Produit de Russia Beyond the Headlines
Distribué avec
Un clivage Est-Ouest qui n’a plus lieu d’être Politologue, Richard Sakwa dessine les contours d’un nouveau rôle pour la Russie. P. 6
Tout le monde à bord de l’arche Le « bateau de la tolérance » d’Ilya et Emilia Kabakov fait escale à Moscou. Rencontre avec les artistes et leur mission inclusive.
Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The New York Times, The Economic Times et d’autres grands quotidiens internationaux
GETTY IMAGES/FOTOBANK
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Ce supplément de huit pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Mercredi 18 septembre 2013
Derrière les jeux diplomatiques et les menaces de frappes – éloignées depuis que Moscou a proposé de placer les stocks d’armes chimiques syriens sous contrôle international –, les conditions de la population civile dans le conflit qui dure depuis plus de deux ans ne cessent d’empirer. Des millions de personnes ont été déplacées, tant à l’intérieur du territoire national que dans les pays voisins, aux capacités d’accueil sursaturées. Les civils syriens se tournent aujourd’hui vers d’autres contrées, y compris la Russie où ils sont des milliers à avoir demandé le statut de réfugiés. Même si le pire semble avoir été évité dans l’immédiat – une intervention punitive contre le régime de Bachar Al Assad, aux retombées incalculables – et si les perspectives d’un accord sur la destruction de l’arsenal chimique esquissent une sortie de crise, la guerre risque de se poursuivre longtemps sur le terrain, bouleversant la vie des civils et gonflant les rangs des réfugiés. PAGE 2
REUTERS
Syrie : faire de l’humanitaire, pas la guerre
Le regard inquiet d’un jeune garçon pendant la collecte de l’eau au camp de réfugiés d’Arbat, dans le nord de l’Iraq.
Création Quand la cybernétique investit les marionnettes
Des robots révolutionnent le théâtre à Tomsk
ALEXEÏBOUCHOV
Le prix d’une poupée-robot se situe autour de 1 500 euros.
Au début des années 90, dans sa ville ancienne de Sibérie, l’ingénieur en cybernétique Vladimir Zakharov a créé un théâtre de marionnettes pas comme les autres. Explication. TATIANA MARCHANSKIKH LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
À l’ombre des arbres, se dessine une isba, habitée par un ancien fabricant de robotique, aujourd’hui reconverti dans la marionnette, Vladimir Zakharov.
C’est ici qu’il donne ses représentations théâtrales. Le rez-dechaussée de l’isba, rempli de bancs en bois fabriqués maison, permet d’accueillir une cinquantaine de spectateurs. Le Théâtre de Zakharov, à Tomsk, est celui d’un seul homme. Il en est à la fois l’interprète, le régisseur son et lumière, le costumier, le scénariste et le décorateur. Pour certains spectacles, il peut prendre jusqu’à cinq voix différentes.
Vladimir raconte comment, en 1991, il a décidé d’ouvrir un théâtre de marionnettes. Un théâtre pas comme les autres. Pour lui, les pièces théâtrales ne doivent pas être jouées par des marionnettes classiques, mais par des « poupées de poignet », guidées à partir de mouvements imperceptibles de la main. Ces poupées, fabriquées à partir des racines du cèdre de Sibérie, peuvent plier les bras, cligner des yeux, bouger leurs doigts et sont même douées de parole. À l’intérieur, chacune d’entre elles renferme un mécanisme secret, tandis que la tête et les bras sont rattachés par un fil. À l’annonce de son projet d’ouvrir un théâtre, les amis de Vladimir ont essayé de l’en dissuader. En effet, se lancer dans une carrière artistique dans la Russie de 1991, juste après la chute de l’URSS, pouvait sembler une folie. Mais c’est le moment où Zakharov, qui rêvait de son propre théâtre depuis l’enfance, s’est décidé. Il a réalisé son théâtre littéralement à partir de rien : toiles de jute, morceaux de bois ramassés en forêt, fils de fer trouvés dans une décharge. La maison aussi, c’est son œuvre. Bien sûr, aujourd’hui le théâtre n’a plus la même allure : il est entièrement équipé, avec une acoustique et de qualité, un matériel d’éclairage professionnel et un « design » étonnant. SUITE EN PAGE 8
Quatre siècles après
Un modèle industriel
En cette année du 400ème anniversaire de la dynastie des Romanov, quelle est la place de la famille impériale et de Nicolas II dans la conscience russe ? Enquête.
« Hélicoptères Russes » fait figure d’entreprise modèle en s’imposant comme l’un des trois premiers constructeurs mondiaux. Une réussite industrielle quasi unique en Russie.
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ITAR-TASS
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO
Politique
Humanitaire Des millions de Syriens ont gagné les pays voisins, et ils sont aussi des milliers à demander le statut de réfugiés en Russie
Malmenés et déplacés par une guerre civile sans fin Reportage à Moscou auprès de ressortissants syriens et d’un responsable du centre pour les réfugiés, complété par des entretiens téléphoniques avec divers interlocuteurs en Syrie. MUNZER HALLUM LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
« Chaque jour, 100 à 200 personnes au minimum meurent en Syrie. Nous avons marre de voir toutes ces victimes, dit Jinan Houdr, une étudiante syrienne. J’ai un sentiment étrange : un mélange de peur et de soulagement que la fin est proche. Il est impossible de vivre comme ça éternellement, car l’attente de la mort est pire que la mort. Le monde prend les âmes syriennes pour un jeu de cartes. Eh bien, qu’ils jouent leur dernier jeu et laissent nos âmes en paix ». Pour sortir de cet enfer, des milliers de Syriens tentent d’obtenir le statut de réfugiés en Russie, indiquent des défenseurs des droits de l’homme russes. La majorité de ces personnes ont des liens culturels, sociaux ou économiques avec la Russie : elles ont étudié ou travaillé ici, ou sont mariées avec des citoyens russes. Ces candidats à l’asile politique sont essentiellement composés de personnes appartenant à divers groupes ethniques de l’ancien empire russe : Tcherkesses, Russes, Abkhazes, Ossètes,Tchétchènes et Daghestanais. Nombre de Syriens sont arrivés en Russie avant la guerre et ne peuvent désormais plus repartir. D’après le rapport « Réfugiés syriens au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Irak et en Égypte », rédigé fin 2012 pour la Commission arabe pour les droits de l’homme, le pourcentage de femmes parmi les réfugiés atteint 28%, les enfants de moins de 18 ans en représentent 55%, et parmi eux, 70% ont moins de 15 ans. Les données nécessaires à ce rapport ont été recueillies lorsqu’il était encore possible de mener un sondage à Alep, à Deir Ezzor, à Rakka et dans d’autres endroits qui sont désormais le théâtre d’intenses combats. Leur flot grossit rapidement : le nombre de veuves et d’orphelins augmente quotidiennement. Souvent, ce sont les femmes et les enfants qui ont perdu leur logement et sont devenus réfugiés, alors que les hommes restent pour défendre les lieux qui les ont vu naître. « Les réfugiés souffrent tant matériellement que physiquement et psychologiquement », explique Nasser Ghazali, directeur du Centre damasquin de recherches théoriques sur les droits des citoyens et directeur du groupe qui a rédigé le rapport. « Les réfugiés viennent surtout de régions très pauvres. Les maladies se répandent vite : les adultes soufrent d’hypertonie et de diabète à cause du stress, et les enfants sont la cible d’infections à cause de la promiscuité et des mauvaises conditions d’hygiène ». Ghazali ajoute : « Ceux qui sont partis ces derniers temps l’ont fait sous la menace permanente, soit des bombardements de l’armée, soit d’un enlèvement par les grou-
RIA NOVOSTI
Le ministère russe des Situations d’urgence vient en aide aux réfugiés syriens.
pements armés de leur région. Les uns et les autres souffrent de stress intense. La majorité se retrouvent sans toit. Par ailleurs, les réfugiés sont contraints de changer de lieu sans cesse car les lignes de front bougent et l’avancée des combats les repousse de plus en plus loin ». De nombreux réfugiés restés en Syrie vivent dans des écoles, des gymnases, des parcs. Leur situation est comparable à celle d’otages : « Les autorités procèdent régulièrement à des ar-
TÉMOIGNAGES
Deux regards sur la situation « Je ne cache pas que l’annonce de frappes éventuelles m’a réjoui. Nous sommes las du régime et nous comprenons qu’il ne chutera pas sans intervention extérieure. Mais, bien que je soutienne cette intervention, je crains le chaos qui pourrait s’ensuivre si l’État s’effondrait. La Syrie pourrait devenir une nouvelle Somalie ». Moustafa Masri, libraire. « J’ai vraisemblablement eu de la chance, car du fait des événements en Syrie, les relations à mon égard ont changé pour le mieux. Dans mon lycée, on a remercié la Russie pour son aide, et dans certains magasins, on a tenté de me donner des produits gratuitement. C’est un peuple émotif... Mais d’un autre côté, dans les magasins des quartiers sunnites, quand la Russie s’est opposée aux frappes pour la première fois, un jeune vendeur m’a demandé : « D’où viens-tu ? ». J’ai répondu que j’étais russe, il m’a regardée avec un sourire et m’a dit : « Bon, allez, tu n’es pas responsable... ». Elena, mère de deux garçons.
