ou encore La Sirène de Melikian (2008) appartiennent à la première catégorie, et n’ont guère rapporté d’argent. La seconde, représentée par Notchnoï Dozor de Bekmambetov (2004) ou Le 9ème escadron de Bondartchouk (2005), est l’incarnation du nouveau film d’action patriotique russe qui fait un tabac dans les salles. Mais ni les films de la première catégo-

CHRONIQUE CINÉMA

Le grand déballage

ALEKSANDR PETROSIAN

Ekaterina Mtsitouridze

SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

« J’ai arrêté de sourire, un vent glacé fait frissonner mes lèvres/ Maintenant qu’un espoir de plus s’est évanoui, il y aura une chanson de plus ». Ces vers d’Anna Akhmatova, la plus grande poétesse russe du XXè siècle, n’ont rien perdu de leur pertinence : on a aujourd’hui moins que jamais l’espoir que les choses vont s’arranger pour le cinéma russe et que les problèmes vont se résoudre d’eux-mêmes. Ici à Moscou, nous avons été témoins d’un vrai polar lourd de suspens dans la tâche simple, voire noble, qui consistait à choisir un

L’AVIS DU MONDE DU CINÉMA

La Citadelle des « âmes mortes » Valéri Todorovski

RÉALISATEUR, PRODUCTEUR

Andreï Plakhov

Moins courageuse, Avdotia Smirnova filme dans Deux jours une comédie politiquement correcte où un haut fonctionnaire au cœur sensible (joué par Fiodor Bondartchouk) est aux prises avec un méchant gouverneur régional caricatural, inculte et pressé de s’enrichir. Une fable destinée à rassurer le peuple sur le fait qu’il est dirigé par un bon tsar (Bondartchouk est encarté chez Russie Unie, le parti de Poutine), lequel va bientôt réaliser qu’il est entouré d’ignobles boyards. Autre film féminin, Portrait au crépuscule, d’Angelina Nikonova, lui aussi sera diffusé dans les salles françaises prochainement. Une tromperie assez banale déchire le cœur de Marina, l’épouse en mal d’émotions fortes. Plongée dans état dépressif, elle bascule brutalement dans une autre relation dangereuse. Un sujet déjà très exploré, mais décliné avec talent dans les lignes moralement mouvantes de la Russie contemporaine.

Retour en «A» (c’est-à-dire dans ce pays maudit qu’est l’Afghanistan). C’est le vieux syndrome de la guerre ratée porté à l’écran comme les Américains l’ont fait avec le Vietnam. Un film d’aventure et de guerre selon la formule consacrée : un peu superficiel mais de bonne facture... et qui n’encombrera pas la mémoire. Après les femmes et la guerre, il ne manquait que l’argent (Bablo, de Konstantin Bouslov) pour compléter le tableau. Bouslov revisite le thème de la mallette d’un million de dollars disparue et convoitée par plusieurs gangs de truands et de flics ripoux. Bien ficelé, ce film donne cependant une image puissamment négative de la Russie actuelle, car on n’y trouve pas un seul personnage positif. Sa noirceur morale extrême fait écho à celle de Mon bonheur de Sergueï Loznitsa, déjà présenté au festival de Honfleur. Dans le cadre du festival, La Russie d’Aujourd’hui présente l’exposition À la recherche de l’âme russe du photographe moscovite Alexandre Vedernikov.

PRÉSIDENT DE LA SECTION RUSSE DE LA FIPRESCI

Le problème n’est pas tant le film La Citadelle que le statut de cette commission qui, depuis quelques années, suscite la controverse. Cet organisme manque de transparence, personne ne comprend les mécanismes de son fonctionnement. La décision du président de la commission, Vladimir Menchov, d’entériner le choix du film de Mikhalkov apporte une preuve supplémentaire qu’il faut un changement radical. C’est pourquoi l’Union des cinéastes a avancé des propositions pour que dans l’avenir le processus de vote soit organisé de manière civilisée.

Une partie de ceux qui ont voté pour La Citadelle n’ont même pas vu le film ; d’autres ont donné leur voix sans être présents à l’assemblée. Au sein de cette commission, il y a comme des « âmes mortes » qui se font réanimer et sortent de l’oubli quand on en a besoin. Cet organisme n’est pas transparent, son fonctionnement est chaotique et les organisateurs ont tendance à oublier qu’ils font partie de la commission. Dans chaque pays, les commissions aux Oscars ont leur propre structure. Et les cinéastes arrivent à s’entendre sans aucun scandale.