restations dans ces camps, les volontaires qui aident les réfugiés sont aussi parfois arrêtés. Pendant les inspections, une partie de l’aide donnée par la population locale est volée. C’est pourquoi certains réfugiés préfèrent revenir dans leurs maisons détruites ». Vivre dans une école ne garantit pas la sécurité : des combats entre l’armée régulière et les groupements armés se sont déroulés dans des centaines
d’écoles. Beaucoup de réfugiés s’y sont retrouvés coincés sous des feux croisés. D’après le rapport, 2 072 écoles ont été détruites à cause des combats, et plus de 800 sont utilisées pour loger des réfugiés. Le rapport indique que 67% des cliniques et hôpitaux ont souffert de la guerre, et 29% ont été totalement détruits. Ces chiffres ont augmenté pendant l’année passée, d’après Ghazali. Seuls demeurent les hôpi-
taux des zones où il n’y a pas eu de combats. Le rapport rappelle les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé : 271 ambulances ont été détruites sur les 520 qui se trouvaient en Syrie. « On peut parler de dizaines de médecins tués par le pouvoir qui les suspectait de soigner les rebelles et de dizaines d’autres qui ont été enlevés par les rebelles pour les forcer à soigner leurs blessés », dit Ghazali.
D’après lui, son groupe de travail a acquis la conviction que tant le pouvoir que les rebelles utilisaient les réfugiés. « Dans les pays limitrophes de la Syrie, les réfugiés sont humiliés et exploités. C’est le cas au Liban, en Jordanie, en Turquie ». Cela confirme ce qui est dit dans le rapport : « Les garçons de plus de 15 ans sont forcés à rentrer en Syrie et à combattre aux côtés des groupements armés ». En réponse à une question sur les conditions de vie des femmes réfugiées, Ghazali dit avec amertume : « Elles ont en majorité perdu leurs maris (d’après le rapport, 80% des morts sont des hommes). Toutes les difficultés reposent sur leurs épaules : la recherche des moyens de subsistance pour la famille, l’organisation de déplacements des enfants vers des zones moins dangereuses ». Nadejda, épouse russe d’un Syrien, mère de deux filles vivant à Lattaquié raconte : « L’attitude des Syriens envers moi n’a pas changé, mais la vie, elle, est bouleversée. Aujourd’hui il n’est pas question de vie, mais de survie. Cependant, si avant j’aimais le pays, je suis aujourd’hui tombée amoureuse du peuple qui s’oppose au mal qui le pousse dans l’abîme. Si le gouvernement légitime chute, il n’y aura pas d’avenir, ni pour moi, ni pour ma famille, ni pour le peuple syrien ». « Il y a aussi une souffrance féminine particulière, souligne Ghazali, l’obligation de se marier jeune et l’exploitation sexuelle. Voyez les données de l’ONU sur la situation des réfugiés dans le camp Zaatari en Jordanie : sur 9 000 femmes, 720 sont enceintes. D’après notre rapport (qui date de la fin 2012), pendant les affrontements armés 172 800 femmes syriennes ont été victimes de violences, 57 700 ont été harcelées sexuellement, et 780 ont été violées. Ces chiffres ont augmenté au cours de la dernière année. Est-ce qu’ils ne sont pas suffisants pour comprendre l’étendue de la catastrophe humanitaire en Syrie ? »
ENTRETIEN AVEC EVGUENI SATANOVSKI
Enjeu : laïcisme contre islamisme Evgueni Satanovski est le président de l’Institut russe du Proche-Orient. Pourquoi la Russie s’oppose-t-elle à une intervention militaire américaine en Syrie ? La Russie considère ce projet des États-Unis comme étant au mieux stupide et au pire, une provocation, dans la mesure où les incidents impliquant l’usage d’armes chimiques sont des tentatives de l’opposition visant à déclencher des frappes contre Assad. Son armée n’a pas besoin d’utiliser des armes chimiques dans la capitale en présence des inspecteurs de l’ONU, particulièrement au moment où elle est en train de prendre le dessus dans cette guerre civile. Pour Assad, cela s’apparenterait à un suicide politique. Pour les rebelles qui sont en train de perdre la guerre, c’est au contraire l’unique moyen. Ils se sont révélés incapables de prendre eux-mêmes l’avantage en dépit du soutien des terroristes et djihadistes du monde entier.
sur la démocratie mais sur le génocide des Chrétiens, des Chiites (alaouites, jafarites, ismaéliens, druzes, etc.), ainsi que des minorités ethniques kurdes et turkmènes.
RIA NOVOSTI
On ne peut donc pas affirmer qu’il s’agit d’une guerre civile pour établir la démocratie ? Au Proche-Orient, il n’y a actuellement aucune guerre pour la démocratie : il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais. Les guerres y sont conduites par les régimes autoritaires laïques contre les Islamistes, par l’ensemble du monde musulman contre Israël, ainsi que par les Chiites contre les Sunnites et inversement. La chute du régime d’Assad ne déboucherait pas
Selon vous, quelle est la cause fondamentale du conflit ? La politique agressive poursuivie par le bloc islamiste sunnite, rassemblant la Turquie et deux monarchies Wahhabites : le Qatar et l’Arabie Saoudite, visant à remodeler le monde musulman et en premier lieu le monde arabe en cherchant à y établir un nouveau Califat. Pour Doha et Riyad, l’alliance du régime syrien avec l’Iran chiite constitue une raison supplémentaire de déclencher des frappes contre Assad. Par ailleurs, les Alaouites au pouvoir en Syrie sont considérés par les Oulémas wahhabites comme des hérétiques qui doivent être renversés et éradiqués. L’opinion publique occidentale croit que la Russie s’oppose à
l’Occident parce qu’elle vend des armes à Assad et possède une base militaire navale en Syrie. Non. La Russie n’a pas et n’a jamais eu de base militaire navale militaire en Syrie. La base de Tartous n’est qu’un point d’escale logistique avec deux jetées flottantes. Si ce point d’escale disparaissait, resteraient les points de réparation et se ravitaillement de Limassol [Chypre], ou Haïfa, [Israël], comme c’est déjà le cas. La Russie considère qu’une intervention en Syrie est inadmissible, comme l’étaient également les interventions en Libye, en Irak et enYougoslavie. Dans le cas libyen, la Russie a accepté les plans occidentaux, estimant qu’ils n’impliqueraient pas d’intervention militaire, et la Russie a été dupée. Elle ne tolérera pas que cela se reproduise. Propos recueillis par Lisa Levitskaya et An Songyu Se reporter à la revue de presse sur l’initiative diplomatique russe en page 6.
LES SUPPLÉMENTS SPÉCIAUX ET SECTIONS SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILLIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • DUMA, BULGARIE • POLITIKA, GEOPOLITIKA, SERBIE • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATS-UNIS • ECONOMIC TIMES, NAVBHARAT TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • GLOBAL TIMES, CHINE • SOUTH CHINA MORNING POST, CHINE (HONG KONG) • LA NATION, ARGENTINE • FOLHA DE SAO PAOLO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • SYDNEY MORNING HERALD, THE AGE, AUSTRALIE • ELEUTHEROS TYPOS, GRÈCE • JOONGANG ILBO, CORÉE DU SUD • GULF NEWS, AL KHALEEJ, ÉMIRATS ARABES UNIS • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE. EMAIL : REDAC@LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR. POUR EN SAVOIR PLUS CONSULTEZ LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)
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Dossier
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Société Le 400ème anniversaire de la dynastie Romanov est l’occasion d’évoquer la place du tsar dans la conscience russe actuelle
Discret retour du dernier empereur La popularité de Nicolas II a connu des hauts et des bas au cours des vingt dernières années. Son image incarne aujourd’hui la résistance conservatrice au courant libéral.
Dynastie Romanov : les grandes dates Michel Ier, 1613-1645 • Le premier tsar russe de la dynastie Romanov. Conclut la « paix éternelle » avec la Suède (1617).
ALEXANDRE MOROZOV POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Comment les Russes voient-ils le pouvoir royal et le dernier empereur, Nicolas II ? Selon un sondage récent du Centre Levada, le rôle de Nicolas II est globalement jugé positif (48%). Son image vient derrière celle de Brejnev, Lenine et Staline, mais devant celles du premier président Boris Eltsine et de Mikhaïl Gorbatchev. L’actuel président Vladimir Poutine a commandé la réécriture d’une histoire russe cohérente et, selon ses propres termes, « harmonieuse ». On ignore encore comment cette « harmonie » présentera Nicolas II. En tous cas, le 400ème anniversaire de la famille Romanov est célébré sans pompe ni festivités particulières. Le Kremlin privilégie un autre anniversaire, celui du début de la Première Guerre mondiale. En 1994, à la question « Quel personnage historique pourrait, selon vous, être qualifié de véritable patriote russe ? », Nicolas II ne figurait même pas parmi les dix premiers. Seuls 5% des sondés le considéraient comme un patriote. À cette époque, les résultats des sondages d’opinion ne le classaient jamais parmi les personnages historiques les plus importants du pays. Une situation qui a radicalement changé depuis.
Dans l’actualité L’exécution de Nicolas II et de ses descendants était perçue au début des années 90 comme annonciatrice de toute l’histoire ultérieure des répressions soviétiques. Mais l’intérêt pour son règne et son action était alors au plus bas, tandis que dominait l’image d’un empereur mélancolique et politiquement faible. C’est l’Église orthodoxe russe qui, dans les années 90, replaça Nicolas II sur le devant de la scène. Le tsar commença à être perçu comme l’une des nombreuses victimes politiques des communistes. Puis, avec l’effritement de la popularité des libéraux pro-occidentaux, Nicolas II devint un symbole de la résistance conservatrice face à la mondialisation des valeurs occidentales athées. Nombreux sont ceux qui le jugent à travers le prisme du combat pour l’unité du christianisme et la protection de la foi orthodoxe incarnée par la formule « Moscou troisième Rome ». Dans les années 90, la famille impériale défraya souvent la chronique en raison de l’instauration par Eltsine en 1993 d’une
Alexandre Ier, 1801-1825
Pierre le Grand, 1696 - 1725
• Victoire contre Napoléon. Réformes libérales. Annexions (Finlande, Pologne, Géorgie).
Nicolas Ier, 1825-1855
• Adopte le titre d’empereur (au lieu de tsar). Mène de profondes réformes politiques.
Élisabeth Ière, 1741-1761
GETTY IMAGES/FOTOBANK
Une photo de la famille Romanov prise en 1913. Visitez l’exposition « Les Romanov... » à l’Hôtel d’Estrées, Paris, jusqu’au 22 septembre. larussiedaujourdhui.fr/25617
commission d’identification des corps de la famille assassinée par les Bolcheviks. Les nombreux débats et expertises cessèrent avec la cérémonie d’inhumation nationale, en 1998. Mais beaucoup continuent à contester l’authenticité des dépouilles. En 2013, le Patriarche Cyrille annonça soudainement que de nouvelles informations étaient disponibles. Bien qu’au fil des ans, le premier site d’inhuma-
tion de la famille royale (Ganina Yama) fût devenu un lieu de pèlerinage, d’autres considèrent que le vrai tombeau se trouve à Porosenkin Log, localité proche. Pour Boris Eltsine, l’affaire avait une résonance personnelle. Le futur président dirigeait alors la ville de Sverdlovsk (Ekaterinbourg) au moment où l’administration décida d’y démolir le bâtiment (la maison Ipatiev) où la famille royale avait été fusillée. Il accordait une grande importance à l’image historique de Nicolas II et de ses proches. Avec l’arrivée de Poutine au pouvoir, le rôle de Nicolas II dans « l’histoire officielle » du Kremlin passa au second plan.
Le successeur d’Eltsine s’intéresse peu à la période pré-soviétique et porte sur l’histoire le regard d’un technocrate. Nicolas II, en tant que dernier empereur porteur d’une vision particulière du pouvoir russe, se fond dans la masse des autres dirigeants du pays. Pour les organes officiels actuels, la victoire dans la Seconde Guerre mondiale et le rôle de Staline sont bien plus importants que l’essor économique au temps de Nicolas II. Un essor qui n’avait d’ailleurs pas permis au tsar de maîtriser le mouvement révolutionnaire en 1917. Il n’empêche que Nicolas II occupe une place de choix dans le courant antilibéral russe contemporain.
• Réprime les Décembristes, renforce la censure. Isolation diplomatique. Meurt à la guerre de Crimée.
Alexandre II, 1855-1881
• Introduit l’époque des Lumières en Russie. Très francophile. Abolit la peine capitale.
Catherine II, 1762 - 1796
• Réformes libérales, abolition du servage. Expansion territoriale. Assassiné par des terroristes.
Alexandre III, 1881-1894
• Expansion territoriale. Extensions des privilèges de l’aristocratie, époque du « despotisme éclairé ».
Paul Ier, 1796 - 1801
• Industrialisation intensive. Alliance avec la France contre l’Allemagne. Industrialisation intensive.
Nicolas II, 1894-1917
• Exclut le règne des femmes. Interdit les livres étrangers, instaure la censure. Meurt assassiné.
• Débâcle de 1905 contre le Japon et lors de la 1ère guerre mondiale. Abdique en 1918. Assassiné.
Justiciers historiques Ils sont huit ou onze (selon les versions) à avoir participé à l’exécution des Romanov
La conscience et la vie tranquilles des assassins de la famille impériale Les détails restent mystérieux, 95 ans après. Mais les deux principaux responsables ont été récompensés de leurs actes. YAN CHENKMAN LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Les principaux « régicides », Iourovski et Medvedev-Koudrine, ont écrit des mémoires donnant chacun leur version des événements et de leur rôle historique, dont ils étaient fiers et qui leur valut des postes élevés. Iakov Mikhaïlovitch Iourovski (1878-1938) était en 1918 le
En vrais complices, plusieurs participants à l’assassinat sont restés bons amis, se réunissant souvent.
commandant en chef de la villa Ipatiev à Sverdlovsk [aujourd’hui Ekaterinbourg - voir page 5] où était détenue la famille royale. Il dirigeait le peloton d’exécution et affirme avoir personnellement tué le tsar. Son origine juive permit aux nationalistes de déclarer que le tsar avait été assassiné par des étrangers. Il n’y avait en réalité que deux « étrangers » : Iourovski et le tireur letton Émile Celms, dont la participation n’a pas été établie. Joaillier de profession, Iourovski voulait récupérer les diamants
de la famille royale, dont huit kilos ont été rétrouvés cousus dans les habits des princesses. En bolchevik désintéressé, il remit les bijoux au commandant du Kremlin à Moscou. Iourovski occupa les postes de chef de la Tchéka [police secrète] régionale de l’Oural, de chef du département Or de l’Agence des métaux et pierres précieuses, et de directeur du Musée Polytechnique de Moscou. Il décèda à l’hôpital du Kremlin, réservé aux plus hauts dignitaires. Mikhaïl Alexandrovitch Med-
vedev-Koudrine (1891-1964) fit lui aussi une belle carrière, notamment au sein du NKVD [Commissariat du peuple aux affaires intérieures] de l’URSS. Dans les années 30, il parcourait le pays pour faire dans les universités le récit de l’exécution du tsar. Medvedev termina sa carrière avec le grade de colonel. Avant sa mort, il laissa des mémoires détaillés de l’assassinat de la famille royale, destinés au chef de l’État soviétique de l’époque, Nikita Khrouchtchev. Il conteste le rôle de Iourovski et s’attribue le mérite de l’élimination de la famille royale. Medvedev fut enterré avec les honneurs militaires au cimetière N ovo d e v i t ch i . I l l é g u a à Khrouchtchev le fusil de type browning qui servit à l’exécution du tsar.
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO
Économie
ENTRETIEN PATRICK HILBERT
Aéronautique Les hélicoptères russes très compétitifs à l'exportation
Du pilotage aux affaires
RIA NOVOSTI
Des hélicoptères appréciés pour leur robustesse et leur résistance aux climats extrêmes. Ici, un Mi-38.
Le succès mondial d’un champion de l’industrie nationale « Hélicoptères Russes » capte de nouveaux marchés, dégage des bénéfices et rejoint les trois plus grands constructeurs mondiaux. Un succès quasi unique dans le monde industriel russe. LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Du matin au soir, les hélicoptères vrombissent au-dessus des faubourgs de Rostov-sur-le-Don. Des appareils militaires ou civils, conçus, assemblés et testés par Rostvertol, l’un des quatre grands sites industriels de « OAO Vertoleti Rossii » (« Hélicoptères Russes », en français). Ravie d’ouvrir ses usines aux journalistes et visiteurs étrangers – attitude exceptionnelle pour une entreprise militaire russe –, Rosvertol révèle les dernières technologies de fabrication lui permettant de conserver et même de gagner des points sur le marché mondial très concurrentiel des hélicoptères. « Les pales de nos hélicoptères sont désormais entièrement en matériaux composites », se félicite Andreï Varfolomeïev, ingénieur principal de l’usine, devant un robot enrobant rapidement une pale d’un fin ruban composite. Débordant de commandes étrangères (Brésil surtout) et domestiques (pour l’armée russe),
Mi-28N
Mi-26T
SERVICE DE PRESSE(2)
PAUL DUVERNET
Des appareils très performants
Vitesse ascentionnelle : 816 m/min Vitesse maximale : 320 km/h Rayon d'action : 435 km
Rosvertol produit à la chaîne trois types d’appareils. Le plus célèbre est le Mi-26, le plus gros hélicoptère au monde, capable de soulever 20 tonnes de charge utile. Il existe en quatre versions (lutte anti-incendie, secourisme, transport de troupes, ravitaillement), plus une version modernisée avec seulement deux pilotes. L’appareil suscite l’intérêt des Chinois mais aussi du ministère de la Défense français. Rosvertol produit également le Mi-28N « Night Hunter », un tout nouvel appareil de combat encore en phase de test et qui a été dévoilé pour la première fois au grand public au salon aéronautique MAKS de Moscou à la fin août.