rie, ni ceux de la seconde n’ont eu les faveurs du jury américain. L’année dernière, la commission des Oscars avait choisi La Lisière d’Alexei Outchitel, qui se déroule dans les camps de l’URSS stalinienne d’après- guerre. Connu pour ses films d’auteur comme Le Journal de sa femme (2000), Outchitel a reconnu que sa dernière production avait été tournée dans le style grand spectacle hollywoodien (La Lisière concourt au Golden Globe). Dans la communauté cinématographique russe, beaucoup imaginent que l’Académie américaine préfère des adaptations étrangères de grands films hol-

lywoodiens. En réalité, les films d’auteur et à caractère exotique ont nettement plus de chances de l’emporter. C’était le cas des trois films de Mikhalkov sélectionnés en finale à Hollywood dans le passé, à sa grande époque (à l’image de la première œuvre antistalinienne que fut Soleil trompeur). On pourrait pronostiquer sans grand risque de se tromper, Soleil trompeur ou non, que La Citadelle va faire un bide à Hollywood comme L’Exode à Cannes au printemps dernier. Et bien rares sont les cinéphiles qui misent encore quelques kopecks sur le nom de Nikita Mikhalkov.

film devant représenter la Russie aux Oscars. Le pays qui a donné au monde des réalisateurs ayant marqué l’histoire du cinéma, de Serguei Eisenstein à Andreï Tarkovski, ne parvient même pas à s’accorder sur un candidat. Il est vrai que les Oscars ne sont plus ce qu’ils étaient. La cérémonie de mars se débat pour faire de l’audience. Et aux États-Unis, l’audience des films étrangers représente un tout petit pourcentage du public. Par conséquent, se faire nommer d’abord par son propre pays, puis par les Américains, n’est pas une mince affaire. Pour n’importe quel film, c’est la différence entre une distribution internationale et la malédiction de « passer directement en DVD ». Mais la Russie s’est embourbée dans son processus de nomination. Un fossé s’est creusé parmi les membres du comité des Oscars... entre eux-mêmes.

Certes, les douze membres courageux du comité ressemblent aux personnages du film 12 de Nikita Mikhalkov, le protagoniste principal de toute cette histoire. En artiste virtuose, Mikhalkov avait compris intuitivement que l’exmen des esprits et des cœurs d’un jury, auquel se livre Sidney Lumet, pouvait trouver un écho en Russie. Il a donc créé une version largement acclamée des Douze hommes en colère. Mais sa suite de Soleil trompeur n’a pas connu le même succès, loin s’en faut.

L’auteur est présentatrice à la télévision et directrice de Sovexportfilm, une agence d’exportation de films russes. Ekaterina Mtsitouridze est la rédactrice en chef de la page Cinéma.

KINOPOISK.RU

Soleil trompeur 3 : la citadelle a été éreinté par la critique et boudé par les spectateurs. C’est pourtant ce film qui a été choisi pour représenter la Russie aux Oscars.

KINOPOISK.RU

Rarement un film aura fait autant l’unanimité... contre lui !

07

Scène du Fric (Bablo) de Konstantin Bouslov.

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

Le Maupassant d’Odessa

TITRE : ŒUVRES COMPLÈTES AUTEUR : ISAAC BABEL ÉDITIONS DU BRUIT DU TEMPS TRADUIT PAR SOPHIE BENECH

Lorsqu’il rencontre Gorki à Petrograd en 1916, Babel n’est, selon ses mots, qu’ « un mélange vermeil, potelé et insuffisamment fermenté de tolstoïen et de social-démocrate ». Ce n’est pas l’influence de Tolstoï que l’on retrouve pourtant dans son œuvre, mais celle de Maupassant. Il excelle dans les récits souvent très courts, brossés d’une plume incisive comme des croquis. Dans les Petits croquis d’Odessa, justement, et les Récits odessites, il campe le peuple haut en couleurs de la Moldovanka, quartier portuaire d’Odessa : artisans, mendiants, cocottes, marins et bandits débonnaires, « aristocrates de la Moldovanka », en costume orange, bracelet de diamants, pantalons crème et bottines framboise ; « Juifs méridionaux,

joviaux et bedonnants, qui pétillent comme de la piquette » ; Juifs rescapés des pogromes aussi. En toile de fond, Odessa, baignée par le soleil et la mer Noire. Les jeunes gens rêvent de s’embarquer pour des contrées lointaines. Sans argent ni visa, ils s’embarqueront dans l’écriture. Odessa resplendissante, fourmillante de vie, cosmopolite et bigarrée comme la prose de Babel qui lui rend le plus vibrant des hommages, dans une langue savoureuse, écrite pour être mise en bouche. « Le crépuscule mijotait dans le ciel, un crépuscule épais comme de la confiture, les cloches gémissaient ». Son œuvre la plus connue, La Cavalerie rouge, est le récit romancé de sa participation comme correspondant de guerre à la campagne de Pologne, dans l’armée de Boudienny. Loin des attentes du réalisme socialiste et de ses héros positifs, il dépeint la face noire de la révolution où « La chronique des crimes quotidiens m’oppresse sans répit comme une malformation du cœur », dit son narrateur. Tout condamnait Babel.Très vite, sa plume se dessèche, il n’écrit plus. Accusé de trotskisme et d’espionnage, il est arrêté et torturé, fait des aveux complets avant de se rétracter, ce que peu firent à l’époque. Il est exécuté le 27 janvier 1940. Découvrez d’autres chroniques sur larussiedaujourdhui.fr