Vitesse maximale : 295 km/h Charge utile (max) : 20 tonnes Rayon d'action : 800 km
Enfin, l’usine produit le Mi35M, version modernisée du Mi24, l’un des hélicoptères militaires les plus connus au monde, dont la silhouette bulbeuse hante les esprits depuis la guerre d’Afghanistan. Appareil d’attaque et de transport de troupes, le Mi-35M vient de recevoir un gros contrat venant de l’armée de l’air brésilienne, qui s’en servira pour patrouiller sur ses zones frontières en Amazonie. « Nos hélicoptères sont appréciés pour leur robustesse et leur résistance aux climats extrêmes. Ils sont tous opérationnels entre -50° et +40° », se vante Dmitri Petrov, PDG d’« Hélicoptères Russes ». La société fait figure de cham-
pion national dans une économie russe dominée par les matières premières et où l’industrie manufacturière reste très peu compétitive à l’échelle mondiale. Dans l’aéronautique, les exportations se limitent à des avions de chasse conçus à l’époque soviétique. La production russe d’avions civils reste faible et ne dégage pas de bénéfices, tandis qu’« Hélicoptères Russes » a réalisé un bénéfice net de 212 millions d’euros l’année dernière. Rattrapée par son succès, l’usine de Rostov-sur-le-Don doit maintenant voler vers de nouveaux horizons. À mesure que les commandes augmentent, les nuisances sonores croissent pour les riverains. « Mais pas proportionnellement », remarque Varfolomeïev. « Nous veillons à réduire le bruit de nos hélicoptères, conformément aux normes de certification internationales ». Rosvertol a aussi été rattrapé par le développement urbain de Rostov-sur-le-Don. Construit aux confins de la ville dans les années 30, le site industriel est désormais encerclé par des habitations. Le directeur de Rosvertol, Boris Slioussar, indique que le déménagement partiel des activités va commencer l’année prochaine et concerner tout ce qui provoque des nuisances sonores, c’est-à-dire les essais statiques et les essais en vol. « Nous nous efforçons de construire des hélicoptères silencieux, mais pour l’instant nous n’y sommes pas parvenus », plaisante-t-il. Les derniers à avoir été séduits par le bruit des pales sont les Colombiens de Vertical de Aviacion, qui ont signé durant le salon MAKS pour 10 hélicoptères (5 Mi-171A1 et 5 Ka62) pour un total de 100 millions de dollars.
Racontez votre premier contact... En 2006, j’étais dans la Marine nationale. Un beau jour, j’ai réalisé que j’avais voyagé partout, sauf en Russie. Ayant toujours été passionné par la culture slave, j’ai décidé de réparer cette lacune. J’avais un préjugé positif sur la Russie et je n’ai pas été déçu. C’est le gigantisme de Moscou qui m’a frappé, ses immenses avenues et leurs immeubles… Etlanaissancedevotreentreprise? J’ai décidé de m’associer avec l’un de mes premiers amis rencontrés ici et nous avons créé Allied Aviation Technic, une société de droit russe qui fournit des services dans l’aéronautique. Ce secteur possède un énorme potentiel de développement. Nous y apportons nos compétences, comme l’aviation VIP ou la gestion de flotte, l’assistance médicale par hélicoptère, etc. Est-ce compliqué pour un Français deselancerdanslemilieuaéronautique russe, qui est réputé comme plutôt fermé ? Les premiers pas furent difficiles. Les Russes sont distants, voire méfiants. Il est primordial de savoir créer un lien de confiance. Point positif, la communauté française est solidaire. Quant à la notion que ce milieu soit plutôt fermé, c’est désormais un avantage pour moi, maintenant que je suis dans la forteresse !
ARCHIVES PERSONNELES
À 43 ans, ce pilote d’hélicoptère français a monté avec un partenair une société de services dans l’aviation. Il retrace pour nous ses premiers pas en Russie.
P. Hilbert forme actuellement des pilotes militaires russes.
Avez-vous d’autres activités en parallèle ? Oui, je travaille en indépendant comme pilote instructeur pour Eurocopter. Je forme les pilotes militaires dans le cadre d’un contrat pour le ministère de la Défense russe. C’est une expérience particulièrement intéressante ! Comment vous détendez-vous à Moscou ? J’ai une vie sociale assez intense, je sors souvent avec des amis russes et français. Moscou compte énormément de lieux ébouriffants, bien fréquentés et qui « en jettent ». On ressent une très grande énergie chez les gens. Vivre à Moscou, c’est aussi une façon douce d’ignorer la crise, que je ressens nettement moins que mes amis restés en France ! Propos recueillis par Paul Duvernet
AFFAIRES À SUIVRE LE FORUM PROFESSIONNEL INTERNATIONAL DE LA VILLE - PARC LES 4 ET 5 OCTOBRE, PARC SOKOLNIKI, MOSCOU
Le thème de cet important forum porte sur le rôle de l’Architecture du paysage et du design dans le développement de la Ville. L’événement sera lié à la première édition du Festival International du jumelage des parcs publics franco-russes.
Les intervenants au Forum regrouperont des architectes paysagistes français et anglais, considérés comme leaders en urbanisme. Ces spécialistes feront part de leurs expériences et présenteront différents projets d’aménagement de villes et de parcs. › www.gorod-park.com
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RUSSIA BEYOND THE HEADLINES – PARTENAIRE MÉDIA
Le Forum de Sotchi visera à stimuler la modernisation économique DOUZIÈME FORUM INTERNATIONAL D’INVESTISSEMENT DE SOTCHI 26-29 SEPTEMBRE 2013
Le Forum international d’investissement de Sotchi est une plateforme de dialogue entre les entreprises et le gouvernement. L’an dernier, il a réuni plus de 7 300 participants, notamment des chefs de différents organismes d’État et d’institutions publiques, de sociétés russes et internationales majeures ainsi que de missions diplomatiques de 55 régions russes et de 40 pays.
PHILIPPE PEGORIER, PRÉSIDENT ALSTOM RUSSIE
Pour Alstom, le Forum économique de Sotchi est une formidable opportunité de rencontrer la communauté des investisseurs et les autorités russes. C’est un espace créatif où tous peuvent réfléchir à de nouveaux projets d’avenir, qui seront la clef du développement des régions. Avec la construction d’une usine de production de turbines électriques à Oufa, la production en cours de locomotives dans la région de Rostov, pour ne citer que quelques exemples, Alstom est fier de participer à cette mission, qui est de donner un second souffle aux économies régionales.
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Régions
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Une vitrine militaroindustrielle au pied de l’Oural conclu avec le directeur général du salon international d’armement et de technologie militaire Eurosatory, le général Patrick Colas des Francs. C’est ainsi que pour la première fois, « Staratel » recevra les plus récentes versions du véhicule blindé Bastion, sur le marché depuis deux ans seulement. Les industriels de la défense y apporteront également à RAE 2013 le véhicule blindé léger dit VBL qui intéresse depuis quelque temps la direction du ministère de l’Intérieur russe. Il n’est pas encore question d’achat. Mais c’est précisément l’objectif recherché dans le montage des expositions d’armement, qui permettent de présenter les produits élaborés dans différents pays du monde et d’en montrer les qualités. Dans la région de Sverdlovsk, une entreprise sur dix travaillait pour l’armée auparavant. Aujourd’hui, l’économie locale s’est considérablement diversifiée. D’après les données de l’institut
Des fabricants français ont été invités au salon de l’armement Russia Arms EXPO-2013. La région de Sverdlovsk s’ouvre au monde pour sa candidature à l’exposition universelle 2020. Le polygone militaire « Staratel », situé à deux cents kilomètres d’Ekaterinbourg, la capitale administrative de l’oblast de Sverdlovsk, n’a pendant des décennies servi qu’à tester la technologie militaire russe. Suite à une décision prise dans les années 2000 d’y instituer le salon Russia Arms EXPO (RAE), il s’ouvre aux industries de la défense étrangères tout en présentant aux diverses délégations, notamment de pays européens et asiatiques, les capacités des chars montés en Oural. Les Français ont été parmi les premiers à noter les perspectives internationales du polygone ouralien. Lors de la phase préparatoire de Russia Arms EXPO2013, un accord portant sur un échange de matériel exposé a été
RIA NOVOSTI
Aménagement Ekaterinbourg vise 2020
IL L’A DIT
Arkadiy Chernetskiy
de sondage VTSIOM, Ekaterinbourg est la ville au développement le plus dynamique en Russie. Sa région accueille les plus grandes entreprises métallurgiques, notamment la compagnie métallurgique et minière de l’Oural ou l’usine d’optique mécanique Uralvagonzavod parmi d’autres. Grâce au travail des spécialistes de NPO Avtomatika, une coopération spatiale franco-russe se développe avec succès. Selon des données gouvernementales, Ekaterinbourg se place en tête des villes russes qui attirent les investisseurs.Tout en restant un grand centre industriel, cette métropole devient peu à peu un centre du capital intellectuel humain. Ce n’est donc pas un hasard si Ekaterinbourg a été choisie par le gouvernement russe pour accueillir l’exposition universelle EXPO 2020, qui aura pour thème « l’intelligence globale ». En no-
PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE DU COMITÉ EXPO 2020
Nous avons mis en place un format inhabituel pour l’Expo 2020, en proposant le thème de « l’intelligence globale ». L’exposition vise à élaborer des solutions conceptuelles aux grands problèmes mondiaux".
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EN CHIFFRES
450 millions de dollars. C’est le total des échanges entre la France et la région de Sverdlovsk en 2012. Ce chiffre se décompose ainsi : 239 millions de dollars vers la France et 211 millions vers l’Oural.
vembre, le bureau international des expositions définira le site proposé pour l’exposition universelle. « La Russie a toujours pris une part active dans le mouvement mondial des expositions. Mais nous n’avons jamais reçu l’EXPO chez nous, observe le gouverneur de la région de Sverdlovsk Evgueni Kouivashev. Après 160 ans de partenariat fructueux il est temps pour nous d’accueillir la communauté mondiale de l’exposition. D’autant plus que la Russie participe de manière active à la mondialisation ». L’Oural ne manque pas d’atouts, comme il en a encore une fois apporté la preuve lors de l’exposition nationale Innoprom (abréviation des mots Innovation et Industrie) qui s’est déroulée à Ekaterinbourg et dont le thème était « l’industrie globale ». La manifestation a regroupé 550 exposants, notamment les plus grandes entreprises du secteur énergétique, métal-
INFO
lurgique et bancaire du pays. Un quart des visiteurs de l’exposition représentaient des compagnies étrangères. Une quarantaine d’accords ont été signés lors de l’Innoprom, une majeure partie concernant la conception des projets d’innovation avec les entreprises étrangères. Innoprom avait réservé une place particulière aux débats de haut niveau animés autour des perspectives de développement de l’économie mondiale. Les organisateurs des expositions en Oural attachent une attention spéciale aux plateformes d’échanges, dont ils considèrent qu’elles sont d’une importance cruciale pour attirer les exposants et les visiteurs. En ce sens, Innoprom 2013 aura fait figure de grande répétition avant l’Expo 2020, et renforcé la candidature d’Ekaterinbourg. Publi-reportage rédigé par l’administration du gouverneur de la région de Sverdlovsk.
Pour s’y rendre d’un symposium international : « Ici, on extrayait de l’or et on lavait les chevaux au champagne. Ici s’est forgée la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale. Un monde nouveau s’est créé ici ». Après la révolution d’Octobre, Ekaterinbourg fut le théâtre d’un événement marquant de l’histoire du pays : le tsar Nikolaï Romanov et sa famille y furent exécutés sur ordre du bolchevik Iakov Sverdlov, en « l’honneur » duquel la ville fut
Ekaterinbourg a été fondée en 1723 sur ordre du tsar, au cœur des montagnes de l’Oural. La ville était jadis considérée comme le « point d’appui » du développement de la Russie, grâce à la présence de l’industrie métallurgique. La région est aussi le site des premières découvertes aurifères. Charles Leadbeater, célèbre journaliste britannique et expert en économie créative, a présenté Ekaterinbourg en ces termes lors
Un carrefour Ekaterinbourg, distante de 1 814 km de Moscou, est la capitale administrative de l’oblast de Sverdlovsk, dans l’Oural. Avec une population recensée de 1 350 136 habitants en 2010, elle est la quatrième ville de Russie. Elle se situe sur le pan asiatique de l’Oural, à un important carrefour ferroviaire entre les liaisons provenant de toutes les parties de l’Oural et le reste de la Russie, sur la fameuse ligne du Transsibérien.
LORI/LEGION MEDIA
Ekaterinbourg dans l’Histoire
renommée Sverdlovsk. Les usines ouraliennes ont produit la majeure partie des armements destinés au front soviétique durant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, Sverdlovsk et les territoires voisins furent fermés aux étrangers. C’est là que des missiles ont abattu en 1960 l’avion espion américain piloté par Gary Powers. Ce n’est qu’après la perestroïka que la ville ouralienne a pu s’ouvrir au monde. Et c’est sous la présidence de Boris Eltsine qu’elle a retrouvé son nom historique – Ekaterinbourg.
Le vol Paris-Ekateribourg coûte 425-525 euros via St-Pétersbourg. Plusieurs trains quotidiens partent de Moscou et de St-Pétersbourg pour un trajet de 26h minimum.
Où se loger L’hôtel Oneguin propose des chambres avec vue sur la ville pour 150 euros. Les chaînes Novotel, Hyatt et Park Inn sont aussi présentes.
Patrimoine Ekaterinbourg rend hommage au premier président de la Fédération
Boris Eltsine aura droit à un musée dans sa ville préférée Le « Centre présidentiel » ouvrira ses portes à l’été 2014 avec la première bibliothèque dédiée à un ancien chef de l’Etat.
Ekaterinbourg accueille le Centre Boris Eltsine, premier musée consacré à un président russe, selon une conception qui empruntera au modèle américain.
BORIS MINAEV
Honneur aux chefs ou les chefs à l’honneur ! Chaque ancien chef de l’État aura bientôt une bibliothèque à son nom complétée d’un « Centre présidentiel » contenant les archives des anciens dirigeants, des cadeaux reçus, des écrits et divers documents ayant une valeur historique. À Ekaterinbourg, ville où Boris Eltsine a construit sa carrière politique, l’appel d’offres pour la création du centre honorant la mémoire du premier président a été remporté par l’agence Ralph Appelbaum de NewYork, qui a conçu plusieurs
PHOTOXPRESS
POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
bibliothèques présidentielles aux États-Unis, notamment celle de Bill Clinton et, en Russie, le Musée Juif de Moscou. L’objectif est de réaliser une exposition consacrée à la Russie du ХХème siècle, de la Première Guerre mondiale aux années 90. « Labyrinthe de l’histoire russe » : tel
est le nom d’une salle qui accueillera entre autres des documents relatifs à l’époque de la terreur des années 30, des films et des photographies de la Seconde Guerre ou des banderoles déployées par les participants aux gigantesques manifestations des années 80 contre le mono-
pole du pouvoir communiste. L’exposition Les sept jours de l’époque Eltsine s’étendra de sa première intervention rebelle au Kremlin, lors de la session extraordinaire à l’occasion du 70ème anniversaire du pouvoir soviétique, à sa démission le 31 décembre 1999. Musée de l’histoire contemporaine, le Centre présidentiel accueillera, outre la rétrospectivedédiée à la personne et à l’époque de Boris Eltsine, des expositions temporaires, divers projets relevant d’initiatives sociales ou portant sur des créations d’enfants, des concerts et des conférences publiques traitant des problèmes de la Russie d’aujourd’hui. L’objectif n’est pas seulement de reconstituer une époque et de s’inscrire dans le contexte de la vie actuelle d’une grande ville mais, cible plus importante encore, le Centre Eltsine vise la jeune génération née dans les années 1990, avec pour tâche principale de remédier aux carences dans l’enseignement de l’histoire.
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Opinions
LA CARTE DIPLOMATIQUE RUSSE Richard Sakwa PROFESSEUR
M
algré les efforts que Vladimir Poutine a déployés dès les premiers jours de sa présidence pour « normaliser » les relations entre la Russie et l’Ouest, ces relations restent fondamentalement anormales. Pour le président russe, la définition de la « normalité » était simple, à savoir que la Russie ne devait plus être traitée comme un cas spécial, mais uniquement comme tout autre pays souverain et indépendant. À cette fin, et à la première occasion venue, Poutine remboursa le gros de la dette souveraine et mit fin à différentes formes de dépendance accumulées depuis les années 1990, notamment vis-à-vis du Fonds monétaire international. Parallèlement, il accéléra le processus d’intégration, à la traine sous Eltsine, intensifiant les relations avec l’Union européenne et, après les attentats du 11 septembre 2011, s’efforçant de créer un partenariat d’égaux avec les États-Unis. Toutefois, il fut rapidement évident que cette stratégie de la « normalisation » serait vouée à l’échec. La Russie n’a pu devenir une grande puissance comme une autre, en partie parce qu’elle a dû accepter en 1991 les fortes exigences politiques liées au processus qui en font un État Nation, et en partie parce qu’elle s’est identifiée elle-même comme
NATALIA MIKHAYLENKO
Après la Guerre froide et au-delà de la « paix froide », la Russie peut se repositionner dans un rôle constructif
un État européen et comme un membre clé de la communauté internationale des nations. Du fait des contradictions systémiques et identitaires qui perdurent en Russie, les relations de ce pays avec le monde occidental continueront d’être entachées par des éléments « anormaux » pour un bon moment.