08

Loisirs

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

Architecture Les stations du métropolitain de Moscou avaient été conçues, sous Staline, comme « le palais du peuple »

Le musée souterrain de l’ère soviétique Le métro moscovite est le moyen de transport urbain le plus rapide. C’est aussi un musée de l’architecture soviétique et contemporaine... pour moins d’un euro.

Voir notre diaporama sur larussiedaujourdhui.fr

ANNA LEGOSTAEVA

LAIF/VOSTOCK-PHOTO

La station Slavianski Boulevard, ouverte en 2008, dans un style très nettement influencé par l’Art nouveau d’Hector Guimard.

Les rames à thème poétique

EN CHIFFRES

11

km : telle était la longueur de la première ligne du métro de Moscou ouverte en 1935 avec 13 stations.

300

km de chemins de fer, 12 lignes et 182 stations, tels sont les chiffres pour le métro de Moscou en 2011.

constructeurs, le pays ne pouvait pas produire en aussi peu de temps assez de carreaux de faïence pour recouvrir les milliers de mètres carrés prévus. Les stations construites entre 1937 et 1955 offrent des exemples d’architecture souterraine de la première période. L’époque bénie pour l’architecture s’est achevée en 1955 après le décret du parti « sur la sup-

Arbatskaïa, au style richement orné glorifiant l’homo sovieticus.

pression de la superfluité dans l’ingénierie et la construction ». Résultat : des stations types, fades, sans moulures ni mosaïques, sans colonnes originales ni d’autres éléments décoratifs, ont alors été construites selon le slogan « plus de kilomètres, moins d’architecture ». Exemples des stations des années 1960 – 1980 : Tverskaïa, KitaïGorod, Kolomenskaïa. Une nouvelle et troisième étape de la construction du métro a débuté par la reconstruction de la stationVorobievy Gory (en 2002). Depuis le quai de cette station, on peut admirer la Moskova, le complexe sportif Loujniki et le bâtiment de l’Académie des Sciences. Des peintres ont de

nouveau été invités à travailler sur le décor des abords des quais. À la station Sretenski Bulvar, des sculptures de Pouchkine, de Gogol, de Timiriazev et des images de Moscou sont ainsi apparues. La station Dostoevskaïa a été décorée de panneaux en noir et blanc inspirés par les romans de l’écrivain. Dans les dix années à venir, le métro de Moscou redeviendra sobre, car il faudra construire 120 km supplémentaires. « Nous voulons « déshabiller » les stations au maximum, dit Nikolaï Choumakov. Nous essayons de montrer le plus possible les constructions elles-mêmes, ce de quoi le métro est fait : le fer fondu, le béton, tout cela est très beau ».

REUTERS/VOSTOCK-PHOTO

Il circule sous terre à une profondeur allant de cinq mètres (station Petchatniki) à quatre vingt mètres (station Park pobedy). On peut y observer près de quatre vingt ans d’histoire russe, découvrir les goûts, les idées, les rêves, les espoirs, voir l’histoire racontée par le marbre, le granit, le fer et le verre. La construction du métro moscovite a commencé en 1931. Pendant ses vingt premières années, le métropolitain portait le nom de Lazar Kaganovitch, dit le « commissaire de fer », bras droit de Staline qui dirigea la construction de la première tranche. À partir de 1955, le métro porte le nom de Vladimir Lénine. Vingt ans après la disparition de l’URSS, d’innombrables plaques métalliques à l’entrée des stations indiquent toujours « Métropolitain du nom de Lenine». « Les lignes de développement de notre architecture dans la ville et dans le métro étaient identiques. Tout ce qui se passait là-haut trouvait sa réplique sous terre. Jamais dans le sens inverse : une bonne architecture en bas et une mauvaise en haut », résume l’architecte en chef du métro moscovite, Nikolaï Choumakov. On dit que les stations ont été involontairement décorées avec du marbre, des moulures, du smalt et du fer onéreux destiné à l’aéronautique parce que, selon le calcul des

HEMIS/LEGION MEDIA

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Avec un peu de chance, on peut tomber sur une rame à thème. Ces trains circulent sans horaires précis et sur quelques lignes du métro. « L’Aquarelle » ressemble à une boîte contenant fleurs et fruits peints. L’intérieur est agencé comme une galerie d’art, avec des reproductions de tableaux des

frères Vasnetsov. À l’intérieur de « Moscou lit », on trouve des extraits d’œuvres littéraires assortis d’illustrations diffèrentes pour chaque wagon. Le train millésimé « Sokolniki » est identique à la toute première rame du métro moscovite, offrant des sièges moelleux et des parois d’époque.