L’acceptation de la Russie au sein de la communauté transatlantique s’est révélée problématique depuis le début, comme en témoigne l’évocation par le président Boris Eltsine de la « paix froide » dès décembre 1994. L’une des caractéristiques de ce syndrome de la paix froide est le langage absurde de « redémar-
rages » et de « pauses » dans la relation américano-russe. Ce langage est la mesure du chemin qu’il reste à parcourir avant que des relations normales ne puissent être établies. L’heure est venue de faire preuve d’une plus grande maturité de part et d’autre. Pour l’Occident, une relation forte avec la Russie est essentielle pour des raisons stratégiques, économiques ou simplement diplomatiques. Bien que de nombreux sénateurs et activistes de la société civile cherchent à sortir de l’ombre en tapant sur la Russie, et qu’ils en tirent un bénéfice politique non négligeable, ce jeu est stérile et dangereux. Le drame de ces dernières années est que l’Union européenne n’a pas été capable de se doter d’une voix à part pour se faire entendre parmi les pricipaux représentants des nations européennes, et pour jouer un rôle de médiation dans la transformation de la communauté transatlantique. Bien que l’Europe dispose d’une voix propre, son incapacité à s’opposer aux errements de la puissance américaine dominante au sein de l’hégémonie occidentale sur un certain nombre de sujets, notamment la guerre en Iraq, a sapé sa crédibilité en tant que puissance normative. C’est bien sûr l’occasion pour la Russie de relever le défi, et plutôt que de renforcer la marginalité dans laquelle ses adversaires voudraient la confiner, d’intervenir de manière construc-
tive pour contribuer à résoudre certaines des impasses qui sont le fait de l’Occident lui-même. La soumission de type britannique à l’hégémonie américaine ne rend pas service. Il est du devoir d’un ami de signaler leurs erreurs à ses amis. Plutôt que d’être perçue comme un fauteur de troubles, la Russie peut ainsi se repositionner comme fournisseur de solutions. Ce sera peutêtre le cas en Syrie. Obama et Poutine comprennent, l’un comme l’autre, qu’il n’existe aucun fossé idéologique fondamental entre la Russie et l’Occident ; il est donc déplacé de parler d’une nouvelle Guerre froide. Pour autant, les tensions existent bel et bien et elles favorisent une atmosphère de « paix froide ». De la Syrie à Snowden, la liste des sujets sur lesquels la Russie a sa propre analyse est sans fin. Bien qu’un lanceur d’alerte ne soit naturellement pas du goût de Poutine, le pays dispose de bases normatives lui permettant d’accorder à Snowden l’asile politique, ne serait-ce que pour un an. De la même manière, l’analyse russe de la crise en Syrie est, depuis le début, plus juste que celle des puissances occidentales. La principale source de l’influence que la Russie peut exercer aujourd’hui réside dans un rôle de force modératrice en politique internationale. L’Occident s’est mis en difficulté sur un certain nombre de fronts ; la Russie peut servir d’intermédiaire dans la recherche de solutions aux conflits et contradictions de la politique occidentale. Richard Sakwas est professeur spécialiste des politiques russe et européenne à l’Université du Kent (Angleterre).
MUNICIPALES EN RUSSIE : LES CINQ PROBLÈMES DU SYSTÈME POLITIQUE Gleb Tcherkassov POLITOLOQUE
L
es élections municipales, qui se sont déroulées le 8 septembre dans la plupart des régions, ont fait ressortir cinq particularités du système politique russe. Le scrutin a échappé à la pression des autorités. On a observé la différence entre le vote des Moscovites et celui des provinciaux. On a constaté l’apathie politique générale et l’incapacité du pouvoir à mobiliser son camp. Et il est devenu clair que des opposants se situant en dehors du système
peuvent désormais remporter des élections. À Moscou, le scrutin s’est déroulé sans manipulation de la part des autorités : c’est une première pour la Russie moderne. Le maire sortant, Sergueï Sobianine, fut d’ailleurs stupéfait de son score relativement faible, insuffisant pour asseoir sa légitimité. L’écart entre la capitale et la province reste considérable. Les pressions du pouvoir ont été pleinement utilisées en province : exclusion des candidats hors système, pressions sur l’opposition, fraude électorale massive. Du coup, la valeur d’une voix pro-
vinciale est très inférieure à celle d’une voix moscovite. Une raison supplémentaire pour que Moscou, la ville la plus riche de Russie, soit encore plus détestée. Les Moscovites ont plus d’influence sur le gouvernement et, par conséquent, plus de droits. Troisième problème : l’énorme taux d’abstention. À Moscou, l’opposant Navalny en a profité, mais dans les autres régions, ce fut l’inverse. Cette faiblesse de la participation traduit un désintérêt de la part des citoyens pour le système politique. Tôt ou tard, de nouvelles personnalités trouveront les mots qu’il faut pour convaincre les citoyens, et le sys-
Le scrutin a confirmé l’écart entre Moscou et la province, et le désintérêt des électeurs pour la chose politique tème existant s’effondrera. Dans un pays où les politiciens n’apportent rien, des acteurs hors-système émergent et favorisent l’apparition d’un nouvel ordre. La victoire de l’opposant Evgueni Roïzman, militant anti-drogues, aux élections d’Ekaterinbourg illustre ce phénomène.
LU DANS LA PRESSE CONFLIT SYRIEN : LARUSSIEDÉBARQUE AVEC UNE SOLUTION CLÉS EN MAIN En appelant Damas à placer son arsenal chimique sous contrôle international, la Russie a mis en échec les plans de Barak Obama, qui n’était d’ailleurs pas sûr d’obtenir l’aval du Congrès pour lancer des frappes contre la Syrie. Il a donc fallu négocier avec Moscou, qui compte bien désormais dicter les règles du jeu. S’agit-il enfin d’un pas vers le règlement du conflit, ou simplement d’un tour de passe-passe pour gagner du temps ? Préparé par Veronika Dorman
COMMENT ÉVITER L’OPÉRATION MILITAIRE
OBAMA TOMBE DANS TOUS LES PIÈGES DE POUTINE
LA RUSSIE VIENT À LA RESCOUSSE
Éditorial VEDOMOSTI / 11.09
Michael Bohm THE MOSCOW TIMES / 12.09
Boris Mejouev IZVESTIA / 11.09
Personne ne veut d’intervention armée en Syrie, les États-Unis et leurs alliés pas plus que Moscou et Damas. Seuls les rebelles syriens et certains États du golfe Persique en ont besoin. La proposition russe, jolie en théorie, est-elle réalisable ? Cela supposerait une coopération totale de Damas. Et ne résoudrait pas toute la crise syrienne. Cependant, le projet permettrait à tout le monde de sauver la face. Pour l’heure, Moscou triomphe. Si les pourparlers aboutissent, ce sera une victoire de la diplomatie russe. Finalement, la Russie aura été cohérente sur sa volonté de régler pacifiquement le conflit en Syrie.
Le Président Poutine a tendu trois pièges à Obama. D’abord, la proposition de mettre sous contrôle international l’arsenal chimique de Damas. Mais sans intervention militaire, jamais Assad ne livrera ses armes. Ensuite, le veto systématique à l’ONU permet à la Russie de présenter les États-Unis comme un « agresseur », ce qui est plus important pour Poutine que de mettre fin à des crimes de guerre. Enfin, Moscou, de mèche avec Damas, pourrait être en train de provoquer une intervention, qui verrait les États-Unis s’enliser dans le conflit et les échecs militaires, tandis que les prix du pétrole s’envoleraient.
Tout ne fait que commencer. La Russie va devoir faire preuve d’une patience héroïque pour ne pas autoriser, sous couvert de contrôle international des armes chimiques, une occupation de la Syrie par l’OTAN. En se hissant au centre de la politique mondiale, la Russie fait grincer des dents ses innombrables détracteurs. Obama semble avoir accepté par désespoir. Espérons qu’il résiste à ses conseillers cherchant à le convaincre qu’il vaut mieux attaquer la Syrie que d’accroître de manière si drastique le prestige de la Russie. C’est le début d’un travail compliqué pour gagner les faveurs de l’opinion internationale.
NATALIA MIKHAYLENKO
Durant de nombreuses années, les autorités russes ne permettaient pas à des non-spécialistes de se faire une place au sein ou en marge du système politique, mais ces précautions ne fonctionnent plus. C’est le quatrième problème. Le cinquième, c’est qu’on
ignore si les autorités réalisent que les règles du jeu ne marchent plus. Les forteresses s’effondrent quand il n’y a personne pour les défendre. Le pouvoir doit se pencher sur l’évolution du système politique, mais il est clair qu’il n’a l’intention ni de le faire, ni d’en discuter.
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Culture
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CHRONIQUE LITTÉRAIRE
Art contemporain Après Venise, Miami et Charjah, c’est au tour de Moscou d’accueillir les Kabakov
Une arche appelant à l’indulgence
Les coulisses de l’Histoire
Le « bateau de la tolérance » d’Ilya et Emilia Kabakov est arrivé à Moscou. Les artistes poursuivent la réalisation d’un projet symbolisant l’attitude positive envers autrui. YAN SHENKMAN LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
TITRE : LE ROMAN DE LA PERESTROÏKA ÉDITION : ROCHER AUTEUR : V.FEDOROVSKI
RIA NOVOSTI
orientation sexuelle non traditionnelle. « En Russie, l’idée de la tolérance est de loin liée aux homosexuels et aux anti-gay. Car ce sujet est d’actualité aujourd’hui », dit Emilia Kabakov, qui n’hésite pas à prendre à rebrousse-poil les autorités avec ce thème hautement sensible. C’est aussi ainsi que le projet est perçu par beaucoup de moscovites. Chose remarquable, ce projet est sans but lucratif. Ilya et Emilia couvrent tous les frais liés à sa réalisation. Sauf à Moscou, où les autorités ont, malgré le thème sensible, contribué à l’achat des matériaux. Il ne s’agit pas de rémunération car la manifestation revêt un caractère uniquement social. Le projet de Moscou a une autre particularité : auparavant, tous les bateaux étaient construits par les étudiants et les professeurs de l’université de
Emilia et Ilya Kabakov figurent parmi les créateurs russes les plus appréciés dans le monde. Ilya est considéré par ARTnews comme l’un des dix plus grands artistes vivants.
SERVICE DE PRESSE
La famille Kabakov est arrivée à Moscou des États-Unis où le couple vit depuis déjà des années. Pourtant, Ilya Kabakov est devenu connu en Russie dans les années 1980. Participant actif des expositions non officielles à l’époque soviétique, il est un des pères fondateurs de l’école conceptuelle de Moscou. À la fin des années 80, il s’installe en Europe où il connaît un succès foudroyant. Ses tableaux « Jouk » (« Le scarabée », 5,8 millions de dollars, 2008) et « Nomer Lux » (« La chambre de luxe », 4,1 millions, 2006) sont les deux œuvres les plus chères jamais vendues de l’art contemporain russe. Les tableaux de l’artiste sont exposés à la Galerie Tretiakov, au musée de l’Ermitage, au Musée d’Art Moderne de New York et dans d’autres collections mondiales prestigieuses. Le « Bateau de tolérance » de Moscou ressemble aux autres bateaux installés par la famille Kabakov dans les autres villes aux quatre coins du globe : à Venise, dans l’Émirat Charjah et dans la ville égyptienne de Siwa. Mais c’est surtout la signification du mot « tolérance » qui est différente en Russie. En Égypte, il s’agissait de la tolérance religieuse, et en Italie, de la tolérance envers les immigrés, alors qu’à la lumière de la récente loi anti-gay, le projet des Kabakov à Moscou est chargé d’une signification sans équivoque : être tolérant signifie être indulgent à l’égard des personnes ayant une
Des écoliers moscovites ont participé au projet.
L’idée de tolérance a une signification très différente selon la culture. À Moscou, il s’agit d’indulgence
Manchester, seules les voiles étant fabriquées par les enfants. Le bateau de Moscou, quant à lui, a été érigé avec la participation des écoliers de la ville. Selon les artistes, il restera à Moscou pendant deux à trois semaines. Cette courte durée n’a rien à voir avec leur conception artistique. C’est juste qu’après cette période, personne ne s’occupera de l’œuvre. Il est d’ailleurs peu probable que la voile multicolore couverte de dessins d’enfants puisse survivre aux pluies d’automne de Moscou. Le « Bateau » n’est pas la raison principale qui a poussé la famille Kabakov à venir à Moscou. Il s’agissait d’entamer déjà
AFP/EASTNEWS
les préparatifs en vue d’un autre événement beaucoup plus lointain, l’exposition Monumenta au Grand Palais qui aura lieu en mai prochain à Paris. « L’installation totale » (Kabakov est un maître de ce genre artistique) qui sera présentée à Monumenta est intitulée « Une ville étrange ». Les artistes comptent construire une vraie ville avec des bâtiments de 25 mètres de hauteur et une muraille. Des expositions sont aussi prévues au Mexique, aux Émirats arabes unis et en Suisse. Le 27 septembre, les Kabakov retourneront à New York où ils inaugureront un nouveau « bateau de tolérance ».
Exposition L’illustrateur français Guillaume Reynard parcourt l’ex-URSS avec un crayon et beaucoup d’affection
Il dessine le soviétisme que l’oubli risque de gommer Avec « Sovietland », Guillaume Reynard procède à une « archéologie contemporaine par le dessin » dans une exposition présentée par l’Institut français de Moscou. PAUL DUVERNET
« On ne réalise pas à quel point le passé disparaît de plus en plus rapidement », remarque Guillaume Reynard, 41 ans, en parcourant son exposition personnelle baptisée « Sovietland ». « Je cherche à fixer ce qui va disparaître. Pas seulement les objets, mais aussi l’atmosphère qu’ils créent autour d’eux ». En explorant l’ex-URSS, l’illustrateur a été frappé par l’exotisme soviétique, mais aussi par des ambiances surannées renvoyant à un passé effacé depuis longtemps. Sur les dessins exposés à l’Institut français de Moscou, on voit entre autres une cuisine qui rendrait grand-mère nostalgique, un navire abandonné par la mer, une façade d’immeuble décrépie, une radio filaire crachotant au-dessus d’un réfrigérateur Pamir... C’est réalisé au crayon, avec de petites touches de couleur, inattendues parfois. Guillaume Reynard est un illustrateur accompli qui a travaillé avec de grandes maisons
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Symboles soviétiques sous le crayon de Guillaume Reynard.
d’édition comme Autrement, Actes-Sud Junior, Flammarion, Intervalles. Mais il a d’autres casquettes : réalisateur de documentaires. Il s’est rendu pour la première fois à Moscou en 1994 pour raisons professionnelles, à savoir l’installation d’un stand pour un industriel français dans le cadre d’une foire. « Je ne voyage jamais dans un but touristique. Je n’aime pas le tourisme, cela ne me correspond
pas. Il y a toujours un travail derrière mes déplacements », explique Reynard, qui avoue par ailleurs n’être pas un grand voyageur : « Je passe l’essentiel de mon temps à Paris ». Il a cependant trouvé suffisamment d’occasions professionnelles pour parcourir l’ex-URSS de long en large : Kazakhstan, Belarus, Ukraine et Russie. « Je ne parle pas le russe, mais je suis fasciné par les caractères cyrilliques », s’excuse-t-il. Dès
EMMANUEL GRYNSZPAN
ses premiers voyages, il utilise tout son temps libre pour dessiner les objets exotiques qu’il croise. « Je ne travaille pas à partir de photographies. Je m’imprègne des ambiances. C’est cela que je veux transmettre par mes dessins ». Son premier projet purement artistique lié au monde soviétique date de 1997, lorsqu’il monte un reportage autour de la mer d’Aral (Kazakhstan et Ouzbékistan). Ce reportage en
dessins accompagné de courts textes sera publié par le magazine Grands Reportages. Il a depuis réalisé plusieurs longs métrages documentaires sur l’Asie centrale. Affectivement lié à l’espace post-soviétique, Reynard préfère garder une certaine distance avec cet « objet » : « Il n’y a pas de politique dans mon travail. Pas de jugement. Je ne veux pas que mon travail prenne une allure didactique ». C’est l’atmosphère qui prime. L’artiste risque quand même une remarque forte : « Les Soviétiques ont formaté les espaces urbains et les gens de manière hallucinante ; en tous points de l’ex-URSS, l’atmosphère qui se dégage est purement soviétique. C’est flagrant. Il s’est opéré une normalisation quasi-complète des lieux et des êtres ». Même si l’éclatement de l’URSS permet un « reformatage » des objets et des gens, tout étranger de passage continue aujourd’hui de ressentir les traces de la « normalisation ». C’est pourquoi l’intérêt de Reynard pour la zone ne tarit pas. « Je prépare un livre sur Sotchi, confie-t-il. Ce sera un recueil de dessins précédé par une poésie, basé sur la disparition tragique d’une amie ». Sotchi, c’est aussi un double exotisme pour l’illustrateur : un repli subtropical dans une pure atmosphère soviétique… Sotchi pour mémoire, écrit avec Jean-Claude Taki, sortira le 15 octobre aux éditions Intervalles. › www.guillaumereynard.com