Cuisine En clôture de la Semaine de la gastronomie russe en France, le chef Igor Chouroupov sera du 24 au 27 novembre à Monaco

Des cordons bleus venus du froid sur la Côte d’Azur Le Grand Hôtel de Cannes, le Negresco à Nice, le Café de Paris à Monte-Carlo : la gastronomie russe s’offre une véritable tournée des grands ducs. MARIA TCHOBANOV

Quatre chefs russes participent cette année aux Semaines de la gastronomie russe en France, qui se tient dans trois restaurants réputés de la Côte d’Azur. Accueilli avec son collègue Ilia Chalev dans les cuisines de JeanDenis Rieubland, à l’Hôtel Negresco, Andrei Zimine n’en revient pas : « Il y a dix ans, je n’aurais pas imaginé dans mes rêves les plus fous de me retrouver à cuisiner sur les fourneaux d’un restaurant français une étoile au guide Michelin. Et ce n’est

VASILY BYKOV

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

L’amitié franco-russe va plus loin que le « bœuf Stroganoff ».

leurs flamboyantes de l’automne, baigné d’un bouillon aux arômes incomparables. Seuls les fins connaisseurs pourront reconnaître dans cette symphonie de betterave des notes de kvas et

Tout un voyage gastronomique à la découverte de saveurs inspirées de « l’âme slave » de raifort, deux ingrédients typiquement russes, irremplaçables sur la table traditionnelle. Un filet de cerf aux myrtilles de marais cuit au four, des pelmeni au crabe royal, une glace au pain de seigle, tout un voyage gastronomique pour le gourmet européen. « Nous ne connaissons pratiquement pas la cuisine russe, mais je suis sûr qu’il y a plein de choses très raffinées, elle participe tout de même de l’âme slave », admet Benoît Kandel, premier adjoint au maire de Nice, qui se réjouit que la présence

russe ait augmenté de 30% cette année dans sa ville. Le carré de foie gras au cœur de la « côtelette Pojarski » du chef Ilia Chalev était, quant à lui, une révérence aux subtilités de la cuisine locale. Ce festival est aussi une occasion pour les chefs russes et français d’échanger des idées et des techniques. « En France, l’environnement gastronomique est très différent et très riche, c’est intéressant d’observer les collègues français et on a envie d’apprendre d’eux des petits trucs », avoue Alexei Zimine. Parmi les participants russes, on trouve aussi bien des expérimentateurs gastronomiques, comme Dmitri Chourchakov, qui a inauguré les Saisons russes au Grand Hôtel de Cannes, que de chefs classiques, comme Igor Chouroupov, attendu du 24 au 27 novembre au Café de Paris à MonteCarlo. Mais tous se distinguent par leur originalité et leur talent, qui conquièrent les cœurs et les estomacs des connaisseurs français de l’art culinaire.

Découvrez un nouveau monde

Vrais ou faux, les clichés sur Moscou ?

Conseille:

La Voix de la Russie

larussiedaujourdhui.fr

14 Décembre

pas dans le cadre d’un projet institutionnel, mais grâce à l’enthousiasme et à la curiosité des organisateurs. Nous sommes venus présenter des plats russes par les alliances de saveurs, mais internationaux par la forme et l’exécution, qui figurent sur la carte de notre restaurant moscovite. Les gens y goûtent et sont agréablement surpris en découvrant que les Russes aussi savent cuisiner. La haute cuisine en Russie repose encore sur les enthousiastes, mais elle est techniquement et moralement prête à de tels échanges ». Les invités russes ont relevé un défi : en utilisant les produits du marché et leur savoir-faire, ils doivent ouvrir de nouveaux horizons gastronomiques au public français et international rompu à la grande cuisine. Les convives de la semaine gastronomique à Nice ont pu ainsi déguster une soupe froide de betterave en infusion de citron.Visuellement, le plat rappelle davantage une pâtisserie d’exécution virtuose, un mille-feuille de légumes aux cou-

Retrouvez la fréquence de diffusion à Paris

http://french.ruvr.ru

Pour contacter la rédaction: redac@larussiedaujourdhui.fr

Ne ratez pas notre « Photo du jour » sur Facebook !

S’ab

r e n on

à notre newsletter hébdomadaire

www.facebook.com/larussiedaujourdhui

Service de publicité sales@rbth.ru tél. +7 (495) 775 31 14

larussiedaujourdhui.fr/inscription


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.