Vladimir Fedorovski avait à l’époque de la perestroïka une trentaine d’années, il était en poste à l’ambassade de l’URSS à Paris et commentait devant une France abasourdie les revirements aussi soudains qu’inattendus de l’histoire soviétique. Poursuivant son œuvre, entreprise avec une série romanesque sur l’histoire russe,Vladimir Fedorovski dévoile aujourd’hui un nouveau pan de cette histoire. De la mort de Brejnev à l’avènement de Poutine, en passant par la chute du mur de Berlin, Fedorovski retrace l’histoire de l’URSS et celle de l’ascension au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev, l’homme qui désormais symbolisera ce moment si particulier de l’histoire russe mais aussi européenne. Le témoignage de Fedorovski sur la genèse des événements est particulièrement intéressant, notamment en ce qui concerne le rôle d’Alexandre Yakovlev, idéologue inspiré dont Fedorovski fut un proche et à qui revient la paternité du concept de perestroïka. Il semble toutefois qu’il minimise le rôle des difficultés économiques dans le processus de libéralisation. Certains acteurs économiques de l’époque, notamment Egor Gaïdar qui fut Premier ministre (cf. l’Empire éclaté, ed. Eyrolles) ont vu dans la faillite de l’économie l’annonce fatidique de la fin de l’empire soviétique et le changement inévitable de cap politique. Fedorovski ne nous dit pas non plus quelle part est liée aux convictions ou aux contingences dans les décisions de Gorbatchev, influencé par une épouse ambitieuse et omniprésente et terrorisé par le spectre d’un KGB tout puissant. On s’étonne souvent en Europe que Gorbatchev et Eltsine, les principaux artisans de ce cataclysme politique, réalisé sans effusion de sang et sans violence, soient pourtant détestés par les Russes qui expriment de plus en plus souvent leur nostalgie de l’époque soviétique. Fedorovski montre au passage les diverses étapes du dépeçage économique du pays et l’apparition des oligarques. Le lecteur comprendra mieux alors le rôle de Poutine, qui a réussi le pari de « réhabiliter à la fois le passé tsariste et le passé soviétique afin de bâtir une continuité historique ». Comme toujours, Fedorovski sait faire revivre des moments uniques : le putsch d’août 91, Eltsine sur un char, la statue de Dzerjinsky déboulonnée, la population stupéfaite découvrant quotidiennement sur les écrans TV les « leçons de démocratie » de Gorbatchev et la parole libérée… Christine Mestre larussiedaujourdhui.fr/ chroniques/litteraires
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO
Magazine
Création La biennale d’art contemporain propose un nouvel éclairage
Yona Friedman présente ses improvisations architecturales realisées en papier (en haut). Gao Rong de la Chine associe un élément de luxe avec un symbole d’esclavage (en bas).
La Biennale d’art contemporain de Moscou, qui se déroule du 19 septembre au 20 octobre, est sans doute l’un des événements les plus attendus sur la scène artistique russe. Avec raison. CHLOÉ VALETTE LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Pour cette cinquième édition, 72 artistes provenant de 40 pays investissent les lieux cultes d’exposition de la capitale. Portée par le thème « Plus de lumière », la Biennale de Moscou tente cette année d’apporter un supplément d’éclairage sur la place de l’art dans le monde. « Il s’agit de capter à la fois le global et le spécifique », précise la curatrice de la Biennale, Catherine de Zegher, à La Russie d’Aujourd’hui. « La Russie se situe au carrefour entre l’Orient et l’Occident, entre le Nord et le Sud, et c’est cette diversité qui m’intéresse ». Les œuvres en exposition illustrent bien ce questionnement spacio-temporel, perçu différemment selon la culture et l’origine de l’artiste, et selon les enjeux de son environnement : la migration (Joumada, Indonésie), les espaces
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libres dans la mondialisation (Mikhaïl Lukatchevski, Russie/ Yakoutie), l’influence de la mondialisation sur les peuples autochtones (Ed Ping, Taïwan/Canada), le décloisonnement sociétal (Selma et Sofiane Ouissi, France / Tunisie). Mais c’est avant tout dans l’histoire de l’art russe que cette édition puise ses références et aborde la réflexion de l’espace-temps, à travers la confrontation de deux modernismes : le constructivisme du XXème siècle et le contemporain d’aujourd’hui. « L’année 1913 marque la première de l’opéra « Victoire sur le soleil », auxquels ont participé Malévitch, Ma-
tioushin et Kroutchenykh. Qu’en est-il un siècle plus tard, en 2013 ? », demande Catherine de Zegher, qui amorce ainsi la réflexion autour de cette exposition. Une question à laquelle tente de répondre l’architecte français d’origine hongroise Yona Friedman au travers de ses œuvres à la conception futuriste. Une pensée à l’avant-garde de ce début du XXIème siècle, que retracent ses « utopies réalisables ». Contrairement à une architecture planifiée,Yona Friedman suggère une « conception irrégulière, qui offre des possibilités d’improvisation dans l’architecture. Et pourquoi pas une improvisation de l’utili-
sateur ? » Pour lui, toute la réflexion autour de l’art contemporain réside dans la communication interactive. L’artiste envoie un message qui a vocation à être perçu, voire prolongé par le spectateur. « Imaginez, au lieu de twitter des phrases, un service permettant d’envoyer des graffitis », projette ce précurseur de l’art de demain. « Des dessins, des lignes dans la limite maximum des 140 caractères du tweet, qui seraient porteurs d’une idée... Soit un twitter visuel ! », lance-t-il. Son projet, qui s’inscrit obligatoirement dans le local, fait appel aux étudiants en architecture de l’Université de Moscou, sollicités spécialement pour cette édition. Autre surprise : le « Collectif d’auteurs » (Russie/France/ Ukraine), qui regroupe une vingtaine d’artistes engagés. La création spontanée de ce collectif émane d’une performance artistique réalisée en protestation contre le pouvoir à l’issue du résultat des élections législatives de 2011. Son concept ? Pas d’écrits ni de figuratif, mais une action purement formelle, caractérisée par... son inaction ! « L’art contemporain a tendance à tourner en rond. L’inertie, que nous avons choisi d’employer, est aussi un mode de protestation permettant de transmettre un message fort qui porte à questionnement », explique l’un de ses participants, Vlad Iourachko. Sur des toiles immaculées, les artistes ont utilisé la couleur blanche, symbole de la contestation. Et si la plupart des travaux ont été détruits par les forces de l’ordre, Anton Litvine, à l’origine du collectif, voit leur participation à la Biennale comme une victoire de l’art sur le politique. Confiante dans l’avenir de l’art contemporain russe, Catherine de Zegher souligne qu’en Russie, il existe une scène très différente de ce que l’on imagine. « Il y a un côté très spirituel, très mental, et les jeunes sont très inventifs, ce qui est porteur d’espoir », conclutelle.
ALEXEÏ BOUCHOV
« Plus de lumière » sur l’art actuel à Moscou Le théâtre dans l’isba de Vladimir Zakharov ne désemplit pas.
À Tomsk, les poupées-robots font du théâtre SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
Mis à part les « poupées de poignet », Vladimir Zakharov met également au point des systèmes électro-mécaniques qui donnent à ses créatures la possibilité de bouger et de parler toutes seules. Les têtes de ces poupées sont pleines de rouages mécaniques et électriques complexes. Zakharov conçoit les logiciels luimême. Une fois lancées, ces poupées-robots se mettent à vivre leur vie. Leur créateur ne sait pas toujours ce qu’elles vont dire. Les phrases sont réglées sur un mode de lecture aléatoire. À l’entrée du théâtre, des voix bruyantes se font entendre de toute part : ce sont les poupées qui sympathisent avec les invités. « Votre visage me dit quelque chose ! », murmure l’une d’elle avec bienveillance. « N’oubliez pas d’acheter votre billet ! », répète à qui veut l’entendre une vieille dame de mécanique et de bois, assise dans un coin, tricotant une écharpe.
Le Prochain NUMÉRO
Ces quelque deux cents poupées-robots étaient au départ destinées à la vente. Des apprentis viennent du monde entier chez Vladimir. Ils vivent dans le théâtre même. Une Italienne s’est inscrite pour trois mois complets. Après avoir croisé l’une de ces créatures au festival de Parme, elle est tombée amoureuse de ces « marionnettes de poignet » et s’est immédiatement rendue à Tomsk. « Fabriquer des poupées est un savoirfaire complexe, prévientVladimir Zakharov. J’ai récemment animé un atelier en Italie. Il a d’abord fallu apprendre pendant plusieurs semaines à fabriquer les mains, puis la tête. On n’est même pas arrivé aux yeux ! Tous n’en sont pas capables ». La renommée du marionnettiste de Tomsk s’étend rapidement dans le monde. Aujourd’hui, les poupées créées par Vladimir Zakharov ont gagné de nombreux pays : France, Italie, Grèce, Espagne, Lithuanie et Japon. Marionnettes sans frontières...
16 Octobre
GAIA RUSSO